une nevrose demoniaque --- freud s

Upload: users01

Post on 30-May-2018

223 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    1/39

    Sigmund FREUD (1923)

    Une nvrose

    dmoniaque

    au XVIIe sicle

    Traduit de lAllemand par Marie Bonaparteet Mme E. Marty, 192

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    2/39

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    3/39

    Sigmund FREUD (1923)

    Une nvrose dmoniaqueau XVIIe sicle

    Une dition lectronique ralise partir de larticle deSigmund Freud, Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle .Texte originalement publi en 1923.

    Traduit de lAllemand par Marie Bonaparte et Mme E.Marty, 1927. Cette traduction a paru une premire fois dans LaRevue franaise de psychanalyse, Paris, Doin, 1927. tome I,fascicules 1, 2 et 3. Larticle est aussi publi dans louvrageintitul : Essais de psychanalyse applique.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    4/39

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    5/39

    Table des matires

    Une nvrose dmoniaque ait XVIIe sicle. (1923)

    I. L'histoire du peintre Christophe Haitzmann.II. Le motif du pacte avec le Diable.III. Le Diable substitut du pre.IV. Les deux pactes.V. La nvrose ultrieure.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    6/39

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    7/39

    Une nvrosedmoniaque

    au XVIIe sicle 1(1923)

    Nous avons vu, en tudiant les nvroses de l'enfance, qu'on ydcouvre l'il nu bien des choses qui, plus tard, ne se rvlerontplus qu' une investigation approfondie. Nous pouvons nousattendre faire une constatation analogue au sujet des maladiesnvrotiques des sicles passs, condition d'tre prts lesreconnatre sous d'autres noms que nos nvroses actuelles. Ne noustonnons pas si les nvroses de ces temps lointains se prsententsous un vtement dmonologique, tandis que celles de notre tempsactuel, si peu psychologique, assument, dguises en maladiesorganiques, une allure hypocondriaque. Plusieurs auteurs, Charcot

    en tte, ont, ainsi que l'on sait, discern les manifestations del'hystrie dans les reprsentations, que l'art nous a transmises, depossession dmoniaque et d'extase; il n'et pas t difficile dedcouvrir, dans l'histoire de ces malades, le contenu de la nvrose,pour peu qu'on y et alors prt plus d'attention.

    La thorie dmonologique de ces sombres temps avait raisoncontre toutes les interprtations somatiques de la priode des sciences exactes . Les possessions rpondent nos nvroses, quenous expliquons en faisant de nouveau appel des forces

    1 A paru d'abord dans Imago, t. IX (1923), fasc. 1 Psychologie

    religieuse .

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    8/39

    8 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    psychiques. Pour nous les dmons sont des dsirs mauvais,rprouvs, dcoulant d'impulsions repousses, refoules. Nouscartons simplement la projection, que le Moyen Age avait faite,de ces crations psychiques dans le monde extrieur ; nous les

    laissons natre dans la vie intrieure des malades o elles rsident.

    I

    L'histoire du peintreChristophe Haitzmann

    Je dois l'aimable intervention du docteur R. Payer-Thurn,conseiller aulique (Hofrat), directeur de la Bibliothque autrefoisimpriale et royale des Fidicommis Vienne, d'avoir pu prendreconnaissance d'une de ces nvroses dmonologiques au XVIIesicle. Payer-Thurn avait dcouvert dans la Bibliothque unmanuscrit provenant du plerinage de Mariazell, dans lequel setrouve rapporte en dtail une miraculeuse dlivrance d'un pacteavec le diable, accomplie par la grce de la Sainte Vierge Marie.Son intrt fut veill par le rapport qu'avait ce sujet avec lalgende de Faust, ce qui l'engagea exposer et travailler ce sujet fond. Mais lorsqu'il dcouvrit que la personne dont le salut y estdcrit souffrait de crises convulsives et de visions, il s'adressa moi pour avoir un avis mdical sur le cas. Nous sommes convenusde publier indpendamment et sparment nos travaux. Je luiexprime mes remerciements pour l'ide qu'il m'a donne de cetravail, ainsi que pour l'aide qu'il m'a prte maintes fois dansl'tude du manuscrit.

    Cette histoire dmonologique d'un malade nous apportevraiment un prcieux fonds qui, sans beaucoup d'interprtation,

    s'offre en pleine clart, de mme que tel filon de mine dcouvert

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    9/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 9

    livre en mtal vierge ce qu'ailleurs on ne retire que pniblement duminerai par la fusion.

    Le manuscrit, dont J'ai devant moi une copie exacte, se divise

    en deux parties absolument diffrentes : une relation rdige enlatin par l'crivain ou compilateur monacal et un fragment du journal du patient crit en allemand. La premire partie contientl'avant-propos et la gurison miraculeuse proprement dite ; ladeuxime n'a pas pu avoir d'importance pour les gens d'glise ellen'en est que plus prcieuse pour nous. Elle contribue beaucoup fortifier notre jugement encore hsitant sur ce cas de maladie, etnous sommes bien fonds remercier ces religieux d'avoirconserv ce document, bien qu'il n'ait pu servir en rien leurstendances, mais soit plutt all l'encontre d'elles.

    Avant de pntrer plus avant dans l'tude de la petite brochuremanuscrite intitule : Trophaeum Mariano-Cellense, je dois

    raconter une partie de son contenu que j'emprunte l'avant-propos.

    Le 5 septembre 1677, le peintre bavarois ChristopheHaitzmann fut amen avec une lettre d'introduction du cur dePottenbrunn (Basse-Autriche) Mariazell, tout prs de l 1. Il avaitsjourn plusieurs mois Pottenbrunn, y exerant son art, avait tsaisi l-bas, le 29 aot, dans l'glise, de terribles convulsions et,lorsque les jours suivants celles-ci se renouvelrent, le Praefectus

    Dominici Pottenbrunnensts, l'ayant examin, lui avait demande cequi le tourmentait, si peut-tre il s'tait laiss engager en uncommerce dfendu avec l'Esprit Malin 2. L-dessus il avoua qu'eneffet, il y avait neuf ans, une poque de dcouragement relatif

    son art et d'incertitude touchant sa propre subsistance, il avait cdaux sollicitations du Diable, qui tait venu neuf fois le tenter, ets'tait engag par crit lui appartenir corps et me l'expirationde ce temps. Cette chance approchait : c'tait le 24 du moiscourant 3. Le malheureux se repentait et tait persuad que seule la

    1 L'ge du peintre n'a t indiqu nulle part. On peut supposer,d'aprs le contexte, que c'tait un homme de 30 40 ans,probablement plus prs de la limite infrieure. Il mourut, commeou le verra, en 1700.

    2 Nous ne faisons qu'effleurer ici la possibilit que ces questionsaient donn l'ide, suggr au Patient le fantasme de son pacteavec le Diable.

    3 Quorum et finis 24 mensis hujus futurus appropinquat.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    10/39

    10 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    grce de la Mre de Dieu, de a Vierge de Mariazell, pourrait lesauver en forant le Malin lui rendre le pacte crit par lui avec dusang. C'est pourquoi on se permettait de recommander labienveillance des bons pres de Mariazell miserum hunc hominem

    omni auxilio destitutum.

    Voil ce que dit le cur de Pottenbrunn, Leopoldus Braun, le1er septembre 1677.

    Je puis maintenant poursuivre l'analyse du manuscrit. Il secompose ainsi de trois parties :

    1 D'un titre en couleur qui reprsente la scne du pacte etcelle de la dlivrance dans la chapelle de Mariazell ; sur la feuillesuivante se trouvent, coloris aussi, huit dessins des apparitionsultrieures du Diable avec de courtes notices en langue allemande.Ces images ne sont pas des originaux, mais des copies - de fidles

    copies ainsi qu'il est solennellement assur - d'aprs les peinturesprimitives de Chr. Haitzmann;

    2 Du Trophaeum Mariano-Cellense proprement dit (en latin),ouvrage d'un compilateur religieux qui, la fin, signe P. A. E. etqui ajoute ces lettres quatre lignes de vers contenant sabiographie. La conclusion comporte une attestation de l'abbKilian de Saint-Lambert, du 12 septembre 1729, lequel, d'unecriture diffrente de celle du compilateur, confirme la parfaiteconcordance du manuscrit et des images avec les originauxconservs dans les archives. On ne dit pas en quelle anne leTrophaeum lut compos. Nous sommes libres d'admettre qu'il lefut l'anne mme o l'abb Kilian donna l'attestation, c'est--direen 1729, ou bien, comme la dernire date mentionne dans le texteest 1714, de situer le travail du compilateur une poquequelconque entre 1714 et 1729. Le miracle qui devait tre prservde l'oubli par cet crit eut lieu en 1677, donc 37 52 annesauparavant;

    3 Du journal du peintre rdig en allemand, qui s'tend dumoment de sa dlivrance dans la chapelle jusqu'au 13 janvier del'anne suivante (1678). Il est intercal dans le texte du Trophaeumpeu avant la fin de celui-ci.

    Deux crits forment le fond du Trophaeum proprement dit : la

    lettre d'introduction, dj mentionne, du cur Lopold Braun de

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    11/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 11

    Pottenbrunn du 1er septembre 1677, et la relation de l'abbFranciscus de Mariazell et Saint-Lambert, qui dcrit la gurisonmiraculeuse, le 12 septembre 1677, date par consquent de peu dejours plus tard. Le rdacteur ou compilateur P. A. E. nous offre une

    introduction qui fond en quelque sorte les deux documents; il yajoute ensuite quelques paragraphes de liaison de peud'importance, et, la fin, une relation des aventures postrieures dupeintre, d'aprs des informations recueillies en 1714 1.

    Les antcdents du peintre se trouvent ainsi relats trois foisdans le Trophaeum.

    1. Dans la lettre d'envoi du cur de Pottenbrunn.2. Dans le rapport solennel de l'abb Franciscus.3. Dans l'introduction du rdacteur.

    Il ressort de la comparaison de ces trois sources certains

    dsaccords qu'il ne sera pas inutile de rechercher.

    Je peux poursuivre prsent l'histoire du peintre. Aprs qu'ileut longtemps fait pnitence et pri Mariazell, il obtint, le 8septembre, fte de la Nativit de la Vierge, vers l'heure de minuit,du Diable, apparu dans la chapelle sainte sous la forme d'un dragonail, la restitution du pacte crit avec du sang. Nous apprendronsplus tard, notre grande surprise, que, dans l'histoire du peintreChr. Haitzmann, il y a deux pactes avec le Diable : un premier,crit l'encre noire, et un autre, crit avec du sang. Dans la scnede conjuration susmentionne, il est question, ainsi que du reste lefait voir l'image du titre, du pacte crit en lettres de sang, donc dupacte crit en dernier.

    Ici pourrait surgir en nous, sur la foi accorder aux pieuxrapporteurs, un doute nous avertissant de ne pas prodiguer notrepeine sur un produit de la superstition monacale. Il est relat queplusieurs ecclsiastiques, dont les noms sont donns, ont prtassistance tout le temps l'exorcis et qu'ils taient aussi prsentslors de l'apparition du Diable dans la chapelle. Si l'on devaitprtendre qu'eux aussi ont vu le dragon diabolique lorsqu'il tenditau peintre le billet crit en rouge (Schedam sibi porrigentemconspexisset), nous nous trouverions devant plusieurs hypothses

    1 Ceci confirmerait que le Trophaeum fut aussi rdig en 1714.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    12/39

    12 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    dsagrables, dont celle d'une hallucination collective serait encorela moins gnante. Toutefois, le texte mme de l'attestation dressepar l'abb Franciscus met fin ce doute. Il n'y est nullementsoutenu que les prtres assistants aient aussi aperu le Diable, il y

    est honntement et simplement dit que le peintre s'arrachasubitement des mains des prtres qui le tenaient pour se prcipitervers le coin de la chapelle o il vit l'apparition et qu'ensuite ilrevint le billet la main 1.

    Le miracle tait grand, le triomphe de la Sainte Mre de Dieusur Satan indubitable, mais la gurison ne fut malheureusement pasdurable. Qu'il soit bien mis en vidence, une fois encore, l'honneur des prtres, qu'ils n'ont pas pass ce fait sous silence. Lepeintre quitta Mariazell peu de temps aprs, en trs bon tat et serendit Vienne o il demeura chez une sur marie. C'est l quese produisirent, le Il octobre, de nouvelles crises, la plupart trsgraves, dont le journal rend compte jusqu'au 13 janvier. C'taient

    des visions, des absences, pendant lesquelles le malade prouvaitet voyait les choses les plus diverses, des tats convulsifsaccompagns des sensations les plus douloureuses, une fois un tatde paralysie des jambes et ainsi de suite. Cette fois pourtant, cen'tait pas le Diable qui le visitait, c'taient de saints personnages,le Christ, la Sainte Vierge elle-mme. Chose trange, il ne souffraitpas moins sous l'influence de ces saintes apparitions, et de par lespunitions qu'elles lui infligeaient, qu'autrefois dans ses rapportsavec le Diable. Dans son journal, il embrasse mme ces nouveauxvnements sous la rubrique d'apparitions du Diable et il seplaignit de maligni Spiritus manifestationes lorsqu'il retournaen mai 1678 Mariazell.

    Il donna aux religieux, comme motif de son retour, le fait qu'ilavait encore rclamer au Diable un autre pacte critprcdemment l'encre 2. Cette fois encore la Sainte Vierge et lespieux pres obtinrent pour lui que sa prire ft exauce. Mais larelation passe sous silence de quelle faon cela eut lieu. Elle ne dit

    1 ... ipsumque Daemomem ad Aram Sac. Cellae per fenestrellam incornu Epistolae Schedam sibi parrigentem compexisset eo

    advolans e Religiosorum manibus, qui eum tenebant, ipsam

    Schedam ad manum obtinuit...2 Celui-ci, dress au mois de, septembre 1668, aurait, neuf ans et

    demi plus tard, c'est--dire en mai 1678, dpass depuis

    longtemps la date de son chance.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    13/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 13

    qu'en peu de mots : qua tuxta votum reddita . De nouveau ilpria et obtint que le billet lui ft rendu. Se sentant alors toutdgag, il entra dans l'Ordre des Frres de la Misricorde.

    Il faut de nouveau reconnatre que le caractre videmmenttendancieux de son travail n'a pourtant pas induit le compilateur dvier de la vracit qu'on est en droit d'exiger de la relation d'unehistoire de malade. Car il ne cache pas ce qu'a donn, aprs ledcs du peintre, l'enqute faite auprs des autorits du couventdes Frres de la Misricorde en 1714. Le R. P. Provincial rapporteque le frre Chrysostomus a encore t en butte plusieurs reprisesaux assauts de l'Esprit Malin qui voulait l'entraner faire unnouveau pacte, cela seulement, il est vrai, quand il avait bu devin un peu trop 1 , mais qu'avec la grce de Dieu il avait toujourst possible de repousser le Diable. Le frre Chrysostomus estensuite mort doucement et plein de consolations 2 de la fivrehectique, en l'an 1700, au couvent de l'Ordre, Neustatt sur la

    Moldava. il

    II

    Le motif du pacte avec le diable

    Si nous regardons l'histoire de ce pacte diabolique commetant celle d'une maladie nvrotique, le problme de la motivationdu pacte, qui est d'ailleurs en relation intime avec celui de lacausation de la maladie, sera ce qui nous intressera d'abord.Pourquoi se livre-t-on au Diable? Il est vrai que le docteur Faustdemande avec mpris : Que peux-tu bien donner, pauvre diableque tu es? Mais il n'a pas raison : le Diable possde, offrircontre la ranon d'une me immortelle, toutes sortes de choses queles hommes estiment fort haut : richesse, scurit dans le danger,

    1 Wenn er etwas mehrers von Wein getrunken.

    2 Sanft und trostreich.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    14/39

    14 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    puissance sur les hommes et sur les forces de la Nature, mme artsmagiques, mais, avant toute chose, de la jouissance, la jouissancede belles femmes 1. Quel peut alors avoir t pour ChristopheHaitzmann le motif de son pacte P

    Par extraordinaire, ce n'est aucun de ces dsirs si naturels. Pourcarter toute hsitation, il suffit d'examiner les courtes notices dontle peintre accompagne les apparitions du Diable qu'il a peintes. Parexemple, voici ce que dit la note de la troisime vision :

    C'est pour la troisime fois qu'il m'est apparu au cours d'unan et demi sous cet affreux aspect, un livre la main dans lequel Il

    n'y avait que de la sorcellerie et de la magie noire2...

    Mais, par la notice accompagnant une apparition plus tardive,nous apprenons que le Diable fait au peintre de vifs reprochesparce qu' il aurait brl le livre qu'il avaitannonc 3 et menacede le mettre en pices s'il ne peut de nouveau le lui procurer.

    Dans la quatrime apparition, il lui montre une grande bourse jaune et un gros ducat, et lui promet de lui en donner toujoursautant qu'il en dsirerait

    mais je n'ai pas du tout accept cela! 4, le peintre peut s'envanter.

    1 Voyez dans Faust, I(scne du cabinet de travail).

    Ich will mich hier zu deinem Dienst verbinden,Auf deinen Wink nicht rasten und nicht ruhn;Wenn wir uns drben wiederfinden,So sollst du mir das Gleiche thun.

    (Je veux m'engager ici te servirSans relche et sans rpit t'obir;Quand nous nous retrouverons l-basTu devras me rendre la pareille.)

    2 Zum driten ist er mir in anderthalb Jahren in disserabschehlichen Gestalt erschinen, mit einen Buch in der Handt,

    darin lauter Zauberey und schwarze Kunst war begrffen... 3 Sein vorgemeldtes Buch verbrennt.

    4 Aber ich solliches gar nicht angenomben.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    15/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 15

    Une autre fois, il exige de lui qu'il s'amuse, se distraie. A quoile peintre remarque : ce qui, en effet, est arriv sur sa demande,mats je n'ai jamais continu plus de trois jours, et je me suis

    immdiatement de nouveau abstenu1.

    Si donc il refuse magie, argent, plaisirs, bien moins encore enet-il fait la stipulation d'un pacte. Aussi e-t-on vraiment le besoinde savoir ce que le attendait proprement parler du Diable lorsqu'ilse voua lui. Il devait pourtant avoir une raison quelconque pourentrer en contact avec le Diable.

    Le Trophaeum donne de fait sur ce point un renseignementsr. Devenu mlancolique, le peintre ne pouvait ou ne voulait plusvraiment travailler et avait des soucis relativement l'entretien deson existence, donc dpression mlancolique avec inhibition autravail et crainte (bien fonde) pour la subsistance. Ainsi, nousavons bien affaire une histoire de malade et nous apprenons du

    mme coup quelle tait la cause de cette maladie appeleexpressment, par le peintre lui-mme, mlancolie ( je devais

    pour cela m'amuser et chasser la mlancolie2 ). De nos troissources, la premire, la lettre d'introduction du cur, ne mentionneque l'tat dpressif( dum artis suae progressum emolumentumquesecuturum pusillanimis perpenderet ), mais la deuxime, lerapport de l'abb Franciscus, sait encore nous nommer le point dedpart de ce dcouragement ou dpression, car il dit ici acceptaaliqu pusillanimitate ex morte parentis , et, de mme dansl'avantpropos du compilateur, il est dit dans les mmes termes,mais intervertis : ex morte parentis accepta aliqu pusillanimitate. Donc, son pre tait mort, ce qui l'avait rendu mlancolique; le

    Diable tait alors venu lui, lui avait demand pourquoi il tait siboulevers et si triste et lui avait promis de l'aider de toutesmanires et de l'assister 3 .

    Voil donc un individu qui s'adonne au Diable dans le butd'tre dlivr d'une dpression psychique. A coup sr un excellent

    1 Welliches zwar auch auf sein begehren gescheben ober ich yberdrey Tag nit contnuirt, und gleich widerumb aussgelst worden.

    2 Sotte midi darmit belustigen und melancoley vertreiben.3 Auf alle Weiss zu helfen und an die Handt zu gehen.

    Voir l'image I du titre et la lgende qui l'accompagne, le

    Diable reprsent en honorable bourgeois (Ersamen Brgers).

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    16/39

    16 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    motif! Quiconque peut se mettre la place d'un homme souffrantles tourments d'un pareil tat et qui, de plus, sait combien peu l'artmdical s'entend soulager ce mal, le comprendra. Et cependant,pas un seul de nos lecteurs ne pourrait deviner en quels termes le

    pacte conclu avec le Diable (ou plutt les deux pactes, un premiercrit l'encre et un deuxime crit environ un an plus tard avec dusang, tous deux soi-disant conservs dans le trsor de Mariazell etreproduits dans le Trophaeum), en quels termes, dis-je, ces pactesont t formuls.

    Ces pactes sont, deux titres, trs surprenants. Non seulementils ne stipulent aucune obligation du Diable en retour du salutternel mis en gage, mais c'est le peintre seul qui doit satisfaire une exigence du Diable. Cela parait tout fait illogique, absurde,que cet homme joue son me, non pour quelque chose recevoirdu Diable, mais pour quelque chose accomplir en faveur decelui-ci. Plus trange encore est l'obligation qui incombe au

    peintre.

    Premire Syngraphe , crite l'encre

    Moi, Christophe Haitzmann, je signe ici, me vouant ce

    seigneur comme son propre filspour neuf ans. Anne 16691.

    Deuxime Syngraphe , crite avec du sang :

    Anno 1669

    Christophe Haitzmann. Je m'engage par crit ce Satan,

    promettant d'tre son propre fils et dans neuf ans de lui appartenircorps et me2.

    Tout tonnement cesse cependant lorsque nous disposons letexte du pacte de telle sorte que ce qui y est indiqu comme tantune exigence du Diable reprsente plutt une promesse de sa part,par consquent, ce que le peintre exige de lui. Ce pacte

    1 Ich Christoph Haitzmann undterschreibe mich diesen Herrn seinleibeigener Sohn auf 9 Jahr. 1669 Jahr. Anno 1669.

    2 Christoph Haitzmann. Ich verschreibe mich diesen Satan, ich seinleibeigner Sohn zu sein, und in Jahr ihm mein Leib und Seel

    zuzugeheren.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    17/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 17

    nigmatique prendrait alors un sens direct et il pourrait s'interprterainsi: Le Diable s'engage pour neuf ans, envers le peintre, remplacer son pre dfunt. Pass ce temps, le peintre tomberacorps et me en sa possession, selon la formule d'usage dans ce

    genre de marchs. Le cours des ides du peintre ayant motiv sonacte, semble donc avoir t le suivant : Il a perdu, de par la mort deson pre, toute envie et capacit de travail ; si donc il trouve unsubstitut de ce pre, il espre rcuprer cette perte.

    Pour devenir mlancolique la suite de la mort d'un pre, ilfaut avoir aim celui-ci. Mais il est assez curieux qu'un fils aitalors l'ide de prendre le Diable comme substitut de ce pre bien-aim.

    III

    Le diable substitut du pre

    Que nous ayons dmontr sans conteste le sens du pacte avecle Diable par cette interprtation renverse, voil ce qu'une froidecritique, je le crains, ne nous concdera pas. Elle pourra nous fairel contre deux objections. En premier lieu, il n'est pas ncessaire

    de considrer le pacte comme tant un contrat concernant lesengagements des deux parties. Il ne contient bien plutt quel'obligation du peintre, celle du Diable tant reste exclue du texte,en quelque sorte sous-entendue 1 Or le peintre s'engagedoublement, d'abord se considrer comme le fils du Diablependant neuf ans, ensuite lui appartenir entirement aprs samort. Par l se trouve carte l'une des bases de notre conclusion.

    La deuxime objection consiste dire qu'on n'est pas autoris donner trop de poids l'expression : tre le propre fils du Diable,qu'elle pourrait n'tre qu'une manire de parler courante telle

    1 En franais dans le texte. (N. D. T.)

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    18/39

    18 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    qu'ont pu la comprendre Messieurs les ecclsiastiques. Ceux-ci eneffet ne traduisent pas dans leur latin la filiation promise dans lespactes, mais se contentent de dire que le peintre s'tait vou, mancipavit , au Malin, prenant sur lui de mener une vie

    pcheresse, de renier Dieu et la Sainte Trinit. Pourquoi nouscarter de cette interprtation qui tombe sous le sens et n'a rien deforc 1 ? Les choses seraient alors trs simples: un mlancolique,en proie au tourment et la dtresse propres cet tat dpressif, sevoue au Diable auquel il reconnat le plus fort pouvoirthrapeutique. Nous n'avons pas nous proccuper outre mesurede ce que cette dpression provienne de la mort du pre ; elleaurait pu tout aussi bien avoir un autre point de dpart. Voil quiparat solide et raisonnable. De nouveau s'lve contre lapsychanalyse le reproche de compliquer les choses les plus simplespar des arguties, de voir des mystres et des problmes l o il n'enexiste pas et d'y arriver en soulignant outre mesure de petiteschoses accessoires, telles qu'on peut en rencontrer partout, leur

    faisant porter les conclusions les plus amples et les plus tranges.Nous ferions en vain valoir, l contre, qu'en rejetant ainsi l'analyse,beaucoup d'analogies frappantes se trouveraient supprimes, dedlicats enchanements dtruits, que nous eussions pu mettre aujour dans ce cas. Les contradicteurs diront que ces analogies et cesenchanements n'existent tout simplement pas, et qu'ils sontintroduits par nous avec une ingniosit superflue.

    Je ne dclarerai pas, avant de rpondre ces objections :soyons honntes ou soyons francs, car c'est ce qu'on doit toujourspouvoir tre sans effort spcial, mais j'en conviendrai plus loin : siquelqu'un ne croit pas d'avance la valeur de la psychanalyse, ce

    n'est pas le cas du peintre Chr. Haitzmann au XVIIe sicle qui l'enconvaincra. Il n'entre d'ailleurs pas du tout dans mes intentions deme servir de ce cas comme d'une preuve de la validit de lapsychanalyse ; je pose bien plutt la psychanalyse comme tantadmise et je m'en sers ensuite pour lucider la maladiedmonologique du peintre. Ce droit, je le tire du succs de nosrecherches sur la nature des nvroses en gnral. On peut assurer,en toute modestie, qu'aujourd'hui mme les plus obtus de nos

    1 Nous conviendrons nous-mmes, lorsque nous examineronsquand et pour qui ces pactes ont t rdigs, que leur texte devaittre conu en termes habituels et faciles saisir pour tous. Mais ilnous suffit qu'il conserve une ambigut laquelle puisse se

    rattacher notre interprtation.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    19/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 19

    contemporains et de nos confrres commencent admettre qu'onne saurait, sans psychanalyse, avoir aucune intelligence des tatsnvrotiques.

    Ces flches seules conquirent Troie, elles seules ,reconnat Ulysse dans le Philoctte de Sophocle.

    S'il est juste de considrer le pacte de notre peintre avec leDiable comme un fantasme nvrotique, nous n'avons point nousexcuser de l'envisager sous l'angle psychanalytique. De petitsindices ont aussi leur sens et leur valeur, tout particulirementlorsqu'il s'agit de discerner les conditions dans lesquelles lanvrose prend naissance. On peut, il est vrai, aussi bien lessurestimer que les sous-estimer, et c'est une question de tact desentir jusqu' quel point on peut leur accorder de valeur. Mais siquelqu'un ne croit pas la psychanalyse, et pas mme au Diable,on ne peut que lui abandonner le soin de savoir ce qu'il fera du cas

    du peintre, soit qu'il russisse l'expliquer par ses propres moyens,soit qu'il n'y trouve rien qui puisse avoir besoin d'tre clairci.

    Nous en revenons notre hypothse : le Diable, auquel notrepeintre se voue, est pour lui un substitut du pre. Le personnagesous. la forme duquel le Diable apparat en premier rpond cettehypothse : un honorable bourgeois d'un certain ge, avec unebarbe brune, un manteau rouge, un chapeau noir, la main droiteappuye sur une canne, un chien noir ct de lui (Image I) 1. Plustard, l'apparition se fait toujours plus effrayante, on pourrait direplus mythologique : cornes, serres d'aigle, ailes de chauve-souriscontribuent former son quipement. Finalement le Diableapparat dans la chapelle sous forme de dragon volant. Nousreviendrons plus tard sur un autre dtail prcis de sa conformation.

    Il semble vraiment trange de choisir le Diable pour substitutd'un pre aim ; toutefois cela ne l'est qu' premire vue, car nousconnaissons d'autres faits susceptibles d'amoindrir notre surprise.D'abord, nous savons que Dieu est un substitut du pre ou, plusexactement, un pre exalt, ou bien encore une copie du pre, telqu'on le voyait et qu'on le ressentait dans l'enfance, l'individu danssa propre enfance, le genre humain dans les temps ancestraux entant que pre de la horde primitive. Plus tard, l'individu considra

    1 Dans Goethe, le Diable lui mme sort d'un chien noir de ce genre.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    20/39

    20 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    son pre autrement, le vit en quelque sorte amoindri, mais cettepremire image enfantine se maintint et se fondit avec les vestigestraditionnels du souvenir du pre ancestral pour former lareprsentation individuelle de Dieu. Nous savons aussi, par

    l'histoire intime de l'individu telle que la dcouvre l'analyse, queles rapports avec ce pre furent, peut-tre ds le dbut,ambivalents, ou en tout cas le devinrent bientt, c'est--dire qu'ilscomprenaient deux courants motifs contraires, non seulement unsentiment de soumission tendre, mais un autre encore d'hostilit etde dfi. Cette mme ambivalence, selon notre manire de voir,domine les rapports de l'humanit avec sa divinit. C'est par ceconflit sans fin existant, d'une part, entre la nostalgie du pre, et,d'autre part, la crainte et le dfi filiaux, que nous avons puexpliquer d'importants caractres et de dcisives volutions desreligions 1.

    Nous savons d'autre part, du mauvais Dmon, qu'il est

    considr comme antagoniste de Dieu et pourtant commeparticipant de trs prs la nature divine. Son histoire, toutefois,n'est pas aussi bien approfondie que celle de Dieu, toutes lesreligions n'ont pas adopt le mauvais Esprit, l'adversaire de Dieu ;son prototype dans la vie individuelle reste d'abord dans l'ombre.Mais ce qui est certain, c'est que des dieux peuvent devenir demchants dmons lorsque de nouveaux dieux les refoulent. Quandun peuple est vaincu, il n'est pas rare que ses dieux tombs semuent en dmons pour le peuple vainqueur. Le mauvais Dmon dela foi chrtienne, le Diable au Moyen Age, tait lui-mme, selon lamythologie chrtienne, un ange dchu, de mme essence que Dieu.Il n'est pas besoin de grande finesse analytique pour deviner que

    Dieu et Diable taient identiques au dbut, une personnalitunique, laquelle, plus tard, fut scinde en deux figures doueschacune de qualits opposes 2. Aux temps primitifs des religions,Dieu avait lui-mme tous les traits effrayants qui, par la suite,furent runis dans son pendant contraire.

    1 Voyez Totem et Tabou et pour le dtail Th. Reik, Probleme der Religions psychologie (problmes de psychologie religieuse), 1,

    1919.2 Voyez Th. Reik, Der eigene und der fremde Gott. (Le propre dieu

    et le dieu tranger.) (Imago, Ill, 1923), dans le chapitre intitul :

    Dieu et Diable.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    21/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 21

    Il y a l un processus psychique qui nous est bien connu, ladcomposition d'une reprsentation impliquant opposition etambivalence en deux contraires violemment contrasts. Mais cescontradictions dans la nature primitive de Dieu sont un reflet de

    l'ambivalence qui domine des rapports de l'individu son proprepre. Si le Dieu bon et juste est un substitut du pre, comments'tonner que l'attitude oppose, de haine, de crainte et dercrimination, se soit formule dans la cration de Satan ? Le preserait par consquent le modle primitif et individuel aussi bien deDieu que du Diable. Les religions porteraient alors l'empreinteineffaable de ce fait que le pre ancestral tait un tre d'unemchancet sans bornes, moins semblable Dieu qu'au Diable.

    Il n'est pas si facile, certes, de dcouvrir dans la vie psychiquede l'individu la trace de la conception satanique du pre. Quand lepetit garon dessine des figures grimaantes et des caricatures, onrussit peut-tre dmontrer qu'il s'y moque de son pre, et quand

    filles et garons ont peur des brigands ou des cambrioleurs, on peutsans difficults reconnatre en ceux-ci des drivs du pre 1. Demme les btes qui apparaissent dans les phobies d'animaux chezl'enfant sont le plus souvent des substituts du pre, comme l'taitaux temps ancestraux l'animal totem. Mais il est rare de voir d'unemanire aussi nette que chez notre peintre nvros du XVIIe siclele Diable tre une copie du pre et se prsenter comme sonsubstitut. C'est pourquoi, au dbut de ce travail, j'exprimais l'espoirqu'une histoire de maladie dmonologique de ce genre pourraitnous livrer, en mtal vierge, ce qu'un pnible travail analytiquedoit tirer du minerai brut des associations et des symptmes desnvroses d'une poque ultrieure, laquelle n'est plus superstitieuse,

    mais est par contre devenue hypocondriaque2

    .

    1 Le pre loup apparat comme commettant une effraction dans leconte bien connu des sept petits chevreaux.

    2 Si, dans nos analyses, nous russissons si rarement dcouvrir leDiable comme substitut du pre, il se peut que cela tienne ce faitque cette figure de la mythologie du Moyen Age a cess depuislongtemps de jouer son rle auprs des personnes qui sesoumettent notre analyse.

    Pour la pieux chrtien des sicles passs, la foi en la Diablen'tait pas moins un devoir que la foi en Dieu. Il avait besoin duDiable pour pouvoir tenir ferme Dieu. La diminution de la lui aensuite, pour diverses raisons, atteint d'abord et avant tout la

    personne du Diable. Si l'on ose appliquer l'ide du Diable

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    22/39

    22 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    Notre conviction se fortifiera sans doute encore enapprofondissant l'analyse de la maladie de notre peintre. Riend'extraordinaire ce qu' la suite de la mort de son pre, un

    homme souffre d'une dpression mlancolique et d'une inhibitionau travail. Nous en conclurons qu'il prouvait pour ce pre unamour particulirement fort et nous nous rappellerons combiensouvent une mlancolie profonde se manifeste comme modenvrotique du deuil.

    Nous aurons certes en ceci raison, mais non plus si nous enconcluions que ces rapports aient t de pur amour. Au contraire,un deuil de par la perte du pre se transformera d'autant plusaisment en mlancolie que les relations avec celui-ci taientdavantage sous le signe de l'ambivalence. En faisant ressortir cetteambivalence, nous nous prparerons comprendre le ravalementdu pre, tel qu'il se trouve exprim par la nvrose dmoniaque du

    peintre. S'il nous tait possible d'en apprendre autant sur Chr.Haitzmann que sur l'un de nos patients soumis l'analyse, nouspourrions aisment faire se dvelopper cette ambivalence, amenerle malade se ressouvenir quand et quel propos il eut lieu decraindre son pre et de le dtester, mais surtout nous pourrionsdcouvrir les facteurs accidentels qui se sont surajouts auxfacteurs typiques de la haine du pre qui prennent invitablementracine dans les rapports naturels entre pre et fils. Peut-tretrouverait-on alors une explication toute spciale l'inhibition autravail. Il est possible que le pre se soit dans ce cas oppos audsir du fils de se faire peintre ; l'incapacit que ce dernierprouva, aprs la mort de son pre, d'exercer son art, aurait ainsit, d'une part, une manifestation de l' obissance aprs coup ,phnomne bien connu, d'autre part, elle aurait, en rendant le filsincapable de pourvoir sa propre subsistance, augment sesregrets d'un pre considr comme un protecteur contre les soucisde la vie. En tant qu'obissance aprs coup, elle serait aussi unemanifestation de remords et une autopunition fort russie.

    Ne pouvant entreprendre une analyse de ce genre propos deChr. Haitzmann, mort en 1700, nous devrons nous borner mettreen vidence les particularits de l'histoire de sa maladiesusceptibles de donner des indications sur les points de dpart

    substitut du pre l'histoire de la civilisation, on envisagera aussi

    sous un jour nouveau les procs de sorcires au Moyen Age.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    23/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 23

    typiques d'une attitude hostile envers le pre. Il n'y en a que fortpeu, pas trs frappantes mais fort intressantes.

    Tout d'abord le rle du nombre neuf. Le pacte avec le Malin

    est conclu pour neuf ans. La relation certainement digne de foi ducur de Pottenbrunn s'exprime clairement l-dessus : pro novemannis Syngraphen scriptam tradidit. Cette lettre d'introduction,date du 1er septembre 1677, nous indique galement que le dlaisera coul dans quelques jours : quorum et finis 24 mensis hujusfuturus appropinquat. Le pacte aurait ainsi t sign le 24septembre 1668 1. Et, dans cet expos, le nombre neuf se trouveavoir encore une autre application. Nonies - neuf fois -c'est neuffois que le peintre affirme avoir rsist aux tentations du Malinavant de succomber. Ce dtail ne sera plus rappel dans les rcitsultrieurs, Post annos novem , est-il dit encore dans l'attestationde l'abb, et ad novem annos , rpte le compilateur dans sonextrait, ce qui montre que ce nombre n'a pas t considr comme

    ngligeable.

    Par les fantasmes nvrotiques, le nombre neuf nous estfamilier. C'est le nombre des mois de gestation et toujours, dsqu'il apparat, il oriente notre attention vers un fantasme degrossesse. Chez notre peintre, il est vrai, il est question de neufans, non de neuf mois ; et le nombre neuf, dira-t-on, est par lui-mme un nombre significatif. Mais qui sait si le nombre neuf, engnral, ne doit pas une grande part de son prestige son rle dansla grossesse ? La transformation de neuf mois en neuf annes nedoit pas nous garer. Nous savons par le rve comment notre activit psychique inconsciente en prend son aise avec lesnombres. Si, par exemple, nous rencontrons dans un rve lenombre cinq, il faut chaque fois le reporter un cinq importantdans la vie veille ; dans la ralit, ce sont cinq ans de diffrenced'ge, ou une socit de cinq personnes, mais ils apparaissent dansle rve sous forme de cinq billets de banque ou de cinq fruits. C'estainsi que le chiffre reste identique, mais que ce qu'il dsignechange suivant les besoins des condensations et des dplacementsdu rve. Neuf annes dans le rve peuvent ainsi facilementcorrespondre neuf mois dans la ralit. Le travail du rve jongleencore d'une autre manire avec les chiffres de la vie veille, enngligeant avec une souveraine indiffrence les zros, en ne les

    1 Nous nous occuperons plus loin de cette contradiction que les

    deux pactes portent la mme date de 1669.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    24/39

    24 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    traitant pas comme des nombres. Ainsi cinq dollars, dans le rve,peuvent tout aussi bien reprsenter cinquante, cinq cents, cinqmille dollars dans la ralit.

    Un autre dtail des relations du peintre avec le Diable nousramne galement la sexualit. La premire fois il voit le Diable,ainsi que nous l'avons dj mentionn, sous l'apparence d'unhonorable bourgeois. Mais ds la fois suivante, le Diable est nu,difforme et il a deux mamelles de femme. Il y en aura tantt uneseule paire, tantt plusieurs, mais les mamelles ne manquerontdans aucune des apparitions suivantes. Dans l'une de celles-ciseulement, le Diable portera en sus des mamelles un norme pnisse terminant en serpent. Cette accentuation caractristique du sexefminin par des seins volumineux et pendants (A n'y a jamaisd'indication d'organes gnitaux femelles) semble en contradictionfrappante avec notre hypothse que le Diable soit pour notrepeintre un substitut du pre. En elle-mme une pareille

    reprsentation du Diable est de fait trs insolite. Quand Diable devient un concept de genre et crue par suite apparat un grandnombre de diables, rien d'tonnant en voir reprsents defminins; mais il ne me semble pas qu'on reprsente jamais leDiable , qui est une grande et puissante individualit, le matre del'enfer et l'adversaire de Dieu, autrement que mle, mme plus nemle, avec cornes et queue et un grand pnis-serpent.

    On peut cependant, par ces deux petits indices, deviner quelfacteur typique conditionne le ct ngatif des relations du peintre son pre. Ce contre quoi il se dbat est l'attitude fminine parrapport ce pre, attitude qui atteint son point culminant dans lefantasme d'accoucher d'un enfant de celui-ci (neuf ans). Nousconnaissons parfaitement cette rsistance par nos analyses o elleprend des formes trs curieuses dans le transfert et nous donnebien du mal. Par son deuil du pre disparu, par sa nostalgiecroissante de celui-ci, voici que chez notre peintre se trouveractiv le fantasme depuis longtemps refoul de la grossesse,fantasme contre lequel il doit se dfendre par la nvrose et leravalement du pre.

    Mais pourquoi ce pre rabaiss au rle de Diable porte-t-il lesattributs corporels de la femme? Ce trait semble d'abord difficile interprter, mais bientt se prsentent deux explications qui entrenten concurrence sans toutefois s'exclure. L'attitude fminine envers

    le pre fut frappe par le refoulement aussitt que le petit garon

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    25/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 25

    eut compris que la concurrence avec la femme pour l'amour dupre aurait pour condition la renonciation son propre organe viril,c'est--dire la castration. Le rejet de l'attitude fminine est ainsi laconsquence de la lutte contre la castration, et il trouve

    rgulirement sa plus forte expression dans le fantasme contraire :chtrer le pre lui-mme, faire de lui une femme. Les mamelles duDiable rpondraient alors la projection de la propre fminit dufils sur le substitut paternel. L'autre explication de cet attribut ducorps du Diable est de l'ordre tendre et non plus hostile : d'aprselle, cette figuration serait un indice de ce que la tendresse infantilepour la mre a t reporte sur le pre et implique ainsi une fortefixation maternelle antrieure qui, de son ct, est responsablepour une part de l'hostilit contre le pre. Les seins dveloppssont la marque positive du sexe de la mre, dj a une poque ol'enfant ne connat pas encore le caractre ngatif de la femme,l'absence de pnis 1.

    Si la rpugnance accepter la castration rend impossible notre peintre la liquidation de sa nostalgie du pre, on comprendraaisment qu'il se soit adress l'image de la mre pour chercheraide et salut. C'est pourquoi il dclare que seule la Sainte Mre deDieu de Mariazell peut le sauver du pacte contract avec le Diableet c'est au jour de la Nativit de la Vierge (8 septembre) qu'ilobtient sa dlivrance. Nous ne saurons naturellement jamais si lejour o le pacte fut conclu, le 24 septembre, n'tait pas, lui aussi,un jour de mme spcialement consacr.

    Il n'y a peut-tre pas, dans les constatations psychanalytiquessur la vie psychique de l'enfant, de partie qui semble, un adultenormal, aussi dplaisante et aussi incroyable que l'attitudefminine du petit garon envers le pre et le fantasme de grossessequi en dcoule. Nous n'en pouvons parler sans souci et besoin d'ychercher des excuses que depuis la publication, par le prsident dela Haute Cour de Saxe, Daniel-Paul Schreber, de l'histoire de samaladie psychotique et de sa gurison presque complte 2. Nous

    1 Comparer : Un souvenir d'enfance de Lonard de Vinci EineKilidheitserinnerung des Leonardo da Vinci, Ges. Schriften, vol.IX.) (Trad. Marie Bonaparte, Paris, Gallimard, 1927.)

    2 D. P. Schreber,Denkwrdigkeiten eines Nervenkranken (Leipzig,1903) (Mmoires d'un nvropathe). Comparer mon analyse du casSchreber (Psychonnalytische Bemerkungen ber einen

    autobiographisch beschriebenen Fall von Paranoia, Ges.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    26/39

    26 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    apprenons par cette inestimable publication que Monsieur lePrsident de la Haute Cour, vers la cinquantime anne de sa vie,acquit la conviction absolue que Dieu, - lequel, de plus, offre lestraits reconnaissables du pre du Prsident, le digne mdecin

    docteur Schreber, - avait pris la rsolution de le chtrer, d'user delui comme d'une femme et d'engendrer par lui des hommesnouveaux de l'essence des Schreber. (Lui-mme tait sans enfantsde son mariage.) De par la lutte qu'il entreprit contre cette intentionde Dieu, qui lui semblait aussi injuste que contraire l'ordre del'univers , il tomba malade, prsentant tous les symptmes d'uneparanoa, laquelle cependant diminua au cours des annes jusqu'ne plus laisser qu'un rsidu minime. Le brillant rdacteur de sapropre histoire pathologique ne pouvait certes pas se douter qu'ildcouvrait en elle un facteur pathogne typique.

    Cette rpugnance la castration ou l'attitude fminine, Alf.Adler l'a arrache de son ensemble organique, la ramenant, par de

    superficiels ou faux rapports, la volont de puissance, et il l'apose comme une tendance indpendante sous le nom de protestation mle . Mais une nvrose ne pouvant jamais provenirque du conflit entre deux tendances, on est tout aussi justifi voirla cause de toutes les nvroses dans la protestation mle quedans l'attitude fminine contre laquelle il est protest. Il est exactque cette protestation mle a une part rgulire la formation ducaractre, part trs importante dans certains types et que, dansl'analyse d'hommes nvross, elle se dresse devant nous commeune vive rsistance. La psychanalyse estime sa valeur laprotestation mle en fonction du complexe de castration, sanspouvoir tmoigner de sa toute-puissance ou de son omniprsencedans les nvroses. De tous les cas de protestation mle manifestedans l'ensemble des ractions et des traits de caractre manifestes,le plus frappant de ceux ayant rclam mon intervention s'esttrouv en avoir besoin de par une nvrose obsessionnelle danslaquelle le conflit non rsolu entre l'attitude masculine et l'attitudefminine (peur de la castration et plaisir de la castration) taitparvenu s'exprimer clairement. De plus, le patient avait desfantasmes masochistes qui tendaient tous vers le dsir d'accepter lacastration et il en tait arriv, pouss par ces fantasmes, enrechercher la satisfaction matrielle d'une manire perverse.

    Schriften, vol. VIII). (Remarques psychanalytiques surL'autobiographie d'un cas de paranoa dans Revue franaise de

    Psychanalyse, 1932, fasc. I.)

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    27/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 27

    L'ensemble de son tat reposait - de mme, du reste, que la thoried'Adler - sur le refoulement, la ngation des fixations amoureusesde la premire enfance.

    Le Prsident Schreber trouva la gurison lorsqu'il se dcida abandonner la rsistance contre la castration et s'accommoder durle fminin que Dieu lui avait rserv. Il se sentit alors serein etcalme, put rclamer et raliser lui-mme sa sortie de l'asile etmener une vie normale, sauf sur ce seul point que chaque jour ilconsacrait quelques heures aux soins de sa fminit, restantpersuad que les lents progrs de celle-ci atteindraient le butassign par Dieu.

    IV

    Les deux pactes

    Un dtail singulier dans l'histoire de notre peintre se trouvetre la dclaration d'avoir conclu avec le Diable deux pactesdiffrents.

    Le premier, crit l'encre noire, avait pour texte

    Moi, Chr. H.... je signe ici, me vouant ce seigneur commeson propre filspour neuf ans.

    Le deuxime, crit avec du sang, s'exprime ainsi

    Chr. H..., Je m'engage par crit ce Satan, promettant d'tre

    son propre fils et dans neuf ans de lui appartenir corps et me.

    Les originaux des deux pactes ont d, au moment de lardaction du Trophaeum, tre prsents dans les archives deMariazell ; tous deux portaient la mme date de 1669.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    28/39

    28 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    J'ai mentionn plusieurs fois dj ces deux pactes, et je vais prsent m'en occuper plus fond, quoique le danger d'exagrer desminuties semble ici particulirement grand.

    Il est trange qu'un individu se voue deux fois au Diable, etcela, de manire ce que le premier pacte crit se trouve remplacpar le deuxime, sans toutefois perdre sa propre validit. Qui estdj familiaris avec les histoires du Diable s'en tonnera peut-tremoins. Je ne pus, quant moi, y voir qu'une particularit de notrecas et je fus pris de soupon lorsque je constatai que c'tait justement le point sur lequel les rcits ne concordaient pasexactement. Or, l'tude de ces contradictions va nous amener d'unemanire inattendue une comprhension plus approfondie du casde notre malade.

    La lettre d'introduction du cur de Pottenbrunn indique un tatde choses des plus simples et clairs. Il n'y est question que d'un

    seul pacte crit par le peintre avec du sang neuf ans auparavant etqui devait dans quelques jours, le 24 septembre, arriver terme; cepacte aurait donc t tabli le 24 septembre 1668 ;malheureusement cette date, qu'on peut dduire avec certitude,n'est pas cite expressment.

    L'attestation de l'abb Franciscus, date, comme nous lesavons, de peu de jours plus tard (du 12 sept. 1677), mentionnedj un tat de choses plus compliqu. On devra admettre, cesemble, que le peintre ait fait, entre-temps, des communicationsplus dtailles. Dans cette attestation, il est dit que le peintre asign deux pactes, le premier en 1668 (ainsi que cela doit tre eneffet d'aprs la lettre d'introduction) crit l'encre noire ; l'autre,sequenti anno 1669, crit avec du sang. Le pacte qui lui fut rendule jour de la Nativit de la Vierge tait celui crit avec du sang,donc le dernier pacte, conclu en 1669. Ceci ne ressort pas del'attestation de l'abb, car il y est simplement dit : schedamredderetet schedam sibi porrigentem conspexisset, comme s'il nepouvait tre question que d'un seul crit. Mais cela dcoule de lasuite de l'histoire, ainsi que du titre en couleurs du Trophaeum o,sur le billet que tient le dragon diabolique, se voit distinctementl'criture rouge. La marche ultrieure des vnements, comme il adj t dit, fut telle : le peintre revint en mai 1678 Mariazell,aprs avoir subi Vienne de nouveaux assauts du Malin, et ildposa sa requte, demandant que, par un nouvel acte de grce de

    la Sainte Vierge, le premier document, celui crit l'encre, lui ft

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    29/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 29

    rendu. La faon dont cela eut lieu n'est plus dcrite aussiamplement que la premire fois. Il est simplement dit qua iuxtavotum reddita et, un autre endroit, le compilateur raconte que cemme pacte chiffonn et dchir en quatre 1 fut jet par le

    Diable au peintre, le 9 mai 1678, vers neuf heures du soir.

    Les pactes portent cependant tous deux la mme date : anne1669.

    Ce dsaccord ou bien ne signifie rien du tout, ou bien nousamne penser ce qui suit :

    Si nous partons de l'expos de l'abb comme tant le pluscomplet, toutes sortes de difficults se prsentent. Lorsque Chr.H... avoua au cur de Pottenbrunn qu'il tait en proie auxpoursuites du Diable et que l'chance tait proche, il ne pouvait(en l'an 1677) avoir pens qu'au pacte conclu en 1668, donc au

    premier pacte, celui en noir (que la lettre de recommandationdsigne seul, mais en l'indiquant comme tant de sang).Cependant, quelques jours plus tard, Mariazell, il ne seproccupe plus que de ravoir le deuxime, de sang, qui n'est pasencore chu (1669-1677) et il laisse passer l'chance du premier.Celui-ci, ce n'est qu'en 1678 qu'il le redemande, c'est--dire dans ladixime anne aprs qu'il a t conclu. De plus, pourquoi les deuxpactes sont-ils dats de la mme anne 1669, puisque l'un d'eux estexpressment attribu anno subsequenti ?

    Le compilateur doit avoir senti ces difficults, car il tente deles lever. Dans son introduction il adopte l'expos de l'abb, mais ille modifie sur un point. Le peintre, dit-il, aurait fait en

    1669avec

    le Diable un pacte crit l'encre, deinde vero , et plus tard avecdu sang. Il laisse de ct les donnes formelles des deux relations,d'aprs lesquelles un des pactes choit en l'anne 1678, et ngligedans l'attestation de l'abb cette remarque que la date de l'anne achang entre la signature des deux pactes, afin de rester d'accordavec la date que portent les deux crits rendus par le Diable.

    Dans l'attestation de l'abb, aprs les mots sequenti vero anno1669, se trouve entre parenthses ce passage : simitur hic alterannus pro nondum completo uti saepe in loquendo fieri solet, nam

    1 Zusammeng eknult und in vier Stcke zerrissen.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    30/39

    30 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    eundum annum indicant Syngraphae quarum atramento scripta

    ante praesentem attestationem nondum habita fuit. Ce passage estune indubitable interpolation du compilateur, car l'abb, qui n'a vuqu'un seul pacte, ne peut donc pas tmoigner qu'ils portent tous

    deux la mme date. Il semble du reste que par la parenthse onveuille indiquer que c'est une adjonction trangre l'attestation.Ce qu'elle contient est un autre essai du compilateur pour concilierles contradictions dont il est question. Ce dernier pense qu'il estexact, certes, que le premier pacte ait t conclu en 1668, mais que,comme l'anne tait alors trs avance (septembre), le peintre doitl'avoir antidat d'une anne ; ainsi les deux pactes peuventprsenter la mme date. Le fait qu'il s'autorise de ce qu'on en usesouvent de mme dans les rapports oraux condamne tout cet essaid'explication, qui n'est qu'un expdient.

    Je ne sais pas trop si mon expos a fait impression sur lelecteur et s'il l'a mis en tat de s'intresser ces minuties. Il me

    semblait impossible d'tablir d'une manire indubitable l'exact tatdes choses, mais je suis arriv, en tudiant cette affaireembrouille, une supposition qui a l'avantage d'indiquer de lafaon la plus naturelle comment les choses ont d se passer, mmesi les tmoignages crits ne concordent pas absolument avec elle.

    Je pense que, lorsque le peintre vint Mariazell pour lapremire fois, il ne parla que d'un seul pacte, crit, d'aprs la rgle,avec du sang, et devant bientt choir, par consquent conclu enseptembre 1668, tout fait comme il est dit dans la lettred'introduction du cur. A Mariazell il prsenta aussi ce pacte desang comme tant celui que le Dmon lui avait rendu sous lacontrainte de la Sainte Mre. Nous savons ce qui arriva ensuite. Lepeintre quitta bientt le plerinage et alla Vienne o il se sentiten effet dlivr jusqu' la mi-octobre. Mais alors les souffrances etles apparitions, qu'il attribuait aux efforts du Malin,recommencrent. Il prouva de nouveau le besoin d'tre dlivr,mais il se trouva alors confront par la difficult d'expliquerpourquoi l'exorcisme dans la chapelle sainte ne lui avait pasapport de dlivrance durable. Peut-tre, ayant rcidiv et n'tantpas guri, craignait-il de n'tre pas bien reu Mariazell. Dans cetembarras, il imagina un pacte primitif, antrieur, mais qui devaittre crit l'encre, afin qu'il part plausible que ce pacte et trelgu au second plan par un autre, ultrieur, crit avec du sang.Revenu Mariazell, il se fit aussi rendre ce soi-disant premier

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    31/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 31

    pacte. Il fut alors vraiment dlivr du Malin, mais il fit toutefois,en mme temps, autre chose.

    Ce n'est assurment que pendant ce second sjour Mariazell

    qu'il acheva les dessins ; la feuille de titre, compose d'ensemble,contient la reprsentation des deux scnes du pacte. Le peintre peutfort bien s'tre trouv embarrass dans sa tentative pour mettred'accord ses nouvelles dclarations avec les prcdentes. C'tait undsavantage pour lui de n'avoir pu imaginer qu'un pacte antrieuret non un pacte ultrieur. Il ne pouvait, par l, empcher qu'il n'enrsultt cette maladroite occurrence : il avait retir trop tt un despactes, celui en lettres de sang (dans la huitime anne) ; l'autre, lenoir, trop tard (dans la dixime anne). Un indice trahit sa doublerdaction ; il lui arriva de se tromper en datant les pactes et deplacer aussi le prcdent dans l'aime 1669. Cette erreur a lasignification d'une franchise involontaire ; elle nous fait devinerque le pacte soi-disant antrieur fut tabli pour une chance plus

    lointaine. Le compilateur, qui n'eut s'occuper de la matire qu'en1714, peut-tre seulement en 1729, dut s'efforcer de fairedisparatre autant que possible ces contradictions, qui ne sont passans importance. Comme les deux pactes qu'il avait devant luiportaient la date de 1669, il se tira d'affaire par l'expdient qu'estl'essai d'explication intercal dans l'attestation de l'abb.

    On reconnat sans peine o rside la faiblesse de cettesduisante reconstruction. La mention de deux pactes, d'un noir etd'un rouge sang, se trouve dj dans l'attestation de l'abbFranciscus. J'ai donc le choix, ou bien de supposer que lecompilateur ait aussi chang quelque chose cette attestation, cecien troite connexion avec son interpolation, ou bien de reconnatreque je ne suis pas capable de dbrouiller cette confusion 1.

    1 Le compilateur s'est trouv, nie semble-t-il, comme coinc entredeux points fixes. D'une part, dans la lettre d'introduction du cur,de mme que dans l'attestation de l'abb, il trouvait cette donneque le pacte (du moins le premier) avait t tabli en 1668 ;d'autre part, les pactes, conservs dans les Archives, portaient tousdeux la date de 1669. Ayant sous les yeux deux pactes, il dutcroire fermement que deux pactes avaient t conclus. Si, dansl'attestation de l'abb, il n'tait, comme je le crois, question qued'un seul pacte, le compilateur fut oblig d'introduire dans cetteattestation la mention du deuxime, et, pour lever la contradiction,

    il admit que celui-ci avait t antidat. Le changement qu'il

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    32/39

    32 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    Toute cette discussion doit sembler depuis un bon momentbien superflue au lecteur, et les dtails examins de trop peud'importance. Mais la chose prend un intrt nouveau quand on la

    poursuit dans un certain sens.

    J'ai dit, tout l'heure, au sujet du peintre, que dsagrablementsurpris parla marche de sa maladie, il avait imagin un pacteantrieur (celui l'encre) pour pouvoir maintenir sa position vis--vis des prtres de Mariazell. Or, j'cris pour des lecteurs qui, touten croyant, il est vrai, la psychanalyse, ne croient pas au Diable,et qui pourraient me reprsenter l'absurdit qu'il y a faire cepauvre bonhomme de peintre - la lettre d'introduction le nommehune miserum - un pareil reproche. Le pacte en lettres de sangdevait tre tout aussi imaginaire que le soi-disant pacte antrieur l'encre. En ralit, aucun diable ne lui tait apparu, tout le pacteavec le Diable n'existait que dans son imagination. J'en conviens,

    et on ne peut contester ce malheureux le droit de complter sonfantasme primitif par un nouveau, quand des circonstancesnouvelles semblaient l'exiger.

    Mais, ici encore, il faut voir plus loin. Les deux pactes ne sonten effet pas des fantasmes comme les visions du Diable; c'taientdes documents qui, d'aprs les affirmations du copiste, comme plustard d'aprs le tmoignage de l'abb Kilian, taient conservs dansles archives de Mariazell et que tout le monde pouvait voir ettoucher. Nous nous trouvons donc ici dans un dilemme. Ou bien

    entreprit dans le texte est immdiatement voisin de l'interpolation

    que lui seul peut avoir faite. Il fut forc de runir par les motssequenti vero anno 1669 l'interpolation et le changement dans letexte, parce que le peintre, dans la lgende explicative (trsendommage) de l'image du titre, avait expressment crit :

    Nach einem Jahr wrdt Er... schrkhliche betrohungen in ab-... gestalt Nr. 2 bezwungen sich,... .. nBluut zu verschreiben.(Aprs une anne il fut ... ... terriblement menac ... ... figure

    n 2, fut oblig ... ... signer avec du sang ...)L'erreur faite par la peintre lorsqu'il prpara las Syngraphae,

    et qui m'a contraint ces tentatives d'explication, ne me semble

    pas moins intressante que ses pactes eux-mmes.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    33/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 33

    nous devons admettre que le peintre avait fabriqu lui-mme, aumoment voulu, quand il en avait eu besoin, les deux schedae quilui avaient soi-disant t rendues de par la grce divine, ou bien ilnous faut considrer Messieurs les ecclsiastiques de Mariazell et

    de Saint-Lambert, malgr toutes les solennelles assurances,constatations de tmoins avec sceaux, etc., comme n'tant pasdignes de foi. J'avoue que ce n'est qu'avec peine que je suspecteraisles ecclsiastiques. J'incline certes admettre que le compilateur,dans l'intrt de la concordance, a falsifi quelque chose l'attestation du premier abb, mais ce travail d'laborationsecondaire n'outrepasse pas les accomplissements analogues deshistoriens modernes et laques, et fut fait, en tout cas, de bonne foi.Dans d'autres circonstances, les religieux se sont acquis un droitmotiv notre confiance. Je l'ai dj dit, rien ne les empchait desupprimer les relations relatives la gurison incomplte et lacontinuation des tentations; de mme, la description de la scned'exorcisme dans la chapelle, qu'on pouvait quelque peu redouter,

    est conte de faon sobre et vraisemblable. Il ne reste donc plusqu' accuser le peintre. Ce dernier devait avoir sur lui le pacte enlettres rouges lorsqu'il se rendit la chapelle pour faire son acte depnitence, et il le produisit ensuite, lorsqu'il revint vers les tmoinsecclsiastiques aprs sa rencontre avec le Dmon. Aucunencessit non plus ce que ce papier et t le mme que celuiconserv plus tard dans les archives ; d'aprs notre reconstruction,ce premier papier pouvait fort bien porter la date de 1668 (neuf ansavant la sance d'exorcisme).

    V

    La nvrose ultrieure

    Mais tout cela serait de la fraude et non de la nvrose, lepeintre serait un simulateur et un faussaire, non pas un possd!Cependant, on le sait, les frontires entre la nvrose et lasimulation sont flottantes. Je n'prouve non plus aucune difficult

    admettre que le peintre ait crit et emport ce billet, comme ceux

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    34/39

    34 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    qui ont suivi, dans un tat particulier comparable celui de sesvisions. Il ne pouvait en effet pas faire autrement s'il voulaitraliser son fantasme de pacte avec le Diable et de dlivrance.

    Par contre, le journal rdig Vienne, et qu'il remit auxreligieux lors de son second sjour Mariazell, porte le cachet dela vracit. Ce document nous permet de jeter un regard profondsur la motivation, nous dirions mieux : sur la mise profit de lanvrose.

    Les annotations s'tendent de l'poque de l'heureux exorcismeau 15 janvier de l'anne suivante 1678. Jusqu'au 11 octobre, lepeintre se porta trs bien, Vienne, o il demeurait chez une surmarie, mais alors recommencrent de nouveaux tats morbides,avec visions, convulsions, vanouissements et sensationsdouloureuses, qui amenrent son retour Mariazell en mai 1678.

    Ce nouveau rcit de ses souffrances se divise en trois phases.D'abord la tentation se manifeste sous forme d'un cavalier bienhabill qui cherche le persuader de jeter le billet attestant sonadmission chez les Frres du Saint-Rosaire. Comme il rsiste, lamme apparition se reproduit le lendemain, mais cette fois dansune salle superbement orne, o des gentilshommes et de bellesdames dansent. Le mme cavalier qui l'a dj une fois tent lui faitencore des propositions se rapportant 1 la peinture et lui prometen change une belle somme d'argent. Aprs qu'il a russi par desprires faire vanouir cette vision, elle se renouvelle quelquesjours plus tard sous une forme encore plus impressionnante. Cettefois, le cavalier lui dpche l'une des plus belles femmes qui

    taient assises la table du festin, afin qu'elle l'amne dans labrillante compagnie et il a de la peine se dfendre contre latentatrice. Mais plus effrayante encore est la vision qui suit bientt,d'une salle encore plus magnifique dans laquelle s'levait untrne d'or2 . Des cavaliers se tiennent tout autour et attendentl'arrive de leur roi. La mme personne qui s'tait souvent djoccupe de lui s'approche et l'engage monter sur le trne car ilsvoulaient le prendre pour leur roi et le rvler en toute ternit3 .

    1 Cepassage m'est restincomprhensible.2 Goldstuckh aufgerichteter Thron .

    3 Wollten fr ihren Knig halten und in verehren .

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    35/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 35

    C'est par cette amplification du fantasme que se termine cettepremire et trs transparente phase de l'histoire de la tentation.

    Une raction devait prsent se produire. L'asctisme prend le

    dessus. Le 20 octobre, une grande gloire apparat au peintre, il ensort une voix qui se fait reconnatre pour celle du Christ et luienjoint de renoncer au monde et de servir Dieu pendant six ansdans un dsert. Il souffre manifestement plus de ces saintes appa-ritions que des dmoniaques qui les avaient prcdes. Il ne serveille de cette crise qu'au bout de deux heures et demie. Dans lasuivante, le saint personnage, entour d'une gloire, est moinsbienveillant encore, il menace le peintre parce que celui-ci n'a pasaccept la proposition divine et il le conduit dans l'Enfer afin del'pouvanter par le spectacle du sort des damns. La menace n'agitmanifestement pas, car les apparitions du personnage rayonnant,qui doit tre le Christ, se rptent, occasionnant des pertes deconnaissance et des extases qui durent chaque fois plusieurs

    heures. Dans la plus grandiose de ces extases, le personnageglorieux conduit le peintre d'abord dans une ville dans les rues delaquelle les hommes s'adonnent toutes les oeuvres de tnbres, etensuite, par contraste, dans une belle prairie o des ermites mnentune vie sainte et reoivent des tmoignages palpables de la grcede Dieu et de sa Providence. Ensuite, la place du Christ, la SainteMre elle-mme apparat, enjoignant au malade, au nom de l'aidequ'elle lui a dj accorde, d'obir ait commandement de son filsbien-aim. Comme il ne s'y rsolvait pas bien1 , le jour suivantle Christ revient et le presse fort, avec menaces et promesses. Ilcde enfin, dcide de renoncer au monde et de faire ce qu'on attendde lui. Cette dcision mit fin la seconde phase. Le peintreconstate qu' partir de ce moment il n'a plus eu ni visions nitentations.

    Cette dcision, semble-t-il, n'tait toutefois pas trs ferme, oubien elle avait t trop diffre, car, le 26 dcembre, comme lepeintre faisait ses dvotions l'glise Saint-tienne, il ne put sedfendre la vue d'une alerte jeune personne marchant avec unseigneur en beau costume, de l'ide qu'il pourrait, lui, tre laplace de ce seigneur. Voil qui appelait un chtiment et, le soirmme, il en fut frapp comme d'un coup de foudre : il se vitentour de flammes et s'vanouit. On s'vertua le ranimer, mais il

    1 Da er sich nicht recht resolviret .

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    36/39

    36 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    se roula dans la chambre jusqu' ce que du sang lui sortt dit nez etde la bouche, il se sentait couvert de sueur et d'ordures et ilentendait une voix qui disait que cet tat lui tait envoy enpunition de ses futiles et vaines penses. Plus tard il fut encore

    frapp de cordes par les mauvais esprits et on lui annona qu'ilserait ainsi tourment tous les jours, jusqu' ce qu'il se ft dcid entrer dans un ordre d'ermites. Ces vnements durrent jusqu'au13 janvier, date laquelle s'arrte le journal.

    Nous voyons comment chez notre pauvre peintre les fantasmestentateurs se rsolvent d'abord en fantasmes asctiques et enfinpunitifs. Nous connaissons dj la fin de l'histoire de sessouffrances. Il se rendit en mai Mariazell o il confessa avoir faitun pacte antrieur, crit l'encre noire, auquel il croyait devoird'tre de nouveau tourment par le Diable ; il obtint qu'il lui ftrendu et se trouva guri.

    C'est pendant ce second sjour qu'il peignit les imagesreproduites dans le Trophaeum, mais alors il fit une chose quiconcordait avec les exigences de la phase asctique de son journal.Il ne s'en alla pas au dsert se faire ermite, mais il entra dansl'ordre des Frres de la Misricorde : religiosus factus est.

    La lecture du journal nous permet de comprendre un ctnouveau de tout cet ensemble. Nous nous rappelons que le peintres'tait vou au Diable parce que, aprs la mort de son pre,mcontent et incapable de travailler, il tait en peine de gagner savie. Or ces facteurs, dpression, inhibition au travail et deuil dupre, sont relis d'une manire quelconque, simple ou complique.Peut-tre les apparitions du Diable taient-elles si largementpourvues de mamelles parce que le Malin devait devenir son prenourricier. Mais cet espoir ne se ralisa pas, tout continua luirussir mal, il ne put travailler convenablement ou bien n'eut pasde chance et ne trouva pas assez de travail. La lettre d'introductiondu cur dit de lui : hune miserum omni auxilio destitutum .Ainsi le peintre n'tait pas seulement dans le besoin moral, ilsouffrait encore du besoin matriel. On trouve, dissmines dans lercit de ses dernires visions, des remarques qui montrent, toutcomme le contenu des scnes qu'il voit, que mme aprs la russitedu premier exorcisme, rien n'a t chang. Nous sommes enprsence d'un homme qui n'arrive rien, et auquel, cause de cela,on n'accorde aucune confiance. Dans la premire vision, le cavalier

    lui demande ce qu'il va faire, puisque personne ne s'occupe de lui :

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    37/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 37

    Puisqueje suis abandonn de tout le monde, qu'est-ce que je vaisfaire1 ? La premire srie de visions Vienne rpond tout faitaux fantasmes de dsir d'un pauvre, affam de jouissances,misrable : salles magnifiques, bonne chre, vaisselle d'argent,

    belles, femmes ; ici se retrouve ce qui nous avait manqu jusqu'prsent dans les rapports avec le Diable. Auparavant rgnait unemlancolie qui rendait le malade incapable d'aucune jouissance etle faisait renoncer aux offres les plus tentantes. Il semble que,aprs l'exorcisme, la mlancolie ait t surmonte et que toutes lesconvoitises temporelles aient repris vie.

    Dans l'une des visions d'asctisme il se plaint la personne quile mne (le Christ) que nul ne veuille le croire, ce qui l'empched'excuter ce qui lui est command. La rponse qu'il reoit nousreste malheureusement obscure. On ne veut pas ne croire, maisce qui est arriv, je le sais bien, mas il m'est moi-mme

    impossible de l'noncer2. Une lumire particulire nous est

    donne par ce que son divin guide lui fait voir chez les ermites : ilarrive une grotte o un vieil homme se tient depuis soixante ans,et il apprend, en rponse ses questions, que ce vieillard est nourritous les jours par les anges de Dieu. Et il voit ensuite lui-mmecomment un ange apporte manger au vieillard : trois cuellesde nourriture, un pain et une quenelle et de la boisson 3. Aprsque l'ermite s'est rassasi, l'ange rassemble les restes et les enlve.Nous comprenons quelles tentations ces pieuses visions peuventoffrir : elles doivent amener le malade choisir un moded'existence o les soucis de la nourriture lui seront pargns.Dignes de remarque sont aussi les paroles du Christ, dans ladernire vision. Aprs cette menace que, s'il ne se soumet pas,

    arrivera quelque chose qui le forcera, lui et les gens, croire, lepeintre rapporte les propos du Christ : Je ne dois pas nieproccuper des gens; mme si J'en tais perscut ou, si je n'en

    recevais aucune aide, Dieu ne m'abandonnerait pas4.

    1 ich von iedermann izt verlassen, svass ich anfangen wrde .2 So fer man mir nit glauben, wass aber geschechen, waiss ich

    wol, ist mit aber selbes auszusprchen unmglich .3 Drei Schsserl mit Speiss, ein Brot und ein Knldl und Getrnk.

    4 Ich solle die Leith nit achten, obwollen ich von ihnen verfolgt

    wurdte, oder von ihnen keine hilfflaistung empfienge. Gott wrde

    mich nit verlassen.

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    38/39

    38 Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle

    Chr. Haitzmann tait assez artiste et mondain pour qu'il ne luipart pas facile de renoncer ce monde pervers. Mais il le fitcependant la fin, cause de son dnuement. Il entra dans un

    ordre religieux et ainsi sa lutte intrieure comme sa misrematrielle prirent fin. Cette terminaison se reflte dans sa nvrosepar ceci que le fait d'avoir recouvr un soi-disant premier pacte ledbarrasse de ses crises et de ses visions. Au fond, les deux phasesde sa maladie dmonologique avaient le mme sens. Il ne cherchait jamais qu' assurer son existence, la premire fois avec l'aide duDiable, au prix de son salut, et lorsque le Diable lui eut fait dfautet qu'il dut renoncer lui, avec l'aide de l'glise, en sacrifiant salibert et la plupart des possibilits de jouissances qu'offre la vie.Peut-tre Chr. Haitzmann tait-il simplement un pauvre diable quin'avait pas de chance, peut-tre tait-il trop maladroit ou trop peudou pour se soutenir lui-mme, et appartenait-il ce typed'hommes connus sous le nom d' ternels nourrissons , lesquels

    ne peuvent s'arracher l'heureuse situation o ils se trouvaient ausein maternel, et qui, leur vie durant, gardent la prtention d'trenourris par quelqu'un d'autre. Et c'est ainsi que, dans cette histoirede maladie, parti du pre, il retourna, en passant par le Diable,substitut du pre, aux Saints Pres.

    A l'observation superficielle, cette nvrose apparat comme untour de passe-passe qui recouvre tout un ct de la grave, maisbanale lutte pour la vie. Tel n'est pas toujours le cas, mais ceciarrive pourtant assez souvent. Les analystes exprimentent souventcombien il est peu avantageux d'avoir soigner un commerantqui, bien portant d'autre part, montre depuis quelque temps lessymptmes d'une nvrose . La catastrophe dans les affaires dontle commerant se sent menac difie, comme effet accessoire,cette nvrose, ce qui procure au malade l'avantage de pouvoirdissimuler ses relles proccupations d'existence derrire sessymptmes. Solution, du reste, tout fait inopportune, car lanvrose absorbe des forces qui seraient plus utilement employes faire face d'une manire rflchie la situation prilleuse

    Dans des cas infiniment plus nombreux, la nvrose est plusisole, plus indpendante des intrts de la conservation et dumaintien de l'existence. Dans le conflit qui produit la nvrose cesont, soit des intrts libidinaux qui seuls sont en jeu, soit desintrts libidinaux en intime connexion avec ceux du maintien de

    l'existence. Mais dans les trois cas, le dynamisme de la nvrose est

  • 8/14/2019 Une Nevrose Demoniaque --- Freud S.

    39/39

    Une nvrose dmoniaque au XVIIe sicle 39

    le mme. Une accumulation de libido qui ne peut trouver sesatisfaire dans la ralit se fraie, l'aide de la rgression, unchemin vers d'anciennes fixations travers l'inconscient refoul.Aussi longtemps que le moi tire un bnfice de la maladie, il

    permet la nvrose d'exister, bien que le prjudice conomiqueport par celle-ci ne puisse faire l'objet d'aucun doute.

    De mme, la triste situation matrielle de notre peintre n'auraitpas provoqu de nvrose dmoniaque si sa misre n'avait pasengendr chez lui une nostalgie renforce de son pre. Mais unefois dbarrass de sa mlancolie et du Diable, un nouveau conflits'leva en lui entre le dsir libidinal de jouir de la vie et cesentiment que l'entretien de son existence exigeait imprieusementle renoncement et l'asctisme. Le peintre, il est intressant de leconstater, a trs bien senti les liens qui relient les deux phases del'histoire de ses souffrances, car il rapporte l'une comme l'autre des pactes qu'il aurait conclus avec le Diable. Par ailleurs il ne fait

    pas un dpart bien net entre l'influence du mauvais Esprit et celledes Puissances divines ; il a pour toutes deux une seule dsignation: apparitions du Diable.

    FIN DE LARTICLE.