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lePetitLittéraire.fr La Curée La scène du bal Émile Zola (Université Paris VIII – Saint-Denis) Docteure en philosophie Document rédigé par Julie Mestrot Commentaire de texte lePetitLittéraire.fr Document rédigé par Julie Mestrot La Curée La scène du bal Émile Zola Commentaire de texte

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lePetitLittéraire.fr

La CuréeLa scène du bal

Émile Zola

(Université Paris VIII – Saint-Denis)Docteure en philosophie

Document rédigé par Julie Mestrot

Commentaire de texte

lePetitLittéraire.fr

Document rédigé par Julie Mestrot

La CuréeLa scène du bal

Émile Zola

Commentaire de texte

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TEXTE ÉTUDIÉ 7La scène du bal

Notes

MISE EN CONTEXTE 9Le naturalisme d’Émile Zola

Le Second Empire : le Paris des grands travaux et de la spéculation immobilière

Situation de l’extrait étudié

COMMENTAIRE 13La dégradation du topos de la scène de bal

La critique d’une classe sociale récemment enrichie

La prise de conscience de Renée

CONCLUSION 20

POUR ALLER PLUS LOIN 21

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Émile ZolaÉcrivain et journaliste français

•  Né en 1840 à Paris•  Décédé en 1902 dans la même ville•  Quelques- unes de ses œuvres :

ʟ Nana (1880), roman ʟ Au bonheur des dames (1883), roman ʟ Germinal (1885), roman

Né en 1840 et décédé en 1902, Émile Zola est considéré comme l’un des romanciers majeurs du xixe  siècle  en France. Il est principalement reconnu en tant que chef de file du mouvement naturaliste qui entend appliquer à la littérature les méthodes scientifiques expérimentales de l’époque : après observation du réel, Zola émet une hypo-thèse et  la vérifie par expérimentation dans ses œuvres. Le cycle romanesque des Rougon- Macquart, la principale œuvre de  l’auteur, se pose comme l’illustration de cette esthétique. Cette fresque de vingt livres connaitra un grand succès malgré de nombreuses critiques.

Zola  est  également  célèbre  pour  ses  prises  de  position, souvent sources de condamnations. La plus notoire concerne  l’affaire  Dreyfus  où  son  pamphlet  J’accuse… ! (1898) contribua grandement à l’issue heureuse du procès du capitaine Dreyfus.

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TEXTE ÉTUDIÉ

LA SCÈNE DU BAL

Et, quand elle  leva les yeux, elle vit encore une figure du cotillon1, tout au fond, par les deux portes laissées ouvertes.

C’était un bruit assourdissant, une mêlée confuse où elle ne distingua d’abord que des jupes volantes et des jambes noires piétinant et tournant. La voix de M. de Saffré criait : « Le Changement de dames ! Le Changement de dames ! » Et  les  couples  passaient  au milieu  d’une  fine  poussière jaune ;  chaque  cavalier,  après  avoir  fait  trois  ou  quatre tours de valse, jetait sa dame aux bras de son voisin, qui lui jetait la sienne. La baronne de Meinhold, dans son costume d’Émeraude, tombait des mains du comte de Chibray aux mains de M.  Simpson ;  il  la  rattrapait  au petit  bonheur, par  une  épaule,  tandis  que  le  bout  de  ses  gants  glissait sous le corsage. La comtesse Vanska, rouge, faisait sonner ses pendeloques2 de corail, allait, d’un bond, de la poitrine de M. de Saffré,  sur  la poitrine du duc de Rozan, qu’elle enlaçait, qu’elle forçait à pirouetter pendant cinq mesures, pour se pendre ensuite à la hanche de M. Simpson, qui venait de lancer l’Émeraude au conducteur du cotillon. Et madame Teissière, madame Daste, madame de Lauwerens, luisaient comme de grands joyaux vivants, avec la pâleur blonde de la Topaze,  le bleu tendre de  la Turquoise,  le bleu ardent du  Saphir,  s’abandonnaient  un  instant,  se  cambraient sous le poignet tendu d’un valseur, puis repartaient, arrivaient de dos ou de face dans une nouvelle étreinte, visitaient  à  la  file  toutes  les  embrassades d’hommes du 

La CuréeL’appât du gain : vers une quête

du plaisir

•  Genre : roman•  Édition de référence : La Curée, in Les Rougon- Macquart,

Paris, Seuil, 1969, t. I.•  1re édition : 1871•  Thématiques : Second Empire, arrivisme, capitalisme, 

vice, plaisir

La Curée (1871) est le roman considéré comme la véritable ouverture du cycle des Rougon- Macquart, le premier volume (La Fortune des Rougon) étant souvent jugé introductif. Il a pour toile de fond le Paris des grands travaux haussman-niens. Aristide Saccard et sa femme Renée s’adonnent aux plaisirs dévoyés que procurent l’or et la chair dans ce Paris de la spéculation immobilière et de la fête impériale. Alors qu’Aristide  se  livre  en  rapace à d’obscures  transactions, sa femme Renée s’éprend de son beau- fils Maxime, campant une Phèdre moderne.

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MISE EN CONTEXTE

LE NATURALISME D’ÉMILE ZOLA

Le courant naturaliste, né à la fin du xixe siècle, prolonge le réalisme dont  il pousse à l’extrême la démarche et  les théories. Les romanciers naturalistes, dont Zola est le chef de file, entendent montrer que l’homme obéit à un double déterminisme : il est d’une part influencé par l’hérédité bio-logique, d’autre part par le milieu dans lequel il vit. Pour ce faire, les écrivains appliquent à leurs œuvres une méthode scientifique : après observation du réel,  ils formulent une hypothèse et  la vérifient par expérimentation.  Ils placent alors  un  personnage  déterminé  dans  une  histoire  bien précise et en dégagent la succession des faits qui obéit au double déterminisme cité ci- dessus. Cette démarche phy-siologique, voulue scientifique, doit mener à une meilleure connaissance de l’homme.

Le sous- titre des Rougon- Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, montre  bien ce que Zola doit aux sciences naturelles et à  la biologie, mais également à la sociologie. Le naturalisme de Zola consiste à envisager ses personnages sous l’angle du déter-minisme de l’hérédité et du milieu, comme nous venons de le voir. Selon la généalogie de Rougon- Macquart, c’est ainsi la tare originelle de l’aïeule Adélaïde Fouque qui, transmise à ses descendants, prendra selon le milieu et l’éducation la forme de la pulsion criminelle (La Bête humaine, 1890) ou de l’alcoolisme (L’Assommoir, 1877).

salon. Cependant, madame d’Espanet, devant l’orchestre, avait réussi à saisir madame Haffner au passage, et valsait avec elle, sans vouloir la lâcher. L’Or et l’Argent dansaient ensemble, amoureusement.

Renée  comprit  alors  ce  tourbillonnement  des  jupes, ce piétinement des jambes. Elle était placée en contrebas, elle voyait la furie des pieds, le pêle- mêle des bottes vernies et des chevilles blanches. Par moments, il lui semblait qu’un souffle de vent allait enlever les robes. Ces épaules nues, ces bras nus, ces chevelures nues qui volaient, qui tourbil-lonnaient, prises, jetées et reprises, au fond de cette galerie, où la valse de l’orchestre s’affolait, où les tentures rouges se pâmaient sous les fièvres dernières du bal, lui apparurent comme l’image tumultueuse de sa vie à elle, de ses nudités, de ses abandons.

NOTES

1. Cotillon  :  danse  collective,  le  plus  souvent  à  la  fin d’un bal.

2. Pendeloque  : petit bijou qui  se porte  suspendu à une chaine, à un ruban, à un bracelet.

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empereur par plébiscite et prend le nom de Napoléon III. Mais le rétablissement de l’Empire a souvent été consi-déré comme une usurpation du pouvoir. Ainsi Victor Hugo, notamment, appelle le peuple à la révolte contre  ce  pouvoir  jugé  inique  dans  Les Châtiments ( pamphlet, 1853) ;

•  par ailleurs, la France, en pleine révolution industrielle, connait à cette époque une certaine prospérité écono-mique et financière. L’État entreprend alors de grands travaux,  en  particulier  dans  l’urbanisme  :  il  s’agit  de substituer  au  vieux  Paris,  fait  de  rues  obscures  et étroites, un Paris moderne, traversé par de larges axes de communi cation facilitant la circulation des hommes et des marchandises, moins propices également aux émeutiers. C’est  le préfet de la Seine, Georges Eugène Haussmann (1809-1891), qui élabore et dirige le projet ;

•  enfin, en 1870, les échecs répétés de la diplomatie et des guerres napoléoniennes ont fragilisé la France. Le pays est aussi animé d’un esprit d’opposition politique à l’Empire qui a vu la prise de pouvoir économique de la bourgeoisie. Ce mouvement de protestation se cristallise alors dans la révolte parisienne de la Commune (1870). La même année, la France déclare la guerre à la Prusse et l’empereur est fait prisonnier à Sedan. Le 4 septembre 1870, la Troisième République est proclamée.

SITUATION DE L’EXTRAIT ÉTUDIÉ

Renée Saccard mène une vie de luxe insolent et de succès mondains grâce aux opérations  financières de  son mari, Aristide  Saccard.  Le  couple  formé par Renée  et Aristide semble  l’incarnation de « la ville folle de son or et de sa chair ». En effet, alors que son mari s’enrichit démesurément

Zola se départit cependant fréquemment d’une ambition strictement naturaliste, qui viserait uniquement à la pro-duction et à la diffusion d’un savoir relatif à l’hérédité et à l’influence du milieu, pour stigmatiser une classe sociale immorale et des comportements qu’il condamne.

LE SECOND EMPIRE : LE PARIS DES GRANDS TRAVAUX ET DE LA SPÉCULATION IMMOBILIÈRE

La Curée  a  pour  cadre,  comme  l’ensemble  du  cycle  des Rougon- Macquart d’ailleurs, le Second Empire. Dans ce roman, Zola met particulièrement  l’accent sur  le  fonctionnement politique et économique du nouveau régime qui met l’argent au pouvoir. Zola s’appuie sur une importante documentation pour décrire les mécanismes économiques et politiques, le plus souvent frauduleux, qui ont présidé aux grands travaux hauss-manniens à Paris. Par la suite, la spéculation immobilière à laquelle ces derniers ont donné lieu a permis à des person-nages de peu de valeur de s’enrichir rapidement.

Par ailleurs, la cohérence profonde de La Curée repose sur le lien que l’auteur établit entre l’appât du gain et la véna-lité,  deux  thèmes  qui  traversent  l’ensemble  de  l’œuvre. L’accumulation rapide de richesses jette les personnages de La Curée dans une quête effrénée du plaisir et de la jouis-sance qui ira jusqu’à l’immoralité et la perversion.

Petit rappel historique :

•  en 1852, sous la Deuxième République, Louis Napoléon Bonaparte (1808-1873), neveu de Napoléon Ier (1769-1821), est  élu  président.  Le  21  novembre  1852,  il  est  établi 

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COMMENTAIRE

LA DÉGRADATION DU TOPOS DE LA SCÈNE DE BAL

La scène de bal étudiée ici constitue un topos romanesque. Un topos est un motif que l’on retrouve fréquemment dans la littérature et dont l’étude permet d’observer l’évolution des visions du monde, mais aussi des pratiques littéraires.

Le bal, lieu de sociabilité par excellence, est l’occasion pour les hommes et les femmes de se rencontrer plus librement, notamment aux époques où les relations entre hommes et femmes sont très réglementées. La danse, qui rapproche les corps, installe le plus souvent un climat de séduction et de sen-sualité qui attire le lecteur, de même que le faste, les décors, les parures, les costumes et les lumières. Le motif ou topos du bal exerce ainsi une puissante attraction sur le lecteur.

Par ailleurs,  le bal est  l’occasion d’une dramatisation de l’action ou de l’approfondissement de la compréhension d’un personnage, il reflète souvent une partie de la société et, davantage encore, il révèle l’esthétique singulière d’une œuvre. D’où l’importance de ce motif littéraire. Ainsi, on ne compte plus les œuvres dans lesquelles on le trouve : Le Lys dans la vallée et Le Bal de Sceaux de Balzac (écrivain français, 1799-1850), Madame Bovary et L’Éducation sentimentale de Flaubert (romancier français, 1821-1880), La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette (femme de lettres française, 1634-1693), Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (écrivain italien, 1896-1957).

par des actions frauduleuses, Renée se livre quant à elle au dévoiement de la chair en nouant une relation incestueuse avec son beau- fils, Maxime. À  la  fin de  la sixième partie du roman, elle donne un bal chez elle, qui sera pour Renée l’occasion d’une prise de  conscience amère et d’un  rejet du monde, annonçant sa fin pathétique. Renée comprend qu’elle n’a été qu’un instrument aux mains de Maxime et d’Aristide.

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indicateurs de temps  : « d’abord », « et », « après », « tandis que », « ensuite », « puis », « un instant ». L’accumulation marque  l’extrême rapidité du mouve-ment, rapidité également rendue par l’accumulation des  verbes  d’action  :  « repartaient,  arrivaient  […] visitaient ». Ces mêmes verbes contredisent  la grâce et  la séduction subtile qui caractérisent d’ordinaire  le bal : les partenaires sont « jetés », « rattrapés », « lan-cés », « forcé[s] »,  ils « piétinent », etc. D’autre part, les parallélismes de construction contribuent à traduire l’aspect mécanique,  répétitif et violent de  la danse  : « jetait sa dame aux bras de son voisin, qui  lui  jetait la sienne », « tombait des mains du comte de Chibray aux mains de M. Simpson ».

•  Enfin,  les personnages en présence sont désignés de manière métonymique (« L’Or et  l’Argent », « l’Éme-raude ») et constituent moins des êtres humains que des corps morcelés. Ils sont réduits à des objets ou à des parties de leur corps : « hanches », « bout des gants », « poitrines », « mains », « jambes », « jupes » servent à désigner les personnages et sont même parfois sujets de verbes d’action. Précisons également que  le  faste des  costumes  est  décrit  d’une  manière  ambigüe  : les robes et parures des femmes en font « de grands joyaux vivants ».

Ainsi,  la scène de bal devient, chez Zola,  l’occasion d’un désordre, d’une « mêlée  confuse », où  les  corps  se dis-loquent et où les personnages n’ont plus que des rapports violents. Mais cette scène de bal, à l’instar de nombreuses scènes de ce type, sert aussi à mettre en scène une partie de la société du Second Empire, et à critiquer ses valeurs et les rapports sociaux qu’elle génère.

La scène de bal étudiée ici est intéressante en ce qu’elle constitue  une  dégradation  radicale  du motif  habituel. Chacun des éléments traditionnels de la représentation de cette scène dans la littérature subit ici un traitement qui lui retire tout pouvoir de séduction sur le lecteur et provoque au contraire un effet de dégout. Ce sentiment est d’ailleurs celui de Renée, par les yeux de qui le lecteur voit cette scène, comme en atteste la valeur des temps : le passé simple au début et à la fin du texte (« elle leva les yeux », « vit » et « comprit »), et l’imparfait secondaire ou de description dans le reste de l’extrait, par lequel la  scène  nous  est  dépeinte  selon  la  vision  subjective de l’héroïne.

•  Tout d’abord, celle- ci distingue mal les sons produits. La première phrase du second paragraphe met ainsi d’emblée  le  lecteur  face  au  désordre  de  la  scène  : « C’était un bruit assourdissant, une mêlée confuse. »

•  Significativement,  les  indications  de  lieux  sont  très peu présentes et ne mettent guère en valeur  le  faste attendu  du  décor  :  « poussière  jaune »,  « les  ten-tures rouges se pâmaient dans les fièvres dernières ». D’autres  indications  de  lieu  révèlent  les  codes sociaux et  les  règles de  la danse  (« tours de valse », « devant  l’orchestre », « visitaient à  la file toutes  les embrassades d’hommes »), mais ces indications sont contredites ou dévaluées (« forçait à pirouetter », « avait réussi à saisir […] au passage », « sans vouloir la lâcher ») : les codes sociaux et ceux de la danse ne sont donc pas respectés.

•  Ensuite, la description de la danse, qui constitue en temps normal un véritable morceau de bravoure  lit-téraire, se fait ici notamment par l’accumulation des

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corsage », les femmes « se cambraient sous le poignet tendu d’un valseur ». Aussi l’accent est- il mis sur le dévoilement de leur chair avec la répétition de l’adjectif « nu » et l’évocation suggestive des étreintes de Mme d’Espanet et de Mme Haffner qui « dansaient ensemble, amoureusement ».

Ainsi, dans le monde que décrit Zola, les femmes sont d’abord des instruments qu’utilisent les hommes pour par-venir à leurs fins. Elles sont donc les moyens mais aussi les vitrines de leur réussite : les bijoux qu’elles exhibent révèlent le pouvoir de ceux qui les possèdent, maris ou amants.

Ce  passage  est  emblématique  de  l’œuvre  dans  son ensemble parce qu’il synthétise  la question des rapports entre l’argent et la chair qui traverse La Curée d’un bout à l’autre. La monstruosité de l’union de l’argent et de la chair est particulièrement bien rendue à travers cette évo-cation du bal où les rapports sociaux sont dévoyés, où les femmes sont déshonorées et  réifiées, où  les hommes se font violents et les rapports « furieux ». Le bal est bien un tourbillon de foule, de musique, de mouvement, comme il se doit, mais il s’agit d’un tourbillon qui emporte les hommes et les femmes dans une spirale de perversion de morale. La phrase « L’Or et l’Argent dansaient ensemble, amoureu-sement » peut, en outre, à elle seule synthétiser cette scène et l’ensemble de l’œuvre : l’or et l’argent sont personnifiés, les êtres humains en sont les incarnations.

La scène de bal est donc pour Zola l’occasion d’une critique sociale féroce. Mais, comme annoncé précédemment, elle a aussi un  intérêt dramatique  important  : elle permet une prise de conscience de la part de l’héroïne.

LA CRITIQUE D’UNE CLASSE SOCIALE RÉCEMMENT ENRICHIE

Ainsi, le bal reflète la société du Second Empire. Le désordre et  le chaos de  la scène doivent surprendre  le  lecteur qui voit  mis  en  scène  des  personnages  appartenant  aux hautes sphères de la société  : alors que ceux- ci devraient se caractériser par le raffinement des mœurs, au contraire, ils se conduisent sauvagement, brutalement. Mais, surtout, le texte met l’accent sur la démonstration de richesse dont le bal  est  l’occasion.  La bourgeoisie  récemment enrichie apparait  très  soucieuse  d’étaler  un  luxe  de  costume  et de parures  : « son costume d’Émeraude ». Plutôt que de briller,  les  femmes  « luis[ent]  comme de  grands  joyaux vivants, avec la pâleur blonde de la Topaze, le bleu tendre de  la Turquoise,  le bleu ardent du Saphir », et  les bijoux de « l’Émeraude » sont des « pendeloques ». Les femmes sont les vitrines de la richesse des hommes. Le bal semble une allégorie du chaos social que génèrent l’appât du gain et le gout immodéré d’un luxe qu’aucune moralité ne vient tempérer.

Cet extrait se fait également l’écho de la place de la femme dans la société, ou plutôt de son absence de place puisque celle- ci se révèle significativement toujours en mouvement. En effet, ce sont surtout les femmes qui se déplacent, passant d’un cavalier à un autre : « Il la rattrapait au petit bonheur. »  Elles  sont  « lancées »  et  « tombent »  entre « les mains » des hommes, « prises, jetées et reprises » dans une sorte de bacchanale presque obscène : « dans une nouvelle étreinte, visitaient à la file toutes les embrassades d’hommes du salon », « le bout de ses gants glissait sous le 

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cause l’héroïne elle- même, à qui le bal offre un reflet de sa vie. On devine l’humiliation d’une femme qui s’est livrée à la débauche et à l’obscénité, qui s’est vue humiliée, instrumen-talisée par les hommes dans les bras desquels elle aussi a été « lancée », « jetée », sans égard, envisagée uniquement pour son corps et son argent.

Cette scène essentiellement descriptive présente aussi un intérêt dramatique, car elle laisse deviner un changement d’attitude  du  personnage. On  comprend  qu’auparavant Renée était absorbée par le monde du luxe et de la  jouis-sance. Sa prise de conscience annonce un changement à venir. L’héroïne en effet gardera cette attitude de retrait mélancolique et de rejet vis- à- vis de ce monde qui fut le sien, attitude qui implique aussi un rejet d’elle- même.

LA PRISE DE CONSCIENCE DE RENÉE

Pendant toute la scène,  l’héroïne se situe simultanément dans le bal et en dehors de celui- ci. D’un côté, c’est elle qui donne le bal ; de l’autre, elle reste en retrait, voyant le bal « par les deux portes laissées ouvertes » puis « en contre-bas ». La focalisation interne nous fait voir le bal à travers ses yeux, comme on l’a déjà dit : c’est elle qui perçoit cette « mêlée confuse », ce « bruit assourdissant », des termes qui  révèlent  une  vision  extrêmement  négative  du  bal. On comprend alors que Renée accomplit nécessairement un retour critique sur elle- même : le bal qu’elle a organisé, et par conséquent son mode de vie, lui apparaissent comme un chaos monstrueux. La force et la radicalité de sa prise de conscience sont mises en valeur par le retour à l’emploi du passé simple et par l’usage de l’adverbe de temps à la fin de l’extrait : « Renée comprit alors », puis « lui apparurent ».

Significativement,  l’évocation  de  sa  prise  de  conscience vient  juste après  la personnification  l’or et  l’argent dan-sant ensemble. La personnification associe  les motifs du lien amoureux et de l’argent. Renée réalise qu’elle n’a été qu’un instrument aux mains des hommes qui ne cherchent qu’à combler leur désir de richesse. Le bal dans son entier semble constituer à ses yeux une allégorie de la dégradation morale de la société du Second Empire dans laquelle évolue Renée, et donc de sa propre dégradation.

Cette prise de  conscience donne à  la  scène une  tonalité pathétique : « […] lui apparurent comme l’image tumul-tueuse de sa vie à elle, de ses nudités, de ses abandons ». Non seulement cette prise de conscience touche à la société dans  laquelle Renée évolue, mais elle met également en 

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POUR ALLER PLUS LOIN

ÉDITION DE RÉFÉRENCE

•  Zola É., La Curée, in Les Rougon- Macquart, Paris, Seuil, 1969, t. I, p. 364-365.

SUR LEPETITLITTÉRAIRE.FR

•  Fiche de lecture sur Au Bonheur des Dames d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur Germinal d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur Jacques Damour d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur La Bête humaine d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur La Curée d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur La Fortune des Rougon d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur La Mort d’Olivier Bécaille et autres

nouvelles d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur L’Argent d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur L’Assommoir d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur La Curée•  Fiche de lecture sur La Terre d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur Le Ventre de Paris d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur Madame Sourdis et autres nouvelles

d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur Nana d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur Pot- Bouille d’Émile Zola•  Fiche de lecture sur Thérèse Raquin d’Émile Zola•  Questionnaire de lecture sur Germinal

CONCLUSION

Cette scène de bal, en offrant une image dégradée du topos du bal, sert la critique sociale de Zola. Elle présente, outre une  clef de  compréhension essentielle de  l’ensemble de l’œuvre, un intérêt dramatique puissant. Le bal est en effet une étape décisive dans la vie de Renée, qui décidera par la suite de se retirer de ce monde immoral et méprisable pour mourir seule dans la tristesse et l’austérité.

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Gaudé• La Mort du roi Tsongor• Le Soleil des Scorta

Gautier• La Morte amoureuse• Le Capitaine Fracasse

Gavalda• 35 kilos d’espoir

Gide• Les Faux-Monnayeurs

Giono• Le Grand Troupeau• Le Hussard sur le toit

Giraudoux• La guerre de Troie  n’aura pas lieu

Golding• Sa Majesté des  Mouches

Grimbert• Un secret

Hemingway• Le Vieil Homme  et la Mer

Hessel• Indignez-vous !

Homère• L’Odyssée

Hugo• Le Dernier Jour• d’un condamné• Les Misérables• Notre-Dame de Paris

Huxley• Le Meilleur des mondes

Ionesco• Rhinocéros• La Cantatrice chauve

Jary• Ubu roi

Jenni• L’Art français  de la guerre

Joffo• Un sac de billes

Kafka• La Métamorphose

Kerouac• Sur la route

Kessel• Le Lion

Larsson• Millenium I. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Le Clézio• Mondo

Levi• Si c’est un homme 

Levy• Et si c’était vrai…

Maalouf• Léon l’Africain

Malraux• La Condition humaine

Marivaux• La Double Inconstance• Le Jeu de l’amour et du hasard

Martinez• Du domaine des murmures

Maupassant• Boule de suif• Le Horla• Une vie

Mauriac• Le Nœud de vipères

Mauriac• Le Sagouin

Mérimée• Tamango• Colomba

Merle• La mort est mon métier

Molière• Le Misanthrope• L’Avare• Le Bourgeois gentilhomme

Montaigne• Essais

Morpurgo• Le Roi Arthur

Musset• Lorenzaccio

Musso• Que serais-je  sans toi ?

Nothomb• Stupeur et Tremblements

Orwell• La Ferme des animaux• 1984

Pagnol• La Gloire de mon père

Pancol• Les Yeux jaunes des crocodiles

Pascal• Pensées

Pennac• Au bonheur des ogres

Poe• La Chute de la maison Usher

Proust• Du côté de chez Swann

Queneau• Zazie dans le métro

Quignard• Tous les matins du monde

Rabelais• Gargantua

Gaudé• La Mort du roi Tsongor• Le Soleil des Scorta

Gautier• La Morte amoureuse• Le Capitaine Fracasse

Gavalda• 35 kilos d’espoir

Gide• Les Faux-Monnayeurs

Giono• Le Grand Troupeau• Le Hussard sur le toit

Giraudoux• La guerre de Troie  n’aura pas lieu

Golding• Sa Majesté des  Mouches

Grimbert• Un secret

Hemingway• Le Vieil Homme  et la Mer

Hessel• Indignez-vous !

Homère• L’Odyssée

Hugo• Le Dernier Jour• d’un condamné• Les Misérables• Notre-Dame de Paris

Huxley• Le Meilleur des mondes

Ionesco• Rhinocéros• La Cantatrice chauve

Jary• Ubu roi

Jenni• L’Art français  de la guerre

Joffo• Un sac de billes

Kafka• La Métamorphose

Kerouac• Sur la route

Kessel• Le Lion

Larsson• Millenium I. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Le Clézio• Mondo

Levi• Si c’est un homme 

Levy• Et si c’était vrai…

Maalouf• Léon l’Africain

Malraux• La Condition humaine

Marivaux• La Double Inconstance• Le Jeu de l’amour et du hasard

Martinez• Du domaine des murmures

Maupassant• Boule de suif• Le Horla• Une vie

Mauriac• Le Nœud de vipères

Mauriac• Le Sagouin

Mérimée• Tamango• Colomba

Merle• La mort est mon métier

Molière• Le Misanthrope• L’Avare• Le Bourgeois gentilhomme

Montaigne• Essais

Morpurgo• Le Roi Arthur

Musset• Lorenzaccio

Musso• Que serais-je  sans toi ?

Nothomb• Stupeur et Tremblements

Orwell• La Ferme des animaux• 1984

Pagnol• La Gloire de mon père

Pancol• Les Yeux jaunes des crocodiles

Pascal• Pensées

Pennac• Au bonheur des ogres

Poe• La Chute de la maison Usher

Proust• Du côté de chez Swann

Queneau• Zazie dans le métro

Quignard• Tous les matins du monde

Rabelais• Gargantua

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  des fiches de lectures des commentaires littéraires des questionnaires de lecture des résumés

Anouilh• Antigone

Austen• Orgueil et Préjugés

Balzac• Eugénie Grandet• Le Père Goriot• Illusions perdues

Barjavel• La Nuit des temps

Beaumarchais• Le Mariage de Figaro

Beckett• En attendant Godot

Breton• Nadja

Camus• La Peste• Les Justes• L’Étranger

Carrère• Limonov

Céline• Voyage au bout  de la nuit

Cervantès• Don Quichotte de la Manche

Chateaubriand• Mémoires  d’outre-tombe

Choderlos de Laclos• Les Liaisons  dangereuses

Chrétien de Troyes• Yvain ou le Chevalier au lion

Christie• Dix Petits Nègres

Claudel• La Petite Fille de Monsieur Linh

• Le Rapport de Brodeck

Coelho• L’Alchimiste

Conan Doyle• Le Chien des Baskerville

Dai Sijie• Balzac et la Petite• Tailleuse chinoise

De Gaulle• Mémoires de guerre III. Le Salut. 1944-1946

De Vigan• No et moi

Dicker• La Vérité sur  l’affaire Harry Quebert

Diderot• Supplément au Voyage de Bougainville

Dumas• Les Trois Mousquetaires

Énard• Parlez-leur  de batailles,  de rois et d’éléphants

Ferrari• Le Sermon sur la chute de Rome

Flaubert• Madame Bovary

Frank• Journal  d’Anne Frank

Fred Vargas• Pars vite et  reviens tard

Gary• La Vie devant soi

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Racine• Andromaque• Britannicus• Phèdre

Rousseau• Confessions

Rostand• Cyrano de Bergerac

Rowling• Harry Potter à l’école des sorciers

Saint-Exupéry• Le Petit Prince• Vol de nuit

Sartre• Huis clos• La Nausée• Les Mouches

Schlink• Le Liseur

Schmitt• La Part de l’autre• Oscar et la Dame rose

Sepulveda• Le Vieux qui lisait des romans d’amour

Shakespeare• Roméo et Juliette

Simenon• Le Chien jaune

Steeman• L’Assassin habite au 21

Steinbeck• Des souris et des hommes

Stendhal• Le Rouge et le Noir

Stevenson• L’Île au trésor

Süskind• Le Parfum

Tolstoï• Anna Karénine

Tournier• Vendredi ou la Vie sauvage

Toussaint• Fuir

Uhlman• L’Ami retrouvé

Verne• Le Tour  du monde en 80 jours

• Vingt mille  lieues sous les mers

• Voyage au centre de  la terre

Vian• L’Écume des jours

Voltaire• Candide

Wells• La Guerre des mondes

Yourcenar• Mémoires d’Hadrien

Zola• Au bonheur des dames• L’Assommoir• Germinal

Zweig• Le Joueur d’échecs

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