l' pratique musicale jeunes l'insertion...« croyez en vous-même et en tout ce que vous...

93
Ministère de la justice École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse Mémoire de validation professionnelle FORMATION STATUTAIRE DES ÉDUCATEURS PROMOTION 2016-2018 PAWELCZYK (MATHON) Muriel L' L' EFFET EFFET DE DE LA LA PRATIQUE PRATIQUE MUSICALE MUSICALE SUR SUR L' ESTIME ESTIME DE DE SOI SOI DES DES JEUNES JEUNES ET ET SUR SUR L'INSERTION L'INSERTION scolaire, sociale et professionnelle Date de soutenance du mémoire – JUIN 2018 Sous la guidance de Corinne COVEZ, Docteure en arts Qualifiée en Sciences de l’Éducation (CNU 70) Pôle territorial de formation Grand Nord Direction territoriale du Nord

Upload: others

Post on 08-Mar-2021

5 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Ministère de la justiceÉcole Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

Mémoire de validation professionnelleFORMATION STATUTAIRE DES ÉDUCATEURS

PROMOTION 2016-2018

PAWELCZYK (MATHON) Muriel

L'L'EFFETEFFET DEDE LALA PRATIQUEPRATIQUE MUSICALEMUSICALE SURSUR LL''ESTIMEESTIME DEDE SOISOI DESDES JEUNESJEUNES ETET SURSUR

L'INSERTIONL'INSERTION scolaire, sociale et professionnelle

Date de soutenance du mémoire – JUIN 2018

Sous la guidance de Corinne COVEZ, Docteure en artsQualifiée en Sciences de l’Éducation (CNU 70)

Pôle territorial de formation Grand NordDirection territoriale du Nord

Page 2: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

GLOSSAIREASE Aide Sociale à l'EnfanceCEF Centre Educatif FerméCEG Collège d'Enseignement GénéralCER Centre Educatif RenforcéCES Collège d'Enseignement SecondaireCJ Contrôle JudiciaireCPE Conseiller Principal d'EducationCPI Centre de Placement ImmédiatEPE Etablissement de Placement EducatifFAE Foyer d'Action EducativeFJT Foyer de Jeunes TravailleursITEP Institut Thérapeutique Educatif et PédagogiqueJE Juge pour EnfantsJI Juge d'InstructionLSP Liberté Surveillée PréjudicielleMDPH Maison Départementale des Personnes HandicapéesMECS Maison d'Enfants à Caractère SocialMLDS Mission de Lutte contre le Décrochage ScolaireMSPJ Mise Sous Protection JudiciaireONISEP Office National d'Information Sur les Enseignements et les ProfessionsONL Orchestre National de LilleOPP Ordonnance de Placement ProvisoirePE Placement ExtérieurPJJ Protection Judiciaire de la JeunessePPRE Programme Personnalisé de Réussite EducativePSE Placement sous Surveillance ElectroniqueRASED Réseau d'Aide Spécialisée aux Elèves en DifficultéRUE Responsable d'Unité EducativeSEGPA Section d'Enseignement Général et Professionnel AdaptéSME Sursis avec Mise à l'EpreuveTIG Travail d'Intérêt GénéralTPE Tribunal Pour EnfantsUEAJ Unité Educative d'Activité de JourUEHC Unité Educative d'Hébergement CollectifUEHD Unité Educative d'Hébergement DiversifiéUEMO Unité Educative de Milieu OuvertULIS Unité Localisée pour l'Inclusion Scolaire

Page 3: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes….Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous

qui est plus grand que n'importe quel obstacle »

Christian Larson

« Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre,

il passera sa vie à croire qu’il est stupide ».

Albert Einstein

Page 4: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier :• Ma directrice de mémoire pour son dévouement, sa disponibilité, qui m'a bien orientée dans

mes recherches et dans la rédaction de ce mémoire,

• L'équipe de direction et mes collègues de l'UEHC pour leur accueil et pour leur soutien dansmon projet,

• Ma tutrice de stage qui m'a accompagnée durant mon parcours de formation à l'UEHC,• Les formateurs du PTF pour leur soutien, leurs conseils et leurs encouragements,• Les jeunes de l'UEHC qui se sont vraiment investis dans ce projet et pour qui je souhaite le

meilleur pour leur avenir,

Et surtout, je remercie ma famille :• Mon mari pour son soutien et sa patience, • Ma fille et son futur mari pour leurs conseils,• et mon fils qui m'a énormément soutenue, orientée, assistée dans mes programmes musicaux

en l'occurrence dans l'élaboration des partitions simplifiées à destination de notre public.

Page 5: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Table des matièresIntroduction........................................................................................................................................1

1. La notion d'insertion.........................................................................................................................12. L'effet Pygmalion et l'estime de soi..................................................................................................23. Pourquoi s'intéresser à l'insertion ?..................................................................................................33.1 L'insertion scolaire..........................................................................................................................43.2 L'insertion sociale et professionnelle..............................................................................................54. Le décrochage scolaire des jeunes....................................................................................................54.1 La peur d'apprendre........................................................................................................................84.2 L'intelligence..................................................................................................................................94.3 Le collège unique...........................................................................................................................94.4 Pourquoi apprendre ?....................................................................................................................114.5 Comment mobiliser dans son insertion, un jeune placé à la PJJ ?...............................................12

5. Observations de terrain et émergence de la question de départ......................................................13

I - Première partie : Présentation du terrain.................................................................................141. La PJJ : son rôle en matière de protection de l'enfance..................................................................141.1 L'Unité Éducative d'Hébergement Collectif (UEHC)..................................................................151.2 Historique de l'UEHC...................................................................................................................161.3 Le terrain de recherche ................................................................................................................171.4 L'accueil des jeunes en UEHC.....................................................................................................172. La phase d'observation...................................................................................................................182.1 Profil de quelques jeunes suivis à l'UEHC...................................................................................192.1.1 Situation d'Amandine................................................................................................................192.1.2. Situation d'Hamed....................................................................................................................212.1.3 Situation de Fabrice...................................................................................................................23

II - Deuxième partie : construction de la problématique..............................................................241. Estime de soi et scolarité................................................................................................................242. Estime de soi et troubles du comportement....................................................................................253. Estime de soi et harcèlement..........................................................................................................26

A- Un public particulier, stigmatisé, fragilisé....................................................................................27

1. Une identité à se re-construire........................................................................................................272. La recherche d'exclusivité dans la relation éducative.....................................................................283. Les risques liés à l'usage des réseaux sociaux................................................................................294. Estime de soi et apprentissage scolaire...........................................................................................29

B - Hypothèses d'action......................................................................................................................31

C - Socialiser et faire avec..................................................................................................................31

1. Un atelier musical, pour quoi faire ?..............................................................................................321.1 Les bénéfices liés à la musique....................................................................................................341.2 Le pouvoir de la musique et son effet sur le cerveau humain......................................................351.2.1 La musique, un exercice complet pour le cerveau.....................................................................351.2.2. L'effet de la musique en matière d'éducation...........................................................................361.2.3. L'effet de la musique en matière de santé.................................................................................36

Page 6: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

1.3 L'idée de l'atelier musical.............................................................................................................371.3.1. Une première approche avec l'atelier musical..........................................................................38

III - Troisième partie : l'expérimentation.......................................................................................401. L'atelier musical : le projet et les attendus......................................................................................411.1 Organisation de l'atelier................................................................................................................42

2. Les moyens à disposition de l'atelier..............................................................................................432.1 Les moyens matériels...................................................................................................................432.2. Les moyens humains...................................................................................................................442.3. Les moyens financiers et éventuel partenariat.............................................................................45

3. Déroulement de l'atelier musical à l'UEHC....................................................................................453.1 présentation de l'atelier aux jeunes...............................................................................................453.2 La mise en place du premier jour de l'atelier................................................................................463.2.1.Premier atelier musical avec Alexandre....................................................................................463.2.2. Premier atelier musical avec Laurent.......................................................................................47

Profil de Laurent et d'Alexandre.........................................................................................................48

4. Récurrence de l'atelier musical.......................................................................................................504.1 Les progrès réalisés par les jeunes................................................................................................55

5. Évaluation, de l'atelier : impact sur l'estime de soi et sur l'insertion..............................................56

Conclusion.........................................................................................................................................58

Bibliographie......................................................................................................................................60Textes législatifs et textes de références :...........................................................................................61Sitographie..........................................................................................................................................62

ANNEXES.........................................................................................................................................63Annexe 1 : Planning d'activités hebdomadaires type de l'UEHC.......................................................64Annexe 2 : Jeu de plateaux.................................................................................................................65Annexe 3 : Affiche de présentation de l'atelier musical.....................................................................66Annexe 4 : Premières partitions.........................................................................................................67Annexe 5 : Le projet d'atelier musical................................................................................................68Annexe 6 : Partition « Lettre à Élise »................................................................................................69Annexe 7 : Partition « Hymne à la joie »...........................................................................................70Annexe 8 : Partition « Vois sur ton chemin » (Film « Les choristes »)..............................................71Annexe 9 : Partition « The final coundown » (Europe).....................................................................72Annexe 10 : Partition « Hedwig's Theme » (Film Harry Potter)........................................................73Annexe 11 : Partition « Pirates des Caraïbes » (nouvel extrait).........................................................74Annexe 12 : Atelier musical avec Laurent..........................................................................................75Annexe 13 : grille d'observation de l'atelier musical avec Laurent....................................................76Annexe 14 : Évaluation de l'atelier musical.......................................................................................77

ENCART MÉTHODOLOGIQUE..................................................................................................78

Page 7: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

INTRODUCTION

1. La notion d'insertion

Depuis plusieurs d'années, le mot insertion est entré dans mon environnement tant professionnel que

personnel. On retrouve ce mot quasiment partout, dans tous les médias, surtout lorsqu'on parle de

l'insertion des jeunes. Mais en terme d'insertion, de quoi parle-ton exactement ?

La toute première idée qui me vient à l'esprit est celle qui est surtout liée à la scolarité, à la formation

ou à la profession. Toutefois, il convient de prendre aussi en considération tout ce qui fait partie de

l'environnement social du jeune et qui contribue à le construire. Cet environnement comprend celui

qui le socialise en premier lieu : la famille et surtout les parents. Vient ensuite l'école, les pairs etc...

On parle alors d'insertion sociale. Être inséré au sens large, c'est avoir une identité sociale, un statut

social, une reconnaissance sociale.

J'ai remarqué que souvent, les jeunes qui entraient dans la délinquance n'étaient plus scolarisés.

Pourrait-on penser que l'insertion scolaire est la seule réponse possible pour éviter le basculement

dans la délinquance et limiter toute récidive ? Faut-il rescolariser ou maintenir la scolarité à tout

prix ? Rien n'est sûr car, c'est sans prendre en considération ce qui aurait pu conduire les jeunes vers

le décrochage scolaire, ce qui aurait pu les amener de ne plus pouvoir supporter l'école au point de

les conduire jusqu'à la rupture scolaire. Si la scolarité est obligatoire pour les jeunes âgés de moins de

16 ans, l'insertion scolaire n'est pas la seule réponse. Les jeunes veulent aussi du concret. Aussi

l'insertion professionnelle peut être une réponse possible pour les jeunes de plus de 16 ans car les

portes d'accès à l'apprentissage peuvent s'ouvrir à cet âge. L'apprentissage permet d'associer à la fois

des périodes à l'école et des périodes permettant d'apprendre le métier. Les jeunes peuvent donc voir

un sens dans leurs apprentissages.

Malgré les possibilités d'insertion scolaire et professionnelle offertes, il arrive que certains jeunes,

alors qu'ils sont à la base demandeurs de reprise de scolarité ou de formation professionnelle,

pratiquent ce qu'on appelle de « l'auto-sabotage ». Cette pratique consiste consciemment ou pas, à

mettre en échec tout ce qui a pu être mis en place dans l'intérêt du jeune pour favoriser son insertion.

Pourquoi ces jeunes (et ils sont nombreux) se mettent une sorte de barrière à une possible réussite ?

Sans doute par crainte de l'échec. Ces jeunes ont tellement peur d'échouer qu'ils provoquent eux-

mêmes l'échec pour ne pas avoir à le subir. Ils partent perdants d'avance, étant persuadés ne pas y

arriver. Ils disent que c'est trop difficile. Si ces jeunes sont enthousiastes au départ, lorsqu'ils doivent

rencontrer un patron pour un éventuel apprentissage qu'ils ont pourtant demandé, ils cherchent à

éviter la rencontre en disant que finalement, ce type de formation n'était pas ce qu'ils cherchaient.

1

Page 8: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Ils se réfugient dans l'évitement, comme s'ils craignaient une issue négative de la rencontre, de

l'impression négative qu'ils risquent de donner au futur employeur, de ne pas être à la hauteur de ce

qu'on attend d'eux. Ce type de réaction laisse supposer un manque de confiance en soi.

La confiance en soi est une composante de l'estime de soi. L'estime de soi passe d'abord par une

bonne connaissance de soi, d'après une conférence donnée par Christophe Vincent, formateur en

communication non violente que j'ai pu consulter en ligne1. Dans cette conférence, Christophe

Vincent explique comment comprendre et améliorer l'estime de soi.

S'estimer, c'est s'accepter avec ses forces et ses faiblesses, en avoir conscience pour progresser,

accepter de faire des erreurs et d'apprendre de ses erreurs. C'est l'écart entre que qu'on veut être et ce

qu'on est réellement. L'estime de soi, la confiance en soi, en ses capacités pourraient donc permettre

l'insertion scolaire, sociale et professionnelle. Lorsqu'on s'estime, on ne craint pas le regard de l'autre

car on est conscient de sa propre valeur.

2. L'effet Pygmalion et l'estime de soi

En psychologie, l'effet Pygmalion serait une sorte de prophétie auto-réalisatrice2 qui provoque chez

le sujet, une attitude positive ou négative selon le regard ou les attentes qu'une personne porte sur lui.

Les adolescents sont très sensibles à l'effet Pygmalion. Ils ont une tendance involontaire à se

conformer exactement à ce qu'on pense d'eux et à l'image qu'on leur renvoie. L'échec scolaire vécu

par certains jeunes peut avoir un impact négatif important sur l'estime que les jeunes peuvent avoir

d'eux-mêmes, ce qui génère aussi un sentiment de dévalorisation de soi3. Beaucoup d'entre-eux sont

persuadés qu'ils ne valent rien, qu'ils ne sont rien, qu'ils ne sont capables de rien, surtout si des

enseignants leur renvoient cette image. Ces jeunes tentent alors d'exister, de s'affirmer et de se

valoriser autrement en passant parfois par la voie de la délinquance. Qui sont ces jeunes ? Ont-ils un

profil particulier ? Sont-ils prédisposés à entrer dans un parcours de délinquance ?

L'estime de soi se construit dès l'enfance à travers l'éducation reçue et elle est personnelle4. C'est la

base de la confiance en soi et de l'affirmation de soi. Ces trois dimensions sont étroitement liées.

Certains jeunes placés à la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) sont très tôt « abîmés » de par

leur vécu familial, social, ou scolaire. Leur estime de soi peut être impactée et il leur est très difficile

d'avoir confiance en soi, de s'affirmer, d'avoir une vision positive de soi. La confiance en soi de

l'enfant dépend de son entourage et pas seulement des parents.

1 VINCENT, Christophe ; « L'estime de soi : comprendre et améliorer l'estime de soi » In Estime de soi, [en ligne], consulté le17/02/2018 URL : https://www.youtube.com/watch?v=c2Zjv6qMlvA2 « L'effet Pygmalion » [en ligne] consulté le 17/04/2018 URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Pygmalion

3 DEBANNE-LAMOULEN, Annick ; « Estime de soi et insertion des jeunes : Les laissés-pour-compte de la cité »;Éditionsl'Harmattan, 2011 ; 108p.

4 FANGER, Frédéric ; « Oser : Thérapie de la confiance en soi » Éditions O. Jacob, 2006 ; 285p.

2

Page 9: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Dans son ouvrage, Frédéric Fanget indique que l'opinion et l'espoir que mettent les enseignants sur

leurs élèves favorisent leurs progrès et les élèves moins performants en revanche, suscitent moins

leur intérêt. Certains chercheurs comme Becker, ont développé la « théorie de l'étiquetage », théorie

consistant à déconstruire la notion d'échec scolaire ou élève en échec5. L'échec ne serait pas

seulement lié à une difficulté d'apprentissage mais il serait aussi le résultat d'une opération de

stigmatisation selon un schéma type comme décrit ci-dessous :

Un élève est en difficulté par rapport à certains apprentissages, difficulté qui induit des jugements

plus ou moins conscients de la part de ceux qui les formulent et qui dévalorisent l'élève. L'élève se

retrouve alors encore plus en difficulté et se démobilise. Cet élève fait alors l'objet de jugements

encore plus stigmatisants qui renforcent ses difficultés. A partir de cette dévalorisation, l'élève va

entrer dans un cercle vicieux par l'auto-dévalorisation, impactant gravement l'estime de soi.

Ce présent mémoire traite donc de l'insertion scolaire, sociale et professionnelle des jeunes à travers

l'estime de soi.

Sur le terrain de stage, j'ai remarqué que la majorité des jeunes placés, souffrent d'une faible estime

de soi. Ce constat m'a été confirmé verbalement par la psychologue de service dans lequel j'effectue

mon stage de seconde année. Je me suis également aperçue tout au long de mon parcours de

formation, que certains jeunes, même âgés de moins de 16 ans et surtout ceux confiés à la PJJ étaient

déscolarisés, en rupture scolaire, en voie de décrochage scolaire même s'ils étaient encore soumis à

l'obligation scolaire. La question de l'estime de soi et de l'insertion au sens large m'a alors interpellée.

3. Pourquoi s'intéresser à l'insertion ?

Depuis le début de ma première année de formation, j'avais dans l'idée de travailler mon mémoire

professionnel essentiellement sur l'insertion. Selon moi, l'insertion et surtout la scolarisation des

jeunes de moins de 16 ans, était la base essentielle pour limiter la récidive. En tant que collégien ou

lycéen, le jeune bénéficie encore d'un statut social. Il existe aux yeux de la société. Il a une identité.

Il n'est pas rien. L'insertion scolaire dans un premier temps, permet donc au jeune de se construire

une nouvelle identité, identité qui lui permettra de s'insérer ensuite dans le monde du travail comme

dans la société. En cas de rupture précoce avec l'école et s'il n'a aucune formation ou profession, le

jeune n'aura plus de statut social et risque de ne plus avoir de vie sociale. Il risque même d'être exclu

dans tous les sens du terme, de n'être plus rien aux yeux de la société. Je pensais donc qu'il fallait

éviter à tout prix la déscolarisation précoce pour qu'un jeune conserve un minimum de vie sociale et

ne risque pas de basculer dans la spirale de la délinquance.

5 Extrait de mon cours de sociologie de l'école de l'année 2014, dispensé par Ugo PALHETA, enseignant à l'Université de Lille 3.

3

Page 10: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Mais les raisons de ce basculement sont multiples et pas seulement liées à la déscolarisation. D'autres

facteurs qui n'impliquent pas forcément l'école peuvent entrer en jeu. Si le jeune, dans le meilleur des

cas, est encore scolarisé, il se peut qu'il soit en voie de décrochage scolaire selon son vécu scolaire,

familial ou de quartier. Il peut être encore présent physiquement dans les murs de l'école et décrocher

« de l'intérieur », avoir l'esprit ailleurs ou être exclu des cours par un enseignant du fait de son

comportement inadapté en classe. De ce fait, le jeune est contraint de passer son temps en salle de

permanence. L'élève est présent dans les murs de l'école mais absent en classe. Le jeune « traîne»

alors sa scolarité sans en tirer aucun bénéfice jusqu'à attendre la fin de l'obligation scolaire et en

sortir sans aucun diplôme. Le fait d'être en retrait de l'école volontairement ou pas, de ne plus avoir

de statut social valorisé par la société, impacte fortement sur l'estime de soi des jeunes.

3.1 L'insertion scolaire

Les jeunes issus des quartiers dits populaires ou prioritaires ont souvent des difficultés scolaires dès

l'entrée au collège. Ces jeunes ne bénéficient plus du même encadrement comme celui dont ils

bénéficiaient en école primaire. En primaire, des enfants sont déjà repérés comme étant en difficulté,

ou en retard sur leurs apprentissages. A l'école maternelle comme en école primaire, le soutien dont

peuvent bénéficier ces enfants par l'intermédiaire du RASED (Réseau d'Aide Spécialisé aux Élèves

en Difficulté) ne semble pas suffire car un bon nombre d'entre eux sortiront du système scolaire sans

avoir maîtrisé les savoirs fondamentaux en école primaire.

Au collège, il est demandé que ces mêmes élèves soient autonomes alors qu'ils n'y sont pas toujours

préparés. Ces jeunes doivent être conformes à ce qui leur est demandé pour être un bon collégien. En

quelque sorte, il doivent « être dans le moule ». L'image du « bon élève » souvent cité en exemple

par les enseignants, c'est celui qui est issu de famille aisée. C'est celui qui sait se tenir correctement

en classe, qui lève la main pour demander la parole, qui tient ses cahiers en ordre et fait ses devoirs.

L'élève en difficulté dira qu'il écoute l'enseignant. Le fait d'écouter l'enseignant ne voudra pas dire

que l'élève a compris ce que dit l'enseignant. Le bon élève dira qu'il écoute la leçon. Être élève ne va

pas de soi. On ne naît pas élève, on le devient6 et l'élève en difficulté scolaire est souvent celui qui

prend son « métier » d'élève avec le plus grand sérieux. Il sait qu'il doit travailler davantage pour

réussir, faire des efforts, se donner la peine. Il s'agit d'une sorte d'identité à construire et pour la

construire, il lui faut apprendre. Il existe aussi des élèves qui ont peur d'apprendre, qui ne savent pas

comment apprendre, qui ne peuvent pas apprendre, qui ne comprennent pas ce qui est censé être

appris ou qui ont peur d'échouer. Quelle identité leur reste-t-il dans ce cas ?

6 PERRENOUD, Philippe ; « Métier d'élève et sens du travail scolaire » ; ESF Éditeur, 2013 ; 207p.

4

Page 11: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

3.2 L'insertion sociale et professionnelle

Les jeunes des quartiers dits « sensibles » ne bénéficient pas toujours d'une scolarité pouvant leur

permettre d'avoir une insertion sociale et professionnelle réussie7. L'orientation en fin de secondaire

est souvent imposée et basée sur leurs résultats scolaires sans réelle prise en compte des goûts précis

de ces élèves pour les orienter au mieux et dans leur intérêt. En cas d'orientation subie, l'implication

des jeunes est moindre. Certains jeunes de ces quartiers sont même persuadés faire l'objet de

discrimination à l'embauche, que les patrons les exploitent et les jettent lorsqu'ils n'en ont plus

besoin8. Un sentiment d'injustice que ces jeunes en pleine construction identitaire ne peuvent pas

supporter, surtout lorsqu'ils entendent ce type de discours dans leur entourage et en l'occurrence dans

leur famille si un proche a vécu de longues périodes de chômage.

Ces jeunes ont parfois l'impression que les efforts (reprise d'école ou de formation, curriculum vitae

« retravaillé », lettre de motivation « soignée » etc...) qu'ils ont réalisé pour tenter de s'insérer

professionnellement ne servent à rien. Ils ont donc une très mauvaise opinion d'eux-mêmes, pensant

qu'ils ne valent rien. C'est ainsi que ces jeunes en arrivent à vouloir s'insérer socialement autrement.

Pour ce faire, ils entrent dans la délinquance pour avoir l'impression d'exister, parfois par nécessité

pour subsister ou pour avoir un sentiment d'appartenance à un groupe car l'être humain ne peut vivre

seul. L'être humain un être social qui a besoin de ses pairs pour exister.

4. Le décrochage scolaire des jeunes

Selon un article de l'ONISEP de mars 20139, le risque de décrochage scolaire intervient à certains

moments clés de la vie d'un enfant. Il s'agit surtout de l'entrée au collège, au lycée ou de la période

adolescente. Si on prend en considération les élèves ayant des difficultés cognitives (profil ITEP,

SEGPA …) qui nécessitent un suivi particulier mais qui n'en ont pas bénéficié faute de dépistage

précoce ou déni des parents, ces élèves se retrouvent en très grande difficulté dès l'entrée en 6ème.

Ce type d'élève peut se montrer, soit discret pour ne pas se faire remarquer et se faire « oublier » par

les enseignants, soit indiscipliné pour « masquer » ses difficultés en se rendant intéressant autrement

pour se faire accepter par ses pairs. Le décrochage scolaire est de nos jours, un important problème

de société, une véritable construction sociale. Lutter contre le décrochage est devenu une priorité

nationale. Les pouvoirs publics s'en préoccupent en mettant en place des mesures visant à le réduire,

7 « Accompagner l’insertion sociale et professionnelle des jeunes », Cahiers de l’action 2011/2 (N° 32), p. 69-82. DOI10.3917/cact.032.0069, In Cairn Info [en ligne], consulté le 03/03/2018URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2011-2-page-69.htm8 DEBANNE-LAMOULEN, Annick ; « Estime de soi et insertion des jeunes : Les laissés-pour-compte de la cité »;Éditionsl'Harmattan, 2011 ; 108p.9 Le décrochage scolaire – l'ONISEP [en ligne], consulté le 03/03/2018URL : www.onisep.fr/content/download/67 3916/.../file/facteurs-decrochage_scolaire.pdf

5

Page 12: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

notamment par le biais du PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Éducative)10 ou encore par le

biais de la MLDS (Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire)11.

L'objectif du PPRE est de faire des propositions pour permettre aux élèves quel que soit leur milieu

social, de maîtriser les attendus dans le socle commun des connaissances. Il s'agit de répondre à la

diversité des élèves qui ne sont pas tous égaux dans les apprentissages scolaires. La MLDS consiste à

prévenir les sorties prématurées de l'école et à prendre en charge les décrocheurs.

Aujourd'hui, on ne parle plus d'échec scolaire mais plutôt de décrochage scolaire. La différence entre

ces deux termes est importante. L'échec scolaire laisse entendre qu'il n'y a plus d'espoir alors que le

décrochage est un processus long et complexe mais réversible. On peut décrocher et raccrocher12.

Avant le 20ème siècle, on ne parlait pas d'échec ou de décrochage scolaire puisque les enfants de

classes populaires sortaient très tôt du système scolaire pour aller travailler. C'était un phénomène

normal à l'époque et il était plus aisé de trouver un emploi après l'école, même sans diplôme. Dans

les années 60, la fin de la scolarité obligatoire a été reportée à 16 ans au lieu de 14. Le but de cette

réforme était d'élever le niveau intellectuel des classes populaires selon un reportage diffusé au

journal de l'ORTF (Office de Radiodiffusion Télévision Française) à l'occasion de la rentrée des

classes de 1968. Cette élévation de scolarité obligatoire ne changeait rien chez les classes dominantes

qui poursuivaient leurs études jusque 16 ans au minimum. En revanche, elle impactait les classes

populaires qui étaient contre cette réforme. Les familles préféraient voir leurs enfants quitter l'école à

14 ans et gagner de l'argent pour aider leur famille. Autrefois, les jeunes quittaient l'école pour aller

travailler. Aujourd'hui, ils décrochent, quittent l'école précocement et peinent à trouver un emploi.

Lorsqu'un élève commence à décrocher, il ne sait plus réfléchir. Il sait au fond de lui que la scolarité

c'est important. Ce type de discours, le jeune l'a probablement entendu des dizaines de fois par la

famille, par les enseignants ou par les éducateurs et pourtant, certains jeunes ne parviennent pas à la

tenir. Pourquoi ? Probablement parce qu'ils craignent le regard des autres qui réussissent. La crainte

met l'élève dans une position inconfortable, le poussant à ne pas se faire remarquer ou alors de faire

diversion de manière à attirer l'attention autrement que par ce qui est attendu de lui. De plus, l'école

met souvent en avant les points négatifs de l'élève au détriment de ses points positifs13. Difficile alors

de pouvoir s'appuyer sur ses points forts non valorisés pour avoir une bonne estime de soi.

10 Les Programmes Personnalisés de Réussite Éducative : objectifs et organisation, [en ligne] consulté le 03/03/2018URL : http://eduscol.education.fr/cid50680/les-programmes-personnalises-de-reussite-educative-ppre.html11 Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire [en ligne] consulté le 05/04/2018URL : http://eduscol.education.fr/cid55115/mission-de-lutte-contre-le-decrochage.html12 Extrait du cours de première année en sciences de l'éducation, dispensé par D. BRUGGEMAN

13 Dr GEORGE, Gisèle, Dr VILEMONTEIX, Thomas ; « Soigner l'anxiété sociale chez l'enfant et l'adolescent : La thérapie d'estime et d'affirmation de soi » ; Éditions Retz, 2015 ; 176p.

6

Page 13: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Si les enfants issus de classes populaires ou défavorisées ont davantage de risque de décrocher, aucun

milieu social n'est épargné par le processus du décrochage scolaire. Le décrochage scolaire touche

aussi les élèves de classes moyennes voire les élèves de milieux favorisés14. Selon une étude réalisée

en 2006, 12 % des élèves décrocheurs étaient des enfants de cadres.

Le décrochage scolaire, contrairement aux idées reçues, semble donc toucher toutes les catégories

sociales, même les bons élèves qui surinvestissent l'école. Il existe aussi des élèves qui ne supportent

pas l'échec, qui sont toujours dans la course à la perfection. Ce fait est quelquefois encouragé tant par

les parents qui mettent la pression sur leurs enfants que par les enseignants eux-mêmes. Derrière ce

fléau, il y a des adolescents qui peinent à trouver leur place, qui souffrent et finissent par craquer.

Le système scolaire actuel ne semble pas être pensé ni adapté à la personnalité de chaque jeune quel

que soit son milieu, tout comme il ne fait rien de particulier pour les décrocheurs. Les jeunes en voie

de décrochage qui peinent en cours sont sommés de choisir plus rapidement que les autres, leur

orientation future, orientation souvent imposée aux plus faibles élèves car les portes d'accès aux

meilleures voies tendent d'emblée à se fermer pour eux.

On parle aussi d'un nouveau genre de décrocheur : celui d'un jeune élève lambda, qualifié peut-être à

tort de « paresseux » par les enseignants. Il ne perturbe pas la classe, il est rêveur. Cet élève peut se

sentir incompris alors qu'il veut peut-être montrer de façon consciente ou non que quelque chose ne

va pas. Il se désinvestit, s'ennuie mais n'est pas encore dans la rupture scolaire15. Il arrive que les

enseignants s'accordent à dire que le jeune pourrait mieux faire s'il travaillait et participait davantage.

Réprimandes, cours particuliers, soutien scolaire ou séjours linguistiques, ne semblent pas efficaces.

L'école ne se sent pas non plus responsable de la rupture de l'élève, elle estime au contraire que c'est

de son fait. Certains élèves décrocheurs dévalorisent l'école qui les a dévalorisé. Pour résister à un

système qui les dominent, notamment par le langage, ces élèves cherchent à dominer à leur façon par

le biais de la violence et la force16. Les enseignants finissent par craindre ce type d'élève. Ces élèves

s'approprient aussi un autre langage, différent de celui de l'école et uniquement compréhensible par

leurs pairs. Une sorte de rébellion, de refus de se soumettre au langage de l'autre.

Un élève peut aussi se montrer perturbateur comme pour masquer son ignorance vis à vis des autres,

masquer le fait qu'il ne comprend rien aux consignes données par les enseignants.

14 BERNARD, Pierre-Yves ; « Le décrochage scolaire est-il une affaire de classe ? » [en ligne] consulté le 03/03/2018URL : http://www.afpssu.com/wp-content/uploads/2013/07/Beranrd-d%C3%A9crochage-affaire-de-classes.pdf 15 LONGHI, Gilbert, GUIBERT, Nathalie ; « Décrocheurs d'école : Redonner l'envie d'apprendre aux adolescents qui craquent » ;

Éditions de la Martinière, 2003 p 104 - 11516 BERNARDIN, Jacques ; « Le rapport à l'école des élèves de milieux populaires »;Éditions Bruxelles : De Boeck, 2013 ; p.53

7

Page 14: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Il ne veut pas ou ne peut pas le verbaliser. Faire diversion pour ne pas perdre la face serait donc une

façon consciente ou non de préserver un minimum d'estime de soi, une sorte de stratégie de défense.

Dans les deux cas, la scolarité de ces jeunes risque fortement d'en pâtir.

4.1 La peur d'apprendre

La tendance de nos jours est de confondre échec, difficulté d'apprendre et parfois peur d'apprendre.

Pour apprendre, il faut avoir accès à la pensée17. L'élève qui manque de confiance en lui prend peur,

ne parvient pas à penser. Lorsque l'élève doit apprendre quelque chose de nouveau, la nouveauté le

déstabilise et fait peur. Elle peut parfois créer un blocage même chez l'élève plein de bonne volonté.

Même les élèves les plus intelligents peuvent avoir peur d'apprendre.

Il a été prouvé que des enfants dits EIP (Enfants Intellectuellement Précoces) peuvent eux aussi se

retrouver en échec scolaire. Le contexte scolaire, la situation d'apprentissage peuvent déclencher des

peurs et perturber ces enfants. Perçus parfois négativement par leurs pairs, ces élèves tendent à se

renfermer sur eux-mêmes, d'être conformistes sans trop se faire remarquer, provoquant même

consciemment ou pas, des résultats médiocres pour se faire accepter des autres. L'intelligence seule

ne suffit pas pour apprendre. Il convient de savoir s'en servir, d'avoir conscience de sa valeur

personnelle et de savoir s'affirmer avec sa « différence » pour apprendre.

La peur d'apprendre peut aussi prendre ses origines au sein même de la famille de l'élève. L'élève

peut être pris dans un conflit de loyauté selon un article publié dans le Nouvel Observateur en date

du 26 février 2018.18 Il peut exister un vrai décalage entre ce que vit l'élève en famille et à l'école.

Consciemment ou pas, l'élève peut être bloqué dans ses apprentissages scolaires parce qu'il craint de

rejeter ses origines sociales ou familiales, par le simple fait de vouloir apprendre. Apprendre voudrait

dire s'éloigner de son milieu d'origine. A l'école, l'enfant apprend à parler autrement que chez lui, à

penser autrement, à argumenter. Pour apprendre, il faut changer19. Comment changer en restant soi-

même ? A l'adolescence, l'enfant doit apprendre à devenir un autre. A l'école, pour apprendre, il doit

aussi devenir un autre. Il ne peut réussir que si ses parents l'y autorisent. C'est une véritable épreuve

pour un adolescent qui se cherche.

17 Serge Boimare, « Peur d'apprendre et échec scolaire », Enfances & Psy 2005/3 (no28), p. 69-77. DOI 10.3917/ep.028.0069 [en ligne], consulté le 03/03/2018 URL : https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2005-3-page-69.htm18 Conflit de loyauté, « si je travaille bien à l'école, vais-je trahir mes parents ? » In l'OBS [en ligne] consulté le 03/03/2018URL : https://www.nouvelobs.com/rue89/notre-epoque/20180221.OBS2557/conflit-de-loyaute-si-je-travaille-bien-a-l-ecole-vais-je-trahir-mes-parents.html

19 BERNARDIN, Jacques ; « Le rapport à l'école des élèves de milieux populaires »;Éditions Bruxelles : De Boeck, 2013 ; 133p.

8

Page 15: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

La peur d'apprendre peut être aussi liée aux premières expériences éducatives de l'enfant. Apprendre

pourrait réveiller des craintes parfois anciennes, des expériences traumatisantes. Le fait de ne pas

savoir être bienveillant envers soi-même, de ne pas être conscient de sa valeur personnelle peut

constituer un blocage. La dévalorisation de soi a un impact sur le développement de la mémoire, sur

la concentration et même sur le langage. Devant ces peurs, l'élève adopte un comportement de fuite.

4.2 L'intelligence

En terme d'intelligence, de quoi parle-t-on exactement ? Selon le dictionnaire Larousse, l'intelligence

(du latin intelligentia = connaître), est un ensemble de fonctions mentales ayant pour objet la

connaissance conceptuelle et rationnelle. Il existe plusieurs intelligences. Howard GARDNER,

psychologue cognitiviste et professeur de neurologie à la faculté de médecine de Boston, en distingue

8 sortes différentes : verbale/linguistique, visuelle/spatiale, musicale/rythmique, logique/mathématique,

corporelle/kinesthésique, intrapersonnelle, interpersonnelle, et celle du naturaliste ajoutée en 1996.

Les intelligences les plus valorisées dans le système scolaire sont l'intelligence logico-mathématique

et l'intelligence verbale-linguistique. Or, tous les élèves ne sont pas dotés de ces 2 types d'intelligence

ce qui ne veut pas dire qu'ils ne sont pas intelligents. En tenant compte des intelligences multiples, on

pourrait éviter qu'un certain nombre d'élèves se dévalorisent ou se croient « nuls ».

Déterminer l'intelligence dominante d'un élève pourrait être une clé pour regagner l'estime de soi20.

Faire des tests, les jeunes en difficulté en ont déjà fait. Ils en ont marre et estiment que ça ne sert à

rien. D'ailleurs, l'intelligence verbale-linguistique ou logico-mathématique n'est pas courante chez les

élèves en échec scolaire. En revanche, l'intelligence musicale pourrait être bien répartie puisque la

musique au sens large fait partie du quotidien des jeunes.

Lorsqu'on doute de ses compétences tout comme lorsqu'on est « trop compétent », on redoute le

jugement des autres et on n'ose pas s'affirmer et interagir avec les autres, notamment en classe.

4.3 Le collège unique

Afin de faciliter l'égalité des chances, le pouvoir politique a voulu unifier les études primaires et

secondaires. La réforme Haby du 11 juillet 1975 a instauré le collège unique. Cette réforme supprime

la distinction entre le CEG (Collège d'Enseignement Général) qui dispensait un enseignement

général court dont bénéficiaient les enfants des classes populaires et le CES (Collège d'Enseignement

Secondaire) qui ouvrait l'accès au lycée et dont seuls, les enfants de la bourgeoisie pouvaient

bénéficier. Ces 2 types de filières étaient avant cette réforme, totalement étanches.

20 DEBANNE-LAMOULEN, Annick ; « Estime de soi et insertion des jeunes : Les laissés-pour-compte de la cité »;Éditions l'Harmattan, 2011 ; 108p.

9

Page 16: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Depuis cette réforme, les élèves, toutes catégories sociales confondues, ont accès aux mêmes savoirs,

ce qui a mis fin au dualisme scolaire. Malgré cette démocratisation scolaire, le collège unique a

rapidement rencontré des difficultés. Les enseignants n'ont pas été formés pour s'adapter à ce

nouveau profil d'élèves. Les classes sont désormais hétérogènes et les élèves issus de classes sociales

moins favorisées ont toujours des difficultés d'adaptation. Les apprentissages « standards » sont

toujours alignés sur ceux de la classe dominante, ce qui reproduit et légitimise les inégalités.

La forme scolaire n'a pas non plus été repensée pour permettre aux élèves de tous les milieux de

s'approprier le savoir transmis par l'école. L'école n'explicite pas clairement ce qu'elle exige. Elle

considère l'acquis par tous ce qui ne l'est que pour quelques uns, en l’occurrence la classe dominante.

Lorsqu'on parle de forme scolaire, il convient d'entendre aussi transmission scolaire. Les élèves des

classes bourgeoises bénéficient souvent d'une culture transmise par la famille et peuvent mettre en

lien cette culture avec la transmission scolaire. Plus le niveau social des parents est élevé, plus l'élève

aura un bagage culturel important. On n'apprend pas seulement à l'école, la famille y contribue aussi.

L'école est, pour certains enfants, la continuité de ce qu'ils connaissent déjà au quotidien chez eux.

Pour d'autres et notamment les enfants de classes populaires, c'est le chaos. Ces enfants peuvent être

déstabilisés, avoir des difficultés à se situer et doivent aussi faire face aux exigences parentales.

La manière de s'approprier les savoirs n'est pas non plus véritablement prise en charge par l'école.

Les inégalités d'apprentissage se font sentir dès l'entrée au collège et quelquefois avant. Le savoir

n'est pas donné. L'élève, quel que soit son milieu social doit apprendre à le construire en faisant le

lien avec ses expériences personnelles ou connaissances acquises en dehors de l'école.

Des élèves de « bonnes classes » sont en capacité de mettre en lien les acquisitions scolaires avec le

non scolaire grâce à la famille ou amis21. Les élèves de classes plus « faibles » n'ont pas toujours la

possibilité de se remémorer des souvenirs d'apprentissage informels car ils n'en ont peut-être pas, ce

qui rend leur travail de réflexion et de mise en lien plus difficile.

Les nouveaux manuels scolaires manquent aussi d'explications claires permettant aux enfants de

comprendre et aux parents d'aider leurs enfants22. Les savoirs à acquérir ne sont pas clairement

explicités. Comment dans ce cas restituer ce qui est supposé être appris ? Même le langage employé

dans les ouvrages est difficile à comprendre, surtout pour les familles d'origine étrangère. Les écarts

entre élèves d'une même classe d'âge se creusent quelquefois dès l'entrée à l'école primaire. Certains

signes de décrochage se manifestent déjà même chez des élèves un peu plus favorisés que d'autres.

21 BERNARDIN, Jacques ; « Le rapport à l'école des élèves de milieux populaires »;Éditions Bruxelles : De Boeck, 2013 ; p 48-49.22 BONNERY, Stéphane ; « Supports pédagogiques et inégalités scolaires » ; Éditions La Dispute, 2015 ; 215p.

10

Page 17: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

J'ai observé ce constat à l'occasion d'un stage d'observation en école primaire, stage lié à mes études

universitaires en sciences de l'éducation et pour lequel j'avais dû rendre un rapport d'observation. Sur

ce lieu de stage, dans une classe de CE1, 5 élèves avaient des difficultés scolaires. Deux fois dans la

semaine, ces élèves suivaient des cours de soutien par l'intermédiaire du RASED (Réseau d'Aide

Spécialisé aux Élèves en Difficulté). Parmi ces élèves, l'un d'entre eux était issu de classe sociale un

peu plus favorisée et sa mère était enseignante dans cette même école. J'avais l'impression que cet

élève était moins stigmatisé que les autres en difficulté et avait la « chance » de bénéficier de

davantage d'indulgence de la part de son enseignante contrairement aux autres élèves de sa classe

aussi en difficulté et issus de classes populaires ou défavorisées.

Le collège unique qui se veut démocratique n'est pas uniforme, c'est-à-dire qu'il est divisé en cycles.

Il pratique aussi le jeu d'options dès la classe de 4ème (grec, latin, langues européennes…) visant à

filtrer les élèves dans leur orientation. Ainsi les élèves les plus en difficultés se voient orientés dans

des filières supposées correspondre à leurs capacités et à leur profil. Cette orientation quelquefois

«subie», tend à maintenir l'élève dans sa catégorie sociale d'origine sans véritable espoir d'en

changer. L'école ne joue plus son rôle d'ascenseur social. Pierre Bourdieu parle de reproduction

sociale23, reproduction permettant aux classes sociales favorisées de maintenir leur pouvoir de

domination sur les classes populaires.

L'école comme le milieu familial contribuent aussi au maintien de la catégorie sociale de l'enfant.

Une fois le baccalauréat obtenu, l les études courtes, professionnalisantes à l'université sont davantage

privilégiées car les études longues sont coûteuses et la réussite incertaine. Chez les enfants placés à

l'ASE comme à la PJJ, on peut s'interroger sur comment se décide l'orientation scolaire de ces jeunes.

L'accès aux études longues leur semble difficilement accessible car l'autonomie du jeune ne sera pas

immédiate et la durée de prise en charge en ASE et en PJJ est limitée aux 21 ans du jeune placé24 .

4.4 Pourquoi apprendre ?

De nos jours, dans un contexte économique défavorable où il est de plus en plus difficile de trouver

un emploi même avec des diplômes de plus en plus élevés, les jeunes sont amenés à poursuivre leur

scolarité au-delà de l'obligation scolaire pour espérer s'insérer professionnellement dans la société.

Mais apprendre pour apprendre ne les intéresse pas, même s'ils ont conscience de l'importance de

l'école. Bernard Charlot25 parle du rapport au savoir des élèves des classes populaires.

23 BOURDIEU, Pierre, PASSERON, Jean-Claude ; « La reproduction : Éléments pour une théorie du système d'enseignement » Éditions de minuit, 1970 ; 284p.

24 POTIN, Émilie; Protection de l’enfance : parcours scolaires des enfants placés. In: Politiques sociales et familiales, n°112, 2013. pp. 89-100. doi : 10.3406/caf.2013.2824 URL http://www.persee.fr/doc/caf_2101-8081_2013_num_112_1_2824

25 CHARLOT, Bernard ; « le rapport aux savoirs en milieu populaire : Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue » ;Éditions Economica, 1999 ; 390p.

11

Page 18: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Les élèves des classes populaires s'investissent à l'école à la condition que ces apprentissages fassent

sens pour eux et pas seulement pour enrichir leur culture générale. Ils ont davantage, une vision

utilitaire des apprentissages. Aller à l'école fait sens seulement pour leur avenir. Ces élèves disent

qu'ils apprennent beaucoup de choses qui, selon eux, ne servent à rien mais qui comptent beaucoup26.

Par ailleurs, ils estiment ne pas apprendre grand-chose d'intéressant.

4.5 Comment mobiliser dans son insertion, un jeune placé à la PJJ ?

Lorsque j'étais en stage de découverte en première année de formation, une directrice d'un Centre

Éducatif Renforcé (CER) m'avait dit que la scolarité des jeunes placés n'était pas une priorité. J'en

étais très étonnée, d'autant que l'une des missions principales de la PJJ est justement de se préoccuper

de l'insertion27. Ne pas s'y intéresser ne me paraissait pas concevable. Ne connaissant pas le

fonctionnement réel d'un CER et ne disposant d'aucune expérience à la PJJ avant le concours, je ne

savais pas que les jeunes placés en CER étaient dans un premier temps en période de rupture avec

leur environnement habituel pour un temps donné. Ensuite seulement, on envisage une

remobilisation de ces jeunes dans le cadre de leur insertion et selon leurs compétences et appétences.

La directrice avait ajouté que si la scolarité des jeunes placés n'avait pas tenu jusqu'à présent, c'est

qu'il y a autre chose à régler avant. Cette affirmation est longtemps restée gravée dans ma mémoire.

Je me suis longtemps demandée quel était ce fameux quelque chose à régler avant.

Le fonctionnement actuel de l'école pourrait-il entraver en grande partie l'estime de soi des jeunes,

surtout à un moment aussi crucial où l'adolescent est en quête d'identité ? Est-il possible qu'un jeune

qui souffre d'un manque de confiance et/ou d'affirmation de soi, aille jusqu'au refus scolaire ?

Pourrait-on penser que l'absentéisme scolaire serait lié en partie au rapport que l'élève entretient avec

ses pairs ou avec l'école ? L'élève peut craindre le contact des autres élèves, s'isoler, faire l'objet de

brimades de la part des pairs sans que l'école n'intervienne si elle ne se doute de rien ou minimise les

faits. Il se peut aussi que l'élève ne parvienne pas à trouver sa place à l'école, qu'il ne sache pas

verbaliser son mal-être ou interpeller la direction de l'école lorsque quelque chose ne va pas. Il risque

alors de chercher à se faire accepter par d'autres jeunes du quartier, déjà en rupture scolaire et non ré-

insérés. Se pourrait-il qu'un jeune décroche parce qu'il ne comprend pas ce qu'on attend de lui ?

S'identifier aux anciens élèves du quartier en rupture avec l'école constitue-t-il un risque de basculer

dans la délinquance ? Décrocher, c'est un moyen pour protéger un minimum d'estime de soi ?

26 BERNARDIN, Jacques ; « Le rapport à l'école des élèves de milieux populaires »;Éditions Bruxelles : De Boeck, 2013 ; p.5127 Note du 24 février 2016 relative à l’action de la protection judiciaire de la jeunesse dans les parcours d’insertion

scolaire et professionnelle des jeunes confiés NOR : JUSF1606655N

12

Page 19: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Partant de ces interrogations, j'ai orienté mes recherches autour de ces notions, notamment sur le

processus adolescent, sur l'insertion et sur l'estime de soi. Afin de mieux connaître les jeunes placés à

l'UEHC, j'ai commencé à consulter leur dossier individuel. Ensuite, j'ai étoffé les données recueillies

par le biais de réunions de situation de jeunes, de réunions de service et de réunions de synthèse. Puis

j'ai eu des échanges et entretiens informels avec la psychologue de service et avec l'équipe éducative.

Les données recueillies ont ensuite été consignées sur mon carnet de terrain. Pour étoffer ma

démarche, j'ai également consulté des ouvrages d'auteurs qui ont travaillé sur ces notions et surtout

en quoi l'estime de soi peut impacter l'insertion sociale, scolaire ou professionnelle des adolescents.

5. Observations de terrain et émergence de la question de départ

Dans l'hébergement où j'effectue mon stage de deuxième année et contrairement à ce que j'ai pu

constater lors de mon stage en CER en première année, j'ai très vite remarqué que dès le début du

placement, l'insertion des jeunes est une priorité. En terme d'insertion, on parle surtout de la scolarité,

de la mise en stage si le jeune a plus de 16 ans, ou de la formation professionnelle des jeunes.

Chaque jeune accueilli doit être occupé en journée. Si le jeune n'est pas scolarisé, il participe à des

activités repérées sur le planning hebdomadaire de l'UEHC (annexe 1).

De plus, selon son âge et sous réserve de places disponibles, le jeune sans insertion scolaire peut

bénéficier d'activités spécifiques via l'Unité Éducative d'activité de Jour (UEAJ) en attendant de ré-

intégrer les dispositifs de droit commun (scolarité, formation professionnelle ou apprentissage). Par

exemple, il est déjà arrivé qu'un jeune puisse passer son permis cariste. Une façon de mettre à profit,

le temps passé à l'UEAJ. La mise en stage permet au jeune de s'orienter dans une formation

professionnelle future, en adéquation avec ses goûts et ses compétences. Ces stages font l'objet d'une

convention entre le jeune placé en UEHC et le lieu de stage.

Un bilan scolaire peut également être réalisé par l'intermédiaire de l'UEAJ ou du CIO (Centre

d'Information et d'Orientation), ce qui permet de pouvoir éventuellement re-scolariser un jeune dans

une filière qui lui correspond, en prenant en considération ses appétences et son niveau scolaire.

Toutefois, ces précautions ne suffisent pas toujours. Malgré toutes les tentatives de re-scolarisation,

de formation ou de mise en stage, un jeune placé a mis en échec tout ce qui avait été réalisé dans son

intérêt alors qu'il a adhéré, construit son projet à la base et intégré la formation voulue (plomberie).

Ce jeune a peut-être eu peur d'échouer ou eu peur d'apprendre. Il disait ne plus supporter l'école, son

fonctionnement, les élèves, la discipline, le climat de classe ou les matières qu'il juge inutiles pour

son avenir ou la formation en soi. Il a adopté des comportements d'auto-sabotage en décidant, 2 jours

après avoir intégré l'école, de ne plus y retourner. Il n'a pas réussi à investir sa scolarité.

Doit-on croire que toute tentative d'insertion scolaire peut être vouée à l'échec ? Pas obligatoirement.

13

Page 20: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Tout dépend du degré de volonté et d'implication du jeune, de son histoire et de son vécu scolaire.

Un jeune déscolarisé ou en voie de décrochage scolaire peut aussi présenter des symptômes à ne pas

négliger ou minimiser. Il peut s'agir d'une phobie scolaire liée par exemple à du harcèlement scolaire,

de problèmes familiaux dont le jeune ne parvient pas à se détacher ou encore l'équipe enseignante qui

ne parvient pas à s'adapter face à un élève qui présente des difficultés particulières.

D'après mes premières observations de terrain et selon le profil des jeunes placés, ma question de

départ serait formulée ainsi : La Restauration de l'estime de soi des jeunes pourrait-elle ou non

favoriser la re-scolarisation et/ou l'insertion socio-professionnelle des jeunes ?

Pour tenter de répondre à cette question, je vais mettre en œuvre des activités éducatives socialement

valorisées pouvant contribuer à restaurer l'estime de soi des jeunes et peut-être les réconcilier avec

l'école et les apprentissages. Pour ce faire, je vais d'abord observer ce qui se passe sur le terrain,

notamment dans le comportement habituel des jeunes. Puis, je vais présenter la situation de quelques

jeunes qui semblent avoir une estime de soi basse. Ensuite je vais présenter une activité ludique que

j'ai mise en place et animé dans un premier temps avec quelques jeunes intéressés avant d'envisager

éventuellement un partenariat. Pour terminer, je vais faire une évaluation des jeunes, mesurerai les

progrès et l'impact que cette activité pourrait avoir sur l'estime de soi, l'affirmation de soi, la

confiance en soi et par voie de conséquence, sur l'insertion des jeunes au sens large. Dans un souci de

confidentialité, tous les noms figurant dans ce mémoire ont été modifiés.

I - PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DU TERRAIN

1. La PJJ : son rôle en matière de protection de l'enfance

La PJJ fait désormais partie de cette grande famille de la protection de l'enfance car un mineur

délinquant est avant tout un mineur en danger, en souffrance. En terme de protection de l'enfance, il

existe deux dispositifs : l'ASE (Aide Sociale à l'enfance) et la PJJ28.

Dans une circulaire du 6 mai 2010, le ministre d’État réaffirme que : « le traitement éducatif de la

délinquance des mineurs s’inscrit dans le champ de la protection de l’enfance, qui doit être

considérée comme une approche d’ensemble et coordonnée ». Le ministère de la justice a donc toute

sa place dans ce dispositif de protection de l'enfance qui s'étend de la protection administrative à la

protection judiciaire, au civil comme au pénal. L'ASE et la PJJ prennent en charge des mineurs en

danger ou risquant de l'être. Ces mesures de protection, administratives ou judiciaires, nécessitent

l'intervention du juge pour enfants. Le placement d'un mineur en PJJ a donc davantage vocation à

protéger et à aider plutôt qu'à punir.

28 PJJ-ASE : les dispositifs pour protéger les mineurs [en ligne] consulté le 18/02/2018URL : http://www.filsantejeunes.com/pjj-ase-les-dispositifs-pour-proteger-les-mineurs-18702

14

Page 21: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

1.1 L'Unité Éducative d'Hébergement Collectif (UEHC)1.1 L'Unité Éducative d'Hébergement Collectif (UEHC)

Je suis affectée en stage long sur une UEHC en agglomération lilloise, implantée en centre ville. Il

s'agit d'un établissement mixte qui peut accueillir 12 adolescents âgés de 13 à 17 ans, sur décision

judiciaire, dans le cadre de la protection de l'enfance29 et/ou dans le cadre de l'enfance délinquante30.

Souvent les jeunes placés à la PJJ le sont dans le cadre de l'Ordonnance du 2 février 1945. La PJJ

joue également un rôle très important en matière de protection de l'enfance. Cette ordonnance de

1945 pose le principe de primauté de l'éducatif sur le répressif. Le mineur est un adulte en devenir et

doit être éduqué. La responsabilité pénale des mineurs est diminuée par rapport à celle des adultes et

les peines de détention fermes encourues sont réduites de moitié.

Les mineurs bénéficient en outre, de l'excuse de minorité car compte tenu de leur âge, ils n'ont pas la

notion de discernement au moment des faits. Ils sont donc justiciables uniquement devant le juge des

enfants ou le juge d'instruction selon la gravité des faits.

Ces jeunes placés sont soustraits provisoirement de leur milieu naturel (familial ou de quartier) par

décision du magistrat dans le but de les protéger et/ou de protéger la société de leurs actes délictueux.

Ce placement, ordonné par le magistrat, peut avoir lieu lorsque toutes les mesures éducatives suivies

par le milieu ouvert n'ont pas fonctionné. Mais il arrive aussi que le placement soit ordonné même s'il

n'y a pas eu de mesures éducatives prononcées par le magistrat auparavant.

Durant ce placement, si les jeunes étaient déjà en insertion scolaire ou professionnelle, ils peuvent

dans la mesure du possible, poursuivre leur scolarité ou leur formation dans leur établissement

scolaire d'origine. À cet effet, la proximité et la fréquence des transports en commun permettent

aisément de se rendre à l'école, en formation, aux rendez vous fixés par le pôle emploi ou encore par

la mission locale.

La durée du placement d'un jeune est en moyenne de 6 mois avec renouvellement possible sur

proposition de l'équipe éducative de l'UEHC, sur proposition du milieu ouvert dont dépend le jeune,

ou du magistrat en charge du suivi du mineur concerné.

Les parents des jeunes placés en PJJ conservent l'autorité parentale sauf dans de rares exceptions,

notamment en cas de retrait total d'autorité parentale prononcé par un juge civil ou un juge pénal.

Dans ce cas, le mineur concerné peut être placé soit chez un tiers ou soit placé au service

départemental de l'ASE. En cas de retrait définitif de l'autorité parentale, le mineur devient pupille de

l'État et potentiellement adoptable31.

29 Article 375 du Code Civil et suivants30 Ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante31 Cours de droit civil et de la famille dispensé par Mme DESNOYER en première année de formation à l'ENPJJ

15

Page 22: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Il ne s'agit donc pas de nous substituer aux parents mais de travailler avec eux dans l'intérêt du jeune.

L'équipe éducative de l'UEHC travaille également en étroite collaboration avec l'éducateur de l'unité

éducative de milieu ouvert (UEMO) du lieu de résidence habituelle du jeune ainsi qu'avec d'autres

partenaires le cas échéant (ITEP, ASE, missions locales, classes relais, collèges et lycées, etc).

Le milieu ouvert fait office de fil rouge32 afin d'assurer la continuité des parcours du jeune placé. A ce

titre, lorsque le jeune fait l'objet d'une réorientation (orientation vers un CER par exemple), le milieu

ouvert est censé se charger de la démarche, d'en informer le magistrat, en concertation avec l'équipe

éducative de l'unité d'hébergement où le jeune est placé. Des réunions de synthèses sont

régulièrement prévues à cet effet afin de faire le point sur la situation du jeune. A l'issue de cette

synthèse, des orientations sont proposées au magistrat qui décide des suites à donner au placement.

1.2 Historique de l'UEHC1.2 Historique de l'UEHC

L'UEHC fait partie de l'EPE (Établissement de Placement Éducatif). Cet EPE comprend une UEHC

et une UEHD (Unité Éducative d'Hébergement Diversifié). Ces deux unités sont installées dans les

mêmes locaux ce qui permet un travail plus soutenu dans la continuité du parcours du jeune. En effet,

selon l'insertion du jeune, selon ses progrès et son degré d'autonomie, il est possible que le jeune

puisse intégrer l'UEHD et bénéficier après l'UEHC, d'un placement en FJT (Foyer de Jeunes

Travailleurs) ou en famille d'accueil dans le courant de sa prise en charge à la PJJ.

L'accueil des jeunes en UEHC peut être soit préparé (sortie d'incarcération ou de Centre Éducatif

Fermé par exemple) soit en urgence (en accueil relais ou suite à un déferrement par exemple).

Selon le cahier des charges33, le FAE (Foyer d'Action Éducative) se chargeait auparavant des accueils

préparés et le CPI (Centre de Placement Immédiat), se chargeait des accueils d'urgence. C'est

désormais l'UEHC qui est chargée de cette double mission puisque les FAE et les CPI en tant que tels

n'existent plus. L'objectif premier de l'EPE est de favoriser l'autonomie du jeune afin qu'il puisse

s'insérer dans la société. Si certains jeunes peuvent toujours compter sur le soutien de leur famille

après leur passage en PJJ, tous les jeunes n'auront pas cette chance et ne pourront compter que sur

eux-mêmes. Notre mission est donc de les accompagner au mieux vers cette autonomie.

Certains jeunes sont aussi en manque de repères éducatifs, éprouvent de grosses difficultés pour

s'intégrer dans un collectif et pour accepter les règles qui s'y rapportent. Le placement judiciaire peut

donc donner aux jeunes, l'opportunité d'intégrer les règles de base indispensables pour bien vivre en

société et d'apprendre à accepter l'autorité de l'adulte par le biais d'un cadre sécurisant et contenant.

32 Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative en milieu ouvert au sein des services de la protection judiciairede la jeunesse33 Cahier des charges des Unités Éducatives d'Hébergement Collectif (UEHC) du 7 avril 2008

16

Page 23: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

L'UEHC est composée d'un directeur de service qui intervient sur l'ensemble de l'EPE, (UEHD et

UEHC) d'un RUE (Responsable d'Unité Éducative), d'une adjointe administrative, de 2 cuisinières,

d'une maîtresse de maison (détachée), d'un agent technique, d'une psychologue, d'un psychiatre

vacataire, et d'une équipe de 14 éducateurs.

1.3 Le terrain de recherche1.3 Le terrain de recherche

J'assiste le premier jour de mon arrivée à ma première réunion de service qui a lieu chaque semaine.

La situation de chaque jeune y est abordée. L'emploi du temps des jeunes en insertion est affiché

dans le bureau des éducateurs et dans la chambre des jeunes. Pour les autres jeunes sans insertion,

des activités éducatives sont prévues soit par le biais de l'UEAJ (Unité Éducative d'Activité de Jour),

soit par le biais de partenariats extérieurs. A titre d'exemple, la ligue de l'enseignement intervient tous

les jeudis après midi à l'UEHC. Le vendredi après midi, les jeunes sont conviés à participer à des

ateliers de créations thématiques au musée d'art moderne.

D'après la note relative à l'action de la PJJ34 l'insertion est une des missions principales de la PJJ.

Selon les capacités et les appétences des jeunes sans scolarité ni formation, un projet est élaboré en

lien étroit avec le jeune et la famille de ce jeune pour le re-mobiliser, contribuer à le conduire vers

l'autonomie et prévenir la récidive. Il est en effet important que le jeune s'implique personnellement

dans son projet. Le travail conjoint avec les familles permet aussi de s'appuyer sur leurs ressources et

d'individualiser la prise en charge du mineur confié35.

Malgré de la bonne volonté, j'ai constaté que deux jeunes placés à l'UEHC, déscolarisés, voulaient

reprendre une scolarité dite normale mais n'ont pas réussi à la tenir. Ces jeunes cumulent plusieurs

« handicaps » comme des problèmes d'addiction aux toxiques tels que alcool, drogues ou tabac. Il ont

aussi des liens familiaux très fragilisés souffrent de précarité et/ou de phobie scolaire. A toutes ces

problématiques qui peuvent être un frein à l'insertion sociale, scolaire ou professionnelle de ces

jeunes, s'ajoute l'estime que les jeunes peuvent avoir d'eux-mêmes et c'est sans doute ce dernier point

qui est le plus important et qui peut entraver leur volonté d'insertion.

1.4 L'accueil des jeunes en UEHC1.4 L'accueil des jeunes en UEHC

Les jeunes accueillis sont âgés de 13 à 17 ans et font l'objet d'une OPP (Ordonnance de Placement

Provisoire) émanant très souvent du Juge des Enfants. En dehors des mesures éducatives36, il arrive

aussi que ces jeunes fassent l'objet d'une mesure suivie en milieu ouvert en lien avec ce placement.

34 Note du 24 février 2016 relative à l’action de la protection judiciaire de la jeunesse dans les parcours d’insertion scolaire et professionnelle des jeunes confiés.

35 Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative dans le cadre du placement judiciaire36 Référentiel des mesures et des missions confiées aux services de la PJJ

17

Page 24: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Souvent, il s'agit d'un CJ (Contrôle Judiciaire) si le jeune n'a pas encore été jugé, ou d'une peine

d'emprisonnement assortie d'un sursis total ou partiel avec mise à l'épreuve (SME) si le jeune a été

jugé. Ce sont deux mesures alternatives à la détention. Elles mentionnent certaines obligations parmi

lesquelles figurent l'obligation de soins en cas de dépendance aux toxiques ou à l'alcool notamment,

l'obligation de scolarité ou de formation et l'obligation de respecter le placement. L'éducateur en

hébergement travaille donc en étroite collaboration avec le milieu ouvert dont dépend le jeune, ce qui

assure la continuité du parcours du jeune.

Le jeune placé par OPP peut aussi faire l'objet d'une mesure éducative telle que la MSPJ (Mise Sous

Protection Judiciaire). Cette mesure a été instaurée en 1976 et incluse en article 16bis dans

l'ordonnance du 2 février 1945. Elle complète le dispositif de protection des jeunes majeurs au-delà

de leur majorité (jusqu'à 21 ans) suite à l'abaissement de la majorité de 21 ans à 18 ans.

Cette mesure qui ne peut excéder 5 ans, est prononcée avant la majorité par le juge des enfants soit

en chambre du conseil, soit en TPE (Tribunal Pour Enfants), soit en Cour d'Assises des mineurs. Au

delà de la majorité, cette mesure est soumise à la demande du mineur intéressé. Dans ce cas, les frais

de placement peuvent lui être imputés. Le magistrat peut aussi l'en dispenser en partie ou en totalité.

Cette mesure peut prendre fin à tout moment, à la demande du jeune majeur comme à celle de la PJJ.

Les jeunes peuvent aussi faire l'objet d'une OPP suite à d'autres mesures telles que le placement

extérieur (PE), le placement sous surveillance électronique (PSE) ou encore la liberté conditionnelle

(LC). Il s'agit alors d'aménagements de peine, c'est-à-dire que le jeune concerné peut avoir été jugé et

condamné à une peine ferme et sortir de détention à mi-peine. Dans ce cas, le reliquat de peine est

aménagé sous cette forme (PE, PSE, LC…) avec une obligation de placement et d'insertion.

A la différence de la liberté conditionnelle, le jeune en PE ou en PSE est sous écrou, ce qui veut dire

qu'en cas de fugue, ce n'est pas une fugue mais une évasion. Les conséquences sont beaucoup plus

lourdes car le jeune en fugue encourt un retour immédiat en détention.

2. La phase d'observation

A mon arrivée, la structure était en plein renouvellement tant au niveau de l'équipe éducative qu'au

niveau des jeunes. De plus, suite à la fermeture provisoire d'une autre unité d'hébergement sur

l'agglomération lilloise, les éducateurs de cette unité fermée provisoirement ont été répartis sur les

unités de la région. Ainsi, l'équipe éducative de l'UEHC s'est vue renforcée provisoirement de 3

éducateurs supplémentaires jusqu'en septembre 2018. En septembre 2017, 7 jeunes faisaient partie de

l'effectif de l'UEHC. Il y avait 3 filles et 4 garçons, âgés de 13 à 17 ans. Très rapidement, 2 des filles

ont quitté l'UEHC pour être accueillies en famille d'accueil. Elles dépendent désormais de l'UEHD.

18

Page 25: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Chez les garçons, un jeune âgé de 13 ans était parti en fugue le matin de mon arrivée et n'est jamais

revenu. Une demande de mainlevée du placement avait été faite. Un autre jeune était sur le point

d'intégrer lui aussi une famille d'accueil, un troisième était incarcéré et le dernier se trouvait dans les

locaux, sans insertion. Le renouvellement presque total des jeunes s'est donc fait de façon échelonnée

sur les trois premiers mois de mon arrivée, soit par le biais de déferrement, soit pas le biais d'accueils

préparés jusqu'à ce que l'effectif des jeunes du foyer soit complet en décembre 2017. Il y avait donc

sur le foyer, 1 fille et 11 garçons.

2.1 Profil de quelques jeunes suivis à l'UEHC2.1 Profil de quelques jeunes suivis à l'UEHC3737

2.1.1 Situation d'Amandine

Dès le premier jour, la situation d'Amandine m'a interpellée. Amandine a 15 ans. Elle a eu un

parcours à l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) depuis ses 8 ans et a connu de multiples foyers tels que

les M.E.C.S. (Maison d'Enfants à Caractère Social) où elle fuguait souvent. Amandine est arrivée en

avril 2017 à l'UEHC en accueil d'urgence, suite à un déferrement pour des faits de violence et

dégradations tant au pénal qu'au domicile familial. Elle était déjà connue des services de la PJJ

puisqu'elle était suivie en milieu ouvert pour 2 LSP (Liberté Surveillée Préjudicielle) après mise en

examen entre 13 et 14 ans. Amandine est placée sous contrôle judiciaire. Fin septembre 2017, elle

était la seule fille du collectif et a très mal vécu le départ des deux autres filles du foyer.

Selon les dires de son éducateur référent, Amandine était impatiente de reprendre l'école à son

arrivée à l'UEHC. Déscolarisée dans le courant de son année de 6ème, elle a été rescolarisée dans un

collège à proximité du foyer à la rentrée de septembre 2017 en classe de 4ème. Dès la première

semaine d'école, Amandine a déjà fait l'objet de 2 exclusions temporaires d'une journée.

Amandine part souvent en retard du foyer et arrive bien sûr en retard au collège. Ce fait lui vaut

d'être placée contre son gré en salle de permanence en attendant le cours suivant lorsqu'elle désire s'y

rendre. Souvent, il lui arrive de faire comme si elle se rendait à l'école alors qu'elle n'y va pas.

Lorsqu'elle n'est pas en cours ni à l'UEHC, elle reste dehors en attendant l'heure du retour prévu à

l'UEHC. Amandine ne semble pas tenir sa scolarité. Une admission éventuelle en classe relais qui

était prête à l'accueillir lui avait été proposée par l'équipe éducative, mais la jeune fille a refusé

d'emblée en argumentant le fait qu'elle veuille suivre une scolarité « normale ».

Les classes relais s'adressent principalement aux jeunes sous obligation scolaire qui rejettent

l'institution scolaire et qui risquent d'être marginalisés38.

37 Éléments issus de divers entretiens avec l'équipe de professionnels, des dossiers de jeunes et notes du cahier de bord.38 Dispositifs relais [en ligne] consulté le 05/01/2018 URL : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=77726

19

Page 26: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Ce sont souvent des jeunes avec des problèmes de comportement et sujets à l'absentéisme scolaire.

Les classes relais ont pour but de réduire la marginalisation scolaire et les sorties précoces de l'école

sans diplôme. Amandine semblait correspondre à ce profil car elle est sujette à l'absentéisme scolaire.

Compte tenu de son refus d'intégrer une classe relais, un allègement de son emploi du temps scolaire

a été élaboré en concertation avec le principal du collège. Amandine pouvait donc suivre les cours

«principaux» du collège tout en étant en activité à l'UEAJ où elle est assidue.

En UEAJ, Amandine participe à des ateliers « cuisine » ainsi qu'à des ateliers « estime de soi » qui

consistent à prendre soin d'elle-même (coiffure, esthétique, maquillage etc...).

D'après les éléments recueillis en réunion de synthèse avec son éducateur référent, son éducateur de

milieu ouvert, le RUE (Responsable d'Unité Éducative), la psychologue de service et le médecin

psychiatre, Amandine est une jeune fille qui se cherche dans le sens où elle ne s'accepte pas telle

qu'elle est. Elle refuse sa féminité et prend l'apparence d'un garçon. Elle se scarifie, présenterait des

troubles du sommeil, s'alcooliserait massivement depuis ses 8 ans, se mettrait en danger notamment

lorsqu'elle part en fugue plusieurs jours d'affilée avec des personnes inconnues.

La mère d'Amandine vit dans une situation de précarité. Elle a eu 2 unions. Amandine est la seconde

enfant d'une fratrie de 4 enfants. Elle seule serait de père inconnu et a été reconnue à l'âge de 10 ans

par son beau père, le compagnon actuel de sa mère qui n'est pas son père biologique et n'investirait

pas vraiment son rôle de père. Par ailleurs, Amandine ne le reconnaît pas comme son père même si

elle porte son nom. L'ancien concubin de sa mère était le seul « père » qu'elle reconnaissait comme

tel et qu'elle appelait « papa ». Ce père de cœur a été violent avec sa mère et lui aurait dit après être

séparé de sa mère, qu'il n'était pas son père.

Amandine a connu ses premiers placements en MECS en 2013 et durant cette période, sa mère a eu

des jumeaux. Selon son éducateur référent, si Amandine aime beaucoup ses nouveaux petits frères,

elle craint d'être abandonnée par sa mère.

L'après midi de mon arrivée, Amandine avait fait l'objet d'un recadrage dans le bureau des éducateurs

suite à son absence en cours le matin. Amandine n'a pas accepté l'autorité de l'adulte et s'était mise à

écraser la poubelle en fer qui se trouvait à côté d'elle. En quittant le bureau, elle avait continué à tout

renverser sur son passage et en l’occurrence, le gros pot de terre qui se trouvait dans la salle de vie.

Sommée de tout nettoyer, en pleurant, elle a fini par prendre un balai pour ramasser la terre mais de

colère, elle a claqué le manche à balai sur l'alarme incendie qui s'est déclenchée.

20

Page 27: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

2.1.2. Situation d'Hamed

Hamed a 16 ans. Il est arrivé le 13 septembre 2017. Son admission avait été préparée. Hamed était

auparavant incarcéré dans le Sud de la France, en quartier mineur sous mandat de dépôt, pour une

affaire criminelle impliquant des adultes. Il dit regretter les faits, avoir été stupide et influençable.

Hamed était inconnu des services de la PJJ mais il a été mis en cause dans différentes affaires.

Malmené et menacé de représailles par l'un des co-auteurs de l'affaire incarcéré au même endroit que

lui, Hamed était prêt à tout pour sortir de détention. Hamed est placé aujourd'hui sous contrôle

judiciaire avec notamment, l'obligation de respecter le placement. Il est très conscient de ces enjeux

et tient à respecter ses engagements. Tout lui a été expliqué à son arrivée lors de l'entretien d'accueil

du RUE (Responsable de l'Unité Éducative). En réunion, j'apprends que Hamed aurait très peur de

retourner en détention. Le soir de son arrivée au foyer, autour d'une partie de baby-foot, Hamed

m'avait confié avoir peur de ne pas savoir tenir ses engagements étant donné son comportement.

Hamed s'est très vite senti en confiance avec l'équipe éducative mais il la monopolise constamment

en recherchant l'exclusivité de la relation. Il ne sait pas rester un instant pour réfléchir ou s'occuper

seul. C'est un jeune qui « prend de la place » qui se donne en spectacle pour avoir toute l'attention.

Il entre aussi facilement en conflit avec d'autres jeunes en les taquinant, se moquant d'eux, voire en

les dénigrant, d'où le besoin de recadrages fréquents. Hamed ne semble pas mesurer la portée de ses

mots ou de ses actes. Pour lui, tant qu'il ne dit pas d'insultes, qu'il ne se bagarre pas, ce n'est pas

grave. Il prétexte à chaque fois que les grossièretés, ses provocations, ses allusions, c'est pour rire.

Il ne se remet jamais en question lorsqu'il est à l'origine d'un conflit. Lorsque le conflit prend de

grandes proportions au point de générer une bagarre, Hamed reporte constamment la faute sur ses

pairs en disant qu'il n'est responsable ou qu'il n'est pas le seul dans l'affaire.

Hamed est réceptif à l'autorité des adultes et la respecte mais il ne ménage pas les stagiaires. J'avais

dû le reprendre une fois pour son comportement arrogant vis à vis de moi. Ce jour là, j'avais refusé

d'accéder immédiatement à sa demande car j'étais en conversation téléphonique dans le bureau des

éducateurs. A ce moment là Hamed m'avait répondu que je n'avais rien à lui dire puisque je suis

stagiaire. Deux autres stagiaires éducateurs de l'IRTS (Institut Régional du Travail Social) ont eu

droit au même type de remarque de sa part.

Hormis le tabac, Hamed n'est pas consommateur de toxiques. Il est soucieux de ce qu'on pense de lui,

de ce qu'on écrit sur lui (sur le cahier de bord notamment). Toujours souriant selon le regard qu'on

pose sur lui, il s'intéresse à beaucoup de choses, comprend beaucoup de choses et voit les failles.

21

Page 28: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Hamed participe volontiers à des activités surtout lorsqu'il est sûr de montrer qu'il sait faire mieux

que les autres. Lorsqu'il n'est pas sûr de lui, surtout devant le collectif de jeunes, il va se réfugier dans

l'évitement en disant qu'il n'aime pas ce que je lui propose ou que ça ne l'intéresse pas.

Hamed est très bon en sport, notamment au football mais lorsqu'il joue, c'est pour gagner et non pas

pour s'amuser. Sa préoccupation, c'est de ne pas perdre le match.

En réunion de situation comme à la lecture d'écrits figurants dans son dossier, j'apprends qu'Hamed

est le second d'une fratrie de 4 enfants. Sa mère a eu 3 unions différentes. Hamed est le premier

garçon issu de la première union. Il n'a que très peu connu son père. Les problèmes d'Hamed seraient

arrivés depuis la séparation de sa mère avec le père. Surprotégé par sa mère qui cherche à combler

l'absence du père en octroyant à son fils tout ce qu'il veut, Hamed serait devenu un « enfant roi » qui

aurait pris aussi le « rôle » de chef de famille. Il est très possessif avec sa mère. Sa mère ne lui

laisserait aucune autonomie. Elle ferait tout à sa place comme pour se rassurer elle même.

Lors des retours famille pour le week-end, c'est seulement après un mois de placement que sa mère a

enfin accepté que Hamed prenne le train tout seul. La relation mère/fils est très fusionnelle selon la

psychologue du service. A la maison des adolescents lors d'un atelier lecture, à l'évocation d'images

dans un livre intitulé « je suis », au qualificatif « je suis possessif », Hamed avait dit, « ça c'est moi

avec ma mère ». Hamed évoque de bonnes relations avec sa fratrie.

Hamed n'est pas scolarisé mais il bénéficie d'une prise en charge en UEAJ où il participe à divers

ateliers. Il était prévu dans les premiers mois de son placement, une orientation en classe SEGPA

(Section d'Enseignement Général et Professionnel Adapté) puisque Hamed n'a pas le profil pour

intégrer une classe relais. Il s'avère que Hamed a un profil ITEP (Institut Thérapeutique Éducatif et

Pédagogique) selon son éducatrice de l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance). Hamed aurait déjà bénéficié

d'une scolarité en ITEP. Cette scolarité qui se passait bien aurait pris fin à l'initiative de sa mère. C'est

peu après la fin de cette scolarité que l'adolescent serait passé à l'acte qui l'a conduit à la PJJ.

Il s'avère que Hamed n'aurait pas non plus le profil SEGPA. En avril 2019, Hamed n'était toujours

pas re-scolarisé. Une orientation en ITEP a été demandée par les services de la PJJ et sera prioritaire

sur toutes les autres « formules » de re-scolarisation. Mais les délais sont très longs et les prochaines

admissions peuvent aller jusqu'à la prochaine rentrée scolaire.

Les ITEP39 sont des institutions médico-sociales. Elles accueillent des enfants, adolescents ou jeunes

adultes présentant des difficultés d'ordre psychologiques ou troubles du comportement.

39 http://www.aire-asso.fr/itep.php [en ligne] consulté le 03.03.2018

22

Page 29: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Ces difficultés entravent la socialisation, la scolarité et l'apprentissage. Les orientations en ITEP sont

notifiées par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées).

2.1.3 Situation de Fabrice

Fabrice a 17 ans. Il est arrivé à l'UEHC à la suite d'un déferrement pour des faits de violences dans

l'établissement où il était scolarisé. Son accueil s'est fait dans l'urgence. Fabrice, originaire du sud du

département a fait l'objet de brimades violentes de la part d'autres élèves dans son établissement

scolaire. Pour tenter de se défendre, Fabrice avait fait l'acquisition d'une hache, objet qu'il avait gardé

dans son sac comme pour se rassurer sans l'avoir utilisé. C'est un des professeurs qui a aperçu l'objet

au fond du sac et qui l'a signalé auprès de sa hiérarchie. Après passage au conseil de discipline,

Fabrice a été exclu définitivement du lycée. C'est pour ce fait qu'il s'est retrouvé à l'UEHC.

Rescolarisé en classe de terminale commerce dans un lycée relativement proche du foyer, Fabrice

semble tenir sa scolarité pour le moment même s'il fait partiellement l'objet d'absences injustifiées.

A la lecture de son dossier, je remarque que ce jeune n'a jamais été véritablement déscolarisé mais il

faisait l'objet de fréquentes absences pas toujours justifiées. Malgré ce fait, il a réussi a obtenir le

brevet des collèges, suivi du BEP (Brevet d’Études Professionnelles).

Fabrice semble avoir des difficultés pour s'intégrer au collectif de jeunes qui le taquinent souvent.

Enfant, il a été témoin et victime de violences intrafamiliales. Fabrice a des difficultés à verbaliser ce

qu'il ressent et à contenir sa violence, notamment lorsqu'il fait l'objet de moqueries de la part des

autres jeunes placés à l'UEHC. Lors de réflexions dévalorisantes, Fabrice ne sait pas se contrôler et

peut partir dans la violence tant vis à vis des autres que sur les objets sans être pour autant sous

traitement médicamenteux pour « contrôler » ce type de « crise ».

Fabrice n'a pas eu de parcours ASE et semble être le seul jeune sur la structure à avoir réussi à

obtenir un minimum de diplômes malgré ses absences répétées à l'école. C'est peut-être ce qui le rend

un peu différent des autres jeunes de l'UEHC. Toutefois, lui aussi semble souffrir d'une faible estime

de lui-même et d'un manque de confiance en lui. Il s'isole facilement et semble dominé par les autres.

Le fait de faire l'objet de harcèlement, de brimades répétées tant à l'école qu'au foyer, me laisse

penser que Fabrice a des difficultés pour s'affirmer de manière positive puisqu'il a été victime de

violences et n'a connu que la violence depuis son enfance.

23

Page 30: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

II - DEUXIÈME PARTIE : CONSTRUCTION DE LA PROBLÉMATIQUE

J'ai évoqué le profil de 3 jeunes suivis à la PJJ, présents à mon arrivée qui ont tous un parcours

différent avec me semble-t-il, un point commun qui les réunit : celui du manque d'estime de soi.

Ce point commun m'a été confirmé lors d'une conversation que j'ai eu avec la psychologue du

service. Mais l'estime de soi, c'est quoi exactement ?

Selon Germain Duclos40, « L’estime de soi se construit sur la base des relations d’attachement et de

complicité que chacun vit, et ce sont ces mêmes relations qui permettent de surmonter sereinement

les difficultés de la vie. En grandissant, l’enfant peut à son tour favoriser l’estime de soi chez les

autres, car il peut s’appuyer sur la sienne. L’estime de soi est porteuse d’espoir. »

L'évaluation positive de soi suppose donc une connaissance de soi et d'en avoir conscience. C'est un

élément de santé mentale. Elle est aussi liée à l'identité. L'estime de soi n'est pas immuable. Elle peut

varier, changer, diminuer même après l'âge de 60 ans. Le processus ne s'arrête pas une fois adulte.

Estimer, du latin estimare, qui veut dire évaluer (notion de valeur). L'estime de soi retentit également

sur le comportement et l'humeur. Selon G. Duclos, les jeunes qui ont une faible estime de soi, qui

sont brisés par des échecs à répétition, sont vulnérables à toutes dérives comme la toxicomanie, la

délinquance ou encore le décrochage scolaire ou la dépression.

1. Estime de soi et scolarité

Malgré sa volonté, Amandine ne tient pas sa scolarité41. L'école pourrait influencer négativement

l'estime de soi en comparant les performances avec d'autres élèves et l'attitude de l'enseignant à

l'égard de l'élève va forger l'opinion que l'élève a de lui-même. Selon le regard porté par l'enseignant,

Amandine va s'investir ou pas. Actuellement, elle refuse même les classes relais. Elle va en cours

seulement lorsque les matières l'intéressent. Elle prend aussi des risques en se mettant en danger

(fugues, alcoolisation, scarification).

Patrick Dessez42 dit que « les conduites à risques sont des pratiques d'affirmation de soi et de

socialisation. Une manière d'accéder à soi, de réguler son anxiété sans réveiller des émotions

désagréables liées à l'attachement ».

Il se peut qu'Amandine cherche à travers la prise de risques, à éprouver une douleur supérieure à

celle qu'elle éprouve pour oublier sa douleur première. Amandine ne connaît pas son père biologique.

Celui qu'elle appelait papa n'est pas son père. Amandine a donc vécu un double abandon.

40 DUCLOS, Germain ; « L'estime de soi : un passeport pour la vie » ;Éditions du CHU Sainte-Justine, 2011 ; 247p.41 BARDOU, Émeline, OUBRAYRIE-ROUSSEL, Nathalie ; « L'estime de soi : Quelle valeur attribue-t-on à sa propre personne ? Comment se construit l'estime de soi ? » ; Éditions In Press, 2014 ; 290p.42 DESSEZ, Patrick ; « Adolescents et conduites à risques » ; Éditions ASH Professionnels, 2007 ; 268p. p.13

24

Page 31: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

D'abord de la part de son père biologique, puis par celui qu'elle considérait comme son père. Un

sentiment de mal être, de souffrance, confirmé par son éducateur référent et par la psychologue de

service peut être à l'origine de ses fugues et prises de risques. C'est comme si Amandine avait le

sentiment de ne pas avoir le mérite d'exister, ou elle tente d'exister autrement, en se faisant

remarquer, en attirant l'attention par ses mises en danger et par ses fugues régulières.

Courant janvier 2018, Amandine ne voulait quasiment plus aller à l'école et semblait de nouveau en

voie de décrochage scolaire. Elle avait des résultats plutôt corrects malgré un absentéisme récurrent.

Les bons résultats n'ont pas suffi à la re-mobiliser et à l'inciter à poursuivre ses efforts. Amandine

semble préoccupée par autre chose de plus prenant que l'école, ce qui peut être un frein pour avancer

et se re-construire son identité et par là même, son estime de soi. Développer l'estime de soi demande

des efforts pour la reconstruire. Un jeune qui décroche pour protéger l'estime de soi ne pourra pas se

réparer et évoluer car pour évoluer, il faut agir.

2. Estime de soi et troubles du comportement

Hamed veut améliorer son comportement pour tenir ses engagements liés à son contrôle judiciaire

mais il doute de lui même et craint de ne pas y arriver. J'ai constaté qu'Hamed s'ouvrait davantage

lors de relations duelles plutôt qu'en collectif. Dans le collectif, Hamed veut montrer qu'il maîtrise la

situation. Lorsque je lui propose une activité nouvelle pour lui, Hamed ne veut pas afficher son

ignorance. Il est dans la fuite pour ne pas perdre la face vis à vis de ses pairs. Selon la définition du

dictionnaire Larousse, perdre la face renvoie au fait de subir une atteinte grave à son honneur, au

sentiment de honte, d'infériorité.

L'estime de soi est sensible aux échecs et aux rejets43. Mais elle est aussi le moteur de progrès et de

changements qui pousse à être audacieux, se révéler, comme à être craintif et se rétracter face à

l'inconnu ou face à une difficulté. Hamed semble en recherche de valorisation et veut montrer qu'il

sait faire mieux que les autres surtout lorsqu'il maîtrise son sujet. S'aventurer vers quelque chose

d'inconnu qu'il n'a pas maîtrisé au préalable, le met dans une position inconfortable, en position

d'infériorité. Il cherche à montrer une bonne image de lui-même. Il ne supporte pas l'échec et ne veut

surtout pas montrer qu'il puisse être en échec. Son estime de soi en serait gravement affecté. Pourrait-

on croire qu'Hamed serait un peu narcissique ? C'est très probable. Il cherche à donner une image de

lui qui peut-être, ne lui correspond pas toujours. Il veut être au centre de toutes les attentions. il

n'apprend pas de ses erreurs et il rejette la faute sur les autres pour préserver son image.

43 ANDRE, Christophe ; « Imparfaits, libres et heureux : pratiques de l'estime de soi » ; Éditions Odile Jacob, 2009 ; 470p.

25

Page 32: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Hamed aurait peut-être aussi une estime de soi basse comme une haute estime de soi fragile. De ce

fait, il ne cherche pas à se mettre en avant mais évite une situation lorsqu'il sent qu'il ne la maîtrisera

pas. Il s'agit d'un mécanisme de défense pour protéger l'estime de soi. Dans le même temps, par ce

renoncement, il s'évite aussi une éventuelle réussite.

Cet évitement génère aussi chez lui, de la frustration puisqu'il voit d'autres personnes qui ne sont pas

forcément meilleures que lui réussir et l'afficher ouvertement. Pour pallier à ce renoncement, Hamed

cherche absolument à dominer et à être admiré dans ce qu'il excelle pour avoir le sentiment d'exister.

En étant intolérant aux échecs, Hamed n'a pas de remise en question. Son attitude bloque ses

apprentissages, ses évolutions et constructions de soi.44

Hamed ne semble pas s'estimer, s'accepter tel qu'il est. Il ne semble pas être convaincu d'avoir sa

propre valeur personnelle et cherche à montrer autre chose que ce qu'il est vraiment pour être admiré.

Ce semblant de personnage qu'il n'est pas épuise. Pour s'estimer, d'après Christophe André, il faut

savoir s'accepter pour changer et pour changer, il faut agir. Dans l'action, les échecs sont inévitables

et c'est pourtant dans l'action qu'on avance, c'est se reconnaître imparfait. S'accepter imparfait est très

difficile pour un adolescent. Hamed qui veut montrer le meilleur de lui même et non pas ses

faiblesses. Il ne supporte pas de montrer cette facette imparfaite de lui-même. L'amener à s'accepter

tel qu'il est avec ses forces et ses faiblesses tout en étant convaincu de sa propre valeur l'aiderait

probablement à évoluer positivement. Pour le moment, il n'est pas encore prêt à changer.

3. Estime de soi et harcèlement

Fabrice faisait l'objet de brimades de la part de ses pairs dans sa précédente école comme au sein du

foyer. Il ne sait pas s'affirmer et s'isole facilement. Il a fait l'objet d'absentéisme scolaire récurrent

avant sa prise en charge à la PJJ sans toutefois avoir été ni en décrochage, ni en rupture scolaire. Il se

peut que Fabrice ne supporte plus l'école et que l'absentéisme soit une stratégie de défense ou d'auto-

protection. Les cas de racket, brimades, de mal être adolescent sont des causes possibles qui ont pu

conduire Fabrice à l'absentéisme scolaire.

L'affirmation de soi est une des composantes de l'estime de soi. Lorsqu'on s'estime, on sait

s'affirmer45. L'affirmation de soi c'est l'estime de soi en action, c'est-à-dire, exprimer ses idées, ses

opinions, ses besoins. Avec l'estime de soi, on prend sa place dans un groupe et on sait se faire

respecter. A l'adolescence, les mécanismes d'opposition et de rejet vont créer la personnalité et

générer la confiance en soi. Dans le rapport avec les autres, on repère un manque de confiance en soi.

44 ANDRE, Christophe ; « Imparfaits, libres et heureux : pratiques de l'estime de soi » ; Éditions Odile Jacob, 2009 ; p 28-30 45 DUCLOS, Germain, LAPORTE, Danielle, ROSS, Jacques ; « L'estime de soi des adolescents » ; Éditions du CHU Sainte-Justine,2002 ; 90p.

26

Page 33: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Le fait de s'isoler, d'être dominé ou martyrisé à l'école peut créer des difficultés pouvant aller

jusqu'au refus scolaire ou la dépression. Ce qui paraît être le cas de Fabrice. Il semble donc lui aussi

souffrir lui d'un manque de confiance en soi. Au sein d'un groupe, il ne parvient pas à se faire

respecter, à s'affirmer face aux brimades des autres. Pour l'aider à changer, Fabrice devra prendre

conscience de sa situation, de sa valeur pour agir car c'est dans l'agir qu'on peut changer soi-même.

Agir c'est déjà développer, améliorer la confiance en soi, donc l'estime de soi.

A- UN PUBLIC PARTICULIER, STIGMATISÉ, FRAGILISÉ

Le public accueilli en PJJ est particulier car il s'agit d'adolescents ayant fait l'objet d'une mesure

judiciaire en lien avec un acte délictuel posé. L'adolescence est une période sensible et fragile. Les

angoisses et difficultés de l'enfance se rejouent. Si elles n'ont pas été élaborées, il sera difficile pour

un jeune de se re-construire positivement. Françoise Dolto parle du complexe du homard pour

décrire cette période qu'est l'adolescence. Le homard perd sa carapace pour en acquérir une autre46.

Durant ce temps, le homard est en danger, vulnérable et se cache de ses prédateurs en attendant la

repousse. « Cet entre-deux correspond à la crise d'adolescence ». L'adolescent est vulnérable, agressif

ou replié sur lui-même. Il ne sait plus qui il est et doit se re-construire une identité. Adolescence, du

latin adolescere qui veut dire « grandir vers ». Ethymologie, celui qui croît : qui n'a pas fini de

croître. Avant le XIXè siècle, l'adolescence n'était pas reconnue comme une période spécifique avec

des besoins spécifiques. Selon Philippe Ariès, historien, l'adolescence est un phénomène récent. « ce

qui s’est passé avec l’enfance au XIXè siècle s’est répété avec l’adolescence au XXe siècle ». Ce

serait à ce moment là que les adultes auraient commencé à se préoccuper des besoins physiques et

physiologiques des enfants et adolescents.

1. Une identité à se re-construire

L'identité du jeune accueilli en PJJ ne se résume pas à l'acte délictuel posé. Avant d'être qualifié de

« délinquant » aux yeux de la société, un jeune placé en PJJ est avant tout un jeune en souffrance 47,

souvent déscolarisé, qui manque d'estime de soi. Ce jeune a pu être confronté à des difficultés

diverses (précarité, violences intrafamiliales, alcoolisation, toxicomanie etc.). Selon D. Derivois, il

n'y a pas d'un côté les victimes et de l'autre, les délinquants. Ces derniers ont souvent été des

victimes avant d'être « qualifiés » de délinquants. Chaque jeune est unique et tous ceux qui sont

présents à l'UEHC semblent présenter des particularités communes : le manque d'estime de soi,

d'affirmation de soi, de confiance en soi.

46 DOLTO, Françoise, DOLTO, Catherine, PERCHEMINIER, Colette ; « Paroles pour adolescents ou le complexe du homard » ;Éditions Folio Junior, 2007 ; 160p.47 DERIVOIS, Daniel ; « Les adolescents victimes/ délinquants : Observer, écouter, comprendre, accompagner » ; Éditions DeBoeck, 2010 ; 160p.

27

Page 34: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Lorsqu'on est face à une situation de violence des jeunes en UEHC, on peut se demander s'il ne s'agit

pas d'une stratégie d'autodéfense consciente ou pas pour préserver l'estime de soi lorsqu'on est

victime de railleries, de moqueries des pairs ou des deux à la fois.

Pour les accompagner vers le changement et les aider à se re-construire, il convient d'inciter les

jeunes à agir, à ne pas avoir peur des échecs qui sont inévitables dans l'agir. Ne pas avoir peur du

sentiment de ridicule est aussi difficile pour un adolescent qui se cherche.

Ridicule : c'est la même racine que rire selon le dictionnaire Larousse. C'est le fait de craindre de

faire rire de soi. Lorsqu'on se sent ridicule, on peut se sentir en insécurité48. Ce sentiment d'insécurité

fragilise les adolescents qui auront tendance à avoir recours à la violence pour se protéger.

Le sentiment de honte fait aussi des ravages importants car il vise la personne et pas seulement le

comportement. La honte est une honte de soi-même qu'on rejette totalement. L'échec renvoie à un

sentiment de honte insupportable surtout lorsqu'il a lieu devant le regard d'autrui. Le fait d'imaginer

le jugement d'autrui suffit pour déclencher la honte. C'est souvent ce qui les conduit à se réfugier

dans l'évitement lorsque je propose une activité que les jeunes ne connaissent pas. J'ai d'ailleurs

souvent constaté lorsqu'ils s'adonnaient à des activités quelconques, entre eux ils se disaient souvent

« c'est trop la honte » lorsqu'un jeune n'y arrivait pas.

Répéter quelque chose qui fait honte en cas d'échec peut diminuer ce ressenti désagréable. Par

exemple, le fait de répéter régulièrement un exercice musical peut diminuer ce sentiment. En outre,

la honte peut aussi servir à bon escient. C'est-à-dire qu'elle sert à tenir sa place dans la société en ne

commettant pas d'actes répréhensibles ou inciter à ne pas récidiver.

2. La recherche d'exclusivité dans la relation éducative

Hamed recherche l'exclusivité dans la relation éducative. Il ne supporte pas ne pas être le seul objet

d'attention et se manifeste par tout moyen à sa convenance pour faire diversion. Hamed semble peut-

être avoir des problèmes d'attachement. John Bowlby, psychiatre et psychanalyste britannique parle

de la théorie d'attachement. Pour l'enfant, la première figure d'attachement est généralement sa mère.

Cette figure d'attachement est supposée apporter réconfort et protection à l'enfant afin qu'il puisse

oser explorer le monde et se sentir en sécurité.

Pour savoir se détacher et prendre son « envol », il faut avoir été bien attaché. L'attachement dit

« sécure » n'est pas une dépendance mais un lien positif permettant la continuité des attachements de

l'enfance. L'attachement « insécure » au contraire, créé un état de dépendance avec risque de rupture.

48 ANDRE, Christophe ; « Imparfaits, libres et heureux : pratiques de l'estime de soi » ; Éditions Odile Jacob, 2009 p 256-257

28

Page 35: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Hamed est intolérant à la frustration. Il lui faut tout, tout de suite, donne des ordres. Avec sa mère, il

vivait une relation fusionnelle selon la psychologue du service. Il semblerait selon l'équipe éducative,

que Hamed soit aussi dans une sorte de dépendance affective.

3. Les risques liés à l'usage des réseaux sociaux

Fabrice fait l'objet de brimades en milieu scolaire. Selon Nicole Catheline, pédopsychiatre, ce

phénomène n'est pas nouveau. Il se répand et concernerait environ 15 % d'élèves d'âge scolaire.

L'école se remet rarement en cause pour expliquer cette pathologie (mal être à l'école, absentéisme)

qui rend indisponible l'élève pour les apprentissages. Le terme « harcèlement » n'était pas encore

utilisé dans les années 90 et aujourd'hui, on parle de cyberharcèlement, phénomène plutôt nouveau.

Avec le développement des réseaux sociaux et notamment Facebook, les adolescents passent

beaucoup de temps sur leur ordinateur personnel lorsqu'il en ont un, sur leur téléphone portable pour

communiquer entre eux avant, pendant ou après l'école. Aujourd'hui, les adolescents ont davantage

« d'amis » virtuels via les réseaux sociaux.

Ces réseaux ne sont pas sans risques. Les pairs peuvent très bien se cacher derrière un pseudonyme

les rendant anonymes pour harceler et humilier un jeune qu'ils ont pris en grippe à l'école ou ailleurs.

Les conséquences sont être dramatiques, pouvant quelquefois conduire au suicide le jeune harcelé.

4. Estime de soi et apprentissage scolaire

Pour apprendre et réussir, il faut être « bien dans sa tête » et avoir une bonne estime de soi. Le fait

d'être harcelé affecte l'estime de soi. L'école considère que si l'élève n'apprend pas, décroche, c'est

uniquement de son fait. Elle ne se sent en aucun cas responsable et ne prend pas en considération

tous les facteurs et notamment le cas de harcèlement, qui peuvent générer chez le jeune, une rupture

totale avec l'école. Le harcèlement scolaire tout comme le cyberharcèlement sont des causes à ne pas

prendre à la légère et l'école ne devrait pas minimiser ces faits lorsqu'ils sont avérés.

Je m'aperçois que les jeunes placés en UEHC, qui ont encore la chance d'être scolarisés ont des

difficultés à tenir leur scolarité pour des raisons diverses. Le niveau scolaire des jeunes semble très

bas puisque la plupart d'entre eux ont été déscolarisés entre 6 mois et 2 ans durant les années collège.

Il est donc possible que la scolarité ne tienne pas car le niveau réel du jeune n'a pas vraiment été pris

en considération. A titre d'exemple, Amandine a été déscolarisée durant environ 2 ans (milieu 6ème

et 5ème). Elle a été rescolarisée en classe de 4ème « classique » et ne tient pas sa scolarité. Il est

donc possible qu'elle ne soit pas du niveau réel de classe de 4ème. La classe de 6ème n'a pas été faite

complètement et la classe de 5ème est entièrement absente de son cursus scolaire.

29

Page 36: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Lorsque Amandine a été rescolarisée à son arrivée à l'UEHC, ce n'était pas dans son établissement

d'origine puisqu'elle était originaire du Pas-de-Calais. Le nouvel établissement scolaire ne la

connaissait pas et généralement, un élève est rescolarisé dans une classe correspondant à une classe

d'âge plutôt qu'à son niveau réel, faute d'informations suffisantes concernant l'élève. Cet élément m'a

été confirmé lorsque j'ai posé la question à l'éducateur référent sur les conditions de rescolarisation

d'Amandine.

L'éducation nationale attend de ses élèves, un comportement adapté. On constate que les jeunes n'ont

pas tous un comportement correspondant aux attendus de l'école et aller à l'école pour apprendre n'est

plus une évidence. Certains apprentissages paraissent inutiles aux jeunes voire incompréhensibles.

Bernard Charlot49 dit que les jeunes apprennent lorsque les apprentissages font sens pour eux.

Apprendre pour apprendre ne les intéresse pas. Il veulent aussi comprendre pour pouvoir apprendre.

En outre, sachant que la majorité des jeunes ne veulent pas montrer aux pairs, qu'ils ne connaissent

pas les réponses, qu'ils ne savent pas faire, ils cherchent à donner le change en chahutant. Une

manière de se montrer intéressant autrement vis à vis des pairs. C'est là aussi une manière de

préserver un minimum d'estime de soi. Hormis les problèmes d'apprentissages scolaires, j'ai constaté

que les jeunes placés en PJJ, qu'ils soient harceleurs ou harcelés souffrent aussi de difficultés

psychologiques qui ont un véritable impact sur l'estime de soi. Ces difficultés prennent souvent

racine dans leur environnement familial.

Ces jeunes ne savent pas s'exprimer autrement que par la violence, tant dans les paroles que dans les

actes. J'ai repris Hamed un soir après le repas où il s'en est pris verbalement à Bertrand, un autre

jeune arrivé à l'UEHC en novembre. Bertrand commençait à prendre davantage d'assurance et

visiblement, ils se « cherchaient » un peu tous les deux. Bertrand a failli en venir aux mains suite aux

insultes et remarques déplacées de Hamed. Deux éducateurs ont dû intervenir pour les séparer.

J'avais suggéré à Hamed d'aller s'excuser auprès de Bertrand dès le lendemain matin. Hamed a rejeté

en bloc cette suggestion. « Si je fais ça, je vais passer pour une tapette » m'avait-il dit. Je lui avais

répondu que le fait de s'excuser n'était pas se rabaisser mais au contraire, c'est témoigner du respect à

l'autre. Je n'ai pas la certitude qu'Hamed ait fait ce que je lui avais demandé et il a énormément de

difficulté à se remettre en question. Il se peut aussi que dans un autre contexte (familial entre autre),

Hamed n'ait jamais eu droit à des excuses lorsqu'il était peut-être en droit d'en recevoir. Difficile dans

ce cas, de s'appuyer sur un modèle ou un exemple qu'il n'a probablement jamais eu.

49 CHARLOT, Bernard ; « le rapport aux savoirs en milieu populaire : Une recherche dans les lycées professionnelsde banlieue » ; Éditions Economica, 1999 ; 390p.

30

Page 37: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

B - HYPOTHÈSES D'ACTION

Pour amener ces jeunes à s'affirmer autrement que par la violence ou par leur comportement inadapté

d'une part, et les amener à être à la fois acteur et auteur dans leur insertion d'autre part, il me paraît

donc essentiel de restaurer l'estime de soi afin qu'ils puissent se réconcilier avec eux-mêmes, avec

l'image qu'ils se donnent et qu'ils renvoient.

Pour ce faire, j'ai donc réfléchi à la mise en place d'un atelier basé sur la musique au sens large

(chant-choral, pratique musicale) qui est aussi une activité socialement valorisée. Celle-ci pourrait

permettre de voir en quoi elle pourrait améliorer le comportement des jeunes, améliorer l'estime et

l'affirmation de soi, contribuer à les réconcilier avec soi, avec les autres, et développer des

compétences utiles pour les apprentissages. Selon moi, la pratique musicale permettrait en premier

lieu, de développer l'estime de soi, élément essentiel qui est la base de toute tentative d'insertion.

C - SOCIALISER ET FAIRE AVEC

J'avais proposé un jeu de plateaux un soir après le repas. Mes 3 collègues présents étaient d'accord.

Ce jeu consistait à reconnaître des chanteurs, des groupes mythiques, des chansons d'hier et

d'aujourd'hui en répondant aux questions selon le thème de la carte tirée au sort. Les cartes sont tirées

au fur et à mesure et il convenait de répondre correctement aux questions de la carte pour faire

avancer le pion du joueur ou de l'équipe. Ce jeu réunit toutes les générations. Chacun pouvait donc

s'y retrouver pour y participer. C'est pourquoi je l'avais acheté personnellement pour le proposer en

activité car ce jeu n'existait pas dans les locaux de l'UEHC.

Tous les jeunes comme chaque soir, étaient réunis autour du tennis de table ou du baby-foot. Lorsque

j'ai installé ce jeu en salle commune, aucun jeune n'avait réagi mais lorsque mes collègues se sont

joints à moi pour commencer le jeu, j'ai eu la surprise de constater que tous les jeunes sans exception

avaient lâché le tennis de table, le baby-foot et sont venus nous rejoindre. Après leur avoir expliqué

les règles du jeu, j'ai réparti les jeunes en 2 équipes de 5 puisqu'ils étaient 10 au total. 2 éducateurs

étaient dans la première équipe et 2 autres (dont moi-même) dans la seconde équipe.

L'idée était de faire jouer les jeunes ensemble avec les 2 éducateurs de leur équipe afin de développer

l'esprit de solidarité entre eux plutôt que l'esprit de compétition.

Comprendre les règles d'un jeu et les appliquer était difficile pour eux. Lorsqu'ils se heurtaient à une

difficulté pour répondre à la question, ils tiraient une autre carte. Ne pas savoir répondre leur

paraissait inconcevable. Les collègues jouaient le jeu et leur rappelaient entre temps, les règles. Le

jeu en soi était assez bruyant. Il était difficile de s'entendre car tout le monde parlait en même temps.

31

Page 38: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Je n'ai pas hésité à remercier, à féliciter les jeunes pour leur participation active et pour leur

comportement relativement calme et adapté sachant que dans un jeu de société, il n'est pas aisé pour

eux de s'auto-discipliner. A travers ce jeu, les jeunes ont dû, soit se concerter entre eux pour donner

une réponse soit donner directement la réponse lorsque le jeune était sûr de lui. Chacun d'entre eux

pouvait avoir une réponse à donner et tout le monde pouvait parler. Par cette expérience, j'ai réalisé

qu'il était tout à fait possible d'agir de la même façon à l'école puisqu'il faut réfléchir pour se

remémorer ce qu'on sait, et apprendre par le biais d'interactions pour retenir ce qu'on ne sait pas

encore. Dans l'apprentissage de la musique, c'est également la même chose. Cette activité a aussi ses

exigences. Ces exigences peuvent être les mêmes que dans le cadre des apprentissages scolaires.

1. Un atelier musical, pour quoi faire ?

Je suis une passionnée de chant et de musique. Cette activité prend une très grande place dans ma

vie. Flûtiste dans deux ensembles d'harmonie, j'ai toujours voulu poursuivre cette activité tout

menant de front mes obligations personnelles et professionnelles. Au départ, je pensais plutôt faire

avec les jeunes, une expérimentation par le biais d'un atelier chant choral. Il me semblait plus simple

de le réaliser au premier abord car le premier instrument dont les jeunes disposent, c'est leur voix.

C'est à partir de ma passion première pour le chant et de mon expérience de choriste que j'ai pensé à

cet atelier. Partager une passion commune contribuerait à développer l'estime de soi et le sentiment

d'appartenance. Chanter renforce aussi les liens sociaux. En outre, chanter contribue au bien être et

c'est bon pour le moral. Jacques Launay, psychologue chercheur en psychologie expérimentale

affirme que le fait de chanter a des vertus autant sur le psychisme que sur la santé, notamment sur la

régulation des humeurs. Le chant agirait comme un anti dépresseur et sa pratique en groupe aide à

vaincre la timidité et à retrouver confiance en soi50.

J'ai donc tenté dans un premier temps, une première expérience du chant avec 2 jeunes qui étaient

présents à l'UEHC (Bertrand et Hamed). Au départ, seul Bertrand était intéressé et Hamed,

réfractaire, me disait que c'était pas une activité obligatoire pour son insertion. « Ce que tu me

proposes, c'est de la merde » m'avait-il dit. Il est vrai ne s'agissait pas de chanter du rap mais des

variétés françaises actuelles qu'on entend sur les radios écoutées par les jeunes. Ces chansons me

paraissaient assez faciles à apprendre et tout à fait adaptées en chorale pour être chantées

éventuellement à 2 ou 3 voix différentes. Pour ne pas rester seul, Hamed a fini par suivre Bertrand

mais malheureusement, ces deux jeunes ont très vite décroché.

50 La chorale c'est bon pour le moral [en ligne], consulté le 17/02/2018URL : https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/611/reader/reader.html?t=1446570482090#!

preferred/1/package/611/pub/612/page/6

32

Page 39: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Ces jeunes ne se sont pas réellement investis dans cet atelier et ne le prenaient pas au sérieux. L'un

d'eux faisait le pitre en mettant de la musique rap sur son téléphone et l'autre suivait en riant. Aucun

réel travail vocal n'a pu se faire. Lorsque je leur ai donné en version papier, les chansons que je

comptais travailler avec eux, ces 2 jeunes rappaient dessus et ne chantaient pas.

Lorsque j'en ai parlé à mes collègues, ceux-ci m'ont dit que s'exposer vocalement au regard de l'autre

n'était pas évident pour eux. Devoir vraiment exposer sa voix contribuerait à prendre davantage de

risques, peut-être même d'avoir aussi un sentiment de honte si la voix ne tenait pas.

Compte tenu que l'activité chant-choral n'a pas fonctionné, l'idée d'un atelier musical m'est donc

venue tout naturellement, d'autant qu'il ne met pas en avant la voix du jeune mais l'instrument en soi.

Comme le chant-choral, cet atelier n'a jamais été proposé ou animé à l'UEHC. Il s'agit donc d'une

première, tant pour l'UEHC que pour moi-même qui n'ai jamais animé d'atelier musical. Cet atelier

musical comme le chant-choral amène aussi le jeune à prendre des risques, à s'ouvrir, à se livrer car il

ne peut pas se permettre de « faire semblant », de se « cacher derrière l'autre ». Pour jouer sur un

instrument, il faut faire entendre des sons. Lorsqu'on joue une fausse note dans un morceau connu, ça

s'entend. S'affranchir d'une telle crainte nécessite un réel effort, effort que certains jeunes ne sont pas

encore prêts à faire. La musique, selon Michel Le Coz51 aurait aussi de nombreux bienfaits :

« Langage universel par excellence, la musique est l’une des pratiques culturelles les plus

anciennes. Elle transmet toutes les émotions, des plus douces aux plus intenses. Elle peut

rassembler les foules ou alors se prêter à la méditation la plus personnelle. Elle sait être

savante ou instinctive et se transmet par tradition orale ou écrite. La musique, grâce à

l’interprétation, peut s’offrir à de multiples éclairages. Elle peut se jouer seule ou en

groupe, intime ou collective. Comme tout apprentissage, elle n'est pas innée, elle

s'acquiert. Cela demande des qualités d’écoute, d’analyse, de mémoire, de patience. Mais

la maîtrise progressive de son art apporte beaucoup de joie, de fierté et de bonheur.

La musique apprend à donner ou recevoir, à crier ou chuchoter, à dominer ou

accompagner. Elle sait se faire calme et langoureuse, ou ferme et décidée, ou furieuse et

déchaînée. La musique apprend la vie. La musique, c’est la vie… »

Dans cette citation, tout est dit et me fait penser à ma propre expérience avec la musique. Lorsque j'ai

commencé l'étude du solfège, j'entrais à peine au collège. Mais je n'accrochais pas vraiment à cet

apprentissage. Apprendre le solfège, c'est rébarbatif, peu intéressant et très prenant.

51 Centre musical cm Le Coz [en ligne] consulté le 14/01/2018 URL : http://www.cm-lecoz.com/Les-joies-et-bienfaits-de-la-musique

33

Page 40: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Je n'étais plus vraiment assidue aux cours et j'ai fini par arrêter 2 ans plus tard. A cette période, j'étais

déjà en voie de décrochage scolaire. Un an après avoir arrêté les cours de solfège, j'ai très vite réalisé

que ce « rituel » hebdomadaire, me manquait. J'avais le sentiment d'exister, malgré mes difficultés à

apprendre. Lorsque je suis entrée au lycée à 14 ans, j'ai décidé de reprendre cet apprentissage

sérieusement. Revenue en cours en septembre, l'année de mon entrée au lycée, mon professeur

m'avait alors demandé d'être plus assidue. Motivée, je me suis re-mobilisée et j'ai réussi mon premier

examen. J'ai repris confiance en moi, en mes capacités et j'ai commencé l'apprentissage de la flûte

traversière à 16 ans. Une récompense pour moi.

J'ai réalisé que la musique m'a permis non seulement de ne pas décrocher au niveau scolaire mais

aussi de développer certaines compétences que je ne soupçonnais même pas. Il est par ailleurs

indiqué dans un article en ligne52 : « Pour que ces enfants puissent se servir normalement de leurs

capacités intellectuelles quand ils apprennent, il faut leur donner les moyens, grâce à la culture, de

côtoyer et d’affronter ces craintes réveillées par la situation d’apprentissage et tenter d’en faire les

ressorts de la pensée.» Ce qui me laisse penser que la sensibilisation à la pratique musicale pourrait

être bénéfique aux jeunes car elle mobilise aussi la pensée.

1.1 Les bénéfices liés à la musique1.1 Les bénéfices liés à la musique

L'apprentissage d'un instrument de musique est un travail très long, difficile et exigeant. Il va bien

au-delà de son aspect ludique car il sollicite non seulement toutes les mémoires (auditive, visuelle,

gestuelle….), mais aussi la rigueur, la persévérance, la régularité dans le travail et de la discipline.

Dans un article de la revue « Sciences Humaines » le magazine mensuel n° 296, numéro spécial de

septembre/octobre 2017, il est indiqué que le fait d'apprendre la musique serait bon pour le cerveau.

Robert J. Zatorre53, professeur à l'institut neurologique de Montréal s'intéresse à la fonction cognitive

auditive complexe y compris la parole et la musique. Le plaisir musical serait équivalent à la prise de

drogues car elle libère la dopamine. Pratiquée ou écoutée, la musique aurait sur le cerveau des

bienfaits durables.

J'étais donc persuadée que sensibiliser les jeunes de la PJJ à la pratique musicale pouvait leur

apporter non seulement des bienfaits, en l'occurrence sur l'amélioration, la ré-instauration, la

réhabilitation de l'estime de soi, mais qu'elle permettrait aussi développer des compétences telles que

l'écoute, la concentration ou la mémorisation (auditive, gestuelle, procédurale).

52 Serge Boimare, « Peur d'apprendre et échec scolaire », Enfances & Psy 2005/3 (no28), p. 69-77. DOI 10.3917/ep.028.0069 [en ligne], consulté le 03/03/2018 URL : https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2005-3-page-69.htm53 https://www.mcgill.ca/psychology/robert-j-zatorre : consulté le 14/01/2018

34

Page 41: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

La mémorisation par mimétisme est très utile dans le cadre de l'apprentissage d'un métier manuel.

Voir faire quelque chose et le répéter soi-même seul permet d'apprendre à faire seul par la suite.

Lev VYGOTSKI, psychologue russe, parle de la ZPD (Zone Proximale de Développement). Cette

zone se situe entre la zone d'autonomie et la zone de rupture54. Selon Lev Vygotsky, cette zone est

définie par l'espace existant entre le développement actuel d'un enfant et son niveau de

développement potentiel. Ce qui veut dire que ce qu'un enfant peut faire aujourd'hui avec l'aide d'un

adulte, il saura le faire seul plus tard. La ZPD prend en considération les résultats obtenus et ceux en

voie d'acquisition. C'est ainsi que l'enfant peut progresser. L'interaction avec un adulte va contribuer

à transformer sa pensée et son raisonnement. Lorsqu'une tâche devient familière, intéressante, on

augmente la motivation et l'envie de s'impliquer, donc de se dépasser.

1.2 Le pouvoir de la musique et son effet sur le cerveau humain1.2 Le pouvoir de la musique et son effet sur le cerveau humain

Outre les documents traitant des bienfaits liés à la musique que j'ai consulté soit en ligne soit en

médiathèque, j'ai repéré un documentaire vidéo55 sur le net qui explique en détail, l'effet de la

musique sur le cerveau humain et l'impact sur les apprentissages et sur la santé. Personne ne connaît

réellement l'origine de la musique ni d'où elle vient. Selon ce documentaire, la musique existe depuis

tellement longtemps qu'on ne sait pas exactement depuis quand. Le plus vieil instrument de musique

du monde serait une flûte en os de vautour mesurant 22 centimètres de long et comportant 5 trous.

Elle daterait de plus de 35 000 ans. Cette flûte aurait été identifiée en 2008 dans la grotte de Hohle

Fols en Allemagne lors de fouilles. Depuis plus de 40000 ans, les hominidés (famille de primates

regroupant des chimpanzés, des gorilles, des humains ou orangs-outans) fabriquaient des instruments

de musique dans des os creux d'oiseaux ou défenses de mammouth56.

1.2.1 La musique, un exercice complet pour le cerveau

Selon ce documentaire en ligne, les ouvrages que j'ai pu consulter comme celui d'Oliver Sacks ou les

magazines traitant des bienfaits de la musique, jouer de la musique est un exercice complet pour le

cerveau. Elle active davantage de zones du cerveau que ne le fait la parole. Cortex auditif et cortex

moteur sont sollicités, ce qui donne envie de bouger lorsqu'on entend une musique qui nous plaît. Le

cortex pré-frontal s'occupe de la mémoire musicale. Le rythme, la tonalité fait qu'une musique reste

dans la tête. Lorsque des personnes chantent leur chanson préférée, le rythme et la tonalité sont

quasiment identiques à la version originale. C'est la particularité de la mémoire musicale.

54 La différenciation pédagogique ; « la Zone Proximale de Développement » [en ligne] consulté le 04/03/2018 URL http://differenciation.org/pdf/notion_zpd.pdf :55 Le pouvoir de la musique et son magnifique effet sur le cerveau humain ; documentaire exclusif, In You Tube, [en ligne], consulté

le 15/02/2018 URL : https://www.youtube.com/watch?v=kUCFZ0h9RSM 56 Les origines de la musique préhistorique, premiers instruments de musique [en ligne] consulté le 15/02/2018 URL : http://www.hominides.com/html/dossiers/musique-prehistoire

35

Page 42: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Daniel J. Levitin, neurologue à l'université de Mc Gill, précise dans ce documentaire que les zones

du cerveau modulent le flux de dopamine. Si les gens aiment la musique, le cerveau l'aime aussi. Le

circuit de récompense du cerveau réagit à la musique. La dopamine n'avait encore jamais été associée

à la musique. La musique transforme notre état d'esprit. Elle est capable de changer l'humeur, le

comportement et transforme aussi physiquement le cerveau. C'est ce qu'on appelle la neuroplasticité.

Par ailleurs, j'ai assisté personnellement le 4 avril 2018, à une conférence à l'auditorium du Palais des

Beaux Arts de Lille. Cette conférence a été donnée par Daniele Schön, chercheur CNRS à l’institut

de neurosciences des systèmes (Marseille) et avait pour thème « musique et plasticité cérébrale ». Il a

été indiqué que la pratique musicale régulière laisse des « traces » dans le cerveau humain et tend à le

modifier. Des tests ont fait remarquer que certaines zones du cortex cérébral sont plus épaisses chez

les personnes ayant reçu une éducation musicale.

Selon Robert J. Latorre, les plus grands changements se situeraient dans l'aire auditif du cerveau et

dans la motricité. De plus, ceux qui ont bénéficié d'une éducation musicale auraient une meilleure

audition et une meilleure mémoire.

1.2.2. L'effet de la musique en matière d'éducation

Selon Daniel J. Levitin, l'apprentissage d'un instrument n'est pas seulement une écoute passive car

elle entraîne des avantages cognitifs. Une étude allemande a été réalisée auprès de 200 enfants issus

du chœur Saint Thomas de Leipzig en Allemagne. Ces enfants bénéficient d'une éducation musicale

très poussée. L'idée était de voir si ces enfants avaient des capacités supérieures aux non musiciens.

Il a été constaté que ces enfants avaient de meilleurs résultats, mais aussi une meilleure mémoire de

travail, une meilleure attention et seraient plus concentrés. Le fait d'apprendre un instrument de

musique stimule le processus cognitif dans d'autres domaines que celui de la musique. L'éducation

musicale permettrait d'être meilleur en mathématiques comme dans d'autres matières scolaires. Jouer

d'un instrument aura donc un effet plus important dans le cortex moteur et dans certaines zones du

cerveau gérant le comportement.

1.2.3. L'effet de la musique en matière de santé

Oliver Sacks, neurologue à l'université de Colombia à New York disait que grâce à tous ces travaux

sur la musique, les neurosciences ont fait un bond en avant qu'on n'imagine même pas. La musique

est médicalement bienfaisante. Il s'en était aperçu à l'hôpital où il exerçait et où il accueillait des

patients atteints de problèmes neurologiques chroniques. Il affirmait d'ailleurs que la musique

pouvait aider les patients souffrant de la maladie de Parkinson. D'après le dictionnaire, cette maladie,

décrite par James Parkinson en 1817 est une maladie neurologie dégénérative. C'est-à-dire qu'elle

contribue à la perte progressive des neurones, affectant le système nerveux central.

36

Page 43: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Les mouvements sont ralentis, des tremblements, des raideurs musculaires et des troubles cognitifs

apparaissent. Même en y connaissant rien, en entendant la musique, les gens peuvent se mettre à

bouger, à danser. La musique stimulerait le système moteur et pourrait aussi contribuer à lutter contre

le vieillissement, notamment chez les personnes atteintes de démence profonde ou ayant perdu

l'usage de la parole. Ces personnes n'ont pas forcément perdu la mémoire de la musique.

La thérapie musicale peut aussi être utilisée en cas d'AVC (Accident Vasculaire Cérébral) pour le

contrôle des mouvements ou le ré-apprentissage de la parole. On l'appelle la thérapie par intonation

mélodique qui stimule les zones de l'hémisphère droit (lobe temporal et pariétal). C'est une zone

capable de reconnaître une mélodie. Par ailleurs, Oliver Sacks dans son ouvrage57parle d'un

chirurgien non musicien qui un jour, frappé par la foudre, développe une passion subite pour le

piano. Il s'intéresse également aux émotions que peut déclencher la musique.

1.3 L'idée de l'atelier musical

Après avoir vu le documentaire vidéo dont j'ai cité quelques extraits ci-dessus, après avoir lu

l'ouvrage relatif au jeu d'orchestre dans des lieux de privation de liberté58 et assisté à la conférence du

4 avril 2018, j'étais vraiment convaincue que la pratique musicale pouvait être très bénéfique aux

jeunes placés à la PJJ. J'avais parlé de mon projet avec mes collègues de manière un peu informelle

et ils m'ont tous soutenue dans ma démarche. A travers ce projet, mes collègues voyaient ainsi une

opportunité de faire découvrir autre chose aux jeunes, quelque chose qui sort un peu de l'ordinaire,

un apprentissage un peu spécial dont tous les jeunes n'auront pas forcément accès après la PJJ. J'ai

donc essayé de mettre en place quelque chose de nouveau tout en ayant aussi l'appui de ma direction.

Je me demandais aussi comment transmettre cette passion qui est la mienne aux jeunes tout en

gardant ma place en tant qu'éducatrice. Comment les jeunes vont-ils me percevoir ? Le fait d'animer

l'atelier musical moi-même sera-t-il un frein ou un atout ? Les jeunes peuvent être totalement

réfractaires à faire cette activité à cause du fait que je l'anime moi-même et auraient peut-être eu une

attitude autre, acceptable face à un intervenant extérieur.

L'attitude inverse est également possible car il s'agit d'une relation de l'ordre du sensible et intime qui

s’instaure par ce biais. Beaucoup d'activités ont lieu à l'extérieur du foyer comme le futsal, la

musculation, la piscine entre autre mais j'ai rarement vu une activité au foyer, mis à part la ligue de

l'enseignement qui propose des interventions à destination des jeunes chaque jeudi après midi.

57 SACKS, Oliver ; « Musicophilia, La musique, le cerveau et nous » ; Éditions du Seuil, 2009 ; 377p.58 LASSUS, Marie-Pierre, LE PIOUFF, Marc, SBATTELLA, Licia ; « Le jeu d’orchestre, Recherche-action en art dans les lieux deprivation de liberté » ; Presses Universitaires Septentrion, 2015 ;350p.

37

Page 44: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

1.3.1. Une première approche avec l'atelier musical

Un vendredi soir, les jeunes étaient revenus d'activité extérieure et s'étaient douchés. Deux nouveaux

jeunes (Laurent et Bertrand) venaient d'intégrer l'UEHC. Hamed et Amandine jouaient au baby-foot,

Laurent jouait au tennis de table avec un éducateur et Bertrand était devant la télévision.

Je propose une activité musicale que je mets en place pour la première fois en attendant le repas.

Pour mener cette activité, j'avais acheté personnellement un xylophone que j'emmenais désormais

systématiquement avec moi lorsque j'étais de service. Pourquoi un xylophone ? Parce qu'à mon avis,

c'est un instrument qui me paraît accessible à tous pour apprendre à jouer de la musique, même pour

ceux qui n'en ont jamais fait, et plus sympathique à jouer qu'une flûte à bec qui elle ferait trop penser

aux apprentissages formels dans le cadre de l'enseignement au collège.

Bertrand est déscolarisé. Il est originaire de Normandie. Arrivé à l'UEHC en urgence suite à un

déferrement pour des actes de violence, il était en attente d'une nouvelle rescolarisation. D'abord

réfractaire à ma proposition, il se montre intéressé lorsque je sors l'instrument et le pose sur la table

dans la salle commune. Je lui explique que la musique qu'il écoute, elle s'écrit aussi et elle se lit.

Devant son air sceptique, je lui montre la partition « Pirates des Caraïbes », « Star Wars » (annexe 4)

retravaillée par mes soins et lui explique comment les notes s'écrivent, pourquoi elles s'écrivent de

différentes façons, pourquoi elles n'ont pas toutes la même valeur, pourquoi certaines durent plus

longtemps que les autres etc. Je commence à jouer ces deux morceaux de musique avec le

xylophone. Bertrand m'écoute, me regarde jouer sur le xylophone et essaie à son tour de jouer les

notes que je lui chantais.

Durant près de 45 minutes, Bertrand s'entraîne, en passant alternativement d'une musique à l'autre. Il

avait l'air très concentré et je le sentais fier d'avoir réussi partiellement quelque chose d'inconnu pour

lui puisqu'il n'est pas du tout musicien.

Je le voyais visualiser les plaques métalliques du xylophone à mesure que je jouais l'extrait de

musique Stars Wars pour le reproduire après. Durant cet exercice, Laurent, tout en jouant au tennis

de table, commentait ce qu'il entendait. Il disait reconnaître un extrait de la musique du film Star

Wars (Marche impériale). Je félicite Bertrand pour son implication et ses efforts et lui dit qu'à force

de travail, on réussit puisque la musique qu'il jouait a été reconnue par Laurent. J'ai mis fin à

l'activité car c'était le moment du repas.

A la fin du repas et après avoir débarrassé la table avec les jeunes, Bertrand a manifesté le désir de

reprendre le xylophone. Cette fois, il n'était pas seul à vouloir essayer. Laurent a suivi et Hamed nous

a rejoint. Les autres jeunes jouaient au baby-foot. Il y avait donc 3 jeunes avec moi.

38

Page 45: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Je laisse faire Hamed qui réussit moins bien que Bertrand sur le moment et commence à s'énerver.

Je lui dit qu'il est normal de ne pas réussir parfaitement tout de suite, de se tromper au début et qu'il

faut du temps pour mémoriser. Hamed continuera à s'entraîner mais finira par s'arrêter 10 minutes

après, visiblement agacé et stressé en me disant «j'aime pas la musique» .

Laurent prend le relais. Je constate la même progression que Bertrand mais il voulait aussi se risquer

à jouer de mémoire, un court extrait de Beethoven (lettre à Élise). Ce qui n'est pas évident à faire et

Laurent n'est pas musicien non plus. Je le félicite pour avoir essayé sachant les difficultés qu'il a

rencontrées pour le jouer. L'activité a pris fin au moment du coucher des jeunes.

Le lundi de la semaine suivante, juste après le repas du midi, Hamed me demande si j'ai emporté

mon xylophone. Je lui réponds par l'affirmative. Il me dit vouloir essayer de rejouer. Je n'attends pas

qu'il change d'avis avant d'accéder à sa demande et je sors mon instrument pour l'installer sur la table

dans la salle commune. Cette fois, Hamed était seul avec moi pour cette activité musicale

improvisée. J'avais l'impression qu'il était un peu plus détendu mais assez stressé par l'envie de

réussir à tout prix. Hamed prend place à côté de moi et se concentre comme la première fois. Il ne

veut pas que je lui dise les notes à jouer pour rester concentré sur ce qu'il fait. Je constate que Hamed

refait systématiquement toute la mélodie lorsqu'il se trompe, même sur une seule note. Mais à force

de tout reprendre, il finit par réussir à jouer totalement l'extrait, presque sans faute. Je lui dit « mais

c'est pas mal du tout ! ». Hamed me regarde et ne dit rien, un grand sourire aux lèvres et les yeux

brillants de fierté. C'est précisément à ce moment là que le directeur de service passe dans la salle

commune. Hamed l'interpelle. Il veut absolument lui montrer ce qu'il sait faire.

Le directeur prend donc le temps de l'écouter. Hamed refait le cours extrait de la marche impériale du

film Stars Wars sans faute. Fier de lui, Hamed se voit aussi complimenté par le directeur de service.

Contrairement à l'atelier choral, l'atelier musical semble davantage adapté à ce public qui n'aura plus

forcément à exposer sa voix, ce qui pourrait justement leur faire peur car la voix est quelque chose de

plus personnel, d'intime. Les jeunes se sont certainement sentis bloqués et ont cherché à se rendre

intéressants autrement lorsque j'ai fait le premier atelier chant choral. Chanter avec des garçons, c'est

compliqué, c'est trop technique et si la voix n'est pas chauffée par des vocalises avant, c'est la

catastrophe. C'est même pire que l'instrument en soi. Chanter c'est s'exposer davantage en tant que

personne. C'est un travail vocal plus fort mais aussi plus compliqué pour un adolescent en difficulté

d'être. Chanter est très à la mode en ce moment mais c'est aussi un exercice extrêmement difficile.

C'est ainsi que je me suis rabattue sur l'atelier de pratique musicale qui avait l'air de prendre plus

facilement avec ces mêmes jeunes.

39

Page 46: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Lorsqu'on joue sur un instrument de musique, si des enjeux existent pour des adolescents en quête

d'identité, ils ne sont pas tout à fait les mêmes qu'avec le chant. Mais le jeune est tout de même

exposé à d'autres « risques », comme celui de ne pas savoir jouer en début d'apprentissage, les

bonnes notes ou les bons rythmes lorsqu'il joue seul ou à plusieurs.

Le but éducatif recherché dans l'atelier musical est quasiment identique à celui du chant-choral

puisqu'il vise les mêmes exigences, voire même davantage. Il s'agit donc de « faire avec » ce public

un peu particulier et de voir comment et avec quoi ils « accrochent » si on veut tenter une nouvelle

activité dont il n'ont pas l'habitude et quelles sont les mélodies qu'ils souhaitent jouer. Dans ce cas

présent, ils semblent davantage accrocher à la pratique musicale plutôt qu'au chant.

L'expérimentation par le biais d'un atelier musical pourrait peut-être répondre à ma problématique, à

savoir : en quoi une pratique musicale pourrait améliorer l'estime de soi des jeunes et améliorer

l'insertion sociale, scolaire et professionnelle.

III - TROISIÈME PARTIE : L'EXPÉRIMENTATION

Suite au succès du premier atelier musical improvisé, Bertrand et Hamed ont souhaité voir cet atelier

perdurer. J'étais surprise et ravie de constater que cette demande émane de ces jeunes eux-mêmes.

Selon moi, il me paraissait indispensable de continuer dans cette voie mais il est difficile de faire

avec un collectif alors que je ne disposais pour le moment que d'un seul xylophone (le mien). J'ai

donc rédigé rapidement mon projet d'atelier musical (annexe 5) et sollicité l'équipe de direction pour

l'achat d'instruments supplémentaires à savoir, deux xylophones identiques au mien puisque le nom

des notes est gravé sur chaque plaque métallique, un tambourin et un clavier électrique.

Cet atelier musical pourrait bien avoir selon moi, un impact favorable sur les apprentissages au sens

large comme sur la régularité dans l'effort à fournir, sur la socialisation, sur l'estime et l'affirmation

de soi. Il s'agissait donc de rendre cette activité régulière pour progresser et repérable pour les jeunes.

Pour ce faire, j'ai fait une sorte d'information par le biais d'une affiche attrayante (annexe 3) que j'ai

moi-même réalisée, en y indiquant le jour et heure prévu de l'atelier musical dans la semaine. Cette

affiche est visible dans la salle commune comme à l'entrée du bureau des éducateurs.

Au départ, il ne m'a pas été simple d'obtenir rapidement, l'accord de la direction pour cet achat.

Compte tenu qu'il s'agit d'une activité toute nouvelle et qui n'a jamais été ni réalisée par le biais d'un

partenaire extérieur, ni par un éducateur, il m'a fallu être très convaincante pour démontrer le bienfait

que cet atelier pourrait apporter aux jeunes, tant dans l'aspect éducatif, dans la socialisation que dans

les apprentissages. L'accord m'a finalement été donné à la condition que je puisse « former » un ou

plusieurs éducateurs pour cet atelier afin de rendre cette activité pérenne, même lorsque je ne serai

plus présente dans la structure.

40

Page 47: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

L'idée de « former » un ou plusieurs éducateurs pourrait avoir certains avantages car leur présence

active en atelier musical faciliterait probablement l'adhésion d'autres jeunes. De plus, les éducateurs

n'ont pas forcément tous des bases en musique. Il leur faudra donc apprendre eux-mêmes pour

transmettre aux jeunes après coup.

Montrer aux jeunes que la musique s'apprend à tout âge, même sans connaissance en solfège pourrait

bien lever un certain nombre de blocages chez les jeunes comme chez les éducateurs qui voudraient

s'adonner à la musique mais qui n'osent pas. L'atelier musical permettrait aussi aux éducateurs non

initiés, de donner aux jeunes un modèle de rigueur et de persévérance pour progresser. Il permettrait

aussi de s'apporter à soi-même, un bienfait durable puisque la musique diminuerait le stress et

l'anxiété. La musique est aussi un langage universel, accessible à tous.

1. L'atelier musical : le projet et les attendus

Comme je l'ai énoncé plus haut, apprendre pour apprendre n'intéresse pas les jeunes. Pour apprendre,

il est nécessaire que les apprentissages fassent sens pour eux. Il en est de même pour la musique.

Tenter de construire avec eux un projet musical pourrait peut-être amener les jeunes à s'investir

davantage car il y aurait une finalité. Mais ce but peut être à la fois source de motivation comme

source de stress et même un frein qui peut amener le jeune à se réfugier dans l'évitement.

La crainte de mal faire ou de ne pas réussir devant les pairs et/ou à l'approche d'une l'échéance

(représentation publique par exemple) peut aussi freiner, effrayer ou démobiliser le jeune au départ.

Démarrer l'atelier musical à partir de ce que les jeunes ont envie de travailler pourrait être pour eux,

une source de motivation et de mobilisation. J'établirais ensuite des partitions « simplifiées » afin que

l'apprentissage leur soit accessible, motivant et pas trop difficile pour un non musicien.

Comment faire avancer l'estime de soi des jeunes qui doutent d'eux-mêmes, qui ont une grande

tendance à chercher l'évitement surtout lorsqu'il s'agit d'essayer quelque chose de nouveau comme la

musique ? Le manque de confiance en soi pousse à ne pas agir par peur de l'échec. Quand on est

adolescent, on a une peur terrible de l'échec59. Mais ne pas agir conduit aussi à éviter un potentiel

succès. Une personne qui n'est pas vraiment meilleure que soi qui réussit et qui l'affiche ouvertement

peut générer chez l'autre, un sentiment de frustration comme c'était le cas de Bertrand et Hamed lors

du premier atelier musical improvisé. Développer l'estime de soi demande des efforts pour la re-

construire. Savoir s'affranchir d'une telle crainte est loin d'être une évidence. C'est aussi une véritable

épreuve.

59 DOLTO, Françoise, DOLTO, Catherine, PERCHEMINIER, Colette ; « Paroles pour adolescents ou le complexe du homard » ;Éditions Folio Junior, 2007 ; p.13

41

Page 48: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Selon Christophe André, « le changement en matière d'estime de soi s'apparente à un apprentissage

musical60. Il faut pratiquer régulièrement pour changer. Il s'agit de d'être soi-même en mieux. Agir et

répéter fait évoluer. Dans l'action, les échecs sont inévitables et c'est dans l'action qu'on avance ». Il

faut donc reconnaître qu'on n'est pas parfait, ce qui est difficile pour un adolescent. Dans ce type

d'apprentissage tel que la musique, faire des erreurs au début, c'est fréquent et normal. Les jeunes

devront admettre que toute erreur fait partie de l'apprentissage. Ils apprendront aussi la tolérance vis

à vis d'eux-même comme vis à vis des autres. Croire en eux en étant persuadés qu'ils peuvent réussir

même en faisant des erreurs est un moteur pour eux, ce qui les amènerait à agir. Agir permet aussi de

s'affirmer. L'affirmation de soi comme la confiance en soi, sont des composantes de l'estime de soi.

Si on ne s'estime pas, il est difficile de s'affirmer. S'affirmer c'est ne plus craindre le regard de l'autre,

le rejet ou la dévalorisation. C'est s'exposer, c'est oser pour re-construire une image de soi positive.

La musique est justement un moyen de s'affirmer et contribue au développement de la personnalité.

Pour les jeunes en attente d'une insertion (scolaire ou professionnelle), la pratique musicale contribue

à dépasser leurs craintes et à ne plus se réfugier dans l'évitement à l'approche d'une échéance

(rencontre avec un patron pour un apprentissage, scolarisation etc.). Réussir dans la musique, même

partiellement leur montrera que l'apprentissage régulier fait progresser. Ce qui pourrait leur re-donner

confiance en eux, en leurs capacités. Il en est de même dans le cadre scolaire ou professionnel. Ne

pas oser rencontrer un patron, ou ne pas oser parler à l'enseignant lorsqu'on ne comprend pas quelque

chose, c'est un frein qui empêche de progresser et potentiellement de réussir.

1.1 Organisation de l'atelier1.1 Organisation de l'atelier

Mon projet en tant que tel est donc de mettre en place un atelier musical dans les locaux de l'UEHC.

Outre l'affichage, cet atelier est repéré sur le planning de la semaine. Il a lieu dans un premier temps,

une fois par semaine le lundi après midi de 15 heures à 16 heures pour une durée d'une heure

environ. Si les jeunes « accrochent », l'atelier pourrait se prolonger au-delà d'une heure.

L'atelier pourrait aussi avoir lieu plusieurs fois dans la semaine à des horaires non définis à l'avance

afin que d'autres jeunes intéressés puissent également y participer de manière plus spontanée.

Je commencerais d'abord par un apprentissage simple qui consistera à reproduire une mélodie que les

jeunes connaissent déjà (et qu'ils auront choisie). La difficulté sera progressive. Elle consistera à

savoir jouer seul ou à plusieurs sur les mêmes mélodies mais avec des particularités. Il s'agira de bien

savoir s'écouter pour jouer au bon moment pour un rendu correct.

60 ANDRE, Christophe ; « Imparfaits, libres et heureux : pratiques de l'estime de soi » ; Éditions Odile Jacob, 2009 ; p.72

42

Page 49: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Le contenu de l'atelier n'est pas figé. Ce que j'ai prévu de travailler à la base peut ne pas avoir lieu

immédiatement car les jeunes voudront peut-être travailler autre chose. C'est sur cet autre chose, que

je vais caler le contenu de mon activité afin de rendre les jeunes davantage auteurs de leurs

apprentissages même si leurs ambitions me paraissent élevées pour les jeunes qui n'ont aucune base

musicale. Dans tous les cas, il s'agira de « faire avec » afin de maintenir leur mobilisation. La

difficulté que les jeunes auront eux-mêmes « choisie » pourrait leur montrer que leur motivation est

un moteur pour progresser et qu'elle dépasse les difficultés qu'ils pourraient rencontrer.

Dans un second temps, selon la progression de chacun des jeunes, selon leur envie et s'ils sont prêts,

j'envisagerais peut-être de mettre en valeur leurs acquis en établissant à terme, un petit programme

pour la fête de la musique par exemple ou pour un autre événement. Le projet est ambitieux mais à

double tranchant. Ce projet est réalisable sous réserve qu'il s'agisse des mêmes jeunes et qu'ils soient

très assidus aux ateliers. Il se peut que ce projet mettre les jeunes sous pression. S'exposer devant un

public n'est pas anodin. Certains jeunes ne seront peut-être pas prêt à affronter un public même s'ils

connaissent parfaitement leur partie à jouer. Les volontaires au départ peuvent aussi ne plus vouloir

s'investir, ce qui rendrait le projet final difficilement réalisable surtout s'il s'agit d'un morceau

travaillé à plusieurs voix. Ceux qui s'impliquent vraiment dans cet atelier pourraient voir dans ce

projet, comme une sorte de défi à relever, un but à atteindre, un sens à donner à leurs apprentissages.

Il faudra là aussi faire avec et préparer progressivement les jeunes au cas où ce projet aboutirait

vraiment. De leur assiduité, de leur réelle implication et de leurs appréhensions dépendra sa mise en

place. Il s'agit là de l'objectif final. C'est une sorte de récompense pour les jeunes qui pourront voir

leur travail mis en valeur et un moyen probable de restaurer durablement l'estime de soi.

2. Les moyens à disposition de l'atelier

2.1 Les moyens matériels2.1 Les moyens matériels

Pour créer un atelier musical et permettre à tous les jeunes de s'adonner à cette activité de façon

régulière, j'ai sollicité ma direction pour acheter des instruments en plus du mien (que je prends

lorsque je suis de service) puisque l'UEHC n'était doté d'aucun instrument de musique et qu'il s'agit

de quelque chose de nouveau. En janvier 2018, j'ai donc obtenu l'accord pour l'achat de 2

xylophones, un clavier électrique et un tambourin. Ainsi, selon leur motivation, 3 à 4 jeunes environ

pourront bénéficier de ce matériel pour travailler en même temps. Le clavier et les xylophones seront

utilisés pour les mélodies et le tambourin pour les rythmes. Si un jeune est un peu moins à l'aise avec

les notes à mémoriser mais davantage sur les rythmes, il pourra tout de même prendre part à l'activité

via le tambourin qui est un petit instrument à percussion.

43

Page 50: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

L'atelier en soi aura lieu dans la salle commune, c'est-à-dire dans la salle à manger compte tenu qu'il

n'existe pas réellement d'espace adapté et isolé pour travailler la musique. Il convient donc de faire

avec l'espace existant sachant qu'il est exposé aux divers allers et venues et à la vue de tous.

2.2. Les moyens humains2.2. Les moyens humains

L'atelier devrait être animé par moi-même et éventuellement par un ou deux éducateurs. Pour moi

c'est une première expérience car je n'ai jamais animé d'atelier musical et je ne suis pas professeur de

musique. Je ne savais pas non plus si j'avais ou non les compétences pédagogiques pour le faire.

J'ai donc commencé à « faire avec » les jeunes en m'inspirant de ce qu'ils veulent jouer. Sachant que

les jeunes veulent du concret, j'ai préféré mettre en avant la pratique avec les instruments tout en

utilisant le solfège de façon un peu détournée puisque je leur montre et leur explique la partition.

Mais l'accent est davantage mis sur la mélodie à mémoriser car il était difficile de lire en notes et de

jouer sur le xylophone en même temps.

Compte tenu que ma direction veut voir cet atelier perdurer après mon départ de l'UEHC, il me fallait

aussi « former » un ou plusieurs de mes collègues pour cette activité. Mais il n'est pas facile d'avoir

un éducateur disponible et motivé pour faire ce type d'activité avec moi. Certains pensent d'ailleurs à

tort qu'il faut avoir certaines compétences, notamment des compétences en solfège, ce qui n'est pas

du tout le cas. Tout dépend de ce qu'on veut faire apprendre aux jeunes. En général, avoir une bonne

oreille musicale est largement suffisant.

Depuis fin janvier 2018, les instruments étaient enfin à disposition pour cet atelier. Toutefois, rien n'a

changé puisque je suis toujours seule pour mener l'atelier. Je n'avais plus le sentiment d'être soutenue

comme au début et les jeunes n'étaient plus stimulés par l'équipe éducative. Pourquoi ?

La musique est souvent considérée comme « pas sérieuse » alors qu'elle apporte énormément au

développement humain. Des travaux en neurosciences l'ont d'ailleurs confirmé. Les jeunes placés à la

PJJ sont des jeunes en souffrance et je remarque que la musique leur fait du bien.

Il se peut aussi que l'équipe éducative vive l'atelier musical comme une pression. Il m'a été demandé

de « former » l'un d'entre nous pour faire perdurer l'activité qui est assez particulière. Elle s'entend,

elle fait du bruit, elle peut déranger. Ce n'est pas comme un atelier dessin. Les éducateurs qui n'ont

jamais fait de musique peuvent aussi être frustrés. Ils ne réalisent pas qu'on peut apprendre à jouer

d'un instrument même sans jamais avoir appris le solfège. L'équipe éducative semble démunie devant

une pratique musicale. Comme je me débrouille très bien dans cet atelier, l'équipe me laisse faire.

44

Page 51: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

2.3. Les moyens financiers et éventuel partenariat2.3. Les moyens financiers et éventuel partenariat

Après avoir établi un devis pour l'achat d'instruments de musique et obtenu l'accord de ma direction,

j'ai pu envisager de démarrer officiellement mon atelier musical avec les jeunes. Les dits instruments

sont arrivés fin janvier 2018.

Parallèlement, j'ai fait des recherches en vue d'un éventuel partenariat auprès d'un directeur de centre

social à proximité de l'UEHC. J'avais constaté sur leur site web qu'il existait par leur intermédiaire,

des ateliers musicaux. Le partenariat ne s'est pas fait car il m'a été précisé que ce centre social n'avait

plus d'intervenant pour ces ateliers.

J'ai pris également contact avec l'association « l'inter(s)tisse » et en l'occurrence, avec la personne

chargé du projet « graines de musiciens ». Cette personne est déjà intervenue dans le cadre du jeu

d'orchestre dans des lieux de privation de liberté de la région Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Haute-

Normandie. J'ai donc pensé à un éventuel partenariat avec eux par le biais d'orchestre participatif en

vue de mettre en valeur le travail des jeunes qui nous sont confiés.

Après avis de ma direction, ce partenariat n'aura probablement pas lieu pour plusieurs raisons. Son

coût est assez élevé (2 118€), sa mise en place pourrait se faire au plus tôt en septembre 2018, et il

n'est pas garanti que je sois encore présente dans cet UEHC en septembre pour accompagner les

jeunes dans cette aventure. Dans l'immédiat, les ateliers musicaux se déroulent toujours dans les

locaux de l'UEHC et sont animés par moi-même.

Quant au partenariat avec l'ONL (Orchestre National de Lille), il aurait fallu établir un projet pour la

prochaine saison musicale 2018-2019. Pour cette prochaine saison, il n'est pas non plus certain que je

puisse rester à l'UEHC. Mais les jeunes pourraient assister au concert du 21 juin 2018. Il est donné

par des enfants encadrés par des professionnels et qui ont participé aux ateliers de l'année à l'ONL.

3. Déroulement de l'atelier musical à l'UEHC

3.1 présentation de l'atelier aux jeunes3.1 présentation de l'atelier aux jeunes

J'ai créé une affiche de présentation de l'atelier musical qui est désormais visible sur le tableau noir

de la salle à manger ainsi que sur la porte vitrée donnant sur cette salle commune à côté du bureau

des éducateurs, en vue d'informer les jeunes de cette activité inédite à l'UEHC et accessible à tous.

Le but étant d'apprendre la musique tout en se faisant plaisir. Toutefois, il est possible que des jeunes

ne soient pas présents au moment prévu de l'atelier, soit parce qu'ils sont encore au collège/lycée, soit

en rendez vous à l'extérieur (médical, pôle emploi, scolarité...). Dans ce cas, selon mes disponibilités

et celle des jeunes, l'atelier aurait lieu en individuel à des moments non programmés à l'avance. Ce

qui permettrait aussi de faire un travail plus intense et approfondi avec chaque jeune afin de restituer

le travail de chacun dans le collectif lorsque c'est possible.

45

Page 52: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

3.2 La mise en place du premier jour de l'atelier3.2 La mise en place du premier jour de l'atelier

Le premier atelier a donc eu lieu le lundi 29 janvier 2018 à 15 heures, juste après ma fin de service.

J'avais à disposition le clavier électrique. Les deux xylophones étaient encore en attente de livraison.

J'emmenais donc systématiquement mon xylophone lorsque j'anime l'atelier. Ce jour là, peu de

jeunes étaient présents sur la structure et n'étaient pas vraiment motivés. Même Hamed qui était

demandeur à la base n'a pas voulu participer et Bertrand a fait l'objet d'une réorientation en CER

(Centre Éducatif Renforcé). Lucien, un jeune de 16 ans, arrivé depuis les vacances de Noël m'a dit ne

pas aimer la musique à part le métal. Il a quand même fait l'effort de participer. Il était le seul

« volontaire » après qu'un éducateur l'ai encouragé à essayer. J'étais seule pour animer l'atelier.

Lucien n'accrochait pas vraiment mais essayait. Il ne connaît pas la musique. Avec lui, j'ai réalisé que

ce qui peut paraître une évidence pour moi, ne l'était pas pour lui. Lorsque j'ai commencé à chanter

en nommant les notes de l'extrait de la marche impériale Stars Wars qui est un extrait très connu des

jeunes, j'étais surprise que Lucien me demande où se trouve le SOL alors qu'il venait de jouer le LA.

Connaître la gamme de DO majeur (la base) n'est donc pas une évidence. Lucien ne savait pas que le

SOL était juste avant le LA, (la première note à la gauche sur le clavier). Il me fallait donc revoir la

façon de travailler avec les jeunes dans l'apprentissage des notes afin de rendre l'activité plus facile à

suivre. En effet, l'apprentissage pur de la musique et notamment des notes tout comme le solfège

s'apparente à la manière dont on apprend à l'école. D'ailleurs, on parle souvent « d'école » de danse,

de dessin, de musique. On peut donc assez facilement imaginer la difficulté d'insertion scolaire d'un

jeune comme la difficulté d'insertion dans la société.

L'atelier s'était donc déroulé avec Lucien qui s'est plutôt bien investi par la suite malgré les

difficultés. Je lui ai appris le thème principal de « Pirates des Caraïbes », qui est connu du public en

général et qui me semble plus facile à jouer que Stars Wars. Je n'ai pas pu vraiment évaluer sa

progression car la semaine suivante, Lucien a enfin eu la chance d'être re-scolarisé au lycée, à

proximité du foyer en classe de première scientifique. Il m'a dit ne pas être contre l'idée de

poursuivre l'atelier mais il préfère donner la priorité à ses études et rendre ses devoirs en temps

voulu, attitude que bien sûr, j'ai encouragé puisque l'insertion scolaire est une priorité.

3.2.1.Premier atelier musical avec Alexandre

Alexandre est arrivé à l'UEHC en janvier 2018. J'ai fait sa connaissance le premier jour de l'atelier où

je lui explique ce que je venais tout juste de faire avec Lucien. Intéressé, Alexandre me dit vouloir

essayer le xylophone mais qu'il n'en a jamais fait. Je lui ai répondu qu'il pouvait apprendre même s'il

n'a jamais fait de musique et que ce n'est pas grave s'il se trompe. Alexandre se laisse tenter.

46

Page 53: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

On s'installe dans la salle de « détente », un lieu qu'il a lui même choisi pour travailler tranquillement

mais dans lequel on peut quand même être dérangé par des allers et venues même s'ils sont réduits.

Sur le xylophone, le nom des notes est gravé sur les plaques, ce qui permet un meilleur repérage. Je

lui explique comment repérer le son du plus grave au plus aigu, les demi tons etc.... J'entame ensuite

avec lui l'extrait de Star Wars. Après avoir mémorisé la mélodie, Alexandre dit « ça y est, je sais

jouer Dark Wador ». Il me demande si je sais jouer « Vois sur ton chemin », (la chanson « phare » du

film Les Choristes). Je commence à lui jouer les premières notes sur le xylophone et il me dit « c'est

génial, j'aimerais bien savoir le faire ». Je lui dit les notes en les chantant et Alexandre les joue au

fur et à mesure. Le voyant mobilisé, je lui promets pour la prochaine séance, de lui faire et de lui

transmettre une partition musicale simplifiée (annexe 8) avec les notes inscrites clairement dessus

pour lui permettre de les lire et de se repérer plus facilement.

3.2.2. Premier atelier musical avec Laurent

Le lendemain, un mardi après midi, je rencontre Laurent qui revenait du lycée. Je vais à sa rencontre

et nous commençons à discuter autour d'une partie de baby-foot. Laurent avait déjà participé une

première fois à cette activité improvisée le soir où j'ai démarré avec Bertrand. En me montrant

l'affiche que j'avais placardée, Laurent me dit qu'il aurait bien voulu participer à cet atelier.

Je saisis l'occasion en lui disant que j'ai toujours mon xylophone personnel sur moi et je lui propose

une séance individuelle qu'il accepte avec joie. Alexandre était absent car il était en fugue. Sachant

Laurent plus à l'aise sur le clavier électrique, je lui propose de choisir l'instrument sur lequel il

souhaite travailler. Laurent me demande le clavier électrique. Je prends donc mon xylophone pour

l'accompagner. Nous prenons place dans la salle commune. Laurent sur le clavier et moi-même sur le

xylophone. Je propose à Laurent de jouer « Vois sur ton chemin », extrait qui m'avait été demandé

par Alexandre la veille. Selon moi, cet extrait n'était pas trop difficile à jouer car je l'avais simplifié et

écourté par rapport à la version originale afin de le rendre plus accessible en terme d'apprentissage.

Laurent semble avoir des difficultés pour jouer les notes même quand je les lui chante. Il commence

un peu à s'énerver. Malgré mes encouragements, il se braque mais sans être ni impatient, ni violent

verbalement. Il essaie de se contrôler et finit par me dire « c'est pas la peine, j'y arriverai pas ». Je

n'insiste pas davantage et commence à jouer autre chose avec lui pour ne pas risquer de le saturer,

quitte à revenir sur ce morceau là après. De plus, il n'est pas évident d'être efficace après l'école.

Le soir même, après le repas, Alexandre, rentré de fugue émet le désir de reprendre le xylophone

pour s'entraîner sur « Vois sur ton chemin » un morceau qu'il avait choisi de travailler au départ.

Laurent, à ma grande surprise, souhaite lui aussi reprendre l'activité sur ce même morceau.

47

Page 54: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Je reprends donc ces 2 jeunes en activité avec moi et les installent en salle commune, Alexandre sur

le xylophone et Laurent sur le clavier. Tous les deux commencent à jouer « vois sur ton chemin ». Je

les accompagne en chantant les notes. Je remarque qu'Alexandre entraîne Laurent. Ils jouent les

notes ensemble et semblent se tirer mutuellement vers le haut. Laurent finit par réussir à l'endroit où

il n'arrivait pas 2 heures auparavant. A un moment, ils réussissent presque à jouer tous les deux à

l'unisson. Je les félicite tous les deux. Malheureusement, je n'ai pas eu le réflexe d'enregistrer leur

travail à cet instant précis. Peut-être que ça aurait un peu perdu de sa spontanéité et c'était le premier

atelier de Laurent.

L'entraînement a duré plus d'une heure, sans signe de saturation et Laurent cette fois, n'avait plus du

tout envie de s'arrêter. Il semblait comme « remonté à bloc » et re-mobilisé par ses nouveaux progrès.

L'atelier a pris fin au moment du coucher des jeunes.

Durant tout ce temps, je n'avais aucun éducateur avec moi. Seul un collègue passait de temps à autre

dans la salle commune pour s'assurer qu'il n'y avait aucun débordement de la part des jeunes. Un

autre collègue qui était également de service avec moi m'a fait remarquer que la musique avait l'air

d'avoir un effet positif chez ces 2 jeunes. Cet atelier leur fait du bien, ça les détend. Il ajoute que ce

n'est pas facile de faire ce type d'atelier avec notre public. Il m'a encouragé à poursuivre avec ces 2

jeunes voire 3 jeunes au maximum. Au delà, selon lui, c'est difficilement gérable.

Laurent n'a jamais vu le film et ne connaît pas non plus les mélodies jouées dans ce film. Dans le

couloir menant au dortoir, Laurent était en train de fredonner la musique du film et je me suis

aperçue qu'il chantait les notes justes et dans la bonne tonalité. Il semblait presque surpris lui-même.

Ce soir là, Laurent m'a dit en riant : « Muriel je te hais, maintenant j'ai la mélodie dans ma tête !! ».

Il m'a même dit qu'il avait envie de voir ce film. J'ai constaté que la mémoire musicale commençait à

opérer sur Laurent.

PROFIL DE LAURENT ET D'ALEXANDRE61

Alexandre est un jeune de 17 ans au profil abandonnique selon la psychologue du service. Il est

arrivé à l'UEHC en novembre 2017 suite à un déferrement pour menaces et outrages sur agent chargé

de mission de service public. Il fait l'objet d'une OPP jusqu'à sa majorité prévue en juin 2018.

Alexandre est placé à l'ASE depuis ses 2 ans. Issu d'une fratrie de 4 enfants, il est le second enfant de

la première union de sa mère. Ses parents sont divorcés et n'a plus de contact avec son père qui s'est

remarié. Sa mère s'est aussi remariée et a eu 2 filles. Alexandre a toujours vécu dans un climat

familial violent.

61 Données issues des réunions, des dossiers de jeunes et des éléments consignés sur mon carnet de bord

48

Page 55: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Son premier passage à l'acte date de 2015 où il a connu son premier placement au pénal dans le

Douaisis. Sa situation s'est dégradée par la suite et une réorientation en CER avait été décidée avant

d'arriver à l'UEHC. Alexandre est très sensible, respectueux du cadre et vis à vis des adultes mais il a

beaucoup de mal à gérer sa frustration. Il semble lui aussi, souffrir d'une faible estime de soi.

Alexandre est actuellement déscolarisé. Il a réussi les tests d'admission aux compagnons du devoir et

doit chercher un patron pour commencer sa formation en apprentissage. Un travail sur le projet de

l'autonomie ou semi autonomie doit être réalisé à l'approche de sa majorité prévue en juin 2018.

Malgré de la bonne volonté, Alexandre semble se réfugier dans l'évitement. Il dit vouloir s'orienter

dans les métiers du bâtiment mais lorsqu'on lui propose un accompagnement, il adhère et lorsqu'il

voit l'échéance arriver (un rendez-vous pris par exemple), il fuit et dit que finalement, la branche de

ce métier ne lui plaît pas et qu'il veut s'orienter dans autre chose. Il est sujet aux fugues régulières, ce

qui compromet gravement son projet d'insertion à l'approche de sa majorité.

Durant les congés scolaires de février 2018, avec l'aide de l'équipe éducative, Alexandre a effectué

un stage de découverte de 2 jours, puis un stage d'immersion de 5 jours dans le bâtiment auprès des

« Apprentis d'Auteuil ». Il s'agit d'une fondation d'aide à l'insertion des jeunes en difficulté sociale.

Cette fondation propose des formations en apprentissage et accompagne les jeunes pour trouver un

patron. Ce stage d'immersion a l'air de plaire à Alexandre qui semble maintenant s'investir davantage.

Depuis le début de ces stages, je constate qu'Alexandre se ré-investit dans la pratique musicale alors

que dans les 2 semaines qui précédaient, il s'en désintéressait, la refusait et était souvent en fugue.

Comme Alexandre, Laurent a aussi un profil abandonnique. Placé à l'ASE depuis l'âge de 3 ans et a

lui aussi vécu dans un climat familial violent. Laurent vient d'avoir 17 ans. Il est le 3ème enfant d'une

fratrie de 6 enfants. Tous les enfants sont placés à l'exception des 2 derniers (2 filles scolarisées en

maternelle). Sa mère a connu 4 unions différentes. Laurent est issu de la première union.

Impulsif, en très grande difficulté pour gérer sa violence ses émotions et sa frustration, Laurent est

sous traitement médicamenteux depuis juillet 2017, traitement qui lui a été donné lors d'une

hospitalisation en psychiatrie.

Laurent a été suivi en assistance éducative puis placé depuis ses 3 ans. Confié d'abord dans la même

famille d'accueil durant 10 ans, il semble avoir vécu un nouvel abandon lorsque cette famille

déménage dans une autre région. Laurent tente alors de se trouver une nouvelle place dans sa famille,

en l'occurrence avec sa mère. Il n'a qu'une hâte, celle d'avoir 18 ans et de retourner chez sa mère.

Laurent a une très mauvaise opinion de lui-même. « je suis une grosse merde, je ne sers à rien, je ne

compte pour personne » dit-il. Laurent a des idées suicidaires et aucun repère parental.

49

Page 56: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Contrairement à Alexandre, Laurent est scolarisé. Il a un profil ITEP. Sa prise en charge en ITEP a

pris fin à son initiative lors de son entrée au lycée. Laurent prépare un CAP (Certificat d'Aptitude

Professionnelle) en ébénisterie. Les notes sont moyennes mais il y a un réel investissement.

Laurent semble pour le moment tenir son insertion mais il a déjà fait l'objet de renvois temporaires

par la CPE (Conseillère Principale d'Éducation) pour mauvais comportement. S'intégrer aux autres

élèves est difficile pour lui. Il ne sait pas verbaliser et interpeller la CPE lorsque ça ne va pas. Il se

dévalorise très facilement. C'est un jeune très courageux. Sa formation en ébénisterie le narcissise et

le sort un peu de son « handicap ».

Inconnu des services de la PJJ, Laurent connaît son premier placement au pénal pour des faits de

violences et dégradations. Placé à l'UEHC depuis novembre 2017, son OPP devait se terminer

théoriquement au 2 mars 2018. En réunion de synthèse du 23 février 2018, il a été convenu de

demander un renouvellement de placement au magistrat afin de le maintenir dans sa scolarité et de

préparer la rentrée de septembre 2018.

Avec les adultes de l'UEHC, Laurent a progressé mais il peut se montrer violent avec les objets. Très

sensible au regard d'autrui, il a un besoin constant de se sentir valorisé. Actuellement, Laurent

bénéficie d'un placement séquentiel de 2 nuits par semaine en internat au lycée. Il bénéficie

également d'un retour chez sa mère depuis peu, après avoir eu l'accord du magistrat. D'abord en

journée en début de placement puis le week-end complet. Les retours en famille se passent bien.

4. Récurrence de l'atelier musical

Avant la mise en place officielle de l'atelier en janvier 2018 avec les instruments acquis par l'UEHC,

j'ai continué à faire cette activité avec mon xylophone en attendant l'accord officiel de la direction.

Bertrand avait bien accroché. Des progrès se sont fait sentir rapidement mais je n'ai pas pu mesurer

l'impact de cette activité sur son comportement ou sur son insertion car l'intéressé a fait l'objet d'une

réorientation en CER courant janvier 2018. En l'absence de Bertrand, Hamed s'est beaucoup moins

investi. Un jour où était seul à l'UEHC et disait s'ennuyer, je lui propose l'atelier en individuel. J'avais

remarqué que Hamed progressait bien en individuel. Sachant qu'il était seul, je ne pensais pas qu'il

refuserait car il n'y avait pas la pression du regard des pairs. Pourtant il a refusé en me disant « j'en ai

rien à foutre de ta musique, ça ne m'apportera rien et de toute façon, c'est pas une activité

obligatoire ». Il est probable que le départ en CER de Bertrand contribuait à son refus et se sentait

sans doute moins mobilisé. Bertrand était un moteur pour Hamed qui était tenté de le suivre dans cet

atelier. Pour progresser, il faut se mobiliser et travailler régulièrement. Ce jour là, Hamed qui se

sentait seul, n'était pas disposé à faire des efforts et pas prêt à accepter la critique pour progresser.

50

Page 57: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

J'avais tenté d'amorcer une approche musicale avec Fabrice, un jeune qui n'est pas non plus musicien.

A l'occasion d'une discussion avec lui alors que je l'accompagnais pour un rendez vous médical,

Fabrice me disait aimer écouter de la musique mais ne pas aimer en faire. Il n'en voyait pas non plus

l'utilité mais il a appris que la musique est mon sujet de mémoire. Il a alors décidé de s'investir.

J'avais décidé de travailler sur « Dolannes mélodies », un morceau joué par Jean-Claude Borelly à la

trompette. La reproduction de cette mélodie par Fabrice sur le xylophone s'était faite « à l'oreille ».

Fabrice prenait appui sur le fichier audio que j'avais mis en haut parleur sur mon téléphone portable

et sur les notes que je lui chantais au fur et à mesure qu'il jouait. Je n'avais pas de partition.

Michel, un jeune arrivé depuis une semaine, déscolarisé, nous a rejoint dans la salle commune.

Lorsque je l'ai invité à jouer. Il n'a pas voulu mais il nous observait. Il semblait mémoriser facilement

les notes que je chantais car il a fini par guider Fabrice en lui disant les notes. J'ai fini par demander à

Michel s'il voulait essayer en lui disant que ce n'est pas grave s'il se trompe. Il a fini par se laisser

convaincre et a réussi lui aussi, encouragé par Fabrice et par moi-même.

Devant sa progression, j'ai augmenté la difficulté en faisant jouer Michel sur ce même morceau avec

un accompagnement à l'unisson à la trompette. Pour ce faire, j'ai remis en haut parleur sur mon

téléphone portable, le morceau audio de « Dolannes mélodies » de Jean-Claude Borelly. Michel a

commencé à jouer en même temps que la trompette. Ce n'était pas un exercice facile car il fallait

suivre la trompette et continuer quoi qu'il arrive. J'étais très surprise de voir que Michel qui n'est pas

musicien savait se concentrer et réussir non sans difficulté. J'ai dit à Michel que dans l'exercice qu'il

venait de faire, il était en train de développer sa concentration et de solliciter sa mémoire visuelle et

auditive. Cette façon de procéder est identique à celle qu'il pourrait utiliser dans le cadre scolaire.

Michel m'a dit « oui mais à l'école, c'est pas la même chose ». J'en ai déduit qu'un jeune doit aussi

prendre plaisir dans ce qu'il fait pour apprendre. L'école a tendance à oublier cette notion de plaisir

pourtant indispensable et qui mobilise le jeune surtout chez les jeunes en grande difficulté scolaire ou

sociale. Michel semblait avoir pris plaisir à jouer de la musique malgré la difficulté liée à

l'apprentissage de la musique alors qu'au début, il avait refusé cette activité.

L'affirmation de Michel interroge. Comment l'école pourrait amener un élève qui ne veut pas, qui ne

peut pas ou qui n'arrive pas à s'investir en classe, à prendre plaisir à apprendre ? L'école reproduit les

inégalités d'apprentissages scolaires et tend à exercer sur les élèves, une violence symbolique

institutionnalisée qui réduit toute perspective de carrière et d'évolution sociale, incitant presque

l'élève à « rester à sa place ». Les élèves qui réussissent le mieux sont souvent issus de classes

supérieures. Difficile pour un élève des classes populaires, de trouver sa place à l'école.

51

Page 58: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Lorsque j'ai commencé la pratique musicale avec Fabrice, Michel était réfractaire mais intéressé

puisqu'il il nous observait. Il se peut que ma façon de fonctionner avec Fabrice l'ait incité à prendre le

risque d'essayer. De plus, je lui avais dit que ce n'est pas grave s'il se trompe. Il en a le droit et je suis

là pour le soutenir. L'école accorde-t-elle le droit à l'erreur ?

Comme avec Bertrand, je n'ai pas pu mesurer l'impact de la musique avec Michel car son placement

arrivait à son terme suite à une demande de mainlevée de placement. Toute tentative d'insertion a été

mise en échec par Michel à l'approche de sa majorité. Il se peut que Michel n'ait pas réussi à trouver

dans cette tentative d'insertion, quelque chose qui puisse vraiment l'accrocher et l'intéresser.

Une fois les instruments attendus enfin livrés, j'ai pu amorcer officiellement mon atelier musical en

janvier 2018. Je pensais continuer avec Alexandre qui progressait bien, mais il était parti en fugue. Je

n'avais donc aucun jeune présent et motivé. Je me demandais alors si cet atelier pourrait vraiment

avoir lieu ce jour là et Hamed semblait être sous l'influence négative de Gaëtan, un nouvel arrivé,

sorti de détention. Le départ de Bertrand semblait avoir affecté Hamed qui s'était probablement senti

plus vulnérable, plus fragile. C'est un ressenti inconfortable pour lui. Le fait de voir arriver Gaëtan,

un jeune qui donne l'impression de « faire ce qu'il veut », Hamed s'est rapproché de lui pensant sans

doute se sentir moins vulnérable et moins seul.

Hamed me disait qu'il ne participera pas à l'activité s'il n'y avait pas de piano. Je lui ai montré le

clavier électrique au dessus de l'armoire dans le bureau des éducateurs en lui disant que cet

instrument n'attendait plus que lui. Hamed qui se trouvait en présence de Gaëtan s'est rétracté. C'est

ce jour là que j'ai commencé l'atelier avec Lucien. Entre-temps, Alexandre était revenu de fugue. Il

avait manifesté la volonté de poursuivre son apprentissage sur « Vois sur ton chemin ». L'atelier a

donc finalement eu lieu d'abord en individuel, en dehors de mon temps de service, puis le lendemain

après midi avec ces deux jeunes.

Le vendredi 9 février, Laurent n'était pas allé au lycée à cause de la météo (neige). Je prenais mon

service à 14 heures. Le lundi de cette même semaine, l'atelier musical n'avait pas eu lieu faute de

participants. Laurent qui jouait au baby-foot m'a aperçue et m'a demandé si je pouvais faire un atelier

musical ce jour là. Nous étions plusieurs éducateurs présents dans le service. Compte tenu que toutes

consignes avaient été réalisées, j'ai accédé à la demande de Laurent qui me dit préférer travailler sur

le clavier électrique. Contrairement au xylophone, les notes ne sont pas gravées sur les touches du

clavier. Je me suis souvenue que Laurent avait des difficultés à retrouver les notes sur le clavier. Pour

faciliter son apprentissage de la musique, avec l'aide de Laurent, j'ai inscrit les notes sur une feuille

de papier puis les ai découpées pour les coller avec du ruban adhésif sur chaque touche du clavier.

52

Page 59: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

A la fin de l'atelier précédent, Laurent avait émis le désir d'apprendre « Lettre à Élise » de Beethoven.

Ce vendredi après midi, je lui ai remis à sa demande, une partition que j'avais retravaillée en y

inscrivant clairement dessus le nom des notes (annexe 6). Il s'agit d'une façon un peu détournée, de

lui montrer l'intérêt de connaître le solfège.

Je m'aperçois que Laurent s'investit davantage de cette façon car je lui ai expliqué les rythmes (la

valeur des notes) qu'il voit sur la partition et il connaît désormais le nom des notes par le fait de les

avoir marqués. La mélodie est selon moi difficile à jouer mais Laurent a choisi de la travailler. Il est

très motivé. Je lui chante les notes à jouer et Laurent appuie sur les touches du clavier au fur et à

mesure jusqu'à ce que la mélodie commence à ressembler à la version originale.

Pendant ce temps, deux collègues se tenaient à l'entrée de la salle commune, devant la porte vitrée

restée ouverte et nous écoutaient. L'un d'entre eux a dit à Laurent « J'ai cru que c'était de la musique

que tu avais mis sur ton téléphone portable ». Laurent avait compris qu'il venait de recevoir un

compliment de la part d'un éducateur mais il ne semblait pas perméable à ça, un peu comme s'il

n'arrivait à s'attribuer le mérite de ses efforts. Après 55 minutes de travail intensif, Laurent a voulu

s'arrêter. J'ai préféré ne pas trop le pousser pour ne pas risquer de le saturer et de le démobiliser par la

suite. Et j'ai bien fait. Après une pause de 2 heures, Laurent m'a re-sollicitée.

J'ai repris l'activité avec Laurent en fin d'après midi avec « Lettre à Élise », puis j'ai tenté de lui faire

apprendre « Hymne à la joie » de Beethoven (annexe 7). Laurent ne s'en sentait pas capable. Je lui ai

dit que cette œuvre est plus facile que « Lettre à Élise » et que je suis sûre qu'il va y arriver. Je ne me

suis pas trompée car il a réussi à la jouer après 15 minutes d'entraînement. J'ai terminé la séance avec

« Vois sur ton chemin » du film Les Choristes. Laurent chante les notes et en même temps, les joue

sur le clavier électrique. Je m'aperçois que cette musique est déjà dans sa tête. Sa mémoire musicale

est en train de travailler. Il devient auteur de ce qu'il joue, une sorte de « chef d'orchestre », il

commence à se diriger, peut-être même à diriger son avenir.

Le 19 février, je repropose l'activité musicale à Alexandre qui, pour la première fois la refuse. Un

projet d'insertion était en train de se concrétiser puisque Alexandre était supposé faire un stage de

découverte dans les métiers du bâtiment, suivi d'un stage d'immersion. Il s'agit d'une formation qu'il a

choisie. Je m'aperçois qu'à l'approche de cette échéance, Alexandre est dans la fuite, l'évitement.

Sa dernière participation à un atelier musical remonte au 12 février, date à laquelle Hamed et Gaëtan

sont venus perturber la séance qui a pris fin à mon initiative, suite aux débordements de ces 2 jeunes.

Depuis, Alexandre ne semblait plus vouloir s'investir. Il en garde probablement un mauvais souvenir.

53

Page 60: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Il a fallu attendre la semaine suivante pour qu'il retrouve un minimum de mobilisation, probablement

depuis l'intérêt qu'il a manifesté pour son stage de découverte, l'arrivée de Jacques, un nouveau venu

qui semble mobilisé pour la musique et Laurent qui veut toujours apprendre de nouvelles choses.

Laurent est désormais capable de jouer les 2 extraits de Beethoven à l'unisson avec quelqu'un d'autre

sans être perturbé par le fait qu'il ne joue pas seul. Très motivé, il travaille avec moi au point que je le

crois fatigué. Laurent m'a dit dernièrement « je ne serai jamais fatigué pour la musique ». Alexandre

est revenu nous rejoindre. Jacques, le nouvel arrivé est également motivé. Je me suis aperçue qu'il

apprenait vite sur « Vois sur ton chemin ». Laurent semble tirer à son tour, ces 2 jeunes vers le haut.

Il me semble ambitieux et me demande maintenant de travailler des morceaux « en canon ».

Avec Alexandre et Jacques présents à l'atelier, je pense que c'est désormais possible et il s'agit aussi

d'une demande qui émane d'un jeune. J'ai réalisé que lorsque je travaille à partir du désir du jeune,

j'ai davantage de résultats. Leur mobilisation peut être entretenue et l'atelier pourrait bien perdurer.

Fin février, alors que j'avais Laurent seul en atelier musical, mon collègue qui était de service avec

moi lui avait dit « J’ai appris que tu progresses vraiment bien, que tu sais jouer, j'aimerais beaucoup

t'entendre ». Mon collègue avait lu ce que j'avais noté sur le cahier de bord du service, notamment les

progrès et la ténacité de Laurent. Après que Laurent lui ai joué « Lettre à Élise », mon collègue lui a

dit « c'est magnifique, moi je serais incapable de faire ce que tu viens de faire ! ».

Laurent a également eu l'occasion de jouer cet extrait lors du passage du directeur de service. J'ai

senti que Laurent commence à s'affirmer davantage. Il n'a pas hésité à jouer devant le directeur qui l'a

applaudi en lui disant lui aussi, qu'il serait incapable de faire ce qu'il a fait.

Laurent m'a dit qu'il sentait ses capacités musicales augmenter. Il souhaite à présent jouer « The final

coundown » du groupe Europe (annexe 9) et la musique du film « Harry Potter » (annexe 10). Bien

que je lui ai dit que Harry Potter est un morceau très difficile à jouer, Laurent ne semble pas reculer

devant la difficulté. Il m'a dit « je sais, mais je suis tellement motivé que je suis prêt à tout pour y

arriver. En plus, j'ai réussi Lettre à Élise, je pourrais aussi réussir Harry Potter ! ». Je pense que

Laurent a tout à fait raison de penser ainsi. Il est entré dans un cercle vertueux. Il essaie de nouvelles

choses, il réussit, comme il réussit, il se mobilise davantage et n'a plus peur de se tromper.

Lorsque j'ai apporté la partition de Harry Potter retravaillée le 4 avril 2018, j'ai suscité l'intérêt d'un

collègue qui s'est joint ponctuellement à l'activité. Il a même pris en photo cette partition.

Au départ, Laurent était complètement insensible aux compliments d'autrui pourtant largement

mérités. Petit à petit, se sentant fier de ce qu'il est capable de faire, il commence à les accepter. De

plus, ces compliments proviennent de personnes adultes différentes et qui font autorité sur lui.

54

Page 61: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

4.1 Les progrès réalisés par les jeunes4.1 Les progrès réalisés par les jeunes

Laurent m'a confié que lorsqu'il partait en permission pour le week-end chez sa mère, en attendant le

train, il utilisait le piano à disposition à la gare et s'entraînait sur les morceaux qu'il avait appris avec

moi. Il se peut qu'il se découvre des capacités qu'il ne pensait pas avoir et qu'il ose être enfin lui-

même. Traumatisé, malmené depuis son plus jeune âge, Laurent a connu des interactions violentes au

détriment de la verbalisation. Laurent était probablement entré dans une dynamique destructive au

point de ne plus exister en tant que personne, de n'être plus rien. Et rien ne semble avoir été résolu.

Laurent a été très assidu et a énormément progressé depuis le début de l'atelier musical. De tous les

jeunes, je ne pensais pas qu'il aurait été le seul mobilisé à ce point et qu'il aurait autant progressé en

si peu de temps. Devant ses progrès, on pourrait croire que quelque chose en lui n'attendait que ça.

Je comptais augmenter petit à petit la difficulté en essayant d'abord, de faire un morceau avec 2 voix

différentes, joué par 2 jeunes différents en même temps. Lorsque je lui ai fait part de cette idée,

Laurent m'a dit « oulala, ça va être chaud ! ». Je lui ai dit « je suis sûre que tu en es capable ».

Laurent ne m'avait rien dit, ni par l'affirmative, ni par la négative. Il est peut-être en train de prendre

conscience que c'est possible. Je lui donne peut-être la possibilité d'y croire.

Lorsque je lui ai parlé d'une représentation publique à terme afin de mettre en valeur leurs acquis,

Laurent m'avait dit « je n'ai pas besoin de ça pour être mis en valeur ». Il se peut que Laurent ne soit

pas encore prêt à passer ce cap. Il faut du temps pour se faire à cette idée car il s'agit d'une « grande

ouverture » et d'une « grande aventure ». C'est stressant, c'est angoissant et c'est stimulant.

Réussir à passer un tel cap est une véritable épreuve pour tout être humain. Elle peut s'apparenter à

un entretien d'embauche, une rencontre pour un contrat d'apprentissage. Beaucoup de jeunes ne sont

peut-être pas encore prêts à passer ce cap.

L'objectif final qui serait de faire une représentation en public doit être réfléchi, mûri, en concertation

avec les personnes concernées, c'est-à-dire les jeunes car ce sont eux qui seront sur le devant de la

scène. Laurent m'a dit qu'il n'avait pas besoin de ça. Une représentation en public, ce n'est pas rien. Il

s'agit d'aller au plus profond de soi, de s'ouvrir aux autres, de se dévoiler, on est plus vulnérable et

Laurent sent que c'est stressant, ça fait peur. Chanter, jouer devant tout le monde, c'est difficile à

vivre mais il n'y a rien de tel pour se sentir grandi, et pour évoluer positivement.

Lui présenter cette épreuve comme un challenge pourrait être très stimulant pour Laurent. L'amener à

tenter ce challenge pourrait lui permettre de se sentir fier de lui, de se sentir plus fort car tout le

monde n'est pas capable de faire ce qu'il fait. Il sera capable de s'affirmer, d'être plus sûr de lui

lorsqu'il sera à la recherche d'un emploi. Reste à voir au fil du temps si Laurent est prêt pour tenter ce

challenge. Si ce n'est pas le cas, c'est que ce n'est pas le bon moment. Il lui faudra plus de temps.

55

Page 62: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

5. Évaluation, de l'atelier : impact sur l'estime de soi et sur l'insertion

Durant cet atelier, j'ai établi une grille d'observation du jeune (annexe 13) afin de mesurer les progrès

réalisés dans la pratique musicale en tant que telle mais aussi sur l'évolution du comportement et

l'impact que la pratique musicale pourrait avoir sur l'estime de soi et sur l'insertion. Parallèlement à

ces grilles, je notais systématiquement les événements de la journée sur mon carnet de terrain.

Aujourd'hui, plus je travaille avec Laurent, plus je me rends compte qu'il se passe quelque chose, que

je lui amène quelque chose. Il commence à prendre conscience de ses capacités, de sa valeur, qu'il

réussit et que ça va vite. Je lui ouvre probablement des perspectives, une capacité à se projeter, en

l'occurrence dans l'insertion sociale et professionnelle. Il aura désormais davantage confiance en lui

et aux autres. Il sera capable d'agir et lorsqu'on agit, on ouvre la porte au changement. Il a les preuves

qu'il est capable de faire et que ça fonctionne. Il peut s'autoriser à croire.

Laurent devient auteur de son devenir ce qui veut dire que je le mets sur le chemin de l'autonomie.

En tant qu'éducatrice, je le repositionne à l'intérieur de lui-même à travers la pratique musicale. Dans

cette pratique, on sent chez Laurent ce désir, cette capacité de vivre. En tant qu'adolescent, c'est

difficile de vivre. Le fait que Laurent chante les notes, je travaille avec lui le renforcement de soi. Il

entre à l'intérieur de lui-même car pour apprendre et mémoriser, il faut avoir en outre, accès à la

pensée. La pensée, c'est intime et sensible. Laurent est encore très fragile, fragilité qui le déstabilise.

Il convient donc de rester très prudent dans l'accompagnement pour ne pas risquer de « réveiller »

des choses douloureuses. Grâce à l'accompagnement, Laurent se rend plus fort et me renvoie que

c'est fort. Il a du mal à accepter les compliments pourtant mérités. Il est méfiant pensant sans doute

que c'est de la flatterie. Il a fallu un certain temps pour qu'il commence à accepter ces compliments.

Dès le début, je menais mon atelier musical seule. Si mes collègues m'ont encouragée à poursuivre

dans cette démarche, ils ont peut-être été sceptiques sur le succès de cet atelier. Au fur et à mesure, je

me suis aperçue que le regard des professionnels change. Par mon activité, je suis en train de changer

leurs représentations, leur regard sur une personne. Laurent est en train de changer. Il progresse très

vite dans l'apprentissage musical et s'investit réellement dans le cadre scolaire. Mes collègues m'ont

dit que la pratique musicale avait un effet apaisant sur Laurent et que je contribuais à ce changement.

Par ce biais, je me construis également en tant qu'éducatrice puisque je l'accompagne à travers la

pédagogie et la pédagogie est tout à fait compatible avec ma fonction d'éducatrice. J'envisage de faire

prochainement un point sur l'évolution de Laurent avec son éducateur référent.

56

Page 63: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Par la pratique musicale, je touche à l'estime de soi. Laurent commence à prendre conscience de ses

forces et ses faiblesses. Ce qui l'aide à évoluer. La pratique musicale permet de renouer avec l'estime

de soi, avec la confiance en soi. Un éducateur comme le directeur de service lui ont renvoyé cette

notion en disant à Laurent qu'ils ne seraient pas capables de faire ce qu'il a fait. Se sentir capable,

s'entendre dire qu'on est capable, s'entendre dire que lui, Laurent a fait ce qu'un adulte, en

l'occurrence, un éducateur, un directeur ne seraient pas capables de faire, renforce l'estime de soi, la

confiance en soi. C'est un véritable cadeau qu'on offre à Laurent qui se dévalorise, qui a une très

mauvaise image de lui-même.

En terme d'insertion, je sens Laurent un peu plus ouvert. Scolarisé, il ne parlait jamais de ce qu'il fait

au lycée. Un jour, il m'a montré une photo prise avec son téléphone portable. Sur cette photo, il y

avait une lampe de chevet en bois qu'il avait réalisée lui-même. Il commence à avoir confiance en

l'autre pour oser montrer ce qu'il fait et il a choisi de me montrer sa réalisation. Il se peut que le

travail du bois ait à voir avec les vibrations. Avec Laurent, j'ai proposé quelque chose et ça prend.

C'était probablement sous-jacent. Laurent se re-découvre une personnalité kinesthésique qui ne

demandait qu'à s'exprimer et la pratique musicale y aura probablement contribué.

A l'inverse, des jeunes peuvent aussi se désinvestir de la pratique musicale. Ce n'est pas forcément

parce qu'ils n'aiment pas la musique mais parce que la musique les renvoient psychiquement à des

situations vécues certainement douloureuses. L'émotion ressentie peut être tellement intense qu'il est

trop difficile de s'investir. La musique va toucher au plus profond de soi, à l'intime, à la pensée. Le

fait que Hamed se désinvestisse pourrait peut-être, être lié à un vécu trop douloureux, trop profond.

Pour éviter de souffrir, on essaie de ne pas penser et il faut en outre, avoir accès à la pensée pour

apprendre. C'est conscientiser ce qu'on a appris. La situation d'Alexandre peut être similaire. Compte

tenu de son vécu antérieur, la pratique musicale peut lui faire du bien mais elle peut aussi mettre le

doigt là où ça fait mal.

Alexandre et Laurent n'avaient jamais vu le film « Les Choristes » mais connaissaient la chanson

phare « Vois sur ton chemin ». Il se peut que le choix initial d'Alexandre ne soit pas innocent. Ce film

est l'histoire d'enfants placés en institution. Un film émouvant, poignant, qui parle de la vie de ces

enfants blessés par la vie qui continuent de vivre, de grandir avec leurs blessures qui n'ont pas

toujours été « cicatrisées ». Alexandre et Laurent ont eu sensiblement le même parcours.

Tous les deux se sont vraiment investis pour apprendre cette mélodie qui doit probablement être

parlante pour eux. Par ailleurs, ces 2 jeunes m'ont un jour confié qu'ils ont fini par voir ce film sur

internet. Lorsque je leur ai demandé ce qu'ils en pensaient, ils m'ont répondu « il est génial ce film ».

57

Page 64: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

CONCLUSIONLa question de terrain :

Sensibilisée par les problèmes d'insertion des jeunes, j'ai réalisé tout au long de ce travail de

mémoire, que l'insertion en terme de scolarité n'est pas la seule réponse possible permettant de lutter

contre la récidive même chez les jeunes qui sont encore soumis à l'obligation scolaire. Aller à l'école

ne va pas de soi, apprendre ne va pas de soi et devenir élève ne va pas de soi. On ne peut pas obliger

un jeune a reprendre une scolarité s'il n'en a pas envie, même si c'est dans son intérêt.

On peut d'ailleurs constater que même si le jeune adhère dans un premier temps et qu'il soit même

acteur et auteur de son insertion, la scolarité ne sera pas toujours investie et le risque de mise en

échec n'est pas à exclure. Prendre en considération ce qui a pu générer le décrochage et/ou la rupture

scolaire, tenir compte du vécu antérieur, re-valoriser le jeune serait une avancée conséquente

permettant de travailler dessus pour espérer un raccrochage scolaire possible.

La question problématisée :

Les discussions avec l'équipe éducative, la lecture des dossiers de jeunes, les entretiens informels

avec les jeunes, l'avis du psychologue du service, les synthèses et études de situation de jeunes m'ont

permis de faire une sorte de constat qui semble toucher la majorité des jeunes sinon tous les jeunes. Il

s'agit du manque d'estime de soi. Les jeunes et surtout ceux qui nous sont confiés à la PJJ dans le

cadre d'une OPP sont stigmatisés, en souffrance, sont persuadés qu'ils ne sont rien, qu'ils ne valent

rien et tendent à vouloir exister en s'affirmant par le biais de la délinquance. Savoir s'affirmer

positivement est très difficile pour un jeune en pleine construction identitaire qui a une estime de soi

basse. Comment reprendre une scolarité lorsqu'on manque d'estime de soi ? En tentant peut-être de

restaurer l'estime de soi des jeunes afin qu'ils puissent re-découvrir le plaisir d'apprendre et si les

apprentissages font sens pour eux. C'est dans ces conditions que la mobilisation pourrait s'opérer.

La pratique musicale, une manière de restaurer l'estime de soi ?

La pratique musicale est une activité particulière qui a été rarement pensée pour traiter un problème

éducatif particulier. Mettre en place une telle activité est loin d'être une évidence. L'équipe éducative

était favorable à sa mise en place, m'a soutenue mais elle était septique à l'idée que cet atelier puisse

vraiment fonctionner avec notre public. On s'aperçoit petit à petit que le regard de l'équipe éducative

change. La pratique musicale a des effets très positifs sur les jeunes qui s'investissent dedans. Ils

s'ouvrent un peu plus et prennent davantage d'assurance.

La musique, ça se voit, ça s'entend. Ce n'est pas comme l'apprentissage des mathématiques. Tout

apprentissage est une prise de risques. On se met en danger.

58

Page 65: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Le rôle de l'intervenant (en l'occurrence, moi-même en tant qu'éducatrice) est de soutenir et de dire

au jeune « vas-y, tu as le droit de te casser la figure, de te tromper, je suis là pour te relever, pour

t'aider ». C'est la pédagogie de l'erreur. C'est aussi l'individualisation de la prise en charge d'un jeune,

notamment en matière d'apprentissage.

En revanche, la pratique musicale ne garantit pas systématiquement une réconciliation avec l'école et

ses apprentissages. La pédagogie de l'école est nettement différente et ne prend pas suffisamment en

considération le fait qu'un élève ne soit pas toujours en capacité pour apprendre ou comprendre.

Prendre plaisir dans ce qu'on fait pour apprendre est une notion qui n'est pas non plus prise en

compte par l'école. Il semble aussi que tout le système scolaire devrait être revu, retravaillé afin de

donner le maximum de chances d'insertion à tous les jeunes. La société a évolué, les jeunes ont

évolué mais l'école continue de fonctionner selon les mêmes standards : ceux de la classe dominante.

Le regard positif, bienveillant qu'un enseignant ou un éducateur porte sur un jeune qui doute de lui-

même, de ses capacités, pourrait aussi contribuer à améliorer l'estime de soi et mobiliser ce jeune

dans son insertion future.

59

Page 66: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

BIBLIOGRAPHIE

ANDRE, Christophe ; Imparfaits, libres et heureux : pratiques de l'estime de soi ; Éditions Odile Jacob, Paris,2009 ; 470p.

BARDOU, Émeline, OUBRAYRIE-ROUSSEL, Nathalie ; L'estime de soi : Quelle valeur attribue-t-on à sapropre personne ? Comment se construit l'estime de soi ? ; Éditions In Press, Paris, 2014 ; 290p.

BERNARDIN, Jacques ; Le rapport à l'école des élèves de milieux populaires ; Éditions Bruxelles : DeBoeck, Bruxelles, 2013 ; 133p.

BONNERY, Stéphane ; Supports pédagogiques et inégalités scolaires ; Éditions La Dispute, Paris, 2015 ;215p.

BOURDIEU, Pierre, PASSERON, Jean-Claude ; La reproduction : Éléments pour une théorie du systèmed'enseignement ; Éditions de minuit, 1970 ; 284p.

CHARLOT, Bernard ; Le rapport aux savoirs en milieu populaire : Une recherche dans les lycéesprofessionnels de banlieue ; Éditions Economica, Paris, 1999 ; 390p.

DEBANNE-LAMOULEN, Annick ; Estime de soi et insertion des jeunes : Les laissés-pour-compte de lacité ; Éditions l'Harmattan, Paris, 2011 ; 108p.

DERIVOIS, Daniel ; Les adolescents victimes/ délinquants : Observer, écouter, comprendre, accompagner ; Éditions De Boeck, Bruxelles, 2010 ; 160p.

DESSEZ, Patrick ; Adolescents et conduites à risques ; Éditions ASH Professionnels, Rueil-Malmaison,2007 ; 268p.

DOLTO, Françoise, DOLTO, Catherine, PERCHEMINIER, Colette ; Paroles pour adolescents ou lecomplexe du homard ; Éditions Folio Junior, Paris, 2007 ; 160p.

DUCLOS, Germain ; L'estime de soi : un passeport pour la vie ;Éditions du CHU Sainte-Justine, Montréal,2011 ; 247p.

DUCLOS, Germain, LAPORTE, Danielle, ROSS, Jacques ; L'estime de soi des adolescents ; Éditions duCHU Sainte-Justine, Montréal, 2002 ; 90p.

DANGER, Frédéric ; Oser : Thérapie de la confiance en soi ; Éditions O. Jacob, Paris, 2006 ; 285p.

GEORGE, Gisèle, VILEMONTEIX, Thomas ; Soigner l'anxiété sociale chez l'enfant et l'adolescent : Lathérapie d'estime et d'affirmation de soi ; Éditions Retz, Paris, 2015 ; 176p.

LASSUS, Marie-Pierre, LE PIOUFF, Marc, SBATTELLA, Licia ; Le jeu d’orchestre, Recherche-action en artdans les lieux de privation de liberté ; Presses Universitaires Septentrion, Villeneuve d'Ascq, 2015 ;350p.

LONGHI, Gilbert, GUIBERT, Nathalie ; Décrocheurs d'école : Redonner l'envie d'apprendre aux adolescentsqui craquent ; Éditions de la Martinière, Paris, 2003 ; 253p.

PERRENOUD, Philippe ; Métier d'élève et sens du travail scolaire ; ESF Éditeur, Paris, 2013 ; 207p.

SACKS, Oliver ; Musicophilia, La musique, le cerveau et nous ; Éditions du Seuil, Paris, 2009 ; 377p.

60

Page 67: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

TEXTES LÉGISLATIFS ET TEXTES DE RÉFÉRENCES :

• Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante (version consolidéeau 12.04.2018)

• Note du 24 février 2016 relative à l’action de la protection judiciaire de la jeunesse dans lesparcours d’insertion scolaire et professionnelle des jeunes confiés NOR : JUSF1606655N

• Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative en milieu ouvert au sein des services dela protection judiciaire de la jeunesse NOR : JUSF1526137N

• Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative dans le cadre du placement judiciaireNOR : JUSF1526167N

• Note du 22 octobre 2015 relative à l’action éducative en milieu ouvert au sein des services dela protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) NOR : JUSF1526137N

• Note du 10 février 2017 relative à l’adaptabilité des modalités de prise en charge NOR : JUSF1704924N

• Loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfance

• Loi du 18 novembre 2016 dite « de modernisation de la justice du XXIe siècle » (articles 29 à33 réformant le droit pénal des mineurs)

• Référentiel des mesures et des missions confiées aux services de la protection judiciaire de lajeunesse

61

Page 68: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

SITOGRAPHIEVINCENT, Christophe ; « L'estime de soi : comprendre et améliorer l'estime de soi » In Estime de soi, [en ligne], consulté le 17/02/2018URL : https://www.youtube.com/watch?v=c2Zjv6qMlvA

« Accompagner l’insertion sociale et professionnelle des jeunes », Cahiers de l’action 2011/2 (N° 32), p. 69-82. DOI 10.3917/cact.032.0069, In Cairn Info [en ligne], consulté le 03/03/2018URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2011-2-page-69.htm

Serge Boimare, « Peur d'apprendre et échec scolaire », Enfances & Psy 2005/3 (no28), p. 69-77. DOI 10.3917/ep.028.0069 [en ligne], consulté le 03/03/2018URL : https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2005-3-page-69.htm

Le décrochage scolaire – l'ONISEP [en ligne], consulté le 03/03/2018URL : www.onisep.fr/content/download/67 3916/.../file/facteurs-decrochage_scolaire.pdf

Les Programmes Personnalisés de Réussite Éducative : objectifs et organisation, [en ligne] consulté le 03/03/2018URL : http://eduscol.education.fr/cid50680/les-programmes-personnalises-de-reussite-educative-ppre.html

Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire [en ligne] consulté le 05/04/2018URL : http://eduscol.education.fr/cid55115/mission-de-lutte-contre-le-decrochage.html

Conflit de loyauté, « si je travaille bien à l'école, vais-je trahir mes parents ? » In l'OBS [en ligne] consulté le 03/03/2018URL : https://www.nouvelobs.com/rue89/notre-epoque/20180221.OBS2557/conflit-de-loyaute-si-je-travaille-bien-a-l-ecole-vais-je-trahir-mes-parents.html

BERNARD, Pierre-Yves ; « Le décrochage scolaire est-il une affaire de classe ? » [en ligne] consulté le 03/03/2018URL : http://www.afpssu.com/wp-content/uploads/2013/07/Beranrd-d%C3%A9crochage-affaire-de-classes.pdf

Dispositifs relais [en ligne] consulté le 05/01/2018URL : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=77726

La chorale c'est bon pour le moral [en ligne], consulté le 17/02/2018URL : https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/611/reader/reader.html?t=1446570482090#!preferred/1/package/611/pub/612/page/6

La différenciation pédagogique ; « la Zone Proximale de Développement » [en ligne] consulté le 04/03/2018URL : http://differenciation.org/pdf/notion_zpd.pdf

Centre musical cm Le Coz [en ligne] consulté le 14/01/2018URL : http://www.cm-lecoz.com/Les-joies-et-bienfaits-de-la-musique

PJJ-ASE : les dispositifs pour protéger les mineurs [en ligne] consulté le 05/04/2018URL : http://www.filsantejeunes.com/pjj-ase-les-dispositifs-pour-proteger-les-mineurs-18702 Le pouvoir de la musique et son magnifique effet sur le cerveau humain ; documentaire exclusif, In You Tube, [en ligne], consulté le 15/02/2018URL : https://www.youtube.com/watch?v=kUCFZ0h9RSM

Les origines de la musique préhistorique, premiers instruments de musique [en ligne] consulté le 15/02/2018URL : http://www.hominides.com/html/dossiers/musique-prehistoire

Igor Martinache, «Stéphane Bonnéry (dir.), Supports pédagogiques et inégalités scolaires», Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2015, mis en ligne le 27 février 2015, consulté le 19 mars 2018URL : http://journals.openedition.org/lectures/17201

62

Page 69: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

ANNEXES

63

Page 70: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 1 : Planning d'activités hebdomadaires type de l'UEHC

64

Page 71: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 2 : Jeu de plateaux

65

Page 72: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 3 : Affiche de présentation de l'atelier musical

66

Page 73: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 4 : Premières partitions

67

Page 74: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 5 : Le projet d'atelier musical

68

Page 75: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 6 : Partition « Lettre à Élise »

69

Page 76: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 7 : Partition « Hymne à la joie »

70

Page 77: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 8 : Partition « Vois sur ton chemin » (Film « Les choristes »)

71

Page 78: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 9 : Partition « The final coundown » (Europe)

72

Page 79: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 10 : Partition « Hedwig's Theme » (Film Harry Potter)

73

Page 80: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 11 : Partition « Pirates des Caraïbes » (nouvel extrait)

74

Page 81: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 12 : Atelier musical avec Laurent

75

Page 82: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 13 : grille d'observation de l'atelier musical avec Laurent

76

Page 83: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Annexe 14 : Évaluation de l'atelier musical

77

Page 84: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

ENCART MÉTHODOLOGIQUE

De la question de départ à la problématique

Avant mon entrée en PJJ et en référence avec mon vécu professionnel antérieur, j'avais toujours

pensé qu'il suffisait d'être inséré scolairement ou professionnellement pour éviter tout risque d'entrée

dans la délinquance. Si un jeune était en rupture scolaire ou en voie de décrochage scolaire, je

pensais qu'il fallait éviter à tout prix la déscolarisation afin qu'il conserve un minimum de vie sociale

et un statut social. J'avais donc dans un premier temps pensé travailler surtout sur l'insertion des

jeunes et notamment en terme de raccrochage scolaire. Mais c'était sans prendre en considération ce

qui a pu générer le décrochage scolaire. Le vécu scolaire peut avoir été très douloureux chez certains

d'entre eux. Certains jeunes en effet, ne supportent plus l'idée même de retourner à l'école même si

les rescolariser est dans leur intérêt. Je me suis aperçue qu'avant de penser insertion scolaire, il me

fallait surtout réfléchir à ce qui a conduit les jeunes à ne plus supporter l'école.

Durant mon stage de première année, une directrice de CER m'avait dit que même si les jeunes ont

moins de 16 ans, la scolarité n'était pas une priorité et devant mon étonnement, elle a ajouté que si la

scolarité n'a pas tenu jusqu'à présent, c'est qu'il y avait autre chose à régler avant. J'étais très

intriguée. Cette conversation est restée longtemps dans ma mémoire. Qu'est-ce qui avait à être réglé?

Au début de mon stage de deuxième année, j'ai rencontré des jeunes au profil très différent les uns

des autres. Certains jeunes étaient déjà scolarisés avant l'entrée en institution et d'autres pas. Leur

situation familiale était également différente. Certains jeunes avaient la chance d'avoir encore leurs

deux parents biologiques alors que d'autres évoluaient soit dans une famille monoparentale, soit en

famille recomposée ou encore en famille d'accueil car ces jeunes peuvent avoir fait l'objet d'un

placement à l'ASE. On réalise alors que de nos jours, il existe plusieurs sortes de familles et non pas

une seule famille.

Au fil de mes observations sur le terrain de stage, j'ai remarqué qu'il y avait un point commun parmi

tous ces jeunes. A leur manière, ils exprimaient tous un malaise, celui du manque d'estime de soi.

En effet, après divers échanges avec l'équipe éducative, la psychologue du service et les jeunes eux-

mêmes, j'ai réalisé que les jeunes étaient très soucieux de l'image qu'ils ont d'eux mêmes et de ce

qu'on pense d'eux. L'un d'entre eux (Hamed) était inquiet de ce que l'équipe éducative pouvait noter

sur lui dans le cahier jeune ou le journal de bord. Il était persuadé qu'on y consignait uniquement le

mauvais comportement et rien de positif. Un autre recherchait l'exclusivité en monopolisant

l'attention, en faisant le pitre ou en criant constamment. Une autre jeune placée à l'UEHC

(Amandine) se mettait en danger par des comportements inadaptés, se scarifiait, fuguait etc.…

78

Page 85: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Fallait-il que ces jeunes en viennent à ces actes pour se donner une impression de vivre, d'exister, de

s'affirmer ? Comment leur donner l'occasion d'exister autrement que par le biais des actes délictueux

que ces jeunes posent ?

Je me suis longuement interrogée sur la notion de l'estime de soi à savoir si elle pouvait aussi avoir

un impact sur la réussite scolaire ou professionnelle du jeune. La confiance en soi découle de l'estime

de soi. Pour avoir confiance en soi et en ses capacités, il faut que le jeune ait eu l'occasion de réussir

quelque chose à sa portée tout en étant accompagné pour commencer, puis progressivement, étape

par étape, de réussir quelque chose de plus difficile en étant accompagné pour oser, « s'aventurer »

plus loin. Ce que le jeune sera capable de faire en étant accompagné, il sera capable de le faire seul

plus tard. J'ai fait le parallèle avec l'insertion et notamment la scolarité en me demandant si l'estime

de soi n'est pas justement ce quelque chose à régler avant de tenter une rescolarisation ou une

insertion par le biais d'une formation professionnelle.

Mes observations de terrain m'ont amenée à reformuler ma question de départ qui était surtout axée

sur l'insertion pure. J'en suis arrivée à cette autre question de départ : La restauration de l'estime de

soi peut-elle ou non impacter la rescolarisation et/ou l'insertion des jeunes ?

Pour répondre à cette question, j'ai tenté dans un premier temps, de mettre en place au sein des

locaux de l'UEHC, une activité axée sur la pratique musicale que j'ai moi même animée et qui va être

au cœur de ce mémoire. Cette activité va donner lieu à une problématique qui sera de savoir en quoi

un atelier musical pourrait contribuer à la restauration de l'estime de soi et impacter l'insertion.

Élaboration des hypothèses de recherche :

À partir de mes observations de départ, j'ai élaboré des hypothèses qui m'ont servi de fil conducteur

pour la rédaction du mémoire. Je suis donc partie de l'hypothèse que les jeunes ont pour la plupart

d'entre eux, une estime de soi basse. Ce fait les freine dans leur quotidien et les empêche d'évoluer

positivement. Aussi lorsque les jeunes se retrouvent face à une situation nouvelle, un événement

nouveau qu'ils pensent ne pas pouvoir maîtriser ou contrôler, ils tendent à se réfugier dans

l'évitement. L'estime de soi basse peut donc avoir un impact négatif important tant sur la vie sociale

du jeune que dans sa scolarité. La déscolarisation peut être aussi un moyen inconscient que le jeune

ait trouvé pour préserver un minimum d'estime de soi.

Comment en tant qu'éducatrice pourrais je accompagner les jeunes et contribuer à restaurer l'estime

de soi ? J'ai d'abord pensé les mettre un peu au défi par l'intermédiaire d'une activité à la fois ludique

et exigeante car elle demande de la mémoire, de la concentration, de l'écoute, de l'expression.

79

Page 86: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Pour ce faire, il me paraissait important de leur présenter les choses de manière non contraignante car

dans le cas contraire, il n'y aurait pas eu d'adhésion. C'est donc à partir de leurs questionnements

(comment on chante, pourquoi les notes ne sont pas toutes pareilles, pourquoi on bat la mesure de

telle façon, à quoi sert un chef d'orchestre etc...) de ce qu'ils aiment écouter et faire, que j'ai établi

mon activité pour la rendre la plus ludique possible tout en répondant à leurs questions.

Méthodes de recueil et d'analyses de données

Le recueil de données s'est fait au quotidien d'abord sur mon carnet de bord à partir d'observations

directes et indirectes. J'y consignais tous les moments forts de la journée auxquels j'ai participé, les

éléments issus de la réunion de service hebdomadaire ou de réunions de synthèse des jeunes, même

si dans un premier temps, il n'y avait aucun lien avec l'estime de soi. Le tri de ces événements s'est

fait à posteriori selon la thématique du mémoire et selon la problématique. Puis, je suis passée

progressivement dans une phase active, notamment en créant du lien avec les jeunes pris en charge et

par le biais d'échanges formels et informels avec l'équipe éducative et la psychologue du service.

Toutes les annotations consignées sur le cahier de bord par l'équipe éducative, les rapports écrits à

destination des magistrats par les éducateurs référents des jeunes, le dossier des jeunes, le projet de

service, les réunions de synthèse et/ou de situations en présence du médecin psychiatre m'ont permis

d'avoir une meilleure compréhension de la situation de chaque jeune.

Les activités diverses mises en place dans l'intérêt du jeune peuvent aussi constituer de manière

détournée, une sorte d'entretien éducatif. Ceci permet d'en connaître davantage sur le jeune pour

mieux le comprendre et savoir comment il fonctionne. J'ai pu en effet en faire l'expérience au début,

autour d'une partie de tennis de table ou de baby foot.

J'ai ensuite commencé à lire des ouvrages traitant de l'estime de soi, de la confiance et l'affirmation

de soi comme de l'insertion des jeunes. Ces ouvrages sont surtout en lien avec le domaine de la

psychologie et notamment dans le processus adolescent. L'estime de soi est liée à la valeur qu'on se

donne, à l'image qu'on renvoie, à l'identité et c'est justement une nouvelle identité qu'un adolescent

doit se re-construire. C'est très difficile d'être un adolescent. Il est justement en difficulté d'être.

Au niveau de la scolarité et de l'insertion des jeunes, j'ai orienté mes recherches dans le champ de la

sociologie de l'école. Tout au long de ces lectures, j'ai noté sur mon carnet de terrain, les passages

utiles en lien avec mes observations de terrain et ma thématique de mémoire. Les entretiens que j'ai

eu avec les jeunes ont été des entretiens informels pour la plupart.

80

Page 87: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

J'ai pu remarquer que les jeunes « s'ouvraient » plus facilement par le biais d'activités programmées

ou non. Il y avait davantage de spontanéité chez ces jeunes qui n'étaient pas stressés de me voir noter

constamment. Un jeune par exemple, était très soucieux de ce qu'on pense de lui et de ce qu'on note

sur lui. Dès qu'il me voyait noter, j'ai constaté qu'il perdait de sa spontanéité et me demandait

constamment ce que je notais.

J'ai aussi préféré ne pas faire de questionnaire ni d'entretien formel de type semi-directif pour garder

cette spontanéité de chacun lors de mes échanges. De plus, le recueil et l'exploitation des données par

questionnaire auraient été chronophages et n'auraient peut être pas été le reflet exact de la situation

des jeunes. Selon les questions, les réponses obtenues auraient peut-être été trop « dirigées », trop

« conformes » à ce qu'on pourrait attendre des intéressés.

Le fait de noter de suite, en brut sur mon carnet de bord m'a permis de prendre l'événement dans son

contexte sans qu'il subisse des « transformations ». Mais il n'est pas aisé de le faire sur le vif. Y

repenser après coup pour le noter risque d'altérer plus ou moins les événements et ne pas être le reflet

exact de la réalité. Certaines données ne seront peut-être pas exploitables. Il est nécessaire parfois de

laisser de côté certaines informations notées sur le carnet de bord non essentielles pour le mémoire.

Le fait de faire des entretiens informels par le biais de médias éducatif tel que le tennis de table, le

baby-foot, les jeux de plateaux ou encore la musique, permet d'entendre des réflexions spontanées

des jeunes et de garder le sentiment de confiance qu'ils peuvent avoir envers nous éducateurs. Retenir

l'essentiel et prendre soin de le noter même après coup, permet de ne pas laisser échapper une idée

importante qui pourrait découler de cet entretien improvisé.

Hypothèses d'action

Comment rendre les jeunes acteurs (et auteurs) afin qu'ils puissent se sentir exister autrement que par

le biais de la violence physique, verbale ou par les actes qu'ils posent à la fois sur eux-mêmes comme

sur autrui ? J'ai d'abord commencé à les sensibiliser par le biais d'un atelier chant choral mais les

jeunes ne se sont pas investis Hamed m'avait dit « ce que tu nous proposes, c'est de la merde ». J'ai

donc tenté de poursuivre en essayant une activité plutôt inconnue pour eux : la pratique musicale.

Pourquoi la musique ? Parce que le jeune ne prendrait pas le risque d'exposer sa voix qui est

personnelle et intime alors que la musique, c'est l'instrument qu'on entend. Il y a mise à distance donc

moins de souffrance affective. De plus, la pratique musicale pourrait bien contribuer à restaurer

l'estime de soi des jeunes, à leur apprendre à s'affirmer et à de se re-découvrir certaines compétences.

81

Page 88: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Par son aspect ludique, la musique a aussi ses exigences lorsqu'on essaie de la pratiquer avec rigueur.

Elle pourrait permettre de re-donner l'envie d'apprendre et de développer la mémoire. La mémoire est

en effet indispensable dans le cadre des apprentissages scolaires comme dans la vie de tous les jours

car elle est sollicitée partout. Le but de cette pratique musicale sera donc aussi de se faire plaisir tout

en apprenant.

Pour mettre en place une telle activité, j'en ai d'abord parlé de manière informelle avec les collègues

qui m'ont soutenue dans ce projet tout en étant peu convaincus que cette activité prenne réellement

auprès des jeunes qui nous sont confiés. Travailler avec l'équipe n'a pas été facile. Probablement à

cause de leur approche personnelle vis à vis de la musique. Toutefois, leur regard change au vu des

progrès et de l'implication d'un jeune (Laurent) qui commence à oser s'affirmer en montrant ce qu'il

est désormais capable de faire. Chez ce jeune qui a de gros problèmes de comportement, la musique

commence à opérer et à avoir des effets très positifs. Faire un point avec son éducateur référent

pourra sans doute me permettre d'explorer d'autres pistes d'action en faveur du jeune.

La phase d'expérimentation

Au départ, l'activité musicale que j'ai commencé à mener avait pour but de sensibiliser les jeunes à

quelque chose de nouveau. Sachant que la majorité des jeunes placés ont une estime de soi basse (fait

qui m'a été confirmé par les professionnels), j'étais persuadée que cette activité allait leur apporter

beaucoup en terme d'estime et d'affirmation de soi. Mais il n'est pas aisé de les amener à prendre part

à une activité qu'ils ne maîtrisent pas, qu'ils ne connaissent pas. Certains vont se réfugier dans

l'évitement d'abord parce que se confronter à quelque chose d'inconnu fait peur, mais aussi pour ne

pas perdre la face vis à vis de leurs pairs. Ils diront aimer écouter de la musique mais ne pas aimer la

pratiquer. Ils argumentent le fait qu'ils ne feront jamais de musique et qu'ils ne voient pas l'intérêt de

cette activité. D'autres au contraire, vont tenter de s'y risquer.

Se confronter au regard de l'autre, montrer ses « faiblesses » n'est pas chose facile pour un jeune qui

est déjà en difficulté d'être lui même. Comment convaincre ce jeune d'essayer une activité nouvelle

comme la musique ou le chant en cas de résistance de sa part ? Probablement en voyant d'autres

jeunes essayer et qui comme lui, ne connaissent probablement rien en musique. Les jeunes peuvent

s'apercevoir alors qu'ils peuvent aussi se valoriser par ce biais selon le regard que les pairs comme

selon le regard que les professionnels vont porter sur lui.

82

Page 89: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

La mise en place de l'activité

J'ai tenté en début de stage, une première approche avec mon propre matériel (un xylophone) que

j'avais acheté expressément pour cette activité. Un jeune (Bertrand) qui était volontaire a commencé

à jouer une musique connue avec mon aide, suivi de 2 autres jeunes qui se sont aussi intéressés.

L'activité a duré une heure. Elle avait eu lieu avant le repas du soir. Après le repas, le premier jeune

volontaire était encore demandeur et souhaitait voir perdurer cette activité. C'est à partir de ce

moment là que cette activité était inscrite ponctuellement sur le planning collectif afin qu'elle soit

repérée par les jeunes et selon les urgences à gérer du moment. Quelquefois, l'activité a lieu de

manière plus spontanée, en dehors des temps planifiés à l'avance et souvent en prise en charge

individuelle. Ce type de prise en charge permet de faire progresser le jeune de manière un peu plus

intensive et de manière un peu détournée, elle peut aussi prendre la forme d'un entretien éducatif.

Durée et fréquence de l'activité

L'atelier musical dure environ 1 heure, parfois davantage selon l'envie et le degré d'implication de

chacun. Elle a lieu une fois par semaine le lundi après midi et quelquefois en soirée avant le repas.

Il est souvent arrivé que les mêmes jeunes soient en demande après le repas alors qu'ils ont bénéficié

d'une séance deux heures plus tôt. Je m'adapte donc au cas par cas afin de maintenir la motivation

des jeunes, motivation qui selon moi est le moteur de toute mobilisation.

Cette activité est dirigée par moi-même dans les locaux de l'UEHC. Les attendus ne sont pas trop

élevés au départ pour permettre à chacun de réussir sur un temps court et de re-prendre confiance en

leurs capacités. L'arrivée d'un nouveau jeune ne fait pas obstacle aux progrès mais au contraire

permet aux jeunes déjà présents lors des séances précédentes de venir en soutien. Le fait qu'un jeune

puisse montrer ce qu'il faut faire est une occasion pour développer l'esprit de solidarité, et de

reprendre confiance en soi. En outre, cette attitude permet aussi de se tirer mutuellement vers le haut.

L'évaluation

J'ai établi une fiche d'observation au nom d'un jeune en particulier, qui s'est vraiment investi dans

l'atelier musical afin d'avoir un aperçu de ses progrès au fil des séances, notamment en terme de

restauration de l'estime de soi. Selon son évolution, je n'hésite à le faire remarquer au jeune en lui

demandant comment il fait pour apprendre, pour se concentrer, pour mémoriser etc... Je lui dis qu'il

peut utiliser la même façon de faire dans le cadre de son insertion scolaire. A l'école, il faut savoir

écouter, visualiser, s'impliquer, se concentrer, apprendre etc... Sa mobilisation peut aussi entraîner

d'autres jeunes à vouloir pratiquer la musique.

83

Page 90: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Un jeune (Laurent) qui a de gros soucis de comportement, qui est sous traitement médicamenteux,

qui a des difficultés à s'affirmer et à s'intégrer dans un collectif de jeunes a énormément progressé

grâce à la musique. De tous les jeunes, c'était vraiment le seul avec lequel je ne pensais pas pouvoir

travailler de cette manière. De plus, ce jeune n'est pas du tout musicien et ne connaît rien du solfège.

J'ai amorcé la première séance avec un des morceaux qu'il avait envie de travailler « lettre à Élise ».

Après 3 séances de plus de 2 heures avec moi en individuel, il a été capable de restituer ce savoir

acquis auprès de l'équipe éducative qui désormais change de regard vis à vis de cette activité.

En terme d'estime et d'affirmation de soi, on sent Laurent davantage sûr de lui. Il est d'ailleurs en

demande pour apprendre d'autres mélodies et m'a confié qu'il sentait ses capacités musicales

augmenter. « Je ne serai jamais fatigué pour la musique » avait-il ajouté. Ce jeune est entré dans un

cercle vertueux. Selon Gilles Bui-Xuân, professeur émérite à l'université d'Artois, le cercle vertueux

c'est ce qui pousse à l'action, au pouvoir d'être et d'exister. Le jeune a essayé de jouer de nouvelles

choses encore inconnues pour lui. Il réussit, il est motivé, il se mobilise et cherche à progresser. Je le

sens aussi moins nerveux et un peu plus tolérant vis à vis de lui-même en s'accordant le droit à

l'erreur car il est difficile dans la pratique musicale, de jouer sans erreur surtout au début de

l’apprentissage d'un nouveau morceau.

Le partenariat

Cette idée m'est venue pour compléter ma démarche amorcée. Même si j'ai des appétences et

certaines compétences en musique et en chant, s'improviser « professeur » n'est pas aisé.

La relation que peut avoir un jeune vis à vis d'un membre de l'équipe éducative pourrait avoir un

impact plus ou moins négatif sur le bon déroulement de cette activité toute nouvelle.

Recourir au partenariat permet d'élargir les possibilités. Il permet aussi d'élargir le champ des

possibles avec des acteurs qualifiés dans ce domaine particulier qu'est la musique. De plus, l'activité

musicale menée par moi-même peut venir en complément du partenariat éventuel. Un premier

contact a été amorcé avec un centre social mais celui-ci ne disposait plus d'intervenant musique. Une

autre piste serait à explorer par le biais de l'ONL (Orchestre National de Lille). A cet effet, il serait

sans doute possible d'emmener les jeunes assister à une répétition de cet orchestre et pourquoi pas, à

l'un de leurs concerts. A cet effet, un concert gratuit pour la fête de la musique est organisé par

l'ONL. Ce concert est donné par des enfants qui ont assisté à des ateliers à l'ONL. Ces enfants seront

encadrés par des musiciens professionnels. Assister à cet événement musical pourrait peut-être

donner l'envie d'apprendre la musique aux jeunes placés à la PJJ.

84

Page 91: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Points forts et limites de la démarche

Les points forts de cette démarche sont d'abord, d'avoir fait découvrir aux jeunes, une activité qui

leur paraissait ardue et très contraignante au départ tant par les jeunes que par l'équipe éducative.

Mais elle a fini par fonctionner. Ces jeunes comme l'équipe éducative voient désormais la musique

autrement en prenant conscience de l'impact positif qu'elle peut avoir sur l'estime de soi, sur la

socialisation et sur l'insertion des jeunes. La musique apaise, répare, panse les « plaies » qui semblent

s'atténuer. La pratique musicale vient en complément d'une approche psychologique. Les 2 vont de

pairs et contribuent à débloquer la personne.

La plupart des jeunes n'avait pas conscience qu'il était possible de prendre plaisir tout en apprenant

quelque chose de nouveau qu'ils ne maîtrisaient pas. Ils ont réalisé qu'ils pouvaient surmonter une

difficulté à partir du moment où ils étaient concentrés, mobilisés et qu'ils s'impliquaient

sérieusement. Le tout est de savoir comment entretenir cette mobilisation. Lorsqu'on réussit, on est

motivé et lorsqu'on est motivé, on peut se re-mobiliser. On entre alors dans un cercle vertueux. La

dynamique de groupe peut avoir également un impact négatif comme positif. Lorsqu'un jeune ne

s'implique pas mais regarde l'autre faire, il peut être tenté de faire aussi. Ce qui a déjà été le cas lors

de mon premier atelier musical improvisé avec Hamed et Laurent.

Les jeunes se sont découverts des capacités dont ils n'avaient pas conscience. Malgré la difficulté de

l'exercice, ils se sont montrés à la hauteur même en ayant eu quelques moments de découragements.

Par cette activité, les jeunes peuvent développer des compétences transversales, transférables dans le

cadre de leur insertion, qu’elle soit scolaire, professionnelle ou sociale car la musique développe en

outre, un sentiment d'appartenance. D'autre part, compte tenu que les jeunes ont également été

confrontés à l'erreur (ne pas réussir à jouer parfaitement tout de suite), ils sont devenus un peu plus

tolérants vis à vis d'eux-mêmes et vis à vis de leurs pairs. Je leur ai dit que lorsqu'on fait des erreurs,

on sait qu'on apprend. Il s'agit de la pédagogie de l'erreur qui permet de gagner en autonomie et pas

toujours valorisée par le système éducatif. Si on sait tout faire de suite, il n'y a plus rien à apprendre.

Parmi les limites de la démarche, figure en premier lieu un problème de salle. L'espace de travail

dont nous disposons est la salle commune qui sert également de salle à manger où il y a énormément

de passage. Être confronté au regard de l'autre est loin d'être facile pour un jeune comme pour

l'équipe éducative. Au départ, j'avais tenté un travail vocal par le biais d'un atelier chant-choral, plus

simple à réaliser mais aussi plus risqué et plus compliqué pour un adolescent en difficulté d'être.

85

Page 92: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

Il peut exister une bonne dynamique de groupe au départ et de réels progrès réalisés. Le fait que ces

ateliers aient lieu avec des jeunes différents au fil du temps peut, soit lasser certains jeunes qui

répètent ce qu'ils ont déjà vu, soit les rendre mobilisés pour transmettre aux nouveaux ce qu'ils ont

appris. Certains jeunes veulent participer à cet atelier mais ne sont pas toujours disponibles compte

tenu de leur emploi du temps scolaire ou de leur temps de stage qui restent une priorité. De plus, il

faut aussi tenir compte de l'envie du jeune à s'investir à l'instant T.

Un jeune peut vouloir s'investir un jour et ne rien vouloir faire un autre jour, surtout s'il considère

l'activité comme n'étant pas obligatoire. Difficile dans ce cas d'évaluer les progrès réalisés, l'impact

sur la restauration de l'estime de soi, l'impact sur la socialisation, l'insertion si le-s jeune-s ne sont pas

assidus à l'activité.

A l'adolescence, on a une grande peur de l'échec. Vis à vis des pairs, l'adolescent veut montrer qu'il

assure et si ce n'est pas le cas, il peut éprouver un sentiment de honte et son estime de soi en sera

gravement affectée. Pour éviter de prendre ce risque, il va préférer dire ne pas aimer la musique, que

ça ne lui servira pas plutôt que de perdre la face vis à vis des pairs.

Peut-on affirmer ou non que le fait de pratiquer la musique contribue à restaurer l'estime de soi ?

C'est possible mais un très gros travail en amont devra être fait pour laisser le jeune se risquer au

regard de l'autre et montrer qu'il n'est pas toujours à la hauteur de ce qu'il espère pouvoir faire.

Réussir malgré tout après un travail régulier et une présence assidue lui montre que l'effort en vaut la

peine et qu'il finit toujours par « payer ». Les résultats sont visibles, « entendables », « écoutables ».

En tant qu'éducatrice, être à l'écoute de ce que les jeunes renvoient, c'est leur montrer que ça vaut le

coup. On pourra remarquer au fil du temps, une volonté non forcée de la part de ces jeunes pour

prendre part à l'activité. Ils prennent plaisir et sont même demandeurs.

Restaurer l'estime de soi contribue donc à inciter à une sorte de prise de risque mesurée. En

revanche, si la musique peut restaurer l'estime de soi, il n'est pas toujours prouvé qu'elle contribue

systématiquement à réconcilier les jeunes avec les apprentissages scolaires. L'école est un monde où

l'image de soi, les capacités ou l'absence de capacités sont « à vif » avec les enseignants et les pairs.

Restaurer l'estime de soi des jeunes pourrait peut-être les aider à surmonter la difficulté de vivre en

contexte scolaire.

86

Page 93: L' PRATIQUE MUSICALE JEUNES L'INSERTION...« Croyez en vous-même et en tout ce que vous êtes…. Sachez qu'il y a quelque chose à l'intérieur de vous qui est plus grand que n'importe

AUTEUR : Muriel PAWELCZYK (MATHON)

Titre : L'effet de la pratique musicale sur l'estime de soi pour les jeunes et sur l'insertion scolaire,

sociale et professionnelle

Résumé :

L'insertion est une des missions principales de la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse).

Idéalement, avoir une insertion permet de limiter la récidive des adolescents qui sont confiés à la

PJJ par décision de justice. Des adolescents sont décrocheurs ou déscolarisés même en étant encore

soumis à l'obligation scolaire. Lorsqu'il y a tentative d'insertion ou de re-scolarisation, même avec

l'adhésion du jeune, la scolarité peut ne pas tenir. Pourquoi ? Quel rapport peut avoir le jeune avec

l'école, les enseignants ? Quel sens donne-t-il à l'école ?

« Si la scolarité n'a pas tenu, c'est qu'il y a autre chose à régler avant » diront des professionnels.

Comment aider les jeunes à devenir acteurs et auteurs de leur devenir ? En essayant d'améliorer

l'estime de soi de ces jeunes. L'adolescence est une période sensible, fragile et vulnérable. Une

identité est à re-construire. Certains jeunes sont très tôt abîmés par la vie. Ils sont parfois persuadés

qu'ils ne valent rien, qu'ils ne sont rien. Ils sont sensibles au regard d'autrui.

Restaurer l'estime de soi des adolescents par le biais d'une pratique musicale pourrait être une piste

permettant de développer certaines compétences transversales utiles dans le cadre d'une reprise de

scolarité ou de formation professionnelle.

L'estime de soi n'est pas immuable. Elle peut s'améliorer ou diminuer même après 60 ans. Tout n'est

pas figé. L'estime de soi se construit tout au long de la vie.

Pour améliorer l'estime de soi, le jeune doit être en capacité d'agir car c'est dans l'agir qu'on peut

changer mais c'est aussi dans l'agir qu'on risque l'échec. Certains jeunes ne sont pas prêts à agir par

peur de l'échec. Ils se réfugient soit dans l'évitement, soit pratiquent « l'auto sabotage » pour éviter

de se confronter à une situation d'échec.

La pratique musicale exercée auprès des jeunes confiés à la PJJ représente une activité qui

permettrait peut-être d'améliorer l'estime de soi, de prendre davantage d'assurance, d'accéder à

l'autonomie, de ne plus avoir peur de ses erreurs, d'apprendre de ses erreurs et quelquefois, de se

réconcilier avec les apprentissages scolaires ou professionnels.

Mots clés :

insertion, mobilisation, estime de soi, confiance en soi, scolarité, apprentissage, formation, faire

avec, décrochage scolaire, adolescent, école, pratique musicale

87