scott contes

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    Walter ScottCCoonntteess eett bbaallllaaddeess

    MMllaannggeessppoottiiqquueess

    BeQ

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    Walter Scott

    (1771-1832)

    Contes et balladesMlanges potiques

    La Bibliothque lectronique du QubecCollection tous les ventsVolume 193 : version 1.01

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    Sources

    Histoires fantastiques, par Hoffmann, Byron,Walter Scott, Ch. Nodier, Avignon, Amde

    Chaillot, diteur, 1864. Textes traduits delanglais par John William Polidori.

    Contes fantastiques, par Apule, Hoffman,Walter Scott, Byron, Uhland, etc. Avignon,Amde Chaillot, diteur, 1861.

    Romans potiques et posies diverses, par

    Walter Scott, traduction de M. Defauconpret,avec des claircissements et des noteshistoriques. Deux tomes. Paris, Furne, Libraire-diteur, 1830.

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    Contes

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    Les aventures de Martin Waldeck

    Les solitudes de la fort du Harz, enAllemagne, mais surtout les montagnes nommesBlockberg ou plutt Brockenberg, sont le thtre

    des contes de sorcires, des dmons et desapparitions. Le genre de vie des habitants, quisont mineurs ou bcherons, les rend trs enclins la superstition, et ils attribuent souvent la magieles phnomnes naturels dont ils sont tmoinsdans leurs occupations solitaires, ou dans leurs

    travaux souterrains. Parmi les diverses lgendesqui ont cours dans cette contre sauvage, la plusrpandue est celle qui suppose que la fort duHarz est hante par un dmon protecteur, quonreprsente sous la forme dun hommegigantesque, avec une couronne et une ceinture

    de feuilles de chne, portant la main un pindracin. Il est certain que plusieurs personnesassurent avoir vu une figure pareille se promenersur le sommet des montagnes, et le fait de cette

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    apparition est si gnralement admis, que lescepticisme moderne na dautre ressource que de

    lattribuer une illusion doptique.Dans les anciens temps, les rapports de ce

    dmon avec les habitants taient plus familiers,et, selon les traditions de la fort de Harz, il semlait des affaires des mortels, avec le capriceassez ordinaire aux esprits, tantt pour leur faire

    du bien, tantt pour leur faire du mal. Mais onobservait qu la longue ses dons finissaient partre nuisibles ceux qui les avaient reus, et ilntait pas rare que les pasteurs, dans leur zlepour leurs troupeaux, composassent de longssermons pour les empcher davoir aucun

    commerce avec le dmon du Harz. Les aventuresde Martin Waldeck ont t souvent racontes parles vieillards leurs enfants, quand ils lesvoyaient rire dun danger qui leur paraissaitimaginaire.

    Un capucin missionnaire occupait la chaire delglise dun petit hameau appel Morgenbrodt,situ dans la fort du Harz, do il tonnait contrela mchancet des habitants, leur commerce avec

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    les dmons et les fes, et en particulier aveclesprit des bois. La doctrine de Luther

    commenait se rpandre parmi les paysans, (carlvnement que nous racontons a eu lieu sous lergne de Charles Quint) et ils se moquaient duzle avec lequel cet homme vnrable insistaitsur ce sujet. Enfin, de mme que sa vhmenceaugmentait avec leur opposition, ainsi leur

    opposition croissait proportion de savhmence. Les habitants naimaient pas voirun dmon paisible qui vivait sur le Brockenbergdepuis tant de sicles, confondu avec Belphgor,Astaroth et Beelzebut, et condamn sans appel aufeu ternel. La crainte que lesprit ne se venget

    sur eux de ce quils coutaient une sentence siinjuste, ajoutait encore lintrt quils luiportaient. Un missionnaire qui aujourdhui estici et demain ny est plus, disaient-ils, peut direce qui lui plat ; mais nous qui depuis longtempshabitons cette contre, nous sommes laisss la

    merci du dmon insult ; et nous payerons pourtous. Lirritation cause par ces rflexions lesfit passer des injures aux voies de fait ; ilssaisirent des pierres et forcrent le prtre aller

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    prcher ailleurs contre les dmons.

    Trois jeunes gens qui avaient t prsents cet

    vnement, retournaient leur chaumire o ilssoccupaient prparer du charbon pour lesforges. Dans la route, leur conversation tombanaturellement sur le dmon du Harz et sur ladoctrine du capucin. Max et Georges Waldeck,les deux frres ans, tout en avouant que le

    langage du capucin avait t indiscret, lorsquilavait voulu dterminer dune manire prcise lecaractre du dmon et sa demeure, soutenaientcependant quil tait trs dangereux de recevoirses dons, et davoir quelques rapports avec lui. Iltait puissant, mais capricieux, et ceux qui

    avaient commerce avec lui faisaient rarement unebonne fin. Navait-il pas donn au bravechevalier Ecbert de Rabenwole ce fameux chevalnoir, par le moyen duquel il vainquit tous leschampions au grand tournois de Brme. Et cemme cheval ne prcipita-t-il pas son cavalier

    dans un abme si profond quon na plus vu nilun ni lautre ? Navait-il pas donn DameGertrude Trodden un charme pour faire lebeurre ? Et ne fut-elle pas brle comme sorcire

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    par le grand juge criminel de llectorat, parcequelle se vantait de ce don ? Mais toutes ces

    histoires faisaient peu dimpression sur MartinWaldeck, le plus jeune des frres.

    Martin tait jeune, tmraire et imptueux,adroit dans tous les exercices qui distinguent lesmontagnards, bravant des dangers avec lesquels ilstait rendu familier, il riait de la timidit de ses

    frres. Ne contez plus de pareilles sornettes, ledmon est un bon dmon, il vit au milieu de nouscomme sil tait un paysan comme nous, ilfrquente les cavernes et les retraites desmontagnes, comme un chasseur ou un ptre ;celui qui aime la fort du Harz et ses sites

    sauvages, ne peut pas tre indiffrent au destindes enfants du sol. Si le dmon tait aussimalicieux que vous le dites, comment aurait-ilquelque pouvoir sur les masses qui reoivent sesdons sans se soumettre sa puissance ? Lorsquevous portez votre charbon la forge, largent que

    vous recevez du blasphmateur Blaize, nest-ilpas aussi bon que si vous le receviez du pasteurlui-mme ? Ce ne sont pas les dons de lesprit quivous mettront en danger, mais cest lusage que

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    vous en ferez dont vous aurez rendre compte. Sile dmon mapparaissait en ce moment et

    mindiquait une mine dor ou dargent, jecommencerais la creuser avant quil et tournle dos, et je me croirais sous la protection duntre plus puissant que lui, tant que je ferais unbon usage de la richesse dont il maurait mis enpossession.

    Son frre an lui rpondit que les richessesmal acquises taient ordinairement maldpenses, tandis que Martin assurait dun tonprsomptueux que la possession de tous lestrsors de la fort du Harz napporterait pas lemoindre changement dans ses habitudes, ses

    moeurs et son caractre.Ses frres supplirent Martin de parler avec

    moins de tmrit sur un pareil sujet, etparvinrent avec beaucoup de difficult attirerson attention sur une chasse au sanglier quisapprochait. En parlant ainsi, ils arrivrent leurchaumire, situe dans une gorge troite, sauvageet romantique du Brockenberg. Ils relevrent leursoeur dans lopration de la cuite du charbon, qui

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    demande une attention constante, et ils separtagrent entre eux loccupation de veiller

    alternativement pendant la nuit.Max Waldeck lan veilla pendant les deux

    premires heures de la nuit ; et il fut vivementalarm en observant sur le ct oppos de lavalle un grand feu environn de figures quidansaient en rond en faisant diverses postures. La

    premire ide de Max fut dveiller ses frres ;mais se rappelant le caractre audacieux du plusjeune, et voyant quil tait impossible dveillerlun sans lautre ; pensant aussi que ctait peut-tre une illusion du dmon par suite desexpressions tmraires de Martin, il jugea plus

    prudent de se mettre en prires et dattendre la finde cette trange apparition. Aprs avoir brillpendant quelque temps, le feu steignit pardegrs et fit place une obscurit profonde, et lereste de la veille de Max ne fut troubl que par lesouvenir de ses terreurs.

    Georges prit la place de Max, qui alla sereposer. Le phnomne du feu allum sur le flancoppos de la montagne se renouvela ses yeux. Il

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    tait entour de figures que leurs formes opaquesplaces entre le feu et loeil du spectateur

    faisaient distinguer ; elles se mouvaient toutautour comme si elles taient occupes quelques crmonies mystrieuses. Georges,quoique galement prudent, tait dun caractreplus courageux que son an. Il rsolutdexaminer de plus prs lobjet de son

    tonnement. Il franchit le ruisseau qui traversaitla valle, monta sur le flanc oppos, et arriva une porte de flche du feu qui paraissait brleravec la mme ardeur quauparavant.

    Ceux qui lenvironnaient ressemblaient cesfantmes que lon voit dans un rve agit, et le

    confirmrent dans lide quils ntaient pas de cemonde. Parmi ces tres fantastiques, GeorgesWaldeck distingua un gant tenant la main unarbre dracin dont il se servait de temps entemps pour attiser le feu, et qui navait dautresvtements quune couronne et une ceinture de

    feuilles de chne. Le coeur de Georges palpita,lorsquil reconnut la figure du dmon du Harz,que les vieux bergers et les chasseurs lui avaientdpeint plusieurs fois, pour lavoir vu errer dans

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    les montagnes. Il tourna le dos et se prparait fuir ; mais il eut honte de sa faiblesse ; il rcita

    mentalement le premier verset du psaumeTousles bons anges louent le Seigneur, quon regardedans ce pays comme un puissant exorcisme, et ilse retourna vers lendroit o il avait vu le feu.Mais il avait disparu.

    La ple clart de la lune clairait seule le flanc

    de la montagne, et lorsque Georges, la dmarchetremblante, le front inond dune sueur froide, lescheveux hrisss, fut arriv lendroit o le feuavait paru brler, et qui tait marqu par un grandchne, il nen vit pas le plus lger vestige. Lamousse et les fleurs sauvages navaient pas t

    foules, les branches du chne qui semblaientenveloppes de tourbillons de flammes et defume, taient humides de la rose de la nuit.

    Georges retourna en tremblant sa chaumire,et faisant la mme rflexion que son frre an, ilrsolut de ne rien dire de ce quil avait vu, depeur dveiller dans Martin cette curiositaudacieuse quil regardait presque comme unie limpit.

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    Ctait maintenant le tour de Martin de veiller.Le coq de la maison avait dj chant, et la nuit

    tait presque finie. En examinant ltat de lafournaise o le bois tait plac pour tre rduit encharbon, il fut surpris de ce que le feu navait past suffisamment entretenu ; car dans sonexcursion, Georges avait oubli le principal objetde sa veille. La premire pense de Martin fut

    dappeler ses frres, mais observant quils taientplongs dans un sommeil trs profond, il respectaleur repos, et se mit alimenter le feu sans leursecours. Le bois quil y jeta paraissait humide etpeu propre brler, car le feu loin de se raviversemblait steindre. Martin alla chercher quelques

    broussailles, quon avait fait scher avec soin ;mais lorsquil retourna, le feu tait totalementteint. Ctait un accident srieux qui lesmenaait dune perte de plusieurs jours de travail.Martin vex de ce contretemps voulut battre dufeu, mais lamadou tait mouill et il nen put

    venir bout. Il allait appeler ses frres,lorsquune vive lueur pntra non seulement parla fentre, mais encore par toutes les fentes deleur chaumire grossirement btie, et le fora

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    regarder la mme apparition qui avait effray sesfrres. Sa premire pense fut que les

    Mulhelhaussers, leurs rivaux, avec qui ils avaienteu plusieurs querelles, avaient franchi leurslimites, pour voler leurs bois, et il rsolutdveiller ses frres pour se venger de leuraudace. Mais, aprs un moment de rflexion, eten observant les gestes et les postures de ceux qui

    se jouaient au milieu du feu, tout incrdule quiltait, il jugea que ctait un phnomnesurnaturel. Quils soient hommes ou dmons, ditlintrpide bcheron, ceux que je vois occups des crmonies fantastiques, je vais leurdemander du feu pour rallumer notre fournaise. Il

    abandonna en mme temps lide dveiller sesfrres. On croyait gnralement quune seulepersonne la fois pouvait tenter des aventurespareilles celle quil allait entreprendre ; ilcraignit aussi que ses frres, dans leur timiditscrupuleuse, ne lempchassent dexcuter son

    dessein ; il dtacha donc sa lance du mur, et sortitpour tenter seul laventure.

    Avec le mme succs que son frre Georges,mais avec un courage bien suprieur, Martin

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    traversa le ruisseau, monta sur la hauteur, etapprocha si prs de lassemble des esprits, quil

    reconnut le dmon du Harz qui la prsidait. Ilfrissonna deffroi pour la premire fois de sa vie ;mais se souvenant que de loin il avait dsir etmme sollicit cette entrevue, il rappela soncourage, et, lorgueil supplant la rsolution, ilsavana avec assez de fermet vers le feu. Plus il

    en approchait, plus les figures qui lentouraienttaient hideuses et fantastiques. Il fut reu par desclats de rire discordants et peu naturels, quiparurent plus alarmants ses oreilles que les sonsles plus tristes et les plus dsagrables quil etpu imaginer. Qui es-tu ? dit le gant en donnant

    une espce de gravit ses traits sauvages, quisemblaient de temps en temps contracts par laconvulsion du rire quil voulait rprimer.

    Martin Waldeck le bcheron, rpondit lehardi jeune homme ; et vous, qui tes-vous ?

    Le roi des forts et des mines, rpondit lespectre ; pourquoi oses-tu troubler mesmystres ?

    Je suis venu chercher du feu pour rallumer

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    ma fournaise, rpondit laudacieux Martin ; puisil lui demanda hardiment son tour : Quels sont

    les mystres que vous clbrez ici ? Nous clbrons, rpondit le complaisant

    dmon, les noces dHerms avec le Dragon Noir :mais prends le feu que tu es venu chercher et va-t-en. Nul mortel ne peut nous regarder longtempssans mourir.

    Le paysan enfona la pointe de sa lance dansun tison enflamm, le souleva avec peine etsloigna au milieu des clats de rire quiredoublrent de violence et qui firent retentirtoute la valle. Lorsque Martin rentra dans sachaumire, son premier soin, quelque tonnquil ft de tout ce quil avait vu, fut de placer letison au milieu du feu, mais malgr tous sesefforts, il ne put parvenir rallumer les charbons,et le bois quil avait pris au feu des dmons finitpar steindre. Il se retourna et remarqua que lebrasier brlait encore sur la montagne, quoiquilny et plus personne alentour. Persuad que lespectre avait voulu se moquer de lui, ilsabandonna sa hardiesse naturelle, et rsolu de

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    voir la fin de cette aventure, il retourna au feu, oil prit un autre tison enflamm sans que le dmon

    sy oppost, mais il ne put russir rallumer safournaise. Limpunit ayant accru son audace, ilosa faire une troisime exprience, et parvintavec autant de succs jusquau feu ; maislorsquil eut pris une autre pice de boisenflamm, et quil eut tourn le dos pour

    sloigner, il entendit la voix discordante etsurnaturelle du dmon prononcer ces mots : Ose retourner ici une quatrime fois !

    Ses efforts pour rallumer le feu avec ce derniertison ayant t aussi infructueux que les autres,Martin Waldeck y renona et se jeta sur un lit de

    feuilles sches, pour attendre le moment deraconter ses frres son aventure extraordinaire.Il fut tir dun profond sommeil dans lequellavaient plong la fatigue de son corps etlagitation de son esprit, par de bruyantesexclamations de surprise et de joie. Ses frres

    tonns de voir le feu teint lorsquilssveillrent, commencrent par arranger lecharbon pour le rallumer, lorsquils trouvrentparmi les cendres, trois grandes masses

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    mtalliques, quils reconnurent pour de lor pur,car la plupart des paysans de la fort du Harz sont

    minralogistes par pratique.Leur joie fut un peu diminue, lorsquils

    apprirent de Martin la manire dont il avaitacquis ce trsor. Ce quils avaient vu eux-mmes,leur fit croire facilement ce quil leur raconta.Mais ils ne purent rsister la tentation de

    partager les richesses de leur frre. MartinWaldeck se mettant la tte de la maison achetades terres et des forts, btit un chteau, obtintdes lettres de noblesse, et, au mpris delancienne noblesse du voisinage, il fut investi detous les privilges dun homme dune haute

    naissance. Son courage dans la guerre et dans lesquerelles prives, et le nombre des hommesdarmes, quil avait sa solde, le soutint pendantquelque temps contre la haine quil stait attirepar son lvation soudaine, et par larrogance deses prtentions. Martin Waldeck prouva, ainsi

    que tant dautres, combien peu les mortelspeuvent prvoir leffet dune prospritinattendue sur leur caractre. Les mauvaisesdispositions de son naturel que la pauvret avait

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    rprimes, se dvelopprent et portrent leursfruits, par les tentations et les moyens de sy

    livrer. Comme on ne sarrte pas en tombant danslabme, une passion en veilla une autre ; ledmon de lavarice appela celui de lorgueil etlorgueil fut accompagn de la cruaut et deloppression. Le caractre de Waldeck, toujourscourageux et hardi, mais rendu plus arrogant et

    plus dur par la prosprit, lui attira la haine, nonseulement des nobles, mais encore des classesinfrieures, qui voyaient avec un double dgot,les droits oppressifs de la noblesse fodale delEmpire exercs sans remords par un hommesorti de la lie du peuple. Son aventure, quoique

    cache avec soin, commena circuler, et leclerg condamnait dj comme sorcier etcomplice des dmons, le sclrat qui avait acquisun trsor dune manire si trange. Environndennemis ouverts ou cachs, tourment par desquerelles particulires, menac

    dexcommunication par lglise, MartinWaldeck, ou, comme il faut maintenant lappeler,le baron von Waldeck, regrettait souvent avecamertume les travaux de sa paisible pauvret.

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    Mais son courage ne labandonnait pas au milieude ces difficults, et il semblait augmenter avec

    les dangers qui lenvironnaient, lorsquunaccident hta sa chute.

    Une proclamation du duc rgnant deBrunswick avait invit un tournoi solennel tousles nobles allemands dune extraction pure ethonorable. Martin Waldeck, richement arm,

    accompagn de ses deux frres et dune suitebrillante, eut larrogance de paratre parmi leschevaliers de la province, et demanda lapermission dentrer dans la lice. Cette demandeparut mettre le comble sa prsomption. Millevoix scrirent : Point de charbonnier ! Hors de

    lui, Martin Waldeck tira son pe et frappa lehraut qui sopposait son entre. Cent pesfurent tires pour venger ce crime, qui alors taitpresque aussi coupable que le sacrilge ou lergicide. Waldeck aprs stre dfendu commeun lion, fut saisi, jug sur le lieu mme par les

    juges du camp, et condamn, pour avoir troublla paix de son souverain, et viol la personnesacre dun hraut darmes, avoir la main droitecoupe, tre priv des honneurs de la noblesse

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    dont il tait indigne, et tre chass de la ville.Lorsquil eut t dpouill de ses armes, et quil

    eut souffert la mutilation inflige par cettesentence svre, la malheureuse victime delambition fut abandonne la populace, qui lesuivit en profrant des injures et des menaces,lappelant oppresseur et sorcier, et qui en vintenfin des voies de fait. Ses frres (car sa suite

    stait disperse) parvinrent le tirer des mainsde la populace, lorsque rassasie de cruauts, elleleut laiss demi-mort du sang quil avait perduet des outrages quil avait reus. On ne leurpermit pas, tant la cruaut de leurs ennemis taitraffine, de se servit dun autre moyen de

    transport que dun tombereau, tel que celui dontils se servaient autrefois. Ils y dposrent leurfrre sur un tas de paille, esprant peineatteindre un asile avant que la mort leut dlivrde ses souffrances.

    Lorsque les Waldecks, voyageant de cette

    misrable manire, approchrent de leur paysnatal, ils aperurent, dans un chemin creux entredeux montagnes, une figure qui savanait verseux et quils prirent pour un vieillard. Mais

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    mesure quil sapprochait, sa taille et sesmembres semblaient grandir, son manteau tomba

    de ses paules, son bton de plerin se changeaen un pin dracin, et ils reconnurent la formegigantesque du dmon du Harz. Lorsquil setrouva vis--vis la charrette o gisait lemalheureux Waldeck, ses traits se contractrenten un sourire mchant et ddaigneux, et il

    demanda au bless : Comment trouves-tu le feuque mes tisons ont allum ? La facult de semouvoir, que la terreur avait suspendue chez lesdeux frres, parut rendue Martin par lnergiede son courage. Il se leva sur son sant, frona lesourcil, et secouant contre le spectre son poignet

    sanglant, il lui lana un regard de haine et de dfi.Le dmon disparut en faisant un clat de rireaussi bruyant, aussi affreux qu lordinaire, etlaissa Waldeck puis par cet effort de la natureexpirante.

    Les frres pouvants conduisirent la charrette

    vers les tours dun couvent qui slevaient aumilieu des pins peu de distance de la route. Ils yfurent reus charitablement par un capucin, auxpieds nus et longue barbe, et Martin ne survcut

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    que le temps ncessaire pour achever la premireconfession quil et faite depuis sa prosprit

    soudaine, et pour recevoir labsolution du mmeprtre quil avait aid chasser du hameau deMorgenbrodt, trois ans auparavant pareil jour.On supposa que les trois annes de sa prospritprcaire avaient un rapport mystrieux avec lestrois visites quil avait faites au feu allum par les

    dmons sur la montagne.Le corps de Martin Waldeck fut enterr dans

    le couvent o il expira, et ses frres, ayant prislhabit de lordre, y vcurent et y moururent en selivrant des pratiques de dvotion. Ses terres quepersonne ne rclamait demeurrent incultes,

    jusqu ce que lempereur sen empara commedun fief vacant, et les ruines du chteau queWaldeck avait appel de son nom sont, au rapportdes mineurs et des bcherons, la demeure desmauvais esprits. Les aventures de MartinWaldeck sont un exemple des maux qui sont la

    suite des richesses promptement acquises et malemployes.

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    Le Bahr-Geistou

    Lesprit du chteau de Baldringham

    On fit halte midi dans un petit village, o lepourvoyeur avait fait des prparatifs pour ladyveline ; mais elle fut surprise de ce quilcontinuait rester invisible. La conversation duconntable de Chester tait bien instructive, etlady veline prtait une oreille patiente au

    dveloppement quil lui faisait de la gnalogiedun brave chevalier de la famille distingue deHerbert, dans le chteau duquel il se proposait depasser la nuit, lorsquun homme de la suiteannona un messager de la part de la dame deBaldringham.

    Cest la respectable tante de mon pre, ditveline en se levant, pour tmoigner de sonrespect pour son ge et pour sa parent, ce que les

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    moeurs de lpoque lexigeaient.

    Je ne savais pas, dit le Conntable, que mon

    brave ami et cette parente. Cest la soeur de ma grandmre, rpondit

    veline, une noble dame saxonne ; mais elle atoujours blm une union avec un normand, etna plus vu sa soeur depuis son mariage.

    Elle fut interrompue par larrive du messagerqui lui prsenta, un genou en terre, une lettredinvitation de la vieille tante sa nice de venirpasser la nuit dans la demeure dErmengarde deBaldringham, sil restait Acfreid deBaldringham assez de sang saxon dans les veines

    pour dsirer de voir son ancienne parente.Le conntable Hugues de Lacy voulaitdtourner veline daccepter cette invitation, enallguant le soin de sa sret, mais elle luirpondit :

    Ma sret, milord, ne peut tre en danger

    dans la maison dune si proche parente. Quellesque soient les prcautions quelle a jug proposde prendre pour la sienne, elles doivent tre

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    suffisantes pour me garantir de tout pril.

    Je dsire que vous ne vous trompiez pas, dit

    Hugues de Lacy ; mais jy ajouterai celle deplacer prs du chteau une patrouille qui ne leperdra pas de vue tant que vous y resterez.

    Il se tut, et ajouta ensuite, en hsitant un peu,quil esprait quveline, allant visiter uneparente dont les prventions contre les Normandstaient gnralement connues, se tiendrait engarde contre tout ce quelle pourrait entendre cesujet.

    Elle lui rpondit avec un air de dignit quilntait pas probable que la fille de Raymond

    Brenger voult couter rien qui pt blesserlhonneur dune nation dont son pre tait issu ;et le conntable fut oblig de se contenter de cetterponse, dsesprant den recevoir une plussatisfaisante. Il se souvint dailleurs que lechteau de Herbert ntait qu deux milles de

    lhabitation de Lady Baldringham, et il marcha ensilence ct dveline jusquau point de la routeo ils devaient se sparer pour la nuit.

    Ctait un endroit lev do lon pouvait voir

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    droite le chteau gothique dAmelot Herbert, et gauche, la vieille maison grossirement

    construite au milieu des bois de chnes, o LadyBaldringham maintenait les coutumes des Anglo-Saxons, et avait en haine et en mpris toutes lesinnovations introduites en Angleterre depuis labataille dHastings.

    L le conntable, ayant donn ordre une

    partie de sa troupe de conduire veline chez saparente, et de veiller toute la nuit sur la maison,mais une distance suffisante pour ne pouvoir nien offenser la matresse, ni lui donner dombrage,baisa la main de la jeune orpheline, et prit congdelle regret.

    veline entra alors dans un chemin si peubattu, quil annonait combien tait solitaire lamaison o elle allait. Cette maison, un seultage, avait ses murs tapisss de plantesgrimpantes, et lherbe croissait jusque sur le seuilde la porte, laquelle pendait une corne debuffle. Personne ne se prsentait pour recevoirveline.

    votre place, lui dit dame Gillian, je

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    tournerais bride. Cette vieille maison semble nepromettre ni vivres ni abri des chrtiens.

    veline la fit taire, mais son regard jet surRose dcelait son propre malaise. Sur lordre desa matresse, Raoul tira de la corne un sondiscordant. Ce ne fut quau troisime signal quela porte souvrit, et des domestiques des deuxsexes se montrrent dans un vestibule sombre et

    troit. Le mme officier qui avait apport veline linvitation de sa tante, savana pourlaider descendre de cheval. Deux matronesdun ge mr et quatre jeunes fillessapprochrent avec respect. veline allait leurdemander des nouvelles de sa tante, mais les

    matrones mirent un doigt sur leurs lvres, commepour linviter au silence, geste qui, joint lasingularit de sa rception sous dautres gards,ajouta encore la curiosit quelle avait de voirsa parente.

    Cette curiosit fut bientt satisfaite. On ouvritune porte deux battants, et veline entra dansune grande salle fort basse, orne dune tapisserieen haute lice, au bout de laquelle, sous une

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    espce de dais, tait assise la vieille dame deBaldringham. Ses quatre-vingts ans bien compts

    navaient pas affaibli lclat de ses yeux, ni faitflchir dun pouce sa taille majestueuse ; sescheveux gris taient encore assez touffus pour luiformer une coiffure orne dune guirlande defeuilles de lierre ; sa longue robe retombait enplis nombreux autour delle ; sa ceinture

    brode, se montrait une grande boucle dor ornede pierres prcieuses qui auraient valu la ranondun comte. Ses traits avaient t beaux,imposants mme ; on y lisait encore, quoiquilsfussent fltris et rids, un caractre de grandeursrieuse et mlancolique, parfaitement assorti

    avec ses vtements et ses manires.Laccueil reu dErmengarde par veline fut

    dun caractre aussi antique et aussi solennel quela mise et que la maison de cette parente. Quandsa nice sapprocha delle pour lembrasser, sansse lever elle larrta en appuyant sa main sur son

    bras, et elle examina avec la plus scrupuleuseattention sa physionomie et ses vtements. Enfinelle se leva et lui fit un baiser au front, mais ellelaccompagna de rflexions peu obligeantes sur le

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    costume de la jeune fille, auxquelles velinerpondit avec une certaine vivacit : La mode

    peut avoir chang, madame ; mais mes vtementssont ceux que portent toutes les jeunes personnesde mon ge et de mon rang.

    La jeune fille parle bien et hardiment,Berwine, dit Ermengarde ; et sauf quelquesdtails de son accoutrement, elle est mise dune

    manire qui lui sied. Ton pre, ce que jaiappris, est mort en chevalier sur le champ debataille.

    Il nest que trop vrai, rpondit veline ; etses yeux se remplirent de larmes au souvenirdune perte si rcente.

    Je ne lai jamais vu, dit Ermengarde.

    En ce moment lintendant entra danslappartement en saluant sa matresse un genouen terre, il lui demanda quelles taient sesintentions relativement la garde de soldats

    normands qui taient rests devant la porte. Des soldats normands devant la maison de

    Baldringham ! scria la vieille dame. Qui les y a

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    amens ? Que viennent-ils faire ?

    Je crois, rpondit lintendant, quils sont

    venus pour garder cette jeune dame. Quoi, ma fille ! dit Ermengarde dun ton de

    reproche mlancolique, noses-tu passer une nuitsans gardes dans le chteau de tes anctres ?

    Dieu ne plaise ! rpondit veline. Ces

    soldats ne sont ni moi, ni sous mes ordres. Ilsfont partie du cortge du conntable de Lacy, quiles a chargs de veiller autour de ce chteau decrainte des brigands.

    Des brigands ! rpta Ermengarde. Lesbrigands nont fait aucun tort la maison de

    Baldringham, depuis quun brigand normand luia enlev son trsor le plus prcieux dans lapersonne de ton aeule.

    veline rpondit que comme les Lacys et lesNormands en gnral ntaient pas agrables satante, elle ordonnerait au chef du dtachement de

    sloigner du voisinage de Baldringham. Lavieille dame ny consentit pas, et donna ordre deporter boire et manger ces Normands, pour

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    ne pas leur laisser le droit de dire quellemanquait dhospitalit. Nous ne rpterons pas la

    conversation qui eut lieu pendant le repas, maislorsque lady Baldringham dit veline que, selonlantique usage de sa famille, elle devait sesoumettre la rgle tablie pour les filles de sarace de passer la nuit dans la chambre du Doigtrouge, la nice se troubla. Je... J ai... entendu

    parler de cette chambre, dit veline avec timidit,et si ctait votre bon plaisir, jaimerais mieuxpasser la nuit ailleurs. Ma sant a souffert desdangers et des fatigues auxquels jai t exposetout rcemment, et avec votre permissionjattendrai une autre occasion pour me conformer

    lusage quon ma dit tre particulier aux fillesde la maison de Baldringham.

    Et dont cependant vous voudriez vousdispenser, dit la vieille Saxonne en fronant lessourcils dun air courrouc. Une telledsobissance na-t-elle pas cot dj assez cher

    votre maison ? veline, es-tu assez dgnrede lesprit de bravoure de tes anctres pour ne pasoser passer quelques heures dans cette chambre ?

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    Je suis chez vous, madame, rponditveline, et je dois me contenter de lappartement

    quil vous plaira de me donner. Mon coeur estassez ferme pour se soumettre lusage de votremaison.

    Elle dit ces seules paroles avec un certainmcontentement, car elle voyait dans la conduitede sa tante une intention dsobligeante et peu

    hospitalire. Et cependant, lorsquellerflchissait la lgende de la chambre o elledevait coucher, elle ne pouvait sempcher deconsidrer la dame de Baldringham, commeayant des motifs lgitimes pour se conduire ainsi,puisquelle se conformait aux traditions de sa

    famille et la croyance du temps, galementrespectes par veline.

    La soire passe au chteau de Baldringhamaurait t dune dure effrayante et insupportable,si lide du danger quon apprhende ne faisaitpas passer rapidement le temps qui scoulejusqu lheure redoute. Enfin linstant de sesparer arriva. La vieille Saxonne souhaita lebonsoir sa nice dun air solennel, lui fit le

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    signe de la croix sur le front, lembrassa, et lui dit loreille : Prends courage, et puisses-tu tre

    heureuse ! Ma suivante, Rose Flammock ou ma femme

    de chambre, dame Gillian, femme du vieuxRaoul, ne peuvent-elles passer la nuit dans monappartement ? demanda veline.

    Impossible ! ce serait vous exposer toutesdeux de grands dangers ; cest seule que vousdevez apprendre votre destine, comme lont faittoutes les femmes de notre race, lexception devotre grandmre. Et quelles ont t lesconsquences du mpris quelle a eu pour lesusages de notre maison ! Hlas ! je vois en cemoment sa petite-fille orpheline dans la fleur desa jeunesse.

    Jirai donc seule dans cette chambre, ditveline avec un soupir de rsignation. On ne dirajamais que pour viter un moment de terreur,

    jaie appel sur moi linfortune. Vos suivantes seront dans lantichambre etpresque porte de vous entendre. Berwine vousintroduira dans votre appartement. Je ne puis le

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    faire moi-mme. Vous savez quon ny rentrejamais, quand on y a pass une nuit.

    Elle dit adieu veline avec plus dmotion etde sympathie quelle ne lui en avait encoremontr, et lui fit signe de suivre Berwine, quilattendait, avec deux filles portant des torches,pour la conduire dans lappartement redout.

    Les torches clairant les murs grossiers et lesvotes sombres de plusieurs passages, lesaidrent descendre les marches uses dunantique escalier tournant, et lon arriva dans unepice passable du rez-de-chausse, laquellequelques tentures, un bon feu dans la chemine,un myrthe grimpant autour de la fentre, laissantpasser les rayons de la lune, donnaient uneapparence un peu confortable.

    Cette pice, dit Berwine, est la chambre devos suivantes ; nous deux nous allons plus loin.

    Elle prit une torche des mains dune des filles,

    qui toutes deux semblaient reculer de frayeur, cequi fut remarqu par dame Gillian quiprobablement nen savait pas la cause. Mais RoseFlammock suivit sa matresse, sans son ordre et

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    sans hsiter, tandis que Berwine conduisaitveline vers une petite porte qui, garnie de clous

    grosse tte, communiquait un cabinet detoilette lextrmit duquel se trouvait une portesemblable. Ce cabinet avait aussi une fentre dontles carreaux, ombrags par de verts arbustes,laissaient passer un faible rayon de la lune.

    Berwine sarrtant devant cette porte, montra

    Rose veline et lui dit : Pourquoi nous suit-elle ?

    Pour ne pas quitter ma matresse dans ledanger, quel quil puisse tre, rpondit Rose, avecla hardiesse de langage et de rsolution qui lacaractrisaient. Parlez, dit-elle, ma chrematresse, en sadressant elle et lui prenant lamain, dites que vous nloignerez pas Rose devous. Si je nai pas lesprit aussi lev que votrerace, le coeur et la bonne volont ne memanquent pas pour vous servir. Vous tremblezcomme la feuille ! Nentrez pas dans cettechambre, ne vous laissez pas imposer par toutecette pompe et ces prparations mystrieuses etterribles ; il faut vous moquer de cette

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    superstition antique et, je crois, demi paenne.

    Il faut que lady veline entre, jeune fille,

    rpondit svrement Berwine, il faut quelle entreseule, et non pas accompagne dune suivantemalapprise.

    Il faut ! il faut ! rpta Rose ; est-ce lelangage quon tient une libre et nobledemoiselle ! Ma chre matresse, donnez-moi entendre par le moindre signe que vous ledsirez, et je mettrai leur Il faut lpreuve.Jappellerai de la fentre les cavaliers normands,et je leur dirai que nous sommes tombes dansune caverne de sorcires, et non pas dans unemaison hospitalire.

    Silence, folle ! dit Berwine dont la voixtremblait de colre et de peur ; vous ne savez pasqui habite dans la chambre voisine !

    Jappellerai des gens qui le verront bientt,dit Rose en courant la fentre, lorsque veline,

    la prenant son tour par le bras, la fora desarrter.

    Je te remercie de ton dvouement, Rose, dit-

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    elle, mais cela ne me serait daucun secours.Celle qui entre par cette porte doit tre seule.

    Alors jentrerai votre place, dit Rose. Voustes ple, vous frissonnez, vous mourrez defrayeur. Il y a l plus de supercherie que desurnaturel ; ou si quelque mchant espritdemande une victime, il vaut mieux que ce soitRose que sa matresse.

    Cesse, dit veline en recueillant soncourage, tu me fais rougir de moi-mme. Ceci estune antique preuve qui ne regarde que lesfemmes descendues de la maison de Baldringhamjusquau troisime degr, et qui ne les regardequelles. Je ne mattendais pas avoir la subir ;mais puisque lheure est venue o il me faut lasubir, je la soutiendrai avec autant de couragequaucune de celles qui y ont t exposes avantmoi.

    En parlant ainsi, elle prit la torche de la main

    de Berwine, souhaita une bonne nuit elle et Rose, se dgagea doucement de ltreinte de cettedernire, et savana dans la chambremystrieuse. Rose se pencha assez pour voir que

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    ctait une pice de dimensions modres,semblable celles quelles venaient de traverser,

    claire par les rayons de la lune, qui pntraientpar une fentre situe la mme hauteur quecelle de lantichambre. Elle ne put pas en voirdavantage, car veline se retourna sur le seuil,lembrassa en la repoussant doucement dans lapetite pice quelle quittait, ferma la porte de

    communication, et tira les verrous, comme pourse prmunir contre quiconque voudrait entrerdans de mauvaises intentions.

    Berwine alors exhorta Rose, si elle tenait lavie, se retirer dans la premire antichambre, oles lits taient prpars, et, si elle ne se livrait pas

    au repos, garder au moins le silence en faisantdes prires. Mais la fidle Flamande rsistacourageusement ses ordres et sessupplications.

    Ne me parlez pas de danger, dit-elle ; je resteici, afin dtre au moins porte dentendre si mamatresse est en danger ; et malheur qui lui feradu mal. Sachez que vingt lances normandesentourent cette maison, prtes venger linjure

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    qui serait faite la fille de Raymond Brenger.

    Rservez vos menaces pour des tres qui

    sont mortels, dit Berwine, celui qui hante cettechambre ne les craint pas.

    Elle partit, laissant Rose trangement agite etquelque peu effraye par ses derniers mots. Rosese mit la fentre de la petite antichambre, poursassurer de la vigilance des sentinelles, et voir laposition exacte du corps-de-garde. La lune taitdans son plein et clairait suffisamment le terraindalentour. Les fentres des deux premirespices et de la chambre mystrieuse donnaientsur un ancien foss dont le fond tait sec, et ilsy trouvait en beaucoup dendroits des arbusteset des arbres dont les branches pouvaient faciliterlaccs de la maison. Lespace ouvert quistendait aprs le foss tait bien clair, et audel on voyait les chnes sculaires de la fort.

    La beaut calme de cette scne, le silence de

    tous les alentours, les rflexions srieuses qui ennaissaient, apaisaient en une certaine mesure lescraintes inspires par les vnements de la soire. Aprs tout, se dit Rose, pourquoi serais-je

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    inquite au sujet de lady veline ? Il ny a pasune grande famille, normande ou saxonne, qui ne

    se distingue par quelque observancesuperstitieuse particulire sa race, comme si cesgens ddaignaient daller au ciel par le mmechemin quune pauvre Flamande comme moi. Sije pouvais voir une sentinelle normande, je merendrais certaine de la sret de ma matresse.

    Ah ! jen vois une se promener l-bas,enveloppe dans son grand manteau blanc ; lalune fait briller le fer de sa lance. Eh ! sirecavalier !

    Le Normand accourut et vint jusquau bord dufoss.

    Que dsirez- vous ? lui demanda-t-il. La fentre voisine de la mienne, dit Rose, est

    celle de Lady veline Brenger, que vous tescharg de garder. Veillez avec attention sur cect du chteau.

    Fiez-vous-en moi, rpondit le cavalier, etserrant autour de lui sa grande chape, espce desurtout milliaire, il alla se placer contre le troncdu chne le plus voisin, o il resta les bras

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    croiss, appuy sur sa lance, et ressemblant untrophe darmes plutt qu un guerrier vivant.

    Certaine davoir des secours quelques pas,Rose quitta la croise, et, enhardie par cettecertitude, elle sassura, en coutant la porte,quil ne rgnait pas le moindre bruit dans lachambre dveline, et se mit commencerquelques dispositions pour se reposer elle-mme.

    Elle rentra donc dans la premire chambre, o,ayant noy sa frayeur dans des libations delithealos, ale douce, dune force et dune qualitsuprieure, quon lui avait offert boire, dameGillian dormait dun sommeil profond.

    Rose exprima tout bas son indignation de laparesse et de lindiffrence de Gillian, prit lacouverture du lit qui lui avait t destin,lemporta dans lantichambre, et avec les joncsrpandus sur le sol, elle se fit une couche o, demi assise, demi tendue, elle rsolut de passerla nuit, en veillant le plus quelle pourrait sur samatresse.

    Elle sassit, les yeux fixs sur la ple plantequi brillait dans toute sa splendeur dans le ciel de

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    minuit, elle se proposa de ne pas laisser lesommeil sapprocher de ses paupires, jusqu ce

    que laube du jour lui donnt la certitude que riende fcheux ntait arriv veline.

    Pendant ce temps, ses penses avaient pourobjet le monde sombre et sans bornes dau-del letombeau, et la grande question de savoir si ceuxqui lhabitent sont absolument spars de ceux

    qui vivent sur la terre, ou si, sous linfluence demotifs que nous ne pouvons apprcier, ilscontinuent entretenir dobscurescommunications avec les tres qui ont la ralitterrestre de la chair et du sang. Rose ne niait pascette dernire croyance, mais son bon sens et son

    caractre ferme la faisaient douter de la frquencede ces apparitions surnaturelles, et tout enprouvant des frmissements involontaires chaque feuille qui sagitait, elle tchait de croirequen se soumettant la formalit quon lui avaitimpose, veline ne courait aucun danger rel, et

    ne faisait que sacrifier une vieille superstitionde famille.

    mesure que cette conviction se renforait

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    dans lesprit de Rose, son dessein de veillersaffaiblissait : ses penses erraient comme un

    troupeau mal gard, ses yeux navaient quunesensation indistincte du disque large et argentquils continuaient regarder. la fin ils sefermrent, et assise, enveloppe dans sonmanteau, les bras croiss sur sa poitrine, le dosappuy contre le mur, Rose Flammock tomba

    dans un profond sommeil.Son repos fut terriblement interrompu par un

    cri aigu et perant parti de lappartement o samatresse reposait. Se lever et slancer vers laporte, fut laffaire dun moment pour lagnreuse fille, qui ne permettait jamais la

    crainte de contrebalancer lamour ou le devoir.La porte tait solidement ferme par des barres etdes verrous ; et un autre cri plus faible, ou pluttun gmissement, semblait dire : Que le secourssoit instantan, ou il sera inutile. Rose courutensuite la fentre, et elle appela par des cris

    deffroi le soldat normand que son manteau blancfaisait distinguer, toujours immobile contre levieux chne.

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    ce cri : Au secours ! au secours ! Onassassine lady veline ! , cette apparente statue

    slance avec rapidit jusquau bord du foss, etallait le franchir vis--vis la fentre ouverte, paro Rose le pressait de se hter par sa voix et parses gestes.

    Pas ici ! pas ici ! scria-t-elle avec uneprcipitation qui lui faisait presque perdre la

    respiration, en le voyant se diriger vers elle ; lafentre droite... escaladez-la, pour lamour deDieu, et ouvrez la porte de communication.

    Le soldat parut la comprendre ; il se prcipitadans le foss sans hsiter, saidant des buissonspour descendre. Il disparut un moment sous lesbroussailles, et, un instant aprs, se servant desbranches dun chne nain, il apparut aux yeux deRose, sa droite et prs de la fentre delappartement fatal. Il ne restait quune crainte :ctait que la fentre ne ft barricade lintrieur ; mais non, elle cda leffort duNormand, et ses dbris tombrent dans lachambre avec un fracas auquel le sommeil mmede dame Gillian ne put rsister.

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    Elle fit cho aux cris de Rose par ses proprescris, comme font les insenss et les poltrons, et

    entra dans lantichambre au moment o la portede la chambre dveline souvrait, et o le soldatparut, portant dans ses bras le corps sans vie de lademoiselle normande elle-mme. Sans prononcerune parole, il le plaa dans les bras de Rose, et,avec la mme prcipitation quil tait entr, il

    slana par la fentre ouverte do Rose lavaitappel.

    Dame Gillian, perdant la tte de terreur etdtonnement, poussait des exclamations et descris, appelait du secours, et ne cessait de faire desquestions. Enfin Rose la rprimanda si

    svrement quelle sembla retrouver le peu deraison qui lui restait. Elle reprit alors assez decalme pour aller prendre une lampe qui brlaitdans sa chambre, puis se rendit du moins utile enindiquant des moyens pour faire reprendre lessens sa matresse, et les employa avec Rose.

    Elles y russirent enfin ; veline soupiraprofondment, entrouvrit les yeux, mais lesreferma de suite, et sa tte saffaissant sur le seinde sa fidle suivante, un tremblement universel

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    agita son corps. Rose se mit lui frapper dans lesmains et lui frotter les tempes avec toute la

    tendresse et tout lempressement de son amiti ;enfin elle scria : Elle vit ! elle revient elle !Dieu soit lou !

    Dieu soit lou ! rpta dun ton solennel unevoix qui se fit entendre prs de la fentre ; etRose, jetant les yeux de ce ct avec une nouvelle

    terreur, vit sur larbre le soldat qui tait venu si propos au secours de sa matresse, et qui semblaitregarder avec intrt ce qui se passait dans lachambre. Elle courut vers lui sur-le-champ. Retirez-vous, lui dit-elle, vous serez rcompensdans un autre moment. Retirez-vous ! mais

    coutez ! restez votre poste, je vous appellerai,si lon avait encore besoin de vous ; partez !soyez fidle et discret.

    Le soldat obit sans rpondre un seul mot, etelle le vit descendre dans le foss. Elle retournaalors vers sa matresse, quelle trouva soutenuepar Gillian, faisant entendre quelques faiblesgmissements, et murmurant des motsinintelligibles, qui prouvaient que quelque cause

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    alarmante lui avait fait prouver un choc terrible.

    Dame Gillian neut pas plus tt recouvr un

    peu de sang-froid, que sa curiosit saccrut enproportion. Que veut dire tout cela ? demanda-t-elle Rose ; que sest-il donc pass ?

    Je nen sais rien, rpondit Rose.

    Qui peut le savoir, si ce nest vous ? rpliqua

    Gillian. Appellerai-je les autres femmes demilady ? veillerai-je toute la maison ?

    Gardez-vous-en bien, scria Rose ; attendezque milady soit en tat de donner des ordres elle-mme. Quant cette chambre, que le cielmaide ! je ferai de mon mieux pour dcouvrir les

    secrets quelle contient. Ayez bien soin de mamatresse.

    ces mots, elle prit la lampe, fit le signe de lacroix, entra hardiment dans la chambremystrieuse, et lexamina avec attention.

    Ctait un appartement vot de moyennegrandeur. Dans un coin tait une petite statue dela Vierge, grossirement sculpte, place au-dessus dun bnitier saxon dun travail curieux. Il

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    ne sy trouvait que deux siges et un lit sur lequelil semblait quveline stait couche. Les dbris

    de la fentre jonchaient le plancher, mais ctaitle soldat qui lavait brise, et Rose ne vit aucuneautre issue que la porte, par o un tranger auraitpu sintroduire dans lappartement, et elle taitsre que personne navait pu y passer.

    Rose avait surmont jusqualors sa terreur,

    mais elle finit par en subir linfluence ; secouvrant le visage de sa mante, comme pour segarder de quelque effrayante vision, elle rentradans la seconde chambre, dun pas moins assur,et avec plus de vitesse quelle nen tait sortie.Elle pria ensuite dame Gillian de laider

    transporter veline dans la premire des troischambres ; puis elle ferma soigneusement laporte de communication, comme pour placer unebarrire entre elles et le danger qui pouvait lesmenacer de ce ct.

    veline cependant avait recouvr laconnaissance et les forces au point de pouvoir semettre sur son sant, et elle commenait prononcer quelques paroles entrecoupes. Rose,

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    dit-elle enfin, je lai vue. Mon sort estirrvocable.

    Rose, pensant aussitt limprudence quil yaurait laisser entendre par dame Gillian ce quesa matresse dirait dans un moment si terrible,lenvoya appeler deux des suivantes dveline.Gillian y alla lentement et en murmurant. Dsquelle fut partie, Rose, donnant un libre cours

    laffection quelle ressentait pour sa matresse,limplora, de la manire la plus tendre, pourquelle ouvrit les yeux (car elle les avaitreferms), elle la suppliait de parler Rose, sachre Rose, qui tait prte mourir, sil le fallait, ct de sa matresse.

    Demain, Rose, demain, murmura veline, jene puis parler maintenant.

    Soulagez au moins votre coeur par un seulmot. Dites ce qui vous a ainsi alarme, queldanger vous craignez.

    Je lai vue, rpondit veline, jai vu lespritde cette chambre, la vision fatale ma race ! Neme presse pas davantage ; demain vous saureztout.

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    Lorsque Gillian revint avec les deux autresfemmes de la suite dveline, elles conduisirent

    leur matresse, daprs lavis de Rose, dans lachambre que ces deux femmes avaient occupe etqui tait quelque distance. On la plaa dans unlit, et Rose, ayant renvoy les autres suivantes, lexception de Gillian, en leur disant dallerchercher du repos o elles pourraient en trouver,

    resta veiller prs de sa matresse. veline futencore fort agite pendant quelque temps ; maispeu peu la fatigue, et linfluence dune potioncalmante que Gillian eut assez de bon sens pourprparer et pour lui faire prendre, parurent latranquilliser. Elle tomba dans un profond

    sommeil, et ne sveilla que lorsque le soleilparaissait dj au-dessus des montagnes dans lelointain.

    Lorsque veline ouvrit les yeux, elle semblatre sans aucun souvenir de ce qui ctait pass lanuit prcdente, du moins elle nen dit pas un mot

    et se hta de quitter une maison o elle avait reuune hospitalit si dloyale. Son escortesempressa autour delle, et elle donna le signaldu dpart.

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    Le brillant spectacle du lever du soleil, lechant des oiseaux perchs sur tous les buissons,

    le mugissement des bestiaux qui se rendaientdans leurs pturages, la vue dune bicheaccompagne de son faon bondissant ses cts,tout concourait dissiper la terreur quavaitinspire veline sa vision nocturne et modrerle ressentiment qui avait agit son coeur depuis

    linstant o elle avait quitt sa tante.Elle permit alors son palefroi de ralentir le

    pas, Rose vit une pleur plus calme succder, surles joues de sa matresse, aux couleurs quy avaitappeles lmotion de la colre.

    Nous pouvons voyager sans rien craindre,dit veline, sous la garde des nobles et victorieuxNormands. Leur colre est celle du lion ; elledtruit ou sapaise tout dun coup.

    Si je ne sens pas tout leur mrite, rponditRose, je suis du moins charme de les voir autour

    de nous dans les bois o lon dit quon peutrencontrer des dangers de toute espce ; etjavoue que je me sens le coeur lger, prsentque nous ne pouvons plus apercevoir une seule

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    pierre de la vieille maison o nous avons passune nuit si dsagrable, et dont le souvenir me

    sera toujours odieux.veline la regarda avec un sourire.

    Avoue la vrit, Rose, tu donnerais ta plusbelle robe pour savoir mon horrible aventure.

    Ce serait avouer seulement que je suis

    femme ; mais quand je serais homme, je crois quela diffrence de sexe ne diminuerait que bien peuma curiosit.

    Tu ne cherches pas te faire valoir, machre Rose, en parlant des autres sentiments quite font dsirer de connatre ce qui mest arriv ;

    mais je ne les apprcie pas moins. Oui, tu saurastout, mais pas prsent, ce que je crois.

    Quand il vous plaira, ma bonne matresse, ilme semble pourtant quen renfermant dans votrecoeur un secret si terrible, vous ne faites quenrendre le poids plus insupportable. Vous pouvez

    tre sre de mon silence. Rose, tu parles avec raison et prudence ;

    entoure de ces braves guerriers, avec Rose

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    mon ct, je ne trouverais pas de moment plusfavorable pour tapprendre ce que tu as tant de

    droit de connatre. Tu vas donc tout savoir. Tusais sans doute quels sont les attributs de ce queles Saxons de ce pays appellent unBahr-Geist?

    Pardon, mademoiselle, mon pre matoujours dtourn dcouter de tels discours.

    Sache donc, dit veline, que cest unspectre, ordinairement limage dune personnedfunte, qui, soit cause des injures quelle asouffertes dans un certain endroit, ou parce quilsy trouve un trsor cach, ou pour tout autremotif, se montre en ce lieu de temps en temps,devient familier ceux qui lhabitent, etsentremle leur destin, tantt pour les servir,tantt pour leur nuire. Le Bahr-Geist est doncregard quelquefois comme un bon gnie, etquelquefois comme un esprit malfaisant, attach de certaines familles ou certaines classesdhommes. Le destin de la maison deBaldringham, maison qui ne jouit pas de peu deconsidration, est de recevoir les visites dun tresemblable.

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    Et ne puis-je vous demander quelle est lacause de cette visite, si on la connat ? demanda

    Rose qui dsirait profiter le plus longtempspossible dune humeur communicative quipouvait spuiser incessamment.

    Je ne connais la lgende quimparfaitement,dit veline, mais voici peu prs dans quelstermes elle a gnralement cours. Baldrick, le

    hros qui possda le premier ce domaine de l-bas, aprs deux ans de mariage, se dgota de safemme tel point, quil forma la rsolutioncruelle de la faire mourir. Il envoya deux de seschevaliers la maison de Baldringham, pourmettre mort linfortune Vanda, et leur ordonna

    de lui apporter lanneau quil lui avait mis audoigt le jour de leur mariage, en signe que sesordres taient accomplis. Ces hommes furentimpitoyables dans leur mission ; ils tranglrentVanda dans ce mme appartement, et comme samain tait si enfle quils ne pouvaient par aucun

    effort en retirer lanneau, ils sen mirent enpossession en sparant le doigt. Mais longtempsavant le retour des cruels excuteurs de sa mort,lombre de Vanda avait apparu devant son mari

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    pouvant, en lui montrant son doigt sanglant,elle lui avait fait comprendre dune manire

    terrible que ses ordres sauvages avaient tponctuellement excuts. Aprs avoircontinuellement apparu Baldrick, en paix et enguerre, dans les dserts et dans les camps, lacour et lglise, jusqu ce quil ft mort dedsespoir, pendant un plerinage en Terre-Sainte,

    le Bahr-Geist, ou lesprit de Vanda assassine,devint si terrible pour la maison de Baldringham,que le secours de saint Dunstan lui-mme fut peine suffisant pour mettre des bornes sesvisites. Lorsque les exorcismes du saint eurentconjur lesprit, il imposa, en expiation du crime

    de Baldrick, une dure pnalit aux femmes quidescendraient de sa maison jusquau troisimedegr : ce fut, quune fois dans leur vie, et avantleur vingt-unime anne, elles passeraient unenuit, seules dans la chambre o Vanda avait tassassine, en rcitant certaines prires pour le

    repos de son me et de celle de son meurtrier.Pendant cette redoutable nuit, on croitgnralement que lesprit de la femme assassinese montre la personne qui veille, et lui donne

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    quelque signe de sa bonne ou de sa mauvaisefortune future. Sil est favorable, elle lui apparat

    avec un visage souriant et la bnit avec sa mainnon sanglante ; mais si elle annonce desmalheurs, elle montre la main dont le doigt a tspar, avec un air svre, comme ressentimentde sa cruaut inhumaine. Quelquefois on ditquelle parle. J ai appris ces dtails il y a

    longtemps de la bouche dune vieille saxonne, lamre de notre Marguerite, qui avait t unesuivante de ma grandmre, et qui quitta lamaison de Baldringham, lorsque ma grandmresen enfuit pour pouser le pre de mon pre.

    Et sachant quon observait dans cette maison

    une coutume si horrible, comment avez-vous pu,ma chre matresse, vous rsoudre accepterlinvitation de la dame de Baldringham ?

    Je ne sais trop comment rpondre cettequestion, Rose. Je craignais dabord que lemalheur rcent de mon pre, tre tu par lennemiquil mprisait le plus (comme je lui ai entendudire que sa tante le lui avait prdit), tait peut-trela consquence de linobservation de cette

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    coutume ; ensuite jesprais que ma tante, parpolitesse et par humanit, ne me presserait pas de

    mexposer un danger trop effrayant pour monesprit. Tu as vu comment ma cruelle parente sesthte de saisir cette occasion, et comment, ayantle nom de Brenger et, je crois, son courage, je nepouvais chapper au pige o je mtais jetemoi-mme.

    Mais, au nom du ciel, quavez-vous vu danscette horrible chambre ?

    Voil la question, dit veline en portant lamain son front, comment ai-je pu regarder ceque jai vu distinctement, et conserver le libreempire de mes penses ! Javais rcit les priresprescrites pour le meurtrier et pour sa victime ;jtais assise sur la couche qui mavait tassigne, aprs avoir quitt la portion de mesvtements qui auraient gn mon repos ; bref,javais surmont le premier effroi que javaisprouv en me renfermant dans cette chambremystrieuse, et jesprais passer la nuit dans unsommeil aussi paisible que mes penses taientinnocentes. Mais je fus cruellement dsabuse. Je

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    ne puis apprcier combien de temps javaisdormi, lorsque mon sein fut oppress par un

    poids norme, qui semblait la fois touffer mavoix, arrter les battements de mon coeur, etsuffoquer ma respiration ; et lorsque je cherchai dcouvrir la cause de cette horrible suffocation, jevis sur mon lit le fantme de la matroneassassine, plus grande que pendant sa vie, avec

    une physionomie o la beaut et la dignit semlaient lexpression farouche de la vengeancesatisfaite. Elle leva sur moi la main qui portait lesmarques sanglantes de la cruaut de son mari etparut faire le signe de la croix, pour me vouer lamort. Lesprit se pencha sur moi, pronona

    quelques paroles menaantes, et abaissait sesdoigts saignants, comme pour toucher monvisage, lorsque lextrme terreur me donnant laforce qui me manquait dabord, je poussai un cristrident, la fentre souvrit et se brisa avecfracas... et... mais quoi bon te dire le reste,

    Rose, quand tu montres si clairement, par lemouvement de tes yeux et de tes lvres, que tume regardes comme un enfant effray par unrve ?

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    Ne vous fchez pas, ma chre demoiselle, ditRose, il est vrai que je crois que vous avez eu le

    cauchemar ; ce que les mdecins regardentcomme le produit de limagination et dunemauvaise digestion.

    Tu es savante, dit veline, et non taquine ;mais je tassure que mon bon ange est venu mon secours sous une forme humaine, qu son

    aspect le fantme sest vanoui, et que lange matransport dans ses bras hors de cette chambreterrible ; jespre quen bonne chrtienne, tuajouteras plus de foi ce que je te dis.

    Sans doute, sans doute, mademoiselle,rpondit Rose. Cest mme cette circonstance delange gardien qui me fait regarder le tout commeun rve.

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    Ballades

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    Le moine de Saint-Benot

    FRAGMENT

    Si je publie cette ballade sans la terminer, jedois dire que mon but na pas t de lui donnercette sorte dintrt qui nat souvent dunecuriosit dsappointe. J avouerai que monintention tait de poursuivre le rcit jusqu lafin ; mais je nai jamais pu tre content de montravail, et si je joins ce fragment mes oeuvrespotiques, cest par dfrence lavis dequelques personnes dont lopinion mrite desgards, et qui se sont opposes mon projet desupprimer entirement mon Moine de Saint-Benot.

    La tradition qui men a fourni lide estconnue dans le comt de Mid-Lothian, o setrouve la maison appele aujourdhui Gilmerton-Grange, et qui jadis on avait donn le nom de

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    Burndale, daprs laventure tragique que je vaisrapporter.

    La baronnie de Gilmerton appartenait autrefois un seigneur nomm Heron qui avait une fille dela plus grande beaut. Cette jeune personne futsduite par labb de Newbattle, couventrichement dot sur les rives de lEsk, et quhabiteaujourdhui le marquis de Lothian. Heron fut

    inform des amours de sa fille, et sut aussi que lemoine avait t favoris dans ses criminellesintentions par sa nourrice, qui demeurait danscette maison de Gilmerton-Grange. Il conut leprojet dune terrible vengeance sans tre arrt nipar le saint caractre dont le prjug revtait les

    ecclsiastiques, ni par les droits plus sacrs de lanature.

    Il choisit une nuit sombre et orageuse, pendantlaquelle les amants staient donn rendez-vous ;il fit entasser autour de la maison des broussaillesdessches avec dautres combustibles, et y mit lefeu. La maison et ceux quelle renfermait neformrent bientt plus quun amas de cendres.

    Le dbut de ma ballade ma t suggr par ce

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    curieux extrait de la vie dAlexandre Peden, lunde ces aptres errants et perscuts de la secte des

    camroniens sous le rgne de Charles II et de sonsuccesseur Jacques. Cet Alexandre Peden passantdans lesprit de ses proslytes pour tre doudune puissance surnaturelle : peut-tre se ltait-il persuad lui-mme ; car les lieux sauvagesque ces malheureux frquentaient et les dangers

    continuels quils couraient dans leur tat deproscription, ajoutaient encore la sombresuperstition de ce sicle dignorance.

    peu prs dans ce mme temps AlexandrePeden, dit son biographe, fut dans la maisondAndr Normand, o il devait prcher pendant la

    nuit. Aprs tre entr il sarrta un moment,sappuya sur le dos dun fauteuil en se couvrantla tte. Soudain il se relve, et dit : Il y aquelquun dans cette maison pour qui je naiaucune parole de salut. Aprs quelques momentsde silence il ajouta : Il est trange que le dmon

    refuse de sortir pour nous empcher decommencer la bonne oeuvre.

    Alors une femme sortit ; ctait une vieille qui

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    avait toujours t vue de mauvais oeil, et quipassait mme pour sorcire.

    (La vie et les prophties dAlexandre Peden,ex-ministre du saint vangile New-Glenluce,partie II, 26)

    _______

    I

    Le pape clbrait le saint sacrifice avec lepouvoir quil a reu du ciel deffacer les pchsdes hommes. Ctait le grand jour de Saint-

    Pierre.Le peuple tait agenouill dans le temple ;

    chaque fidle allait recevoir labsolution de sesfautes en baisant le pav de lenceinte sacre.

    I I

    Toute lassemble est immobile et muette aumoment o les paroles de la grce vont retentir

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    sous les votes.

    Soudain le pontife tressaille de terreur ; la voix

    lui manque ; et lorsquil veut lever le calice il lelaisse tomber terre.

    I I I

    Le souffle dun grand coupable, scrie-t-il,souille ce jour pieux ; il ne peut partager notrecroyance ni prouver le saint effet de mesparoles.

    Cest un homme dont aucune bndiction nepeut calmer le coeur troubl ; cest un

    malheureux dont lodieuse prsence profanetoutes les choses saintes.

    IV

    Lve-toi, misrable, lve-toi et fuis ; crainsmes imprcations. Je tordonne de ne plustouffer ma voix par ton aspect profane ; fuis.

    Au milieu du peuple tait agenouill un

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    plerin recouvert dun capuchon gris ; venu desrives lointaines de sa terre natale, il voyait Rome

    pour la premire fois.

    V

    Pendant quarante jours et quarante nuits ilnavait profr aucune parole, et toute sanourriture avait t du pain et leau des fontaines.

    Au milieu du troupeau de pnitents aucunntait prostern avec plus dhumilit ; maislorsque le pontife eut parl, il se leva et sortit.

    VI

    Il reprit le chemin de sa terre natale, et dirigeases pas fatigus vers les plaines fertiles duLothian et vers la cime azure des montagnes dePentland.

    Il revit les ombrages de lEsk, berceau de sonenfance, et cette rivire si douce qui porte lamer le tribut de ses flots argents.

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    VII

    Des seigneurs accoururent au-devant duplerin ; des vassaux vinrent flchir le genoudevant lui ; car parmi les Chefs guerriers delcosse aucun ntait aussi brave que lui.

    Il avait vers plusieurs fois son sang pour lapatrie, et les rives du Till avaient t tmoins deses exploits.

    VIII

    Salut, lieux ravissants o coulent les ondeslimpides de lEsk ; salut, cimes ariennes desrochers, et vous ombrages inaccessibles auxrayons du soleil.

    Cest l que le pote est heureux de sgareravec la Muse ; cest l que la beaut peut trouver

    un asile discret pour parler de ses amours !

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    IX

    Qui nadmirerait la noble architecture de cechteau do le cor annonce larrive des rois ?Qui ne se plairait sous les noisetiersdAuchendinny et prs de Woodhouseleequhabite un blanc fantme.

    Qui ne connat les bocages de Melville, les

    vallons de Roslin, Dalkeith, asile de toutes lesvertus, et Hawthorden, que le nom de Drummonda rendu classique ?

    X

    Cependant le plerin vite tous ces lieuxenchanteurs, et chaque jour il suit le sentiersolitaire qui conduit la ferme incendie deBurndale.

    Ce lieu est dun aspect triste ; le dsespoir seul

    pourrait sy plaire ; les murs en ruines semblentmenacer de leur chute celui qui sen approche, etla toiture est noircie par les traces du feu.

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    XI

    Ctait un soir dt ; les rayons affaiblis dujour arrts sur la crte de Carnethy la nuanaientdune teinte de pourpre.

    La coche du couvent annonait lheure desvpres dans les chnes de Newbattle ; lhymnede la Vierge cleste se mlait la voix solennelle

    de lairain.

    XII

    Le vent apporta les derniers sons de cette

    harmonie religieuse loreille du plerin aumoment o il savanait dans le sentieraccoutum.

    Plong dans ses rveries profondes, il levaitenfin les yeux lorsquil fut parvenu ce sjourmlancolique o loeil ne pouvait apercevoir que

    des ruines.

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    XIII

    Il soupira avec amertume en contemplant cesmurs calcins, et un moine de Saint-Benottendu sur une pierre.

    Que le Christ tcoute, dit le serviteur duciel : tu es sans doute quelque plerinmalheureux ? Lord Albert le fixe avec des yeux

    surpris et attrists, mais il ne rpond rien.

    XIV

    Viens-tu de lOrient ou de lOccident ?

    demanda le moine. Apportes-tu de saintesreliques, as-tu visit la chsse de saint Jacques deCompostelle, ou viens-tu de la chapelle de saintJean de Beverley ?

    Je ne viens point du plerinage deCompostelle ; je napporte point des reliques

    dOrient, mais japporte une maldiction de notreSaint-Pre le pape, une maldiction qui me suivrapartout.

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    XV

    Cesse de le croire, infortun plerin ! Flchisle genou devant moi, et confesse ton crime afinque je puisse tabsoudre.

    Et qui es-tu, moine, pour avoir le droit de meremettre mes pchs, lorsque celui qui tient lesclefs du ciel et de la terre na pu men accorder le

    pardon.

    XVI

    Je viens, dit le moine, dun climat lointain ;

    jai parcouru plus de mille lieues exprs pourvenir absoudre un coupable dun crime commisdans ce lieu mme.

    Le plerin sagenouilla, et commena en cestermes sa confession, pendant que le moineappuyait une main glace sur sa tte humblement

    flchie ......................................................................................

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    Notes

    Note 1. Paragraphe IX.

    La baronnie de Pennycuik, appartenant sirGeorge Clerk, soumet son propritaire unesingulire obligation : il est tenu de monter sur un

    large quartier de roche, et dy donner trois fois ducor chaque fois que le roi vient chasser dans leBorough-Muir. On admira juste titre le chteaude Pennycuik, tant pour son architecture que pourle paysage qui lavoisine.

    Note 2. Mme paragraphe.Auchendinny sur lEsk, en dessous de

    Pennycuik, est la demeure actuelle de lingnieuxH. Mackenzie, auteur de lHomme sensible (theMan of feeling).

    Note 3. Mme paragraphe. Roslin,Dalkeith.

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    Le chteau et la valle romantique de Roslin,jadis habit par la famille de Saint-Clair,

    appartient aujourdhui au comte de Roslin.Dalkeith est la rsidence de la famille

    Buceleuch.

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    Le roi du feu

    Il porte avec lui lesbndictions des mauvaisgnies, qui sont desmaldictions vritables.

    Conte oriental.

    Cette ballade fut compose la demande deM. Lewis pour tre insre dans ses Contesmerveilleux. Elle est la troisime des quatre quiforment la srie consacre aux esprits

    lmentaires. Cependant lapostasie du comteAlbert est presque historique. On lit dans lesAnnales des croisades quun chevalier duTemple, appel Saint-Alban, passa du ct desSarrasins et dfit les chrtiens dans plusieursbatailles, jusqu ce quil prit lui-mme sous les

    murs de Jrusalem de la main de Baudouin.

    _________

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    I

    Vaillants chevaliers et belles dames, prtezloreille aux accords de ma harpe ; je vais vousparler damour, de guerre et de prodiges ; peut-tre, au milieu de votre bonheur, donnerez-vousun soupir lhistoire du comte Albert [et] de la

    tendre Rosalie.

    I I

    Voyez-vous ce chteau sur le roc escarp ?

    Voyez-vous cette jeune beaut les larmes auxyeux ? Voyez-vous ce plerin qui revient de laPalestine ? Des coquillages ornent son chapeau ;il tient un bourdon la main.

    I I I

    Bon plerin, dis-moi, je ten supplie, dis-moiquelles nouvelles tu apportes de la Terre-Sainte ?

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    o en est la guerre sous les remparts de Solime ?que font nos guerriers, la fleur de notre noblesse ?

    IV

    La victoire nous sourit sur les rives duJourdain ; nous avons conquis Gilead, Nablous etRamah. Le ciel daigne rcompenser la foi de noschevaliers au pied du mont Liban ; les paensfuient ; les chrtiens triomphent.

    V

    Une belle chane dor tait entrelace dans lestresses de ses cheveux ; Rosalie la pose sur la tteblanche du vieux plerin : Bon plerin, dit-elle,reois cette chane pour prix des nouvelles que tuas apportes de la Terre-Sainte.

    VI

    Mais dis-moi, bon plerin, as-tu vu dans la

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    Palestine le vaillant comte Albert ? Lorsque lecroissant a pli devant la croix victorieuse, le

    comte Albert ntait-il pas le premier deschrtiens au pied du mont Liban ?

    VII

    Belle demoiselle, larbre se pare de verdure,le ruisseau promne ses eaux argentes dans levallon, ce chteau brave les assaillants, etlesprance nous flatte et nous sduit : mais,hlas ! belle demoiselle, tout ici-bas ne fleurit quepour mourir.

    VIII

    Le feuillage de larbre se fltrit, la foudreclate et consume les murs des chteaux, lecristal limpide des fontaines se trouble, et

    lesprance senvole... Le comte Albert estprisonnier sur le mont Liban !

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    IX

    Rosalie se procure un cheval rapide commelclair ; elle sarme dune bonne et fidle pe ;elle sembarque pour la Palestine, rsolue dallerarracher le comte Albert lesclavage du soudan.

    X

    Hlas ! le comte Albert se souciait peu deRosalie, le comte Albert tenait peu sa foi et son serment de chevalier. Une belle paenne avaitconquis son coeur volage. Ctait la fille dusoudan qui rgnait sur le mont Liban.

    XI

    Brave chrtien, lui a-t-elle dit, veux-tuobtenir mon amour, tu dois faire tout ce que

    jexigerai de toi. Adopte nos lois et notre culte,tel est le premier gage de tendresse que tedemande Zulma.

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    XII

    Descends ensuite dans la caverne o brleternellement la flamme mystrieuse quadorentles Curdes ; tu y veilleras pendant trois nuits engardant le silence : ce sera le second gagedamour que recevra de toi Zulma.

    XIII

    Enfin tu consacreras ton exprience et tavaleur chasser de la Palestine les profaneschrtiens, jaccepterai alors le titre de ton pouse,car le comte Albert aura prouv quil aime

    Zulma.

    XIV

    Albert a jet de ct son casque et son pe,

    dont la garde figurait une croix ; il a renonc autitre de chevalier, et a reni son Dieu, sduit parla beaut de la fille du mont Liban ; il a pris lecafetan vert, et par son front du turban.

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    XV

    Ds que la nuit arrive, il descend dans lecaveau souterrain dont cinquante grilles etcinquante portes de fer dfendent laccs. Il veillejusquau retour de laurore, mais il ne voit rien sice nest la lueur de la flamme qui brle sur lautel

    de pierre.

    XVI

    La princesse stonne, le soudan partage sa

    surprise ; les prtres murmurent en regardantAlbert ; ils cherchent dans ses vtements, et ytrouvent un rosaire, quils lui arrachent et jettentaussitt.

    XVII

    Il redescend dans la caverne, et y veille toutela nuit en coutant le sifflement lointain des

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    vents ; mais rien dextraordinaire ne frappe sonoreille ou sa vue ; la flamme continue brler sur

    lautel solitaire.

    XVIII

    Les prtres murmurent ; le soudan stonne deplus en plus pendant quils chantent leurs airsmagiques. On cherche encore sous les vtementsdAlbert, et lon trouve sur son sein le signe de lacroix quy avait imprim son pre.

    XIX

    Les prtres sefforcent de leffacer, et yparviennent avec peine ; lapostat retourne danslantre mystrieux ; mais en descendant il croitentendre quelquun qui lui parle loreille :ctait son bon ange qui lui disait adieu.

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    XX

    Ses cheveux se hrissent sur sa tte, son coeursmeut et sagite ; il recule cinq pas, hsitant depoursuivre sa route ; mais son coeur taitendurci... et bientt le souvenir de la fille du montLiban touffe tous ses remords.

    XXI

    peine a-t-il dpass le premier arceau decette vote souterraine que les vents soufflent desquatre points du ciel ; les portes de fer sbranlentet gmissent sur leurs gonds ; le redoutable roi du

    feu arrive sur laile de louragan.

    XXII

    La caverne tremble son approche, la flamme

    slve avec un nouvel clat ; les explosionsvolcaniques des montagnes proclament laprsence du roi du feu.

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    XXIII

    Loeil ne peut mesurer sa taille ni distinguer saforme ; le tonnerre est son souffle, lorage est savoix : ah ! sans doute le coeur vaillant du comteAlbert smut en voyant le roi des flammesenvironn de toutes ses terreurs.

    XXIV

    Sa main tenait une large pe brillant dunelueur bleutre travers la fume ; le mont Libantressaillit en entendant parler le monarque : Avec cette pe, dit-il au comte, tu vaincras

    jusquau jour o tu invoqueras la Vierge et lacroix.

    XXV

    Une main demi voile par un nuage lui remetle fer enchant que linfidle reoit en flchissantles genoux. La foudre gronde dans le lointain, laflamme plit au moment o le fantme se retire

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    sur louragan.

    XXVI

    Le comte Albert se runit aux guerrierspaens : son coeur est perfide ; mais son bras esttout-puissant. La croix cde, et le croissanttriomphe depuis le jour o le comte a embrass lacause des ennemis du Christ.

    XXVII

    Depuis les cdres du Liban jusquaux rives du

    Jourdain les sables de Samaar furent inonds dusang des braves ; enfin les chevaliers du Templeet les chevaliers de Saint-Jean vinrent avec le roide Salem secourir les soldats de la croix.

    XXVIIILes cymbales rsonnent, les clairons leur

    rpondent ; les lances sont en arrt ; les deux

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    armes en viennent aux mains. Le comte Albertrenverse chevaux et cavaliers, et perce les rangs

    des chrtiens pour rencontrer le roi Baudouin.

    XXIX

    Le bouclier orn dune croix rouge et t unevaine dfense pour le roi chrtien contre lpe

    magique du comte Albert ; mais un page seprcipite entre les deux adversaires, et fend leturban du fier rengat.

    XXX

    Le coup fut si violent que le comte flchit latte jusque sur le pommeau de sa selle, commesil et rendu hommage au bouclier du crois, etil laissa involontairement chapper ces mots :Bonne grce, Notre-Dame !

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    XXXI

    Lpe enchante a perdu toute sa vertu ; elleabandonne la main du comte, et disparat jamais ; il en est qui prtendent quun clair lareporta au redoutable monarque du feu.

    XXXII

    Le comte grince les dents ; il tend sa mainarme du gantelet, et dun revers il jette le jeunetmraire sur le sable. Le casque bris du pagelaisse voir en roulant ses yeux bleus et lesboucles dor de sa chevelure.

    XXXIII

    Le comte Albert reconnat avec horreur cesyeux teints et ces cheveux souills de sang. Mais

    dj les Templiers accourent semblables autorrent de Cdron, et le fer de leurs longueslances immole les soldats musulmans.

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    XXXIV

    Les Sarrasins, les Curdes et les Ismalitesreculent devant ces religieux guerriers ; lesvautours se rassasirent des cadavres de cesinfidles depuis les sources de Bethsaidajusquaux collines de Nephtali.

    XXXV

    La bataille est termine sur la plaine deBethsaida... Quel est ce paen tendu parmi lesmorts ? quel est ce page immobile ses pieds ?...Cest le comte Albert et la belle Rosalie.

    XXXVI

    La jeune chrtienne fut ensevelie danslenceinte sacre de Salem ; le comte fut

    abandonn aux vautours et aux chacals. Notre-Dame prit en merci lme de Rosalie, celledAlbert fut porte par louragan au roi desflammes.

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    Le mnestrel chantait ainsi sur sa harpe letriomphe de la croix et la dfaite du croissant. Lesseigneurs et les dames soupirrent au milieu deleur gaiet, en entendant lhistoire du comteAlbert et de la belle Rosalie.

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    Le noble Moringer

    ancienne ballade allemande du quinzime sicle

    Sir Walter Scott nous apprend que la lgendesur laquelle est fonde cette ballade a rapport un incident qui, non seulement en Germanie,mais dans toutes les contres de lEurope, a darriver plutt cent fois quune, du temps que lescroiss guerroyaient pendant de longues annesen Palestine, et laissaient leurs damesinconsolables sans aucune nouvelle de leur sort.Une histoire peu prs semblable, mais sanslintervention de saint Thomas, est raconte dundes anciens seigneurs du chteau de Haigh, dansle comt de Lancastre, hritage patrimonial de ladernire comtesse de Balcaras ; les dtails en sontreprsents sur un des vitraux de cet antiquemanoir.

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    I

    Je veux raconter lancienne histoire dunchevalier de Bohme, celle du noble Moringer.Uni une dame aussi frache que le beau mois demai, il reposait auprs delle dans la couchenuptiale, lorsque soudain il lui dit : Noble damede mon coeur, coute bien mes paroles.

    I I

    J ai fait le voeu dun plerinage une chapellelointaine. Je suis oblig daller chercher la patriede saint Thomas et de laisser la mienne. Turesteras ici avec tous les honneurs de notre rang ;jure-moi seulement sur ta foi que tu attendrasmon retour pendant sept ans et un jour.

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    I I I

    Triste et les larmes aux yeux, la noble damerpondit : Apprends-moi, chevalier, quels sonttes ordres pendant ton absence. Qui commanderates vassaux ? Qui gouvernera dans tes domaines,et qui sera le fidle gardien de ta dame quand tuseras loin delle ?

    IV

    Le noble Moringer repartit : Naie aucunsouci de tout cela ; il est maint vaillantgentilhomme qui dpend de mes bienfaits ; le

    plus fidle gouvernera mes domaines et mesvassaux ; il sera le gardien prouv de monaimable compagne.

    V

    Comme chrtien, je suis forc dobserver levoeu qui me lie ; quand je serai loin, sous lesclimats trangers, souviens-toi de ton chevalier

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    sincre. Cesse, ma douce amie, de taffliger, tadouleur serait vaine ; permets ton Moringer de

    partir, puisque Dieu a reu son voeu.

    VI

    Le noble Moringer sarrache de son lit,descend, et rencontre son chambellan aveclaiguire et son manteau bord dune richefourrure : il jette son manteau sur ses paules,lave ses mains dans leau froide, et y baigne sonfront.

    VII

    Or, coute-moi, sire chambellan, dit-ilensuite ; tu es un vassal fidle, et telle est maconfiance en ta vertu prouve, que, pendant septans, tu gouverneras dans mes tours ; tu guideras

    mes vassaux au combat, et je remets en tes mainsla foi de ma dame jusqu mon retour.

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    VIII

    Le chambellan tait franc et sans dtour ; ilrpondit brusquement : Demeurez, monseigneur, gouvernez chez vous et recevez de moicet avis : la fidlit de la femme est fragile. Sept ans, avez-vous dit ; je ne rpondrais pas septjours de la foi daucune dame.

    IX

    Le noble baron se dtourne et sloigne avecun coeur plein de souci ; son brave cuyer lerencontre prs de l. Il tait lhritier de

    Marstetten, cest lui que Moringer sadresseavec anxit : Fidle cuyer, consens-tu, lui dit-il, recevoir de moi cet important dpt pendantque je passerai les mers ?

    X

    Consens-tu veiller sur mon chteau, protger mes domaines, conduire mes vassaux

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    la chasse et la guerre, engager ton honneurpour la foi de ma dame pendant sept ans, et la

    garder comme notre sainte Vierge fut garde parle bienheureux saint Jean ?

    XI

    Lhritier de Marstetten tait franc, gnreux,mais vif, ardent et jeune ; il rpondit sans hsiteret avec trop de prsomption : Mon nobleseigneur, bannissez tout souci, faites votrevoyage, et fiez-vous mes soins jusquau termede votre plerinage.

    XII

    Comptez sur mon serment et mon honneur quejengage pour garder vos domaines, dfendre vostours et aller cheval avec vos vassaux ; quant

    votre aimable dame, si vertueuse et si chrie, jeparie ma tte que son amour pour vousnprouvera aucun changement, vousabsenteriez-vous pendant trente annes.

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    XIII

    Le noble Moringer reprit courage enlentendant parler ainsi. Linquitude fut banniede son sombre front, et la tristesse de ses traits ; ildit tous un long adieu, mit la voile, et il erradans la terre de saint Thomas pendant sept annes

    et un jour.

    XIV

    Le noble Moringer dormait dans un jardin

    lorsquun songe prophtique vint agiter ses sensassoupis ; une voix lui dit loreille : Il esttemps, seigneur baron, de te rveiller. Un autre vapossder ta dame et ton hritage.

    XV

    Une autre bannire est arbore sur ta tour ; unbras tranger guide les rnes de tes coursiers, et ta

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    vaillante troupe de vassaux flchit sous unenouvelle autorit. Elle aussi, ta dame bien-aime,

    jadis si fidle et si tendre, va, cette nuit, dans lechteau de son pre, pouser lhritier deMarstetten.

    XVI

    Le noble Moringer sveille en sursaut etsarrache la barbe. Oh ! que ne suis-je jamaisn ! scrie-t-il ; que viens-je dentendre ? Perdrema seigneurie et mes domaines, ce serait pourmoi un faible souci, mais Dieu ! quun infidlecuyer pouse ma belle dame !

    XVII

    bon saint Thomas, coute-moi, je te prie : tues mon patron ! un tratre me dpouille de mes

    domaines pendant que jaccomplis mon voeu ; ilcouvre dinfamie mon pouse nagure si pure, etmoi je suis dans une terre trangre o il me fautsubir cette honte.

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    XVIII

    Ce fut le bon saint Thomas qui exaua laprire de son plerin, et qui lui envoya unsommeil si profond quil absorba tous les soucisdu chevalier : il se rveilla dans la belle terre deBohme, sur le bord dune petite rivire ; sa

    droite tait un chteau lev, la gauche unmoulin.

    XIX

    Moringer tressaille comme sil tait dlivrdun enchantement ; tourdi de surprise et dejoie, il porte autour de lui ses regards : Jereconnais, dit-il, les antiques tours de mon pre,le moulin et la rivire. Bni soit le bon patron quia cout la prire de son triste plerin.

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    XX

    Il sappuie sur son bourdon et savance vers lemoulin ; ses traits sont si altrs quaucun de sesvassaux ne reconnat son matre. Le baron dit aumeunier : Mon bon ami, par charit, apprenez un pauvre plerin bohmien ce qui se passe ici.

    XXI

    Le meunier rpond : Je nai rien vousapprendre, si ce nest que la dame de cesdomaines va choisir un nouvel poux ; sonpremier est mort dans une terre lointaine. Cest ce

    que chacun dit, du moins. Sa mort nous affligetous ; ctait un bon seigneur.

    XXII

    Cest de lui que je tiens ce petit moulin qui mefait vivre. Que la paix soit dans la tombe avec lebaron ; il fut toujours gnreux pour moi ; quandviendra la Saint-Martin, et que les meuniers

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    prendront leur page, le prtre qui priera pourMoringer recevra une chape et une tole.

    XXIII

    Le noble Moringer commence gravir lecoteau. Bientt, lair triste et fatigu, il est prs dela porte. Venez, dit-il, mon secours, voussaints habitants du ciel, qui tes sensibles lapiti ; faites-moi avoir accs dans mon chteaupour rompre ce funeste mariage.