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Éthique et logique au XIII e siècle Problèmes logico-épistémologiques dans les premiers commentaires artiens (1230-1250) sur l’Éthique à Nicomaque. Étude doctrinale, édition critique et traduction française sélectives de l’anonyme Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem (ca. 1230-1240) Thèse en cotutelle Doctorat en philosophie Violeta Cervera Novo Université Laval Québec, Canada Philosophiae doctor (Ph. D.) et Universidad Nacional del Litoral Santa Fe, Argentina Doctor en humanidades con mención en filosofía (Ph. D.) © Violeta Cervera Novo, 2017

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Page 1: Éthique et logique au XIII siècle - Université Laval€¦ · Éthique et logique au XIIIe siècle Problèmes logico-épistémologiques dans les premiers commentaires artiens (1230-1250)

Éthique et logique au XIIIe siècle Problèmes logico-épistémologiques dans les premiers

commentaires artiens (1230-1250) sur l’Éthique à Nicomaque. Étude doctrinale, édition critique et traduction française sélectives de l’anonyme Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem (ca. 1230-1240)

Thèse en cotutelle Doctorat en philosophie

Violeta Cervera Novo

Université Laval Québec, Canada

Philosophiae doctor (Ph. D.)

et

Universidad Nacional del Litoral Santa Fe, Argentina

Doctor en humanidades con mención en filosofía (Ph. D.)

© Violeta Cervera Novo, 2017

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Éthique et logique au XIIIe siècle Problèmes logico-épistémologiques dans les premiers

commentaires artiens (1230-1250) sur l’Éthique à Nicomaque. Étude doctrinale, édition critique sélective et traduction française de l’anonyme Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem (ca. 1230-1240)

Thèse en cotutelle Doctorat en philosophie

Violeta Cervera Novo

Sous la direction de :

Claude Lafleur, directeur de thèse

Valeria Andrea Buffon, directrice de cotutelle

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Résumé

Au début du XIIIe siècle, les maîtres ès arts de l’Université de Paris donnent des cours

sur l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, récemment incorporée au corpus scolaire dans la

traduction latine de Burgundio de Pise. Cette première réception de l’Éthique (fondée sur une

version incomplète comportant uniquement les trois premiers livres) a été l’objet de diverses

discussions. Faut-il voir dans les premières tentatives d’interprétations des artiens une lecture

naïve, fort influencée par la théologie, qui « mésinterprète » le texte en le rendant compatible

avec la vision chrétienne ? Ou est-il possible de trouver dans ces premiers commentaires une

interprétation de l’Éthique qui peut être appelée philosophique au sens propre, et qui est

capable de reconnaître les problèmes posés par le texte aussi bien qu’un lecteur

d’aujourd’hui ?

Ce travail essaie de mettre en relief la valeur proprement philosophique de ces

premiers cours artiens sur l’Éthique à travers l’étude approfondie de l’un de ces premiers

commentaires : la Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem (ca. 1230-1240), texte anonyme

qui est ici, pour la première fois, l’objet d’une édition critique sélective (accompagnée d’une

traduction française).

L’étude propose aussi de comparer la Lectura Abrincensis avec d’autres textes artiens

de la période 1230-1250 : le Commentaire de Paris (anonyme, ca. 1235-1240), l’Expositio

super Ethica Nova et Vetere de Robert Kilwardby (ca. 1245) et la Lectura cum questionibus

in Ethicam Novam et Veterem de l’anonyme communément appelé Pseudo-Peckham (1240-

1244). Cette étude comparative se développe autour d’un thème bien précis : les problèmes

logico-épistémologiques qui découlent des considérations méthodologiques faites par

Aristote lui-même dans ÉN II, 2 (1103b25-30), ÉN I, 1 (1094b11-21), et ÉN II, 2 (1103b34-

1104a8). Reconnaissant que l’Éthique a une double finalité, l’une pratique (devenir bons)

l’autre théorique (connaître ce qu’est la vertu), les maîtres essayeront de trouver la meilleure

manière d’articuler ces deux dimensions sans nuire au caractère proprement scientifique de

l’Éthique.

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Table des matières

Résumé ....................................................................................................................................................... iii

Table des matières ...................................................................................................................................... iv

Liste des Tableaux ....................................................................................................................................... ix

Dédicace ...................................................................................................................................................... x

Remerciements ........................................................................................................................................... xi

Première partie : Introduction ..................................................................................................................... 1

Chapitre I. Introduction .................................................................................................................................. 1

I. Introduction générale ............................................................................................................................ 1

II. Contribution de ce travail ..................................................................................................................... 6

III. État de la question ............................................................................................................................... 8

III.1 La Lectura Abrincensis ................................................................................................................... 8

III.2. La Lectura Abrincensis et les premiers commentaires artiens sur l’Éthique : la question

méthodologique ................................................................................................................................. 11

Chapitre II. Étude historico-philologique : la date, le milieu de composition et les sources de la Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem .................................................................................................................. 13

I. Date et milieu de composition : considérations générales .................................................................. 13

I.1. L’enseignement de l’Éthique à Nicomaque .................................................................................. 14

I.2. Les premiers cours sur l’Éthique à Nicomaque ............................................................................ 16

II. Le corpus commenté : les traductions latines de l’Éthique à Nicomaque .......................................... 18

III. Le corpus utilisé par la Lectura Abrincensis ....................................................................................... 22

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III.1. La logique d’Aristote .................................................................................................................. 22

III.2. Les libri naturales ....................................................................................................................... 31

III.3. Autres sources ................................................................................................................................ 38

IV. Bilan ................................................................................................................................................... 43

Chapitre III. Étude historico-philosophique : la division de l’Éthique à Nicomaque dans la première moitié

du XIIIe siècle ................................................................................................................................................ 44

I. La division générale de l’Éthique (livres I-III) ....................................................................................... 44

I.1. Les divisions présentées dans les textes didascaliques ................................................................ 45

I.2. La division générale de l’Éthique dans les cours d’avant 1240 .................................................... 53

II. Les quatre causes de la vertu : discussion de la division générale et du propos du deuxième livre de

l’Éthique dans la Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem et le Commentaire anonyme de Paris ........ 54

II.1. La Lectura Abrincensis ................................................................................................................. 54

II.2. Le Commentaire anonyme de Paris ............................................................................................ 56

II.3. La division du livre II dans la Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem ........................................... 59

II.3.1. Division générale et unité du commentaire. Y a-t-il un commentaire au livre I ?.................... 59

II.3.2. La division du livre II : survol des sept premières leçons ......................................................... 61

III. Bilan ................................................................................................................................................... 79

Deuxième partie : Éthique et Logique au XIIIe siècle : l’interprétation artienne de l’Éthique ...................... 80

Chapitre I. Le rôle de la logique dans le cursus artien : caractérisation de la logique dans les textes artiens

de la période 1230-1245 .............................................................................................................................. 80

I. Présentation générale .......................................................................................................................... 80

II. Le rôle instrumental du langage ......................................................................................................... 81

III. La logique comme méthode .............................................................................................................. 87

III.1. Divisions de la logique ................................................................................................................ 87

III.2. Les « modes » de la science : définition, division, argumentation et supposition d’exemples . 90

IV. La distinction docens-utens : généralités ........................................................................................ 100

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vi

V. Bilan .................................................................................................................................................. 102

Chapitre II. L’application des principes logiques dans la philosophia moralis ........................................... 104

I. Ethica docens/ethica utens : Présentation du problème ................................................................... 104

I.1. La division des sciences et la place de la philosophie morale dans les Commentaires sur

l’Éthique ........................................................................................................................................... 104

I.2. Aristote et sa caractérisation du discours éthique : ÉN I.1 et ÉN II.2. Les traductions latines de

l’excursus méthodologique d’Aristote ............................................................................................. 117

II. Le discours artien sur la méthode de l’Éthique : les différentes configurations de la distinction

docens/utens ........................................................................................................................................ 123

II.1. La Lectura Abrincensis : modus typicus vs. modus docens ....................................................... 123

II.2. Le Commentaire de Paris .......................................................................................................... 139

II.3. Robert Kilwardby : modus grossus vs. modus subtilis............................................................... 148

II.4. La Lectura du Pseudo-Peckham ................................................................................................ 155

III. La logique comme méthode dans l’enseignement artien de l’Éthique : l’application des principes

méthodologiques .................................................................................................................................. 163

III.1. Connaissance per priora et per posteriora dans les premiers Commentaires sur l’Éthique .... 166

III.2. Les modi divisivus, diffinitivus, collectivus et exemplorum suppositivus dans le discours artien

sur l’Éthique ..................................................................................................................................... 172

IV. Bilan ................................................................................................................................................. 192

Conclusion ............................................................................................................................................... 194

Troisième partie : ANONYMI MAGISTRI ARTIVM LECTVRA ABRINCENSIS IN ETHICAM VETEREM (ca. 1230-1240). Édition

critique et traduction française sélectives................................................................................................ 197

Chapitre I : considérations générales ......................................................................................................... 197

I. Le manuscrit ....................................................................................................................................... 197

II. Les divisions du texte ........................................................................................................................ 199

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vii

III. La présente édition .......................................................................................................................... 200

IV. La traduction .................................................................................................................................... 201

Chapitre II. Édition du texte ....................................................................................................................... 202

<PROLOGVS> ......................................................................................................................................... 204

<PRIMA LECTIO> ................................................................................................................................... 213

<SECVNDA LECTIO> .............................................................................................................................. 217

<TERTIA LECTIO> .................................................................................................................................. 236

<QVARTA LECTIO> ................................................................................................................................ 237

<QVINTA LECTIO> ................................................................................................................................. 243

<SEXTA LECTIO> ................................................................................................................................... 251

<SEPTIMA LECTIO> ................................................................................................................................ 255

Chapitre III. Traduction française : Anonyme (maître ès arts) Commentaire d’Avranches sur la vieille

Éthique (vers 1230-1240) ........................................................................................................................... 274

<PROLOGUE> ........................................................................................................................................ 275

<PREMIÈRE LEÇON> ............................................................................................................................... 281

<DEUXIÈME LEÇON> ............................................................................................................................. 284

<TROISIÈME LEÇON> ............................................................................................................................. 299

<QUATRIÈME LEÇON> ............................................................................................................................ 300

<CINQUIÈME LEÇON> ............................................................................................................................. 306

<SIXIÈME LEÇON> .................................................................................................................................. 312

<SEPTIÈME LEÇON> ............................................................................................................................... 316

Appendice A. Division générale de l’Éthique dans le Compendium examinatorium Parisiense ............. 333

Appendice B. Division générale de l’Éthique dans les Communia Salmanticana ................................... 335

Appendice C. Lectura Abrincensis, division du livre II .......................................................................... 336

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viii

Bibliographie ........................................................................................................................................... 337

Liste des manuscrits cités et des sigles utilisés dans les notes de bas de page .......................................... 337

Sources manuscrites .................................................................................................................................. 337

Sources éditées et traductions en langue moderne ................................................................................... 338

Bibliographie secondaire ........................................................................................................................... 347

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Liste des Tableaux

Tableau 1: Communia Salmanticana. Division en chapitres (ÉN II et III) .......................... 51 Tableau 2: Lectura Abrincensis. Division générale de l’Éthique ......................................... 59 Tableau 3: Espèces de la qualité ......................................................................................... 179 Tableau 4: Lectura Abrincensis. Opposition multiple entre vice et vertu (medietas,

indigentia, superhabundantia) ............................................................................................. 181 Tableau 5: Lectura Abrincensis. Opposition simple entre vice et vertu ............................. 182 Tableau 6: Lectura Abrincensis. Vision sommaire des divers types d'opposition entre vice

et vertu ................................................................................................................................ 183

Tableau 7: Lectura Abrincensis. Index lectionum .............................................................. 199 Tableau 8: Compendium examinatorium Parisiense. Division générale de l'Éthique ........ 333 Tableau 9: Communia Salmanticana. Division générale de l'Éthique ............................... 335

Tableau 10: Lectura Abrincensis. Division du livre II ....................................................... 336

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x

Dédicace

À Emma et Roberto

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xi

Remerciements

Il est difficile de reconnaître suffisamment le dévouement et la patience de mon

directeur, Claude Lafleur, à qui je dois plus qu’il n’est possible d’exprimer ici. Toute ma

gratitude va aussi à ma directrice, Valeria Buffon, qui n’a cessé de m’encourager depuis le

commencement de mon doctorat en Argentine. Ma reconnaissance est grande envers Joanne

Carrier, qui a participé à l’amélioration et à la correction de toutes les parties de ce travail. Je

tiens à remercier spécialement C. Lafleur et J. Carrier pour la très soigneuse révision du

français de cette thèse.

Je tiens à remercier Luc Gilbert qui, ayant entrepris il y a quelques années l’édition

de la Lectura Abrincensis, m’a permis, de manière désintéressée, d’utiliser les résultats

préliminaires de son travail.

Je voudrais aussi remercier les professeurs Jean-Marc Narbonne et Bernard Collette

non seulement pour les remarques faites lors de mes examens de doctorat, mais aussi pour

les conseils offerts pendant mon séjour à l’Université Laval. Je remercie aussi les professeurs

Francisco Bertelloni et Claudia d’Amico, qui m’ont initiée à l’étude de la philosophie

médiévale, et le professeur Timothy Noone, pour ses très utiles remarques sur l’édition.

J’aimerais exprimer ma gratitude à Antoine Côté, Claude Panaccio, David Piché et

Magali Roques pour les remarques qu’ils ont faites sur mon travail à l’occasion des diverses

activités tenues à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université Laval. Ma

reconnaissance va aussi à mes amis et collègues Serena Masolini, Damian Rosanovich,

Simon Fortier, Philippa Dott et Francis Lacroix pour l’aide qu’ils m’ont apportée.

J’aimerais aussi exprimer ma gratitude à tous les membres de la direction et du

secrétariat de la Faculté de philosophie de l’Université Laval, ainsi qu’à leurs homologues à

l’Universidad Nacional del Litoral, pour leur bienveillance et leur compétence. Je remercie

en outre la Faculté de Philosophie de l’Université Laval de m’avoir offert le soutien financier

si nécessaire à la réussite d’un projet de doctorat. Le Consejo Nacional de Investigaciones

Científicas y Tecnológicas (Argentine) a aussi contribué à la finalisation de ce projet.

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1

Première partie : Introduction

Chapitre I. Introduction

I. Introduction générale

Au moins deux critiques pèsent sur les premiers commentaires artiens sur l’Éthique

à Nicomaque produits dans le milieu universitaire parisien des années 1215-1250 à partir

de l’incorporation de ce livre au programme d’études de la Faculté des arts. La première

de ces critiques prétend que, ignorants de la traduction complète de l’Éthique à Nicomaque1

(achevée par R. Grosseteste vers 1246)2, les maîtres ès arts3 ont mésinterprété l’ouvrage

dans un sens « praxistique »4 en faisant de l’Éthique une discipline immédiatement

applicable à l’action concrète5 (de sorte qu’elle devienne un guide pour l’action vertueuse

conduisant à la félicité). Cette première critique entretient un rapport étroit avec la

deuxième : les premiers interprètes de l’Éthique sont aussi coupables de l’avoir

mésinterprétée6 dans un sens théologique. En bons chrétiens, les premiers commentateurs

identifièrent la félicité dont Aristote parle au Dieu chrétien7 ; en faisant ainsi de la félicité

1 Dorénavant, abrégé Éthique dans le corps du texte, ÉN lorsque nous renvoyons avec précision à un passage

du texte en particulier. 2 Qui inclut les dix livres de l’Éthique, à la différence de la traduction de Burgundio de Pise qui ne compte

que les trois premiers ; nous reviendrons en détail sur ce point dans le chapitre II. 3 Cette critique s’applique aussi, évidemment, aux théologiens ayant commenté le texte de l’Éthique. 4 Nous traduisons « praktizistisch » ; c’est notamment la position de G. WIELAND, « Ethica docens – ethica

utens » dans W. KLUXEN (éd.), Sprache und Erkenntnis im Mittelalter, Berlin, New York ; De Gruyter, 1981,

p. 593-601 (surtout pages 594-595) ; ID., Ethica-Scientia practica. Die Anfage der philosophischen Ethik im

13 Jahrhundert, Münster Westfallen, Aschendorff, 1981, p. 111-129 ; ID., « The Reception and Interpretation

of Aristotle’s Ethics », dans N. KRETZMANN et al. (éds), The Cambridge History of later Medieval

Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 660-661. 5 Ce qui équivaut pour Wieland « [...] to mistake the philosophical (scientific) character of the discipline » ;

« The Reception and Interpretation of Aristotle’s Ethics », p. 661. 6 Il s’agit bel et bien du vocabulaire employé par Wieland : « theological misinterpretations », « [...]

praktizistisch mißverstanden wird » ; WIELAND, « The Reception and Interpretation of Aristotle’s Ethics »,

p. 658 ; Ethica-Scientia practica, p. 116. 7 WIELAND, « The Reception and Interpretation of Aristotle’s Ethics », p. 660-661. Cette identification est

caractérisée par Celano comme « simpliste » ; cf. A. CELANO, « Robert Kilwardby and the Limits of Moral

Science », dans R.J. LONG (éd.), Philosophy and the God of Abraham, Toronto, Pontifical Institute of

Mediaeval Studies, 1991, p. 40.

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2

(et non pas de la prudence)8 la notion unifiante de l’Éthique, ils reléguaient la vertu

(interprétée elle-même comme vertu chrétienne) à une place subordonnée, où elle devenait

tout simplement le moyen d’atteindre la félicité. L’Éthique était ainsi interprétée comme

« guide to virtuous living »9, la vertu comme vertu chrétienne, et la contemplation comme

contemplation chrétienne10. Ces « mauvaises interprétations » ont une conséquence :

l’incapacité des premiers commentateurs à reconnaître l’Éthique d’Aristote comme une

science pratique11. Incapables de comprendre l’unité des aspects théorique et pratique de

8 A. CELANO, « The end of Practical Wisdom : Ethics as a Science in the Thirteenth Century », Journal of

the History of Philosophy, 33, 2 (1995), p. 227. 9 WIELAND, « The Reception and Interpretation of Aristotle’s Ethics », p. 660-661. 10 Qui ajoutait, à la seule contemplation théorétique, l’amour de l’objet de contemplation ; WIELAND, « The

Reception and Interpretation of Aristotle’s Ethics », p. 658-659. Curieusement, les interprètes de l’Éthique

de la fin du XIIIe siècle, qui comprennent aussi la contemplation du souverain bien comme contemplation

« affective », seront plutôt accusés d’attenter à la sagesse chrétienne (tout en étant « averroïstes » ; cf.

notamment la position, déjà dépassée, de P. Mandonnet [Siger de Brabant et l’averroïsme latin au XIIIe

siècle, Fribourg, 1899] et d’E. Renan [Averroès et l’averroïsme, Paris, Michel Lévy, 1866]) et présentés par

une partie de l’historiographie comme aristotéliciens « radicaux » (coupables d’un « attachement trop absolu

aux idées d’Aristote » [incarné surtout par la figure de Siger de Brabant ; cf. F. VAN STEENBERGHEN, La

philosophie au XIIIe siècle, Louvain, Paris ; Publications Universitaires, Béatrice-Nauwelaerts, 1966, p.

399]). Nous pouvons aussi rappeler l’opinion de I. Zavattero, qui considère que la dimension contemplative

et affective liée à la recherche du Premier principe est absente chez les commentateurs de la deuxième moitié

du XIIIe siècle (cf. I. Zavattero, « Il ruolo conoscitivo delle virtù intelletuali nei primi commenti del XIII

secolo all’Ethica Nicomachea », dans I. Zavattero [éd.], Etica e conoscenza nel XIII e XIV secolo, Arezzo,

Dip. di Studi storico-sociali e filosofici, [Lavori in corso - Work in Progress 6] 2006, p. 15-26). En ce qui

concerne la présence de cette notion de contemplation « affective » dans la deuxième moitié du XIIIe siècle,

nous en avons un exemple très clair dans le De summo bono de Boèce de Dacie (vers 1270) : « Philosophus

haec omnia considerans inducitur in admirationem huius primi principii et in amorem eius, quia nos amamus

illud a quo nobis bona proveniunt, et maxime id amamus a quo nobis maxima bona proveniunt. Ideo

philosophus cognoscens omnia sua bona sibi provenire ex hoc primo principio et sibi conservari, quantum

conservantur, per hoc primum principium inducitur in maximum amorem huius primi principii [...] Et quia

quilibet delectatur in illo quod amat et maxime delectatur in illo quod maxime amat, et philosophus maximum

amorem habet primi principii, sicut declaratum est, sequitur quod philosophus in primo principio maxime

delectatur et in contemplatione bonitatis suae » (BOÈCE DE DACIE, De summo bono, éd. N.G. GREEN-

PEDERSEN, De aeternitate mundi, De summo bono, De somniis, Copenhagen, Gad [coll. « Corpus

Philosophorum Danicorum Medii Aevi », VI.2], 1976, p. 377, l. 226-238 ) ; voir aussi le cas de Radulphus

Britonis, Questiones super librum Ethicorum Aristotelis (vers 1295), éd. I. COSTA, Le « questiones » di

Radulfo Brito sull’« Ethica Nicomachea », Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum », 17), 2008, liber I,

q. 6, p. 191, l. 74-81 : « [...] ista operatio in qua consistit humana felicitas respectu omnium aliarum

operationum habet rationem finis intrinseci [...] quia secundum istam oprationem maxime homo assimilatur

primo principio et substantiis separatis, et propter hoc dicitur X huius quod homo secundum intellectum

operans et hunc curans est optime dispositus, et deo amantissimus esse videtur ». L’historiographie plus

récente (décrite par David Piché comme « le troisième moment » d’un long parcours historiographique

commencé par Mandonnet et poursuivi, dans un deuxième temps [avec une vision historique plus nuancée et

plus juste], par F. van Steenberghen et R. Hissette ; cf. D. PICHÉ, avec la collaboration de C. LAFLEUR, La

condamnation parisienne de 1277, Paris, Vrin, 1999, p. 12-13) essaie une utilisation plus prudente de ces

étiquettes. 11 WIELAND, « The Reception and Interpretation of Aristotle’s Ethics », p. 660 ; ID., « Ethica docens – ethica

utens », p. 593-594.

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l’éthique, les premiers commentateurs échouèrent à reconnaître l’impossibilité de la

science transmise dans l’Éthique de « sauter » vers l’action individuelle concrète12 en

déterminant le cours d’action à prendre dans un cas particulier13 ; ceci devient fort évident

dans la distinction entre une éthique utens ou « appliquée », et une éthique docens de

caractère théorique14.

Ce point de vue (soutenu principalement par G. Wieland et A. Celano) considère

que, dans les premiers commentaires à l’Éthique, c’est la perspective théologique qui

prédomine sur l’approche philosophique ; ces premiers commentaires sont encore très loin

de l’interprétation « radicale » de l’Éthique qui allait suivre, après 1250, la traduction

complète de Grosseteste (cette traduction étant le facteur qui déclenche la fin de « la période

de tranquillité » durant laquelle règne l’harmonie entre éthique chrétienne et éthique

philosophique)15.

Or, le fait de comprendre les premières approches philosophiques de l’Éthique sous

l’étiquette de « mésinterprétations théologiques » du texte aristotélicien qui voient comme

« guides décisifs de l’interprétation les catégories théologiques »16 peut facilement nous

amener à tomber dans deux dangers. Le premier est celui de supposer que l’on possède la

« bonne » interprétation du texte aristotélicien servant de critère pour juger, dans une

histoire d’apparence linéaire, le point sur lequel on a cessé de « mal comprendre » Aristote,

tout en essayant d’identifier les facteurs déterminant cette « mauvaise compréhension » ;

cette perspective place quiconque voulant étudier les commentateurs médiévaux d’Aristote

12 WIELAND, « Ethica docens – ethica utens », p. 594. 13 Sur ce point, voir l’interprétation de M.J. Tracey dans The Character of Aristotle’s Nicomachean Teaching

in Albert the Great’s Super Ethica Commentum et Quaestiones (1250-1252), thèse de doctorat, University of

Notre Dame, Notre Dame, Indiana, 1999, p. 104-112. 14 Distinction que l’on prend ici en tant qu’elle s’applique à l’interprétation de l’ÉN d’Aristote, quoiqu’elle

se trouve aussi dans d’autres disciplines. Nous reviendrons sur cette distinction dans la deuxième partie de

cette thèse. 15 A. CELANO, « The Understanding of the Concept of Felicitas in the pre-1250 Commentaries on the Ethica

Nicomachea », Medioevo, 12 (1986), p. 29 : « Only after the appearance of Robert Grosseteste’s entire

translation of the Ethica Nicomachea did the period of tranquility concerning moral problems (1230-1250)

quickly degenerate into the conflicts concerning the nature and cause of human goodness [...] ». Cette

interprétation accorde à la traduction de Grosseteste, dans l’explication du développement de certains facteurs

associés à l’interprétation médiévale de l’Éthique, une importance exagérée qui conduit à méconnaître

d’autres aspects également importants. 16 G. WIELAND, « Happiness : The Perfection of Man » dans N. KRETZMANN et al. (éds), The Cambridge

History of later Medieval Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 677.

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dans une position de supériorité : nous, modernes, possédons les outils permettant de

comprendre un texte que les médiévaux, dont les ressources étaient plus limitées, n’ont pas

bien compris ; elle implique aussi que l’on considère possible de connaître le « vrai »

Aristote, l’Aristote « historique » ou le sens véritable du texte aristotélicien, ce qui ne va

pas de soi17. Voici l’une des procédures modernes pour aborder les textes de l’aristotélisme

médiéval que les éditeurs du volume History of Philosophy in Reverse ont signalée comme

étant une des plus habituelles (et qu’ils envisagent de dépasser)18.

Le deuxième danger est celui d’écarter trop rapidement les développements des

maîtres ès arts sans en remarquer la valeur philosophique – ce qui peut facilement arriver

si on se laisse emporter par le préjugé que, dans ces textes, c’est l’approche théologique

qui domine : alors que, selon nous, il y a déjà huit siècles, et sans connaître la totalité du

texte aristotélicien, les artiens se sont posé les mêmes questions que les lecteurs modernes

d’Aristote (qui continuent d’ailleurs à ne pas s’accorder sur les réponses)19 ; il n’y a donc

aucune raison de les considérer inférieurs. On peut les traiter, comme suggèrent encore les

éditeurs de History of Philosophy in Reverse, « exactly as colleagues [...] with an equally

17 Ainsi, très judicieusement, M.J. Tracey utilise dans sa critique de Wieland l’expression « Wieland’s

Aristotle » ; cf. M.J. TRACEY, The Character of Aristotle’s Nicomachean Teaching in Albert the Great’s

Super Ethica, p. 104-112. 18 S. EBBESEN, D. BLOCH, J. L. FINK, H. HANSEN, A.M. MORA-MÁRQUEZ, « Preface », dans History of

Philosophy in Reverse: Reading Aristotle Through the Lenses of Scholars from the Twelfth to the Sixteenth

Centuries, Copenhagen, Det Kongelige Danske Videnskabernes Selskab (coll. « Scientia Danica. Series H,

Humanistica, 8, vol. 7), 2014, p. 7-9. 19 « Is ethics like a science or is it something completely different ? » ; « In which respect [...] does ethics

differ from science ? » ; voilà des questions que les maîtres ès arts vont se poser à propos des excursus

méthodologiques d’Aristote sur la méthode de l’éthique, exprimés dans des mots du XXe siècle ; cf. C.D.C.

REEVE, Practices of Reason, Oxford, Clarendon Press, 1992, p. 22. D’ailleurs, la position de Reeve semble

tomber sous l’une des critiques de Celano à l’interprétation artienne de l’Éthique, car il fait de l’eudaimonia

« [...] the quintessentialy ethical first principle of ethics » (ID., p. 29 ; cf. aussi CELANO, « The end of Practical

Wisdom », p. 228-229). Défendant l’hypothèse que la connaissance démonstrative la plus stricte est possible

en éthique, Reeve va jusqu’à nous montrer comment il est possible de construire des syllogismes à partir des

premiers principes, à la manière des artiens. D’autres interpréteront les considérations méthodologiques

d’Aristote différemment. G. Anagnostopoulos pense que l’inexactitude du discours éthique ne peut pas être

éliminée (comme c’est le cas dans d’autres disciplines) ; cf. G. ANAGNOSTOPOULOS, « Aristotle on variation

and Indefiniteness in Ethics and its Subject Matter », Topoi, 15 (1996), p. 107-127 ; ID., Aristotle on the

Goals and Exactness of Ethics, Berkeley, Los Angeles, Oxford ; University of California Press, 1994 ; M.

Nussbaum, pour sa part, croit que pour Aristote l’éthique ne peut pas être technê ou epistêmê « dans le sens

demandé par la République et par les Seconds Analytiques » ; cf. M. NUSSBAUM, « Non-scientific

deliberation », dans The Fragility of Goodness. Luck and Ethics in Greek Tragedy and Philosophy,

Cambridge, Cambridge University Press, 2001 (1re éd. 1986), p. 290.

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valid prima facie claim to being good guides to an understanding of his thought as that

advanced by modern scholars »20.

Au point de vue que nous avons décrit s’oppose une vision du problème qui voit

déjà dans la première moitié du XIIIe siècle les signes d’un « enthousiasme

philosophique »21 qui, intensifié dans la deuxième moitié du siècle, conduira finalement au

conflit institutionnel entre la Faculté des Arts et la Faculté de Théologie de l’Université de

Paris, dont les conséquences sont connues et font l’objet de nombreuses études22. Notre

travail veut contribuer en quelque sorte à cette deuxième vision, au moyen d’une mise en

valeur des éléments proprement philosophiques de l’interprétation artienne de l’Éthique23.

Visant les tout premiers commentaires sur l’Éthique à Nicomaque provenant du

milieu artien de l’Université de Paris (1230-1250), ce travail propose donc de mettre en

relief l’aspect proprement philosophique de ces premières tentatives d’interprétation de

l’Éthique à partir de la traduction latine de Burgundio de Pise. On se concentrera sur un

point qui s’avère particulièrement pertinent : l’interprétation des excursus d’Aristote sur la

méthodologie appropriée à l’éthique et à la politique24. Dans la considération de ce point

doctrinal, les maîtres discuteront le statut épistémologique de la philosophie morale en

général (et de l’éthique en particulier), son propos (théorique ou pratique) et les procédures

20 S. EBBESEN et al., « Préface », p. 8. 21 C. LAFLEUR, « Scientia et Ars dans les Introductions à la philosophie des maîtres ès arts de l’Université de

Paris au XIIIe siècle » dans I. CRAEMER-RUGENBERG, A. SPEER (éds), « Scientia » und « Ars » im Hoch und

Spätmittelalter, Berlin, New York ; De Gruyter (coll. « Miscellanea Mediaevalia », 22), 1994, p. 45-65 ; V.

BUFFON, « Philosophers and Theologians on Happiness. An Analysis of Early Latin Commentaries on the

Nicomachean Ethics », Laval Théologique et Philosophique, 60, 3 (2004), p. 449-476. 22 Parmi les études les plus notables, on peut citer : R. HISSETTE, Enquête sur les 219 articles condamnés à

Paris le 7 mars 1277, Louvain, Publications universitaires, 1977 ; D. PICHÉ, La condamnation parisienne de

1277 ; A. DE LIBERA, Penser au Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, 1991 ; L. BIANCHI et E. RANDI, La

verità dissonanti : Aristotele alla fine del Medioevo, Bari, 1990 ; L. BIANCHI, « Students, Masters and

‘Heterodox’ Doctrines at the Parisian Faculty of Arts in the 1270’s », RTPM, LXXVI, 1 (2009), p. 75-109 ;

ID., Il vescovo e i filosofi: la condanna parigina del 1277 a l’evoluzione dell’aristotelismo scolastico,

Bergamo, 1990 ; J. AERTSEN (éd.), Nach der Verleitung von 1277, Berlin, New York ; De Gruyter (coll.

« Miscellanea Mediaevalia », 28), 2001 ; I. COSTA, « L’Éthique à Nicomaque à la Faculté des Arts de Paris

avant et après 1277 », AHDLMA 79 (2012), p. 71-114. 23 Les artiens (dont une bonne partie est composée des futurs théologiens) s’inspirent aussi des théologiens

de l’époque ; mais, ce faisant, ils ont su écarter les éléments purement théologiques pour se concentrer sur

les ressources philosophiques offertes par ces textes. C’est le cas de la Lectura Abrincensis par rapport à la

Summa de bono de Philippe le Chancelier, par exemple. 24 On se permet d’utiliser l’expression « éthique » (sans majuscule) quand elle réfère à la discipline que les

artiens considèrent comme l’une des parties de la philosophie morale (l’art de se gouverner soi-même ou

monostica, discipline transmise, selon les maîtres, par l’Éthique à Nicomaque).

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desquelles elle se sert (qui font partie de la conception artienne de la logique). On se

penchera surtout sur l’un des commentaires artiens sur l’Éthique moins étudié : l’anonyme

Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, un cours artien sous forme de leçons qui a eu

lieu, selon toute vraisemblance, vers 1230-1240.

II. Contribution de ce travail

La présente étude propose une analyse approfondie de la Lectura Abrincensis in

Ethicam Veterem, qui reste encore le moins connu des premiers commentaires artiens sur

l’Éthique. Une comparaison avec les commentaires contemporains contribuera aussi à la

connaissance générale de la toute première réception latine de l’Éthique à Nicomaque.

L’ensemble du travail vise à mettre en relief le caractère philosophique de ces textes

artiens.

Dans le but d’atteindre cet objectif, on se bornera ici à dégager les aspects les plus

importants de la discussion artienne sur la méthode et les objectifs de l’éthique. Loin de

concevoir l’Éthique d’Aristote comme un guide pour l’action vertueuse chrétienne, les

artiens y voient le développement d’une connaissance proprement scientifique : la Lectura

Abrincensis, par exemple, comprend l’Éthique comme une recherche sur les quatre causes

de la vertu, qui prend la forme d’une enquête théorique, plutôt que pratique ; cette recherche

se fonde sur une conception proprement philosophique de la vertu : la vertu est une qualité

de l’âme qui se laisse classifier sous le genre subalterne des habitus25. Si les commentateurs

soutiennent, avec Aristote, que l’éthique vise la pratique (devenir bons, objectif lié à

l’éthique utens) et s’ils s’accordent à dire que la méthode la plus appropriée à l’éthique est

incertaine, générale et simplement schématique, car appliquée à une réalité indéfinie et

muable (à la différence de la méthode des sciences théoriques, plus exactes), dans les faits,

les artiens interprètent l’Éthique comme une enquête sur ce qu’il peut y avoir d’universel

(objectif lié à l’éthique docens) : les notions de félicité, vertu (notion que nous prenons ici

comme cas d’étude), passion, puissance, etc. De ce point de vue, l’entreprise des artiens ne

peut être décrite que comme philosophique ; elle n’est plus, tout simplement, une

25 Fondée sur les Catégories d’Aristote, cette notion est déjà utilisée au XIIe siècle. Nous reviendrons sur ce

sujet dans la deuxième partie.

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interprétation de l’Éthique « christianisée » qui rate l’occasion de comprendre l’essentiel

du texte aristotélicien.

Notre exposé s’articule en plusieurs parties. On envisage d’abord (chapitres II et III

de la présente partie) une étude générale : une étude historico-philologique sur les sources,

le milieu de composition et la date de rédaction de la Lectura Abrincensis in Ethicam

Veterem (ca. 1230-1240), suivie d’une étude historico-philosophique sur la structure et la

cohérence interne du texte, articulée sur l’analyse de la division générale de l’Éthique

présentée par l’anonyme, ainsi que sur la division interne des leçons. Nous arrivons ainsi à

restituer la Lectura Abrincensis à l’ensemble auquel elle semble bien appartenir : celui des

premiers commentaires artiens sur l’Ethica Nova et sur l’Ethica Vetus.

Dans la deuxième partie, on envisage d’abord (chapitre I) l’étude de la conception

artienne de la logique, qui encadre et détermine la lecture de l’Éthique, car la logique a un

rôle instrumental : elle fournit aux maîtres les méthodes ou les manières de procéder

spéciales qui se trouvent appliquées au reste des sciences du corpus scientifique

(principalement les modi divisivus, diffinitivus, collectivus et exemplorum suppositivus),

selon les caractéristiques particulières du sujet étudié et selon le degré d’exactitude ou de

certitude que ce sujet admet. On s’occupe ensuite (chapitre II) d’analyser la manière dont

ces modes de procéder sont appliqués à l’exégèse artienne de l’Éthique : distinguant entre

l’aspect théorique et l’aspect pratique de l’éthique (et en accordant à ce dernier, du moins

explicitement, la priorité), les maîtres ès arts examinent comment Aristote se sert de la

division, de la définition, de l’argumentation et de la supposition d’exemples afin de faire

connaître, du point de vue théorique, les objets d’étude sur lesquels porte l’ouvrage (de

sorte que la prépondérance de la finalité pratique de l’éthique est en quelque sorte effacée).

Le premier point (chapitre I) se fonde principalement sur l’analyse des textes logiques

artiens parisiens de la période 1230-1245 (coïncidant avec la date de composition de la

Lectura Abrincensis) : les Introductions à la philosophie, les Guides de révision et les cours

sur l’Ars Vetus en sont la source principale ; quant au deuxième point (chapitre II) on se

limite à l’analyse de quatre commentaires artiens sur l’Éthique : la Lectura Abrincensis in

Ethicam Veterem (anonyme, 1230-1240), le Commentaire de Paris (anonyme, 1235-1240),

l’Expositio super Ethica Nova et Vetere (Robert Kilwardby, 1240-1245) et la Lectura cum

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questionibus in Ethicam Novam et Veterem (anonyme [Pseudo-Peckham], 1240-1244)26.

Concernant ces quatre textes, l’examen se concentre d’abord sur les passages consacrés à

trois fragments très représentatifs de la conception aristotélicienne de la méthodologie de

l’éthique : d’une part, ÉN II, 2 (1103b25-30), où l’éthique est comparée aux sciences

théorétiques, et, d’autre part, ÉN I, 1 (1094b11-21) et ÉN II, 2 (1103b34-1104a8), où

Aristote considère le caractère indéfini propre à l’objet de l’éthique et les caractères

présentés par le discours s’y rapportant. On s’occupe ensuite des passages portant sur ÉN

II, 4-5 (1105b19-1107a8), exposant la définition générique et la différence spécifique de la

vertu, un fragment du texte qui s’avère très pertinent car les maîtres y trouvent une

connaissance sur l’essence de la vertu exposée par division, définition et démonstration.

La troisième partie, quant à elle, contient une première édition critique sélective du

texte de la Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem. Cette édition comprend le Prologue et

les leçons II et VII (édités au complet), ainsi que les parties le plus significatives des leçons

I, III, IV, V et VI. Cette édition s’accompagne d’une traduction française.

Chaque chapitre (à l’exception du présent chapitre d’introduction) est suivi d’un

bilan récapitulatif, dont la lecture séparée sert à faire ressortir les points les plus

remarquables de l’exposé.

III. État de la question

III.1 La Lectura Abrincensis27

La Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem fait partie des tout premiers

commentaires sur l’Éthique à Nicomaque, ouvrage incorporé aux cours de la Faculté des

arts de l’Université de Paris en 1215. Divisée en leçons28 (unités de lecture servant à

organiser l’étude), elle est probablement le produit de l’enseignement oral, quoique le texte

qui nous est parvenu suppose un certain travail d’édition postérieur à ce qui a dû être le

premier rapport écrit de ce cours. Nous pouvons placer sa rédaction vers 1230-1240.

26 Ces quatre commentaires seront décrits en détail dans le chapitre suivant. 27 On se limite ici à mentionner certains sujets qui seront développés en détail dans les chapitres II et III de

cette première partie, auxquels nous renvoyons pour les références pertinentes. 28 Nous reviendrons sur les formes littéraires de ces premiers commentaires artiens dans le chapitre suivant.

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Les six commentaires artiens sur l’Éthique à Nicomaque antérieurs à 1250, parmi

lesquels se compte la Lectura Abrincensis, font l’objet, depuis quelques années, d’un

intérêt renouvelé : certaines éditions récentes ont fait connaître une partie importante de

ces textes ; d’autres devraient voir le jour bientôt29. Or, à la différence de ces textes, la

Lectura Abrincensis demeure encore très peu étudiée ; et, jusqu’à présent, elle ne bénéficie

d’aucune édition critique, de manière que le texte est accessible uniquement dans sa source

manuscrite (sauf pour certains fragments, plus ou moins extensifs, transcrits dans divers

travaux). Certaines études consacrées à l’éthique du XIIIe siècle omettent toute mention à

la Lectura Abrincensis ; c’est le cas de Luscombe dans son bref mais censément exhaustif

article sur l’éthique au début du XIIIe siècle30 et de certains des travaux de Celano31. En

plus, les études qui s’occupent de la Lectura ne le font que de manière oblique, dans le

cadre de recherches plus amples portant soit sur la totalité des commentaires, soit sur

quelques-uns d’entre eux en particulier.

A. Birkenmajer ne la mentionne que très brièvement pour situer sa composition

dans le premier quart du XIIIe siècle32 (date que répéteront le reste des spécialistes)33. O.

Lottin s’en occupe de manière plus approfondie : son étude compare la Lectura à deux

autres commentaires contemporains, le Commentaire de Paris (1235-1240) et la Lectura

cum questionibus de l’anonyme souvent nommé Pseudo-Peckham (1240-1244). Lottin

travaille fondamentalement (en ce qui concerne la Lectura) sur le problème du libre arbitre,

29 On énumère, au chapitre II, les six commentaires de la période 1230-1245, tout en fournissant la liste

d’éditions disponibles et les études philosophiques les plus pertinentes. 30 D. LUSCOMBE, « Ethics in the Early Thirteenth century », dans L. HONNEFELDER, R. WOOD, M. DREYER

et M. ARIS (éds). Albertus Magnus und die Anfänge der Aristoteles-Rezeption im Lateinischen Mittelalter,

Münster, Aschendorff, 2005, p. 657-683. 31 A. CELANO, Aristotle’s Ethics and Medieval Philosophy : Moral Goodness and Practical Wisdom,

Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; ID., « The end of Practical Wisdom ». 32 A. BIRKENMAJER, « Le rôle joué par les médecins et les naturalistes dans la réception d’Aristote aux XIIe

et XIIIe siècles » dans Studia copernicana, I, 1970, p. 73-87 (première apparition dans Pologne au VIe

Congrès international des sciences historiques, Oslo, 1928, Varsovie, 1930). 33 Pour Gauthier, la Lectura Abrincensis est probablement « le plus ancien de ces commentaires » ; R.A.

GAUTHIER, « Appendix : Saint Thomas et l’Éthique à Nicomaque », dans THOMAS D’AQUIN, Sententia libri

Politicorum ; Tabula libri Ethicorum, éd. R.A. GAUTHIER, Rome, Sainte Sabine (coll. « Sancti Thomae de

Aquino Opera omnia », XLVIII), 1971, p. XVI ; la conclusion est reproduite par Wieland, qui affirme que la

Lectura est « [...] probably the oldest commentary on the Ethica Vetus » ; WIELAND, « The Reception and

Interpretation of Aristotle’s Ethics », p. 658. Cf. aussi, O. LOTTIN, « Psychologie et morale à la Faculté des

arts de Paris aux approches de 1250 » dans Psychologie et morale aux XIIe et XIIIe siècles, Louvain,

Gembloux, 1942, tome I, p. 506 et I. ZAVATTERO, « Moral and Intellectual Virtues in the Earliest Latin

Commentaries on the Nicomachean Ethics », dans I. BEJCZY (éd.), Virtue Ethics in the Middle Ages:

Commentaries on Aristotle’s Nicomachean Ethics, 1200 -1500, Leiden, Brill, 2008, p. 34.

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la distinction entre vertus infuses et vertus acquises et l’opposition bien-mal, tout en

fournissant de longues transcriptions des manuscrits34.

G. Wieland s’est occupé de la Lectura Abrincensis de manière un peu plus ample,

tout en l’incluant dans sa longue étude Ethica-Scientia practica ; il y traite plusieurs aspects

importants des premiers commentaires latins de l’Éthique, tels que la discussion sur le

statut de l’éthique en tant que discipline philosophique, le libre arbitre, et la conception du

bonheur comme idéal contemplatif. Nous avons déjà explicité certains points de

l’interprétation de Wieland en ce qui concerne l’ensemble des tout premiers commentaires

sur l’Éthique (auxquels s’ajoute parfois l’opinion de Celano) ; nous reviendrons ci-dessous

sur certains points plus spécifiques.

Plus récemment, V. Buffon (qui a d’ailleurs donné à notre texte le titre

« Commentarium Abrincensis in Ethicam Veterem ») se limite à analyser le texte de la

Lectura dans le cadre de l’étude de la réception de la doctrine avicennienne des deux faces

de l’âme ; elle insiste sur le fait que, en faisant preuve d’un grand éclectisme, notre auteur

combine les théories platonicienne et aristotélicienne de l’âme, dans le but de justifier la

distinction entre vertus intellectuelles (liées à la face supérieure de l’âme) et vertus morales

ou consuetudinales (liées à la face inférieure de l’âme). On trouve en plus, dans ce travail,

une utile transcription des fragments concernés (une section du Prologue [A, f. 90r-90v] et

une section de la première leçon [f. 91r-91v]), accompagnée d’une traduction française35.

I. Zavattero, quant à elle, signale uniquement les points de la Lectura pouvant se

rapprocher du Commentaire de Paris, commentaire auquel elle consacre à présent un

travail d’édition (qui vient compléter les travaux de R.A. Gauthier). Parmi les points

notables de ces rapprochements nous pouvons mentionner la doctrine de la recta ratio, que

34 Surtout pour le Commentaire de Paris et le Commentaire de Pseudo-Peckham ; pour ce qui est de la Lectura

Abrincensis, Lottin transcrit de grands morceaux des f. 107v et 116r, ainsi que quelques fragments des f. 91r-

98v (entre autres), à partir du seul manuscrit conservé (Avranches, Bibliothèque municipale, 232). Cf. O.

LOTTIN, « Psychologie et morale à la Faculté des arts de Paris aux approches de 1250 », p. 503-534. 35 V. BUFFON, L’idéal éthique des maîtres ès arts de Paris vers 1250, avec édition critique et traduction

sélectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Éthique du Pseudo-Peckham, thèse présentée à la

Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en Philosophie

pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D), Faculté de Philosophie, Université Laval, Québec,

2007, p. 7, 120-122, 423-424.

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les deux commentaires considèrent (du moins selon l’une des acceptions possibles) comme

innée36.

III.2. La Lectura Abrincensis et les premiers commentaires artiens sur l’Éthique : la question

méthodologique

Avec ses considérations sur la « mésinterprétation praxistique », Wieland est le

premier à s’occuper des conséquences méthodologiques de la division des aspects

théorique et appliqué de l’éthique (ethica docens – ethica utens) : son étude considère non

seulement la Lectura Abrincensis (sur laquelle il passe trop vite), mais aussi le

Commentaire de Paris, la Lectura du Pseudo-Peckham et l’Expositio de Kilwardby (ainsi

que des auteurs postérieurs, tels qu’Albert et Thomas). Le problème de la distinction

docens-utens a été repris par plusieurs spécialistes après Wieland : or, la plupart de leurs

études visent les développements d’Albert le Grand, sans se soucier des antécédents artiens

de la période 1230-1250, à qui on consacre, au maximum, une note de bas de page (tout en

évoquant les travaux de Wieland)37. Il y a tout de même quelques exceptions : Celano dédie

un bref article au problème du statut scientifique de la philosophie morale et sa manière de

procéder chez Kilwardby38 ; A. Fidora considère le point de vue de Kilwardby sous un

angle différent : il examine les problèmes épistémologiques dérivés du manque de stabilité

de l’objet des disciplines pratiques à partir d’une mise en rapport des considérations sur les

arts pratiques et la physique faites dans le De ortu scientiarum (ca. 1250) avec le

36 I. ZAVATTERO, « L’acquisition de la vertu dans les premiers commentaires latins de l’Éthique à

Nicomaque », dans A. MUSCO, C. COMPAGNO, G. MUSOTTO et S. D’AGOSTINO (dir.), Universalità della

Ragione. Pluralità delle Filosofie nel Medioevo. XII Congresso Internazionale di Filosofia Medievale,

Palermo, 17-22 settembre 2007, volumen II.1, Palermo, Officina di Studi Medievali, 2012, p. 235-243. 37 Les travaux sur Albert sont en effet nombreux et très détaillés. Parmi les études les plus remarquables, on

peut signaler : M.J. TRACEY, The Character of Aristotle’s Nicomachean Teaching in Albert the Great’s Super

Ethica Commentum et Quaestiones (1250-1252), thèse de doctorat, University of Notre Dame, Notre Dame,

Indiana, 1999 (où Tracey critique la position de Wieland) ; J. MÜLLER, « Albert the Great and the Pagan

Ethics : His elaborations on the Scientific Character of Ethics », dans G. DONAVIN et al., Disputatio 5 : Two

Forms of Argument : Disputation and Debate, Oregon, Wipf and Stock, p. 47-52, 2002 ; B. TREMBLAY,

« Nécessité, rôle et nature de l’art logique d’après Albert le Grand », Bochumer Philosophisches Jahrbuch

für Antike und Mittelalter, 12 (2007), p. 97-156 ; S.B. CUNNINGHAM, « Meta-ethical Reflections on ‘Moral

Science’ and its procedures », dans Reclaiming Moral Agency : The Moral Philosophy of Albert the Great,

Washington, The Catholic University of America Press, 2008, p. 79-92 ; A. ROBERT, « L’idée de logique

morale aux XIIIe et XIVe siècles », Médiévales, 63 (2012), p. 27-45 ; ID., « Le débat sur le sujet de la logique

et la réception d’Albert le Grand au Moyen Âge », dans J. BRUMBERG-CHAUMONT, Ad notitiam ignoti.

L’Organon dans la translatio studiorum à l’époque d’Albert le Grand, Brepols, Turnhout, 2013, p. 467-512. 38 CELANO, « Robert Kilwardby and the Limits of Moral Science ».

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commentaire sur les Seconds Analytiques (ca. 1237-1245)39. V. Buffon, pour sa part, s’est

occupée récemment de l’interprétation artienne des excursus méthodologiques de

l’Éthique ; elle se concentre particulièrement sur la Lectura du Pseudo-Peckham (tout en

consacrant quelques lignes à Kilwardby et à certains des commentaires postérieurs)40. T.

Köhler41, quant à lui, revient sur la méthode de l’éthique en exposant plusieurs fragments

des divers commentaires du milieu artien (sans toutefois s’engager dans une discussion

approfondie ; il s’agit d’une description très générale)42. Ces études sont souvent très brèves

(surtout en ce qui concerne la Lectura Abrincensis et le Commentaire de Paris) ; mais les

discussions artiennes sur le statut et la méthodologie de l’éthique, dont l’influence sur

Albert peut éventuellement s’avérer révélatrice, méritent sans aucun doute plus d’attention.

Nous reviendrons au besoin sur les détails de ces études dans le corps du travail.

39 A. FIDORA, « Causality, contingency and science in Robert Kilwardby », Anuario filosófico, 44, 1 (2001),

p. 95-109. 40 V. BUFFON, « La certeza y la cientificidad de la Ética en los comentarios a la Ética Nicomaquea durante el

siglo XIII », dans V. BUFFON (dir.) et al., Philosophia artistarum. Discusiones filosóficas de los maestros de

artes de París, Santa Fe, Ediciones UNL, 2017, p. 168-172. 41 T.W. KÖHLER, Grundlagen des philosophisch-anthropologischen Diskurses im dreizenten Jahrhundert:

die Erkenntnisbemühng um den Manschen im zeitgenössischen Verständnis, Leiden, Boston ; Köln, Brill,

2000. 42 Les seuls à tenir compte des considérations méthodologiques présentes dans la Lectura Abrincensis sont

G. Wieland et T. Köhler. WIELAND, « Ethica docens – ethica utens », p. 597, ID., Ethica-Scientia practica,

p. 124 ; KÖHLER, Grundlagen des philosophisch-anthropologischen Diskurses im dreizenten Jahrhundert, p.

417-418.

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13

Chapitre II. Étude historico-philologique : la date, le milieu de composition et les sources de la

Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem

I. Date et milieu de composition : considérations générales

Dans le chapitre précédent, nous avons caractérisé brièvement la Lectura Abrincensis

in Ethicam Veterem et nous avons passé en revue la littérature spécialisée qui s’en occupe.

Comme nous l’avons vu, tous les spécialistes s’accordent à dire (quoiqu’ils le fassent sans

offrir d’arguments) que la Lectura est le plus ancien des commentaires artiens sur l’Éthique.

La raison de cela est peut-être qu’elle est censée se trouver dans le plus ancien manuscrit, car

Lacombe croit que les textes réunis dans le codex Abrincensis 232 ont été copiés entre la fin

du XIIe siècle et le début du XIIIe1. Or les autres descriptions de ce codex affirment que les

textes réunis là ont été copiés entre la fin du XIIe et le début du XIVe siècle, et que le

commentaire anonyme a été copié au XIIIe siècle (sans préciser davantage la date)2. En outre,

Valeria Buffon signale un problème concernant la datation de Lacombe : les pages finales de

la section consacrée à la Lectura Abrincensis font en réalité partie du Commentaire du Ps.

Peckham, datant de la période 1240-1244 (f. 123r-125v)3. À cela, nous pouvons ajouter que

la presque totalité des pages précédant les folia 123r-125v sont de la même main, et doivent

avoir été copiées à la même époque. En raison de cela, nous pouvons affirmer que

l’ancienneté de la Lectura Abrincensis par rapport au reste des commentaires ne va pas de

soi ; comme nous allons le montrer, sa date de composition ne doit pas être placée avant

1225-1228 (cette date pouvant être repoussée à 1231, date à laquelle se termine l’importante

grève universitaire commencée en 1229, pendant laquelle les maîtres et les étudiants avaient

1 G. LACOMBE et al., Aristoteles Latinus. Codices, Rome, La libreria dello Stato (coll. « Corpus philosophorum

medii aevi »), 1939, Pars prior, p. 437, n. 408. 2 R.A. Gauthier, éditeur des traductions latines médiévales de l’Éthique, se limite à indiquer que la partie de ce

codex contenant l’Ethica nova date du XIIIe siècle. Les Catalogues énumérant les codices du fonds ancien

d’Avranches indiquent aussi, pour les folia contenant la Lectura Abrincensis, le XIIIe siècle. Voir R.A.

GAUTHIER, « Praefatio », dans ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. R.A. GAUTHIER, Leiden, Bruxelles ; Brill,

Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », XXVI I-3, fasciculus primus), 1974, p. LIX, n. I ; M.F.

RAVAISSON, Rapports au ministre de l’instruction publique sur les bibliothèques des départements de l’ouest,

suivi de pièces inédites, Paris, Joubert, 1841, p. 165-170 (Ravaisson fait référence à ce codex comme « n°

1763 »). Voir aussi MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS, Catalogue Général des

manuscrits des bibliothèques publiques de France, Tome X, Paris, Plon, 1889, p. 110-112. Du point de vue

paléographique, rien ne semble empêcher de dater cette partie du codex du milieu du XIIIe siècle. 3 BUFFON, L’idéal éthique des maîtres ès arts, p. 202, avec la note 2. Nous revenons sur ce commentaire ci-

dessous.

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quitté la ville de Paris), le terminus ante quem étant toujours 1240, le même que l’on a établi

pour le Commentaire de Paris et le Commentaire de Naples1. En tous cas, plutôt que d’être

« un commentaire de première heure » datant du premier quart du XIIIe siècle, comme le

croyait Birkenmajer2, la Lectura Abrincensis paraît provenir, comme nous le verrons, d’une

époque où l’enseignement de l’Éthique était déjà bien établi, probablement vers 1230-1240.

Or, pour montrer cela, il convient de rappeler certains faits essentiels sur le contexte de

production de cette Lectura.

I.1. L’enseignement de l’Éthique à Nicomaque

L’Éthique était déjà incorporée au programme d’études de la Faculté des arts3 de

l’Université de Paris4 dans le premier statut que l’on conserve aujourd’hui, celui promulgué

par le cardinal légat Robert de Courçon en août 1215. Ce statut énumérait l’Éthique parmi le

contenu des cours facultatifs (comme semble l’indiquer l’expression si placet, « si l’on

veut ») à donner lors des jours de fête5.

Vers 1255 un nouveau statut (édicté cette fois par les maîtres eux-mêmes, selon le

droit octroyé par la bulle Parens scientiarum de 1231)6 inclut l’Éthique parmi les contenus

1 Cf. ci-dessous, section I.2. 2 Qui est le premier à attribuer à la Lectura Abrincensis une date de composition précise. A. BIRKENMAJER, « Le

rôle joué par les médecins et les naturalistes dans la réception d’Aristote aux XIIe et XIIIe siècles », p. 80. 3 Il n’est peut-être pas inutile de rappeler la place de la Faculté des arts dans l’Université de Paris : elle était le

passage obligé pour accéder aux facultés supérieures de Théologie, Médecine et Droit. 4 Déjà constituée en 1208-1209 en tant qu’association organisée des maîtres et étudiants. Voir J. VERGER (avec

la collaboration de D. JULIA, J.C. PASSERON et al.), Histoire des Universités en France, Toulouse, Privât, 1986,

p. 29 ; N. GOROCHOV, « Le milieu universitaire à Paris dans la première moitié du XIIIe siècle », dans J. VERGER

et O. WEIJERS (éds), Les débuts de l’enseignement universitaire à Paris (1200 – 1245 environ), Turnhout,

Brepols (coll. « Studia Artistarum », 38), 2013, p. 49-50. Voir aussi la lettre d’Innocent III dans H. DENIFLE et

É. CHÂTELAIN, Chartularium Universitatis parisiensis (= CUP), Delalain, Paris, 1889, t. I, n.8, p. 67-68, dans

laquelle on parle déjà d’une societas magistrorum. 5 CUP, t. I, n. 20, p. 78 : « Non legant in festiuis diebus nisi philosophos et rhetoricas, et quadruuialia, et

barbarismum, et ethicam, si placet, et quartum topichorum ». Ce même statut interdisait l’enseignement de la

Métaphysique et des libri naturales d’Aristote et prescrivait l’enseignement obligatoire des logiques nova et

vetus, ainsi que de la Grammaire de Priscien. Sur la vraie portée de l’expression « in festiuis diebus » qui,

apparemment, n’excluait pas totalement la possibilité d’enseigner ces livres en dehors des jours fériés, voir P.

DELHAYE, La place des arts libéraux dans les programmes scolaires du XIIIe siècle, dans « Arts libéraux et

philosophie au Moyen Âge », Montréal, Paris ; Institut d’études médiévales, Vrin, 1969, p. 168, avec la note

18. 6 CUP, t. I, n. 79, p. 138 : « Ceterum quia ubi non est ordo, facile repit error, constitutiones seu ordinationes

providas faciendi de modo et hora legendi et disputandi [...], qui et qua hora et quid legere debeant [...] vobis

concedimus facultatem ». La bulle du pape Grégoire IX maintenait l’interdiction de 1215 d’enseigner la

Métaphysique et les libri naturales jusqu’à ce que son contenu soit « dépuré » des erreurs ; pourtant, sans que

cette épuration ait abouti, le nouveau statut les inclut parmi les contenus obligatoires. Cf. CUP, t. I, n. 79, p.

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obligatoires, tout en indiquant le temps minimum pendant lequel il fallait tenir des leçons sur

le texte : douze semaines si on l’étudiait en même temps qu’un autre livre, six s’il était étudié

tout seul. Ce statut présentait aussi la division de l’Éthique que l’on trouve reproduite dans

les commentaires artiens d’avant 1250 : une division en quatre livres partiels (quantum ad

quatuor libros)1, qui correspondaient aux livres I (Ethica Nova), et II-III (Ethica Vetus)2, les

seuls connus avant 1247.

On a remarqué que les prescriptions de ce nouveau statut étaient déjà pratiquées bien

avant 1255 : le statut ne faisait que consolider une façon de procéder déjà mise en place,

comme le suggèrent par exemple le fait que la lecture de l’Éthique était exigée pour

l’admission à l’examen de licence en 1250, ainsi que l’inclusion d’une importante section

consacrée aux quatre livres de l’Éthique dans le Guide de l’étudiant (1230-1240), Guide qui

constituait justement une aide à la préparation des examens et qui portait sur des contenus

effectivement enseignés dans les cours3.

La Lectura Abrincensis est donc l’un des textes reflétant la réception et

l’enseignement de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote à la Faculté des arts de Paris dans la

première moitié du XIIIe siècle. La forme bien développée de ce commentaire, qui correspond

très clairement au « commentaire de type parisien » florissant entre 1230 et 12604, la division

138 : « [...] et libris illis naturalibus, qui in Concilio provincialis ex certa causa prohibiti fuere, Parisius non

utantur, quousque examinati fuerint et ab omni errorum suspitione purgati ». 1 CUP, t. I, n. 246, p. 278 : « Ethicas quantum ad quatuor libros in xij septimanis, si cum alio legantur ; si per

se non cum alio, in medietate temporis ». 2 Comme l’indique C. Lafleur ; toutefois, I. Zavattero rejette cette idée et croit que la traduction utilisée était

celle de Grosseteste, même si l’on étudiait uniquement les premiers quatre livres. Voir I. ZAVATTERO,

« L’éthique et la politique à la Faculté des arts de Paris dans la première moitié du XIIIe siècle », dans VERGER

et WEIJERS (éds), Les débuts de l’enseignement universitaire à Paris, p. 164 ; cf. C. LAFLEUR, « Transformations

et permanences dans le programme des études à la Faculté des arts de l’Université de Paris au XIIIe siècle  : le

témoignage des “Introductions à la Philosophie ˮ et des “Guides de l’étudiant ˮ », LTP, 54, 2 (1998), p. 407. 3 Voir LAFLEUR, « Transformations et permanences », p. 402 (avec le texte 8.1) et 407 ; ID. (avec la collaboration

de J. CARRIER), « L’enseignement philosophique à la Faculté des arts de l’Université de Paris en la première

moitié du XIIIe siècle dans le miroir des textes didascaliques », LTP, 60, 3 (2004), p. 423 ; ID., « Chapitre III :

présentation des quatre opuscules », Quatre introductions à la philosophie au XIIIe siècle, Montréal, Paris ;

Institut d’études médiévales, Vrin, 1988, p. 149 ; I. ZAVATTERO, « L’éthique et la politique à la Faculté des arts

de Paris », p. 164-165. 4 Chaque leçon de la Lectura Abrincensis inclut ces parties : divisio textus, intentio ou sententia, questiones et

expositio littere. Sur la structure des Commentaires de type parisien, voir O. WEIJERS, « La structure des

commentaires philosophiques à la Faculté des arts : quelques observations », dans G. FIORAVANTI et al., Il

commento filosofico nell’occidente latino (secoli XIII-XV), Atti del colloquio Firenze-Pisa, 19-22 ottobre 2000,

organizzato dalla SISMEL, Turnhout, Brepols (coll. « Rencontres de Philosophie Médiévale », 10), 2002, p.

17-41 ; ID., La ‘disputatio’ à la Faculté des arts de Paris (1200-1350 environ), Turnhout, Brepols (coll. « Studia

Artistarum », 2), 1995, p. 12-14.

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du texte (qui semble bien correspondre à celle du statut de 1255), ainsi que les parallèles

étroits avec certains commentaires de la période 1230-12451, nous laissent croire que la

Lectura s’accommode assez bien à l’état de choses dont témoigne le statut de 1255, tout en

étant antérieure ; en conséquence, la Lectura s’avère être l’un des témoins privilégiés de ce

que C. Lafleur a appelé la « métamorphose » des artiens en philosophes2.

I.2. Les premiers cours sur l’Éthique à Nicomaque

Outre la Lectura Abrincensis, cinq commentaires d’origine parisienne datant de la

période 1225-1247 sont parvenus jusqu’à nous. Il s’agit en général de commentaires ayant

comme origine des cours donnés à la Faculté des arts.

* La Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem du Pseudo-Peckham.

Le plus développé de ces commentaires est sans aucun doute celui de l’anonyme appelé

« Pseudo-Peckham », qui inclut des leçons sur les livres I-III (le commentaire sur ce dernier

étant incomplet, car il porte sur l’editio brevior de l’Ethica Vetus) et qui est certainement

postérieur à 12403. Ce commentaire a connu une diffusion moins restreinte que le reste des

commentaires ici décrits, comme en témoigne le fait qu’il est transmis dans quatre témoins

différents. Il y a d’une part deux témoins complets : le ms. Firenze, Biblioteca nazionale,

Conv. sopp. G4 853 (dorénavant F), f. 1r-77v et le ms. Oxford, Bodleian Library, lat. misc.

c. 71, f. 2ra-52r (dorénavant O). D’autre part, deux copies partielles sont transmises dans les

1 Cf. Première partie, chapitre III ; Deuxième partie, chapitre II. 2 « Transformations et permanences », p. 389-392. Lafleur y donne une vision claire et schématique de

l’évolution opérée dans le temps qui sépare les statuts de 1215 et 1255 : en 1215, il est interdit d’enseigner la

Métaphysique et les libri naturales d’Aristote ; en 1255, la plus grande partie des cours porte sur ces livres.

Ainsi, C. Lafleur voit surgir vers 1250 « une nouvelle conception du savoir » qui va bientôt remettre en cause

« la sagesse chrétienne », conception bien exprimée dans les apologies de la philosophie des années 1240-1270 ;

LAFLEUR, « Scientia et Ars dans les Introductions à la philosophie des maîtres ès arts de l’Université de Paris

au XIIIe siècle », p. 45-47. À cette prise de position de Lafleur s’oppose celle d’A. de Libera, qui exprime ses

réserves sur la possibilité d’accorder au « philosophisme » de la période 1240-1260 un rôle « de

développement » qui, à son avis, n’est atteint que plus tard, au moment de la rencontre « entre le travail de

l’artiste et la vision de la philosophie transmise par son corpus » ; cf. A. DE LIBERA, « Faculté des arts ou Faculté

de philosophie ? », dans WEIJERS et HOLTZ (éds), L’enseignement des disciplines à la Faculté des arts, p. 439-

441 ; toutefois, de Libera lui-même considère ailleurs la thèse contraire (en affirmant notamment que « Avant

même que n’intervienne un Boèce de Dacie ou un Siger de Brabant, le philosophisme s’était emparé de la

Faculté des arts ») ; A. DE LIBERA, « Structure du corpus scolaire de la métaphysique dans la première moitié

du XIIIe siècle », dans C. LAFLEUR et J. CARRIER (éds), L’enseignement de la philosophie au XIIIe siècle :

autour du « Guide de l’étudiant » du ms. Ripoll 109, Actes du colloque international édités, avec un complément

d’études et de textes, Turnhout, Brepols, 1997, p. 88. 3 Sur la datation de ce commentaire et les problèmes qui en découlent, voir BUFFON, L’idéal éthique des maîtres

ès arts, p. 9-12 ; ID., « Anonyme (Pseudo-Peckham) ‘Lectura cum questionibus in Ethicam novam et veterem’

(vers 1240-1244). Prologue », RTPM, 78, 2 (2011), p. 304-314.

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ms. Avranches, Bibliothèque municipale 232, f. 123r-125v (incluant uniquement l’expositio

littere des leçons 43-45) et Praga, Národní knihovna III F 10, f. 12r-23v (incluant les leçons

22-39 [sur l’Ethica Vetus], sans la section consacrée aux questions)1. L’édition de ce

commentaire est aujourd’hui en cours de réalisation : V. Buffon a déjà publié le Prologue2,

ainsi que quelques quaestiones spécifiques3 ; cette édition vient s’ajouter aux leçons 21 et

22, éditées et traduites (avec une première version du Prologue) dans sa thèse de doctorat4.

* Le Commentaire de Robert Kilwardby. Un autre commentaire sur les traductions

Nova et Vetus, conservé au complet, est celui de Robert Kilwardby qui date très probablement

de la période où Kilwardby séjournait à Paris (après 1240, probablement vers 1245)5. Ce

texte est transmis dans deux témoins : ms. Cambridge, Peterhouse 206, f. 285ra-307vb

(contentant la totalité du texte) et Praga, Národní knihovna III F 10 f. 1ra-11vb (un témoin

partiel). A. Celano a entrepris l’édition de ce commentaire il y a quelques années ; mais cette

édition n’est pas encore parue.

* L’anonyme Commentaire de Paris. Ce commentaire anonyme sur la Nova et la

Vetus date des années 1235-1240. Conservé de manière incomplète, il est copié en plusieurs

morceaux séparés contenus dans deux manuscrits différents : le ms. Paris, Bibliothèque

nationale de France (= BnF), lat. 3804 A (dorénavant P), f. 140ra-143va (sur l’Ethica Nova) ;

f. 152ra-159vb et f. 241ra-247vb (commentaire sur l’Ethica Vetus) ; et le ms. Paris, BnF, lat.

3572, f. 226ra-235ra (commentaire sur la Vetus). Ce commentaire anonyme a fait l’objet de

deux éditions partielles : R.A. Gauthier édita le commentaire sur la Nova en 1975 ; plus

1 Cf. BUFFON, L’idéal éthique des maîtres ès arts, p. 8. 2 BUFFON, « Anonyme (Pseudo-Peckham) ‘Lectura cum questionibus in Ethicam novam et veterem’ », p. 352-

382. 3 Une partie substantielle de la Lectio II est éditée et traduite dans V. BUFFON et D. PICHÉ, « Ontologie et logique

du mal au début du XIIIe siècle. Le problème du mal dans le ‘Commentaire à l’Éthique’ du Pseudo-Peckham »,

Mediaevalia. Textos e studos, 30 (2011), p. 35-60 ; la troisième question de la première leçon est pour sa part

éditée (accompagnée d’une traduction espagnole) en Appendice dans V. BUFFON, « Actus, opus, habitus :

discusiones de terminología ética en la primera recpeción de la Ética Nicomaquea a mediados del siglo XIII »,

Patristica et Mediaevalia XXXV (2014), p. 10-14 ; les questions 2 et 4 de la quatrième leçon sont aussi éditées

et traduites en espagnol dans V. BUFFON (éd.), « Lecciones con preguntas sobre Ética. Lectio IV », dans V.

BUFFON (dir.) et al., Philosophia artistarum. Discusiones filosóficas de los maestros de artes de París, p. 181-

185. 4 ID., L’idéal éthique des maîtres ès arts, p. 197-372. 5 Probablement après 1240, car le commentaire sur la Vetus porte sur l’editio longior (1240), comme le

remarque P.O. LEWRY, « Robert Kilwardby’s Commentary on the Ethica nova and vetus,” dans C. WENIN (éd.),

L’homme et son univers au Moyen Âge, Peeters, Louvain-la-Neuve (coll. « Philosophes médiévaux », 26–7),

1986, vol. 2, p. 799–807. Sur l’editio longior, voir ci-dessous, section II.

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récemment, I. Zavattero a entrepris l’édition du cours sur la Vetus, dont le Prologue est paru

en 2010.

* L’anonyme Commentaire de Naples. Un commentaire anonyme sur la Nova nous

est parvenu de manière très fragmentaire dans le ms. Napoli, Biblioteca Nazionale VIII G 8,

f. 4ra-9vb. D’après M.J. Tracey, éditeur de ce texte1, le commentaire date de la période 1225-

12402 ; il se peut que ce commentaire ait inclus des leçons sur les livres II et III, auxquels

l’auteur anonyme renvoie à quelques reprises.

* Commentaire anonyme sur l’Ethica Vetus. Un fragment d’un cinquième

commentaire sur la Vetus, jugé « assez tardif » par R.A. Gauthier3, se trouve dans le ms.

Paris, BnF, lat. 3572, f. 186ra-187vb4. Ce commentaire n’a fait l’objet, jusqu’à maintenant,

d’aucune étude.

La Lectura Abrincensis fait donc partie de cet important ensemble présentant de

nombreux parallèles (que nous allons examiner dans les chapitres et les sections qui suivent) ;

elle présente aussi de nombreux points de contact avec l’enseignement artien sur la logique

(points que nous examinerons aussi en détail). Tout cela permet de placer la Lectura dans la

production exégétique de la Faculté des arts de l’Université de Paris des années 1230-1240,

comme nous l’avons suggéré. Or, un examen plus détaillé des sources citées et utilisées par

l’auteur permettra d’ajouter encore quelques arguments afin de mieux justifier notre

hypothèse.

II. Le corpus commenté : les traductions latines de l’Éthique à Nicomaque

Datant de la première moitié du XIIIe siècle, les commentaires que nous venons

d’énumérer portent sur la première traduction latine de l’Éthique. Or la circulation accidentée

1 M.J. TRACEY, « An Early 13th-Century Commentary on the Nicomachean Ethics I, 4-10 : The Lectio cum

Questionibus of an Arts-Master at Paris in ms. Napoli, Biblioteca Nazionale VIII G 8, ff.4ra-9vb », Documenti

e studi sulla tradizione filosófica medievale, XVII (2006), p. 23-70. 2 Toutefois, Tracey signale l’existence de trois lemmata qui coïncident avec la traduction de R. Grosseteste,

parue vers 1247 ; mais, d’après lui, ceci ne suffit pas pour modifier la datation de ce commentaire. Cf. TRACEY,

« An Early 13th-Century Commentary on the Nicomachean Ethics I, 4-10 », p. 26. 3 R.A. GAUTHIER, « L’exégèse de l’Éthique à Nicomaque : essai d’histoire littéraire », dans R.A. GAUTHIER et

J.Y. JOLIF, Éthique à Nicomaque. Introduction, traduction et commentaire, Louvain, Paris ; Peeters,

Nauwelaerts, 1970, p. 118. 4 Il faut remarquer que Gauthier se trompe en incluant dans la description de ce commentaire les folia 226ra-

235ra, qui correspondent en réalité au Commentaire de Paris sur l’Ethica Vetus ; cf. GAUTHIER, « L’exégèse

de l’Éthique à Nicomaque », p. 118.

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de cette première traduction (achevée bien avant que Robert Grosseteste n’ait complété sa

traduction des dix livres vers 1247)1 mérite quelques mots.

Cette première traduction nous est parvenue en plusieurs fragments : à l’Ethica Vetus

(livres II et III) et l’Ethica Nova (livre I), ainsi nommées à l’époque de notre commentateur,

s’ajoutent les fragments que nous appelons aujourd’hui Ethica Borghesiana (livres VII et

VIII) et Ethica Hoferiana (extraits des livres II-X), qui ne semblent pas avoir circulé de

manière significative pendant la première moitié du XIIIe siècle. R.A. Gauthier voyait dans

l’ensemble l’œuvre de deux traducteurs : un premier traducteur anonyme aurait traduit les

livres II-III (dont les dernières lignes sont absentes) vers la fin du XIIe siècle, alors qu’un

deuxième traducteur, peut-être Michel Scot, aurait accompli, au début du XIIIe siècle, la

traduction du livre I, des livres IV-X et des lignes manquantes du troisième livre2.

Nous savons depuis les études de J. Judycka3 que tous ces fragments sont l’œuvre

d’un seul et même personnage et que celui-ci est aussi le traducteur du De Generatione et

corruptione. Ce n’est qu’en 1994 que R.J. Durling identifia le traducteur de ce dernier

ouvrage avec Burgundio de Pise4. S’appuyant sur les conclusions de Judycka et de Durling,

F. Bossier envisagea une étude détaillée de l’évolution de la terminologie philosophique

employée dans les traductions de Burgundio ; il confirma ainsi que Burgundio est le seul

traducteur des quatre fragments (les traductions Nova, Vetus, Borghesiana et Hoferiana), et

qu’il aurait achevé sa traduction en deux étapes peu avant 1150 : il traduisit d’abord les livres

II-III, et, ensuite, les livres I et IV-X5. Les intuitions de Bossier ont été confirmées par la

découverte de G. Vuillemin-Diem et M. Rashed, qui ont placé les manuscrits contenant les

modèles grecs utilisés par Burgundio pour la traduction du De generatione et corruptione et

de l’Ethica Nicomachea en un même lieu, l’atelier d’un scribe appelé « Ioannikios » qui

1 GAUTHIER, « Praefatio », p. CCI ; ID., « L’exégèse de l’Éthique à Nicomaque », p. 111-146. 2 GAUTHIER, « L’exégèse de l’Éthique à Nicomaque », p. 111-114. 3 J. JUDYCKA, « Introduction », dans ARISTOTE, De generatione et corruptione. Translatio vetus, éd. J.

JUDYCKA, Leiden, Brill (coll. « Aristoteles latinus », IX.1), 1986, p. xxxiv-xxxviii. 4 R.J. DURLING, « The anonymous translation of Aristotle’s De generatione et corruptione (translatio vetus) »,

Traditio, 49 (1994), p. 320-330. 5 F. BOSSIER, « L’élaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise », dans J. HAMESSE, Aux

origines du lexique philosophique européen. L’influence de la latinitas. Actes du Colloque international

organisé à Rome (Academia Belgica, 23-25 mai 1996), Louvain-la-Neuve, Fédération internationale des

instituts d’études médiévales, 1997, p. 81-116 (notamment p. 82-83 et 102). Les traditions manuscrites de ces

traductions sont indépendantes, et cela est peut-être à l’origine du fait que les éthiques nova et vetus ont circulé

séparément.

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aurait eu « un collègue anonyme », en l’occurrence, Burgundio de Pise1. Toutefois, Bossier

n’est pas arrivé à expliquer pourquoi Burgundio a commencé sa traduction par le livre II2.

Quoi qu’il en soit, à l’époque de nos maîtres la traduction des livres IV-X n’a guère

circulé ; la traduction appelée Nova, en usage depuis le début du XIIIe siècle (ca. 1220),

n’inclut donc que le livre I et est précédée par la Vetus, qui est déjà en circulation à la fin du

XIIe siècle3. Comme l’indique avec justesse Gauthier, ces trois livres (divisés parfois en

quatre ou encore en cinq parties) circuleront souvent réunis sous le titre de Liber Ethicorum4.

Nous avons parlé jusqu’à maintenant de la toute première traduction gréco-latine ;

mais il existait aussi, avant que la traduction de Grosseteste n’ait été complétée, une

traduction arabo-latine du Commentaire moyen d’Averroès sur l’Éthique (appelée translatio

hispanica d’après le lieu où elle a été achevée en 1240, la ville espagnole de Tolède), ainsi

qu’une traduction arabo-latine d’un résumé connu sous le nom de Summa Alexandrinorum

(traduit vers 1243-1244), deux traductions accomplies par Hermann l’Allemand. Selon

Gauthier, Hermann serait aussi le traducteur des lignes manquantes du livre III (qui s’ajoutent

à la traduction de Burgundio, formant ainsi l’editio longior5, vers 1244), ainsi que de

quelques fragments du livre I (alia translatio)6 ; cette hypothèse a été récemment confirmée

1 Ces manuscrits se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque Laurentienne : il s’agit des mss Laurentianus 87.7

(De generatione et corruptione) et Laurentianus 81.18 (Ethica Nicomachea). Voir G. VUILLEMIN-DIEM et M.

RASHED, « Burgundio de Pise et ses manuscrits grecs d’Aristote : Laur. 87.7 et Laur. 81.18 », RTPM, LXIV, 1

(1997), p. 136-198. Voir aussi les remarques de F. BOSSIER, « Les ennuis d’un traducteur : quatre annotations

sur la première traduction latine de l’Éthique à Nicomaque par Burgundio de Pise », Bijdragen, tijdschrift voor

filosofie en teologie, 59 (1998), p. 410, et les remarques de G. VERBEKE dans « Burgundio de Pise et le

vocabulaire latin d’Aristote », dans R. BEYERS, J. BRAMS, D. SACRÉ, K. VERRYCKEN (éds), Tradition et

traduction. Les textes philosophiques et scientifiques grecs au Moyen Âge latin. Hommage à Fernand Bossier,

Leuven, University Press, 1999, p. 37-40. 2 BOSSIER, « Les ennuis d’un traducteur », p. 409. 3 Comme l’indique V. Buffon, ces dénominations (Vetus et Nova) obéissent à la circulation indépendante de

ces deux fragments, et ne font aucunement référence à la date de la traduction. Cf. BUFFON, L’idéal éthique des

maîtres ès arts, p. 4. 4 GAUTHIER, « L’exégèse de l’Éthique à Nicomaque », p. 112 ; ID., « Appendix : Saint Thomas d’Aquin et

l’Éthique à Nicomaque », dans THOMAS D’AQUIN, Sententia libri Politicorum ; Tabula libri Eticorum, éd. R.A.

GAUTHIER, Rome, Sainte Sabine (coll. « Sancti Thomae de Aquino Opera omnia », XLVIII), 1971, p. XV. Voir

aussi CUP, t. I, n. 246, p. 278 et LAFLEUR, « Transformations et permanences », p. 402. 5 Par opposition à l’editio brevior, la traduction de Burgundio qui allait jusqu’à 1119a34. 6 GAUTHIER, « L’exégèse de l’Éthique à Nicomaque », p. 114-115 ; ID., « Praefatio », p. CXLIX-CLI. Les

fragments en question ont été édités par Gauthier avec l’Ethica nova ; Cf. ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd.

R.A. GAUTHIER, Ethica Nicomachea. Translatio antiquissima libr. II-III siue ‘Ethica vetus’ et Translationis

antiquioris quae supersunt siue ‘Ethica nova’, ‘Hoferiana’, ‘Borghesiana’, Leiden, Bruxelles ; Brill, Desclée

de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », XXVI, 1-3, fasc. secundus), 1972, p. 125-131.

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par les études d’A. Fidora et A. Akasoy1. Le Commentaire moyen d’Averroès (traduit en

1240) était aussi nommé alia translatio dans certains manuscrits2.

Or il faut mettre en évidence ce que ces précisions sur les premières traductions latines

de l’Éthique peuvent nous apprendre sur la datation que nous avons suggérée pour la Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem.

La mise en circulation de l’Ethica Nova en 1220 est un premier indicateur : notre

commentateur la connaît et la cite dès le début (il ouvre son Prologue avec l’incipit de la

Nova) ; nous avons aussi des raisons de croire que la Lectura Abrincensis (ou, du moins, le

cours qui en est l’origine) incluait une première section consacrée à la Nova3. Nous savons

donc que la Lectura est postérieure à 1220.

L’utilisation de l’editio longior ou la mention d’autres traductions pourrait nous aider

à mieux préciser cette date. Or, le commentaire étant incomplet, nous ne pouvons pas vérifier

si le commentateur connaissait l’editio longior4. Pour ce qui est de l’utilisation de traductions

complémentaires, le commentateur n’en mentionne qu’une seule, sous la célèbre appellation

d’alia translatio. Mais il ne s’agit pas, comme nous aurions pu l’espérer, des fragments du

livre I édités par Gauthier ; il ne s’agit pas non plus du Commentaire moyen d’Averroès. La

traduction du livre III de l’Ethica Vetus cité par le maître correspond plutôt aux notes

marginales qui se trouvent dans certains manuscrits5, édités par Gauthier à la suite de l’Ethica

Vetus6 et qu’il attribue au même traducteur (i.e. Burgundio de Pise). Voici, en parallèle, une

1 A. FIDORA et A. AKASOY, « Hermannus Alemannus und die Alia translatio der Nikomachischen Ethik »,

Bulletin de Philosophie médiévale, 44 (2002), p. 79-93. Bien que l’hypothèse de Gauthier ait été confirmée,

certains problèmes subsistent. Par exemple, V. Buffon nous indique que le commentaire du Pseudo-Peckham

utilise l’alia translatio, alors qu’il ne semble pas connaître l’editio longior ; en plus, l’alia translatio citée par

le Pseudo-Peckham inclut aussi, outre les fragments du premier livre édités par Gauthier, d’autres fragments

d’origine incertaine. Voir BUFFON, « Anonyme (Pseudo-Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam nouam

et ueterem », p. 307. 2 J.B. KOROLEC, « Mittlerer Kommentar von Averroes zur Nikomachischen Ethik des Aristoteles », dans

Mediaevalia philosophica polonorum, 31 (1992), p. 65. Albert le Grand, par exemple, renvoie à la traduction

d’Averroès de cette manière : « Et hoc secundum aliam translationem quam exponit Averroes ». Cf. ALBERT

LE GRAND, Super Ethica, Lib. IV, lec. IV, éd. W. KÜBEL, Sancti Doctoris Ecclesiae Alberti Magni, Ordinis

Fratrum Praedicatorum Opera omnia, XIV, 1-2, Münster, Aschendorff, 1968, p. 236, l. 74-76. 3 Nous examinerons les signes qui suggèrent cette conclusion dans Première partie, chapitre III. 4 Gauthier suppose que ce commentaire porte sur l’editio brevior. Voir GAUTHIER, « L’exégèse de l’Éthique à

Nicomaque », p. 114. 5 Parmi lesquels se trouve aussi le ms. Avranches, Bibliothèque municipale 232 qui contient aussi la Lectura

Abrincensis. 6 GAUTHIER, « Praefatio », p. LI ; ARISTOTE, Ethica Vetus, trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. R.A. GAUTHIER, dans

ARISTOTE, Ethica Nicomachea, éd. GAUTHIER (coll. « Aristoteles Latinus », XXVI, 2), 1972, « Interpretis

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comparaison des trois textes, la traduction alternative reportée par l’auteur de la Lectura

Abrincensis, la traduction de Burgundio, et ses adnotationes (nous signalons les termes

communs en caractères gras) :

ANONYME, Lectura Abrincensis

in Ethicam ueterem, Avranches,

Bibliothèque municipale, 232,

f. 119v :

ARISTOTE, Ethica Vetus, III, 8

(14b30-15a1), trad. BURGUNDIO

DE PISE

éd. GAUTHIER, p. 36, l. 16-19 :

ARISTOTE, Ethica Vetus, III, 8

(14b30-15a1), trad. BURGUNDIO

DE PISE

éd. GAUTHIER, « Interpretis

adnotationes in Ethicam

veterem », p. 56, l. 21-23 :

[...] et hoc exponitur per hoc quod

suppletur ex alia translatione :

Quantum enim habitus augea-

tur ex operatione, id est per ope-

rationem.

Operacionum quidem enim, ab

inicio usque ad finem domini su-

mus, cognoscentes singularia.

Habituum autem, in principio.

Singularium autem, adiectio non

cognita.

Quantum enim unaquaque die

operacione, si id idem sepius

operetur, augetur ut assuetudini

habitus, incognitum nobis.

Quoique la coïncidence ne soit pas exacte, on remarque tout de suite les parallèles.

Or comme nous n’avons pas repéré des coïncidences avec les traductions arabo-latines (le

Commentaire d’Averroès, la Summa Alexandrinorum et les fragments des livres I et III

ajoutés par Hermannus Alemannus), datant de la période 1240-1244, nous pouvons conclure,

du moins e silentio, que la Lectura Abrincensis date d’avant 1240.

III. Le corpus utilisé par la Lectura Abrincensis

III.1. La logique d’Aristote

Au XIIIe siècle, l’étude de la logique d’Aristote (divisée en dialectica nova et

dialectica vetus) ouvre le cursus artien et y occupe une place assez importante ; en effet,

l’étude de l’Organon constitue l’introduction aux études supérieures. Or comme tous les

traités de l’Organon1 sont déjà connus et traduits à l’époque de la Lectura Abrincensis, et

que son étude est indiquée comme obligatoire depuis 12152, l’utilisation des différents traités

ne nous aide pas à mieux fixer la datation. Toutefois, une recension des allusions explicites

et implicites aux ouvrages logiques d’Aristote (ainsi qu’aux textes qui y sont associés) permet

adnotationes in Ethicam Veterem », p. 49-61. Ces notes se trouvent dans les manuscrits les plus importants :

Avranches, Bibliothèque municipale, 232 ; Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 8802 ; Oxford, Bodleian

Library, Seld. sup. 24 ; Vatican, Biblioteca apostolica, Vat. gr. 1342. 1 À l’exception de la Rhétorique et de la Poétique, si l’on pense à un Organon long. 2 CUP, t. I, n. 20, p. 78.

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de reconnaître les rapports étroits qui lient la Lectura Abrincensis aux cours artiens sur la

logique donnés à Paris vers 1230-1245.

Dans la Lectura Abrincensis, les allusions à la logique sont en général implicites : le

maître ne mentionne clairement que les Topiques. Nous avons identifié deux citations

explicites du deuxième livre, ainsi qu’un lemme du livre IV. Les Catégories ne sont pas

mentionnées, mais le maître les connaît bien, et les cite à diverses occasions de manière plus

ou moins libre. À part cela, le maître ne mentionne que de manière très vague les

argumentations « sophistiques »1, et les « ratiocinationes dialectice »2, qu’il lie aux Topiques.

Nous n’avons pas repéré d’allusions claires aux Analytiques ou au traité Peri hermeneias.

Bref, les Catégories et les Topiques s’avèrent être les œuvres logiques les plus utilisées par

l’auteur.

Les Topiques

Les deux allusions explicites au deuxième livre se trouvent dans la septima lectio. La

première, évoquée dans une question sur l’opposition entre les vices et les vertus (« Quod

autem dicit Aristoteles in secundo Topicorum quod unum opponitur uni contrarie »)3

s’approche du lemme « unum uni contrarium » (traduisant ἓν ἑνὶ ἐναντίον), présent dans

plusieurs textes d’Aristote (Métaphysique III, 1, [995b27], IV, 2 [1004b1], X, 5 [1055b30]),

De caelo et mundo (I, 2 [269a10]), Topiques (VIII, 3 [158b26]) et amplement utilisé tant dans

les commentaires artiens que dans les Summae théologiques de l’époque sur la discussion du

problème de l’opposition entre le bien et le mal. Ce lemme est aussi attribué aux Topiques

par Albert le Grand dans son Super Ethica, et cela, dans un contexte parallèle à celui de la

Lectura4. La deuxième allusion est plutôt générale : le maître nous dit simplement que le

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 15 (avec l’apparat critique), notre édition :

« Videtur habere dubitationem eo quod de probabilibus siue de sophisticis est modus docendi, et similiter est

de moralibus in hoc libro [...] ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VII, § 50, notre édition : « [...] et docet quomodo

est inuenire medium, et non in primo, in quo determinatur [ex quo determinatur] ex quibus et qualibus sunt

ratiocinationes dialectice ». 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VII, § 30, notre édition. Le lemme en question se

trouve dans le livre VIII, ch. 3 (et non pas dans le livre II). Cf. ARISTOTE, Topica, VIII, 3 (158b26), trad. BOÈCE,

éd. L. MINIO-PALUELLO, Topica. Translatio Boethii, Fragmentum recensionis alterius et Translatio anonyma,

Paris, Bruxelles ; Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », V, 1-3), 1969, p. 164, l. 14 : « [...] ut utrum

unum uni contrarium vel plura ». 4 ALBERT LE GRAND, Super Ethica, lib. II, lec. VIII, éd. KÜBEL, p. 131 : « sicut dicitur in TOPICIS, unum uni

opponitur ».

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deuxième livre des Topiques s’occupe de la recherche du moyen terme des raisonnements

concernant les diverses parties de la philosophie, alors que le premier s’occupe d’éclairer

« ex quibus et qualibus sunt ratiocinationes dialectice »1 ; on reconnaît ici une description

générale du livre I assez courante dans les textes parisiens de l’époque, qui voient dans ce

livre le traitement des principes matériels de l’argumentation : on trouve un parallèle par

exemple dans les Communia logice2, dont la division du livre des Topiques annonce : « In

principio secundi, in prima ergo parte continente totum primum librum cum parte prohemiali,

manifestat actor ex quibus et qualibus habeat fieri sillogismus dyalecticus »3. Une troisième

évocation des Topiques apparaît dans la neuvième leçon4. Dans ce cas, le titre de l’œuvre

n’est pas mentionné, mais le lemme est cité de manière très précise et coïncide exactement

avec la traduction de Boèce : « Voluntarium et inuoluntarium sunt opposita, et bonum et

malum sunt opposita si oppositum in opposito et propositum in proposito »5. Or, la fréquence

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VII, § 50, notre édition, cité ci-dessus. 2 Il s’agit d’un texte parisien que l’on peut compter parmi les textes dits « didascaliques », liés à l’enseignement

parisien du milieu du XIIIe siècle. Les Communia logice font partie d’un ensemble plus large, contenant non

seulement des questions sur la logique, mais aussi sur la mathématique, la grammaire, la philosophie naturelle

et l’éthique. Différentes parties de cet ensemble nous sont parvenues dans les manuscrits suivants : ms. Paris,

BnF, lat. 16617, f. 171ra-205vb ; Paris, BnF, lat. 16390, f. 194ra-206vb ; Salamanca, Biblioteca Universitaria

1986, f. 83ra-115rb. Sur cet ensemble de textes contentant notamment les Communia logice et les Communia

gramatice, voir C. LAFLEUR et D. PICHÉ, avec la collaboration de J. CARRIER, « Porphyre et les universaux dans

les Communia logice du ms. Paris, BnF, lat. 16617 », dans Laval Théologique et Philosophique 60, 3 (2004),

p. 477-516 ; C. LAFLEUR, avec la collaboration de J. CARRIER, « Double abstraction et séparation dans les

‘Communia logice’ (mitan du XIIIe siècle) : complément aux parallèles artiens de la doctrine thomasienne »,

LTP, 66, 1 (2010), p. 127-175 ; R. LÉTOURNEAU, Le statut de la grammaire et la place de Donat dans les

Communia gramatice (anonyme, XIIIe siècle, ms. Paris, bibliothèque nationale de France 16617, f. 183rb-

205vb), Mémoire présenté à la Faculté des Études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme

de maîtrise en études anciennes pour l’obtention du grade de maître ès arts (MA), Faculté des lettres, Université

Laval, Québec, 2010 ; ID., « L’enseignement de la grammaire philosophique par-delà les Pyrénées : le cas des

Communia Grammaticae », conférence présentée dans le cadre des Midis du Laboratoire de Philosophie

ancienne et médiévale, Faculté de Philosophie, Université Laval, Québec, le 26 janvier 2015 ; ID., « Le statut

de la syntaxe dans un traité de grammaire du XIIIe siècle », Thèse doctorale, Université du Québec à Montréal,

2017, p. 42-49 ; G. BEAUJOUAN, Manuscrits scientifiques médiévaux de l’Université de Salamanque et de ses

« Colegios mayores », Bordeaux, Féret et fils, 1962, p. 87-90. 3 Ms. Salamanca, Biblioteca universitaria 1986 (= S), f. 88rb. Cf. ANONYME, Compendium examinatorium

Parisiense, éd. C. LAFLEUR et J. CARRIER, Le « Guide de l’étudiant » d’un maître anonyme de la Faculté des

arts de Paris au XIIIe siècle. Édition critique provisoire du ms. Barcelona, Arxiu de la Corona d’Aragó, Ripoll

109, ff. 134ra-158va1240, Québec, Faculté de philosophie de l’Université Laval (« Publications du LAPAM »,

I), 1992, § 860-861 : « Prima iterum pars que in .VII. libris determinatur diuiditur in duas partes. In quarum

prima, scilicet in primo libro, agitur de sillogismo uel de compositione sillogismi dialetici penes sua principia

materialia [...] Primus iterum diuiditur in .IIII.or partes. [...] In tertia parte, cum dicit : Determinatis igitur etc.,

determinat de ratiocinationibus dialeticis, que ex predictis conficiuntur ». 4 Contenue aux f. 111r-113v (Quod autem per ignorantiam, ÉN III, 2, 1110b17 et ss.). 5 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IX, A, f. 112v. Cf. la traduction de Boèce dans

ARISTOTE, Topica, éd. MINIO-PALUELLO, p. 75, l. 1-2 : « [...] si oppositum in opposito, et propositum in

proposito erit [...] ».

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avec laquelle cette règle est invoquée dans les textes de l’époque ne permet pas de conclure

que le maître a le texte à sa disposition. Il paraît donc vraisemblable de supposer que le texte

des Topiques est cité de manière indirecte.

Les Catégories

Le texte des Catégories, sans aucun doute l’un des plus influents dans l’histoire de la

philosophie, s’avère particulièrement pertinent à l’égard de l’étude des premiers cours sur

l’Éthique, car il fournit, avec celle de Cicéron1, l’une des définitions « philosophiques » de

la vertu dont on disposait avant que l’Éthique à Nicomaque ne soit traduite. Les Catégories

fournissent aussi d’importants instruments méthodologiques dont les maîtres ès arts se sont

largement servis dans l’exégèse de l’Éthique, telles la théorie de l’opposition et la tripartition

entre homonymes, synonymes et paronymes. Nous voudrions ici attirer l’attention sur deux

exemples très significatifs qui servent à illustrer l’importance de ce texte : la conception de

la vertu comme une sous-espèce de la qualité, inspirée du chapitre 8 ; et l’utilisation de la

théorie de l’opposition dans l’analyse du couple de contraires vice-vertu (notamment

l’utilisation du chapitre 11).

La vertu comme qualité

Une lecture attentive de la Lectura Abrincensis révèle l’influence des Catégories dans

la conception que le maître a de la vertu. Rangée sous l’espèce des états habituels, la vertu

est pour Aristote une qualité :

Disons, donc, que l’état et la disposition sont une première espèce de

qualité ; l’état, cependant, diffère de la disposition parce qu’il est plus stable et

dure plus longtemps. Telles sont les connaissances scientifiques et les vertus [...]

on estime que la connaissance scientifique est parmi les états les plus stables et

les plus difficiles à modifier [...]. Et il en va de même pour la vertu aussi : ainsi

on estime que la justice, la modération et chacune des qualités de cette sorte, ne

sont pas faciles à changer ni à modifier. Alors que l’on appelle dispositions des

qualités qui sont faciles à changer et qui se modifient rapidement [...] à moins

que, même parmi celles-ci, il ne s’en trouve une qui, à force de durer longtemps,

1 CICÉRON, De inventione, II, c. 53, n. 159, éd. E. STROEBEL, Rhetorici libri duo qui vocantur de inventione,

Leipzig, Teubner, 1915 : « Virtus est animi habitus naturae modo atque rationi consentaneus ».

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ne fasse désormais partie de la nature de l’individu [...] de sorte que l’on pourrait

dès lors l’appeler un état1.

Les considérations du maître sur la manière dont la vertu se produit et s’affirme dans

l’âme sont en accord avec cette description aristotélicienne des vertus. Ainsi, l’état habituel

est précédé d’une disposition introduite dans l’âme par une première opération vertueuse, qui

est par la suite intensifiée par les opérations conséquentes. Tandis que la simple disposition

est pour le maître facile à changer (facile mobilis), la vertu ne l’est pas (difficile mobilis). Le

reste des commentaires artiens tiennent compte de cette définition : ainsi, dans la discussion

sur la définition de la vertu, l’habitus sera souvent explicitement associé au genre de la

qualité.

Vers 1220-1240, le fait de comprendre la qualité comme genre des états habituels est

devenu assez commun parmi les théologiens parisiens comme Philippe le Chancelier2. Or,

cette conception de la vertu (qui n’est pas étrangère à l’Éthique) détermine la solution que le

maître donnera aux paradoxes découlant de la lecture du chapitre 11 des Catégories, comme

on le montrera ensuite.

Les contraires in moralibus. L’opposition vice-vertu selon les Catégories

Un autre signe de la pertinence des Catégories pour l’exégèse médiévale de l’Éthique

se trouve dans la fréquente utilisation de la théorie de l’opposition dans l’explication des

rapports de contrariété et de privation entre les couples vice-vertu et bien-mal3.

La théorie de l’opposition d’Aristote est exposée au chapitre 10, où il en distingue

quatre types : contraire, privative, relative et contradictoire. Le chapitre 11 introduit une série

1 ARISTOTE, Catégories, 8, 8b27-9a4, trad. M. CRUBELLIER et P. PELLEGRIN, Aristote. Organon I-II, Paris,

Garnier Flammarion, 2007, p. 161-163. 2 R. SACCENTI, « La définition de la vertu chez les théologiens de la première moitié du XIIIe siècle », dans A.

MUSCO, C. COMPAGNO, G. MUSOTTO et S. D’AGOSTINO (éds), Universalità della Ragione, vol. II.1, p. 219-

226. Au XIIe siècle, Abélard avait été l’un des premiers à considérer la vertu comme une disposition devenue

état habituel ; cf. I.P. BEJCZY, The Cardinal Virtues in the Middle Ages. A Study in Moral Thought from de

Fourth to the Fourteenth Century, Leiden, Boston ; Brill, 2011, p. 89 ; sur la notion d’habitus élaborée par

Abélard et ses sources philosophiques (notamment Macrobe, Cicéron et Aristote) voir R. SACCENTI, « Quattro

gradi di virtù : il modello ethico dei Commentarii di Macrobio nei XII secolo », Medioevo, 31 (2006), p. 69-

101. 3 Sur ce point, et particulièrement sur les implications des remarques d’Aristote dans le chapitre 11 des

Catégories, voir L.-B. GILLON, La théorie des oppositions et la théologie du péché au XIIIe siècle, Paris, Vrin,

1937. Pour une approche de cette problématique dans la Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et

Veterem du Pseudo-Peckham, qui considère aussi les circonstances historiques dans lesquelles se développe ce

problème, voir BUFFON et PICHÉ, « Ontologie et logique du mal au début du XIIIe siècle ».

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de remarques complémentaires sur les opposés par contrariété : (i) le bien n’a pour contraire

que le mal, mais le mal peut s’opposer tant au bien qu’à un autre mal ; (ii) pour une paire de

contraires, l’existence de l’un n’implique pas l’existence de l’autre ; (iii) les contraires se

produisent naturellement autour de la même chose ; (iv) les contraires se retrouvent : 1. soit

dans le même genre ; 2. soit dans des genres contraires ; 3. soit ils sont eux-mêmes des

genres1.

Aux environs de 1230, les maîtres qui exposent le texte ressentent l’obligation

d’expliquer pourquoi Aristote a fait cet ajout. Si la contrariété a été traitée dans le chapitre

10, pourquoi en parler à nouveau ? On trouve dans les Notulae super librum

Praedicamentorum (1237-1245) de Kilwardby et dans les Rationes super Praedicamenta

(1231-1241) de Jean le Page une réponse assez intéressante (inspirée peut-être du fait

qu’Aristote lui-même évoque dans ce onzième chapitre les couples bien-mal et vertu-vice) :

Aristote traite ici des contraires dans le domaine de la morale, à propos desquels « il n’a rien

touché » au chapitre 102.

Il n’y a donc rien de surprenant à ce que notre maître anonyme essaie d’expliquer

l’opposition entre les vices et les vertus en recourant aux remarques complémentaires sur les

contraires faites au chapitre 11 des Catégories. Or, ces remarques complémentaires

d’Aristote sont remises en cause dans la Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem : le maître

anonyme soulève une série de questions destinées à indiquer (pour les résoudre ensuite) les

contradictions qui surgissent d’une lecture d’ensemble des Catégories, de l’Éthique à

Nicomaque et de la Métaphysique (difficulté sur laquelle nous reviendrons dans la prochaine

partie)3. Des questions parallèles se trouvent dans les commentaires artiens sur les Catégories

1 Nous présentons ces remarques dans cette version schématique tirée de notre examen de doctorat (volet

rétrospectif), « L’interprétation médiévale de Catégories 11 à travers deux commentateurs du XIIIe siècle :

Robert Kilwardby et Iohannes Pagus », Université Laval, Faculté de Philosophie, Québec, 2014. 2 ROBERT KILWARDBY, Notulae super librum Praedicamentorum, ms. Madrid, Biblioteca Universitaria 73, f.

10vb-43vb (dorénavant, M1) ; ms. Cambridge, Peterhouse 206, f. 42ra-65va (dorénavant C), cité selon l’édition

préliminaire de P.O. LEWRY (s. f.), mis à la disposition du public par A. CONTI dans http://www-

static.cc.univaq.it/diri/lettere/docenti/conti/Allegati/Kilwardby_praedicamenta.pdf (consulté le 27 mars 2017),

p. 125, l. 1-2, M1 f. 35vb, C f. 61rb : « Vel secundum quosdam haec pars introducitur propter contraria moralia,

de quibus nihil tetigit, et hic determinat de illis et etiam de aliis » ; JEAN LE PAGE, Rationes super

Praedicamenta, éd. H. HANSEN, John Pagus on Aristotle’s Categories. A Study and Edition of the Rationes

super Praedicamenta Aristotelis, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 2012, p. 253, l. 1-2 : « Postquam

comparavit opposita ad invicem, repetit de contrariis. Alii dicunt quod hic determinat de contrariis moralibus ». 3 Cf. Deuxième partie, ch. II, section II.2.1.3.

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(par exemple, dans ceux de Pagus et Kilwardby, contemporains de notre auteur), ainsi que

dans d’autres commentaires sur l’Éthique. Ces questions (que nous allons décrire ici de

manière très schématique) réunissent un ensemble d’éléments standard, que l’on trouve déjà

ainsi assemblés dans les commentaires néoplatoniciens sur le chapitre 11 des Catégories1

(sans que l’on ait pu déterminer avec exactitude par quels moyens ils sont parvenus jusqu’aux

maîtres ès arts antérieurs à la traduction latine du commentaire de Simplicius, ca. 1268). On

peut les énumérer ainsi :

1. On remarque la contradiction entre le lemme « unum uni contrarium » (ἓν ἑνὶ

ἐναντίον) et les passages suivants : Catégories, 11, 13b36-14a25 et Éthique à Nicomaque II,

8, 1108b11-1109 a19 : Aristote affirme que chaque chose n’a qu’un contraire, mais il soutient

aussi que le bien s’oppose à deux vices contraires, et que les vices s’opposent aussi entre eux.

2. On remarque que la définition « standard » de contrariété (la contrariété est la

distance maximale entre les deux extrêmes d’un même genre ; Catégories 6, 6a15-18 ;

Métaphysique X, 4, 1055a3-20)2 semble contredire le passage final du chapitre 11 des

Catégories (14a19-14a25), selon lequel les contraires peuvent se trouver dans des genres

différents.

3. Résolution globale de ces difficultés au moyen de la distinction entre genus

remotum et genus proximum3.

La présence de ces éléments communs aux commentaires artiens sur les Catégories

de la période 1230-1245 (qui est, selon l’état actuel de nos recherches, sans parallèle dans la

1 Les commentaires de Philopon (490-570) et de Simplicius (490-560) sont les plus proches de ce point de vue.

On y trouve une discussion sur les remarques complémentaires d’Aristote qui, beaucoup plus développées que

celles de nos commentateurs, s’en rapproche pourtant sur plusieurs points, en présentant un ensemble de

questions-réponses articulé de façon similaire. Voir IOHANNES PHILOPONUS, In Aristotelis Categorias

commentarium, éd. A. BUSSE, Philoponi [olim Ammonii] in Aristotelis Categorias commentarium, Berlin,

Reimer (coll. « Commentaria in Aristotelem Graeca », vol. 13.1), 1898 ; SIMPLICIUS, In Aristotelis Categorias

commentarium, éd. K. KALBFLEISCH, Simplicii in Aristotelis Categorias commentarium, Berlin, Reimer (coll.

« Commentaria in Aristotelem Graeca », vol. 8), 1907 ; SIMPLICIUS, In Aristotelis Categorias commentarium,

éd. A. PATTIN, Commentaire sur les Catégories d’Aristote, traduction de Guillaume de Moerbeke, Louvain,

Paris ; Publications universitaires de Louvain, Béatrice-Nauwelaerts, 1971, 2 vol. ; SIMPLICIUS, On Aristotle’s

Categories, trad. R. GASKIN, Simplicius. On Aristotle’s Categories 9-15, Ithaca, New York ; Cornell University

Press, 2000. 2 Voir ARISTOTE, Catégories, 6 (6a15-18), éd. et trad. R. BODEÜS, Aristote. Catégories, Paris, Belles Lettres,

2001, p. 26 : « Car les choses les plus distantes l’une de l’autre, parmi celles qui renferment le même genre, se

définissent comme contraires » ; ARISTOTE, Métaphysique, X, 4 (1055a3-20), trad. J. TRICOT, La Métaphysique.

Introduction, notes et index, Paris, Vrin, 2000 (1953), vol. II, p. 546 : « Puisque les choses différant entre elles

peuvent différer plus ou moins, c’est donc qu’il y a aussi une différence maxima, et je l’appelle contrariété. [...]

tandis que les êtres qui différent en genres n’ont pas de communication entre eux, mais sont trop éloignés les

uns des autres et incombinables, les êtres qui différent en espèces ont pour point de départ de leur génération

réciproque les contraires pris comme extrêmes ; or, la distance des extrêmes, et, par conséquent aussi des

contraires, est la distance maxima ». 3 Sur ces trois remarques voir encore notre examen de doctorat, « L’interprétation médiévale de Catégories 11

à travers deux commentateurs du XIIIe siècle ».

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29

tradition antérieure à la première moitié du XIIIe siècle) nous indique clairement que la

Lectura Abrincensis est issue du même milieu intellectuel (i.e. la Faculté des arts de

l’Université de Paris). Nous avons traité ce problème ailleurs1 ; on se contentera donc de

montrer, dans le tableau ci-dessous, les parallèles les plus significatifs :

ANONYME, Lectura Abrincensis

in Ethicam Veterem

(1230-1240)

Lectio VII, notre édition2

JEAN LE PAGE, Rationes super

Praedicamenta

(1231-1241)

Lectio XLIV, éd. H. HANSEN3

ROBERT KILWARDBY, Notulae

super librum Praedicamentorum

(1237-1245)

Lectio XVII, éd. P.O. LEWRY4

1 V. CERVERA NOVO, « La interpretación cruzada de Categorías 11 y Ética a Nicómaco II.8 en la anónima

Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem : un breve recorrido por algunos paralelos medievales y

tardoantiguos », dans V. BUFFON (dir.) et al., Philosophia artistarum. Discusiones filosóficas de los maestros

de artes de París, Santa Fe, Ediciones UNL, 2017, p. 145-160 ; CERVERA NOVO, « L’interprétation médiévale

de Catégories 11 à travers deux commentaires du XIIIe siècle : Robert Kilwardby et Iohannes Pagus ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VII, § 27-32, notre édition : « <6> Deinde potest

queri de hoc quod dicit : omnes omnibus aduersari. Notat enim per hoc unum opponi pluribus contrarie [...] Et

sic unum opponitur multis, quod est contra hoc quod est in Methaphysica. Dicit enim unum uni oppositum

contrarie eo quod contrarietas est perfecta distantia in eodem genere. Perfecta autem distantia in eodem genere

non potest esse nisi unius ad unum. <6*> Ad quod dicendum quod hoc quod dicitur hic non est contrarium ei

quod dicitur in Methaphysica. Nam hic intelligitur contrarietas uirtutis in quantum est medietas superfluitatis et

indigentie, aut in quantum est bonus habitus ; et sic est extremitas [...]. Vtraque contrarietas <est> perfecta

distantia in eodem genere. Secundum enim primum modum distantia est superflui ad diminutum in genere

quantitatis [...]. Si uero secundo modo intelligitur, <contrarietas> erit distantia boni a malo in genere habitus

[...]. <7> Deinde, potest queri quare medium dicatur opponi extremis, cum non sit in eodem genere. <7*> Et

soluitur per hoc quod dictum est. Cum enim genus proximum et est genus remotum, genus proximum non est

in quo communicant extrema et medium, genus uero remotum, scilicet habitus, est in quo communicant extrema

et medium, uel, si dicatur secundum intentionem moralem, habitus uoluntarius ». 3 JEAN LE PAGE, Rationes super Praedicamenta, éd. HANSEN, p. 254, l. 25, p. 255, l. 1-9 – p. 256, l. 1-7 :

« Consequenter quaeritur : Dicit quod malum opponitur bono et malo. Contra. Scribitur in Libro

perihermeneias : ‘Tantum unum uni opponitur’. Nihil ergo dicit ‘duo opponuntur uni’. Et dicendum quod duo

opponuntur uni secundum diversos respectus. Unde bonum et malum opponuntur ratione generum † quia

medium inest extremis tanquam virtus, extrema tanquam vitium † sed virtus et vitium sunt diversa genera, et

ideo dixit quod malum et bonum opponuntur ratione generum. Sed malum opponitur malo ratione

differentiarum, unde quia ista duo, avaritia et superfluitas, opponuntur, ideo superabundantia et egestas. Non

est ergo inconveniens diversis respectibus unum opponi duobus. [...] Consequenter quaeritur : Dicit quod

contraria sunt in contrariis generibus. In capitulo qualitatis dixit quod sunt in eodem genere. Ergo sibi

contrariatur hic et ibi. Et dicendum quod duplex est genus, sciliter proximum et remotum. Dicendum <ergo>

quod contraria sunt in contrariis generibus proximis ; nam genus proximum iustitiae est virtus et proximum

iniustitia est vitium, et sic loquitur hic, sed sunt in eodem genere remoto, ut in qualitate, et sic loquitur

superius ». 4 ROBERT KILWARDBY, Notulae super librum Praedicamentorum, éd. LEWRY, p. 136, l. 23-31, p. 137, l. 8-11,

C, f. 63rb, M1, f. 38rb : « Post haec dubitatur de secunda conclusione sic : album non est contrarium albo, nec

nigrum nigro ; igitur sic nec bonum bono, nec malum malo. Item, bonum est contrarium malo et malum malo,

aut ergo bonum et malum idem sunt, quod est imposibile ; aut duo sunt contraria uni, quod est impossibile. Et

dicendum quod malum simpliciter non est contrarium malo sed quoddam malum cuidam malo, sicut simpliciter

color simpliciter colori non contrariatur sed quidam cuidam, ut album nigro, et bonum simpliciter est contrarium

malo simpliciter. Et ex hoc manifestum est quod non duo uni ; non enim est unum et idem re et ratione malum

simpliciter et quoddam malum, ut malum dictum per superabundantiam vel defectum [...] Postea dubitatur de

va conclusione adhuc super hoc quod dicit contraria esse in contrariis generibus ; contraria enim sunt quae posita

sunt sub eodem genere et maxime distant. Sed intellige quod contraria sunt sub eodem genere remoto et possunt

esse in diversis generibus, sed non remotis sed proximis : et hoc non est inconveniens ».

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30

<§ 27> <6> Ensuite, il peut être

demandé sur cela qu’il dit : toutes

<les dispositions> s’opposent à

toutes. En effet, <l’auteur> si-

gnale par cela qu’un seul <élé-

ment> s’oppose à plusieurs de

manière contraire [...]. Et ainsi un

seul <élément> s’oppose à de

nombreux <éléments>, ce qui est

contre cela qui est <dit> dans la

Métaphysique. En effet, il dit

qu’un <élément est> opposé à un

<seul> de façon contraire, en ce

que la contrariété est la distance

parfaite à l’intérieur d’un même

genre. Or, la distance parfaite à

l’intérieur d’un même genre ne

peut être que d’un <élément>

unique <par rapport> à un autre.

<§ 28> <6*> À quoi il faut dire

que cela qui est dit ici n’est pas

contraire à ce qui est dit dans la

Métaphysique. Car la contrariété

de la vertu <par rapport aux ex-

trêmes> est comprise ici en tant

que <la vertu> est une médiété

<entre> l’excès et le défaut, ou en

tant qu’elle est un état habituel

bon ; et ainsi, <dans ce dernier

cas> la vertu est une extrémité

[...].

<§ 29> Chacune <des> contra-

riété<s décrites> est la distance

parfaite à l’intérieur d’un même

genre. En effet, selon la première

manière <mentionnée> la distance

est de l’excès par rapport au défaut

dans le genre de la quantité [...].

<§ 30> Mais si <la vertu> est

comprise selon la deuxième ma-

nière, la contrariété sera la dis-

tance du bien par rapport au mal

dans le genre de l’état habituel

[...].

Conséquemment il est demandé

<sur cela> : <l’auteur> dit que le

mal s’oppose <et> au bien et au

mal <contraire>.

<Argument> contraire. Il sera

écrit dans le livre De l’interpréta-

tion « un <élément> s’oppose

seulement à un <autre élément

unique> ». Mais rien ne dit « deux

<éléments> s’opposent à un

seul ».

Et il faut dire que deux <élé-

ments> s’opposent à un seul selon

des aspects divers. D’où le bien et

le mal s’opposent en raison du

genre, car le moyen <terme>

existe dans l’extrême en tant que

vertu, <tandis que> les extrêmes y

existent en tant que vices. Mais

vertu et vice sont des genres

divers, et c’est pourquoi il dit que

le mal et le bien s’opposent en

raison des genres. Mais le mal

s’oppose au mal <contraire> en

raison des différences, d’où <on

conclut> que ces deux <choses>,

l’avarice et l’excès, s’opposent,

c’est pourquoi <s’opposent aussi>

la surabondance et la pauvreté. En

conséquence, il n’est pas

inconvenable qu’un <élément>

s’oppose à deux <autres éléments

selon> des aspects divers. [...]

Après cela, on hésite relativement

à la deuxième conclusion ainsi : le

blanc n’est pas contraire au blanc,

ni le noir <est contraire> au noir ;

Ainsi, ni le bien <n’est contraire>

au bien, ni le mal au mal.

En outre, le bien est contraire au

mal, et le mal <est contraire> au

mal, en conséquence ou le bien et

le mal sont <le> même, ce qui est

impossible ; ou deux <éléments>

sont <les opposés> contraires

d’un seul, ce qui est impossible.

Et il faut dire que le mal <pur et>

simple n’est pas contraire au mal,

mais un certain mal s’oppose à un

certain autre, comme la couleur

<pure et> simple ne contrarie pas

la couleur, mais une certaine

<couleur> <est contraire> à une

certaine <autre>, comme le blanc

au noir, et le bien <pris de manière

pure et> simple est contraire au

mal <pris de manière pure et>

simple. Et à partir de cela il est

manifeste que deux <choses> ne

<s’opposent> pas à une seule ; en

effet, le mal <pur et> simple et un

certain mal ne sont pas une seule

et même <chose> selon la réalité

et selon la raison, comme le mal

dit par excès ou <par> défaut [...].

<§ 31> <7> Ensuite, il peut être

demandé pourquoi le moyen

<terme> est dit s’opposer aux ex-

trêmes, étant donné qu’il n’est pas

dans le même genre <que ceux-

ci>.

<§ 32> <7*> Et <cette question>

est résolue par ce qui a été dit.

Puisqu’il y a en effet un genre

rapproché et un genre éloigné, le

genre rapproché n’est pas ce en

quoi les extrêmes et le moyen

Conséquemment, on se demande

<sur cela> : <l’auteur> dit que les

<choses> contraires sont dans des

genres contraires. <Mais> dans le

chapitre sur la qualité il a dit que

<les contraires> sont dans le

même genre. Donc, il s’oppose à

lui-même ici et là.

Et il faut dire que double est le

genre, à savoir prochain et éloi-

gné. Il faut dire donc que les

<choses> contraires sont dans des

Ensuite, on pose une hésitation

relativement à la cinquième con-

clusion, encore sur cela qu’il dit

que les contraires sont dans des

genres contraires ; en effet, les

contraires sont ces <choses> qui

ont été placées sous un même

genre et qui différent au plus haut

point.

Mais comprends que les contraires

sont sous le même genre éloigné et

ils peuvent <aussi> être dans des

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<terme> ont des rapports, tandis

que le genre éloigné, à savoir

l’état habituel, est <ce> en quoi les

extrêmes et le moyen <terme> ont

des rapports, ou, si <cela> est dit

selon l’intention morale, l’état

habituel volontaire.

genres contraires prochains ; parce

que le genre prochain de la justice

est la vertu et le <genre> prochain

de l’injustice est le vice, et ici il

parle de cette façon ; mais <celles-

ci> sont dans le même genre

éloigné, comme dans la qualité, et

de cette façon il parle ci-dessus.

genres divers, mais non <des

genres> éloignés, mais rap-

prochés : et ceci n’est pas incon-

venable.

Or, les liens entre la Lectura Abrincensis et les commentaires parisiens sur l’Organon

s’avéreront aussi pertinents pour l’analyse des problèmes méthodologiques auxquels l’auteur

anonyme fait face ; nous reviendrons sur ce point dans la deuxième partie.

III.2. Les libri naturales

L’enseignement des libri naturales d’Aristote était officiellement interdit depuis

12151 ; or, l’utilisation de ces livres était répandue à l’époque de notre maître, qui mentionne

le De anima, la Physique, la Métaphysique et le livre De caelo et mundo. Toutefois, la plupart

de ces citations (explicites ou implicites) sont indirectes et se retrouvent souvent exprimées

dans les formes véhiculées par les florilèges d’autorités et par la culture orale. Le maître ne

se sert pas des traductions arabo-latines de Michel Scot (circulant à Paris depuis 1225-

1231)2 ; toutefois, les points de contact avec d’autres textes du milieu parisien3 de la période

1228-1240 nous empêchent d’en conclure que la Lectura Abrincensis est antérieure à cette

date.

1 CUP, t. I, n. 20, p. 78. 2 À l’encontre de P. de Vaux, Gauthier affirme (de manière convaincante) que l’influence de ces traductions

arabo-latines, liées au « premier averroïsme », se laisse apercevoir à Paris déjà vers 1225. Cf. R.A. GAUTHIER,

« Notes sur les débuts (1225-1240) du premier ‘averroïsme’ », RSTP, 66 (1982), p. 321-374. En outre, D.N.

Hasse situe la mort de Scot vers 1230 (tout en écartant la date plus tardive de 1235-6), de sorte que l’on doit

avancer de quelques années les dates de certaines traductions ; cf. D.N. HASSE, « Latin Averroes Translations

of the First Half of the Thirteenth Century », Plenary session paper read at the XII International Congress of

Medieval Philosophy in Palermo, 21 September 2012 ; ID., Latin Averroes Translations of the First Half of the

Thirteenth Century, Hildesheim, Olms, 2010. Or, d’autres spécialistes suggèrent qu’il faut bien attendre au

moins jusqu’à 1230 pour voir les traductions arabo-latines de M. Scot utilisées à Paris. G. Endress, par exemple,

évoque le témoignage de R. Bacon, selon qui M. Scot aurait visité Paris pour y amener certains textes d’Aristote

concernant la philosophie naturelle et la métaphysique ; il affirme aussi que la Metaphysica Nova ne serait

apparue dans les écoles parisiennes que vers 1231. Voir G. ENDRESS, « Preface to the present edition », dans

AVERROÈS, Commentum magnum super libro De celo et mundo Aristotelis, éd. R. ARNZEN, et F. CARMODY,

Averrois Cordubensis Commentum magnum super libro De celo et mundo Aristotelis ex recognitione Francis

James Carmody † in lucem edidit Rüddiger Arnzen, Leuven, Peeters, 2003, p. 19*-21* ; Endress cite le travail

de Gauthier dans une liste bibliographique, mais il ne fait aucune considération sur les dates proposées par

Gauthier ; Ibid., p. 18*. 3 Soit des textes artiens, comme les commentaires sur les Catégories que nous venons d’examiner, soit des

textes théologiques, comme la Summa de bono du chancelier Philippe, que nous examinons ci-dessous.

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Le De caelo et mundo

Les allusions explicites au livre De caelo et mundo apparaissent dans le cadre d’une

énumération des définitions philosophiques de la vertu. Le livre I du De caelo est mentionné

à deux reprises (lectiones III et V). Après avoir comparé les deux traductions que notre maître

aurait pu avoir à sa disposition, la translatio Vetus de Gérard de Crémone (ca. 1187) et la

traduction arabo-latine de Michel Scot (1220-1230)1, nous pouvons affirmer que les citations

du maître se rapportent plutôt à la translatio Vetus, comme le trahit l’utilisation du mot virtus

au lieu de potentia. Toutefois, le lemme cité par le maître ne reproduit pas exactement la

traduction de Gérard : il garde la forme simplifiée répétée dans tous les textes de l’époque2.

ANONYME, Lectura Abrincensis

in Ethicam Veterem

Lectio V, § 28, notre édition ;

Lectio III, A, f. 97r

ARISTOTE, De caelo et mundo,

II, 281a10-15, trans. Vetus

éd. OPELT3

ARISTOTE, De caelo et mundo,

II, 281a10-15, trans. Scoti

éd. ARNZEN et CARMODY4

Lectio V, <§ 28> :« [...] Est

autem alia diffinitio uirtutis que

data est in libro De caelo et mun-

do, que talis est : Virtus est ulti-

mum potentie de re ».

Lectio III, <§ 66> : « Virtus enim

debet diffiniri in maximo eius

quod potest. Oppositum eius

diffiniretur in minimo eius quod

potest, sicut habetur in libro De

caelo et mundo ».

« Dico ergo, quia diffinitio vir-

tutis est ultimum, quod est in re

de potentia [...] Iam ergo osten-

sum est, quod fortis diffinitur in

ultimo eius quod potest. Debilis

vero diffinitur in minore (vel

minimo secundum cod. Norim-

bergensis, Bibl. Mun. Cent. V,

59) eius quod potest [...] »

« Dicamus ergo quod diffinitio

potentie est ultimum potentie

rei [...] Manifestum est ergo quod

potentia diffinienda est in fine

eius quod potest ; debile enim

diffinitur per minus quam potest

[...] ».

La Physique

Le maître anonyme ne mentionne la Physique qu’une seule fois (à côté du Traité du

ciel) lors de l’énumération des définitions de la vertu que nous avons rappelées ci-dessus ; il

1 Cf. ENDRESS, « Preface », p. 16* 2 JEAN DE LA ROCHELLE, Tractatus de divisione multiplici potentiarum animae, éd. P. MICHAUD-QUANTIN,

Paris, Vrin, 1964, p. 151, l. 61-62 : « Virtus est ultimum potentie de re » ; PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de

bono, éd. N. WICKI, Philippi cancellarii Parisiensis Summa de bono ad fidem codicum primum edita, Bernae,

Editiones Francke (coll. « Corpus Philosophorum Medii Aevi, Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta »,

II), 1985, 2 vol., p. 799 : « [...] quia virtus est ultimum potentie de re ». 3 ARISTOTE, De caelo et mundo, trad. GÉRARD DE CRÉMONE, éd. I. OPELT, dans ALBERT LE GRAND, De caelo

et mundo, éd. P. HOSSFELD, Sancti Alberti Magni ordinis Fratrum Praedicatorum Opera Omnia, t. V, pars I,

Münster, Westfallen, Aschendorff, 1971, p. 87, l. 71-74. Pour la liste des manuscrits utilisés dans l’édition

d’Ilona Opelt, voir la Préface, pages XIV-XVII. 4 ARISTOTE, De caelo et mundo, trad. M. SCOT, dans AVERROÈS, Commentum magnum super libro De celo et

mundo Aristotelis, éd. ARNZEN, et CARMODY, p. 220-221, textus 116-117, l. 3-8.

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y cite le chapitre 3 du septième livre (246b22-23). Bien que le lemme cité par l’auteur suive

de très près la traduction de Jacques de Venise, on le retrouve sous la même forme dans le

florilège d’autorités compilé par Iohannes de Fonte : « Virtus est dispositio perfecti ad

optimum »1.

Outre cette citation explicite, nous avons repéré quelques passages où l’auteur renvoie

clairement à la Physique. L’adage aristotélicien issu du livre II de la Physique, que l’on trouve

si fréquemment dans les Prologues aux commentaires sur l’Éthique et dans les Introductions

à la philosophie, entre autres textes, figure dans le Prologue de la Lectura Abrincensis, qui

répète, en se rapprochant de la translatio vetus, « Sumus enim et nos, quodammodo, finis

omnium que sunt »2. On trouve aussi dans le Prologue une référence potentielle au livre VII,

chapitre 3 (246b4-6), alors que le maître définit le terme sanitas :

ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam

Veterem

Prologus, notre édition

ARISTOTE, Physica, VII, 3 (246b4-6), trad. J. DE

VENISE

éd. BOSSIER et BRAMS, p. 266, l. 1-4 et apparatus

<§ 4> « [...] sanitas est commensuratio calidorum et

frigidorum, humidorum et siccorum in se et ad con-

tinens [...] ».

« [...] sicut sanitas quidem calorum et frigorum

mensuratio <vel commensuratio3> quedam est aut

eorum que sunt infra ad continens ».

Finalement, nous trouvons à la cinquième leçon (§ 52, A, f. 101r) une référence assez

précise au livre VII (3, 246a25-26) : « [...] intelligit quod uirtus adiacet potentie, sicut

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 28, notre édition. Cf. aussi ARISTOTE,

Physica, VII, 3 (246b22-23), trad. JACQUES DE VENISE (translatio vetus), éd. F. BOSSIER et J. BRAMS, Physica.

Translatio vetus, Leiden, New York ; Brill (coll. « Aristoteles Latinus », VII.1, fasc. 2), 1990, p. 266, l. 4-6 :

« Similiter autem et pulcritudo et macies ad aliquid sunt ; dispositiones enim quedam perfecti ad optimum sunt

[…] ». Voir aussi IOHANNES DE FONTE (comp.), Auctoritates Aristotelis, éd. J. HAMESSE, Les Auctoritates

Aristotelis. Un florilège médiéval. Étude historique et édition critique, Louvain, Peeters, 1974, p. 155, no 186 :

« Virtus est dispositio perfecti ad optimum ». 2 ARISTOTE, Physica, II, 2 (194a34-35), trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 54, l. 1-3 : « […]

et utimur tamquam propter nos omnibus que sunt (sumus enim quodammodo et nos finis [...]) » ; ANONYME,

Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prologus, éd. ZAVATTERO, p. 19 : « Sicut dicit

Aristotiles in secundo Physicorum nos sumus finis omnium eorum que sunt » ; PSEUDO-JEAN LE PAGE, Sicut

dicit philosophus, éd. C. LAFLEUR, « Une figure métissée du platonisme médiéval : Jean le Page et le Prologue

de son Commentaire (vers 1231-1240) sur l’Isagoge de Porphyre », dans B. MELKEVIK et J.M. NARBONNE

(éds), Une philosophie dans l’histoire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2000, § 5, p. 145-147 : « Tertio

modo potest appellari ‘omnia’ quia est ‘finis omnium’ secundum quod scribitur in secundo Phisicorum quod

nos sumus quodam modo finis omnium. Celestia enim corpora mouent elementa, elementa autem ordinatur ad

mixtum, mixtum uero ad uitam, uita ad sensum, sensus ad intelligentiam ; et ibi est status totius nature ».

IOHANNES DE FONTE (comp.), Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 145, no 63 : « no[s] sumus quodammodo

finis omnium ». 3 Certains témoins offrent le mot commensuratio (au lieu de mensuratio) comme traduction alternative de

symmetria : cod. Cantabrigensis, bibl. Coll. Gonv. et Caii 452/379 ; cod. Vindobonensis, bibl. nation. 87 ; cod.

Patavinus, bibl. Anton., Scaff. XX, 428.

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complementum quo ordinatur potentia in finem secundum quod dicit Aristotiles : nullus dicet

domum accipientem finem alterari »1.

Bref, les citations de la Physique se rapportent toutes soit à la translatio vetus de

Jacques de Venise (s. XII), soit aux formes transmises dans la culture orale et dans les recueils

d’autorités.

La Métaphysique

Le maître semble utiliser deux traductions de la Métaphysique : l’une pour citer le

livre A (I), l’autre pour citer le livre I (X). Or, il n’est pas facile de déterminer quelles sont

ces deux traductions. On pourrait s’attendre à ce que le maître utilise la vetustissima ou la

vetus pour citer le livre A (I), alors qu’il cite le livre I (X, dont la traduction de Jacques de

Venise était perdue) dans la traduction arabo-latine, qui était à ce moment la plus utilisée :

ce serait la situation la plus vraisemblable. Or, on doit signaler deux questions concernant

cette idée.

D’abord, on pourrait penser à la possibilité que notre auteur ait utilisée la translatio

media pour citer le livre A2, comme le laisse penser une variante attestée dans l’apparat

critique, où l’ordre des mots du lemme, quelque peu différent de celui que l’on trouve dans

la translatio composita ou vetus (qui s’approche de notre commentateur beaucoup plus que

la vetustissima), coïncide avec celui du lemme cité dans la Lectura Abrincensis (voir tableau

ci-dessous). Bien que la translatio media n’ait guère circulé avant 1250, on la considère, de

nos jours, contemporaine de celle de Jacques de Venise3 ; il n’y a donc aucune raison de

croire que le texte est postérieur à cette date.

1 ARISTOTE, Physica, VII, 3 (246a25-26), trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 265, l. 16-17 :

« [...] dicere enim hominem alteratum esse aut domum accipientem finem ridiculum est [...] ». 2 Notons que le passage du livre A cité par le maître (A, 1, 981a5-7), évoqué ci-dessous, ne se trouve pas dans

la traduction arabo-latine, qui débute à la ligne 987a6 ; cf. M. BORGO, « Latin Medieval Translations of

Aristotle’s Metaphysics », dans F. AMERINI et G. GALLUZZO (éds), A Companion to the Latin Medieval

Commentaries on Aristotle’s Metaphysics, Leiden, Boston ; Brill, 2014, p. 50. 3 Voir M. BORGO, « Latin Medieval Translations of Aristotle’s Metaphysics », p. 38 et 53.

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ANONYME, Lectura

Abrincensis in Ethicam

Veterem

Lectio IV, A, f. 97v

ARISTOTE, Metaphysica,

A, 1 (981a5-7), trans.

Iacobi sive vetustissima

éd. VUILLEMIN-DIEM1

ARISTOTE, Metaphysica,

A, 1 (981a5-7), trans.

composita sive vetus

éd. VUILLEMIN-DIEM2

ARISTOTE,

Métaphysique, A, 1

(981a5-7), trans. media,

selon la lecture du ms.

Vat. bibl. apost. Palat.

lat. 1063, ante

correctionem3

« Ars enim est cum

multis experimento in-

tellectis una de simi-

libus (corr. ex diuer-

sibilibus) est univer-

salis acceptio ».

« Fit autem ars, cum ex

multis experimento in-

tellectis universaliter una

fit de similibus opi-nio ».

« Fit autem ars cum ex

multis experimento in-

tellectis una fit univer-

salis de similibus ac-

ceptio ».

« Fit autem ars, cum ex

multis experimento in-

tellectis una fit de simi-

libus universalis ac-

ceptio ».

Or, le maître ne cite pas les lemmes du livre I selon la translatio media ; cela pourrait

indiquer qu’il utilise plutôt la translatio composita (XIIe s.). En outre, cette petite coïncidence

n’est pas assez importante pour suggérer sérieusement que l’auteur connaissait la translatio

media.

Quant à la traduction utilisée pour les lemmes du livre I (X), nous pouvons affirmer

que le maître n’a pas le texte sous les yeux, car les citations sont en général très imprécises.

Outre le lemme « unum uni contrarium », que l’on trouve non seulement dans la

Métaphysique (III, 1, [995b27], IV, 2 [1004b1], X, 5 [1055b30]), mais aussi dans le De caelo

et mundo (I, 2 [269a10]) et dans les Topiques (VIII, 3 [158b26]), le maître évoque la

définition aristotélicienne de la contrariété. Or, le lemme dont le maître se sert ne coïncide

avec aucune des traductions latines dont on dispose ; en revanche, il semble utiliser la

Métaphysique d’Avicenne. En effet, le maître utilise « perfecta » au lieu des variantes les

plus courantes chez ses contemporains, « completa » et « finalis »4 :

1 ARISTOTE, Metaphysica, A, 1 (981a5-7), trad. JACQUES DE VENISE, éd. G. VUILLEMIN-DIEM, Metaphysica lib.

I-IV.4, translatio Iacobi sive ‘Vetustissima’ cum scholiis et translatio composita sive ‘Vetus’, Bruxelles, Paris ;

Desclée de Brouwer (coll. « Aristoteles Latinus », XXV, I-1a), 1970, p. 5, l. 23-24. 2 ARISTOTE, Metaphysica, A, 1 (981a5-7), trans. composita sive vetus éd. VUILLEMIN-DIEM, Metaphysica lib.

I-IV.4, translatio Iacobi sive ‘Vetustissima’ cum scholiis et translatio composita sive ‘Vetus’, p. 89, l. 21-22. 3 ARISTOTE, Metaphysica, A, 1 (981a5-7), trad. ANONYME (sive media), éd. G. VUILLEMIN-DIEM, Metaphysica

lib. I-X, XII-XIV, translatio Anonyma sive ‘Media’, Leiden, Brill (coll. « Aristoteles Latinus », XXV, 2), 1976,

p. 7, l. 21-22. 4 Il faut aussi avoir à l’esprit les conjectures de R.A. Gauthier, qui pense que la traduction de Jacques de Venise

(dont la partie consacrée au livre X était déjà perdue à l’époque de notre auteur) aurait pu donner le lemme

« differentia perfecta », à la différence de l’arabo-latine. Voir GAUTHIER, « Notes sur les débuts (1225-1240)

du premier ‘Averroïsme’ », p. 353-354.

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ANONYME, Lectura

Abrincensis in Ethicam

Veterem

Lectio VII, § 26, notre

édition

« Contra hoc quod est in

Metaphysica. Dicit enim

unum uni oppositum

contrarie eo quod con-

trarietas est perfecta

distantia in eodem ge–

nere. Perfecta autem

distantia in eodem ge–

nere non potest esse nisi

unius ad unum ».

AVICENNE, Liber de

philosophia prima sive

scientia divina, VII, I

éd. VAN RIET1

« [...] Igitur contra–

rietas est distantia per–

fecta, quia definitio ea–

rum est eadem (...) Ma–

nifestum est igitur quod

contrarium unius non est

nisi unum ».

ARISTOTE, Met. X, 4

(1055a16), Trans. Scoti

éd. Venise, f. 261L2

« Quod igitur diffe–

rentia completa con–

trarietas est ».

Cf. aussi ms. Assisi,

Biblioteca comunale,

286, f. 175va :

« Quod contrarietas est

differentia completa manifestum est [...] ».

ARISTOTE, Met. X, 4

(1055a16), Trans.

Media

éd. VUILLEMIN-DIEM3

« Ergo quia contra–

rietas est differentia

finalis, ex hiis palam;

multipliciter autem dic–

tis contrariis [...] ».

Une dernière citation du livre X de la Métaphysique mérite d’être mentionnée : dans

le commentaire au IIIe livre de l’Éthique, le maître nous parle de certains qui « [...] ponebant

duo principia : principium lucis et principium tenebrarum, [et] sicut ponebant quidam

philosophi quorum opinionem recitat Aritoteles in X Methaphisice (sic) »4. Ce passage ne

provient pas du livre I (X) ; l’auteur renvoie probablement au livre A (I, chapitres 5 et 6), où

Aristote passe en revue les opinions des pythagoriciens ; mais ce qui reste curieux, c’est qu’il

établit un lien entre ces idées philosophiques exposées par Aristote et la doctrine des

manichéens (qu’il ne mentionne pas explicitement) : la formulation dont le maître se sert

pour décrire cette opinion se rapproche beaucoup de celles utilisées dans le contexte plus ou

moins immédiat pour évoquer la doctrine posant l’existence de deux principes5.

Le De anima

1 AVICENNE, Liber de Philosophia prima, éd. S. VAN RIET, Liber de philosophia prima siue scientia diuina.

Édition critique de la traduction latine médiévale, Louvain, Leiden ; Peeters, Brill (coll. « Avicenna Latinus »,

II, 1-3), vol. 2, 1980, p. 356, l. 48-61. 2 ARISTOTE, Métaphysique, trad. M. SCOT, dans Aristotelis Metaphysicorum libri XIIII cum Averrois

Cordubensis in eosdem commentariis, reproduction anastatique de l’édition de Venise, Apud Junctas, 1562,

Frankfurt am Main, Minerva (coll. « Aristotelis opera cum Averrois commentariis », VIII), 1962. 3 ARISTOTE, Metaphysica, X, 4 (1055a16), trad. ANONYME (sive media), éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 192, l. 13-20. 4 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio XI, A, f. 118r. 5 ALAIN DE LILLE, Summa quoniam homines (ca. 1160), lib. I, p. I, 6, éd. P. GLORIEUX, « La summa ‘Quoniam

homines’ d’Alain de Lille », AHDLMA, 20 (1953), p. 129 : « Manicheus duo asseruit rerum principia : unum

bonorum quod dixit esse principium lucis, alterum malorum quod dixit principium tenebrarum » ; PHILIPPE LE

CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 25, l. 43-44 : « [...] inducamus quod induxit Manicheus ponens

duo principia, principium lucis et principium tenebrarum ».

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Le De anima n’est cité explicitement qu’une seule fois1 ; mais le maître l’évoque aussi

implicitement, en suivant la traduction de Jacques de Venise2.

Or, même si l’auteur n’utilise pas la traduction arabo-latine de Michel Scot, il est

pertinent de se demander s’il connaît le Grand commentaire d’Averroès, ou s’il en a du moins

subi une certaine influence ; on n’a identifié qu’un seul lemme pouvant se rapporter au Grand

commentaire, « diametrum est assimetrum coste », que notre auteur aurait pu emprunter au

cordouan3, mais qui se trouve aussi dans une forme similaire dans la traduction boécienne

des Topiques, où le contexte s’accorde beaucoup plus avec le texte de notre auteur. Nous

trouvons aussi la comparaison entre la lumière et l’intellect agent que d’autres

commentateurs associent explicitement à Averroès4 ; mais l’idée se trouve aussi dans le texte

d’Aristote, et la référence est trop vague pour pouvoir la lier directement au texte5.

L’imprécision de ces citations suggère que le maître ne connaît pas le texte d’Averroès (du

moins de manière directe). Or, il a certes subi l’influence de ce que l’on appelle depuis les

études de Gauthier le « premier ʻaverroïsmeʼ » ; on trouve cette influence, par exemple, dans

certains passages du Prologue6 où le maître manifeste que les puissances sont distinguées par

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio V, § 34, A, f. 100r : « Sed cum dicit : immitandum

uel fugiendum, sicut habetur in libro De anima in capitulo De mouente [...] », qui cite ARISTOTE, De anima, III,

9 (432b27-29), trad. JACQUES DE VENISE, éd. J. DECORTE, révision par J. BRAMS, De anima. Translatio Iacobi,

Turnhout, Brepols (coll. « Aristoteles Latinus », XII, 1, dans Aristoteles Latinus database, first release), 2003 :

« Speculativum quidem enim nichil intelligit prakton, id est actuale, neque dicit de fugiendo et imitabili : semper

enim motus aut fugientis aliquid aut imitantis est aliquid ». 2 Voir par exemple ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 14, A, f. 99v : « Dicuntur

autem similitudines rerum esse in anima tamquam locatum in loco ; unde animam esse locum specierum », qui

cite ARISTOTE, De anima, III, 4 (429a27-29), trad. JACQUES DE VENISE, éd. DECORTE : « Et bene iam dicentes

sunt animam esse locum specierum, nisi quod non tota sed intellectiva, neque actu sed potentia est species ». 3 AVERROÈS, Commentarium magnum in Aristotelis De anima, III, 22, éd. F.S. CRAWFORD, Averrois

Cordubensis Commentarium Magnum in Aristotelis ‘De Anima’ libros, Cambridge, Massachusetts (coll.

« Corpus Commentariorum Averrois in Aristotelem », versio Latina, VI, 1), 1953, p. 456, l. 10-15 : « Et si illa

intellecta singularia fuerint rerum que innate sunt esse aut in preterito tempore aut in futuro, tunc intellectus

intelligit cum illis rebus tempus in quo sunt, et postea componet ipsum cum eis, et iudicabit quod ille res fuerunt

aut erunt, sicut iudicat quod diametrum est assimetrum coste » ; ARISTOTE, Topica, I, 15 (106a37), trad. BOÈCE,

éd. L. MINIO-PALUELLO, p. 22, l. 18-22 : « Amplius si huic quidem est aliquid contrarium, illi autem simpliciter

nichil, ut ei quae est a potu delectationi ea quae est a siti tristitia contrarium, ei autem quae est ab eo quod est

considerare quoniam diameter est costae asymeter nichil, quare multipliciter delectatio dicitur ». 4 ANONYME, Lectura cum questionibus (alias Commentaire de Naples), éd. TRACEY, p. 54, l. 891-892 : « [...]

sicut dicit Averrois, sicut se habet lux ad uisum sic se habet omnino intellectus agens ad intellectum materialem

[...] ». 5 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio I, § 15, A, f. 91v : « Alia ratio est ad idem sic est

in uisu exteriori, ubi sufficit. Virtus est ad actum quantum est de se, cum non egreditur in actum nisi per

accidentiam lucis agentis super uisum et super uisibile ». 6 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 19, notre édition : « Ex quibus colligitur

quot <sunt> species uirtutis consuetudinalis secundum multitudinem potentie per actus et actus per materias

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leurs actes, et leurs actes par la matière sur laquelle ils s’exercent, c’est-à-dire par leur objet ;

cette idée provient sans aucun doute du traité De anima et de potentiis eius1.

III.3. Autres sources

En plus des ouvrages d’Aristote, le maître cite plusieurs autres sources de natures

diverses, que ce soit de manière explicite ou tacitement. Il s’agit des loci fréquemment

invoqués par les artiens et les théologiens de l’époque. Le maître anonyme cite, entre autres,

le De fide orthodoxa de Jean Damascène (dans la traduction de Burgundio de Pise)2, le De

divinis nominibus et le De ecclesiastica hierarchia du Pseudo-Denys3, le De trinitate

actuum » ; cf. aussi Prologus, § 14, notre édition : « Concupiscibiles uero potentie actus diuiditur secundum

obiectum suum [...] ». 1 ANONYME, De anima et de potenciis eius, éd. R.A. GAUTHIER, « Le traité De anima et de potenciis eius d’un

maître ès arts (vers 1225) », dans Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, 66 (1982), p. 31 :

« Secundum cognitionem autem distinguntur potentiae per actus et actus per obiecta ».Voir aussi les pages 9-

10 de l’étude préliminaire. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio X, A, f. 115r : « Oportet scire quoniam anima

habet naturaliter duas uirtutes, has qualis cognoscitiuas, illas uero zoticas. Et cognitiue sunt intellectus, mens,

opinio, ymaginatio, sensus ; zotice uero sunt appetitiue, sicut consilium et electio. In cognoscitiuis uero is est

ordo : ex sensu fit ymaginatio, ex ymaginatione fit opinio, mens uero diiudicans opinionem ueritatem

determinat. Vnde mens dicitur a menciendo. Quod igitur uere iudicatum est et determinatum est uere, intellectus

dicitur (corr. ex intelligitur igitur). Et paulo post de appetitiuis oportet scire quod anime naturaliter inserta (corr.

ex incerta) est uirtus appetitiua eius quod est secundum naturam et omnium substancialiter que nature adsunt

contemptiua uoluntas. Et substantia et esse et moueri secundum intellectum et sensum appetit (corr. ex appeatit)

propriam concupiscens naturalem et plenam essentiam. Ideo sic determinat hanc naturalem uoluntatem : celima,

id est uoluntas, etiam appetitus racionalis et naturalis uel uitalis ex solis dependens naturalibus. Quare thelisis,

id est uoluntas, in se est naturalis et rationalis et uitalis appetitus, omnium nature constitutiuorum simplex uirtus.

Qui enim est aliorum appetitus, non existens rationalis, non dicitur uoluntas. [...] Cum igitur naturaliter motus

fuerit ipse rationalis appetitus ad aliquam rem, bulissis dicitur. Bulissis enim appetitus cuiusdam rei racionalis.

Dicitur etiam bolissis uoluntas in hiis que sunt in nobis et non sunt in nobis. Volumus enim sobrii esse et

dormire ; et hec eorum que sunt in nobis. Volumus etiam reges esse. Volumus etiam fortasse numquam mori :

hoc autem est impossibilium. Est autem bulissis proprie uoluntas finis, non eorum que sunt ad finem. Igitur

finis est uoluntabile, per quod autem est (corr. ex et) consiliabile. Post considerationem autem sequitur

inquisitio. Consilium autem siue consiliatio est consilii inquisitio. Deinde, iudicat per inquisitionem quod

melius ; deinde, disponit et amat quod est consilio iudicatum, et uocatur sententia. Deinde, post dispositionem,

fit electio ; electio autem est duobus preiacentibus, hoc illi potest ponere. Deinde, sequitur ad operacionem.

Deinde, utitur et fit usus. Deinde, cessat ab appetitu post usum. Igitur in irrationabilibus (corr. ex

irrrationabilibus) appetitus (corr. ex amppetusitus) fit statim alicuius ad operacionem et rationabilium ex

irrationalibus est appetitus. Ideoque neque consiliatio est in irrationalibus, et hec quidem sunt secundum arbitrii

libertatem ». Ce même passage se trouve évoqué dans la Summa de bono de Philippe le Chancelier (avec des

variations terminologiques qui s’approchent notablement de la Lectura Abrincensis ; Cf. Summa de bono, éd.

WICKI, p. 159-160, l. 2-38), et dans la Summa de anima de Jean de la Rochelle (éd. J.G. BOUGEROL, Jean de la

Rochelle, Summa de anima. Texte critique avec introduction, notes et tables, Paris, Vrin, 1995, p. 197-214, cap.

68-79, secunda consideracio, III). Quoi qu’il en soit, notre maître cite des passages qui ne se trouvent dans

aucun de ces deux ouvrages ; peut-être que la citation ci-dessus, à la différence des autres, est de première main.

Cf. la traduction latine par Burgundio, dans E.M. BUYTAERT (éd.), St. John Damascene : De fide orthodoxa.

Versions of Burgundio and Cerbanus, New York, The Franciscan Institute, 1955. 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 49, A, f. 101r : « Solet tamen nomen amoris

assumi in coniunctione anime ad corpus ; et ‘delectatio’ affectio illa cum delectatione existens, et rationibus

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d’Augustin (via Philippe le Chancelier, comme nous le verrons), ainsi que celui d’Hilaire de

Poitiers, Isidore (ou plutôt un « pseudo » Isidore), les Topica et le De inventione de Cicéron,

un traité De anima de Némésius d’Émèse1 (sous l’appellation courante de « Remigius »)2 et,

fort probablement, Martianus Capella (sous le nom de « Martinianus »)3.

Certaines de ces citations s’avèrent très vagues et imprécises. Nous en avons un

exemple dans le Prologue, lorsque le maître cite Isidore de Séville :

Or, il y a <aussi>, comme il a été dit plus haut, la philosophie naturelle

qui a ces deux parties : la mathématique et la physique, ordonnée<s> vers le bien

qui est la santé, Isidore attestant que c’est ainsi évident en mathématique : en

effet, chaque <discipline> mathématique est ordonnée vers l’astrologie,

puisqu’elle est à vrai dire une science déterminative des propriétés qui arrivent

dans <les corps> inférieurs selon le mouvement des <corps> supérieurs – au

pouvoir desquelles <propriétés> il arrive que se produisent l’altération et la

conservation de la santé de la constitution dans le corps humain4.

specialibus ; sed non accipitur nunc tantum amor in corporibus sed, sicut dicit Dyonisius in commentario, ydea

archetipus, quasi diceret ‘amor’ ille corporalis ; ymaginatione quadam ducit ad amorem archetypum qui est

amor diuinus siue exemplaris, sed ad ipsum dicit quod perobscuratur similitudine ». 1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio V, § 62, A, f. 101r : « Cum autem dicit : Dico

autem consuetudinalem, intelligitur hec oppositio ad differentiam uirtutis intelligibilis, que non est inspectrix

medii inter superfluitatem et indigentiam in actu [enim] uirtutis, sicut Remigius in commentario De anima ».

Cf. NÉMÉSIUS D’ÉMÈSE, De natura hominis, ch. XVIII (De tristitia), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. G. VERBEKE

et J.R. MONCHO, Leiden, Brill (coll. « Corpus latinum commentariorum in Aristotelem graecorum », suppl. 1),

1975, p. 102, l. 11-15 : « In solis autem corporalibus superabundantiae sunt ; contemplativae enim summae

quaedam existentes et perfectitudinem habentes, superabundantiam non suscipiunt ; neque enim adversatur eis

tristitia neque ob curam antecedentis tristitiae fiunt ». 2 On croyait autrefois qu’il s’agissait d’un commentaire perdu de Rémi d’Auxerre. Voir RAVAISSON, Rapports,

p. 165-170. Voir aussi MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES BEAUX-ARTS, Catalogue Général, p.

110-112. Pour l’identification de Rémigius avec Némésius d’Émèse au cours du XIIe siècle (date de la

traduction de Burgundio de Pise), et l’attribution au premier d’un Liber de Anima, voir I. BRADY, « Remigius-

Nemesius », dans Franciscan Studies, VIII (1948), p. 275-284. 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio V, § 67, A, f. 101v : « Cum autem dicit :

quemadmodum Pitagorici existimant, innuit opinionem Pitagore, qui locutus est de bono et malo methaphisice,

ponens bonum in uirtute, malum uero diuersitatem assimilauit, sicut habetur a Martiniano ». Cf. MARTIANUS

CAPELLA, De nuptiis Philologiae et Mercurii, VII, éd. A. DICK (avec des additions de J. PRÉAUX), Martiani

Minnei Felicis Capellae De nuptiis Philologiae et Mercurii libri VIIII, Stutgart, Teubner, 1978, p. 378, l. 15-

18 : « [...] eodem modo progreditur ratio usque in infinitum. Sed ad superius diuisa regrediar : omnem numerum

aut parem aut imparem esse [...] ». Voir aussi ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106b29-30), trad. BURGUNDIO

DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 8 : « […] quemadmodum Pithagorici existimant ». Voir aussi Aristote,

Metaphysica, I, 5 (986a24-26), trad. JACQUES DE VENISE, éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 18, l. 14-18 : « Alteri autem

eorumdem horum principia decem dicunt esse secundum ordinem dicta, terminum infinitum, inpar par, unum

multitudinem, dextrum sinistrum, masculum feminam, bonum malum, triangulum altera parte longius [...] ». 4 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 3, notre édition : « Est autem, sicut dictum

est prius, naturalis philosophia que habet has duas partes : mathematicam et phisicam, ordinatam ad bonum

quod est sanitas, testante Ysidoro quod sic perpenditur in mathematica : mathematica enim unaqueque ad

astrologiam ordinatur, quia scientia uero est determinatiua proprietatum que accidunt in inferioribus secundum

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Le passage en question (dont la reproduction donnée par le manuscrit est assez

corrompue) ne se laisse pas lire dans les textes d’Isidore ; pourtant, on trouve cette même

référence attribuée au sévillan dans un commentaire de Jean de Sicile sur Azarchel

(ca.1290)1 ; il s’agit peut-être d’un texte circulant sous le nom d’Isidore qui aurait pu

connaître une certaine diffusion à Paris2.

La Summa de bono de Philippe le Chancelier

Or, c’est une source que notre auteur utilise silencieusement qui nous permet de

mieux fixer le terminus post quem.

Après avoir analysé une série de parallèles assez significatifs, nous pouvons affirmer

que la Lectura Abrincensis est certainement postérieure à la Summa de bono (1225-1228)3

de Philippe le Chancelier, à laquelle l’auteur anonyme emprunte plusieurs passages, copiés

parfois textuellement. L’absence, à notre connaissance, d’une source commune4, ainsi que la

distorsion et l’incomplétude de certaines citations des autorités (celle d’Augustin, par

exemple, que nous reproduisons ci-dessous) nous laissent penser que c’est bien l’anonyme

qui suit le Chancelier, et non l’inverse. Il serait inutile de présenter dans le tableau ci-dessous

tous les parallèles que nous avons détectés5. On se contentera de montrer le plus significatif :

celui relatif à la doctrine de la prudentia présentée par l’auteur anonyme.

motum superiorum – penes quas accidit alterationem fieri et conseruationem sanitatis complexionalis in

humano corpore ». 1 Voir IOHANNES DE SICILIA, Scriptum super canones Azarchelis de tabulis Toletanis, éd. F.S. PEDERSEN,

CIMAGL, 52 (1986), J5, f, p. 4 : « […] quod etiam dicit Isidorus manifeste, quod astronomia est determinativa

proprietatum quae accidunt in inferioribus penes motum superiorum ». 2 Le commentaire de Iohannes de Sicilia étant aussi un texte parisien ; cf. l’introduction de F.S. PEDERSEN,

« Iohannes de Sicilia. Scriptum super canones Azarchelis de tabulis Toletanis ». 3 Selon la datation établie par WICKI, « Données de la tradition manuscrite et problèmes d’histoire littéraire :

Date de la composition de la Summa de bono », dans N. WICKI, Philippi Cancellarii Parisiensis Summa de

bono ad fidem codicum primum edita, Bernae, Editiones Francke (coll. « Corpus Philosophorum Medii Aevi,

Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta », vol. II), 1985, pars prior p. 63*-66*. 4 L’examen des textes antérieurs et contemporains à la Summa de Philippe (textes avec lesquels la Summa

maintient un rapport étroit), comme la Summa duacensis, la Summa aurea de Guillaume d’Auxerre et la Glossa

in quatuor libros Sententiarum d’Alexandre de Hales (où nous avons cherché des passages ponctuels qui se

répètent à la lettre dans la Somme de Philippe et dans la Lectura Abrincensis), ne nous a pas révélé des parallèles

significatifs. Sur les rapports entre ces textes, voir WICKI, « Données de la tradition manuscrite et problèmes

d’histoire littéraire : Date de la composition de la Summa de bono », p. 49*-66*. 5 Or, d’autres parallèles significatifs se trouvent ailleurs dans le manuscrit ; certains parallèles sont plus ou

moins vagues et peuvent être inspirés d’autres sources ; d’autres suivent presque mot à mot le texte du

Chancelier. Nous en fournissons ici quelques exemples (tout en excluant les parallèles qui se trouvent dans des

sources alternatives) : (1) PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 32, l. 49-64 : « Quod tamen

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Dans la quatrième leçon, consacrée à l’ÉN II, 3 (1105a17-b19), le maître anonyme

expose une doctrine qui, distinguant quatre sens différents que l’on peut attribuer à la

prudence, fait de celle-ci une science, mais aussi une vertu à la fois morale et intellectuelle1.

Outre les parallèles doctrinaux avec le texte du Chancelier, on remarque des coïncidences

textuelles notables ; qui plus est, ces développements sont liés (tant dans le cas de Philippe

que dans le cas de la Lectura) à l’exégèse du lemme « [...] ad habendum autem virtutes, scire

quidem parum aut nichil potest » (ÉN, II, 3, 1105b2). Voici ces coïncidences exprimées dans

un tableau. Les parallèles textuels sont indiqués en caractères gras :

ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam

Veterem

Lectio IV, § 28-29, 32-33, 36 et 38

PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono

éd. WICKI, p. 760-764

videtur, nam omnes cause incidunt in dicta multiplicatione boni efficiens secundum bonum nature, et tunc

dicitur bonum quantum ad principium a quo et tunc dicitur bonum esse quia a bono ; causa materialis in eo

quod dicitur bonum in genere in actionibus, et secundum hoc dicitur bonum quantum ad causam materialem

secundum quod actio generalis per propiam determinatur materiam et contrahitur, ut diximus ; causa formalis,

huic enim assimilatur bonum ex circumstantia que est forma vel modus actionis, sic et gratia in divinis ; causa

finalis, ut in bono glorie. Sic autem non sumo bonum, ut scilicet quod est a bono vel quod secundum materiam

determinatur, sed sive sic sive sic non secundum comparationem ad causam efficientem vel ad materialem, sed

ad finalem, ut hec a principio bona dicantur comparatione ad finem. [...] Et respondeo quod actus sumptus

secundum quatuor causas non pertinet ad bonum nisi secundum quod comparationem habet unumquodque ad

causam finalem » et ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio VI, § 16-17, A, f. 102r :

« <§ 16> Bonum uero ex circumstantia est per adiunctionem (adiunctionem scr.] adiunctum A) [autem]

debitarum circumstantiarum respectu finis, qui determinatur in sequenti libro, in capitulo de uoluntario ; et

similiter malum ex circumstantia est (est scr.] ex A) defectum (defectum scr.] deffectum A) alicuius illarum.

<§ 17> Quod autem tot modum contingat esse bonum et malum sibi oppositum accipitur ex hoc, quod bonum

dicitur secundum .iiii. causas. Primo est in comparatione ad causam efficientem ; secundo ad causam formalem,

et tertio ad causam materialem, quarto ad causam finalem. Principaliter uero ad causam finalem referetur » ; (2)

PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 340, l. 160-165 : « Ponit autem illa tria mala circa

operaciones potius quam alia, quia primum, scilicet homicidium, est ad destructionem speciei in individuo,

scilicet ad destructionem unionis naturalis anime et corporis ; secundum ad destructionem spiritualis anime,

scilicet ad Deum, scilicet adulterium ; tertium est ad destructionem unionis nutrimentalis vel eius per quod staret

determinato tempore, scilicet furtum, per quod fit subtractio necessariorum » et ANONYME, Lectura Abrincensis

in Ethicam Veterem, lectio VI, § 21, A, f. 102r : « Ponit autem tria esse mala quantum ad operationes :

homicidium, adulterium, furtum, quorum unum est ad destruendum speciem, hoc est ad destruendum unionem

naturalem <anime et corporis>, scilicet homicidium, alterum uero ad destruendum unitatem spiritualem, scilicet

adulterium, tertio uero ad destruendum unionem nutrimentalem uel eius per quod debet stare indiuiduum in

determinato tempore, scilicet furtum per quod fit sustractio necessariorum corporis » ; (3) cf. ANONYME,

Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, notre édition, notes au § 15. 1 Sur la doctrine de Philippe le Chancelier, voir M.B. INGHAM, La vie de la sagesse. Le Stoïcisme au Moyen

Âge, Paris, Fribourg ; Éditions du Cerf, Academic Press, 2008, p. 47-50 ; ID., « Phronesis and Prudentia :

Investigating the Stoic Legacy of Moral Wisdom and the Reception of Aristotle’s Ethics », dans L.

HONNEFELDER, R. WOOD, M. DREYER et M. ARIS (éds), Albertus Magnus und die Anfänge der Aristoteles-

Rezeption im lateinischen Mittelalter, p. 631-655 ; A. CELANO, « The Moral Theories of William of Auxerre

and Philip the Chancellor », dans Aristotle’s Ethics and Medieval Philosophy, p. 52-74. Sur la doctrine de la

prudence exposée dans la Lectura Abrincensis, voir V. CERVERA NOVO, « Acerca de la prudentia en los

primeros comentarios a la Ethica Vetus. La Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem (ca. 1230) », dans

Patristica et Mediaevalia, XXXVII (2016), p. 15-36.

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<§ 28> : Quod etiam scientia disponit ad uir–

tutem sic ostenditur. Non est uoluntas boni nisi

cum est cognitio eius. Dico autem uoluntatem

anime rationalis ; et hoc ostenditur in libro De

trinitate. Cognitio ergo precedit uoluntatem ;

sed uoluntas <precedit> uirtutem, que est

habitus uoluntarius ; ergo cognitio siue scien–

tia precedit uirtutem.

p. 760, l. 97 : Contra hoc videtur quod dicitur in morali

philosophia quod ‘scire nichil aut parum facit ad virtu–

tem’ ; ergo nec ad prudentiam, si virtus est. Sed contra.

Augustinus dicit in libro De Trinitate ‘non est voluntas

boni nisi cuius est cognitio’. Sic ergo cognitio precedit

voluntatem. Sed voluntas precedit virtutem que est

habitus voluntarius. Ergo necessaria est ad virtutem.

<§ 29> : Quod autem aliquid sit scire, imper–

tinens uidetur per hoc : scientia enim non dis–

ponit ad uirtutem nisi ex natura scibilium.

Scibilia uero sunt quedam que non sunt ex

nostro opere neque dirigunt nos in opere, ut

triangulum esse equalem quadrato. Scientia

ergo cadens super huiusmodi scibilia non est

dispositiua ad uirtutem.

p. 761, l. 120 : Ad hoc respondeo quod aliquod scire est

impertinens ad virtutem, aliquod pertinens. Hoc autem

dinoscitur ex natura scibilium ; scientia enim non dis–

ponit ad virtutem nisi ex natura scibilium. Sunt ergo

quedam scibilia, que non sunt ex nostro opere neque

nos dirigunt in opere, ut triangulum esse equalem

cuadrato. Unde scientia cadens super huiusmodi sci–

bile non disponit ad virtutem.

<§ 32> : Est iterum scientia quedam que dis–

ponit ad uirtutem consuetudinalem, sicut est

scientia operandorum et fugiendorum que

habetur ex diuersis partibus moralis philoso–

phie et per propriam experientiam.

p. 761, l. 139 : Est alia scientia que disponit ad vir–

tutem, scilicet scientia operandorum, et de hac dicunt

non intelligi illud verbum in Ethica : ‘Scire nichil aut

parum’, etc. dicunt enim illam multum facere ad virtutem.

<§ 33> : Est autem scientia que disponit ad

uirtutem intellectualem, sicut est cognitio om–

nium mirabilium que facta sunt propter ho–

minem, in quibus relucet bonitas Facientis,

per quam contemplans reducitur ad Eius di–

lectionem.

p. 762, l. 165 : Tertio modo dicitur scientia cognitio

omnium mirabilium que facta sunt propter homi–

nem, in quibus relucet bonitas facientis, per quam

reducitur ad eius dilectionem et delectationem [...].

<§ 36> : Propter quod dicendum est quod uo–

luntas non habet causam sui propter quam ca–

dat super bonum. Dico autem ‘causam’ quam

ex necessitate sequitur aliud. Habet tamen

principium excitans, et hoc est cognitio boni

quantum est bonum. Sed cum fuerit excitatio

facta, libera est uoluntas ad consentiendum et

dissentiendum. Vnde, si dicatur uoluntas

causa operis et scientia causans uoluntatem,

equiuoce dicitur ‘causare’ in hiis. Et quia scire

per hunc modum non est quo homo bo–nus

est, sed quo facta excitatio quedam ad uo–

luntatem qua homo bonus est, [et] dicetur scire

paruum ad uirtutem. Et significatio huius est :

in quibus habundat plurimum scientia boni et

mali, minimum est de ipso bono.

p. 764, l. 210 : Alia etiam ratione hoc dicitur, quia sci–

licet, cum virtus consistat in voluntate, nulla causa ne–

cessaria est voluntatis, sed tantum est principium exci–

tans ; cognitio enim que cadit super bonum non ne–

cessario causat voluntatem boni, sed tantum excitat, eo

quod excitatione facta libera est voluntas ad consen–

tiendum vel dissentiendum. Unde, cum dicitur vo–

luntas causa operis et cognitio vel scientia voluntatis,

equivoce dicitur causa. Et quia scire per hunc mo–

dum non est quo homo bonus est, ideo dicitur illud

scire parum facere ad virtutem. Per quod intelligi po–

test differentia inter virtutem intellectualem et consue–

tudinalem. Loquens enim de virtute intellectuale dixit :

‘Multum habet ex doctrina, generationem et augmen–

tum’, loquens autem de consuetudinali dixit quod ‘scire

parum aut nichil facit ad virtutem’.

<§ 38> : [...] quod prudentia accipitur secun–

dum .IIII. modos: uno modo in quantum est

scientia boni aut mali per modum in–

complexum, alio modo in quantum est boni et

mali per modum complexum prout deli–

beratio cadit super ea. Est etiam prudentia

que derelinquitur ex electione bone discre–

tionis in operandis et fugiendis. Est etiam

prudentia qua homo remouet se a bono mutabili

per discretionem, conuertendo se aut adhe–

rendo bono inmutabili.

p. 762, l. 152 : Omnes tamen predicte accipiuntur per hoc

nomen ‘prudentia’ large sumptum. Verbi gratia est

quedam scientia boni et mali per modum incom–

plexum, secundum quem dicimur scire operari [...] Alio

modo dicitur scientia que est suorum scibilitum per

modum complexum, prout deliberatio cadit super ea.

[...]

p. 763, l. 196 : Nam unaqueque predictarum dicitur pru–

dentia ; proprie autem dicitur prudentia que relinqui–

tur ex delectatione bone discretionis in operandis et

fugiendis, et hoc secundum ethicum.

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IV. Bilan

Nous avons rappelé, au début de ce chapitre, les faits essentiels concernant

l’enseignement de l’Éthique à l’Université de Paris : (1) l’inclusion de l’Éthique dans le

programme d’études dès 1215 (et ensuite sa confirmation en 1255) et (2) l’existence de (au

moins) six commentaires artiens sur les livres I (Ethica Nova, circulant depuis 1220) et/ou

II-III (Ethica Vetus, circulant depuis la fin du XIIe siècle), les seuls trois livres connus des

artiens dans la traduction de Burgundio de Pise (ca. 1150), dont nous avons rappelé les

accidents de transmission. Après ces considérations préliminaires, nous avons exposé les

faits les plus remarquables concernant la date et le milieu de composition de la Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem. Outre les libri naturales (dont il ne semble pas connaître

les traductions de Michel Scot, ca. 1225-1231) et l’Organon d’Aristote, l’auteur connaît et

utilise la Summa de bono du Chancelier Philippe, datant de 1225-1228, ainsi que l’Ethica

Nova, dont la traduction est connue depuis 1220. En outre, le commentaire présente des

parallèles étroits avec les textes artiens de la période 1230-1245, parallèles parmi lesquels on

compte son genre littéraire, le « commentaire de type parisien », bien décrit par O. Weijers

et utilisé surtout durant la période 1230-1260. Or, l’auteur n’utilise pas les traductions arabo-

latines de l’Éthique, du Commentaire moyen d’Averroès sur l’Éthique ou de la Summa

Alexandrinorum (1240-1244). Tout cela nous amène à placer la composition de cette Lectura

vers 1230-1240, à l’encontre d’A. Birkenmajer, qui plaçait la Lectura dans le premier quart

du XIIIe siècle.

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Chapitre III. Étude historico-philosophique : la division de l’Éthique à Nicomaque dans la

première moitié du XIIIe siècle

I. La division générale de l’Éthique (livres I-III)

Nous avons conclu au deuxième chapitre que la Lectura Abrincensis faisait partie des

commentaires issus de l’enseignement oral de l’Éthique à la Faculté des arts de l’Université

de Paris vers 1230-1240. Nous avons aussi remarqué que l’auteur connaissait déjà l’Ethica

Nova (qu’il avait peut-être enseignée dans son cours), et qu’il employait une division du texte

qui ressemblait (sans la reproduire exactement) à celle établie par le statut de 1255 (en quatre

livres).

Nous voudrions maintenant nous attarder aux divisions textuelles employées par la

Lectura Abrincensis, ainsi qu’aux divisions employées dans les cours sur l’Éthique

contemporains. Ces divisiones, placées la plupart du temps au début du texte de chaque leçon

(dans les cours), ou bien avant la liste des questions à revoir (dans les Guides d’étude),

morcelaient le texte commenté en plusieurs sections et sous-sections avec une fonction

claire : faciliter la mémorisation du texte, chose essentielle dans le cadre d’une culture orale

et dans un contexte où la plupart des étudiants n’avaient probablement pas accès au texte1.

Quoique l’étude de ces divisions puisse paraître anodine, elle nous renseigne sur le

contexte immédiat de notre texte, tout en faisant ressortir les traits méthodologiques

distinctifs des premières étapes de l’enseignement artien de l’Éthique, encore mal connus2.

Cette étude permet aussi d’avoir une première impression des différences doctrinales entre

les divers commentaires : bien que la division des parties et sous-parties reste en général

identique, le but que les maîtres accordent à chacun des morceaux n’est pas forcément le

même. Une analyse comparative des divisions textuelles employées dans les cours artiens

1 O. WEIJERS, Le maniement du savoir. Pratiques intellectuelles à l’époque des premières universités (XIIIe-

XIVe siècles), Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum », subsidia) 1996, p. 44 et 145-150 ; ID. La

‘disputatio’ à la Faculté des arts de Paris, p. 13-14 ; A. KENNY et J. PINBORG, « Medieval philosophical

litterature », dans N. KRETZMANN, A. KENNY, J. PINBORG, The Cambridge History of Later Medieval

Philosophy. From the Rediscovery of Aristotle to the Disintegration of Scholasticism, 1100-1600, Cambridge,

Cambridge University Press, 1982, p. 16-17. 2 De surcroît, cette étude pourra contribuer éventuellement à l’étude des rapports entre les contenus

effectivement donnés dans les cours ordinaires (et recensés dans les Guides d’étude et les Recueils des

questions) et ceux indiqués dans les règlements universitaires.

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sur l’Éthique, ainsi que dans les sections des textes « didascaliques »1 consacrées à cet

ouvrage, s’avérera très utile à ce propos.

Dans le but d’offrir une telle analyse, on se concentrera sur un corpus limité de textes,

que nous croyons représentatifs des manières de découper le texte les plus utilisées. Pour ce

qui est des textes didascaliques, nous allons analyser l’anonyme Compendium

examinatorium parisiense (ou « Guide de l’étudiant » ; ca. 1230-1240)2 et les « Communia »

salmanticana « Circa moralem philosophiam » du Pseudo-Robert Grosseteste (ou « ‘Points

communs’ salmantins ‘Sur la philosophie morale’ » ; ca. 1250)3, présentant deux divisions

quelque peu différentes. Quant aux cours sur l’Éthique, nous allons en analyser deux : la

Lectura Abrincensis (ca. 1230-1240) et le Commentaire anonyme de Paris (ca. 1235-1240),

qui semble discuter la division établie par la Lectura Abrincensis (tout en coïncidant dans la

division générale). Ces commentaires ont deux points en commun : ils appartiennent à la

période 1230-1240 et ils contiennent, tous les deux, le commentaire sur le livre II.

I.1. Les divisions présentées dans les textes didascaliques

La traduction complète des dix livres de l’Éthique à Nicomaque vit le jour vers 1247,

avec certaines conséquences immédiates, telles que l’influence sur Albert le Grand, le

premier à donner, à Cologne, un cours sur la version complète de l’Éthique (vers 1248-

1252)4. Or, à Paris, les effets ne se font pas ressentir si vite : le statut de 1255 continue à

indiquer uniquement la lecture des traductions Nova et Vetus, selon une division en quatre

1 Sur cette notion, que nous avons évoquée dans le chapitre précédent, voir le texte de C. LAFLEUR « Les textes

“didascaliquesˮ (“introductions à la philosophieˮ et “guides de l’étudiantˮ) de la Faculté des arts de Paris au

XIIIe siècle : notabilia et status quaestionis », dans WEIJERS et HOLTZ (éds), L’enseignement des disciplines à

la Faculté des arts, p. 345-372. Selon Lafleur, ces textes remplissent plusieurs fonctions (cf. p. 351-352) :

fournir des outils pour la préparation des examens (fonction pratique), intégrer au corpus du savoir les

connaissances issues des textes gréco-arabes récemment traduits en latin (fonction théorique), faire une

apologie du savoir philosophique (fonction idéologique). Une liste assez complète de ces textes est présentée

dans LAFLEUR, « L’enseignement philosophique à la Faculté des arts de l’Université de Paris », p. 442-448. 2 ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER. 3 ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem philosophiam »

éd. et trad. provisoires par BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, « Points communs » salmantins

« Sur la philosophie morale »/ « Communia » salmanticana « Circa moralem philosophiam » (vers 1250?).

« Sur le livre des Éthiques » (« Circa Librum Ethicorum » = « Noua ethica » [E.N. I]) et « Sur la vertu » (« De

uirtute » = « Vetus ethyca » [E.N. II-III]), manuscrit Salamanca, Biblioteca Universitaria 1986, f. 99ra-100vb

= S, Faculté de Philosophie, Université Laval. Ce texte fait partie de l’ensemble contenant les Communia logice

et les Communia gramatice mentionnés au chapitre précédent. 4 Albert donna en effet deux cours. L’un vers 1248-1252, l’autre quelques années plus tard, vers 1263-1267 ;

cf. GAUTHIER, « L’exégèse médiévale de l’Éthique », p. 122-123.

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livres1 (où le livre III était divisé en deux : un premier livre sur les causes efficientes de la

vertu, un quatrième traitant de deux espèces de la vertu, le courage et la chasteté, commençant

au chapitre 9)2.

Ces quatre livres sont organisés dans les commentaires de manière diverse ; mais ils

sont presque toujours ramenés à une division générale en deux parties : l’une traite de la

félicité ; l’autre, de la vertu.

I.1.1. Le Guide de l’étudiant

Dans le Guide de l’étudiant, la division générale du livre des Éthiques (comptant

quatre livres) coïncide avec les traductions Nova et Vetus3. La première partie (nommée

« noua ethica ») traite « de la félicité et de ses propriétés », alors que la deuxième, appelée

« vetus ethica » et contenant trois livres partiels (et faisant donc le total de quatre livres),

s’occupe de la vertu morale et des opérations par lesquelles cette vertu est acquise4.

Le premier livre est à son tour divisé en deux parties : la première concerne « certains

points communs qui antécèdent l’art », alors que la deuxième traite des choses constituant sa

« substance » : ce qu’est la félicité selon l’opinion des autres (alias des anciens), et,

concernant la félicité dans son rapport à la vertu, quelles sont les « propriétés par lesquelles

la félicité est disposée en vue de rendre heureux », et comment la vertu est-elle divisée en

« felicitatem et consuetudinalem » (de sorte que la vertu intellectuelle semble s’assimiler à

1 Il faut mentionner ici le cas de la Divisio scientiarum d’Arnoul de Provence. Arnoul cite le commentaire

d’Eustrate, traduit par Grosseteste avec l’Éthique vers 1247 ; mais, même s’il doit connaître cette traduction,

dans la partie de sa division consacrée à la morale il continue à citer l’Éthique sous les appellations de Nova et

Vetus. D’ailleurs, il ne semble pas être familiarisé avec les livres IV-X, comme le montre sa théorie des vertus

intellectuelles, très proche de celle des maîtres de la période 1230-1245 ; il s’ajuste donc aux prescriptions du

statut de 1255. Cf. ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. C. LAFLEUR, dans LAFLEUR, Quatre

introductions à la philosophie au XIIIe siècle, p. 335, l. 522 – p. 336, l. 560 : « Ad primam uitam, ut dicit

Eustratius, .IIII.or requiruntur ad que tenetur uir politicus [...]. Hec tertia pars que dicitur monostica traditur

nobis ab Aristotile in diuersis libris [...] in Noua ethica [...] in Veteri ethica ». 2 Selon les divisions artiennes de l’époque, dont nous parlerons à la section suivante. 3 L’auteur anonyme reconnaît l’existence de « plusieurs autres livres », qui font défaut en latin mais sont connus

chez les Grecs et les Arabes ; cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER,

§ 78 : « Vnde multi alii libri nobis deficiunt qui forte apud Grecos sunt uel Arabicos, sed apud nos adhuc non

sunt translati, sicut de iustitia, de temperantia, prudentia et de aliis suis partibus secundum species ». 4 Cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 78 : « Diuiditur ergo hec

scientia primo et principaliter in duas, in quarum prima agitur de felicitate et de suis proprietatibus, scilicet in

primo libro ; que Noua ethica nuncupatur. In secunda parte, que ibi incipit : Duplici autem uirtute, agitur de

uirtute consuetudinali et de operationibus <per> quas acquiritur huiusmodi uirtus. Et continet illa pars .III. libros

partiales [...] Illa uero pars, que continet .III. libros partiales, Vetus ethica uocatur ».

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la félicité, tout en étant définie comme « admiration des formes <venant> du Premier, et

contemplation de Celui-ci »)1.

L’Ethica Vetus se divise en trois, selon les trois livres partiels qu’elle contient. Le

deuxième livre (coïncidant avec le livre II de l’édition Bekker) présente une division similaire

à celle du premier : il y a d’abord une partie consacrée aux questions préliminaires

(« antecedentibus ad substantiam doctrine »)2, et une partie consacrée à la « substance » de

la doctrine, divisée elle-même en deux : une première partie s’occupe des dispositions « dans

lesquelles consiste la vertu », présentées par Aristote aux chapitres 2-4 (il est dans sa nature

de se détruire dans l’excès et le défaut ; elle est en rapport aux plaisirs et aux peines ; etc.) ;

une deuxième partie traite de la définition de la vertu (i.e. son genre et son espèce)3.

Finalement, le livre III constitue pour l’auteur du Guide deux livres différents. Le

livre III (ÉN III, 1-5) s’occupe des causes efficientes de la vertu ; la première partie de ce

livre étudie les choses qui ne sont pas cause de la vertu : l’involontaire, la violence,

l’ignorance. La deuxième partie s’occupe de ce qui est « principe et cause de la vertu », le

volontaire et l’élection4. Une fois les caractéristiques générales de la vertu bien éclairées, le

1 Cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 79 : « Prima pars – in

qua agitur de felicitate [...] – diuiditur in duas partes. In quarum prima tanguntur quedam communia que ad

artem antecedunt, scilicet quod uirtus est omnium operationum et aliorum finium optimus super omnes [...]. In

secunda parte agit de eis que sunt de substantia artis, que ibi incipit : Dicamus autem nunc de re. Illa secunda

pars diuiditur in duas, in quarum prima agit auctor de felicitate secundum opinionem aliorum [...] quas omnes

reprobat. In secunda determinat de felicitate secundum uirtutem, que ibi incipit : Reuertamur autem etc. Et illa

secunda pars diuiditur in .III., in quarum prima tangit proprietates per quas disponitur felicitas ad felicitandum.

In tertia – et ultima – ostendit quod de uirtute dicendum est et quare, quia uirtus est medium per quod acquiritur

huiusmodi felicitas. Et diuidit uirtutem peragens solum in felicitatem et consuetudinalem [...]. Et notandum

quod uirtus intellectualis est per admirationem formarum a Primo, et Eius contemplationem [...] ». Nous

pouvons nous demander pourquoi l’auteur anonyme ne lit pas « intellectualem et consuetudinalem » ; plus loin

(§ 101), il explique les raisons pour lesquelles la vertu intellectuelle n’est pas incluse dans l’exposé d’Aristote. 2 L’auteur fait référence au premier chapitre du livre II, où Aristote explique que la vertu morale se produit par

l’habitude et diffère des vertus ou puissances naturelles. 3 Cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 78 : « Et continet illa pars

.III. libros partiales, in quorum primo agitur de dispositionibus generalibus in quibus consistit uirtus (quibus

sunt tres, scilicet mensura operationum, delectatio agentis et perseuerantia operandi) [...] » ; § 80 : « Secundus

uero liber partialis a quo incipit Vetus ethica diuiditur in duas <partes> principaliter. In quarum prima agit de

de quibusdam antecedentibus ad substantiam doctrine ; ibi enim ostenditur quod uirtus hec non est a natura [...].

In secunda parte agitur de eis que sunt de substantia doctrine, cum dicitur : Quoniam autem presens operatio.

Et illa secunda pars diuiditur in duas. In prima agit auctor de dispositionibus in quibus consistit uirtus. Secundo

inquirit de diffinitione uirtutis, cum dicit : Post hec autem scrutandum quid est uirtus. Et ostendit genus uirtutis

– quod est habitus – et eius differentias [...] ». 4 Cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 78 : « [...] in secundo

libro, quod ibi incipit : Virtute itaque etc., agitur de causis efficientibus uirtutis (que sunt consilium, uoluntas,

eligentia et huiusmodi) [...] » ; § 81 : « Tertius uero liber diuiditur in duas partes. In prima agit de illo quod non

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quatrième livre (ÉN III, 6-12) s’occupe des espèces particulières de la vertu, le courage et la

chasteté (constituant chacune l’une des parties générales dans lesquelles se divise cette

section). La section consacrée au courage a à son tour deux parties : l’une portant sur le vrai

courage, l’autre portant sur les espèces apparentes du courage1. Nous présentons une vision

schématique de cette division dans le Tableau 8 (Cf. Appendice A).

La divisio textus présentée dans le Compendium est suivie par quatre groupes de

questions2 que les examinateurs « ont l’habitude de poser » (solent queri) au sujet du livre

des Éthiques. Or, ces questions maintiennent un rapport étroit avec la division établie au

début : à l’exception de quelques cas, elles suivent exactement la thématique détaillée pour

chacune des parties. Cependant, quelques éléments de la division sont négligés dans les

questions : les opinions des anciens sur la félicité, qu’Aristote rejette, sont annoncées dans la

division, mais ne sont pas traitées dans le texte. Il en va de même pour ce qui est de la vertu

intellectuelle (dont Aristote traite à la fin du livre I) : malgré la mention de la curieuse division

« in felicitatem et consuetudinalem » et la brève description de la vertu intellectuelle

esquissée dans la divisio textus, l’auteur anonyme se garde bien d’en parler dans la section

consacrée aux questions. Il se limite à expliquer les raisons pour lesquelles la vertu

intellectuelle n’entre pas dans le champ de l’éthique : la vertu intellectuelle étant présente

uniquement « en ceux en qui est au plus haut degré inspirée la grâce divine », ses propriétés,

dit l’auteur, ne nous concernent pas3. Cette clarification n’est pas sans rappeler la fréquente

invocation de la délimitation entre le champ d’études des philosophes et celui des

est principium nec causa uirtutis, sicut sunt inuoluntarium uel uiolentum [...] et ignorantiam. In secunda parte

agit quod est principium et causa uirtutis, scilicet de uoluntario et de eligentia. Que secunda pars incipit ibi :

Determinatis autem uoluntario, etc. ; prosequitur usque ad finem libri de consiliabili et eligibili et ratione

eligendi ». 1 Cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 78 : « [...] in tertio uero,

qui ibi incipit : Quoniam autem medietas, agitur de quibusdam speciebus uirtutis, scilicet de fortitudine et

castitate » ; § 82 : « Quartus liber diuiditur in duas <partes>, in quarum prima agit de fortitudine, in secunda de

castitate. Et illa secunda incipit ibi : Post hec autem de castitate. Prima iterum diuiditur in duas. In prima agit

de fortitudine uero, in secunda de apparenti. Que secunda pars incipit ibi : Dicunt autem etc. ». 2 Portant respectivement sur les livres I-IV. 3 Cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 101 : « Primum est quare

non agit hic de uirtute intellectuali sicut de consuetudinali. – Dicendum quod uirtus intellectualis est per

contemplationem et inspectionem diuinorum [...]. Vnde talis uirtus non habet cognosci per aliquas operationes,

sed totaliter spiritualis est, et ideo non ita cognitio de eius proprietatibus neque scientia. Vel potest dici quod

talis uirtus est solum in illis in quibus maxime inspiratur gratia diuina. Et propter hoc non est nostrum scire eius

proprietates ».

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théologiens1. Cette marginalité de la vertu intellectuelle contraste avec le lieu de privilège

qu’elle occupe dans les Communia salmantins sur l’Éthique, comme nous le verrons.

Or, à la différence d’autres commentaires, le Compendium de Paris ne consacre

aucune subdivision au problème de la méthodologie ou du modus procedendi de l’Éthique,

problème qui est pourtant touché à plusieurs reprises dans les questions2, et qu’Aristote lui-

même évoque fréquemment3 (ÉN I, 1 [1094b11-1095a1] ; ÉN II, 2 [1104a1-1104a12).

I.1.2. Les Points communs salmantins sur la philosophie morale

Vers 1250 (ou encore quelques années plus tard)4 un autre recueil « didascalique »

s’occupe des questions concernant les quatre livres de l’Éthique, divisés en deux traités : l’un

sur la félicité (quoiqu’il soit intitulé « circa Librum Ethicorum »), l’autre sur la vertu (« De

virtute »). Contrairement à l’usage bien établi dans ce type de Recueils, les Communia

présentent la division du texte à la suite des questions.

Or, cette division, très bien développée, exhibe un trait caractéristique qui la sépare

tant du Guide de l’étudiant que des cours antérieurs à 1240 (avec lesquels elle présente aussi

des similitudes) : la division des quatre livres en deux groupes ne correspond plus aux

1 Par exemple, nous lisons au paragraphe § 94 du Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et

CARRIER : « Ad hoc dicimus quod secundum theologos hoc habet ueritatem, quia ponunt animam reiungi

corpori post mortem. Sed hoc est plus per miraculum quam per naturam. Simpliciter enim hoc est innaturale, et

ideo non ponitur a philosophis ». Les interprètes ne sont pas tous de même avis concernant la portée et la

signification d’une telle délimitation. Est-elle un signe annonçant le conflit entre les facultés de théologie et des

arts qui marquera la deuxième moitié du siècle ? S’agit-il d’une simple reconnaissance des limites de la

discipline philosophique, subordonnée à la théologie ? Sur cette délimitation entre philosophie et théologie dans

le Guide de l’étudiant en particulier et dans les textes artiens de la première moitié du siècle en général, voir C.

LOHR, « The medieval interpretation of Aristotle », dans N. KRETZMANN et al., The Cambridge History of Later

Medieval Philosophy, p. 87-88 ; F. VAN STEENBERGHEN, La philosophie au XIIIe siècle, Louvain, Paris ;

Publications Universitaires, Béatrice-Nauwelaerts, 1966, p. 130-131 et p. 142 ; G. WIELAND, Ethica-Scientia

practica, p. 184. F. BERTELLONI fait une synthèse du débat concernant ce problème dans « Loquendo

philosophice-loquendo theologice. Implicaciones ético-políticas en la Guía del estudiante de Barcelona. A

propósito de una reciente publicación de C. Lafleur », Patristica et Mediaevalia, XIV (1993), p. 25-34 ; O.

LOTTIN, « Psychologie et morale à la Faculté des arts de Paris aux approches de 1250 », p. 520-523. Sur la

présence de cette distinction dans les textes éthiques, voir BUFFON, « Philosophers and Theologians on

Happiness », p. 449-476 ; I. ZAVATTERO, « I primi commentatori latini dell’Ethica Nicomachea : interpreti

fedeli di Aristotele ? », dans P. BERNARDINI (éd.), I manoscritti e la filosofia. Atti della giornata di studi, Siena,

18 aprile 2007, Siena, Edizioni dell’Università, Siena, 2010, p. 67-84. 2 Cf. par exemple § 87, § 97, § 110. 3 Dans la partie du texte que nos auteurs commentent. 4 R. Létourneau, qui a d’ailleurs découvert dans ce manuscrit un nouveau témoin des Communia logice et des

Communia gramatice, a récemment avancé la date 1245-1260. Mais il se peut que les différentes parties

compilées aient été rédigées sur plusieurs années. Cf. R. LÉTOURNEAU, « L’enseignement de la grammaire

philosophique par-delà les Pyrénées ».

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traductions Nova et Vetus1. Le chapitre final de la Nova traite, selon l’auteur, de la vertu

intellectuelle, et doit en conséquence faire partie du traité « De virtute », de sorte que la

deuxième section de la division générale inclut non seulement la Vetus, mais aussi une partie

de la Nova. On remarque également un plus grand développement de la division du livre I.

Toutefois, cette division caractéristique (qui sépare les quatre livres en deux groupes)

est présentée de manière un peu équivoque : après avoir divisé la « Science de la félicité » en

deux parties coïncidant avec les traductions Nova (= « de felicitate ») et Vetus (= « De

virtute »), le maître revient sur le traité « De virtute » pour le faire commencer, cette fois, à

la fin du livre I2. C’est cette deuxième option que l’auteur a préférée dans le corps du recueil :

en effet, les questions sur la félicité se terminent par la discussion sur les biens louables et

honorables (coïncidant avec ÉN I, 12), tout en laissant la discussion du chapitre 13 au traité

« De virtute ».

La division du premier segment inclut à son tour deux grandes parties : il y a d’abord

une partie « prohemialis » (correspondant, en gros, à la partie équivalente du Guide, bien que

mieux développée), qui, divisée en quatre, s’occupe de déterminer : que la félicité est la fin

et le bien optimal, que la morale est la science qui s’occupe de ce bien, quelle est la cause

formelle de cette science (c’est-à-dire sa manière de procéder), et quelles sont les qualités

exigées chez l’auditeur d’une telle doctrine3. Ensuite le « Tractatus » (qui pourrait s’étendre

au deuxième segment, le « De virtute »), morcelé en trois, s’occupe des opinions des anciens

1 C’est aussi le cas de la Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem du Pseudo-Peckham. Au sujet

de cette division incluant le dernier chapitre du livre I dans la deuxième partie, sur la vertu, l’éditrice affirme

que cette division est « subtilior quam aliae ». Cf. PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam

Novam et Veterem, Prologus, éd. BUFFON, p. 359, notes aux lignes 46-48. 2 ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem philosophiam »,

éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 55 : « Nota igitur quod scientia de felicitate diuiditur in

partes duas, in quarum prima agit de felicitate in se ; in secunda, de uirtute. Vt ibi : Duplici uirtute autem etc. » ;

§ 63 : « [...] Illa pars in qua agit de uirtute diuiditur in duas partes, in quarum prima ostendit auctor secundum

quam partem anime inest uirtus huiusmodi, quoniam secundum rationalem ; et diuidit ibi uirtutes in morales et

intellectuales. In secunda agit de uirtute morali siue consuetudinali, ibi : Duplici uirtute existente etc., ubi incipit

Vetus ethyca [...] ». 3 ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem philosophiam »,

éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 56-60 : « Prima pars in duas, scilicet prohemium et

tractatus, ut ibi : Dicamus autem de re etc. In parte autem prohemiali facit Aristoteles quatuor, in quarum prima

auctor manifestat quod felicitas est finis bonus et optimus. In secunda, quemadmodum sagitatores etc., ostendit

auctor quod scientie moralis est determinare de huiusmodi bono. In tertia, Dicitur autem itaque etc., manifestat

causam formalem que est modus agendi qui est typicus et grossus. In quarta, Ideoque ciuilis doctrine etc.,

manifestat quis debet esse auditor huius doctrine ciuilis ».

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sur la félicité, de la félicité selon l’opinion d’Aristote lui-même, et finalement de ses

propriétés1. La division entre vertus morales et intellectuelles est ici laissée de côté.

Le traité De virtute pour sa part inclut donc les livres II-III (divisés, comme on s’y

attendait, en trois), ainsi que la dernière partie du livre I. Deux sections constituent ce traité :

l’une, très courte, porte sur la vertu intellectuelle (ÉN I, 13) et traite de la partie de l’âme dans

laquelle existe la vertu (première subdivision) et de la distinction entre les vertus

intellectuelles et morales ; l’autre, plus longue, porte sur la vertu morale.

Le morcellement de la section consacrée à la vertu morale est développé de manière

assez complexe : les livres II et III correspondent au segment s’occupant « de uirtute in

generali », et traitent respectivement de la cause efficiente éloignée de la vertu (livre II) et

de sa cause efficiente rapprochée (livre III). Le livre II inclut notamment la discussion sur

« les opérations induisant la vertu », qui touchent la vertu « quant à son devenir » ainsi que

la discussion de la vertu « quant à son être ». Un deuxième segment (livre IV) s’occupe « de

uirtute in speciali » et traite des espèces de la vertu : le courage (partie première) et la chasteté

(partie deuxième)2. Or, contrairement à ce qu’il a fait pour le livre I, l’auteur s’occupe ici

d’indiquer aussi la division en chapitres des livres II et III :

Tableau 1: Communia Salmanticana. Division en chapitres (ÉN II et III)

1 ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem philosophiam »,

éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 61-63 : « Illa pars in qua prosequitur diuiditur in partes

tres, in quarum prima manifestat diuersas opiniones Antiquorum [...]. In secunda prosequitur de felicitate

secundum opinionem propriam, ibi : Reuertamur autem ad bonum etc. Tertia, Determinatis autem hiis etc.

ostendit quamdam felicitatis proprietatem, scilicet quod ipsa est de genere honorabilium et non laudabilium

[...] ». 2 ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem philosophiam »,

éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 63 : « Illa pars in qua agit de uirtute diuiditur in duas

partes, in quarum prima ostendit auctor secundum quam partem anime inest uirtus huiusmodi, quoniam

secundum rationalem ; et diuidit ibi uirtutes in morales et intellectuales. In secunda agit de uirtute morali siue

consuetudinali, ibi : Duplici autem uirtute existente etc., ubi incipit Vetus ethyca : et hec diuiditur in duas, in

quarum prima agit de uirtute in generali, in secunda in speciali siue de speciebus uirtutis, ibi : quoniam igitur

quedam medietas, ubi agit de fortitudine et castitate ».

Livre Chap. Lemme Lignes

ch. éd.

Bekker

LIVRE

II

1 <Duplici autem uirtute> 1103a14 1

2 Quoniam igitur presens opus 1103b26 2

3 Post hec autem quid est uirtus 1105b19 4

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La division ne coïncide pas avec la numérotation établie par Bekker, reproduite par

R.A. Gauthier dans son édition de l’Ethica Vetus ; toutefois la table des chapitres esquissée

dans les Communia salmantins correspond, grosso modo, à la division que certains des

maîtres utilisent dans leurs cours sur la Vetus, comme nous allons voir.

Nous présentons une vision schématique de la divisio textus des Communia de

Salamanque dans le Tableau 9 (Cf. Appendice B).

Comme pour le Guide, il y a aussi dans ce cas des faits intéressants à remarquer.

D’abord, quoique la section de la division consacrée à la vertu intellectuelle soit très mince,

elle représente dans le corps du commentaire une partie très importante : à la différence du

Compendium, qui excluait la vertu intellectuelle du domaine du philosophe moral, les

Communia s’efforcent de montrer pourquoi il convient au moraliste de s’en occuper, tout en

accordant à la uirtus intellectualis une section qui dépasse en longueur l’espace consacré à la

discussion sur la nature de la vertu morale1.

En outre, les livres III et IV (équivalant à notre livre III) sont bel et bien présents dans

la division : mais aucune question ne leur est consacrée dans le corps du commentaire. Ceci

donne à ce recueil de questions un air inachevé : les livres III et IV étaient normalement lus

et commentés dans les cours ordinaires.

Finalement, tandis que l’auteur du Guide de l’étudiant rappelait souvent la distinction

entre le point de vue théologique et le point de vue philosophique (pour se situer lui-même

dans le champ philosophique), l’auteur anonyme des Communia ne s’occupe pas d’établir

cette limite ; qui plus est, il évite toute référence aux problèmes théologiques que l’on trouve

1 14 paragraphes, avec un total de 4 questions et leurs réponses, lui sont consacrés. Cela dépasse l’espace destiné

à la discussion sur la nature de la vertu morale qui occupe seulement 11 paragraphes, avec un total de 3

questions. Voir ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem

philosophiam », éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 10-23 et § 24-34.

4 Oportet autem non 1106a14 5

5 Tribus autem dispositionibus 1108b11 8

LIVRE

III

1 <Virtute utique> 1109b30 1

2 <Determinatis autem> 1111b4 4

3 non-spécifié

4 Existente enim uoluntario 1113b3 7

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normalement mentionnés dans les commentaires artiens, tels que le problème des vertus

« infuses » ou divines et l’opposition privative entre le bien et le mal ; nous en concluons que

son intérêt pour l’Éthique est nettement philosophique.

I.2. La division générale de l’Éthique dans les cours d’avant 1240

Ces structures textuelles présentées dans les textes dits « didascaliques »

correspondent très bien, en général, aux structures qui organisent les cours sur la Nova et la

Vetus vers 1230-1240. Avant 1240, les cours font coïncider les deux grandes parties de

l’Éthique (le traité sur la félicité et le traité sur la vertu morale) avec les deux traductions de

Burgundio, Nova et Vetus, avec une différence (mais ce n’est qu’un détail) : plutôt que de

garder la division en quatre livres, on en ajoute un cinquième, de sorte que le quatrième livre

traite du courage et le cinquième de la chasteté1 ; la Lectura Abrincensis va jusqu’à affirmer

qu’il y aurait encore d’autres livres « qui suivent », chacun traitant de l’une des espèces de la

vertu décrites par Aristote2.

À la distinction de ce cinquième livre, s’ajoute d’ailleurs un plus grand intérêt pour

un thème déjà présent (quoique de façon peu systématique)3 dans les textes didascaliques que

nous avons examinés : la compréhension de la division générale de l’Éthique à la lumière des

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 20, notre édition : « In quarto uero <de>

fortitudine : quid et circa quas passiones sit. Idem <de> speciebus apparentis fortitudinis. In quinto uero est de

castitate : quid sit et circa quas passiones [...] » ; ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (Commentaire de

Paris), P, f. 153va (cf. I. ZAVATTERO, « Le prologue de la Lectura in Ethicam Veterem » p. 11) : « In tribus

libris istius uoluminis et in libro precedente istum librum, seu in primo Ethice, determinat Aristotiles de uirtute

in genere. In quarto autem istius libri et in aliis libris quos non habemus determinat Aristotiles de speciebus

uirtutis et de earum differentis. In quarto enim determinat de fortitudine ; in quinto de castitate et illum quintum

non habemus ». 2 À la différence du Guide de l’étudiant, des Communia salmantins et du Commentaire de Paris, l’auteur de la

Lectura ne dit pas ignorer les livres qui suivent ; la description du contenu montre que l’anonyme connaît du

moins quelles sont les vertus traitées par Aristote dans la première moitié du livre IV. Cf. ANONYME, Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 20, notre édition : « Consequentes uero libri sumuntur secundum

diuisiones uirtutis precedentes, ut sit penes liberalitatem et magnificentiam unus liber, penes uero

magnanimitatem et medium inter philotimiam et aphilotimiam unus liber ; et sic, consequenter, secundum

diuisionem medietatum ». 3 Le Guide de l’étudiant distinguait déjà une section destinée à examiner les causes efficientes de la vertu ; les

Communia de Salamanque s’occupaient de la cause efficiente de la vertu (séparée en « proxima » et « remota »),

mais aussi de la cause formelle de la science de la félicité, réduite au simple mode de procéder. Toutefois, ce

problème n’était pas discuté explicitement.

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quatre causes d’Aristote1, au moyen de laquelle les maîtres font de la vertu (et non pas de la

félicité) la notion centrale de l’Éthique2.

II. Les quatre causes de la vertu : discussion de la division générale et du propos du deuxième

livre de l’Éthique dans la Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem et le Commentaire

anonyme de Paris

Avant d’étudier en détail, dans la prochaine section, la manière dont la Lectura

Abrincensis divise le livre II de l’Éthique, il convient de s’attarder sur la division générale

que le maître articule autour de la notion de vertu ; cette division est contestée par un autre

commentaire anonyme, le Commentaire de Paris, qui semble discuter explicitement la

position de l’auteur de la Lectura3.

II.1. La Lectura Abrincensis

Pour l’auteur de la Lectura Abrincensis, l’Éthique semble être avant tout une étude

des quatre causes de la vertu (livres I-III), suivie d’une étude de la vertu in suis speciebus

1 D’après P.O. Lewry, qui étudie l’application du schéma des quatre causes aux traités de l’Organon chez

Kilwardby, l’introduction de ce recours d’interprétation était très récente ; on le trouverait déjà établi vers 1220.

Cf. P.O. LEWRY, « Chapter 4 : Parisian Commentaries on the Logica Vetus », Robert Kilwardby’s Writings on

the Logica Vetus Studied With Regard to Their Teaching and Method, Thèse de doctorat, University of Oxford,

1978, p. 216. Toutefois, il faut remarquer que, dans les cours sur l’Éthique, il ne s’agit pas de décrire les causes

de la science transmise dans le livre commenté, mais de connaître le sujet de cette science par ses causes. 2 À l’encontre de la position de CELANO ; toutefois, son étude se concentre sur les commentaires sur le livre I.

Cf. « The end of Practical Wisdom », p. 227. 3 Nous omettons les divisions de Kilwardby et du Pseudo-Peckham, qui ne sont pas organisées selon le schéma

causal. Kilwardby considère que le livres II et III traitent de la vertu en général (in generali), alors que le livre

IV (i.e., la dernière partie du troisième) s’occupe de la vertu in speciali. Dans le cas du Pseudo-Peckham, les

livres II et III correspondent à la deuxième partie de la deuxième grande division de l’Éthique, s’occupant de la

vertu (tant de la vertu intellectuelle, traitée vers la fin du premier livre, que de la vertu morale). Or, le début de

cette deuxième partie (correspondant au début du livre II) n’est pas très explicite en ce qui concerne la division

générale de cette section. Cf. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 295rb :

« Duplici autem uirtute et cetera. Diuisa uirtute humana et accepta morali de qua intendit hic, prosequitur eam

(eam dub.) et diuiditur hec pars in duas : in prima determinat de uirtute consuetudinali in generali. In secunda

parte, scilicet in quarto, et sic deinceps, in speciali. Prima in duas : in prima determinat de uirtute consuetudinali

secundum eius substantiam, in secunda scilicet in libro tertio secundum quasdam eius passiones ; prima in duas :

prima est de uirtute consuetudinali secundum eius fieri, secunda cum dicit Post hec autem qualiter est uirtus

secundum eius esse » ; PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio

XXII, éd. BUFFON, p. 289, § 1 : « Et primo resumit diuisionem predictam et manifestat diuidentia. Secundo

exequitur de uirtute consuetudinali, omissa intellectuali, ibi quoniam igitur presens opus etc. Prima iterum pars

diuiditur quia primo resumit diuisionem positam et manifestat differentias. Secundo infert quoddam consequens

ex predictis cuius etiam subiungit declarationem per rationes, ibi ex quo manifestum etc. Prima pars spectat ad

presentem lectionem que diuiditur in duas. Primo, resumit diuisionem prius positam. Secundo, manifestat

differentias et primo manifestat intellectualem secundo consuetudinalem ».

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(livres IV, V, « et suivants »). En effet, le maître ne se limite pas à discuter des quatre causes

de la vertu dans le Prologue : il ne s’agit pas d’un simple recours rhétorique, mais d’un vrai

programme méthodologique que le maître suit pas à pas, tout en faisant, au début de chaque

livre, le bilan des connaissances déjà acquises et de ce qu’il faut encore déterminer.

À la fin du Prologue, le maître anonyme fait une première esquisse de la division

générale de l’Éthique, où il évoque les quatre causes de la vertu :

Or, dans le premier livre la vertu est traitée dans <son> ordonnancement

vers la félicité et par ses différences. Mais dans le second livre, on traite de la

vertu morale quant à sa cause matérielle et formelle. Tandis que dans le troisième

<livre>, on <en> traite quant à la cause efficiente [...] Dans le quatrième <livre

on traite> du courage [...]. Dans le cinquième <livre>, on traite de la chasteté [...].

Quant aux livres suivants, ils sont pris selon les divisions de la vertu qui

précèdent, de telle sorte qu’un livre soit selon la libéralité et la magnificence, un

livre selon la magnanimité et le moyen <terme> entre l’amour de l’honneur et la

haine de l’honneur ; et ainsi, conséquemment, selon la division des médiétés1.

Le premier livre (que le maître semble avoir commenté, quoique nous ne possédions

pas cette partie du texte) traite donc de la vertu en tant qu’elle est ordonnée vers la félicité

comme vers sa fin ultime. Le deuxième livre traite d’abord de la cause matérielle de la vertu

(les opérations constituant un moyen terme vertueux, accompagnées de plaisir ou douleur et

de la persévérance dans l’action) et, ensuite, de sa cause formelle (la définition de la vertu

par son genre et sa différence). Le troisième livre, quant à lui, s’occupe de la cause efficiente

de la vertu2.

Après avoir déterminé des – nous nous permettons souvent de calquer en français

determinare de, etc., en tant que tournure caractéristique du latin scolastique – causes

matérielle (lectiones I-IV) et formelle (lectiones V-VI) de la vertu, le maître revient encore

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 20, notre édition : « Est autem in primo libro

determinata uirtus in ordinatione ad felicitatem et per suas differentias. In secundo autem libro determinatur de

uirtute consuetudinali quantum ad causam materialem et formalem eius. In tertio uero determinatur quantum

ad causam efficientem [...]. In quarto uero <de> fortitudine [...]. In quinto uero est de castitate [...]. Consequentes

uero libri sumuntur secundum diuisiones uirtutis precedentes, ut sit penes liberalitatem et magnificentiam unus

liber, penes uero magnanimitatem et medium inter philotimiam et aphilotimiam unus liber ; et sic, consequenter,

secundum diuisionem medietatum ». 2 Le développement que nous venons de décrire sera contesté par le Commentaire de Paris, comme il est montré

à la section suivante.

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sur le schéma des quatre causes pour annoncer la détermination de la cause efficiente de la

vertu, nécessaire « pour que la vertu soit connue quant à toutes ses causes » :

Puisque la vertu, etc. Dans les deux livres précédents il a été déterminé

de la vertu quant à trois de ses causes : de sa fin, quand il a été déterminé au

commencement <de l’ouvrage> qu’elle est la félicité ; tandis que dans le

deuxième il a été déterminé de sa cause matérielle, qui est la nécessité, et de sa

forme [...]. Conséquemment, dans ce troisième livre, il détermine de la vertu

quant à sa cause efficiente qui est la volonté appropriée par le choix, pour qu’ainsi

la vertu soit connue quant à toutes ses causes1.

Au début du livre IV, le maître tient pour acquis l’objectif proposé : nous connaissons

maintenant toutes les causes de la vertu morale « in communi » (c’est-à-dire en général), et

nous pouvons désormais nous concentrer sur les espèces particulières de la vertu : « Puisque

donc la médiété, etc. Il a été dit relativement à la vertu morale en commun quant à toutes ses

causes. S’ensuit la détermination de celle-ci dans ses espèces »2.

II.2. Le Commentaire anonyme de Paris

Du point de vue « matériel », la division générale présentée par le Commentaire de

Paris coïncide avec celle de la Lectura Abrincensis : l’anonyme de Paris emploie aussi cette

division en cinq livres (quoique la division en chapitres soit différente)3. Il reconnaît aussi

que le livre I s’occupe de la cause finale de la vertu (la félicité), et que le livre III s’occupe

(au moins partiellement) de sa cause efficiente. Or, il existe un conflit concernant le propos

du livre II, car, pour le commentateur de Paris, l’Éthique ne s’occupe pas des causes

matérielle et formelle de la vertu, mais seulement de ses causes finale et efficiente.

Tout se passe comme si l’auteur du Commentaire de Paris voulait remettre en cause

l’interprétation de la Lectura Abrincensis. Le Commentaire de Paris introduit une question

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio VIII, A, f. 108r : « Virtute itaque, etc.

Determinatum est in duobus libris precedentibus de uirtute quantum ad tres causas eius : de fine, ut

determinatum est in principiali que est felicitas ; in secundo uero determinatum est de causa materiali que est

necessitas et de forma [...]. Consequenter in hoc tertio libro determinat de uirtute quantum ad causam

efficientem que est uoluntas appropriata per eligentiam, ut sic cognoscatur <uirtus> quantum ad omnes sui

causas ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam ueterem, lectio XIII, A, f. 120r : « Quoniam igitur medietas etc.

Dictum est de uirtute consuetudinali in communi quantum ad omnes sui causas. Consequitur determinatio (corr.

ex determinatam) ipsius in suis speciebus ». 3 Nous n’allons pas nous attarder sur le détail de la division employée par le Commentaire de Paris. Il suffit de

remarquer que la division en chapitres suit, en gros, celle présentée par les Communia salmantins.

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concernant justement la pertinence de traiter des causes matérielle et formelle de la vertu

dans la science morale :

Quelqu’un pourrait se demander, puisque la vertu a une cause matérielle

et une cause formelle, de même <qu’elle a> une <cause> efficiente et une

<cause> finale, pourquoi, dans la science morale, <l’auteur> détermine de la

vertu en rapport à la <cause> finale et à la <cause> efficiente, et non pas en

rapport à la cause matérielle et à la <cause> formelle1.

Le maître répond que les causes formelle et matérielle de la vertu ne doivent pas être

traitées dans la science morale, car elles sont le sujet d’autres sciences. La cause matérielle

est donc étudiée dans le Liber de anima, tandis que sa cause formelle, identifiée à la définition

de la vertu, tombe dans le domaine du dialecticien. En répondant ainsi à la dubitatio, le maître

informe qu’il s’agit de l’opinion de « certains qui veulent que dans cette science Aristote

traite de la vertu en rapport à sa cause formelle » :

À cela il faut dire que la vertu, si elle a une matière, ou bien cette matière

est la matière dans laquelle <elle est>, ou bien cette matière est la matière à partir

de laquelle <elle est>. La matière ‘dans laquelle’ de la vertu, à savoir <son> sujet,

est l’âme, et celle-ci est traitée et doit être traitée dans le livre De l’âme, et non

pas ici, <dans le livre des Éthiques>. Or, la vertu n’a pas une autre matière, car

les opérations ne sont pas la matière de la vertu. En effet, à partir des opérations

se produit la vertu, et à partir de la vertu sont provoquées les opérations, mais la

matière et l’efficient ne peu<ven>t pas être la même <chose>. Et ainsi il est patent

que les opérations ne sont pas la matière à partir de laquelle est la vertu. Et

similairement, <la vertu> n’a pas de forme, sauf si on dit ‘forme’ dans le sens où

(= sicut) la définition est la forme du défini. D’où certains veulent dire que dans

cette science Aristote traite de la vertu en rapport à la cause formelle, qui est posé

ici <comme> sa définition, par laquelle <elle> est prise à partir de la cause

formelle. Mais cela n’est rien, car la forme qu’est la définition ne concerne pas

le <philosophe> moral, mais plutôt le dialecticien. Et ainsi il est patent que

<l’auteur> ne doit pas traiter de la vertu en rapport à la cause matérielle ou à la

<cause> formelle2.

1 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 153vb : « Possit aliquis dubitare,

cum uirtus habeat causam materialem et causam formalem, sicut efficientem et finalem, quare determinat in

morali scientia de uirtute in comparatione ad causam finalem et efficientem, et non in comparatione ad causam

materialem et formalem ». 2 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 153vb : «Ad hoc dicendum quod

uirtus, si habet materiam, aud illa materia est materia in qua aud est materia ex qua. Materia ‘in qua’ uirtutis

scilicet subiectum est anima et illa determinatur et debet determinari in libro De anima, et non hic. Virtus autem

non habet aliam materiam, quia operationes non sunt materia uirtutis. Ex operationibus enim fit uirtus et ex

uirtute item eliciuntur operationes, sed idem non potest esse materia et efficiens. Et sic patet quod operationes

non sunt materia ex qua est uirtus. Et similiter non habet forma nisi ‘forma’ dicatur sicut diffinitio est forma

diffiniti. Vnde uolunt dicere quidam quod in ista scientia determinat Aristotiles de uirtute in comparatione ad

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Ces opinions rejetées par le commentateur se laissent lire très clairement dans la

Lectura Abrincensis, pour qui la cause matérielle de la vertu est constituée par les opérations

effectuées dans le moyen terme vertueux, alors que la cause formelle correspond à la

définition de la vertu par son genre et sa différence spécifique. Nous ne pouvons pas assurer

que ce « quidam » renvoie directement à la Lectura Abrincensis. Pourtant, cette discussion

reflète sans aucun doute des débats réels ayant lieu à la Faculté des arts des années 1230-

1240, et notre Lectura représente bien la position de l’une des parties en présence. Nous

voyons ici une raison de plus pour situer la Lectura Abrincensis dans le même milieu

intellectuel que le Commentaire anonyme de Paris.

Or, qu’en est-il de ce livre II dans le Commentaire de Paris, s’il ne traite pas des

causes matérielle et formelle de la vertu ? Quelle est sa place dans la division générale de

l’Éthique ? Le maître anonyme rejoint ici les Communia salmantins1 en distinguant deux

parties dans le traitement de la cause efficiente, développée dans les livres II et III : l’une

concernant la cause efficiente immédiate (ou « proxima », selon les Communia), l’autre

concernant la cause efficiente éloignée (« remota »). Or, l’ordre proposé par les Communia

salmantins est inversé : pour l’auteur du Commentaire de Paris, le livre II s’occupe de la

cause efficiente immédiate de la vertu, qu’il appelle la « causa efficiens imperata » ; les

opérations dans la médiété, commandées par la volonté (qui sera la cause éloignée de la vertu,

traitée dans le livre III), sont bel et bien la cause efficiente prochaine des vertus. Il semble

donc qu’il y avait ici un autre des points controversés concernant le rôle de chacun des livres

de l’Éthique. L’incomplétude de ces deux textes nous empêche d’aller plus loin. La partie du

Commentaire de Paris consacrée au livre III ne nous est pas parvenue ; on doit se reporter à

cette courte référence au début du commentaire du deuxième livre. En outre, dans les

Communia salmantins font aussi défaut, comme nous l’avons remarqué, les questions

consacrées à la discussion du troisième livre.

causam formalem, quia ponitur hic eius diffinitio, qua sumitur a causa formali. Sed hoc nihil est, quia forma

que est diffinitio non pertinet ad moralem, sed ad dialecticum potius. Et sic patet quod non debet determinare

de uirtute in comparatione ad causam materialem uel formalem ». 1 Avec lesquels il partage aussi la division en chapitres du livre II.

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II.3. La division du livre II dans la Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem

II.3.1. Division générale et unité du commentaire. Y a-t-il un commentaire au livre I ?

La Lectura Abrincensis présente donc une division générale en cinq livres, que nous

pouvons schématiser ainsi1 :

Tableau 2: Lectura Abrincensis. Division générale de l’Éthique

Livre

(division

médiévale)

Sujet (selon la division

générale présentée au

Prologue)

Sujet (selon la divisio textus

présentée dans les leçons)

Lectio

Texte commenté

(éd. Bekker)

livre I <De causa finalis uirtutis> non conservé - ÉN I

livre II

De causa materiali Ex quibus fiat uirtus I ÉN II.1

Ex qualibus fiat uirtus II-IV ÉN II.2-3

De causa formali In uniuersali V ÉN II.4-5

In particulari VI ÉN II.6-7

De consequentibus duas

causas VII

ÉN II.8-9

livre III De causa efficiente

De uoluntario et inuoluntario (prima

principia)

VIII-X

ÉN III.1-5

Conclusiones que egrediuntur

secundum principia

XI-XII

ÉN III.6-8

livre IV

De speciebus uirtutis

De fortitudine XIII ÉN III.9

De fortitudine XIV* ÉN III.9-12

livre V De castitate XV* ÉN III.13

De castitate - De fortitudine XVI* ÉN III.13

Or, puisque le schéma causal est appliqué rigoureusement par le maître et qu’il revient

à plusieurs reprises sur ses pas pour récapituler la façon dont il a traité de toutes les causes

de la vertu, on peut se demander si ce cours incluait à l’origine un commentaire sur l’Ethica

Nova. L’analyse des références internes présentées et dans le Prologue et dans les divisiones

placées en tête du commentaire aux livres II et III nous amène à répondre affirmativement à

cette question : nous croyons qu’il existait, à l’origine, un commentaire sur le livre I.

1 Les leçons marquées d’un astérisque font en réalité partie du commentaire du Pseudo-Peckham (et

correspondent aux leçons XLIII-XLV). Dans la troisième partie de cette thèse, consacrée à l’édition du texte,

nous présentons la liste complète des leçons (incluant celles consacrées au livre III), accompagnée des lemmes

de l’Éthique et des lignes de l’édition canonique correspondant à chaque leçon, ainsi que des folia du manuscrit

où elles sont contenues.

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Nous avons vu que le premier livre est inclus dans la division générale de l’Éthique

présentée à la fin du Prologue (§ 20). Dans ce même Prologue, le maître renvoie aux contenus

qui seront développés dans le premier livre, tout en utilisant le futur de l’indicatif. Il

mentionne en effet la division de la vertu intellectuelle que l’on trouve au chapitre final du

premier livre : « Mais de la division de la vertu intellectuelle, parce qu’elle est une plus brève

division, il sera déterminé dans le premier livre. Elle a en effet ces trois parties : fronesis,

sagesse et intelligence »1.

Or, au début de la première leçon (qui coïncide évidemment avec le début de l’Ethica

Vetus), après avoir mentionné le sujet traité dans le livre I, le maître annonce le but de la

première leçon avec un « consequenter » (conséquemment), qui permet d’imaginer que les

contenus du premier livre (la cause finale de la vertu et les différences de la vertu

intellectuelle) viennent effectivement d’être étudiés : « On traite dans le premier livre de la

vertu ordonnée vers la félicité et de ses différences. Conséquemment, dans cette partie, il

faut poser la différence de la vertu morale »2.

Finalement, dans la division générale du livre III que nous avons déjà évoquée, le

maître mentionne les deux livres précédents, tout en utilisant, cette fois, le parfait ; il répète

le « consequenter » pour introduire les contenus qui seront traités par la suite :

Dans les deux livres précédents, il a été déterminé de la vertu quant à

trois de ses causes : de la fin, quand il a été déterminé au commencement <de

l’ouvrage> qu’elle est la félicité ; alors que dans le deuxième il a été déterminé

de la cause matérielle [...] et de la forme [...]. Conséquemment, dans ce troisième

livre <on> détermine de la vertu quant à sa cause efficiente3.

Il se peut que notre maître veuille tout simplement passer en revue les contenus du

livre d’Aristote, plutôt que de rappeler les sujets déjà traités dans le cours ; or, la grande

cohérence interne de ce commentaire nous donne des raisons de croire que le maître ne parle

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethica Veterem, Prologus, § 12, notre édition : « De diuisione uero uirtutis

intellectualis, quia paucioris est diuisionis, determinabitur in primo libro. Habet enim has .iii. partes : fronesim,

sapientiam, intelligentiam ». Les italiques sont de nous. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethica Veterem, Lectio I, § 1, notre édition : «Determinatur in primo libro

de uirtute ordinata ad felicitatem et de differentiis eius. Consequenter in hac parte ponenda est differentia

consuetudinalis uirtutis ». Les italiques sont de nous. 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethica Veterem, Lectio VIII, A, f. 108r : « Determinatum est in duobus

libris precedentibus de uirtute quantum ad tres causas eius : de fine, ut determinatum est in principiali que est

felicitas ; in secundo uero determinatum est de causa materiali [...] et de forma [...]. Consequenter, in hoc tertio

libro determinat de uirtute quantum ad causam efficientem [...] ». Les italiques sont de nous.

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pas en vain des contenus déjà considérés1. Néanmoins, il faut noter que le Prologue précède

immédiatement le deuxième livre ; mais c’est le cas aussi pour le Commentaire de Paris

(dont le premier livre est conservé dans un manuscrit différent), que les spécialistes

considèrent aujourd’hui comme une œuvre unitaire2. Un éventuel compilateur (disposant

déjà d’un commentaire sur la Nova) a peut-être éliminé la première partie, tout en complétant

le texte sur la Vetus avec l’ajout des leçons finales, qui sont l’œuvre d’un autre commentateur

(le Pseudo-Peckham). Quoi qu’il en soit, selon nos connaissances actuelles aucune trace de

cette première partie n’est conservée ; nous en supposons l’existence par conjecture.

II.3.2. La division du livre II : survol des sept premières leçons

La cohérence interne de la Lectura devient manifeste en contrastant le plan général

du deuxième livre, établi dans la première leçon, avec le développement effectif des sept

premières leçons (constituant le commentaire au deuxième livre). En effet, lorsque le contenu

est présenté de manière schématique, on remarque tout de suite qu’il n’y a que deux parties

isolées (mentionnées dans la division particulière de chacune des leçons, mais négligées dans

la division générale établie au début du livre). Nous pensons donc qu’il s’agit bel et bien de

l’œuvre d’un seul maître, quoique l’ouvrage montre un certain travail d’édition et de

compilation, comme l’indique l’absence des marques propres à l’oralité, telles l’utilisation

de la première et de la deuxième personne, ou l’usage du pluriel3.

Après avoir étudié les divisiones des sept premières leçons, nous arrivons à la

présentation schématique que nous trouvons dans le Tableau 10 (cf. Appendice C).

Un survol de ces premières leçons permettra de saisir l’unité et la cohérence de ce

cours artien sur l’Éthique. Nous renvoyons toujours aux paragraphes de notre édition4.

1 Notre analyse se concentre sur le commentaire au livre II, que nous éditons ici et que nous connaissons en

profondeur ; toutefois, l’examen préliminaire du commentaire au livre III (qui est d’ailleurs incomplet) indique

que la cohérence interne du traité est aussi évidente dans ce troisième livre. 2 C’est notamment l’opinion de son éditrice, Irene Zavattero, qui traite le problème du placement inusité du

Prologue dans son article « La definizione de philosophia moralis dell’anonimo ‘Commento di Parigi’ (1235-

1240) », Medioevo. Rivista di storia della filosofia medievale, XXXV (2010), p. 294-295. Avec R.A. Gauthier

et à l’encontre de G. Wieland, l’éditrice affirme (p. 293) que le doute concernant l’identité du maître « [...] è

dissipato dalle somiglianze di dottrina e di struttura esistenti fra il prologo e gli altri monconi di testo che

compongono il commento ». 3 Nous reviendrons sur cette question dans la troisième partie. 4 Nous incluons aussi les paragraphes non édités.

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Structure et survol des sept leçons du Commentaire sur le livre II

Dans le but d’offrir une vision générale du commentaire sur le livre II, nous offrons

ici un survol des contenus traités. Les questions, parfois assez complexes, sont énumérées ici

de manière sommaire et ne sont pas reproduites littéralement. Nous indiquons entre

parenthèses le ou les paragraphes où la question est posée, suivis des paragraphes où se

trouvent la détermination et la réponse.

Nous notons parfois, avec plus de détail, certains points qui s’avèrent importants pour

l’objectif général de la thèse.

En général, les leçons présentent la structure suivante :

Divisio textus

Sententia

Quaestiones

Expositio littere

À partir de la quatrième leçon, on ne trouve plus de division textuelle : le maître ne

fait que suivre les divisions déjà établies. Parfois, les questions et les exposés sur la lettre

sont coupés en deux parties ou plus.

Prologue (f. 90r-91r)

Malgré la densité avec laquelle le maître anonyme expose l’arrière-fond doctrinal de

son commentaire et les nombreuses erreurs de copie qui rendent sa lecture difficile, le

Prologue permet de discerner une série d’éléments qui se trouvent assez fréquemment dans

d’autres commentaires sur l’Éthique issus du milieu artien parisien.

Partant de la tripartition stoïcienne de la science en philosophie naturelle, philosophie

rationnelle et philosophie morale (§ 1), le maître entreprend ensuite une description de

chacune de ces parties (§ 2-6), sans toutefois spécifier quelles sont les parties de la science

morale (§ 6), ce qui est pourtant fréquent dans d’autres textes du milieu artien. Le tout est

encadré par le lemme de la Physique « Sumus enim et nos, quodammodo, finis omnium que

sunt » (Physica II, 2, 194a35). Se questionnant sur la place de la morale dans la hiérarchie

des sciences (§ 7), le maître établit qu’elle n’est supérieure aux autres que de manière relative

(§ 8). La doctrine avicennienne des deux faces de l’âme soutend ensuite la distinction entre

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vertu intellectuelle et vertu morale (§ 9-11)1 ; la première se divise selon le trio exposé en ÉN

I, 13 : fronesis, sagesse, intelligence, tandis que la deuxième est divisée selon les objets des

puissances motrices, renfermées dans la classification platonicienne des vertus en

concupiscible, irascible et rationnelle (§ 13-19). Le dernier paragraphe (§ 20) divise l’Éthique

en cinq livres et manifeste le plan d’ensemble de l’œuvre, qui consiste à expliciter les quatre

causes de la vertu. Le livre I est ainsi consacré à la vertu en tant qu’elle s’ordonne à la félicité

(sa fin), le livre II s’occupe des causes matérielle et formelle de la vertu, et le livre III traite

de sa cause efficiente ; le livre IV, pour sa part, traite du courage ; le livre V traite de la

chasteté, et « les livres suivants » traitent des autres vertus morales.

Prima lectio (f. 91r-92v) : Duplici autem (ÉN II, 1, 1103a14-1103b25)

Dans la Divisio textus (§ 1-3) le maître passe d’abord en revue les contenus déjà

traités (livre I)2 et annonce ensuite le sujet abordé dans le livre II : la détermination des causes

matérielle et formelle de la vertu (§ 1). Une fois établie la division générale du livre (§ 2)3,

le maître découpe le morceau du texte examiné dans la présente leçon (§ 3), qui comporte

deux parties, selon les deux parties du texte : une partie liminaire traite de la distinction entre

les vertus morales et les vertus intellectuelles (partie isolée qui n’est pas considérée dans la

division générale du livre ; cf. Tableau 10, Appendice C) ; tandis que la deuxième détermine

à partir de quelles choses est la vertu (« ex quibus fiat uirtus »).

La Sententia (§ 4-7) examine le sens général du texte commenté : d’après le maître

anonyme, Aristote y expose cinq principes ou raisons qui séparent la vertu morale, produite

par l’accoutumance, de la vertu naturelle.

1 Ces paragraphes reprennent la théorie connue comme « la théorie des deux faces de l’âme », d’origine

platonicienne, développée par Avicenne dans son Commentaire sur la « Théologie d’Aristote » et transmise à

l’Occident latin au XIIe siècle à travers son traité De Anima. Cette théorie se trouve aussi, avec des nuances

diverses, dans les commentaires sur l’Éthique à Nicomaque de la première moitié du XIIIe siècle. Pour une

histoire sur l’origine et la transmission de cette théorie, ainsi que pour sa reprise dans les premiers commentaires

de l’Éthique, voir BUFFON, « La théorie des deux faces de l’âme. Histoire de textes », dans BUFFON, L’idéal

éthique des maîtres ès arts, p. 84-132. 2 Sur l’existence probable d’un commentaire portant sur le premier livre de l’Éthique, voir les conclusions

exposées ci-dessus, dans ce même chapitre. 3 Qui découpe l’ensemble du livre II en trois parties : 1103a15-1105b19, sur la cause matérielle de la vertu ;

1105b19-1108b10, sur sa cause formelle ; 1108b10-1109b27, sur les conséquences de l’exposé précédent. Nous

avons examiné cette division en détail ; voir le Tableau 10, Appendice C.

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Les Questiones sont divisées en deux séries, selon les deux parties de la leçon déjà

distinguées (§ 3). Le maître pose en premier lieu (§ 8-11) trois questions assez générales sur

la distinction entre vertu intellectuelle et vertu morale : il se demande d’abord (sans toutefois

y répondre) <1> qu’est-ce que l’on appelle ‘vertu’ (§ 8), <2> et pourquoi la vertu est-elle dite

‘intellectuelle’ et ‘morale’ (§ 8, réponse au [= rép.] § 9) ; <3> l’anonyme se questionne

ensuite sur l’à propos d’appeler la vertu morale ‘intellectuelle’ (puisqu’elle est redressée par

et tire son origine de l’intellect) (§ 8, rép. § 10-11). Dans le but d’établir la différence entre

vertus intellectuelles et vertus morales le maître a recours, une fois de plus, à la doctrine des

deux faces de l’âme évoquée dans le Prologue (cf. Prologue, § 9-11). Un second

regroupement de questions, beaucoup plus développé que le premier, porte sur « la deuxième

partie de la leçon » (§ 12-31), concernant la cause matérielle de la vertu ex quibus, les

opérations. Le maître se demande <4> si l’opération est requise pour la formation de la vertu

morale (§ 12, rép. § 13-19), <5.1> et s’il faut, pour que la vertu soit produite, une seule

opération ou plusieurs (§ 12, rép. § 20-23), et <5.2> à cause de quoi (§ 12, sans réponse),

<5.3> et à quoi sert la disposition induite dans l’âme par une première opération unique qui

ne suffit pas à constituer l’état habituel bon (§ 12, rép. § 24) ; or, il faut aussi se demander

<6> si les opérations en question sont exigées dans un nombre déterminé (§ 12, rép. § 25-

26), et <7> si elles sont bonnes ou autrement, et par qui <sont-elles faites> (§ 12, rép. § 27-

28) ; <8> et, si la nature est l’un des principes de la vertu, dans quelle mesure elle contribue

à sa constitution (§ 12, rép. § 29-30), et <9> de quelle manière la vertu (dernière quant à

l’acquisition) devient un intermédiaire (§ 12, rép. § 31). Dans la détermination et la réponse

à cette liste de questions le maître adopte à l’égard de la vertu une position philosophique,

plutôt que théologique (sans toutefois l’indiquer ici explicitement, comme le font ses

contemporains)1 : la vertu morale trouve son origine dans les opérations, et n’est pas infusée

par Dieu comme les vertus divines, qui, elles, précèdent l’opération (§ 15, § 19). Nécessitant

1 Ce n’est qu’au Prologue que le maître indique la différence entre les points de vue philosophique et théologique

(que le reste des maîtres invoquent souvent dans le corps du commentaire, surtout lorsqu’il est question des

vertus infuses ou divines) : « Mais que soit laissée pour compte la vertu naturelle, parce que ne porte pas sur

elle l’intention <du Philosophe> (= sibi) ; et que soit laissée pour compte la vertu qui est propre à la spéculation

théologique [i.e., la vertu infusée par Dieu] ; et que soit prise cette division de la vertu humaine par <ses> deux

différences qui sont <la vertu> intellectuelle et <la vertu> morale » (cf. ANONYME, Lectura Abrincensis in

Ethicam Veterem, Prologue, notre édition, § 9).

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une multitude d’opérations bonnes, la vertu morale se distingue aussi de la vertu intellectuelle

(constituée par une opération unique, § 20-22).

Dans l’Expositio littere (§ 32-45) le maître revient, de manière très cohérente, sur les

points traités dans cette Prima lectio et dans le Prologue : la doctrine de deux faces de l’âme

(§ 32), la division des vertus selon les puissances irascible, rationnelle et concupiscible (§ 44,

évoquée aux § 14-19 du Prologue), le rôle de la nature et de la doctrine (§ 33-34) dans la

constitution de la vertu morale (§ 37). En reprenant la comparaison aristotélicienne entre les

arts et les vertus, l’auteur les rapproche en appelant à la célèbre étymologie « ars dicta est ab

artando » ; les vertus « redressent » (artant) l’action de sorte que l’on ne s’incline pas vers

le superflu ou le déficient (§ 39) ; la doctrine, quant à elle, fournit le mode d’acquisition de

l’art : elle redresse (= rectificat) aussi les opérations (§ 43). Le paragraphe final (§ 45)

anticipe le sujet de la deuxième leçon : aux opérations productrices des états habituels

s’ajoute une certaine qualité (la bonté), au moyen de laquelle la vertu se distingue du vice.

Secunda lectio (f. 92v-94v) : Quoniam igitur presens opus (ÉN II, 2, 1103b25-1104b3)

La Divisio textus (§ 1-5) rappelle d’abord le sujet traité dans la lectio précédente (« Ex

quibus fit uirtus », § 1), pour reprendre ensuite, en faisant preuve de continuité, la thématique

mise en avant par le tout dernier paragraphe de l’Expositio littere de la leçon précédente (tout

en complétant la division générale du livre II entreprise dans la Prima lectio, § 3-4) (§ 45) :

si la qualité des actions détermine la qualité des habitus, il faut ajouter aux opérations que

nous étudions une qualité (la qualité d’être bonnes) pour que la vertu soit distinguée du vice :

nous étudions donc, dans cette partie, à partir de quelle sorte de choses se fait la vertu morale

selon des conditions déterminées (§ 3), à savoir (I) être une opération dans le moyen terme,

(II) accompagnée du plaisir ou de la peine, et (III) faite avec persévérance de la volonté dans

l’acte (§ 2). La leçon est divisée en deux, selon le découpage du texte commenté : nous avons

à nouveau une partie isolée (ne figurant pas dans la division générale), consacrée au discours

« exemplaris et parabolicus » qui s’adapte à la finalité poursuivie par l’Éthique, devenir bons

(ÉN II, 2 1103b25-1104a11) (§ 2 in fine), et une deuxième partie consacrée au sujet principal

de la leçon (ÉN II, 2 1104a11-1104b3) (§ 3), la première des trois conditions (cf. Tableau 10,

Appendice C) imposée aux opérations capables de constituer la vertu : (I) être des opérations

constituant un moyen terme.

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La Sententia (§ 6) insiste sur l’aspect méthodologique du texte commenté, dans

lequel Aristote procède par paraboles et par induction.

Les Questiones sont encore divisées en deux groupes d’après les deux parties de la

leçon. Or, la série de questions consacrée à la première partie (§ 7-16) est structurée de

manière peu définie, car les questions ne sont pas clairement posées dans un seul bloc suivi

par la détermination et la réponse, mais elles forment plutôt une sorte de questionnaire

commenté, où la question n’est pas, la plupart du temps, formulée de manière explicite. Le

maître tente de déterminer : <1> si la finalité de l’Éthique est la contemplation, ou si elle a

plutôt pour but de nous rendre bons (§ 7, rép. § 7-8) ; <2> Si l’on examine ce qu’est la vertu

pour que nous sachions, ou plutôt afin de devenir bons (§ 9) ; <3> si les opérations produisent

les vertus ou si, au contraire, la vertu est à l’origine des opérations, dans lequel cas les

opérations ne seraient pas déterminantes des états habituels comme le veut Aristote (§ 10,

rép. § 11) ; <4.1> ce qu’est la raison droite, et <4.2> si elle est appelée ‘vertu’ de manière

univoque ou équivoque à l’égard des autres vertus (§ 12, rép. § 13-14) ; finalement <5>, le

maître présente une dubitatio1 concernant la méthode employée par le discours éthique, à

savoir le modus exemplaris et parabolicus, décrit comme incertain, évoqué dans la Divisio

(§ 2 in fine) : il semblerait que la manière dont on détermine la définition de la vertu (i.e. son

genre et son espèce) est certaine ou exacte, plutôt qu’incertaine (§ 15, rép. § 16). Dans ce

questionnaire commenté, le maître insiste particulièrement sur la finalité spéculative de

l’éthique : bien que l’éthique ait pour but de nous rendre bons, elle détermine aussi ce qu’est

la vertu, et ce, non seulement dans un but pratique (« ut boni fiamus » ; ÉN II, 2 1103b26-

27), mais aussi théorique (« ut sciamus » ; ÉN II, 4 1105b19). Le deuxième regroupement de

questions (§ 17-33) concerne les rapports entre l’opération, les dispositions qu’elles induisent

dans l’âme et les vertus qui en résultent. Ainsi, il est demandé <6> si une deuxième opération

<d’une certaine qualité> induit dans l’âme une nouvelle disposition, ou s’il s’agit bel et bien

de la disposition induite par la première (§ 17, rép. § 18-21) ; <7> et, concédant cette dernière

supposition, si la même disposition peut s’étendre à une troisième opération (§ 17, rép. § 22-

24) ; <8> et de quelle manière peut résulter, à partir d’une opération faite dans une certaine

puissance, une disposition se trouvant dans une puissance différente (§ 17, rép. § 25-26) ;

1 Dont la compréhension est impossible sans la rectification du texte du manuscrit, très fautif, au moyen d’une

étude des loci parallèles où le maître reprend le problème.

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<9> et à quoi sert l’opération produite postérieurement à l’acquisition de la vertu (§ 17, rép.

§ 27-28) ; <10> et si la première opération mauvaise est capable de corrompre la vertu, ou

s’il faut qu’il existe plusieurs opérations (§ 17, rép. § 29-31) ; <11> et, finalement, s’il y a,

dans le processus de corruption de la vertu ou du vice, un moment où ni le vice ni la vertu ne

sont dans la substance <qu’est l’âme> (§ 17, rép. § 32-33). Des notions évoquées par le

maître dans la résolution de ces questions, nous pouvons remarquer le recours à la définition

de vertu exposée dans les Catégories (8, 8b26-36) où la vertu fait partie des qualités dites

« états et dispositions » : elle est une disposition devenue état habituel par l’intensification

due aux opérations répétées, et cet état continue à s’intensifier une fois la vertu acquise.

Dans cette leçon, l’Expositio littere est coupée en deux par une question qui occupe

les paragraphes § 48-50. La première partie de l’Expositio (§ 34-47) porte presque

exclusivement sur le problème méthodologique découlant de la double finalité de l’éthique :

devenir bons vs. connaître ce qu’est la vertu ; cette distinction est comprise au moyen de la

distinction entre vertus morales et vertus intellectuelles (§ 34). La méthodologie propre à

l’éthique est le modus typicus, parabolicus ou figurativus (§ 40) ; mais la science morale peut

pourtant être « comme les autres » sous un certain rapport (lorsque l’on considère les choses

qui restent invariables ou sont définies de manière universelle ; § 42-44). Interrompue par

une questio portant sur la manière dont la vertu est générée par les mêmes choses par

lesquelles elle est corrompue (§ 48-50), l’Expositio se poursuit (§ 51-58) d’abord avec

quelques considérations méthodologiques qui s’ajoutent à la première partie (portant sur la

manière de montrer les réalités intelligibles au moyen des exemples sensibles ; § 51-53), pour

s’attaquer finalement à la manière dont la vertu est accrue et corrompue (§ 54-58).

Tertia lectio (f. 94v-97r) : Signum autem oportet facere (ÉN II, 2, 1104b3-1105a17)

La Divisio textus (§ 1-2) indique que la première condition des opérations vertueuses

(être opérées dans le moyen terme [I]) vient d’être traitée (§ 1), pour découper ensuite le

morceau de texte où sera traitée la deuxième condition (qu’elles soient accompagnées du

plaisir et de la peine [II], § 1), sujet de la présente leçon, tout en annonçant aussi où

commence le passage consacré à la troisième de ces conditions (que l’opération soit

accompagnée de la persévérance de la volonté [III]), traitée dans la partie suivante (§ 2).

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Prenant la forme d’un petit commentaire littéral et rappelant la structure de la

Sententia de la première leçon, la Sententia (§ 3-12) distingue dans le texte six raisons par

lesquelles il est montré que toute vertu morale est relative aux plaisirs et aux peines (§ 3-10),

pour exposer ensuite une justification de la distinction et l’ordre des raisons exposées (§ 11-

12).

Les Questiones (regroupées, avec leurs déterminations et leurs réponses, dans une

seule section, très longue [§ 13-54]) sont réduites à deux points comprenant plusieurs sous-

questions. À l’occasion de la première question (§ 13), le maître se demande <1.1> ce qu’est

le plaisir (rép. § 15-33) ; <1.2> combien il y a de différences des plaisirs (selon les

circonstances, selon le sujet, selon la puissance, etc.) (rép. § 34-44) ; <1.3> s’il y a une vertu

(et un vice opposé) relative à tous les plaisirs et à toutes les peines ; et, si ce n’est pas le cas

(rép. § 45), <1.4> auxquels plaisirs et auxquelles peines se rapportent, respectivement, la

vertu intellectuelle et la vertu morale (rép. § 46-47). Le deuxième questionnement (§ 14),

pour sa part, demande <2.1> si le plaisir est dû à toute puissance en soi, ou au moyen d’une

autre puissance (rép. § 48-50) ; <2.2> s’il faut que la vertu soit dans la même puissance que

le plaisir et la peine, ou si elle se trouve plutôt dans la force raisonnable (rép. § 51-52) ; <2.3>

pourquoi seule la chasteté est dite être relative aux plaisirs et aux peines, étant donné que

toute vertu est relative aux plaisirs et aux peines (rép. § 45) ; <2.4> si l’on dit de manière

semblable que la vertu est relative aux actes et passions et aux plaisirs et aux peines (rép.

§ 53) ; <2.5> si l’on dit ‘volupté’ selon la même signification dans les lemmes « la volupté

<ou la peine> se produisant <dans les œuvres> » (1104b5) et « À cause de la volupté nous

faisons les mauvaises <actions> » (1104b10) ; <2.6> sur la distinction du bon, de l’utile et

de l’agréable (rép. § 54).

Le maître répond au premier bloc de questions de manière très complexe (§ 15-47).

La détermination de <1.1> inclut un long excursus (§ 15-23) où le maître discute les

différentes opinions de « certains » sur le plaisir avant d’établir dans la réponse (§ 24) la

définition du plaisir selon un lemme dont nous n’avons pas pu établir l’origine, mais qui se

répète tel quel dans le Commentaire anonyme de Naples : « le plaisir est l’acte de la vertu

appétitive inclinée vers le bien ou vers le bien apparent à partir de l’appréhension de <la

chose> convenable conjointe, conformément à l’espèce ou conformément à la substance,

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avec celui à qui elle convient » ; le maître développe ensuite un commentaire littéral

examinant chaque partie de cette définition (§ 25-31) pour revenir ensuite, sans transition,

aux lemmes de l’Ethica Vetus. La réponse de <1.2> occupe les paragraphes § 34-44, où le

maître établit les différences du plaisir selon les circonstances, le sujet, la puissance, etc. (cf.

§ 13).

Dans l’Expositio littere (§ 49-71) qui clôt la leçon, le maître examine pas à pas le

texte commenté, sans toutefois inclure la mystérieuse définition du plaisir donnée plus haut

(§ 24), mais évoquant un passage étranger à l’Ethica Vetus pris dans les Topiques (III, 2,

117a23-26), cité sous le nom de De comparationibus accidentibus (§ 59).

Quarta lectio (f. 97r-99r) : Queret autem aliquis (ÉN II, 3, 1105a17-1105b19)

Le maître explique dans la Sententia (§ 1-8) le sens général du passage commenté

(§ 2-7), où Aristote vise à montrer que toute vertu est accompagnée de la persévérance de la

volonté dans l’acte (§ 1) ; il s’agit bel et bien de la dernière des trois conditions relatives à la

cause matérielle de la vertu, récapitulées au paragraphe final (§ 8) de la Sententia, qui sert

ainsi de conclusion à la première grande partie du livre II (cf. le Tableau 10, Appendice C).

Le maître expose ensuite, dans un seul bloc de Questiones (§ 9), sept questions avec

leurs sous-questions (qui supposent en général la réponse de la question précédente), portant

principalement sur trois nouvelles conditions de réalisation de l’acte vertueux, expliquées à

partir d’une similitude avec l’art de la grammaire : que les œuvres soient accomplies

sciemment, avec volonté et avec la persévérance de la volonté dans l’acte. Le maître se

demande : <1> si le fait d’être grammairien découle du fait de faire des choses grammaticales,

et si, de manière parallèle, le fait d’être juste découle du fait de faire des choses justes (rép.

§ 10-11) ; <2> si le fait d’agir grammaticalement est dit de deux manières, de même qu’agir

de manière juste est dit de deux manières selon que l’œuvre juste est faite après ou avant

d’avoir acquis la vertu morale (§ 12-15) ; <3> si l’on agit de manière juste parce que l’on est

juste, ou si l’on devient juste parce que l’on agit de manière juste (§ 16-17) ; <4.1> et, si faire

de manière juste précède la vertu morale, combien des trois conditions énumérées ci-dessus

(savoir, vouloir, avoir la persévérance de la volonté) sont exigées pour agir de manière juste ;

<4.2> et lesquelles ; <4.3> et à cause de quoi ; <4.4> et si autant de conditions sont requises

en vue de posséder l’art, et si les conditions ne sont pas requises dans le même nombre en

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vue de la vertu intellectuelle, mais une en vue de l’art (i.e. savoir), deux en vue de la vertu

intellectuelle (i.e. savoir et vouloir) (rép. § 18-25 [pour l’ensemble <4.1>-<4.4>]) ; <5.1> et,

étant donné que le savoir est requis pour acquérir la vertu, si tout savoir s’ordonne à la vertu

ou non, et si un savoir s’ordonne à la vertu intellectuelle, un autre à la vertu morale ; <5.2>

et si le savoir qui ordonne en vue de la vertu morale est beaucoup ou trop peu <de chose> en

vue de son principe (rép. § 26-36 [pour l’ensemble <5.1>-<5.2>]) ; <6> et, si le vouloir est

requis tant pour l’acquisition de la vertu morale que pour l’acquisition de la vertu

intellectuelle, s’il est ou non requis de manière semblable (rép. § 37) ; <7.1> si la <vertu>

intellectuelle parfait davantage que la <vertu> morale, ou inversement ; <7.2> et si les trois

conditions requises en vue de la vertu morale sont aussi requises en vue de la prudence, qui

est une des <vertus> morales ; <7.3> et si une autre vertu peut exister sans ces trois conditions

(rép. § 38-39 [réponse partielle se rapportant surtout à 7.2]).

Certains points de la section consacrée à la détermination et à la réponse de ces

questions (§ 10-39) méritent d’être mis en relief. Le maître rappelle, à propos de la justice,

la différence entre les vertus infuses (et la justice infuse est ici appelée « iustitia simpliciter »,

« justice pure et simple ») et les vertus morales, celles traitées dans l’Éthique (§ 16-17). Les

développements relatifs à l’importance de la science (ou du savoir) pour les vertus morale et

intellectuelle sont aussi dignes de mention, car on trouve ici une définition de la vertu

intellectuelle (dont le maître a probablement traité dans le commentaire du livre I, s’il a

existé) comme actualisation de la puissance motrice (dilection du souverain bien) et de la

puissance cognitive (contemplation du souverain bien, ou encore conversion vers celui-ci)

(§ 25 ; voir aussi Prologue, § 10), définition qui semble pouvoir s’assimiler à une conception

de la prudence (dont quatre sens différents sont distingués, § 38-39) qui rappelle la notion de

fronesis (mais le mot grec n’est pas évoqué ici), que l’on trouve développée dans les

commentaires artiens portant sur le livre I (car elle est considérée comme vertu intellectuelle

– et non pas uniquement comme vertu morale –, et à travers elle l’homme se convertit ou

adhère au bien immuable ; § 38)1. Ces développements présentent d’ailleurs des parallèles

1 Sur cela, voir V. CERVERA NOVO, « Acerca de la prudencia en los primeros comentarios a la Ethica vetus. La

Lectura Abrincensis in Ethicam veterem », Patristica et Mediaevalia, XXXVII (2016), p. 15-35.

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très importants avec la Summa de bono de Philippe le Chancelier (dont le texte est reproduit

épuré des citations bibliques).

L’Expositio littere (§ 40-50) commente le texte globalement, sans incorporer les

complexes discussions sur la science et la prudence développées à l’occasion de la

détermination des questions <5> et <7>, pour rappeler dans le paragraphe final (§ 50 ; voir

aussi § 8 à la fin de la Sententia) que, là dans le texte, « se termine la partie qui est à propos

de la cause matérielle de la vertu morale ».

Quinta lectio (f. 99r-101v) : Post hec autem quid sit uirtus scrutandum (ÉN II, 4, 1105b19-1107a8)

La Sententia (§ 1-10) annonce d’abord le commencement d’une nouvelle partie du

livre, celle consacrée à la cause formelle de la vertu (§ 1) qui sera traitée doublement : dans

l’universel, et à partir de ce qui est premier en soi (voilà le sujet de cette cinquième leçon) et

dans le particulier, et à partir de ce qui est premier quant à nous (voilà le sujet de la sixième

leçon) (§ 1). Or, la cause formelle de la vertu est considérée sous deux aspects différents : en

tant qu’extrémité (car elle est une perfection) et en tant que médiété (car elle se trouve dans

le moyen terme) (§ 1-2). Dans cette recherche, Aristote détermine d’abord le genre de la

vertu, pour chercher ensuite sa différence spécifique (§ 3) ; une fois écartées les passions et

les puissances (§ 4-6), on arrive finalement à colliger la définition de la vertu comme état

habituel volontaire (§ 7-10).

Les Questiones (§ 11-45) portent donc sur les différents aspects de cette enquête sur

la définition (ou cause formelle) de la vertu. Les questions ne sont pas posées d’un seul bloc,

mais distribuées selon une structure où la réponse suit la question. Le maître se questionne

<1> sur la suffisance, c’est-à-dire le caractère exhaustif, de la distinction des choses qui sont

dans l’âme en trois instances (passions, puissances, états habituels) (§ 11, rép. § 13) ; <2> si

le fait d’être dans l’âme est intelligé de manière commune relativement à l’âme spéculative

et à l’âme motrice (§ 12, rép. § 14-16) ; et, par rapport au dernier point de <1.2>, le maître

se questionne <3> sur le sens de l’expression « s’ensuivre » lorsque nous disons que le plaisir

et la peine s’ensuivent des passions (§ 17, rép. § 18) ; on se demande aussi <4.1> pourquoi

les puissances sont définies uniquement quant aux passions (en excluant les actes), et <4.2>

pourquoi sont-elles définies par les passions (vu qu’elles sont antérieures aux passions) (§ 19,

rép. § 20). Suite à un petit excursus (§ 21-23) sur le sens du texte d’ÉN II, 4, 1106a3-4,

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concernant les vertus « simpliciter », qui sont sans volonté, le questionnaire se poursuit.

Revenant sur les idées exposées dans la Sententia (§ 4 et 6), où le maître dénombre les raisons

par lesquelles la vertu n’est ni une passion ni une puissance, le maître se demande <5.1>

pourquoi, pour écarter la possibilité que la vertu soit une puissance, on ne considère pas la

cause matérielle, qui était considérée dans le cas des passions (de sorte que l’on considère

uniquement trois raisons, au lieu de quatre) (§ 24, rép. § 25) ; <5.2> et il se demande aussi

pourquoi la troisième raison évoquée pour écarter les passions et les puissances, celle de la

cause efficiente, n’est pas la même dans les deux cas (§ 24, rép. § 26). Le reste du

questionnaire porte sur la vertu et ses définitions. Le maître se demande : <6> si la définition

« la vertu est un état habituel optimal » (idée tirée probablement du De divisione de Boèce)

s’applique de manière commune à la vertu morale et à la vertu intellectuelle (§ 27) ; <7> de

quelle manière diffèrent les multiples définitions de la vertu (§ 28, rép. § 29) ; <8> si, lorsque

l’on dit que la vertu est « examinatrice du moyen terme », cet examen appartient à l’intellect

spéculatif ou à l’intellect pratique (§ 30, rép. § 33-34) ; <9> si toute vertu est examinatrice

du moyen terme par la prudence (§ 31, rép. § 35) ; <10.1> si la vertu, l’art et la nature sont

des examens (inspectiones) d’une même manière ; <10.2> et s’il s’agit du même moyen

terme, ou d’un autre (§ 32, rép. § 36) ; <10.3> et de quelle manière la vertu, qui tire sa

certitude des choses singulières, peut être plus certaine que l’art, portant sur des choses

universelles (§ 32, rép. § 37) ; <11> si la vertu est un moyen terme divisible ou indivisible

(§ 38) ; <12> quelle est la différence entre les médiétés impliquées quand on appelle la vertu

« médiété » (medietas) et quand on l’appelle « relative au moyen terme » (circa medium)

(§ 39, rép. § 40) ; <13> le maître formule ensuite un approfondissement de la question

antérieure (§ 41) ; et il se questionne finalement <14> (§ 42, rép. § 43-45) sur la justesse de

la caractérisation de la vertu voulant qu’elle soit en même temps médiété (quant à sa

substance) et extrémité (quant à sa perfection).

La détermination et la réponse des questions élaborent d’abord (§ 11-28) une analyse

des éléments constitutifs de la définition de la vertu (car, le maître le rappelle à quelques

reprises [§ 42, § 44], la division des parties doit précéder la définition), pour se concentrer

ensuite sur les diverses définitions de la vertu offertes par Aristote tant dans l’Éthique que

dans les libri naturales (tels que le De caelo et la Physique).

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L’Expositio littere (§ 46-74) reprend, en gros, les points marquants de la discussion.

On y annonce que le maître voit dans le passage commenté une étude proprement scientifique

de la vertu, car il envisage dès le début de montrer le mouvement argumentatif qui va de la

division du sujet en parties à la définition de la vertu (en tant qu’état habituel) obtenue comme

conclusion de l’argumentation au moyen des définitions des parties divisées (procédure qui

suit, comme nous le verrons, une méthodologie strictement scientifique, qui distingue trois

étapes : divisio, diffinitio, collectio) (§ 46). La définition résultant de ce processus distingue

la vertu des passions et des puissances (vertu qui est un état habituel), de l’état habituel

naturel (vertu qui est un état habituel volontaire), et de l’état habituel volontaire mauvais, ou

vice (vertu qui est un état habituel volontaire bon) (§ 70).

Sexta lectio (f. 101v-106r) : Non autem omnis operatio suscipit medietatem (ÉN II, 6, 1107a8-

1108b10)

Une fois déterminée la cause formelle de la vertu in communi (ou in universali ; cf.

cinquième leçon, § 1), l’auteur entend montrer cette cause formelle in particulari. La Divisio

textus (§ 1) sépare le texte en deux : on traite d’abord des opérations n’admettant pas la

médiété, pour examiner ensuite les opérations particulières qui admettent la médiété (cf.

Tableau 10, Appendice C).

L’intention de ces deux parties est expliquée dans la Sententia (§ 2-3, première

partie ; § 4-7, deuxième partie). Or, cette leçon anormalement longue (elle compte 155

paragraphes) est coupée en trois sections (on y trouve trois groupes de questions et deux

exposés sur la lettre), car la deuxième partie de la leçon est divisée en deux selon les

caractéristiques des médiétés considérées.

Le premier regroupement de Questiones (§ 8-25) porte sur la première partie de la

leçon (1107a8-11107a26). À l’aide de quelques contre-exemples, la première question <1>

remet en cause l’idée d’Aristote que certaines opérations, par exemple l’homicide ou la

réjouissance des maux, n’admettent pas la médiété (§ 8-9 ; rép. § 11) ; en rapport avec cela,

on demande ensuite <2> quelle est la différence entre le bien par nature, le bien et le mal in

genere et le bien et le mal ex circumstantia (§ 11, rép. § 12-21). Le questionnaire se poursuit

avec deux questions sur les exemples particuliers invoqués en <1> ; on demande : <3> si

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l’adultère peut être bon ou du moins indifférent d’après les circonstances (§ 22) ; <4> si la

réjouissance des maux peut être bonne d’après sa finalité (§ 23) ; une dernière question <5>

demande s’il est juste de dire qu’il n’y a pas de médiété de l’excès et du défaut (§ 24, rép.

§ 25). Le point le plus remarquable de cette section est sans aucun doute l’application des

notions bonum nature, bonum in genere et bonum ex circumstantia (dont la caractérisation

est ici partiellement empruntée à Philippe le Chancelier et à d’autres Sommes de l’époque) à

l’interprétation de l’Éthique (ce qui est d’ailleurs fréquent dans les textes de la première

moitié du XIIIe siècle). Suivant la Summa de bono du Chancelier Philippe, le maître distingue

quatre façons de comprendre le bien selon les quatre causes (tout en accordant à la cause

finale une importance supérieure) : efficiente, formelle, matérielle et finale. Toutefois, il faut

noter que le maître ne mentionne pas ici le bonum gratie.

Le deuxième bloc de questions (§ 26-56) porte sur une première section de la

deuxième partie de la leçon. Après une première question de type méthodologique <6> sur

la justesse de dire que le discours portant sur l’universel manque de rigueur (sermones

universales esse inanes) (§ 26, rép. § 27), le maître pose plusieurs questions sur les médiétés

distinguées de manière particulière : <7> si le courage est relatif à la crainte et à l’audace

(§ 28) ; <8> en quoi diffère la crainte sur laquelle porte le courage de la crainte qui est

l’extrême opposé par rapport au courage (§ 29, rép. § 33-34) ; <9> pourquoi l’auteur ne

détermine pas sur quel type de craintes porte le courage (§ 30-31, § 32) ; <10> de quelle

manière on n’applique pas en propre l’intention de la crainte au courage (§ 35) ; <11> de

quelle manière le courage a deux médiétés (comme semble le considérer le maître), et non

pas une seule (§ 36, rép. § 37) ; <12> et pourquoi il existe une dénomination pour celui qui

excède d’audace, et non pas pour celui qui excède de crainte (§ 38) ; <13.1> pourquoi la

seule vertu liée aux plaisirs et aux peines est la chasteté et <13.2> pourquoi l’une des

extrémités de la chasteté n’a pas de nom (§ 39, rép. § 40-41) ; <14> pourquoi, dans le cas de

la libéralité, on ne détermine pas deux médiétés, l’une pour l’acte de donner, l’autre pour

l’acte d’acquérir (§ 42, rép. § 44) ; <15> si dans le lemme « circa dationem pecuniarum »

(1107b8-9) on ne prend pas la libéralité par soi (§ 43, rép. § 45) ; <16> à une onzième

question sur la simonie on a répondu, sans que l’on y trouve sa formulation explicite (§ 46) ;

on se questionne aussi <17> sur la magnificence en tant qu’espèce du courage (d’après une

référence à Cicéron) (§ 47, rép. § 49) ; <18> et sur la différence entre la libéralité et la

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magnificence (§ 48, rép. § 50) ; <19> et pourquoi la médiété relative à la magnificence, ainsi

que celles qui suivent, ont rapport au grand et au petit (§ 51) ; <20.1> sur la magnanimité qui

est, d’après Cicéron, condition du courage (§ 52, rép. § 55) ; <20.2> pourquoi l’une des

extrémités relatives à la magnificence n’a pas de dénomination (§ 53, rép. § 56) ; <20.3>

pourquoi les extrêmes relatifs à cette médiété sont dits du moyen terme aux extrêmes, et non

pas les autres (§ 54, sans réponse).

La première Expositio littere (§ 57-81) reprend les considérations faites dans le corps

des questions. Le maître revient sur la question méthodologique en nous rappelant que la

connaissance de la vertu morale doit être dans l’universel, de sorte qu’on la connaisse à partir

de ce qui est premier par nature, mais aussi dans le particulier, et également qu’on la

connaisse par ce qui est premier quant à nous (§ 63). Le maître nous apprend aussi le critère

utilisé pour séparer les deux blocs de questions sur la deuxième partie de la leçon : on a traité

des six médiétés relatives à ce qui est extérieur (le corps, les biens de la fortune, etc.) ; il faut

ensuite traiter des médiétés dont l’acte est intérieur (§ 80-81).

Le troisième regroupement de Questiones (§ 82-134) est notablement plus développé

que le deuxième. Le maître invoque à maintes reprises l’autorité de Cicéron, afin de la

concilier avec celle d’Aristote. Il se questionne : <21> sur l’humilité en tant qu’elle est une

médiété et s’oppose à la superbe (§ 82, rép. § 83-86) ; <22> sous quelle des quatre vertus

principales se trouve la vérité (§ 87, rép. § 88) ; <23> quelle est la différence qui fait que l’on

parle dans l’Éthique de douze médiétés, alors qu’il y a quatre vertus cardinales (§ 89, rép.

§§ 90-91) ; <24> pourquoi dans le lemme de Cicéron on lit que « trois choses sont à chercher,

la science, la vertu et la vérité » (De inv., II, LII, 52), alors que la vérité est contenue sous la

vertu (§ 92, rép. § 93) ; <25> de quelle manière se trouvent l’ironie et l’ironique par rapport

aux extrémités de la vertu (§ 94, rép. § 96) ; <26> pourquoi, si l’on peut transgresser la vérité,

la diminuer ou encore dire ce qui lui est contraire, il n’y pas trois malices relatives à la vérité

(§ 95, rép. § 97) ; <27> pourquoi la vérité diminuée fait défaut à la vertu et est posée à partir

du défaut (§ 98, sans réponse) ; <28> et pourquoi il y a deux noms quant à cette partie-là,

ironie et irascio1 (§ 99) ; <29> pourquoi l’amitié se trouve parmi les vertus, alors que cela

semble contredire l’autorité de Cicéron (§ 100, rép. § 101) ; <30> pourquoi l’amitié est dite

1 L’auteur suit ici une lecture fautive de yron attestée dans certains manuscrits de l’Ethica Vetus.

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être dans toutes les choses relatives à la vie (§ 102, rép. § 103) ; on se questionne aussi <31>

sur les deux extrêmes relatifs à l’amitié (§ 104, rép. § 105) ; <32.1> et de quelle manière est

considérée la révérence (« uerecundia ») selon l’acte de la vertu commune, l’irascible

(§ 106) ; <32.2> et pourquoi l’auteur dit que la révérence n’est pas une vertu (§ 107, rép.

§ 108-109) ; <33> si l’indignation (« nemesis ») comprend la réjouissance dans le mal arrivé

aux méchants et le bien arrivé aux bons ainsi que l’affliction dans le mal arrivé aux bons et

le bien arrivé aux méchants etc. (§ 110, rép. § 111-112) ; <34> comment l’indignation peut

être un bien, puisqu’elle entraîne l’affliction (§ 113, rép. § 114) ; <35> si la justice est une

vertu dans la mesure où elle contient la justice positive et la justice naturelle (§ 115-117 rép.

§ 118-119) ; <36> si toute vertu est comprise sous la justice (§ 120-122, rép. § 123-127) ;

<37.1> pourquoi Aristote n’assigne pas de médiété à la justice et à la prudence (§ 128, rép.

§ 129) ; <37.2> quels sont les actes propres à la justice et à la prudence (§ 130, sans réponse) ;

<38> sur l’ordre des vertus exposées (§ 131, rép. § 132-134).

Outre l’importante place occupée par Cicéron (qui n’est guère mentionné dans le reste

du commentaire ; cf. § 88, § 92, § 100, § 116, § 119) et la présence d’autres autorités de profil

théologique, telles qu’Augustin (§ 122) et Hilaire (§ 93), on doit mentionner (en raison de

l’utilité pour le propos de ce travail) les remarques méthodologiques que le maître fait sur le

texte. D’après lui, dans le passage Aristote ne se réfère pas à la justice et à la prudence car

leurs actes, intérieurs, sont difficilement saisissables, et ils ne sont donc pas utiles pour nous

faire connaître la vertu morale « par le mode inductif » (§ 129) ; il faudrait pourtant pouvoir

parler à propos de ces actes « de manière certaine, et non seulement <selon> le mode

exemplaire » (§ 130).

La dernière partie de l’Expositio littere (§ 135-155) inclut une analyse étymologique

des noms grecs utilisés par Aristote dans la dénomination des vertus et des vices. Le maître

laisse aussi savoir qu’Aristote traitera de certaines autres médiétés ailleurs, car il se concentre

ici sur celles qui peuvent s’avérer utiles pour la connaissance de la vertu morale (§ 153 ; cf.

§ 129).

Septima lectio (f. 106r-108r) : Tribus utique existentibus (ÉN II, 8, 1108b11-1109b27)

Comme d’habitude, le maître rappelle dans la Sententia (§ 1-7) les connaissances

déjà acquises (nous savons maintenant ce qu’est la vertu morale, dans l’universel, et dans le

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particulier). La septième leçon est censée traiter (d’après la division générale établie par le

maître au début) « des conséquences » s’ensuivant des causes matérielle et formelle de la

vertu. Aristote traite donc dans cette section de l’opposition entre les dispositions vertueuses

et vicieuses dont on a parlé. La septima lectio compte ainsi trois parties : l’une sur (1108b11-

1108b26) l’opposition réciproque entre les trois dispositions morales (excès, moyen terme,

défaut) ; l’auteur (1108b26-1109a5) montre que les extrêmes s’opposent entre eux plus qu’ils

ne s’opposent au moyen terme ; finalement (1109a5-1109b27), Aristote montre les deux

causes par lesquelles l’un des extrêmes s’oppose au moyen terme plus que l’autre : une cause

est en nous, l’autre est dans la réalité.

Le bloc de Questiones se divise en trois. Dans la première série de questions-

réponses, le maître pose, à propos du lemme toutes <les dispositions> s’opposent à toutes

(1108b13) (§ 8), les difficultés suivantes : <1> il semble que les malices ne s’opposent pas

de manière contraire, ni en tant que malices, ni en tant qu’excès et défaut (§ 8, rép. § 11-12) ;

<2> il semble qu’il y ait une malice contraire à la vertu qui ne s’oppose pas à elle par privation

(et qui aurait donc une certaine entité) (§ 9, rép. § 13) ; <3> ou bien la malice n’est pas

contraire à la vertu, ou bien l’excès et le défaut ne sont pas contraires (car ils sont dans un

même genre qui a un contraire) (§ 10, rép. § 14-16). Le point le plus remarquable de cette

section est la distinction, dans la réponse à <3>, entre trois discours offrant des solutions

diverses au même questionnement : celui du philosophe moral (vices et vertus appartiennent

à trois genres), celui du logicien (les vices opposés sont dans un même genre) et celui du

philosophe naturel (vices et vertus appartiennent à deux genres différents) (§ 14-16). Le

maître a aussi recours au chapitre des Catégories sur la quantité (6, 6a4-11), où Aristote

affirme que le petit et le grand ne sont pas des contraires.

La deuxième série de questions aborde le problème d’un point de vue très différent,

car, plutôt que d’exposer les difficultés du texte aristotélicien, le maître fait intervenir

plusieurs notions tirées de son contexte immédiat (voire la discussion théologique sur

l’opposition entre bien et mal et étant et non-étant). Le maître se demande : <4.1> si la malice

peut s’opposer à la vertu de manière contraire, <4.2> et si l’on appelle privation uniquement

l’absence de perfection d’une puissance (§ 17, rép. § 21) ; <4.3> de quelle manière l’état

habituel mauvais corrompt l’état habituel bon (car, étant opposé à la vertu uniquement en

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tant que mal, i.e. non-étant, et non en tant qu’habitus, le vice n’aurait pas la capacité de

corrompre) (§ 22, rép. § 23) ; <4.4> de quelle manière le bien est sujet du mal (§ 24, rép.

§ 25) ; <5> et si le bien et le mal sont des contraires, de quelle manière l’un est naturellement

sous l’autre (§ 18-20, rép. § 26). En reprenant un discours nettement philosophique, le maître

pose encore certaines difficultés concernant le lemme toutes <les dispositions> s’opposent

à toutes : <6> il semble y avoir une contradiction avec l’affirmation de la Métaphysique que

chaque chose n’a qu’un contraire (Mét. X, 5, 1055b30), selon que la contrariété est définie

comme « distance parfaite à l’intérieur d’un même genre » (Mét. X, 4, 1055a16-17) (§ 27,

rép. § 28-30) ; <7> pourquoi le moyen terme s’oppose aux extrêmes, étant donné qu’ils ne

sont pas dans le même genre (comme l’exige, rappelons-le, la définition de contrariété citée

ci-dessus) (§ 31, rép. § 32) ; <8> pourquoi la contrariété des extrêmes entre eux est plus

grande que leur contrariété relativement au moyen terme (§ 33, rép. § 34-36) ; <9>

finalement, revenant en quelque sorte sur la distinction entre les points de vue moral, logique

et naturel mentionnés dans le premier bloc de questions, le maître se demande aussi pourquoi

cette double contrariété (moyen – extrêmes / extrême –extrême) est traitée dans les contraires

moraux, et non pas en relation aux contraires naturels ou selon la raison (§ 37, rép. § 38). Le

traitement du problème de la contrariété multiple entre les vices et les vertus présente de

nombreux parallèles avec les textes artiens sur les Catégories, car le maître prend comme

pierre de touche de son questionnaire le chapitre 11 des Catégories (que l’on considère à

l’époque comme consacré à la contrariété dans la morale). Le maître envisage aussi une

discussion sur le mal en tant que privation qui n’est pas sans rappeler les développements

contemporains de Philippe le Chancelier.

Une première section de l’Expositio littere (§ 39-49), dont le commencement et la fin

sont clairement indiqués par l’auteur (à la différence de ce qui arrive dans le reste des leçons),

passe en revue tout le passage commenté, tout en appliquant à l’interprétation du texte les

points éclairés par la discussion précédente.

Le dernier regroupement de Questiones (§ 50-56) s’interroge : <10> sur la différence

entre la découverte du moyen terme dans les autres parties de la philosophie et la découverte

du moyen terme dans la morale (§ 50, rép. § 51-52) ; <11> de quelle manière est-il possible

de connaître le bien à partir du mal, et comment peut-on distinguer le mal du moyen terme

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(§ 53, rép. § 54) ; <12> s’il n’y a pas dans le mal du plus et du moins, comment peut-on se

séparer de ce qui est plus contraire au moyen terme (§ 55, rép. § 56).

La dernière partie de l’Expositio littere (§ 57-67), dont le commencement et la fin

sont aussi indiqués explicitement (« Expositio autem littere est talis...hec fuit intentio »),

porte principalement sur ÉN II, 9 (1109a25-1109b27), un passage que le maître n’a pas traité

dans l’espace consacré aux questions, dont l’intention est, comme l’atteste le tout dernier

paragraphe, de « déterminer que l’état habituel moyen est digne d’éloge » (§ 67).

III. Bilan

L’analyse de la division et de la structure de la Lectura Abrincensis met en évidence

quelques points importants que nous passons en revue rapidement.

D’abord, la Lectura Abrincensis fait preuve d’une cohérence interne remarquable :

dans le développement du commentaire, le maître suit de très près la division générale établie

au début ; en conséquence les renvois internes sont facilement identifiables. À cela, il faut

ajouter que certains points doctrinaux caractéristiques sont rappelés tout au long du texte, de

sorte que le cadre théorique avancé dans le Prologue est bel et bien celui que le maître

applique dans toutes les leçons consacrées au livre II. Nous pensons donc que tout le

commentaire est le travail d’un même maître ès arts (en excluant, évidemment, les leçons

provenant du commentaire du Pseudo-Peckham [XIV-XVI]).

En outre, l’inclusion du premier livre dans la division générale de l’Éthique présentée

dans le Prologue et les renvois fréquents aux sujets traités dans ce premier livre, avec les

marques temporelles jointes à ces renvois (consequenter, determinabitur, etc.) nous

permettent de conjecturer que le maître a commenté aussi l’Ethica Nova, quoique cette partie

de l’ouvrage ne soit pas conservée.

Finalement, dans l’étude de la division du livre des Éthiques nous avons remarqué de

nombreux parallèles avec des commentaires et des textes didascaliques contemporains,

notamment avec le Commentaire anonyme de Paris (1235-1240), lequel remet en cause la

division du livre II présentée par la Lectura Abrincensis. Ceci permet de confirmer l’idée

avancée dans le chapitre II : nous sommes devant un commentaire du milieu artien parisien

datant des années 1230-1240.

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Deuxième partie : Éthique et Logique au XIIIe siècle : l’interprétation artienne de

l’Éthique

Chapitre I. Le rôle de la logique dans le cursus artien : caractérisation de la logique dans les

textes artiens de la période 1230-1245

I. Présentation générale

La nature et le rôle de la logique sont fréquemment discutés dans les textes artiens de

l’Université de Paris1. Outre le fait de savoir si la logique est une partie de la philosophie (en

plus d’être un instrument orienté vers le développement des autres sciences), on se questionne

sur sa matière ou son sujet2. Or, puisque ce problème dépasse les limites du présent travail

(car nous envisageons surtout l’application instrumentale de la logique à l’enseignement et à

l’interprétation de l’Éthique3, et les maîtres eux-mêmes [dans les textes que nous considérons

1 On a remarqué la place privilégiée que la logique occupait dans le cursus artien des années 1230-1240. La

connaissance de la philosophie naturelle étant encore peu approfondie, la plupart des Lecturae artiennes

portaient sur la logique, la grammaire et l’éthique. 2 Sur le problème du sujet de la logique, voir par exemple : A. ROBERT, « Le débat sur le sujet de la logique » ;

B. TREMBLAY, « Nécessité, rôle et nature de l’art logique d’après Albert le Grand » ; ID., « Albert le Grand et

le problème du sujet de la science logique », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 22 (2011),

p. 301-345 ; S. EBBESEN, « What counted as logic in the thirteenth century ? », dans M. CAMERON et J.

MARENBON (éds), Methods and Methodologies. Investigating Medieval Philosophy, Leiden, Brill, 2011, vol. 2,

p. 93-107 ; A. STORCK, « The Meanings of ‘Logic’ in the Thirteenth Century », Logica universalis, 9, 2 (2015),

p. 133-154. 3 Sur ce point (l’utilité des modi procedendi étudiés dans la logique pour l’interprétation de l’Éthique à

Nicomaque) on se permet de renvoyer à un antécédent très ancien (mais inconnu de l’occident latin jusqu’en

1268), remarqué par B. Morison : Simplicius évoque le témoignage de ceux qui affirment qu’« aborder le reste

des œuvres d’Aristote sans avoir maîtrisé l’art de la démonstration reviendrait à rencontrer Circé sans être muni

de l’herbe magique d’Hermès » ; en effet « on ne peut pas immédiatement discipliner les mœurs par la lecture

des écrits éthiques d’Aristote, puisque dans ces ouvrages il a exposé son enseignement avec ‘des divisions et

des démonstrations’ » ; Simplicius affirme d’ailleurs, comme le feront aussi plusieurs artiens de la période ici

étudiée, que « la démonstration permet de discerner le bien et le mal dans les actions, le vrai et le faux dans les

connaissances ». Nous suivons ici (même pour ces traductions fragmentaires) l’étude de B. MORISON, « Les

Catégories d’Aristote comme introduction à la logique », dans O. BRUUN et L. CORTI, Les Catégories et leur

histoire, Paris, Vrin, 2005, p. 105-106. Nous renvoyons ici aux fragments pertinents de Simplicius dans la

traduction latine de Guillaume de Moerbeke, que le monde latin a vraisemblablement connue après 1268. Cf.

SIMPLICIUS, In Aristotelis Categorias commentarium, trad. G. DE MOERBEKE, éd. PATTIN, vol. II, p. 6, l. 25-

28 : « Quidam igitur ab organicis aiunt oportet incipere ; haec enim in nobis efficiunt ipsum discernere in

actionibus quidem bona et mala, in cognitionibus autem verum et falsum [...] » ; cf. aussi, p. 7, l. 36-50, p. 8, l.

51-55 : « Quidam autem a moralibus instituunt fieri principium ; aiunt enim quod organa mediorum sint et

possibile est ipsis bene et male uti [...] Si autem illa tradidit Aristoteles cum divisionibus et demonstrationibus

maxime scientificis, quomodo sine demonstrativis artibus procedentes ad ipsa poterimus in aliquo proficere ?

Forte quidem igitur opus est omnino praeinstitutione, sed non ea quae tradita est per moralia Aristotelis, sed per

non scriptam assuefactionem et persuasiones inartificiales, quae sine scriptura et cum scriptura mores nostros

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ici] soulignent le plus souvent l’aspect instrumental de la logique [et des sciences

« langagières » en général])1, nous nous limiterons à mettre en relief uniquement deux aspects

bien précis de la logique artienne de la période 1230-12452 : sa fonction instrumentale par

rapport aux autres sciences, et l’inclusion, dans son sujet de recherche et en tant qu’outils par

excellence de tout savoir scientifique, des différentes méthodes que nous verrons appliquées

aux disciplines particulières (ou speciales) de la philosophie (en particulier, les modes

diffinitivus, divisivus et collectivus, orientés eux-mêmes vers la formation du syllogisme, et

le modus exemplorum suppositivus, destiné à faciliter l’enseignement, le tout étant combiné

avec la division cicéronienne de la logique en ars inventiva et ars iudicativa). Nous porterons

une attention spéciale au rôle joué par la logique dans l’enseignement et la transmission des

sciences.

On se servira spécialement (mais pas exclusivement) des textes didascaliques

parisiens de la période 1230-1245, ainsi que des Prologues aux commentaires artiens

(notamment ceux de Nicolas de Paris et Robert Kilwardby) sur les traités de l’Organon.

II. Le rôle instrumental du langage

La classification artienne des sciences place la logique à l’intérieur du trio des

sciences rationnelles ou « langagières » (sermocinales), la grammaire, la rhétorique et la

logique3, liées à l’étude du langage ou discours (sermo) à travers lequel nous sommes

capables d’exprimer les concepts formés par la raison et de transmettre (ou enseigner) les

sciences aux autres (car le langage, fondé sur la réalité, signifie les choses)4.

dirigunt, secundum quam logicae et demonstrativa methodi ; et post illas de moribus scientificos sermones et

eos qui de entium theorica scientifica poterimus suscipere ». 1 Qui sont parfois appelées sciences « adminiculativae » ; cf. C. MARMO, « Suspicio : A Key Word to the

Significance of Aristotle’s Rhetoric in Thirteenth Century Scholasticism », CIMAGL, 60 (1990), p. 152. 2 Les considérations sur le sujet de la logique en tant que science seront donc réduites au minimum. 3 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. C. LAFLEUR et J. CARRIER, « L’Introduction à la philosophie de maître

Nicolas de Paris », dans LAFLEUR et CARRIER (éds), L’enseignement de la philosophie au XIIIe siècle, p. 460,

§ 29 : « Et secundum hoc diuiditur rationalis philosophia, que est de sermone [...] in partes tres, scilicet in

gramaticam, loycam et rethoricam. Et hec tres scientie dicuntur ‘triuium’, id est tres uie in naturalem

philosophiam et moralem » ; ID., Rationes sex principiorum, ms. Vatican, Biblioteca Apostolica, lat. 3011 (= V),

f. 11rb : « Omissa naturali et morali et earum diuisionibus ad presens de rationali prosequamur que diuiditur in

tres scilicet in gramaticam, loycam et rethoricam » ; ANONYME, Philosophica disciplina, éd. LAFLEUR, Quatre

introductions à la philosophie au XIIIe siècle, p. 274, l. 314-315 : « Modus accidentalis philosophie, qui est

sermocinalis scientia, diuiditur in tres secundum aliquos [...] ». 4 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 459, § 26 : « Rationalis philosophia est de rebus

qua ratio sibi format, que tamen fundantur in rebus naturalibus inquantum significantur res per sermonem » et

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L’Introduction à la philosophie du maître Nicolas de Paris (texte qui doit être situé

vers 1230-1240)1 insiste à maintes reprises (dans l’espace de quelques pages) sur le rôle

instrumental du langage. Cette instrumentalité se rapporte de manière fondamentale à

dimension doctrinale de la science, c’est-à-dire, à sa transmission et à son enseignement2 : la

science est transmise grâce au langage, et c’est pourquoi les sciences rationnelles, instituées

en vue de cette transmission (doctrina), doivent s’en occuper3. Cette doctrine est le fruit de

la raison : car la nature fournit les choses sur lesquelles porte toute doctrine, mais n’est pas

capable d’engendrer la doctrine elle-même : les arts rationnels viennent ainsi la

« compléter »4. En contrepartie, nous formons des discours portant sur la réalité, mais nous

p. 459, § 27 : « Est autem sermo promptissimum intrumentum per quod generatur doctrina » ; ARNOUL DE

PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 336, l. 562-563 – p. 337, l. 564-566 : « Hec autem est de

sermone, tanquam de obiecto sensus quod promptium habemus ut per ipsum quod in mente conceptum est aliis

exprimamus [...]. Est autem de sermone triplex scientia, – que ‘trivium’ appellatur [...] ». 1 Cf. LAFLEUR et CARRIER, « L’Introduction à la philosophie de maître Nicolas de Paris », p. 448. 2 Le maître évoque ainsi, il nous semble, le sens essentiel du mot doctrina (presque équivalent parfois à celui

de disciplina ; au paragraphe § 27 [in fine] le maître dit, en effet, « doctrina et disciplina »), lié justement à la

dimension pédagogique, acception que M.D. Chenu, évoquant le sens « le plus élémentaire et le plus général »

du mot disciplina, résume dans la formule « enseignement par lequel se transmet la science » ; cf. M.D. CHENU,

« Notes de lexicographie philosophique médiévale : Disciplina », RSPT, 16 (1936), p. 688. Le Guide de

l’étudiant définit la doctrine comme « transmission de l’art qui rend l’homme docte » ; ainsi, selon l’Abrégé

parisien, les mots scientia, facultas, ars, doctrina, disciplina et philosophia réfèrent à une même chose prise

différemment. Cf. ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR, § 2 : « Notandum igitur

quod hec nomina, scilicet ‘philosophia’, ‘scientia’, ‘doctrina’, ‘disciplina’, ‘ars’ et ‘facultas’, idem sonant, sed

differenter. Est enim ‘philosophia’ nomen ab inuentione dictum ; unde philosophi inuenientes causas rerum,

inuentores uel etiam amatores scientie uel scientiarum dicuntur. ‘Scientia’ uero dicit habitum acquisitum in

anima. ‘Doctrina’ dicit traditionem artis que reddit hominem doctum. ‘Disciplina’ denotat copulam magistri ad

discipulum. ‘Ars’ autem dicit operationem uel compositionem scientie. ‘Facultas’ autem dicitur quia reddit

hominem facundum uel fertilem in scientia ; unde et diuitie facultates solent appellari » ; cf. aussi la version

éditée comme « Appendice I » [Accessus philosophorum. Prologus spurium] dans LAFLEUR, Quatre

introductions à la philosophie, p. 377, l. 9-17 : « Notandum igitur quod hec nomina, ‘philosophia’, ‘scientia’,

‘doctrina’, ‘disciplina’, ‘ars’ et ‘facultas’, idem sunt set differunt. Est enim ‘philosophia’ tantum ab inuentione

dicta, unde et philosophi amatores uel inuentores scientie uel scientiarum dicuntur. ‘Scientia’ uero dicit habitum

acquisitum in anima. ‘Doctrina’ uero dicit traditionem artis que reddit hominem doctum. ‘Disciplina’ denotat

collectionem magistri ad discipulum. ‘Ars’ dicit comparationem uel compositionem scientie. ‘Facultas’ uero

dicitur que reddit hominem facundum uel fertilem in scientia, unde et diuitie ‘facultates’ solent appellari ». 3 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 459, § 26 : « Et est rationalis philosophia uia in

alias quantum ad doctrinam. Nam cum doctrina fiat mediante sermone, tota rationalis philosophia de sermone

est. [...] unde tota rationalis philosophia instituta est causa doctrine ». 4 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 459, § 26 : « Ratio enim supplet quod natura

non potuit : natura enim potuit generare ea de quibus est doctrina, sed non potuit generare doctrinam ». Ce

thème se trouve aussi dans d’autres textes introductoires des artiens. Ainsi, Jean le Page ouvre ses Rationes sur

les Catégories avec l’adage « Ars immitatur naturam in quantum potest » (Rationes super Predicamenta, éd.

HANSEN, p. 9, l.1).

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ne créons pas les objets réels perçus par les sens et signifiés par le langage (sauf pour l’objet

« entendu », au moyen duquel la doctrine est faite)1.

Se penchant sur l’aspect « didactique » du langage, le maître Nicolas accorde une

grande importance au processus par lequel la doctrine est acquise ; le philosophe de la nature

et le moraliste peuvent connaître les réalités de manière non discursive, pour ainsi dire ; mais

ils ne sauraient pas en enseigner la vérité sans le langage (car le langage est instrument de

l’enseignement)2. Dans ce processus, le langage oral acquiert une importance remarquable :

c’est par l’audition que l’on retient dans la mémoire quelque chose du discours entendu3, afin

que la doctrine soit produite en nous4. L’enseignement vise donc la production, dans l’âme

de l’auditeur, de l’habitus de connaissance qui est la science. C’est bien par les divers aspects

du langage que le sage peut introduire les hommes à la philosophie : pour que cette

transmission doctrinale soit assurée, le discours doit être correctement ordonné (ce qui relève

de la grammaire) ; mais il doit aussi être vrai (ce qui correspond à la logique) ; or, ceux qui

s’initient à la philosophie ou qui sont « rudes » peuvent nécessiter de l’ornement et de

1 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 459, § 27 : « Est autem sermo promtissimum

instrumentum per quod generatur doctrina. Formamus enim diuersos sermones promtissime pro uoluntate

nostra, sed non formamus sic obiecta aliorum sensuum, sicut obiectus auditus. Et huic concordat Aristotiles,

qui dicit quod ‘animalia auditum iuxta memoriam non habentia indisciplinabilia sunt’, per hoc etiam innuens

quod mediante obiecto auditus, aliquid derelinquente in memoria, fit doctrina et disciplina » ; ID. (?), Super

Priscianum De accentibus, ms. München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14460 (= M), f. 188rb : « [...] quod

est obiectum auditus. Quia obiectum huius sensus magis formamus ad uoluntatem nostram quam obiecta

aliorum sensuum » (Pour l’attribution incertaine [s’agit-il de Nicolas de Paris lui-même ou d’un membre de son

cercle], voir la rubrique Nicolaus Parisiensis dans O. WEIJERS, Le travail intellectuel à la Faculté des arts de

Paris : textes et maîtres [ca. 1200-1500]. VI. Répertoire des noms commençant par L-M-N-O, Turnhout,

Brepols [Studia Artistarum, XIII], 2005, p. 191-197 [p. 193 pour le présent commentaire]) ; PIERRE D’ESPAGNE,

Questiones super librum ‘De animalibus’ Aristotelis, éd. F. NAVARRO SÁNCHEZ, Peter of Spain. Questiones

super librum ‘De animalibus’ Aristotelis. Critical Edition with Introduction, Farnham, Ashgate, 2015, livre IV,

q. 4, p. 188, l. 59-60 : « [...] uox, quod est obiectum auditus, est a principio uoluntario, sed obiecta aliorum

sensuum sunt a principio naturali [...] » ; ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 336, l.

562-563, p. 337, l. 564-565 : « Hec autem est de sermone, tanquam de obiecto sensus quod promptium habemus

ut per ipsum quod in mente conceptum est aliis exprimamus. Nam inter cetera obiecta sensuum illud per

uoluntatem formamus, non sic colores uel sapores [...] ». 2 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 464, § 48 : « Quoniam naturalis posset

cognoscere res per causas sine sermone, similiter moralis posset connoscere res per causam finalem, sed non

potest docere sine sermone » ; ID. (?), Super Priscianum De accentibus, M, f. 188rb : « Vnde omnes

sermocinales scientias que sunt uie in cognitionem siue doctrinam mediante uoce siue sermone sunt de sermone

ut de instrumento illo quod est aptissimum ad docendum ». 3 Cf. ARISTOTE, Métaphysique, A, 1, 980a27-980b29. 4 Voir NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 459, § 27, cité ci-dessus ; ID. (?), Super

Priscianum De accentibus, M, f. 188rb : « Sed ad hoc quod scientia fiet doctrina in discipulo exigitur quod

aliquid relinquatur a doctore in sensu discipulo mediante quod fiat disciplina [...] illud autem mediante quo

scientia fit doctrina quod relinquitur in sensu discipuli est uox siue sermo quod est obiectum auditus ».

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l’éloquence (relevant de la rhétorique) pour se laisser reconduire plus facilement à une vie

ordonnée et pour devenir érudits1.

Placée dans ce trio des sciences langagières, la logique (prise « specialiter », c’est-à-

dire, en tant qu’instrument) joue le rôle de médiatrice : elle ne nous donne pas la science (ou

connaissance) immédiate des réalités (de sorte que l’on puisse s’arrêter dans la seule

connaissance des outils de la raison), mais elle nous enseigne les voies par lesquelles on peut

atteindre cette connaissance : elle est donc (le maître le répète encore une fois) la « voie

<conduisant> vers <la philosophie> naturelle et morale, quant à la doctrine »2.

1 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 459-460, § 28 : « Sapiens autem generat

doctrinam in alio mediante sermone. ‘Sapientis uero est ordinare et non ordinari’. Et ideo, cum ordinet alios

mediante sermone, oportet quod ipse sermo debito modo ordinatus sit. Iterum, cum ‘opus sapientis sit non

mentiri de quibus nouit’ sed dicere uerum, oportet quod ipse sermo mediante quo docet sit uerus. Aliquando

autem insipientes et rudes non acquiescerunt sermoni simplici et communi, et ad tales erudiendos oportet uti

sermone exornato, ut testatur Tullius in Prima rethorica, ubi commendat eloquentiam. Dicit enim quod

antiquitus homines sparsim per rura uagantes more brutorum sibi uitam siluestrem propagabant. Hoc autem

aliquis melioris ingenii uidens et percipiens quod talis modus uiuendi non esset conueniens tam nobili creature,

conabantur eos reuocare ad unitatem et congregationem ut obseruarent honestas regulas uiuendi. Et nullo modo

poterat eos reuocare ab usu solito uiuendi per communia uerba, sed tandem colore et ornatu uerborum eos

mouit. Et ita exornatio sermonum necessaria est ad tales erudiendos » ; p. 460, § 29 : « Et secundum hoc

diuiditur rationalis philosophia, que est de sermone et non de rebus (nisi prout sermonem significantur), in

partes tres, scilicet in gramaticam, loyca, et rethoricam [...]. Est enim gramatica de sermone inquantum perfectus

est et congruus ; loyca uero de sermone inquantum uerus est ; rethorica uero est de sermone inquantum ornatus

est et coloratus ». Cette idée (qui n’est pas sans parallèle dans les textes artiens de l’époque) est suivie de très

près par Arnoul. Cf. ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 337, l. 573-579 : « Aliter

dicunt quidam quod, cum sapiens debeat uti sermone uelut instrumento non quocumque modo set ordinato,

item utendo ipso non debeat mentiri de quibus nouit, iterum quandoque per eum rudes et brutaliter uiuentes

reuocare ad statum meliori modo uiuendi oporteat, conuenit habere scientiam de ordinatione sermonis, que est

gramatica ; et de ueritate dicenda, que est logica ; et de ornatu uerborum, que est rethorica ». Pour les allusions

au « travail » (opus) du sage, cf. IOHANNES DE FONTE (comp.), Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 332,

no 8 : « Duo sunt opera sapientis quorum primum est non mentiri de quibus novit alterum posse mentientem

ostendere id est convincere ». Le thème de l’invention de la philosophie par les anciens se trouve aussi dans

d’autres textes artiens. Cf. par exemple ANONYME, Dicit Aristotiles, éd. LAFLEUR et CARRIER, dans C. LAFLEUR

et J. CARRIER, « La Philosophia d’Hervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d’introductions à la

philosophie du ms. Oxford, Corpus Christi College 283 » (Deuxième partie), AHDLMA, 62 (1995), p. 366, § 4 :

« Huius autem declaratio per hoc quod eius acquisitio fuit possibilis aput Antiquos, ergo multo fortius aput nos.

Dupliciter autem habetur cognitio philosophie, per inuentionem scilicet et per doctrinam, secundum quod dicit

Aristotiles quod ‘omne quod scimus uel inueniendo uel addiscendo scimus’. Ista autem duplici uia possumus

acquirere philosophiam, Antiqui autem per inuentionem solum habuerunt [...] » ; p. 368, § 6 : « Et ideo, quod

Antiqui solum per unam uiam et per unum sensum potuerunt acquirere, Moderni autem duplicem uiam, scilicet

per doctrinam – ad cuius adeptionem prodest auditus – et per inuentionem – ad quam maxime prodest uisus –,

ideo si eis possibile fuit deuenire in cognitionem philosophie, multo fortius est possibile nobis ». 2 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 461-462, § 38 : « Loyca uero specialiter dicta,

cum sit uia – sicut dictum est – in naturalem et moralem (et hoc quantum ad doctrinam), non est scientia in qua

sit status intellectus speculatiui nec docetur in loyca rerum cognitio immediate, sed cognitio uiarum, per quas

uias habent cognosci res et rerum complexiones » ; p. 464, § 48 : « Est autem loyca uia in naturalem et moralem

scientiam. Vnde in ipsa non est status : enim non est status in uia, sed in termino – et hoc per modum doctrine » ;

cette idée s’applique aussi à la grammaire et à la rhétorique. Cf. ID. (?), Super Priscianum De accentibus, M,

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Très différent est le portrait de la logique ou dialectique dessiné par Robert Kilwardby

dans l’introduction à son cours sur la Logica Vetus1, où il attache à la logique une ancienne

description attribuée à la philosophie, à la grammaire, ou encore à la théologie : la logique

est « ars artium et scientia scientiarum »2. Si populaire et répétée soit-elle, cette formule

n’est pas vide de contenu, car la logique constitue effectivement la porte d’entrée de toutes

les disciplines3. C’est par l’art logique que nous arriverons plus facilement et sans erreur à

satisfaire notre désir naturel de connaître4, car elle est la « méthode » (modus) de toutes les

autres sciences5 : le logicien la recherche pour son utilité et non pas seulement pour elle-

f. 188rb : « Sermocionales scientie sunt uie ad alias scientias secundum quod alie fiunt doctrine in discipulo » ;

ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 345, l. 701 : « [...] in istis scientiis que sunt sicut

lingue et uie aliarum [...] ». Nous empruntons la traduction française à C. LAFLEUR, avec la collaboration de J.

CARRIER, Autour d’Arnoul de Provence, Québec (Cahiers du LAPAM, IX), 2004, p. 81-82 (traduction

française : ARNOUL DE PROVENCE, Division des sciences, § 82). 1 Je cite les commentaires de Kilwardby sur la Logica Vetus d’après l’édition partielle présentée par P.O. Lewry

dans sa thèse de doctorat, où il édite les introductions et les leçons initiales des cours sur l’Isagoge, les

Predicamenta, le Peri Hermeneias, le Liber sex principiorum et le Liber divisionum : P.O. LEWRY, Robert

Kilwardby’s Writings on the Logica Vetus Studied With Regard to Their Teaching and Method, Oxford,

University of Oxford, 1978. 2 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 358, l. 19-23 : « Inter omnes quoque artes

primo querenda est illa ars que dicitur ars arcium et sciencia scienciarum, sicut manus dicitur organum

organorum et intellectus species specierum. Hec autem est dialectica siue logica proprio nomine dicta ». Cette

formule très ancienne est souvent donnée dans les cours artiens comme l’une des définitions de la logique,

comme le laisse penser son inclusion dans les Guides d’étude destinés aux étudiants candidats à la licence. Les

origines de cette formule sont d’ailleurs très anciennes, comme l’atteste R.A. Gauthier : elle se retrouve déjà

dans les commentaires grecs de l’antiquité tardive (sous une forme parallèle à celle employée par Kilwardby,

philosophia esti technê technôn kai epistêmê epistêmôn). Pour différents exemples de l’utilisation de cette

formule (de l’Antiquité au Moyen Âge), nous renvoyons à la liste fournie par R.A. Gauthier dans THOMAS

D’AQUIN, Expositio libri Posteriorum, éd. R.A. GAUTHIER, Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia iussu

Leonis XIII P. M. edita, I*, 2, Rome, Paris ; Commissio Leonina, Vrin, 1989, p. 4, notes aux lignes 29-30. Le

Guide De communibus artium liberalium se permet de rappeler cette définition en formule abrégée : « Logica

sic diffinitur : ‘Logica est ars discernendi uerum et falsum’ ; uel sic ‘Logica est ars artium, etc.’ » (ANONYME,

De communibus artium liberalium, éd. C. LAFLEUR, « Un instrument de révision destiné aux candidats à la

licence de la Faculté des arts de Paris, le De communibus artium liberalium (vers 1250?) », Documenti e studi

sulla tradizione filosofica medievale, 5 (1994), p. 155, l. 11-12. 3 Cf. ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 362, l. 12-13 : « Et hoc perfecta est

logice pericia discipline que modos disputandi aperit [...] ». Ceci est évident à une lecture attentive du

commentaire de Kilwardby sur l’Éthique, où les méthodes ou modi décrits comme propres à la connaissance

scientifique sont présents ; cf. chapitre II de cette partie, section II.3.2. 4 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 358, l. 8-11 : « Nos igitur naturaliter scire

appetentes, et per consequens a natura scire potentes, cum nec natura nec naturalis aliquis in quantum talis

aliquid appetit frustrum, artem queramus per quam facilius et sine errore scire possimus ». 5 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 358, l. 23-26 : « Hec enim est modus

omnium aliarum scienciarum, secundum quod dicitur in secundo Metaphisice quod malum est simul scienciam

et modum scienciam querere. Vnde modum aliarum scienciarum logicus querit [...] » ; LAMBERT D’AUXERRE,

Summa logicae, éd. F. ALESSIO, Logica (Summa Lamberti), Florence, La Nuova Italia, 1971, p. 4 : « Alia ratione

dici potest quod est dignior aliis, quia alie modum procedendi quam habent summunt a logica [...] » ; p. 5 :

« Dyalectica ars artium ad principia omnium methodorum uiam habens ». Cf. aussi PIERRE D’ESPAGNE,

Tractatus (Summule logicales), éd. L.M. DE RIJK, Peter of Spain (Petrus Hispanus Portugalensis). Tractatus

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même1. Avec une tournure qui rappelle la comparaison entre art et vertu que nous trouvons

dans la Lectura Abrincensis (où la vertu est comparée à l’art en ce qu’elle « redresse »

l’opérant dans ses opérations)2, Kilwardby souligne que la logique doit être cherchée au plus

haut degré puisqu’elle « rectifie le mode de procéder dans toute science spéciale »3. En

consonance avec ce propos énoncé dans le Prologue du cours sur l’Isagoge, les introductions

aux livres ultérieurs déclarent fréquemment l’utilité de l’œuvre à l’étude « pour les autres

sciences »4. Évoquant l’autorité d’Augustin, Kilwardby place la logique au-dessous de la

vertu5 : la première perfectionne uniquement la partie intellective de l’âme, tandis que la

vertu perfectionne l’âme entière, afin que la double finalité de l’homme soit acquise : la

connaissance du vrai (par la logique, qui nous permet de développer les sciences et d’éliminer

les erreurs) et la compréhension du bien (par la vertu)6.

Or, si la logique est l’instrument permettant d’accéder (en la transmettant) à la

connaissance des réalités signifiées par le langage et si elle est la via menant vers la

philosophie naturelle et la philosophie morale, il faut maintenant préciser (en se limitant en

général aux textes artiens de la période 1230-1245) plus spécifiquement quels sont les

Called afterwards Summule logicales. First Critical Edition from the Manuscripts with an Introduction, Assen,

Van Gorcum & Comp. B.V., 1972, Tract. I, p. 1, l. 4-5 : « Dialetica est ars ad omnium methodorum principia

viam habens ». Il n’est pas certain que les Summule de Pierre d’Espagne aient été rédigées à Paris ; à l’encontre

de cette hypothèse, l’éditeur pense qu’elles ont été composées vers 1235-1240 dans le Sud de la France ; Cf.

l’Introduction de L.M. de Rijk, p. LVI-LVII. 1 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 358, l. 25-28 : « Vnde et modum aliarum

scienciarum logicus querit, quod est eius utilitas, non sui ipsius gracia. Hec enim rectificat modum procedendi

in omni speciali sciencia et quoddamodo in se ipsa ; quapropter maxime est appetenda ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio I, notre édition, § 39 : « [...] notatur per hoc quod

uirtus etiam est quedam ars. Ars enim interpretatur uirtutem uel dicitur ab ‘artando’ ‘ars’, quia uirtus artat

operantem ne declinet in superfluum aut diminutum ». 3 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 358, l. 27-28, citée ci-dessus ; LAMBERT

D’AUXERRE, Summa logicae, éd. ALESSIO p. 5 : « [...] sola logica hoc facit et ita alias dirigit et rettificat (sic) in

suo modo procedendi ». 4 ROBERT KILWARDBY, Notulae super librum Praedicamentorum, éd. LEWRY, p. 381, l. 29-31 : « Patet eciam

utilitas ad alias scientias, cum in hac dicatur uel doceatur prius possite affirmacionis recte summere negationem

oppositam [...] » ; 5 Idée qui trouvera son parallèle dans les commentaires artiens sur l’Éthique. 6 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 357, l. 1-14, p. 358, l. 1-3 : « Cum anima

quodammodo sit omnia, et nata sit ut describatur in ea uniuscuiusque rei similitudo, et duplex sit eius perfeccio,

scilicet cognicio ueri et comprehensio boni, non solum appetit perfici scienciis, ut sic possit cognoscere uerum

set eciam uirtutibus, ut sic posset comprehendere bonum. [...] Inter has quidem multiplex est differencia : una

quod sciencia est perfeccio ipsius partis anime, scilicet partis intellectiue [...] uirtus autem est perfeccio ipsius

tocius anime, et in hoc secundum Augustinum preualet uirtus sciencia [...] et ex hoc ultimo dicto patet quod

prime perfeccio anime est sciencia, ultima uero uirtus completa, quibus maxime appetit perfici ipsa anima ».

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méthodes ou modi par lesquels le philosophe peut persuader l’auditeur de la vérité de son

discours sur la réalité et générer l’habitus de connaissance dans l’âme des disciples.

III. La logique comme méthode

Laissant de côté la grammaire et la rhétorique, centrées sur la congruence et

l’ornement du langage, nous pouvons désormais nous concentrer sur la logique qui, ayant

pour domaine « le vrai », s’occupe d’enseigner la manière de faire connaître les propriétés

des choses réelles, leurs parties et leurs espèces. Cela se fait essentiellement par trois modi,

divisivus, diffinitivus, collectivus (relevant de l’autorité de Boèce) auxquels s’ajoute un mode

complémentaire (exemplorum suppositivus) ; ces modi sont souvent combinés avec la

division cicéronienne de la logique en ars inveniendi et ars iudicandi, comme nous l’avons

dit.

III.1. Divisions de la logique

Malgré l’intérêt que pourrait revêtir une étude détaillée des différentes manières de

diviser la logique en usage à la Faculté des arts dans la période qui nous concerne, on se

contentera ici de dresser un portrait assez synthétique, limité aux aspects qui peuvent s’avérer

pertinents pour le présent travail1.

Les divisions présentées par les artiens varient selon le point de vue sous lequel est

considéré le sujet de la logique, le syllogisme (ou, dans un sens plus large, l’argumentation

ou le raisonnement réductibles au syllogisme)2. Ainsi, selon l’une des divisions courantes,

1 La variété des divisions utilisées dans le milieu artien est bien représentée par le Guide de l’étudiant, qui en

examine plusieurs. Ce point est mis en avant par C. Lafleur, qui offre aux lecteurs de nombreux tableaux

facilitant la compréhension. Cf. C. LAFLEUR, « Logique et théorie de l’argumentation dans le ‘Guide de

l’étudiant’ (c. 1230-1240) du ms. Ripoll 109 », Dialogue, XXIX (1990), p. 335-355. Sur la grande variété et

complexité de ces divisions, voir aussi C. LAFLEUR, D. PICHÉ et J. CARRIER, « Porphyre et les universaux dans

les Communia logice du ms. Paris, BnF, lat. 16617 », LTP, 60, 3 (2004), p. 500, note 2. C. Marmo donne une

vision synthétique des différentes divisions de la logique utilisées vers 1250 ; MARMO, « Suspicio: A Key

Word », p. 156-159. On consultera aussi avec profit l’article de J. BRUMBERG-CHAUMONT, « Les divisions de

la logique selon Albert le Grand », dans BRUMBERG-CHAUMONT (éd.), Ad notitiam ignoti, p. 335-416. 2 ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR, p. 155, § 3, l. 13-14 : « Subiectum in logica est

sillogismus, quia de sillogismus et eius partibus et passionibus determinatur per totam logicam » ; ROBERT

KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 178, 523, l. 20-26 : « Ex his perpendi potest facile subiectum

logicae et finis atque definitio. Subiectum enim ratiocinatio est. Ad ipsam enim reducuntur omnia quae in logica

traduntur tamquam partes subiectivae vel integrales vel aliquo tali modo. Qui autem ponunt eius subiectum

sillogismum in idem redeunt. Omnes enim modi ratiocinationum, sicut docet Aristoteles in Prioribus, vim

habent ex sillogismo et in ipsum reducuntur » ; PSEUDO-JEAN LE PAGE, Sicut dicit philosophus, éd. préliminaire

de C. LAFLEUR et J. CARRIER, § 25 (Padova, Bibl. Univ. 1589, f. 4 [=P2] ; Vat. lat. 5988, 63vb-64ra [V1]) : « [...]

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les traités de l’Organon sont distingués selon les différents aspects du syllogisme qu’ils

traitent : les termes composant ses propositions, qui en sont la matière « éloignée »

(Catégories), les propositions qui composent à leur tour le syllogisme, ou sa matière

« rapprochée » (Peri Hermeneias), le syllogisme en général ou traité de manière exemplaire

(Premiers Analytiques), le syllogisme démonstratif (Seconds Analytiques), le syllogisme

dialectique (Topiques) et le syllogisme apparent (Réfutations sophistiques)1.

Or, l’Organon est, dans le milieu universitaire, complété par d’autres traités dont il

faut expliquer l’utilité : si les ouvrages d’Aristote exposent tout ce qui concerne l’être de la

logique (de esse logices), les traités supplémentaires sont en vue du « bien-être » de la logique

(de bene esse logices)2. Cette partie inclut donc l’Isagoge de Porphyre, introduisant à l’étude

des Catégories, les traités de Boèce Sur la division (qui est parfois censé traiter aussi de la

définition), sur les Topiques et sur les syllogismes hypothétiques et catégoriques et le

complément aux Catégories qu’est le Liber sex principiorum. La signification de cette

expression « de bene esse logices » mérite quelque attention, car on trouve ici, encore,

l’aspect pédagogique qui était si important dans la description des sciences du langage.

Certains thèmes semblent en effet « superflus », car ils ne font pas partie de la discipline

« quant à son intégralité » ; mais ils sont utiles « propter addiscentes » ou « propter

audientes » (pour ceux qui apprennent ou entendent)3 ; ces livres sont en effet très utiles aux

circa logicam insistamus. Et quia unaqueque scientia secundum partes sui subiecti diuiditur, cum logica sit tota

ad sillogismum, diuidamus eam secundum acceptionem sillogismi » ; ANONYME, Compendium examinatorium

Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 503 : « [...] et ideo dicitur quod tota logica propter sillogismum est. Et

ex hoc ponitur sillogismus esse subiectum totius logices ». 1 Cette division est très courante, mais les différentes expositions présentent des variantes que nous laissons ici

de côté. 2 LAFLEUR, « Logique et théorie de l’argumentation dans le ‘Guide de l’étudiant’ », p. 338-340 ; S. EBBESEN,

« What counted as logic in the thirteenth century ? », p. 95 (avec la note 3) ; ANONYME, Compendium

examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 513 : « Et per hoc etiam patet quod sunt .VI. libri

principales logice. Vnde si sint alii, dicimus quod potius sunt de bene esse quam de esse logices, ut patet, quia

liber Porphirii est introductorius ad librum Predicamentorum [...] ». Une telle distinction se trouve aussi en

grammaire : cf. ANONYME, Philosophica disciplina, éd. LAFLEUR, p. 277, l. 366-368 : « [...] et quia est solum

pars accidentalis gramatica et de bene esse, ideo Priscianus deseruiens artis necessitati nichil de ethimologia

determinauit ». 3 Ainsi, Kilwardby déclare, par rapport à l’Isagoge : « Ad hoc notandum quod doctrina hic tradita est de

integritate logices quantum ad bene esse, non tamen de esse ; nec Aristotiles considerans artem fuit diminutus,

nec Porphirius considerans addiscentes [N.B. : le manuscrit Madrid, Biblioteca universitaria, 73 lit

« audientes »], uolens eas satisfacere, erat superfluus : sic igitur est de bene esse artis logices » (ROBERT

KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 360, l. 19-23). La même formule se répète de manière

quasi identique (en mentionnant cette fois le nom de Boèce) dans le Commentaire sur le Liber diuisionum :

« Dicendum quod non est de esse logices sed de bene esse, nec Aristoteles considerans artem erat diminutus,

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« studentes in logicalibus »1, et sont transmis « en vue de l’explication »2 ou encore pour que

soient connues « plus facilement » les choses exprimées de manière difficile dans les traités

d’Aristote lui-même.

Or, deux autres divisions se superposent à ces deux premières, centrées cette fois sur

le rôle méthodologique et instrumental que la logique acquiert face aux autres sciences. Ainsi

considérée, la logique contient en soi l’étude des modi applicables à toute science spéciale,

par lesquels nous arrivons à connaître son sujet quant à ses propriétés, ses parties et ses

espèces : appuyés principalement sur l’autorité de Boèce3, les maîtres distinguaient trois

nec Boecius considerans addiscentes fuit superfluus » (ROBERT KILWARDBY, Liber divisionum, LEWRY, p. 409,

l. 36-40). 1 ROBERT KILWARDBY, Liber divisionum, éd. LEWRY, p. 411, l. 1-7 : « In prima ergo parte terminat hanc

questionem in partem affirmatiuam, an sit utilitas, etc., per talem racionem ad illud per auctoritatem :

Andronicus, Plotinus, Porfirius in quibusdam suis libris asserunt maximam esse huius utilitatem studentibus in

logicalibus. Et sic tangitur ad quid, et patet quod hec scientia est de bene esse logices, quia propter addiscentes,

ergo maxima est huius utilitas ». Pour sa part, Nicolas de Paris, dans sa Philosophia, omet l’expression « de

bene esse logices », mais rappelle tout de même la fonction « pédagogique » de ce traité : « Finis autem

communis est communis utilitas istius scientie que prodest communiter omnibus audientibus [...] » (éd.

LAFLEUR et CARRIER, p. 465, § 53). 2 ANONYME, Communia logice, éd. C. LAFLEUR et D. PICHÉ (avec la collaboration de J. CARRIER), « Porphyre

et les universaux dans les Communia logice du ms. Paris, BnF, lat. 16617 », LTP 60, 3 (oct. 2004), p. 501, § 6 :

« Alii uero sunt magis de bene esse et traditi causa explanationis, ut liber Sex principiorum agit de sex formis

de quibus breuiter erat actum in scientia Predicamentorum » ; Id., § 8 : « In libro uero Diuisionum determinatur

quedam utilia ad artem diuidendi et diffiniendi. Vnde artem diuidendi et diffiniendi tradit Boecius eodem libro

explanatiue, quas magis occulte determinat Aristotiles in secundo Posteriorum » ; ANONYME, Compendium

examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 513 : « Liber uero Topicorum Boetii ualet ad

cognoscendum facilius ea que cum maiore difficultate traduntur in Topicis ». 3 Qui provenait à son tour de l’Isagoge de Porphyre, dont Boèce visait à expliquer l’utilité. Au début de son

Isagoge, Porphyre remarque l’importance de connaître les cinq prédicables « [...] pour donner des définitions,

ainsi que pour ce qui concerne la division et la démonstration [...] » (Isagoge, 1, trad. A. DE LIBERA et A.P.

SEGONDS, Isagoge. Texte grec, translatio Boethii, Paris, Vrin, 1998, p. 1) ; PORPHYRE, Isagoge, trad. BOÈCE,

éd. L. MINIO-PALUELLO, Porphyrii Isagoge translatio Boethii et Anonymi fragmentum vulgo vocatum « Liber

sex principiorum » accedunt Isagoges fragmenta M. Victorino interprete et specimina translationum

recentiorum categoriarum, Bruges, Paris ; Desclée de Brouwer, 1966 (coll. « Aristoteles Latinus » I, 6-7), p. 1,

l. 5-6 : « [...] et ad definitionum adsignationem, et omnino ad ea quae in divisione vel demonstratione [...] ».

Ces trois procédures constituent, déjà pour Boèce, la division tripartite de la logique que nous retrouvons chez

les maîtres ès arts ; cf. BOÈCE, In Isagogen (editio prima), I, 4, éd. G. SCHEPPS, revision S. BRANDT, Anicii

Manlii Severini Boethii In Isagogen Prophyrii commenta, Vienne, Leipzig ; F. Tempsky, G. Freytag, 1906, p.

10, l. 25, p. 11, l. 1-3, 23-27 – p. 12, l. 1-2 : « Definitionum quoque, quod ad logicam pertinet, magna atque

utilis uberrimaque cognitio est ; quas definitiones nisi per genera, species, differentiae proprietatesque

tractaveris, nullus umquam definitionibus terminus inponetur [...] in divisione vero tantum prodest, ut nisi per

horum scientiam nulla res recte distribui secarique possit. Nam quae generum vel specierum recta distributio

divisione erit, ubi ipsarum per quas dividitur rerum nulla scientiae cognitione dirigimur ? Probationem vero

veritas in his, quod per ea quae dividis, id quod dividis vel quid aliud probas » ; cf. aussi BOÈCE, Commentaria

in Ciceronis Topica, I, 6-7, éd. J.C. ORELLI, dans I. G.BAITER (éd.) Ciceronis opera, vol. 5.1, Zürich, Fuesslini,

1833, p. 274, l. 4 et ss. : « Omnis namque vis logicae disciplinae aut definit aliquid aut partitur aut colligit.

Colligendi autem facultas triplici diversitate tractatur : aut enim veris ac necessariis argumentationibus

disputatio decurrit, et disciplina vel demonstratio nuncupatur : aut tantum probabilibus, et dialectica dicitur :

aut apertissime falsis, et sophistica, id est, cavillatoria perhibetur ».

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modes nécessaires à toute science, le modus diffinitivus (permettant de former adéquatement

des définitions), le modus divisivus (permettant de diviser le sujet étudié : le tout en parties,

le genre en espèces, etc.), et le modus collectivus (appelé parfois argumentativus) ; ce dernier

comportait à son tour la division cicéronienne en ars inveniendi (l’art de trouver des

arguments) et ars iudicandi (l’art de juger l’exactitude des arguments)1. Cet ensemble

méthodologique était parfois complété d’un quatrième mode qui, n’étant pas nécessaire, était

toutefois utile « propter addiscentes » : le modus exemplorum suppositivus, que l’on voit

parfois remplacé (sans qu’il soit possible d’établir une équivalence) par l’inductio2.

III.2. Les « modes » de la science : définition, division, argumentation et supposition d’exemples

Les modes de la science que la logique fournit concernent surtout les modes sous

lesquels toute doctrine est transmise : voilà pourquoi les introductions des cours artiens ont

l’habitude de distinguer, sur le plan de ce qu’ils appellent « la cause formelle » du livre traité,

la forma tractatus (correspondant à l’ordre des différentes parties du livre) de la forma

tractandi, correspondant à la méthodologie (ou modus agendi ou procedendi) employée par

l’auteur dans l’œuvre à l’étude3. En ce qui concerne les œuvres étudiées à la Faculté des arts,

ces modes sont le plus souvent les modi diffinitivus, divisivus, collectivus, inductivus et

exemplorum suppositivus, les trois premiers étant liés explicitement à la méthode proprement

scientifique4.

1 Boèce lui-même avait entrepris la fusion de ces deux divisions, dans un effort de montrer l’harmonie entre les

traditions grecque et latine. À la première division tripartite de la logique ébauchée dans son premier

commentaire sur l’Isagoge, Boèce superposa, dans son deuxième commentaire, la division cicéronienne ; il

finira pour les combiner dans son commentaire sur les Topiques de Cicéron. L’évolution du traitement boécien

de ce problème est très bien décrite dans F. MAGNANO, « Boethius : the Division of Logic between Greek and

Latin traditions », dans BRUMBERG-CHAUMONT (éd.), Ad notitiam ignoti, p. 141-171. Une vision plus

synthétique de ce parcours se trouve dans J. BRUMBERG-CHAUMONT, « Les divisions de la logique selon Albert

le Grand », p. 346-349. 2 Chaque traité de l’Organon visait l’une de ces procédures ; en suivant encore l’autorité de Boèce, les logiciens

du XIIIe siècle identifient l’ars iudicandi (ou ars resolutoria) avec les Analytiques (qui correspondaient, chez

Cicéron, à la dyalectikê) et l’ars inveniendi avec les Topiques. En outre, les divers types de syllogismes étaient

étudiés dans l’ars colligendi : on étudiait les syllogismes probables dans les Topiques, les nécessaires dans les

Analytiques, les sophistiques dans les Réfutations sophistiques ; la division et la définition, dans les Premiers

analytiques et dans le Liber divisionum de Boèce ; etc. 3 L’énumération des modi comporte plus ou moins d’éléments, selon que les modi en question se trouvent ou

non être utilisés dans l’œuvre étudiée. Le Commentaire sur les Catégories de Jean le Page, par exemple, exclut

le modus collectivus, mais inclut la supposition d’exemples. Cf. JEAN LE PAGE, Rationes super Predicamenta,

éd. HANSEN, p. 10, l. 4-7 : « Forma in duobus consistit, in forma tractatus et in forma tractandi. Forma tractandi

est modus agendi, et est definitivus, divisivus et exemplorum suppositivus ». 4 Cf. par exemple LAMBERT D’AUXERRE, Summa logicae, éd. ALESSIO, p. 4 : « [...] modus enim scientificus, id

est modus procedendi in scientiis, est diffinire, dividere, et colligere seu conferre, id est probare vel improbare ».

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Or, comment ces modi sont-ils présentés dans les textes artiens ? Dans son cours sur

la Logica Vetus Kilwardby affirme que la division, la définition et l’argumentation (modus

collectivus) sont nécessaires dans toutes les sciences spéciales, car elles comportent tous les

éléments suivants : le sujet étudié, dont l’existence est supposée (connue par division) ; ses

parties et ses espèces (connues à travers la définition) ; leurs propriétés ou passions (que l’on

connaît en les prouvant par le syllogisme)1. L’ordre des trois opérations est clair : on divise

d’abord le sujet pour en arriver à une série de définitions (définitions qui sont, considérées

en elles-mêmes, à partir des choses premières en soi [ex prioribus], le genre et l’espèce) ; la

définition fournit à son tour le moyen terme des syllogismes par lesquels on prouve les

propriétés des parties du sujet. Il y a pour Kilwardby une quatrième manière de procéder, la

supposition d’exemples (que Kilwardby fait dériver de Boèce)2, qui n’est guère nécessaire

en vue de la connaissance du sujet, mais qui facilite l’apprentissage aux auditeurs. La

présentation de Kilwardby est trop générale et quasi identique dans toutes les introductions

aux livres de l’Ars Vetus, et ne vise que les modi agendi des livres commentés ; il faut se

tourner vers sa division des sciences, le De ortu scientiarum (un texte produit hors du milieu

parisien), pour trouver une description plus détaillée sur l’articulation de ces trois éléments,

1 Dans son cours sur la Vieille logique, Kilwardby présente ces modes comme étant la forma tractandi de chacun

des livres commentés (mais qui sont nécessaires dans toute science). Cf. ROBERT KILWARDBY, Notule super

librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 359, l. 6-20 : « Verumtamen, sciendum quod sunt hii tres modi qui in qualibet

speciali sciencia sunt necessarii, scilicet modus diffinitiuus, diuisiuus et collectiuus. Cum enim in omni sciencia

sunt tria, subiectum et partes et species subiecti et passiones probate de partibus et speciebus, ad congnicionem

sciencie necessaria est harum cognicio. Cognicio quedam subiecti habetur per diuisionem : non enim per

diffinicionem, cum subiectum sit prinicipum in sciencia, et diffinicio debet esse ex prioribus. Cognicio quoque

parcium et specierum habetur per diffinicionem ; species enim est quod diffinitur. Diffinicionibus quoque

harum habitis colliguntur et sillogizantur per eas passiones de partibus et speciebus, cum diffinitio sit medium

in demonstracionibus, et sic cognoscuntur passiones ». 2 À strictement parler, Boèce ne pose que les premiers trois modes ; cf. BOÈCE, Commentaria in Ciceronis

Topica, I, 6-7, cité ci-dessus ; P.O. Lewry croit que l’attribution erronée de cette idée à Boèce peut se fonder

sur sa traduction des Premiers Analytiques ; certains autres l’attribuent directement à Aristote. L’idée se trouve

aussi dans le florilège Auctoritates Aristotelis, et on peut imaginer qu’elle était ainsi transmise dans d’autres

recueils d’autorités. Cf. ARISTOTE, Analytica Priora, I, 41 (49b34-50a4), trad. BOÈCE (recensio Florentina),

éd. L. MINIO-PALUELLO, Analytica Priora. Translatio Boethii (recensiones duae), translatio anonyma, Pseudo-

Philoponi Aliorumque scholia, specimina translationum recentiorum, Bruges, Paris ; Desclée de Brouwer (coll.

« Aristoteles Latinus », III, 1-4), 1962, p. 81, l. 26, p. 82 – l. 1-9 : « Nos oportet autem arbitrari propter

expositionem accidere aliquid inconveniens ; nihil enim utimur eo quod hoc aliquid sit, sed quemadmodum

geometer pedalem et rectam hanc esse et sine latitudine dicit quae non est, sed sic utitur ut ex his syllogizans.

Omnino enim quod non est ut totum ad partem et aliud ad hoc ut pars ad totum, ex nullo talium ostendit qui

demonstrat, neque enim fit syllogismus. Expositione autem utimur velut qui dicunt ut sentiat discens ; non enim

sic ut sine his non possibile sit demonstrare, quemadmodum ex quibus est syllogismus » ; cf. aussi IOHANNES

DE FONTE (comp.), Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 309, no 16 : « Exempla ponimus non quod ita sint,

sed ut sentiant addiscentes qui addiscunt ».

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la diffinitio, la divisio et la collectio, nommée parfois ratiocinatio. Il en va de même pour

Nicolas de Paris et pour Jean le Page : les commentaires consacrés soit à la logique, soit à la

grammaire, ne font qu’énumérer les modi agendi des sciences à l’étude : ainsi, dans le

Commentaire sur les Catégories, Nicolas mentionne les modi diffinitivus, divisivus,

probativus, improbativus et exemplaris1, alors qu’il considère que le Liber sex principiorum

ne concerne que la définition, la division et l’exemple2 (les mêmes trois modes que Pagus

considère pour les Catégories). C’est dans sa Philosophia que Nicolas de Paris offre une

vision d’ensemble de l’articulation des trois (ou quatre, si l’on considère aussi l’induction)

modes de la science.

Examinons donc comment sont articulés les trois modes de procéder de la science

dans la division générale de la logique, pour examiner ensuite, plus en détail, le modus

exemplorum suppositivus, particulièrement pertinent dans l’étude de l’Éthique.

III.2.1. Définition, division, argumentation. Articulation avec l’ars inventiva et l’ars iudicativa

Toute science portera forcément sur le complexe ou l’incomplexe ; en voici la

distinction qui sépare d’abord le duo complémentaire diffinitio-divisio de l’argumentation

(ou encore du tandem collectio-inductio)3.

La division et la définition s’opposent selon la connaissance de la réalité qu’elles

offrent : la définition (consistant dans le genre et la différence spécifique) donne la

connaissance « en soi », et procède à partir de ce qui est premier en soi ; la division pour sa

part prend le chemin inverse : elle nous fait connaître la chose par ses parties, de sorte qu’elle

1 NICOLAS DE PARIS (?), In Predicamenta, M, f. 42ra : « Forma tractandi est modus agendi, qui est diffinitivus,

diuisivus, probativus, improbativus, exemplaris ». Pour l’attribution incertaine, voir WEIJERS, Le travail

intellectuel … VI. Répertoire des noms commençant par L-M-N-O, p. 195. 2 NICOLAS DE PARIS (?), In librum sex principiorum, M, f. 174ra : « [...] et modus tractandi qui est diffinitivus,

diuisivus et exemplaris ». Pour l’attribution douteuse, voir également WEIJERS, Le travail intellectuel … VI.

Répertoire des noms commençant par L-M-N-O, p. 196. 3 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 524, l. 6-11 : « Cum enim logica sit modus

scientiarum et in scientiis oportet habere notitiam incomplexorum et complexorum, et complexorum cognitio

fiat per ratiocinationem, et incomplexorum per divisionem que est per posteriora natura et per definitionem

quae est ex prioribus natura, oportet logicam non solum artem ratiocinandi docere sed et definiendi ac

dividendi » ; NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 462, § 39 : « Differunt autem uie in

cognitionem rerum incomplexarum et in cognitionem complexionis earum. Incomplexum habet connosci

duplici uia : aut enim per priora natura, et sic per diffinitionem ; aut per posteriora, et sic per quandam

diuisionem. Complexio rerum habet connosci duobus modus similiter : aut per priora, et sic uia sillogistica ; aut

per posteriora, et sic uia inductiua [...] Et secundum hoc diuiditur loyca in artem diuidendi, diffiniendi,

colligendi siue arguendi ».

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procède « ex posterioribus »1. Or, la connaissance commence toujours à partir de ce qui est

premier pour nous : diviser2 le sujet en parties (en genres et espèces) nous permettra de

trouver les définitions qui seront les moyens termes employés dans la construction des

syllogismes visant à montrer quelles sont les propriétés des parties du sujet3.

Un mouvement similaire s’applique à la matière complexe, tout en expliquant la

distinction classique entre le syllogisme (via sillogistica) et l’induction (via inductiva) : le

syllogisme procède ex prioribus, alors que l’induction procède per posteriora à partir de ce

qui est plus connu selon nous. Le modus collectivus ou ars colligendi (incluant les deux viae,

sillogistica et inductiva) est exprimé au moyen d’une terminologie assez variable, qui laisse

voir que le terme peut bien se traduire par « argumentation » ou « raisonnement ». Nicolas

de Paris utilise plusieurs formules : l’ars colligendi siue arguendi est remplacée parfois par

les termes sillogismus et inductio ; mais on trouve aussi les expressions probativus et

improbativus. Kilwardby utilise indifféremment collectio et ars ratiocinandi (formule de

laquelle se rapproche Arnoul de Provence)4, en établissant aussi, parfois, un rapport étroit

entre colligere et syllogizare5. En tout cas, le mot collectio évoque toujours l’acte de tirer une

certaine conséquence à partir d’un groupe de propositions ou d’énonciations, et s’identifie

parfois au syllogisme démonstratif (le seul à donner une connaissance certaine et véritable),

1 ROBERT KILWARDBY, Liber divisionum, éd. LEWRY, p. 410, l. 34-36 : « [...] propter hoc quod diffinicio magis

significat de esse absolute, cum det cognicionem rei in se, quam diuisio, cum cognicionem rei det in suis

partibus [...] ». Cf. aussi ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 524, l. 6-11, et NICOLAS

DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 462, § 39, cités ci-dessus. 2 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 525, l. 17-18 : « Ideo ex se non habet scientia

unde notificet subiectum nisi per divisionem ». 3 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 179, 525, l. 18-22 : « Diviso autem genere subiecto

in partes et species eius, ex diviso et differentiis dividentibus colligit definitiones partium et specierum eius.

Tertio autem per definitiones ratiocinatur de partibus illis et speciebus proprietates earum sive passiones » ;

NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 462, § 40 : « Sed quia diuisio est uia in

diffinitionem, et diffinitio est uia in demonstrationem – est enim medium diffinitio in demonstratione et causa

– [...] ideo non separatur ab Aristotile ars diuidendi et diffiniendi ab arte demonstrandi [...] ». 4 ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 343, l. 642 : « Pars autem colligendi, id est

ratiocinandi [...] ». 5 ROBERT KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 359, l. 16-17 : « Diffinicionibus quoque

harum habitis colliguntur et sillogizantur per eas passiones de partibus et speciebus ». ROBERT KILWARDBY, In

librum Topycorum, éd. O. WEIJERS, « Le commentaire sur les Topiques attribué à Robert Kilwardby »,

Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, 6 (1995), p. 127-128, l. 149-156 : « Et dicendum quod

si due sint species argumentationis dyaleticem nobilior et perfectior est sillogismus quam inductio, unde potest

inductio aliquo modo in sillogismum reduci ; convenienter ergo nominat et intelligit ratiocinationem dyaletica

per speciem eius principalem. Et eius consonat alia translatio, in qua ponitur ‘ratiocinari’ ubi in nostra

translatione habemus ‘sillogiçare’. Hoc etiam consonat Porphirio exponenti ‘sillogiçare’ sic, dicens quod ‘si’

idem est quod ‘cum’ et ‘logos’ ratio, inde sillogiçare quasi conratiocinari, et secundum hoc omnis argumentatio

sillogismus dici potest ».

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mais inclut aussi les syllogismes procédant à partir des prémisses probables et l’induction1.

En effet, les maîtres ès arts divisent le syllogisme « simpliciter »2 (dont la science est

transmise dans les Premiers Analytiques), défini dans sa nature générale comme étant

matériellement composé de trois termes (deux extrêmes et un moyen terme les réunissant)3

permettant le mouvement des prémisses à la conclusion4, en deux espèces, distinguées par la

matière spéciale à partir de laquelle le syllogisme est fait (et non pas par la forme, commune

à la démonstration et à la dialectique)5 : le syllogisme démonstratif (le sujet des Seconds

Analytiques) est fait à partir des prémisses nécessaires (de sorte que sa conclusion sera aussi

nécessaire), alors que le syllogisme dialectique (traité dans les Topiques) est fait à partir des

prémisses probables (les opinions généralement admises ou endoxa)6.

Or, ces deux formes du syllogisme ne sont pas égales quant à la « puissance » ou la

force avec laquelle ils produisent la connaissance dans l’esprit de l’auditeur (quoique le

syllogisme, pris communément, soit supérieur à d’autres formes d’argumentation). Le

syllogisme démonstratif occupe une place privilégiée : c’est au moyen de la démonstration

dans le sens le plus strict du mot qu’il est possible d’engendrer chez l’auditeur la

1 Le sens très technique de ce mot est bien décrit par M.D. Chenu dans ses notes de lexicographie. Cf. M.D.

CHENU, « Notes de lexicographie philosophique médiévale : collectio-collatio », RSPT, 16 (1927), p. 442-444.

Il faut bien le distinguer du mot collectio entendu comme simple « acte de recueillir » ou de « rassembler »,

associé parfois à la description de l’universel ; Ibid., p. 439-442. 2 Le syllogisme lui-même est considéré comme « instrument » des autres sciences, quoiqu’il soit aussi le sujet

de la science transmise dans les Analytiques. Cf. ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR,

p. 172, l. 478-481 : « Ad minorem dico quod sillogismus demonstratiuus potest considerari dupliciter : uel

quantum ad eius usus, et sic est instrumentum huius scientie ; uel quantum ad eius artem, et sic est hic

subiectum ». 3 Dans le cas de Kilwardby, le syllogisme inclut trois termes et deux propositions, car la conclusion ne fait pas

partie du syllogisme. ROBERT KILWARDBY (publié sous le nom Gilles de Rome), In libros Priorum analeticorum

Aristotelis Expositio, dans Reverendi Magistri Egidii Romani in libros Priorum analeticorum Aristotelis

Expositio et interpretatio sum perquam diligenter visa recognita erroribus purgata. Et quantum anniti ars

potuit fideliter impressa cum textu, Venise, 1516, p. 5b, In 3o : « [...] syllogismus demonstrativus et dialecticus

habent quasdam passiones communes ut quod sint ex tribus terminis et duabus propositionibus [...] ». Sur la

nature du syllogisme chez R. Kilwardby, voir P. THOM, « Robert Kilwardby on syllogistic form », dans P. THOM

et H. LAGERLUND, A Companion to the Philosophy of Robert Kilwardby, Leiden, Boston ; Brill, 2012, p. 131-

161, notamment p. 134-144. 4 Cf. P. THOM, « Robert Kilwardby on syllogistic form », p. 140. 5 Suivant une tradition alexandrine, les auteurs de la première moitié du siècle considèrent le syllogisme comme

un composé de matière et forme. Cf. BRUMBERG-CHAUMONT, « Les divisions de la logique selon Albert le

Grand », p. 345. 6 ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR, p. 173, l. 509-513 : « Primo quod sillogismus

simpliciter, de quo dictum est in libro Priorum, diuiditur tanquam genus in species in sillogismum

demonstratiuum, de quo <dictum est> in libro Posteriorum, et sillogismum dyaleticum, qui est presentis

speculationis » ; p. 174, l. 514-517 : « ‘demonstratiuus est ille qui est ex propositionibus necessariis

syllogizatus’, ‘dyaleticus est ille qui ex probabilibus est sillogizatus’, et isti sunt species sillogismi recti ».

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connaissance la plus certaine et la plus complète1, une connaissance par les causes2,

s’opposant à la connaissance incomplète que nous offre le syllogisme dialectique (portant sur

le probable, et non pas sur le nécessaire)3. Ainsi, la démonstration « la plus puissante »

(potissima)4 se fait à partir du nécessaire5, et se fonde sur des principes premiers, vrais,

1 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 462, § 40 : « [...] et per demonstrationem

completissimus et certissimus habitus generatur [...] ». 2 La notion de certitude se trouve associée à la connaissance des causes (obtenue par démonstration) depuis la

traduction des Seconds Analytiques par Jacques de Venise, qui utilise les termes « certitudo » et « certior » pour

rendre akribeia et akribesteros. Particulièrement importante est la traduction du passage I, 27 (87a31-33), où

Aristote énumère les conditions rendant une science « plus certaine » et « antérieure » aux autres ; cf. éd. MINIO-

PALUELLO, p. 60, l. 14-16 : « Certior autem scientia est et prior queque ipsius quia et propter quid eadem est,

sed non est ipsius quia extra eam que est propter quid ». Une science qui fait connaître les causes est ainsi « plus

certaine » que la science qui ne donne que la connaissance du fait sans le pourquoi (voilà pourquoi l’éthique

peut être regardée comme une science non certaine [car, selon Aristote, une connaissance suffisante du fait

pourrait permettre d’exclure la connaissance du pourquoi ; cf. ÉN I, 2, 1095b6-7]). L’importance de cette

traduction dans l’élaboration médiévale de la notion de certitudo est mise en avant dans EBBESEN et al., « Case

study 4. Aristotle and the Medievals on Certainty », dans EBBESEN et al., History of Philosophy in Reverse, p.

148-165, où les auteurs analysent aussi les apports que les auteurs médiévaux peuvent offrir à la discussion

moderne sur le passage en question. 3 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 463, § 43 : « Quidam autem facit notum et a

parte rei note et connoscentis, et horum quidam generat completam notitiam, scilicet scientiam per causam, et

hic demonstratiuus ; quidam autem incompletam notitiam, scilicet opinionem, per signa probabilia, et sic est

dyalecticus [...] » ; § 47 : « Ex dictis iam patet quod loyca, que necessaria est ad doctrinam, est de uis .IIII.or

que sunt ad connoscendum res et rerum complexiones, scilicet diffinitio, diuisio, sillogismus et inductio – et

maxime et principaliter sillogismus demonstratiuus, qui completum habitum generat in disciplinabilibus ». 4 Sur ce terme, voir la traduction latine des Seconds Analytiques de Jacques de Venise, qui utilise le terme

« potior » pour caractériser la démonstration universelle (en traduisant ainsi le grec beltiôn, « meilleur ») ; ce

terme ne se retrouve ni dans la traduction de Gérard de Crémone (faite à partir de l’arabe) ni dans la traduction

anonyme (mais on la retrouve dans la recension de Guillaume de Moerbeke) ; cf. par exemple ARISTOTE,

Analytica Posteriora, I, 24 (85b14-15), trad. JACQUES DE VENISE, éd. MINIO-PALUELLO, p. 54, l. 13-14 : « Potior

itaque est universalis quam particularis » ; et I, 24 (86a3), p. 55, l. 20-21 : « Et universale autem tunc ; universalis

itaque potior ». 5 ANONYME, De communibus artium liberalium, éd. LAFLEUR, p. 170, l. 425-428 : « [...] in tertia parte ostendit

Philosophus quod demonstratio potissima est ex necessariis, ex hiis etiam que sunt per se et non per accidens,

non ex contingentibus nec ex communibus, set ex propriis principiis sempiternis et incorruptibilis [...] » ;

ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 171, 504, l. 16-19 : « Causa autem huius continuationis

potest esse quod potissimus modus syllogizandi et principaliter ac finaliter intentus, quo habito quiescit humana

inquisitio, demonstrativus est ».

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connus en soi et universels1 ; tandis que le syllogisme dialectique est recherché en vue de la

science ultimement transmise par la démonstration2.

Or, cette distinction tripartite de la logique en diffinitio, divisio et collectio n’entre pas

en contradiction avec l’autre division présentée par les maîtres, la distinction cicéronienne

entre l’ars inveniendi et l’ars iudicandi3. Les maîtres ès arts les rendent compatibles de

manière variable. Le plus souvent la collectio est simplement divisée en ars inveniendi (ou

art de la découverte) et ars iudicandi (ou ars resolutoria4, l’art du jugement)5 : l’art de

découvrir des arguments visant à prouver une conclusion déterminée et l’art de juger la

qualité des arguments trouvés (se rapportant tous les deux au syllogisme, comme le remarque

1 ROBERT KILWARDBY, In librum Topycorum, éd. WEIJERS, p. 126, l. 87-99 : « Patet etiam iste ordo eo quod

necessitas, que est dispositio necessaria ad sillogismum completum, reperitur in sillogismo demonstrativo, quia

tam in inferentibus quam in illatione ; in sillogismo autem dyalectico minus complete ; in ipso enim secundum

quod huiusmodi non est necessitas set probabilitas dispositio propositionum, licet possit inveniri necessitas in

consequentia ; in sillogismo autem dyaletico minime reperitur hec dispositio [...]. Potest enim accipi iste ordo

ex parte finium, ut dicamus quod sicut melior habitus et prior est sicentia, que est finis demonstrationis, quam

fides vel oppinio, que est finis dyaletica, et tam scientia quam fides est et nobilior fantasia sive apparente

sapientia [...] ». 2 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 171, 504, l. 19-21 : « Dialecticus enim et sophisticus

non intenduntur propter se principaliter, ut iam patebit, sed propter scientiam habendam tandem per

demonstrativum ». 3 ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR, § 514 : « Ad hoc idem redit diuisio, que

solet fieri, quam facit Boetius, scilicet quod logica diuiditur in artem iueniendi et artem iudicandi » ; ROBERT

KILWARDBY, Notule super librum Porfirii, éd. LEWRY, p. 362, l. 12-15 : « In hoc perfecta est logice pericia

discipline que [...] uim argumentacionis facit cognoscere, cum duplex est uis, una in inueniendo, altera in

iudicando [...] ». 4 Sur cette équivalence, voir par exemple ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 171, 504, l.

15-16 : « [...] et ideo vocantur resolutoria sive Analytica Priora et Posteriora » ; ROBERT KILWARDBY, Notule

libri Posteriorum, éd. D. CANNONE, Le Notule Libri Posteriorum di Robert Kilwardby nella tradizione esegetica

latina medievale del XIII secolo, thèse de doctorat, Rome, 2003-2004, vol. 2, p. 10 (cité d’après BRUMBERG-

CHAUMONT, « Découverte, analyse et démonstration », p. 83, n. 2) : « Analyticum autem idem est quod

resolutorium, quia analesis idem est quod resolutio. Unde dicitur Analeticorum ad differentiam libri

topicorum ». 5 NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 462, § 40 : « Ars colligendi diuiditur in artem

inueniendi et iudicandi ». Parfois l’harmonisation de ces deux divisions est plus complexe. Nous en trouvons

un exemple chez Kilwardby : s’inspirant probablement de Boèce, Kilwardby retrouve l’invention et le jugement

dans chacune des trois divisions de la logique, et non pas uniquement dans la collectio. Cf. ROBERT

KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, p. 181, 530, 15-20 : « Ad id quod querebatur de inventione et de

iudicio dicendum quod sunt partes totius logicae in omni triplici arte dividendi, definiendi et colligendi. Unde

sicut oportet in arte colligendi invenire medium et de invento iudicare, sic in divisione oportet invenire genus

aut differentias proprias et essentiales aut utraque de inventis iudicare. Similiter est in arte definiendi [...] ».

Kilwardby reconnaît aussi une invention propre aux Analytiques, différente de celle des Topiques ; sur ce

problème, et sur les notions d’analyse, découverte et démonstration dans les commentaires sur les Seconds

Analytiques vers 1250, voir J. BRUMBERG-CHAUMONT, « Découverte, analyse et démonstration chez les

premiers commentateurs médiévaux des Seconds Analytiques », dans J. BIARD (éd.), Raison et démonstration,

Turnhout, Brepols (coll. « Studia Artistarum », 40), 2015, p. 71-95.

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Kilwardby1 : l’un en le générant, l’autre en le connaissant). L’inventio et le iudicium

coïncident souvent avec la topique et l’analytique2. L’inventio permet la découverte des

arguments pour obtenir la conclusion recherchée3 par la « chasse » au moyen terme adéquat :

et ce sont les Topiques d’Aristote qui enseignent la manière de trouver ce moyen terme.

L’analyse, permettant de juger la correction et la complétude de la démonstration4 (voire sa

conformité aux règles établies dans les Analytiques), prend parfois un sens proche de celui

de l’analyse mathématique, dans le sens d’une régression ou remontée de la conclusion

cherchée aux prémisses5 : c’est bien le sens qu’Aristote lui-même évoque dans l’Éthique (III,

3 [1112b20-24]).

III.2.2. Le modus exemplaris ou exemplorum suppositivus

Le mode « exemplaire » mérite sans aucun doute une section à part, car il s’avérera

spécialement pertinent dans les discussions concernant le modus procedendi de l’Éthique.

Tout d’abord, il faut rappeler que le modus exemplorum suppositivus n’a pas le même

statut que les autres : il ne s’agit pas d’une procédure nécessaire pour l’acquisition de la

science, mais simplement d’une façon de faciliter l’apprentissage aux auditeurs ou

« addiscentes », de sorte que la saisie des connaissances articulées par les trois procédures

1 ROBERT KILWARDBY, Notulae super librum Preadicamentorum, éd. LEWRY, p. 370, l. 8-9 : « Inuencio est

quatenus fiat sillogismus, iudicium autem quatenus cognoscatur ». 2 ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR, § 514 : « Ars uero inueniendi traditur in

libro Topicorum Aristotilis et Elenchorum. Ars uero iudicandi traditur in libro Priorum et Posteriorum » ;

ROBERT KILWARDBY, In librum Topycorum, éd. WEIJERS, p. 126, l. 78-81 : « Set iste ordo potest accipi

dupliciter : aut secundum ordinem artis inveniendi et dividendi, et sicut prius est invenire quam inventa iudicare,

sic liber iste et liber elencorum habent precedere librum priorum et posteriorum ». ROBERT KILWARDBY, In

librum Topycorum, éd. WEIJERS, p. 128, l. 187-189 : « Et dicendum quod hoc est quia liber priorum initialis est

quantum ad artem iudicandi et liber topycorum sit quantum ad arte, inveniendi [...] ». 3 ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR, § 514 : « Et dicitur ars inuentiua que docet

inuenire et multiplicare argumenta ad unam conclusionem secundum diuersas locorum intentiones et

considerationes ». 4 ROBERT GROSSETESTE, Commentarius in Posteriorum Analyticorum libros, éd. P. ROSSI, Firenze, L. Olschki,

1981, p. 402, l. 242-255 : « Si enim sillogismus propositus resolvatur in partes ex quibus est et in accidentia et

inveniatur in eo conditiones dicte in libro isto, tunc manifestum est quoniam est demonstrativus ; et si deficit

aliqua conditionum essentialium, manifestum est quod non est demonstrativus. Ad hoc enim intendit liber iste

ut cognoscens conditiones essentiales demonstrationis possit per resolutionem propositi sillogismi in partes sua

et accidentia essentialia cognoscere an compleantur in ipso conditiones essentiales demonstrationis an deficat

aliqua. Et ab hoc dicitur liber iste resolutorius et iudicativus [...] per conditiones demonstrationis manifestatas

in libro isto iudicat de invento an sit completa demonstratio ». 5 ANONYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 514 : « Ars uero iudicatiua

uel resolutoria – quod idem est –, dicitur quia docet transferre iudicium conclusionis per resolutionem in

premissa in aplicando (sic) totam causam uel uirtutem consequentie supra causam uel medium quod est ratio

inferendi, quod melius uidebitur suo loco ».

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propres à la méthode scientifique soit plus accessible. Le sens premier de l’exemple est lié à

l’utilisation des images sensibles dans le but de faire comprendre un concept intelligible ;

ainsi, le mathématicien peut se servir, en guise d’instrument didactique, des représentations

sensibles de la ligne ou du carré, en les dessinant sur un tableau. Aristote lui-même admet

l’utilité des exemples (Analytica Priora, I, 41 [49b33-50a4]) ; et, en parlant des syllogismes

pris « en général » traités par Aristote dans les Premiers Analytiques, Arnoul de Provence

avertit qu’il ne faut pas confondre ces exemples avec la vraie nature du syllogisme : il s’agit

d’un recours utilisé pour que « l’auditeur non initié perçoive par ces exemples les règles

d’une façon imagée »1.

Or, ce sens premier de l’exemple, qui semble bien convenir aux sciences

mathématiques ou à la logique, prend une nouvelle allure quand on le trouve distingué des

procédures proprement scientifiques (divisio, diffinitio, collectio) dans un autre contexte :

l’interprétation de l’Écriture sainte, d’une part, et, d’autre part, l’interprétation de l’Éthique

à Nicomaque. Dans ce nouveau contexte, l’exemple ne cherche plus l’appréhension du vrai

et du faux, mais plutôt le discernement du bien et du mal.

Aux environs de 1240, certains théologiens2 ont distingué le triple mode de procéder

de la science humaine des modes – très riches et variés – appliqués dans la science divine :

1 ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 343, l. 650-658 : « Primo modo traditur scientia

de ipso [i.e. le syllogisme] in libro Priorum, nec est intelligendum quod ibi determinatur de exemplari ut illud

exemplar sit uera natura sillogismi, set, cum regule et maxime sint posite de oratione sillogistica, subdiuiditur

exempla ut percipiat ymaginabiliter auditor discipulus regulas per exempla et in terminis non contractis ad

materiam ne uideatur de aliquo sillogismo speciali ibi determinari, nec hoc est ipsum separari a speciebus suis

secundum ueritatem set solum intelligendo et cognoscendo siue considerando, quod non habetur pro

inconuenienti » ; trad. LAFLEUR et CARRIER, p. 80, § 76. 2 ALEXANDRE DE HALÈS, Summa Theologiae, éd. B. KLUMPER, Florence, Collège S. Bonaventure, 1924, Tract.

introduct., q. I, c. 4, art. 1, ad obiecta, 2, p. 8, col. b : « [...] alius est modus scientiae, qui est secundum

comprehensionem veritatis per humanam rationem ; alius est modus scientiae secundum affectum pietatis per

divinam traditionem. Primus modus diffinitivus debet esse, divisivus, collectivus ; et talis modus debet esse in

humanis scientiis, quia apprehensio veritatis secundum humanam rationem explicatur per divisiones,

definitiones et ratiocinationes. Secundus modus debet esse praeceptivus, exemplificativus, exhortativus,

revelativus, orativus, quia ii modi competunt affectui pietatis ; et hic modus est in sacra Scriptura » ;

BONAVENTURE, Breviloquium, éd. A. PARMA, Opera omnia, studio et cura P.P. collegii a S. Bonaventura, 1882-

1902, Prologus, § 5, p. 206, col. b : « [...] ideo Scriptura divina eo modo debuit tradi, quo modo magis possemus

inclinari. Et quia magis movetur affectus ad exempla quam ad argumenta, magis ad promissiones quam

ratiocinationes, magis per devotiones quam per definitiones ; ideo Scriptura ipsa non debuit habere modum

definitivum, divisivum et collectivum ad probandum passiones aliquas de subiecto ad modum aliarum

scientiarum [...] » ; c’est le cas aussi de ROBERT KILWARDBY, Quaestiones in librum primum Sententiarum, éd.

J. SCHNEIDER, Munich, Verlag der Bayerische Akademie der Wissenschaften,1986, p. 18-19 : « Primum non

videtur, cum non sit hic modus divisivus, diffinitivus et collectivus, sed narrativus tantum, historicum,

parabolicus et huiusmodi, qui non pertinent ad scientiam [...] ». D’autres soutiendront, à l’encontre de cette

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symbolicus, parabolicus, praeceptivus, promissivus, exemplificativus, figurativus, affectivus,

narrativus, metaphoricus, prophetalis, etc1. Le rapprochement avec les procédures

considérées comme caractéristiques du discours éthique n’est pas négligeable. Bonaventure,

par exemple, affirme dans son Breviloquium (ca. 1258) que la doctrine transmise par

l’Écriture sainte est « ut boni fiamus et salvemur »2 : le lemme ut boni fiamus se lit dans

l’Ethica Vetus ; les maîtres ès arts y reconnaissent la fin principale de l’Éthique, qui n’est pas

en vue de la seule spéculation (à laquelle pourrait correspondre le trio divisio, diffinitio,

collectio). Il n’y a donc rien de surprenant à ce que, dans leurs cours sur l’Éthique, les maîtres

énumèrent, à côté du modus exemplaris, les modi parabolicus et figurativus, plus adéquats à

l’exhortation qu’à la seule connaissance. Malgré les différences avec le modus exemplaris

utilisé dans les sciences spéculatives, nous retrouvons encore, dans ce sens du mot

exemplaris, l’idée d’utiliser une image sensible afin de rendre manifeste une réalité

intelligible ou spirituelle3, quoiqu’il s’agisse, cette fois, d’une réalité dont s’occupe la morale.

Or, où se trouve le fondement textuel permettant d’affirmer qu’Aristote utilise ces

méthodes dans l’Éthique ? Dans l’exégèse de l’ÉN I, 1 (1094b10-1095a13) et II, 2 (1103b31-

1104a11), passages dans lesquels Aristote décrit le discours éthique comme « grossus et

typicus », les maîtres font souvent équivaloir le modus typicus aux modi exemplaris,

figurativus et parabolicus4. La Lectura Abrincensis est l’un des textes qui établissent cette

idée, la possibilité que la théologie applique aussi la méthode scientifique. Relativement au débat sur les modes

de procéder propres à la scientia divina, voir G. DAHAN, Lire la Bible au Moyen Âge : Essais d’herméneutique

médiévale, Genève, Droz, 2009 (pour le commentaire du passage de Kilwardby que nous venons de citer,

consulter page 24) ; M.D. CHENU, La théologie comme science au Moyen Âge au XIIIe siècle, Paris, Vrin, 1969

(3e édition, revue et augmentée) ; J. SIMPSON, « From reason to affective knowledge : modes of thought and

poetic form in Piers Plowman », Medium Aevum, LV, 1 (1986), p. 1-23 ; pour les manières de procéder

identifiées dans les textes de l’Écriture sainte, voir A.J. MINNIS, Medieval Theories of Autorship. Scholastic

Litterary Attitudes in the Later Middle Ages, London, Scholar Press, 1984, p. 118-159, avec les notes, p. 259-

270. 1 Cf. par exemple BONAVENTURE, Breviloquium, éd. PARMA, Prologus, § 5, p. 206, col. b : « In tanta igitur

multiformatione sapientiae, quae continetur in ipsius sacrae Scripturae latitudine, longitudine, altitudine et

profundo, unus est communis modus procedendi authenticus, videlicet intra quem continetur modus narrativus,

praeceptorius, prohibitivus, exhortativus, praedicativus, comminatorius, promissivus, deprecatorius et

laudativus » ; voir aussi le passage d’Alexandre de Halès cité ci-dessus. 2 BONAVENTURE, Breviloquium, éd. PARMA, Prologus, § 5, p. 206, col. b : « Quia enim haec doctrina est, ut

boni fiamus et salvemur ; et hoc non fit per nudam considerationem, sed potius per inclinationem voluntatis ». 3 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, ms. Prague, Národní Knihovna České

Republiky, III F 10 (= P1), f. 2vb : « Modus autem typicus est modus figurativus, ut quando bona et iusta que

sunt spiritualia per similitudines sensibiles manifestantur et quia sic tetigit ; unde modus procedendi speciale,

scilicet ueritatis narrationem in apertis parabolis [...] » 4 Cf. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, P1, f. 2vb : « Modus autem typicus est modus

figurativus [...] uel potest per hoc intelligi[t exp.] modus positivuus exemplorum».

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équivalence1. D’après la discussion méthodologique présentée dans les commentaires artiens

autour de ces deux passages, c’est cette méthode imprécise qui l’emporte sur les procédures

proprement scientifiques ; le propos de l’Éthique semble ainsi être subordonné à une finalité

purement pratique. Or, comme nous l’avons colligé d’après les divisions textuelles

présentées par les textes artiens, il semble que l’Éthique transmette aussi une connaissance

scientifique de la vertu (i.e. une connaissance par les causes) : qu’est-elle, quelle est sa cause

matérielle, quelle est sa cause efficiente, etc.

Il faut donc déceler, dans les chapitres qui suivent, comment sont conciliées, dans les

textes artiens, les deux finalités de l’Éthique : connaître ce qu’est la vertu (une finalité qui

semble secondaire) et devenir bons (ce qui semble être la finalité principale du livre). Malgré

les apparences, la première l’emportera sur la deuxième, et la méthode « per paraboles » sera

mise au service de la connaissance intellectuelle. Or, avant d’envisager cette tâche, il faut

encore exposer la division qui encadre la double finalité dont nous venons de parler : la

distinction utens/docens.

IV. La distinction docens-utens : généralités

La distinction docens – utens se trouve souvent associée à la logique2, car cette

dernière est (comme le sont les disciplines langagières en général), en même temps, science

et instrument, de sorte que la logica docens (ou logica generalis) s’occupe de l’étude générale

des diverses formes d’argumentation, alors que la logica utens (ou logica specialis) les

applique à une matière particulière (les sciences spéciales). La logica utens se laisse donc

identifier avec les méthodes particulières des sciences, des logiques spéciales se conformant

à la matière étudiée. En expliquant cette distinction, l’auteur anonyme des Accessus

Philosophorum remarque qu’il ne s’agit pas d’une différence de matière, mais que la

dialectique utens ne diffère de la docens que par son acception : on met à l’œuvre ce que nous

avons appris de celui qui enseigne.

Or, cette distinction se trouve appliquée, au XIIIe siècle, à plusieurs autres domaines.

Ceci n’est pas surprenant : il est habituel de considérer que toute science a une dimension

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, lectio II, § 40, notre édition : « Per hoc autem quod dicit

typo, intelligitur modus exemplaris et parabolicus, qui est dicere in figura ». 2 NICOLAS DE PARIS (?), In Predicamenta, M, 42ra : « [...] sed logica utens est de toto ente et partibus entis,

logica uero docens est de sillogismo et partibus eius ».

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théorique et une dimension pratique (même les sciences spéculatives)1. Nous trouvons ainsi

des distinctions comme metaphysica docens - metaphysica utens2, rethorica docens -

rethorica utens3, ou encore ethica docens et ethica utens, etc4.

1 Cf. ANONYME, Accessus philosophorum, éd. LAFLEUR, p.183, l. 45-56 : « Item, speculatiua diuiditur alio

modo sic : speculatiua quedam est theorica, quedam practica [...] philosophia speculatiua consistit in

speculatione siue cognitione, set anima duobus modis se habet in cognoscendo substantiam rei : uel enim

cognoscit substantiam rei quo ad suas causas uniuersales secundum se, et sic est theorica ; uel quo ad qualitates

siue modos operandi, et hoc modo practica. Vnde practica dicit actum speculatiui intellectus prout exit in opus

et regulatur in ipso » ; ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 320, l. 295-305 : « Item,

speculatiua diuiditur alio modo sic : speculatiua quedam est theorica, quedam practica. [...] Huiusmodi autem

diuisionis causa est quia anima duobus modis se habet in cognoscendo : uel enim cognoscit substantia rei quo

ad causas uniuersales secundum se, et sic est theorica ; uel quo ad qualitates et modos operandi, et hoc modo

est practica. Vnde practica dicit actum speculatiui intellectus prout exit in opus et regulatur in ipso ». Une source

de cette idée se trouve par exemple dans le Canon de la médecine d’Avicenne : AVICENNE, Liber canonis, lib.

I, fen. I, doctr. 1, trad. GÉRARD DE CRÉMONE, Venise, 1507 [reproduction anastatique, Hildesheim, Olms, 1964],

f. 1ra : « Potest autem aliquis dicere quod medicina dividitur in theoricam et practicam ; sed tu totam ipsam

posuisti theoricam, cum dixisti quod est scientia. Nos autem respondebimus et dicemus quod artium quoddam

est quod est theorica et practica, et de philosophia quod est theorica et practica, et de medicina dicitur quod est

theorica et practica. In unaquaque autem harum divisionum aliud volumus dicere, cum dicimus theoricam, et

aliud, cum dicimus practicam ». Cette idée est reprise par plusieurs interprètes. Il est peut-être pertinent

d’évoquer ici l’interprétation de Thomas d’Aquin, pour qui l’aspect théorique des sciences comme la médecine

ou l’éthique ne doit pas être considéré par rapport à la finalité (toujours pratique), mais selon que la science en

question se rapproche ou s’éloigne des opérations : « Quand toutefois la médecine est divisée en théorique et

pratique, on n’envisage pas la division selon la fin [...] on envisage plutôt la division susmentionnée selon que

les choses qui sont traitées par la médecine sont plus rapprochées ou plus éloignées de l’opération » (cf. THOMAS

D’AQUIN, Sur Boèce « De la Trinité », q. 5, art. 1, sol. 4*, trad. C. LAFLEUR, dans La division de la science

spéculative et le statut de la Métaphysique : Thomas d’Aquin et les artiens dans la longue durée, Faculté de

Philosophie, Université Laval, Québec [coll. « Cahiers du LAPAM », IV], p. 51) ; l’idée de Thomas n’est pas

sans rappeler certains aspects de la pensée de Kilwardby par rapport à l’Éthique, dont la méthode semble devenir

plus précise en s’éloignant des opérations singulières (point sur lequel on revient dans le chapitre II). Ce point

est négligé par A. Celano, qui signale que Kilwardby s’éloigne des maîtres ès arts contemporains en considérant

que toute science a une partie pratique et une partie théorique, et que les sciences pratiques « may be based in

part, at least, in theory » ; cette idée était très répandue et n’est aucunement une caractéristique de la pensée de

Kilwardby. Cf. CELANO, « Robert Kilwardby and the Limits of Moral Science ». Cf. ROBERT KILWARDBY, De

ortu scientiarum, éd. A. JUDY, p. 138, § 393-394, l. 5-21 : « Quaero igitur quomodo distinguantur penes

speculationem et praxim, cum illae quae practicae sunt sint etiam speculativae – oportet enim prius virtute

speculativa contemplari quod virtute practica debemus operari – et econverso speculativae non sine praxi sunt.

[...] Et dicendum quod omnis operativa scientia aliquis habet de contemplatione et e converso, sicut dictum est,

sed tamen bene distinguuntur penes contemplationem et operationem tamquam penes fines principaliter

intentos ». 2 Par exemple, dans le commentaire sur les Catégories de Nicolas de Paris ; NICOLAS DE PARIS (?), In

Predicamenta, M, 42ra : « Nam methaphysica docens et utens est de toto ente et partibus entis [...] ». 3 ANONYME, Accessus philosophorum, éd. LAFLEUR, p. 238, l. 920-922 – p. 239, l. 923-924 (avec les sources

indiquées par l’éditeur) : « Contra. Communiter dicitur quod est dyalectica docens et utens, nec docentis et

utentis distinguitur duplex materia, nec sunt diuerse artes, sed eadem differens tantum acceptione : utens enim

a docente sumit ea quibus utitur. Rethor autem et orator habent se sicut docens et utens : ergo non habent

diuersas materias ». 4 Nous ne cherchons pas à établir les origines de cette distinction, très courante et, sans aucun doute, très

ancienne ; une telle recherche ne fait pas partie de notre propos. Nous pouvons toutefois mentionner quelques

antécédents (en plus du passage d’Avicenne que nous citons ci-dessus). Minnis signale par exemple le

commentaire de M. Victorinus sur le De inventione de Cicéron : « Victorinus, citing ‘the precept and sententia

of Cicero’, claimed that ‘every art is twofold, that is, it has a double aspect’. The extrinsic art gives as knowledge

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La distinction entre logica docens et logica utens est très développée dans l’oeuvre

logique d’Albert le Grand1 ; en rapport avec cette distinction, Albert fait une distinction entre

scientia moralis docens et scientia moralis utens2 : l’éthique docens, ayant pour objet des

concepts généraux (vertu, félicité, etc.) et pouvant user des syllogismes, sert à sauvegarder

l’aspect scientifique de l’Éthique. L’éthique utens, pour sa part, se sert du raisonnement

persuasif, propre à la rhétorique (qui est pour Albert une partie de l’Organon)3. Cet élément

de la pensée d’Albert a reçu une certaine attention ces dernières années ; pourtant, les

développements des maîtres ès arts, qui distinguaient déjà de manière assez nette (quoique

pas aussi élaborée) entre les aspects docens et utens de l’Éthique4, sont souvent négligés5.

V. Bilan

L’étude de la logique occupe dans le cursus artien des années 1230-1240 une place

prépondérante. Conçue comme « méthode » et « instrument » de toute science, la logique (à

l’instar des sciences sermocinales en général, comprenant aussi la grammaire et la rhétorique)

offre les outils appropriés à l’étude, l’interprétation et la transmission du reste du corpus

philosophique.

Tout d’abord, la logique se divise en trois, selon les trois modi utilisés dans toute

science : la divisio (permettant de connaître, en le divisant en parties, le sujet étudié dans

chaque science spéciale), la diffinitio (permettant de trouver la définition des parties du sujet

alone ; the intrinsic art shows us the reasons whereby we put into practice that which knowledge gives us »

(MINNIS, Medieval Theories of Autorship, p. 30). Une distinction similaire se trouve dans les Accessus

philosophorum (dont le passage pertinent est cité ci-dessus). 1 TREMBLAY, « Nécessité, rôle et nature de l’art logique d’après Albert le Grand » ; ROBERT, « Le débat sur le

sujet de la logique ». 2 ALBERT LE GRAND, Super Ethica, dans W. KÜBEL (éd.), Sancti Doctoris Ecclesiae Alberti Magni, Ordinis

Fratrum Praedicatorum Opera omnia, vol. 14, 1, Prologus, p. 4 : « Dicendum quod dupliciter potest considerari

scientia ista : secundum quod est docens, et sic finis est scire ; vel secundum quod est utens, et sic finis est ut

boni fiamus ». 3 Nous n’aborderons pas en détail cet aspect de la pensée d’Albert, car il dépasse le propos de notre étude.

Plusieurs travaux récents abordent la distinction entre ethica utens et ethica docens chez Albert le Grand. Voir,

entre autres, TRACEY, The Character of Aristotle’s Nicomachean Teaching in Albert the Great’s Super Ethica ;

J. MÜLLER, « Albert the Great and Pagan Ethics » : TREMBLAY, « Nécessité, rôle et nature de l’art logique

d’après Albert le Grand », p. 130-139 ; S.B. CUNNINGHAM, « Meta-Ethical Reflections on ‘Moral Science’ and

its Procedures » ; ROBERT, « L’idée de logique morale aux XIIIe et XIVe siècles ». 4 Au moyen des formules telles que « in docendo – in utendo » ou « modus docens – modus typicus » ; on

reviendra sur ces formules dans les chapitres qui suivent. 5 À l’exception du travail pionnier de G. WIELAND, Ethica-scientia practica, repris dans plusieurs articles du

même auteur ; cf. Première partie, ch. I, section I ; voir aussi BUFFON, « La certeza y la cientificidad de la

Ética ».

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étudié) et la collectio (incluant le raisonnement par syllogismes démonstratifs et probables

élaborés grâce aux définitions trouvées à partir de la division). La collectio est à son tour

divisée en ars inventiva (l’art de découvrir des arguments visant à prouver une conclusion

recherchée) et l’ars iudicativa ou resolutoria (qui juge la correction et la complétude des

arguments découverts, en remontant de la conclusion, plus connue par nous, aux principes).

Divisio, diffinitio et collectio constituent la méthodologie des sciences humaines et sont

nécessaires pour avoir une connaissance scientifique du sujet.

Or, le trio divisio, diffinitio, collectio est complété par un quatrième mode, le modus

exemplaris suppositivus, qui n’est pas nécessaire à la science, mais qui a une utilité

didactique : par des images sensibles, nous arrivons plus facilement à comprendre les réalités

intelligibles. Dans les commentaires sur l’Éthique, le modus exemplaris est souvent assimilé

aux modes parabolicus et figurativus, décrits aussi, dans le discours des théologiens, comme

les modi propres à l’Écriture sainte et liés à la finalité pratique de l’éthique (devenir bons).

Les maîtres ès arts assimileront ce mode exemplaris à la méthodologie qu’Aristote présente

comme caractéristique du discours éthique (le modus typicus), qui vise l’action (plutôt que la

connaissance) ; pourtant, dans le discours artien, cette méthode sera souvent mise au service

de la connaissance purement intellectuelle. Par rapport à ce point, les maîtres développeront

une discussion méthodologique encadrée par la distinction entre ethica docens et ethica

utens, qui, consolidée chez Albert le Grand, est déjà en germe dans les premiers

commentaires sur l’Éthique.

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Chapitre II. L’application des principes logiques dans la philosophia moralis

I. Ethica docens/ethica utens : Présentation du problème

I.1. La division des sciences et la place de la philosophie morale dans les Commentaires sur l’Éthique

Les divisions des sciences utilisées par les maîtres ès arts de l’Université de Paris

puisent à des sources diverses, combinées de manière très éclectique et complexe ; nous en

avons de nombreux exemples dans les textes didascaliques1. Les cours de la Faculté des arts

sont souvent précédés par un bref rappel de la division de la philosophie (habituellement

exposé in extenso dans les cours inauguraux, ainsi que dans les textes de révision, à la suite

des définitions de la philosophie), qui a pour but de déterminer à quel champ de la philosophie

appartient le livre exposé. Les cours sur l’Éthique ne font pas exception : la Lectura

Abrincensis, le Commentaire de Paris et le Commentaire du Pseudo-Peckham prennent tous

soin de déterminer quelle est la place occupée par la philosophie morale à l’égard des autres

parties de la philosophie2.

1 Une discussion sur la problématique liée à la division médiévale des sciences dépasse la portée du présent

travail. On se limite donc aux remarques strictement nécessaires. Pour un panorama plus complet sur l’origine

et le développement des classifications des sciences utilisées par les auteurs médiévaux on peut consulter, entre

autres : P. HADOT, « Les divisions des parties de la philosophie dans l’Antiquité », Museum Helveticum, 36, 4

(1979), p. 201-223 ; ID., « Philosophie, discours philosophique et division de la philosophie chez les Stoïciens »,

Revue internationale de philosophie, 45, 178, 3 (1991), p. 205-219 ; K. IERODIAKONOU, « The Stoic division

of Philosophy », Phronesis, 38 (1993), p. 57-74 ; J. MARIÉTAN, Problème de la classification des sciences

d’Aristote à St. Thomas, Thèse présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (Suisse) pour

l’obtention du grade de Docteur, St.-Maurice, Paris ; St.-Augustin, F. Alcan, 1901 ; J.A. WEISHEIPL,

« Classification of the Sciences in Medieval Thought », Medieval Studies, 27 (1965), p. 54-90 ; É. WÉBER, « La

classification des sciences selon Avicenne à Paris vers 1250 », dans J. JOLIVET et R. RASHED, Études sur

Avicenne, Paris, Belles Lettres, 1984, p. 77-101 ; H. HUGONNARD-ROCHE, « La classification des sciences de

Gundissalinus », dans J. JOLIVET et R. RASHED, Études sur Avicenne, p. 41-75 ; G. DAHAN, « Les classifications

du savoir aux XIIe et XIIIe siècles », L’enseignement philosophique, 40, 4 (1990), p. 5-27 ; ID., « La

classificazione delle scienze e l’insegnamento universitario nel XIII secolo », dans G.P. BRIZZI et J. VERGER

(éds), Le università dell’Europa, Milan, Silvana editoriale, 1994, p. 19-43 ; C. LAFLEUR, « Abstraction,

séparation et tripartition de la philosophie théorétique : quelques éléments de l’arrière-fond farabien et artien

de Thomas d’Aquin, Super Boetium ‘De trinitate’, question 5, article 3 », RTPM, 65, 2 (1998), p. 248-271 ; C.

LAFLEUR et J. CARRIER, « La Philosophia d’Hervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d’introductions

à la philosophie du ms. Oxford, Corpus Christi College 283 » (première partie), Archives d’Histoire Doctrinale

et Littéraire du Moyen Âge, 61 (1994), p. 166-195 (où nous trouvons une description commentée de la division

présentée dans le ms. Oxford, Corpus Christi College 283) ; J. JOLIVET, « Classifications des sciences arabes et

médiévales », dans R. RASHED et J. BIARD (éds), Les doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique,

Leuven, Peeters, 1999, p. 211-235 ; J.M. MANDOSIO, « La place de la logique et ses subdivisions dans

l’énumération des sciences d’al-Fârâbî et chez Dominicus Gundissalinus », dans J. BRUMBERG-CHAUMONT, Ad

notitiam ignoti, p. 285-310. 2 Le prologue de l’Expositio de Kilwardby est, pour sa part, incomplet ; le texte (qui contenait fort probablement

des questions ou des dubitationes) s’arrête bien avant la discussion du rôle de la philosophie morale, avec la

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105

Les divisions présentées par les maîtres ès arts dans les cours sur l’Éthique peuvent

toutes se ramener à la tripartition stoïcienne de la philosophie en philosophie naturelle

(naturalis), morale (moralis) et rationnelle (rationalis ou sermocinalis), quoiqu’elles soient

exposées de diverses manières. Dans le cadre de cette division, les maîtres vont s’interroger

(au moyen d’une question développée de façon assez similaire dans les trois commentaires

que nous considérons ici) sur la possible supériorité de la morale par rapport aux autres

parties de la philosophie (et notamment par rapport à la philosophie première).

I.1.1. La division des sciences dans les cours sur l’Éthique

On exprime ensuite, dans ses grandes lignes, les classifications développées dans les

Prologues de ces trois commentaires artiens.

La division exposée par l’auteur de la Lectura Abrincensis pose certains problèmes,

car le maître énonce l’arrière-plan doctrinal de son commentaire de manière très condensée

et le manuscrit présente de nombreux problèmes textuels de résolution difficile. Il s’avère

particulièrement ardu de déterminer quelle est la place occupée par la philosophie première

(ou science divine, d’après l’appellation utilisée par l’anonyme). Tout d’abord, le maître

présente une tripartition de la philosophie selon trois biens humains : la santé, un bien

recherché par la philosophie naturelle (assimilable à la philosophie théorétique

aristotélicienne, amputée ici de sa partie supérieure, la science divine, que le maître ne

mentionne que plusieurs paragraphes plus tard) ; la science « jointe à l’intention de la

doctrine », un bien recherché par la philosophie rationnelle ; et la félicité ou vertu, un bien

recherché par la philosophie morale :

Il semble que toute doctrine soit opératrice de quelque bien ; et derechef,

toute doctrine souhaite quelque bien. <Or>, comme le bien prochain souhaité par

les diverses doctrines n’<est> pas le même – il y a trois parties de la doctrine, de

même qu’<il y a> trois parties de la philosophie humaine –, il y aura un triple

bien correspondant à ces trois parties, à savoir le bien de la philosophie morale,

et le bien <de la philosophie> naturelle, et le bien <de la philosophie> rationnelle.

Or les parties de la philosophie naturelle sont ordonnées vers le bien humain qui

est la santé ; tandis que les parties de la philosophie rationnelle <sont ordonnées>

vers le bien humain qui est la science jointe à l’intention, <c’est-à-dire au

phrase « Sed nunc dubitatur utrum de sermone possit esse scientia » (P1, f. 1rb ; C, f. 285rb [le mot final,

scientia, est omis dans C]).

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dessein>, de la doctrine ; le bien de la philosophie morale, quant à lui, est la

félicité ou la vertu1.

La suffisance (autrement dit l’exhaustivité) de cette tripartition est justifiée dans un

passage qui n’est pas sans rappeler (quoique très vaguement) le traité pseudo-augustinien De

spiritu et anima2. Trois dimensions de la vie de l’âme sont considérées : l’âme en tant que

principe vivificateur du corps (aspect lié au bien qu’est la santé), l’âme en tant qu’elle vit

« au moyen de la science des réalités » (l’équilibre de la division exige que cet aspect soit lié

à la philosophie rationnelle, dont le bien est la science, quoique l’expression scientia rerum

évoque la philosophie naturelle), l’âme qui vit par la participation de la félicité (un bien

recherché par la philosophie morale)3.

Or, le maître envisage par la suite une description des parties de la philosophie déjà

énumérées. Loin d’éclairer le lecteur, cette digression, parsemée d’erreurs de copie très

difficilement rectifiables, induit une certaine confusion sur la place et l’objet de chacune des

sciences. Nous apprenons d’abord que la philosophie naturelle a deux parties, la physique et

la mathématique, toujours ordonnées vers le bien humain qu’est la santé (la philosophie

première étant toujours absente) : le tout est encadré par le célèbre adage de la Physique

« sumus enim et nos, quodammodo, finis omnium que sunt » (II, 2, 194a34-35) ; l’étude de la

nature (qui inclut l’étude des mouvements célestes) est ainsi orientée vers l’homme, dont la

santé est affectée par les corps supérieurs4 :

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 1, notre édition : « Omnis doctrina alicuius

boni esse operatrix uidetur ; et iterum, omnis doctrina aliquod bonum exoptat. Cum ergo non idem bonum

proximum exoptatum a diuersis doctrinis – tres autem sunt partes doctrine, sicut tres partes philosophie

humane –, erit triplex bonum respondens hiis tribus partibus, scilicet bonum moralis philosophie, et bonum

naturalis et bonum rationalis. Sunt autem partes naturalis philosophie ordinate ad bonum humanum quod est

sanitas ; partes uero rationalis philosophie ad bonum humanum quod est scientia coniuncta intentioni doctrine ;

bonum autem moralis philosophie est felicitas siue uirtus ». 2 PSEUDO-AUGUSTIN, De spiritu et anima, ch. IX, éd. J.P. MIGNE, Paris, PL, 40, 1847, col. 784-785 : « Duplex

est quidem vita animae ; alia qua vivit in carne, el alia qua vivit in Deo. Duo siquidem in homine sensus sunt,

unus interior, et unus exterior, et uterque bonum suum habet in quo reficitur. Sensus interior reficitur in

contemplatione divinitatis, sensus exterior in contemplatione humanitatis ». 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 2, notre édition : « Quod autem sit triplex

bonum humanum, et non amplius, perpenditur ex consideratione uite. Vita enim [aut] est in corpore per animam,

et sic hominis, et huius [in] complementum sanitas conseruata usque ad terminum qui sibi positus est ab Opifice.

Vita uero spiritualis est duplex : una qua uiuit anima per scientiam rerum et alia qua uiuit participatione

felicitatis ut uirtutis ». 4 Comme notre commentateur, d’autres maîtres ont relié ce lemme de la Physique à la problématique de

l’influence des corps supérieurs sur les corps inférieurs (ainsi qu’à la thématique de l’homme-microcosme) ;

voir par exemple PSEUDO-JEAN LE PAGE, Sicut dicit philosophus, éd. C. LAFLEUR, « Une figure métissée du

platonisme médiéval : Jean le Page et le Prologue de son Commentaire (vers 1231-1240) sur l’Isagoge de

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Or, il y a <aussi>, comme il a été dit plus haut, la philosophie naturelle

qui a ces deux parties : la mathématique et la physique, ordonnée vers le bien qui

est la santé, Isidore attestant <ce> qui s’évalue ainsi en mathématique : en effet,

chaque <discipline> mathématique est ordonnée vers l’astrologie, puisqu’elle est

à vrai dire une science déterminative des propriétés qui arrivent dans <les corps>

inférieurs selon le mouvement des <corps> supérieurs – au pouvoir desquelles

<propriétés> il arrive que se produisent l’altération et la conservation de la santé

de la constitution dans le corps humain. Et en effet nous sommes, d’une certaine

façon, la fin de toutes les <choses> qui sont1.

Le maître envisage ensuite une hiérarchisation de ces deux parties de la philosophie

naturelle, l’une inférieure, ordonnée à la nature matérielle de la santé (correspondant sans

aucun doute à la Physique), l’autre supérieure2 qui semble s’identifier (mais l’auteur n’est

pas ici très précis) à la science des astres3 (plutôt qu’à la philosophie première ou

métaphysique, que le maître omet pour l’instant de mentionner).

Porphyre », dans B. MELKEVIK et J.M. NARBONNE (éds), Une philosophie dans l’histoire, Québec, Presses de

l’Université Laval, 2000, § 5, p. 145-147 ; nous citons le passage dans les notes au paragraphe § 3 de notre

édition du Prologue. 1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 3, notre édition : « Est autem, sicut dictum

est prius, naturalis philosophia que habet has duas partes : mathematicam et phisicam, ordinatam ad bonum

quod est sanitas, testante YSIDORO quod sic perpenditur in mathematica : mathematica enim unaqueque ad

astrologiam ordinatur, quia scientia uero est determinatiua proprietatum que accidunt in inferioribus secundum

motum superiorum – penes quas accidit alterationem fieri et conseruationem sanitatis complexionalis in

humano corpore. Sumus enim et nos, quodammodo, finis omnium que sunt ». Pour les nombreuses modifications

(fondées sur des sources parallèles) qui ont été introduites afin de rectifier la lecture de ce passage, nous

renvoyons à l’apparat des variantes de notre édition. 2 Une telle hiérarchisation se trouve aussi dans d’autres textes artiens de cette période. La physique (appelée

parfois « naturalis inferior ») occupe normalement la place inférieure, car elle traite des choses jointes au

mouvement et à la matière, alors que la mathématique, qui considère les choses comme séparées de la matière

et du mouvement selon l’abstraction, occupe une place intermédiaire entre la physique et la métaphysique

(partie supérieure de la philosophie naturelle) ; cf. par exemple NICOLAS DE PARIS, Philosophia, éd. LAFLEUR

et CARRIER, p. 445, § 7 : « Naturalis autem philosophia tam large sumpta continet methaphisicam,

mathematicam et naturalem inferiorem. [...] qui uero considerat res coniunctas cum motu et materia, non tamen

prout sunt coniuncte sed in abstractione, dicitur ‘mathematicus’ – mathematica enim est quasi medium inter

methaphisicam et naturalem inferiorem » ; ANONYME, Dicit Aristotiles, éd. LAFLEUR et CARRIER, dans C.

LAFLEUR et J. CARRIER, « La Philosophia d’Hervé le Breton (alias Henri le Breton) et le recueil d’introductions

à la philosophie du ms. Oxford, Corpus Christi College 283 » (deuxième partie), AHDLMA, 62 (1995), p. 386,

§ 40 : « Et ex hoc patet quod mathematica scientia medium est ad naturalem et methaphisicam uel diuinam ». 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 4, notre édition : « Naturalis philosophie

inferior pars est ordinata ad materialem naturam sanitatis que est in calidis et frigidis et humidis et siccis et

consequentibus huius ; quod patet decurrendo per partes naturalis philosophie inferiores ; unde, cum hec sit

diffinitio sanitatis, ‘sanitas est commensuratio calidorum et frigidorum, humidorum et siccorum in se et ad

continens’, ex parte materialis nature ordinatur inferior pars philosophie ; ex parte uero commensurabilis ad

continens – cum ʻcontinensʼ dicatur principaliter corpus circumdans elementa, quod facit inpressionem super

corpora materialia – ordinabitur naturalis philosophie superior pars ». Une lecture d’ensemble des paragraphes

§ 3-4 (fort corrompus) et une comparaison avec le Prologue du Commentaire de Paris (dont les traits généraux

de la division des sciences sont assez proches), ainsi qu’avec d’autres sources parallèles, nous permettent

d’imaginer qu’il s’agit de l’astrologie (prise au sens large) : le mouvement des corps supérieurs détermine en

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La philosophie rationnelle (dont les parties ne sont pas énumérées) a pour but la

science (comme le maître le dit dans un premier temps), mais en tant qu’elle relève des

affections1 du vrai et du bien2 : l’inclusion du bien dans la sphère de la philosophie rationnelle

est pour le moins étrange, car le bien appartient plutôt au domaine du philosophe moral : le

bien est souvent présenté comme l’objet propre aux puissances motrices. Or, selon le maître,

la philosophie rationnelle s’occupe de son objet du point de vue formel, alors que la

philosophie naturelle s’en occupe du point de vue matériel3. En dépassant ce qui est dit par

l’auteur, nous pouvons songer à voir ici une distinction plus ample : la philosophie rationnelle

s’occuperait, formellement, des objets propres à la philosophie naturelle et à la philosophie

morale, le vrai et le bien, considérés par ces sciences matériellement4.

La philosophie morale est rappelée très rapidement : ses parties ne sont pas

énumérées, comme on aurait pu l’espérer dans un traité qui lui est consacré5.

Ce n’est qu’au § 8 que la science divine est mentionnée : elle fait partie d’un nouveau

trio où la philosophie rationnelle est absente, comprenant la science divine (portant sur le

meilleur objet), la philosophie naturelle (ayant la meilleure manière de procéder) et la

philosophie morale (étant la plus près du meilleur). C’est dans le cadre de cette distinction

(divina, naturalis, moralis) que nous trouverons développée la discussion sur la place

effet les altérations survenues dans le monde inférieur, et affecte en conséquence l’équilibre des éléments froids,

chauds, secs et humides qu’est la santé. 1 Il est difficile de déterminer la signification que ce mot acquiert dans ce contexte. Il nous semble qu’il ne

s’agit pas de l’affection relevant de l’intellect pratique dans laquelle se perfectionne la contemplation (dont le

maître nous parle au § 10), mais simplement des affections dans les sens des « passions » ou « propriétés » d’un

sujet ; en effet, il revient à la philosophie rationnelle de montrer formellement que certaines propriétés peuvent

être attribuées à certains sujets. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 5, notre édition : « Rationalis uero

philosophia ordinata est ad scientiam secundum quod interpretata affectuum ueri et boni ; quod patet facta

consideratione in partibus eius. Materialiter uero naturalis philosophia, iam dicta, <ordinata> est ad eumdem

finem ». 3 Le maître revient sur cette distinction dans la première leçon. Cf. ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam

Veterem, Lectio II, § 8, notre édition : « Cum autem dicit : quemadmodum alia, designat quod operatio rationalis

philosophie et naturalis <est> contemplationis gratia, una formaliter, altera materialiter ». 4 Ce dédoublement n’est pas étranger à d’autres aspects considérés par la Lectura Abrincensis : l’étude des

causes formelles de la vertu est en rapport étroit à la logique (notamment en rapport aux Catégories) ; il s’agit

précisément de déterminer le genre et la différence spécifique de la vertu pour en donner une définition

universelle. Cette étude s’oppose toujours à celle des causes matérielles de la vertu. 5 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 6, notre édition : « Moralis uero philosophia

ordinata est ad bonum quod est felicitas siue uirtus ; quod patet in partibus eius moralis philosophie ».

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occupée par la philosophie morale dans l’ensemble des sciences ; nous y reviendrons dans la

section suivante1.

Le Commentaire de Paris partage, dans les grandes lignes, la division présentée par

la Lectura Abrincensis. La philosophie est divisée selon la substance humaine (ou l’homme),

qui en est la finalité2 ; et, comme dans la Lectura (avec certaines différences), cette division

se produit à partir de la considération d’un triple aspect de l’âme intellective. Elle est d’une

part liée au corps « auquel elle donne la vie » : cet aspect tombe sous la science naturelle3.

Or, l’âme (considérée dans son aspect purement intellectuel) se rapporte aussi à ses objets, le

vrai (qui tombe sous la philosophie rationnelle) et le bien (qui tombe sous la philosophie

morale), à partir desquels la puissance intellective reçoit la vie (au lieu de la conférer, comme

dans le cas du corps)4. Mais, dans ce commentaire, la division interne des parties de la

philosophie naturelle est beaucoup plus claire que dans la Lectura : elle inclut la

métaphysique ou philosophie première (car les corps célestes visent l’assimilation au

créateur), les sciences mathématiques (subordonnées à l’astrologie, car les mouvements

célestes s’ordonnent à l’union de l’âme et du corps), et les sciences liées à la philosophie

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 8, notre édition : « Primo modo est scientia

diuina melior : est enim de summo bono. Secundo uero modo est naturalis philosophia melior secundum

aliquam sui partem. Est enim <in> meliori forma, procedit certitudinibus, enim docetur. Tertio uero modo

moralis philosophia melior quia magis ordinat ad felicitatem acquirendam ». 2 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prohemium, éd. ZAVATTERO, p. 19, l.

4-5, p. 20, l. 31-35 : « Sicut dicit Aristotiles in secundo Physicorum nos sumus finis omnium eorum quod sunt ;

et hoc quod dico ‘nos’ subponitur substantia humana. [...] Et sic patet quod philosophie siue sciencie potius

ordinantur ad substantiam humanam sicut ad finem quam ad intelligenciam siue ad corpora supercelestia. Et

hoc modo intelligendum est uerbum Philosophi cum dicit quod nos sumus finis omnium eorum quod sunt. Et

ex hiis patet quod substantia humana est propter quam sunt philosophie ». Comme dans la Lectura Abrincensis

et dans l’introduction Sicut dicit philosophus du Pseudo-Jean le Page, nous trouvons ici, encadrant cette division

de la philosophie qui considère les mouvements des astres dans son rapport à la substance humaine, l’adage de

la Physique « Nos sumus finis omnium eorum quod sunt », que Zavattero semble pourtant considérer comme

un trait originel du Commentaire de Paris : « Au lieu des modalités adoptées par ces maîtres pour expliquer

une telle subdivision, notre auteur adopte l’adage aristotélicien ‘Nos sumus finis omnium eorum que sunt » ;

cf. ZAVATTERO, « Le prologue de la Lectura in Ethicam veterem », p. 15-16. 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prohemium, éd. ZAVATTERO, p. 20, l.

37-42 : « [...] manifestum est quod debent diuersificari sciencie secundum quod diuersificatur anima intellectiua

siue pars intellectiua. Set anima intellectiua comparatur ad corpus cui dat uitam et comparatur ad obiecta. Anima

enim intellectiua confert uitam corpori et sciencia naturalis sumitur in comparatione ad animam humanam

secundum quod ipsa est uita corporis siue dans uitam corpori ». 4 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prohemium, éd. ZAVATTERO, p. 20, l.

42-48 : « Set rationalis philosophia et moralis sunt propter substantiam humanam secundum quod ipsa pars

intellectiua comparatur ad obiecta, set obiecta ipsius partis intellectiue sunt bonum et uerum. Et notandum quod

non est eadem comparatio potentie intellectiue ad corpus omnino que est ad bonum et uerum, que sunt ipsius

obiecta : quia potentia intellectiua siue pars intellectiua dat uitam corpori, set uero et bono, que sunt obiecta

ipsius, con confert uitam set ab ipsis accipere uiuere siue uitam ».

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naturelle prise « au sens strict » (s’occupant notamment de l’âme en tant qu’elle est unie au

corps)1.

Le Commentaire du Pseudo-Peckham, très élaboré, présente une division beaucoup

plus complexe que les autres2 : initialement morcelée en deux branches, l’une correspondant

à la science sur les signes (de signis), l’autre à la science sur les réalités (de rebus)3, la division

découle par la suite dans la tripartition stoïcienne, tout en faisant coïncider la science de signis

(s’occupant des réalités « en tant qu’elles sont signifiées ») avec la scientia sermocinalis, et

en divisant la deuxième branche (de rebus) en deux, la science naturalis (dont l’objet, saisi

par la puissance spéculative, est le vrai) et la science moralis (dont l’objet, appréhendé en

vertu de la puissance motrice, est le bien)4. La même division tripartite peut être justifiée

1 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prohemium, éd. ZAVATTERO, p. 21, l.

57-67 : « [...] et quod omnis naturalis philosophia sit propter animam humanam, per hunc modum patet. De

naturali secundum quod naturalis sumitur stricte non est dubium. De naturali secundum quod sumitur large hoc

modo patet : quia naturalis secundum quod sumitur large continet mathematicas et philosophiam primam ; set

quamuis dicat Aristotiles in Philosophia prima quod corpora supercelestia mouentur ut assimilentur suo

creatori, mouentur propter aliud, scilicet propter unionem anime humane cum corpore. Et sic patet quod scientia

methaphisice est propter hominem. Item omnes mathematice ordinantur ad astrologiam. Set astrologia est

propter unionem anime humane cum corpore quia motus corporum supercelestium, de quo determinat

astrologus, est propter huiusmodi unionem ». 2 Sur la division des sciences présentée par le Pseudo-Peckham dans son commentaire, voir : BUFFON, L’idéal

éthique des maîtres ès arts, p. 14-18 ; BUFFON, « Anonyme (Pseudo-Peckham) ‘Lectura cum questionibus in

Ethicam novam et veterem’ », p. 314-315. 3 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Prologus, éd. BUFFON, p. 356,

l. 2-8 : « Cum scientie quedam sint de rebus et quedam de signis, cum scientia sit habitus anime intellectiue,

non erit scientia de signis quibuslibet, set de signis que, mediante sensu, comparationem habent essentialiter ad

animam intellectiuam uel ad potentiam eius. [...] Similiter autem non erit, proprie loquendo, scientia de rebus

nisi prout accipiuntur sub proprietatibus sub quibus habent relationem ad animam ipsam » ; la source de ce

passage se trouve dans AUGUSTIN, De doctrina christiana, I, 2, éd. I. MARTIN, Aurelii Augustini Opera,

Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum », Series latina, XXXII), 1962, p. 7, l. 1-2 : « Omnis doctrina

vel rerum est vel signorum, sed res per signa discuntur ». Pour les sources plus immédiates de cette distinction

utilisée par le Pseudo-Peckham (dont Pierre Lombard), on se permet de renvoyer à l’apparat des sources de

l’édition de Buffon (p. 356, notes à la ligne 2). Pour un autre exemple de l’utilisation de cette division dans le

milieu artien, cf. OLIVIER LE BRETON, Philosophia, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 482, § 25 : « Speculatiua

diuiditur in scientiam de signis et scientiam de rebus ». Comme le Pseudo-Peckham, Olivier le Breton identifie

la science de signis aux sciences sermocinales ; toutefois, il n’inclut pas la morale dans la science de rebus (qui

est divisée en naturalis, metaphisica et mathematica ; Ibid. : « Scientia autem de rebus diuiditur : aut est de

rebus in materia, et sic est naturalis ; aut de rebus abstractis a materia simpliciter, et sic est metaphisica ; aut de

rebus que sunt in motu et materia, considerantur tamen preter motum et materiam, et sic est mathematica [...] » ;

p. 485, § 43-44 : « Nunc ad diuisionem scientie que de signis est accedemus. Hec scientia sermocinalis de

lingua, rationalis de signis etiam nuncupatur [...] ». 4 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Prologus, éd. BUFFON, p. 356,

l. 9-12 – p. 357, l. 13-15 : « Duplex autem est potentia anime : scilicet speculatiua uel cognoscitiua, cui per se

obiectum est uerum ; et motiua, cui per se obiectum est bonum. Et ideo scientia de rebus erit uel de rebus sub

ratione ueri, uel de rebus sub ratione boni. Et secundum hoc habetur prima diuisio philosophie siue scientie

quam ponit Augustinus in pluribus locis in libro De ciuitate Dei et quam signat Aristotiles in Topicis in diuisione

problematis per rationalem siue sermocinalem, naturalem et moralem ».

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différemment. Les réalités existantes sont considérées selon qu’il s’agit des réalités au-delà

de notre pouvoir (preter opus nostrum), étudiées par la science naturelle, ou des réalités

existant à partir de nos opérations (ab opere nostro), étudiées par la philosophie morale ;

considérées en tant qu’elles sont signifiées, ces réalités tombent sous les sciences

sermocinales1. La science morale est conséquemment divisée selon qu’elle s’occupe du bien

divin (la félicité, qui nous est conférée par Dieu et constitue le sujet de la science morale) ou

du bien humain (la vertu, que nous acquérons par nos opérations et qui constitue la voie vers

le bien divin qu’est la félicité)2.

I.1.2. La place de la philosophie morale dans la hiérarchie des sciences

Or, une fois la division des sciences établie et le domaine de la philosophie morale

délimité, il reste à savoir quelle est sa position par rapport aux autres sciences. Cette question

n’est pas sans importance pour la discussion méthodologique que les maîtres envisageront

par la suite : la position de la philosophie morale dans la hiérarchie des sciences (subordonnée

ou dominante) exige la justification de la méthodologie au moyen de laquelle elle est

transmise (qui peut être plus ou moins « noble » ou « certaine » que celle des autres sciences).

C’est dans le cadre de cette discussion que nous trouvons une questio ou dubitatio qui,

structurée de manière similaire dans les trois commentaires que nous venons d’analyser3,

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Prologus, éd. BUFFON, p. 357,

l. 16-23 : « Aliter potest habere diuisio [...]. Res autem possunt dupliciter considerari : aut secundum quod sunt,

aut secundum quod significantur. Si secundum quod sunt, dupliciter : aut in quantum sunt ab opere nostro, aut

in quantum sunt preter opus nostrum. Et secundum hoc habetur diuisio scientie per tres differentias, sicut prius :

quia quedam erit scientia de rebus in quantum significantur ; quedam autem de rebus ut sunt preter opus

nostrum ; et quedam de rebus ut sunt ab opere nostro ». 2 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Prologus, éd. BUFFON, p. 358,

l. 26-39 : « [...] diuiditur moralis philosophia essentialiter secundum diuisionem boni. Bonum autem duplex

est : diuinum, id est a Deo collatum, ut felicitas [...] et humanum, id est ab homine per rectas operationes [...]

acquisitum, quod est uirtus [...]. Aliter etiam potest diuidi – licet satis in idem redeat – dicendo felicitatem esse

subiectum moralis philosophie [...] moralis philosophus primo notificat felicitatem secundum se, postea docet

ex quibus et qualibus felicitas in nobis ». 3 Kilwardby se distingue encore, de ce point de vue, des trois autres Lecturae, car nous ne trouvons pas, dans

l’Expositio, une pareille question. Toutefois, Kilwardby fait dans l’Expositio quelques remarques concernant le

statut de la science civile, qu’il considère, en suivant le texte d’Aristote, comme subordonnant le reste des

disciplines existant dans la cité (même la discipline « théorique» ; il se laisse ici emporter par le texte corrompu

de la traduction qu’il lit ; cf. BUFFON, « La certeza y la cientificidad de la Ética », p. 172-173). Mais c’est

véritablement dans le De ortu scientiarum qu’il faut chercher la position de Kilwardby sur le statut de la

philosophie morale : la morale est « d’une certaine manière » la finalité de « toute la philosophie », car elle

cherche la béatitude, finalité supérieure à la simple connaissance spéculative. Kilwardby est ici très cohérent :

nous avons déjà considéré ses cours sur l’Ars Vetus (particulièrement, le Prologue à son cours sur l’Isagogé),

où la vertu (cherchant la perfection de l’âme entière, et non seulement de sa partie intellective) était placée au-

dessus de la logique (cf. Deuxième partie, ch. I, section II). Cette position de Kilwardby a été considérée par A.

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s’interroge sur la supériorité apparente de la philosophie morale (ou science civile) par

rapport aux autres sciences.

La Lectura Abrincensis et le Commentaire de Paris présentent la question1 dans le

Prologue au commentaire sur la Vetus ; la Lectura du Pseudo-Peckham, pour sa part, le fait

dans la troisième leçon, consacrée à l’Ethica Nova. Le point de départ des maîtres n’est pas

exactement le même : la Lectura Abrincensis compare la science morale à la science naturelle

et à la science divine, tandis que le Commentaire de Paris part du trio rationalis - naturalis

- moralis ; le Pseudo-Peckham, quant à lui, laisse de côté la philosophie rationnelle pour

comparer uniquement la science civile et la science spéculative (de sorte que la comparaison

s’articule autour de la distinction entre action et spéculation) :

ANONYME, Lectura

Abrincensis in Ethicam

Veterem

ANONYME, Lectura in

Ethicam Veterem (alias

Commentaire de Paris)

PSEUDO-PECKHAM, Lectura

cum questionibus in Ethicam

Veterem

Donc si nous examinons les

parties de la philosophie dans

la mesure où l’excellent parti-

cipe de la fin, la meilleure par-

tie sera celle qui est par rap-

port au meilleur. C’est pour-

quoi la philosophie morale

semblera être meilleure que

les autres <parties de la philo-

sophie>2.

Et ici on a l’habitude de se de-

mander <sur cela> : puisque

<la science> naturelle est <da-

vantage> relative au meilleur

et au plus certain que <la

science> morale, et similaire-

ment en est-il <de la science>

rationnelle, il semble que la

<science> morale s’ordonne

aux autres et non l’inverse3.

La fin de la <science> spécu-

lative est la connaissance ou le

vrai, tandis que la fin de la

<science> civile est le bien et

même le meilleur. Si donc le

meilleur est plus noble que le

vrai et ce dont la fin est meil-

leure et plus noble, cela même

est plus noble et meilleur, la

doctrine civile sera meilleure

Celano comme « inhabituelle » ; mais on la retrouve aussi dans les textes artiens que nous examinons ici

(quoiqu’il ne soit pas certain que tous les maîtres partagent la même motivation pour faire de la morale une

science supérieure). Cf. ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, 409, p. 142, l. 30, 142, l. 2 :

« Hinc igitur satis patet quod omnes activae scientiae ordinantur ad ethicam et ei famulantur, nec non etiam et

omnes speculativae et maxime ad moralem. Et ita finis ultimus quodammodo totius philosophiae est Ethica

moralis et finis eius ultimus finis omnium finium intentorum in philosophia et partibus eius, et per consequens

totius philosophiae et ita omnis philosophia et omne quod ea philosophia intenditur ad beatitudinem ordinatur » ;

CELANO, « Robert Kilwardby on Ethics », p. 340. 1 À strictement parler, la Lectura Abrincensis ne présente pas de questions dans son Prologue ; pourtant,

l’ensemble des paragraphes § 7-8 présente une structure similaire à celle d’une questio ou dubitatio (à l’aide du

mot uidebitur). Il est possible d’imaginer que ce Prologue, très condensé dans la version qui nous est parvenue,

contenait des questions dans sa version originelle. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 7, notre édition : « Si ergo consideremus

partes philosophie prout participat optimum a fine, erit melior <pars> que est ad melius. Quare uidebitur moralis

philosophia esse melior aliis ». 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prohemium, éd. ZAVATTERO, p. 22, l.

103-104 : « Set hic solet queri : cum naturalis sit de meliori et certiori quam moralis et similiter rationalis,

uidetur quod moralis ordinetur ad ipsas et non econtrario ».

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et plus noble que la philoso-

phie première1.

Or, malgré les différences superficielles, les trois commentaires présentent un élément

structurant commun : ils « testent » la supériorité potentielle de la philosophie morale (ou

science civile) selon trois aspects : son sujet, sa finalité et sa manière de procéder :

ANONYME, Lectura

Abrincensis in Ethicam

Veterem

ANONYME, Lectura in

Ethicam Veterem (alias

Commentaire de Paris )

PSEUDO-PECKHAM, Lectura

cum questionibus in Ethicam

Veterem

Pour cette raison il faut com-

prendre qu’une partie de la

philosophie est dite meilleure

qu’une autre ou bien parce

qu’elle est relative au meil-

leur, ou bien parce qu’elle est

dans la meilleure forme, ou

bien parce qu’elle est le plus

près par rapport au meilleur2.

Et il faut répondre qu’une

science est dite être plus cer-

taine et meilleure que les

autres de trois manières, à sa-

voir ou parce qu’elle est rela-

tive au meilleur, ou parce

qu’elle est faite d’une manière

plus certaine ou meilleure, ou

parce qu’elle est <ordonnée> à

la meilleure fin3.

À ce dernier <point> il faut

dire qu’une science est dite

être plus noble et plus certaine

qu’une autre en raison de trois

causes : ou parce qu’elle est

relative au plus noble et au

plus certain, ou parce qu’elle a

le mode de procéder le plus

noble [...], ou à cause de la fin

plus noble envisagée selon la

science4.

La structure de cette question se trouve présentée de manière similaire à propos

d’autres sciences dans d’autres commentaires artiens de l’époque ; nous en avons un exemple

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F f. 7rb ; O f. 6vb : « Finis

speculatiue est cognitio siue uerum, finis uero ciuilis bonum immo (ymmo O) optimum. Si (scilicet O) ergo

optimum est nobilius uero et cuius finis melior et nobilior <est> (nobilior est melior O), ipsum est nobilius et

melius, doctrina ciuilis erit melior et nobilior philosophia prima ». Sauf indication contraire, toutes les

transcriptions du Commentaire du Pseudo-Peckham ont été gracieusement offertes par V. Buffon, que je

remercie. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 7, notre édition : « Propter quod

intelligendum quod melior dicitur pars philosophie altera [altera] uel quia est de meliori, uel quia in forma

meliori, uel quia est ad melius proximo ». 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prohemium, éd. ZAVATTERO, p. 22, l.

105-107 : « Et dicendum est quod scientia dicitur esse certior et melior alia tribus modis, scilicet aut quia est de

meliori, aut quia fit certiori modo uel meliori, aut quia est ad meliorem finem ». 4 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F. 7rb ; O f. 6vb : « Ad (et ad

F) hoc ultimum dicendum quod scientia dicitur esse (esse om. O) nobilior et certior alia tribus [de] causis : uel

quia de nobiliori et certiori, uel quia modum (quia per modum O) procedendi habet nobiliorem [...], uel propter

nobiliorem finem intentum secundum scientiam ».

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dans le commentaire sur les Premiers Analytiques de Kilwardby1, qui nous donne en plus des

précisions concernant la source de laquelle les commentateurs de l’Éthique ont pu, en partie,

s’inspirer : le Grand Commentaire d’Averroès sur le De anima, où le cordouan applique à la

science de l’âme un double critère (tout en excluant le troisième critère, la finalité) visant à

établir sa supériorité par rapport aux autres sciences : « En effet, les arts ne diffèrent l’un de

l’autre que par l’un de ces deux modes, à savoir ou par la confirmation de la démonstration,

ou par la noblesse de son sujet, ou par les deux »2.

La réponse à cette question prendra des formes diverses. La Lectura Abrincensis

considère que la philosophie morale n’est supérieure aux autres que de manière relative, car

elle nous ordonne davantage à la félicité : nous pouvons donc dire qu’elle est meilleure

d’après sa finalité. Pourtant, les autres sciences la dépassent en ce qui concerne le sujet (elle

est dépassée par la science divine, qui traite du meilleur sujet, le souverain bien) et en ce qui

concerne la manière de procéder (où la science naturelle l’emporte sur les autres, du moins

selon l’une de ses parties – fort probablement la mathématique3) :

De la première manière la science divine est meilleure : elle est en effet

relative au souverain bien. Tandis que de la deuxième manière la philosophie

naturelle est meilleure selon une certaine partie d’elle-même. Elle est en effet

dans une meilleure forme, elle procède au moyen de certitudes, <et> en effet elle

est enseignée. Mais de la troisième manière la philosophie morale est meilleure

parce qu’elle ordonne davantage pour acquérir la félicité4.

1 ROBERT KILWARDBY, In libros Priorum analeticorum Aristotelis Expositio, Venise, 1516, p. 2a-2b : « Sed

tunc dubitatur. Si enim logica simul tradat scientiam et modum sciendi, nulla autem scientia specialis hoc

potest : videtur quod logica sit nobilior et dignior omni scientia speciali. Contrarium tamen videtur per hoc quia

neque est de nobiliori subiecto neque nobiliori modo neque certiori procedit quam specialis ; et his duobus

modis est una scientia nobilior alia et dignior sicut patet in primo De anima commento primo. Et dicendum

quod logica in suo genere nobilior est et melior aliis ». 2 AVERROÈS, Commentarium Magnum in Aristotelis De anima libros, éd. CRAWFORD, comm. 1, p. 3, l. 13-16 :

« Artes enim non differunt ab invicem nisi altero horum duorum modorum, scilicet aut confirmatione

demonstrationis aut nobilitate subiecti aut utroque ». 3 On trouve la mathématique caractérisée d’une façon très similaire chez Cassiodore. Cf. CASSIODORE,

Institutiones, II, Praef., 4, éd. R.A.B. MYNORS, Cassiodori senatoris Institutiones, Oxford, Oxford Clarendon

Press, 1963, p. 92, l. 3-7 : « Mathematicam vero Latino sermone doctrinalem possumus appellare ; quo nomine

licet omnia doctrinalia dicere possimus quaecumque docent, haec sibi tamen commune vocabulum propter suam

excellentiam proprie vindicavit [...] ». 4 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Prologus, § 8, notre édition : « Primo modo est scientia

diuina melior : est enim de summo bono. Secundo uero modo est naturalis philosophia melior secundum

aliquam sui partem. Est enim <in> meliori forma, procedit certitudinibus, enim docetur. Tertio uero modo

moralis philosophia melior quia magis ordinat ad felicitatem acquirendam ».

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Le Commentaire de Paris et la Lectura du Pseudo-Peckham abordent la question

différemment ; mais tous les deux considèrent que la philosophie morale (ou science civile)

est meilleure simpliciter, quoiqu’elle soit inférieure aux autres quant à la manière de

procéder. Au moyen d’une réponse assez simple, l’auteur anonyme du Commentaire de Paris

nous dit que la philosophie morale est meilleure de manière pure et simple (donc absolue) :

Et la <science> rationnelle est dite être relative au plus certain et au

meilleur parce qu’<elle procède> de la meilleure manière, et la <science>

naturelle peut-être parce qu’elle <est> relative à la réalité meilleure ; mais la

<philosophie> morale est <ordonnée> à la meilleure fin comme à la félicité, et

c’est pourquoi elle est meilleure de manière <pure et> simple, et c’est pourquoi

les autres <sciences> s’ordonnent à elle1.

L’argumentation du Pseudo-Peckham est encore beaucoup plus complexe, car il

recourt à la théorie des transcendantaux2 : la philosophie première (qui remplace subtilement,

dans la réponse, la dénomination « philosophie spéculative » utilisée dans la formulation de

la question) et la science civile portent, selon la substance, sur la même réalité, le bien divin ;

or, cette même réalité diffère selon la « raison » (entendons : la « notion » ou le « point de

vue »), car elle peut être considérée soit sous la raison du vrai (comme dans la philosophie

première), soit sous la raison du bien (comme dans la science civile). Il faut donc passer en

revue les trois critères selon lesquels une science est dite meilleure qu’une autre : la science

civile est meilleure selon la finalité qu’elle envisage, tandis que la science divine est meilleure

quant à la manière de procéder. Pour ce qui est du sujet, le Pseudo-Peckham observe que le

bien divin est meilleur considérée sous la raison du bien que sous la raison du vrai : la science

civile est donc supérieure à la philosophie première selon deux des trois critères proposés.

[...] Et quant à ce dernier <cas> [i.e. à cause de la fin envisagée selon la

science], il peut être dit que la <doctrine> civile est dite ici principale et plus

noble que la <philosophie première> elle-même. Quant au mode de procéder, la

philosophie première <est> plus noble. Quant à cela relativement à quoi <elles

sont>, je divise : parce que ou bien nous parlons de cela relativement à quoi

chacune des <sciences> est selon sa substance – et ainsi si nous disons que la

philosophie première est relative aux <choses> divines et la <doctrine civile> est

1 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), Prohemium, éd. ZAVATTERO, p. 22, l.

107-110 : « Et rationalis dicitur esse de certiori et meliori quia modo meliori, et naturalis forsitan quia de re

meliori ; set moralis est ad finem meliorem sicut ad felicitatem, et ideo melior est simpliciter, et ideo alie

ordinantur ad ipsam ». 2 Théorie qui sert d’arrière-fond doctrinal à tout son commentaire de manière très cohérente, comme l’a très

bien montré V. Buffon ; cf. BUFFON, L’idéal éthique des maîtres ès arts ; ID., « Anonyme (Pseudo-Peckham)

‘Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem’ ».

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relative aux <choses> divines, en cela il ne peut pas y avoir prééminence ; ou

bien nous pouvons considérer cela relativement à quoi chaque <science> est non

selon la substance, mais selon la raison selon laquelle <la substance> est

considérée. Je dis donc que si le philosophe premier considère le bien divin, il le

considère sous la raison du vrai, et si le <philosophe> civil le considère, il le

considère sous la raison du bien, et parce que ce <bien divin> est plus noble

considéré sous la raison du bien que <considéré sous la raison> du vrai, par cela

en raison de ce relativement à quoi <elle> est, il peut être dit que la doctrine civile

est plus noble. Et par cela est patente la solution de toutes les objections1.

La philosophie morale occupe dans ces deux commentaires (le Commentaire de Paris

et la Lectura cum questionibus du Pseudo-Peckham) une place très élevée : elle déclasse la

philosophie première, qui, dans le commentaire du Pseudo-Peckham, n’est que formellement

supérieure à la philosophie civile. Ce phénomène n’est pas facile à expliquer, car, dans ces

deux commentaires, la place supérieure occupée par la morale semble entrer en contradiction

avec d’autres points du texte : le Commentaire de Paris (comme nous le verrons par la suite)

semble considérer qu’il n’est même pas possible d’appeler la morale une doctrine ; alors que

le Pseudo-Peckham considère ailleurs, dans le Prologue, que, dans l’ordre conceptuel des

transcendantaux, le vrai est antérieur au bien2.

Or, la conception de la vertu intellectuelle, présentée dans ces commentaires comme

la connaissance affective du souverain bien (connaissance qui prend parfois la forme d’une

assimilation ou d’une adhésion au Premier principe), ne cesse pas de suggérer que les maîtres

avaient peut-être l’intention de s’aventurer subrepticement dans le domaine interdit de la

Métaphysique3.

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F f. 7rb ; O f. 6vb : « Et quo ad

hoc ultimum potest dici quod ciuilis dicitur hic principalis et est nobilior quam ipsa. Quo ad modum procedendi

prima philosophia nobilior. Quo ad illud de quo diuido : quia uel loquimur de illo de quo est utraque secundum

substantiam eius – et sic si dicamus quod philosophia prima (prima philosophia O) sit de diuinis et ista de

diuinis in hoc non posset esse preeminentia (preeminentius O) ; uel possumus considerare illud de quo est

utraque non secundum substantiam, sed secundum rationem secundum quam consideratur. Dico ergo quod si

philosophus primus consideret bonum diuinum, considerat ipsum sub ratione ueri, et si ciuilis ipsum considerat,

considerat ipsum sub ratione boni, et quia ipsum est nobilius consideratum sub ratione boni (et quia ipsum est

nobilius consideratum sub ratione boni om. O) quam ueri, ideo ratione eius de quo est potest dici quod (quedam

O) doctrina ciuilis nobilior est. Et secundum hoc patet solutio omnium obiectorum ». 2 Ce problème est traité dans BUFFON, « La certeza y la cientificidad de la Ética », p. 168-172. 3 Dans le cas du Pseudo-Peckham, par exemple, nous trouvons souvent des passages qui semblent destinés à

placer la discussion de l’objet de la philosophie première dans un domaine plus accessible aux artiens, comme

la morale ou la logique. Outre la discussion sur le statut de la philosophie morale, on trouve la discussion sur le

statut ontologique du mal, que le maître transpose sur le plan de la logique, comme il est montré dans V. BUFFON

et D. PICHÉ, « Ontologie et logique du mal au XIIIe siècle. Le problème du mal dans le Commentaire à l’Éthique

du Pseudo-Peckham », Mediaevalia. Textos e estudos, 30 (2011), p. 26-27.

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I.2. Aristote et sa caractérisation du discours éthique : ÉN I.1 et ÉN II.2. Les traductions latines de

l’excursus méthodologique d’Aristote

Dans les trois premiers livres de l’ÉN (les seuls, rappelons-le, connus des auteurs

considérés ici), Aristote revient à plusieurs reprises sur le problème méthodologique posé par

la matière-sujette de l’éthique et la politique. L’un des points qu’Aristote remarque avec une

certaine fréquence dans les trois premiers livres de l’Éthique est la corrélation entre la

variation et le caractère indéfini caractéristiques de la matière-sujette de l’Éthique (les choses

nobles et justes dont traite la politique, les actions que l’on doit accomplir, etc., voire l’aspect

« matériel » de la discipline) et le discours s’y rapportant (voire l’aspect « formel ») :

l’inexactitude du discours éthique semble donc répondre à l’indétermination de la matière

étudiée1.

Les maîtres ès arts, qui donnaient à la philosophie morale un statut privilégié (parfois

plus élevé, on l’a vu, que celui de la philosophie première), n’ont pas manqué de réagir à

cette question méthodologique impliquant des problèmes cruciaux : la possibilité d’accorder

à l’éthique le statut de science au sens propre (une connaissance des causes obtenue par

démonstration) ; la possibilité de définir la méthodologie de cette œuvre très récemment

incorporée à l’ensemble du corpus philosophique (car la réflexion morale avait, jusqu’au XIIe

siècle, d’autres sources)2 ; le besoin d’articuler de manière cohérente (compte tenu de la

1 Le problème de la précision du discours éthique chez Aristote est en fait très complexe ; une étude détaillée

de ce problème n’est pas l’objet de cette thèse, qui vise uniquement la manière dont les maîtres ès arts ont

interprété les textes que nous exposons ci-dessous. On se limite donc à signaler ici quelques références de

caractère général. L’une des interprétations les plus courantes affirme que, en décrivant le discours sur les

affaires morales comme imprécis, Aristote s’oppose à l’essentialisme de Platon et Socrate, qui sert d’arrière-

plan à sa doctrine ; dans la vision de Platon, les entités morales possèdent un caractère invariable. C’est

notamment la position de G. Anagnostopoulos, qui, d’ailleurs, considère que le manque d’exactitude affectant

le discours éthique ne peut pas être réduit ou éliminé (comme il est possible de le faire dans d’autres domaines) ;

cf. G. ANAGNOSTOPOULOS, « Aristotle on Variation and Indefiniteness in Ethics and its Subject Matter », Topoi,

15 (1996), p. 107-127 ; ID., Aristotle on the Goals and Exactness of Ethics, Berkeley, Los Angeles, Oxford ;

University of California Press, 1994. Pour une position opposée, voir J. TUTUSKA, Aristotle’s Ethical

Imprecision : Philosophic Method in the Nicomachean Ethics, Dallas, University of Dallas, thèse de doctorat,

2010, p. 24-36, avec la note 23. Sur le possible rapprochement entre les conclusions universelles de l’éthique

et l’exactitude des vérités mathématiques, cf. S. BROADIE, Ethics with Aristotle, Oxford, Oxford University

Press, 1991, p. 18-19. Sur la portée de ces remarques méthodologiques, qui n’excluent pas forcément la

possibilité d’une connaissance universelle en éthique, voir REEVE, Practices of Reason, p. 22-30 ; NUSSBAUM,

« Non-scientific deliberation ». 2 Sur les sources et la portée de l’enseignement de l’éthique au XIIe siècle, ainsi que sur la possibilité de trouver

déjà, à cette époque, une éthique philosophique, voir P. DELHAYE, « La place de l’Éthique parmi les disciplines

scientifiques au XIIe siècle », Miscellanea moralia in honorem Eximii Domini Arthur Janssen, Leuven,

Gembloux ; Nauwelaerts, Duculot, 1949, p. 29-44 ; ID., Enseignement et morale au XIIe siècle, Fribourg, Paris ;

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connaissance incomplète de l’œuvre) deux dimensions présentes dans l’Éthique : l’une,

théorique (connaître ce qu’est la félicité, connaître ce qu’est la vertu), l’autre, pratique

(devenir bons).

Or, les maîtres lisaient le texte d’Aristote dans la traduction latine de Burgundio de

Pise. Il convient donc de commencer par examiner le texte dans la forme où il était disponible

au début du XIIIe siècle, afin d’établir certaines précisions terminologiques. On se

concentrera ensuite sur l’interprétation artienne de ces passages. Dans les sections qui

suivent, l’exposé sera divisé en deux, selon les deux problèmes que nous voulons mettre en

relief : (I) la double finalité de l’Éthique et (II) le caractère incertain de son discours.

I.2.1. La double finalité de l’Éthique

C’est au livre II (II, 2, 1103b25-30) que l’on trouve la formule relativement à laquelle

les maîtres articulent le problème de la double finalité de l’Éthique :

Puis donc que le présent ouvrage n’est pas en vue de la contemplation

(contemplacionis gratia), comme les autres (quemadmodum alia), <et qu’>en

effet nous n’examinons pas ce qu’est la vertu pour que nous <le> sachions (ut

sciamus), mais pour que nous devenions bons (ut boni fiamus) (car il n’y aurait

aucune utilité en cela), il est nécessaire d’examiner les <choses> qui <sont> en

rapport aux opérations, <et> de quelle manière il faut les faire1.

Ce passage du livre II, qui met en avant l’aspect pratique de l’éthique et la contraste

par rapport aux autres sciences (elle n’est pas, comme les autres, vouée à la simple

contemplation), est souvent associé par les maîtres au passage initial du chapitre 4, où

Aristote annonce que, « Après <avoir déterminé> ces <choses>, il faut examiner ce qu’est la

vertu »2 : quoique la fin principale de l’Éthique soit de « devenir bons », la dimension

Éditions universitaires, Éditions du Cerf, 1988. Pour ce qui est de l’influence indirecte d’Aristote avant les

traductions latines du XIIIe siècle, voir les travaux de C. NEDERMAN, « Nature, Ethics, and the Doctrine of

‘Habitus’ : Aristotelian Moral Psychology in the Twelfth Century », Traditio, 45 (1989-90), p. 87-110 ; ID.

« Aristotelian Ethics Before the Nicomachean Ethics : Sources of Aristotle’s Concept of Virtue in the Twelfth

Century », Parergon, 7 (1987), p. 55-75 ; ID., Medieval Aristotelianism and Its Limits : Classical Traditions in

Moral and Political Philosophy, 12th-15th Centuries, Brookfield, Ashgate, 1997. 1 ARISTOTE, Ethica Vetus II, 2 (1003b25-30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 25-26 – p. 7, l.

1-3 : « Quoniam igitur presens opus non contemplacionis gracia est, quemadmodum alia, neque enim ut sciamus

quid est virtus scrutamur, set ut boni fiamus, quoniam nullum esset proficuum eius, necesse est scrutari ea que

circa operaciones, quomodo faciendum eas [...] ». Nous traduisons, ici et dans les passages qui suivent, le texte

latin. 2 ARISTOTE, Ethica Vetus II, 4 (1105b19), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l.13-14 : « Post hec

autem quid est virtus scrutandum ». Cette démarche est interprétée par la Lectura Abrincensis comme visant

principalement la spéculation.

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théorique est aussi présente dans l’ouvrage, comme le montre le fait qu’Aristote lui-même y

envisage l’étude de la vertu par son genre et son espèce (i.e. par sa définition ; ce qui équivaut

à donner une connaissance de la vertu per priora)1.

L’expression « en vue de la contemplation, comme les autres » (quemadmodum alia,

littéralement « de même mode que les autres ») donnera lieu à une mise en rapport de la

méthodologie de l’éthique à celle de la philosophie naturelle et de la philosophie rationnelle,

sciences que les maîtres reconnaissent comme le référent du pronom « alia » (qu’ils

s’occupent soigneusement d’identifier). Il faut donc voir ce qu’Aristote nous apprend sur

cette méthodologie, « ce mode », à travers la traduction de Burgundio.

I.2.2. Le caractère incertain du discours éthique

Nous avons remarqué que ce que l’on considère souvent être la « cause formelle »

d’une œuvre (selon l’interprétation assez traditionnelle que l’on trouve dans les textes artiens)

est divisée en deux : la forma tractatus (ou la division en livres et chapitres) et la forma

tractandi, qui correspond à la manière de procéder ou encore à la « méthodologie » adoptée

par l’auteur. Les textes didascaliques du milieu artien nous apprennent, à propos de la forma

tractandi ou du modus procedendi de l’Éthique, qu’Aristote se sert du mode typicus et

grossus ; les commentaires sous forme de leçons vont approfondir la discussion sur ce

problème. Nous présentons donc en séquence quelques passages où Aristote fait

explicitement allusion au mode typicus.

Au début du premier livre Aristote considère que l’instabilité des réalités traitées par

la politique est à l’origine du manque d’exactitude ou de précision du discours portant sur

ces réalités : ce discours ne saurait pas être universel, car il porte sur des choses qui peuvent

être autrement qu’elles ne sont. Or, puisque la matière traitée ne permet que des

généralisations à partir de ce qui arrive dans la plupart des cas (epi to polu), tout ce qui est

dit dans cette discipline doit être dit « en gros et de manière schématique » :

1 ARISTOTE, Ethica Vetus II, 5 (1106a14-15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 16-17 : « Oportet

autem non solum sic dicere quoniam habitus, set et qualis ». Toutefois, les maîtres signalent qu’étudier l’éthique

uniquement en vue de la connaissance serait « curiositas » ; de nos jours, S. Broadie caractérise cette attitude

comme « une perversion » ; BROADIE, Ethics with Aristotle, p. 18-19 : « To investigate the human good for the

sake of intellectual exercise alone would be a kind of perversion. [...] It is inapropriated to be moved by

intellectual curiosity or by the perfectionist desire to reduce everything to clear and distinct ideas, even if it

were possible in this area [...] ».

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Assurément, <par rapport à la science civile> il sera dit de manière

suffisante, si <notre discours> est manifeste d’après la matière sujette [ou si la

matière est manifeste d’après <sa> substance]. En effet, le certain (certum –

akribês) ne doit pas être cherché de manière similaire dans toutes les <choses>

qui sont dites. Or, les <choses> bonnes et les <choses> justes sur lesquelles se

penche la <science> civile ont tant de différences et ont <tant> d’erreurs, qu’à

partir de ces mêmes <choses bonnes et justes> des dommages arrivent à de

nombreux <hommes>. [...] Il <est> donc préférable, certes, relativement à de

telles <choses> et en parlant à partir de ces <choses> de démontrer la vérité en

gros et de manière schématique (grosse et typo – pachulôs kai typôi), et à partir

des <choses> qui <arrivent> fréquemment (sepius – epi to polu) [...]1.

L’éthique serait donc parmi les sciences qui procèdent à partir de prémisses

probables, c’est-à-dire, à partir de propositions qui s’appliquent dans la plupart des cas, mais

dont la vérité n’est pas universelle. Le discours éthique s’oppose ainsi au discours sur le

nécessaire (voire sur ce qui ne peut pas être autrement), dont la manière de procéder est celle

de la science par excellence. Aristote utilise souvent l’exemple du mathématicien : on ne

s’attend pas à ce qu’il utilise un raisonnement probable, de même que l’on n’exige pas une

démonstration de la part du rhétoricien2. D’autres passages répètent cette idée : on la trouve

exprimée de manière très similaire encore dans le premier livre (I, 7, 1098a2629).

Or, au deuxième livre, Aristote revient sur ce problème (qu’il déclare avoir déjà

traité) ; mais, cette fois, le caractère variable de la matière étudiée est beaucoup plus souligné,

car Aristote affirme que les choses traitées dans la politique « n’ont rien d’immuable » et

qu’elles « ne tombent ni sous l’art ni sous aucun exposé » (de sorte que la matière éthique

semble en quelque sorte assimilée à ce qui arrive par hasard [tuchê]). De plus, on ne parle

plus du « degré de certitude », mais directement de non-certitude :

1 ARISTOTE, Ethica Nova, I, 1 (1094b11-21), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 67, l. 2-10 : « Dicetur

autem utique [sic] sufficienter, si secundum subiectam materiam manifestabitur. Certum enim non similiter in

omnibus que dicuntur querendum ***. Bona autem et iusta de quibus civilis scrutatur, tantam habent

differenciam et errorem *** habent***, quia multis contingunt detrimenta ab ipsis. [...] Amabile quidem igitur

de talibus et ex hiis dicentes grosse et typo veritatem demonstrare, et ex hiis que sepius [...] ». Nous traduisons

entre crochets la lecture attestée dans les manuscrits que Gauthier a rectifiée : « si secundum substantiam materia

manifestabitur » ; cf. p. 67, notes à la ligne 3. 2 ARISTOTE, Ethica Nova, I, 1, 1094b25-27. La remarque se trouve (quoique avec un sens différent) chez Platon ;

cf. Théétète, 162e, trad. É. CHAMBRY, dans Platon, Théétète-Parménide. Traduction, notices et notes par Émile

Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1991 (1967), p. 91 : « ‘[...] mais de démonstration et de preuve

concluante, vous n’apportez pas la moindre et vous n’employez contre moi que la vraisemblance’. Si Théodore

ou tout autre géomètre fondait ses démonstrations là-dessus, elles ne vaudraient pas un as. Examinez donc, toi

et Théodore, quel accueil vous devez faire en des matières si importantes à des arguments qui ne relèvent que

de la persuasion et de la vraisemblance ».

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Or avouons en premier que <relativement à> tout discours portant sur les

<choses> qu’il faut faire, il faut qu’il soit dit de manière schématique et non avec

certitude (typo et non certitudinaliter – typôi kai ouk akribôs), comme nous

l’avons dit au début <de cet ouvrage>, car selon la matière <qu’ils traitent>

doivent être cherchés les discours. Or ces <choses> qui <sont> dans les

opérations et les <choses> apportant une aide <dans l’opération> n’ont rien

d’immuable, de même que les <choses> saines, <c’est-à-dire les choses qui se

rapportent à la santé>. Or comme le discours plus général est tel, <c’est-à-dire

schématique et non certain>, encore plus le discours qui porte sur les singuliers

n’a-t-il pas de certitude (certitudinem – takribes) ; en effet, <ces choses

singulières> ne tombent ni sous l’art ni sous aucun exposé1.

Ce discours peut s’avérer, aux yeux des maîtres ès arts, particulièrement troublant,

car l’interprétation artienne de l’Éthique accorde à la notion de vertu morale une très grande

importance (jusqu’au point d’en faire dans certains cas [dont la Lectura Abrincensis] la

notion centrale). Or, si Aristote détermine dans l’Éthique ce qu’est la vertu, quel est son genre

et quelle est sa différence spécifique, il faut que ces déterminations échappent à la variabilité

présentée par les circonstances particulières qui sont à considérer dans la détermination de

l’action et que, partant, elles possèdent un caractère général. Les maîtres ès arts vont donc

tenter de concilier l’aspect variable de l’éthique, lié aux circonstances singulières de l’action,

avec son aspect universel, lié aux définitions et concepts qui restent invariables2 (comme

« vertu », « félicité », etc.).

Mais si Aristote transmet dans l’Éthique une connaissance dont la validité est

universelle, il faut, pour les maîtres, que cette connaissance adopte la forme que l’on attend

de toute connaissance scientifique, celle transmise par Aristote dans les traités de l’Organon,

notamment dans l’Analytique : elle doit être transmise au moyen des divisions, des

définitions, des raisonnements inductifs et démonstratifs3 (de sorte que l’Éthique aura ainsi

1 ARISTOTE, Ethica Vetus II, 2 (1103b34-1104a8), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 7-14 : « Illud

autem prius confiteatur, quoniam omnis qui circa ea que facienda sermo, typo et non certitudinaliter oportet

dici, ut et in principio diximus, quoniam secundum materiam sermones inquirendi. Ea autem que in

operacionibus et conferentia, nil stans habent, quemadmodum neque ea que sana. Tali autem existente tocius

sermone, adhuc magis qui de singularibus sermo, non habet certitudinem ; neque enim sub arte neque sub

narracione aliqua incidunt ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethica Veterem, Lectio II, § 42, notre édition : « Cum reperuntur in aliquo

docibili, scilicet multitudo infinitatum ‒ singularibus differenter se habentibus secundum temporalia, quarum

unaqueque est principium incertitudinis ‒, <oportet> certitudinem uero eligi super uniuersalia in paucitate entia

inuariabilia secundum tempus ». 3 Le problème est posé, par exemple, dans le Guide de l’étudiant ; cf. ANONYME, Compendium examinatorium

Parisiense, éd. LAFLEUR et CARRIER, § 86 : « [...] Si enim est quod doctrina traditur modo topico, id est figurali

uel exemplari, ut testatur ipsemet auctor in littera, quod adhuc auctor non uidetur esse scientia, cum scientia

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une double manière de procéder : ex posterioribus, à partir de ce qui est plus connu pour nous

[point de départ signalé par Aristote comme le plus adéquat à l’investigation éthique]1, et ex

prioribus, à partir de ce qui est plus connu « en soi »), et non seulement « en gros ». Les

cours artiens sur l’Éthique vont y reconnaître (du moins par rapport à son aspect théorique)

l’existence d’un discours certain ou encore subtil.

I.2.3. Connaître, enseigner, utiliser : le destinataire du discours éthique

Dans la première partie du livre I (que les artiens ont appelée « prohemialis ») Aristote

établit aussi les conditions exigées de la part de l’auditeur d’une telle doctrine :

Et c’est pourquoi le jeune n’est pas l’auditeur approprié de la doctrine

civile. En effet, il est privé de ces opérations qui <sont> relatives à la vie, mais

les raisons <sont> à partir de ces <opérations>, et relativement <à elles>. Et, en

plus, il poursuit les passions, et il entendra <cette doctrine> vainement et de

manière infructueuse, car la fin n’est pas la connaissance, mais l’opération. [...]

pour de tels <auditeurs>, en effet, la connaissance devient inutile, comme pour

les incontinents. Or, pour ceux qui accomplissent <leurs> désirs selon la raison,

et les opèrent <ainsi>, il sera assurément très utile de savoir relativement à ces

<choses>2.

Nous pouvons déduire à partir de ce passage que l’auditeur de l’Éthique doit déjà être

vertueux3 : les jeunes (soit par leur âge, soit par leur caractère) n’en sont pas des auditeurs

appropriés, car ils sont souvent entraînés par les passions et ne possèdent pas l’expérience

nécessaire. L’étude de l’Éthique ne servirait à rien à la personne incontinente, incapable

d’appliquer de manière concrète les connaissances acquises4.

Du point de vue des maîtres, devenir bons (la finalité principale de l’éthique) n’est

pas possible à partir de la seule connaissance théorique. Le savoir (Aristote lui-même le

remarque) ne vaut pas grand-chose dans la constitution de la vertu morale. Les maîtres vont

procedere debeat uia demonstratiua [...] ». Nous examinerons le reste des textes pertinents dans les sections qui

suivent. 1 ARISTOTE, ÉN I, 2 1095b2-4. 2 ARISTOTE, Ethica Nova, I (1095a2-1095a9), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER p. 67, l. 18-23, p. 68, l.

1-4 : « Ideoque civilis [doctrine] non est auditor puer proprius. Expers enim [est] earum que secundum vitam

operacionum. Raciones autem [et] ex hiis, et circa has. Amplius autem et passionum insecutor ens, inaniter

audiet et infructuose, quia finis est non cognicio, set operacio. [...] talibus enim inutilis hec cognicio fit,

quemadmodum incontinentibus. Secundum autem racionem desideria facientibus, et operantibus, multum utile

utique erit de hiis scire ». 3 BROADIE, Ethics with Aristotle, p. 20-21. 4 Ibid., p. 20-21.

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donc distinguer parfois entre deux destinataires différents du discours éthique : l’Éthique, en

particulier, peut enseigner, c’est-à-dire apprendre quelque chose, à ceux qui veulent connaître

(c’est-à-dire à ceux qui voudraient acquérir une connaissance théorique de la vertu qui, nous

le savons, peut s’avérer infructueuse), mais aussi à ceux qui veulent bien agir par rapport aux

circonstances singulières (dans le but de devenir bons). Or, cette diversité d’intérêt chez les

auditeurs (les uns voulant apprendre, les autres voulant agir) exigera des méthodes

différentes.

II. Le discours artien sur la méthode de l’Éthique : les différentes configurations de la distinction

docens/utens

Tous les éléments que nous venons de mentionner s’articuleront de manière plus ou

moins variable autour de la distinction utens – docens (désignée par les auteurs avec une

terminologie variable), qui condense ainsi les distinctions entre spéculation et pratique

(contemplationis gratia – ut boni fiamus), discours incertain, schématique ou en gros –

discours certain (certitudinaliter – grosse et typo, incertitudinaliter), connaissance –

opération (cognitio – operatio).

II.1. La Lectura Abrincensis : modus typicus vs. modus docens

Quand l’auteur de la Lectura Abrincensis applique à l’interprétation globale de

l’Éthique le schéma aristotélicien des quatre causes, il comprend ces causes comme étant les

causes de la vertu (c’est-à-dire, les causes du sujet étudié), et non pas comme étant les causes

de l’ouvrage commenté (comme le font en général les commentateurs de l’Organon). Ainsi,

il ne fait pas explicitement la distinction classique de la cause formelle du traité en forma

tractatus et forma tractandi ; pourtant, la forma tractandi est considérée à plusieurs reprises.

Dans les commentaires artiens, le modus « typicus » et « grossus » est habituellement

considéré, à l’instar d’Aristote, comme la manière de procéder appropriée au sujet de

l’Éthique1. C’est dans la deuxième leçon que le maître aborde explicitement la discussion

méthodologique d’Aristote (ÉN II, 2, 1103b25-30 ; ÉN II, 2, 1103b34-1004a8, cités et

traduits ci-dessus). Le maître considère ces passages dès le début de la leçon (II, § 2), tout en

1 ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem philosophiam »,

éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 59 : « In tertia, Dicitur autem itaque etc., manifestat

causam formalem que est modus agendi qui est typicus et grossus ».

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leur dédiant une grande partie de la première série de questions (§ 7-9, §15-16), ainsi que

plusieurs paragraphes de l’Expositio littere (§ 34-36, § 39-47)1.

II.1.1. La double finalité de l’Éthique

Dans le passage initial d’ÉN II, 2 (que nous avons évoqué ci-dessus) on lisait :

Puis donc que le présent ouvrage n’est pas en vue de la contemplation

(contemplationis gratia), comme les autres (quemadmodum alia), <et qu’>en

effet nous n’examinons pas ce qu’est la vertu pour que nous <le> sachions (ut

sciamus), mais pour que nous devenions bons (ut boni fiamus) (car il n’y aurait

aucune utilité en cela), il est nécessaire d’examiner les <choses> qui <sont> en

rapport aux opérations, <et> de quelle manière il faut les faire.

La formule initiale de ce passage propose un contraste entre les sciences théoriques

alias spéculatives (dont la fin est la connaissance ou contemplation) et l’éthique en tant que

science pratique (dont la fin est l’action) ; l’auteur anonyme de la Lectura Abrincensis semble

parfois accorder au mot contemplatio un sens purement spéculatif (= A) qui le rapproche de

cette lecture. Or, comme le reste des lecteurs artiens de l’Éthique, le maître donne au mot

contemplatio un deuxième sens, beaucoup plus riche que le premier (= B) : il s’agit de la

contemplation de Dieu, qui entraîne forcément l’amour et la dilection de celui-ci,

caractéristiques de la vertu intellectuelle telle qu’elle est comprise par le maître anonyme2.

Or, puisque le maître considère que l’Éthique ne traite pas seulement de la vertu morale, mais

aussi de la vertu intellectuelle3 (définie essentiellement comme contemplation amoureuse du

1 Pour une vision générale de la structure de la deuxième leçon, voir le survol présenté dans la première partie

(ch. III, section II.3.2). D’autres considérations sont faites dans le reste de la Lectura où la thématique liée à ce

problème méthodologique est aussi évoquée. Nous allons les analyser ci-dessous. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio I, § 9, A, f. 91r : « [...] uirtus intellectualis est

uirtus secundum quam coniungitur anima superiori essentie a qua nata est perfici. Coniungitur autem superiori

essentie per intellectum tantum contemplatione et affectu animi. Virtus intellectualis inchoatur a contemplatione

et perficitur in affectu ; est enim in contemplatione summi boni cum dilectione eiusdem » ; Lectio I, § 11, A,

f. 91v : « Non sic autem est in respectu uirtutis intellectualis. Doctrina enim qua instruimur ad cognoscendum

summum bonum in hiis que fiunt ab ipso. Et cum homo cognoscat summum bonum, non potest retrahi quin

diligat ; et ita cognitionem summi boni, sicut oportet, sequitur dilectio ». 3 Ce qui, pour les premiers commentateurs de l’Éthique, disposant uniquement de la version fragmentaire de

Burgundio de Pise, ne va pas de soi. Les Communia de Salamanque, par exemple, se questionnent sur ce

problème ; cf. ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia » salmanticana « Circa moralem

philosophiam », éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 10-11, 14-15 : « Consequenter queritur

utrum uirtus intellectualis sit de speculatione moralis philosophi. Et uidetur quod non [...] Ad oppositum <est>

quod Aristoteles determinat in Libro ethycorum de uirtute intellectuali. Item uirtus intellectualis consistit in

cognitione et delectatione Primi ; sed cognitio et delectatio ipsius Primi disponit animam ad acquisitionem

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Premier), il ne peut écarter sa finalité contemplative (au sens B). En outre, si l’on veut

admettre que l’éthique est une science, il faut qu’on lui accorde aussi un aspect contemplatif

(au sens A) susceptible d’atteindre (au moins partiellement) les critères de scientificité exigés

de toute science : connaître le sujet étudié par ses causes, de manière certaine, par les

procédures propres à la méthode scientifique. Cette distinction entre deux notions différentes

de contemplatio n’est pas explicitement thématisée par l’anonyme ; pourtant, elle constitue

l’arrière-plan de la résolution de la tension entre les membres de la formule contemplationis

gratia – ut boni fiamus, et se trouve explicitement appliquée à la résolution du même

problème dans le reste des commentaires artiens que nous examinons ici (le Commentaire de

Paris, l’Expositio de Kilwardby et la Lectura du Pseudo-Peckham).

Une première interprétation du passage évoqué ci-dessus (II, § 7) semble jouer avec

les deux sens du mot contemplatio (A et B). Aristote affirme que la doctrine transmise dans

l’Éthique n’est pas en vue de la contemplation ; or, il semblerait que toute doctrine s’ordonne

au perfectionnement de l’intellect dans la contemplation de Dieu (B) ; or, la doctrine

transmise dans l’Éthique doit aussi envisager la contemplation du vrai (sens A) :

Or une question surgit relativement à cela qu’il dit : Puisque le <présent>

ouvrage n’est pas en vue de la contemplation. Il semble en effet que toute

doctrine est pour que l’intellect soit ainsi perfectionné dans la contemplation de

Dieu (B) ; <or>, de quelle manière aussi celle-ci sera-t-elle pour que la vertu soit

perfectionnée dans la contemplation du vrai (A) ? Mais à cause de cela <cette

doctrine> est dite être en vue de la contemplation1.

Le problème est ici résolu en privilégiant le sens A du mot contemplatio et en

subordonnant une finalité à l’autre (de sorte que les deux soient incluses dans l’Éthique) : il

est mieux de devenir bons que de contempler le bien2, et c’est pourquoi la contemplation est

en vue de devenir bons :

felicitatis : cognoscendo enim et delectando Primum exercetur anima ad bonas operationes que inducunt uirtutes

consuetudinales. Ergo uirtus intellectualis est de speculatione moralis philosophi ». 1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 7, notre édition : « Incidit autem questio de

hoc quod dicit : Quoniam non est opus contemplationis gratia. Videtur enim quod omnis doctrina est ut sic

perficiatur intellectus in contemplatione Dei ; qualiter et hec erit ut perficiatur uirtus in contemplatione ueri ?

Sed propter hoc dicitur esse contemplationis gratia ». 2 Selon la théorie des transcendantaux (développée peu avant par Philippe le Chancelier), bien et vrai peuvent

être considérés comme convertibles (et ils seraient ainsi identiques à Dieu) : identiques dans le suppôt, mais

différents selon l’intention ; l’auteur anonyme semble jouer ici avec les trois termes (Dieu, le vrai, le bien).

Toutefois, dans le commentaire, il ne fait pas d’allusions explicites à cette doctrine, qui ne semble pas occuper

dans la Lectura Abrincensis le lieu de privilège qu’elle occupe dans le Commentaire du Pseudo-Peckham.

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En effet, cela en vue de quoi quelque chose est, est l’ultime et le meilleur

en ce genre-là. Or il est mieux de devenir bons que de contempler le bien. Ce

bien-ci en effet est à cause de celui-là, à partir de quoi il est manifeste que devenir

bons est cela en vue de quoi est cet ouvrage, <et> non pas la contemplation1.

Cette solution n’implique pas l’effacement de la finalité contemplative associée à la

spéculation affective de Dieu (B) ; mais il ne semble pas possible que la finalité que l’on

pourrait appeler « pratique » subordonne la finalité « théorique » prise dans ce dernier sens.

Or, cette finalité contemplative est en quelque sorte incluse dans la formule ut boni fiamus :

le maître affirme ailleurs (IV, § 25) que l’âme est bonne « au moyen de la vertu

intellectuelle » (i.e. la contemplation du souverain bien accompagnée de l’union avec celui-

ci) :

Puisqu’en effet l’âme est bonne au moyen de la vertu intellectuelle et

<qu’elle est> bien ordonnée au souverain bien immédiatement, la bonne

ordination de l’âme rationnelle vers le souverain bien est de manière immédiate

par ces puissances par lesquelles elle peut être unie <à ce souverain bien> ou être

tournée vers lui-même2.

De ce point de vue, ce serait une erreur d’associer le couple contemplationis gratia –

ut boni fiamus aux vertus intellectuelles et morales respectivement ; car la phrase ut boni

fiamus suppose l’inclusion de l’une et l’autre, constituant ainsi la fin « commune de la

philosophie morale » invoquée dans l’Expositio littere (II, § 34), par laquelle la science

morale « n’est pas comme les autres », les « autres » étant ici la philosophie naturelle et la

philosophie rationnelle (prises uniquement en tant que liées à la puissance cognitive) :

Lorsqu’il dit : en vue de la contemplation, on comprend dans ce cas la

connaissance en général, qui est <celle> de l’intellect spéculatif, et cela se voit

par ce qu’il dit : comme les autres, si par « les autres » est supposée l’œuvre de

la philosophie naturelle et <de la philosophie> rationnelle. Et alors quand il est

dit : pour que nous devenions bons, <cela> sera la fin commune de la philosophie

morale [...]3.

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 7, notre édition : « Illud enim cuius gratia

aliquid est, est ultimum et optimum in illo genere. Melius autem est fieri bonos quam contemplari bonum. Hoc

enim bonum est propter illud, ex quo manifestum est quod fieri bonos est cuius gratia est hoc opus, non

contemplatio ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IV, § 25, notre édition : « Cum enim bona sit

anima per uirtutem intellectualem et bene ordinata ad summum bonum immediate, bona autem ordinatio anime

rationalis ad summum bonum immediate est per illas potentias quibus potest ea adiungi uel ad ipsum conuerti ». 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 34, notre édition : « Cum dicit : causa

contemplationis, intelligitur ibi cognitio generaliter, que est intellectus speculatiui, et hoc uidetur per hoc quod

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La contemplatio est ainsi prise dans son sens le plus élémentaire (A), comme simple

perfection de l’intellect spéculatif (opposé ainsi à la « béatitude complète » qui perfectionne

l’homme entier ; IV, § 30) ou « connaissance générale », ayant pour objet le bien (du point

de vue matériel) et le vrai (du point de vue formel) (II, § 8, § 34).

Or, l’assimilation contemplationis gratia – uirtus intellectualis et ut boni fiamus –

uirtus moralis devient possible quand la vertu intellectuelle est comprise dans un sens plus

élargi ; l’éthique est donc comparée aux autres sciences (quemadmodum alia) en ce qu’elle

inclut aussi une dimension « théorique » (ordonnée à la vertu intellectuelle prise en tant que

perfection purement spéculative), à côté de sa dimension « pratique », devenir bons, ordonnée

à la vertu morale. Le maître donne un exemple très clair : les uns peuvent se perfectionner en

s’adonnant à l’étude du droit, alors que d’autres deviennent bons au moyen de la pratique des

affaires civiles1 :

[...] et <cela> peut être exposé autrement, de telle sorte que l’œuvre qui

vise la vertu intellectuelle soit dite en vue de la contemplation, <et> l’œuvre qui

vise la vertu morale soit dite pour que nous devenions bons. Et alors par ce mot

« autres » sont supposées les œuvres dans la contemplation de la vertu, comme

aussi dans la contemplation du droit, alors que d’autres <hommes> sont dits

devenir bons par l’opération des affaires civiles2.

Un principe analogue semble s’appliquer à l’interprétation de la phrase « nous

n’examinons pas ce qu’est la vertu pour que nous <le> sachions (ut sciamus), mais pour que

nous devenions bons (ut boni fiamus) » (ÉN II, 2, 1103b27-29), que le maître met en rapport

avec ÉN II, 4, 1105b19 (« Après <avoir déterminé> ces <choses>, il faut examiner ce qu’est

la vertu » ; II, § 9). Lorsque Aristote nous rappelle que le but principal de l’Éthique est de

devenirs bons, il considère que la connaissance de la vertu ne doit être recherchée qu’en vue

de cela ; toutefois, quand il affirme, deux chapitres plus tard, « il faut examiner ce qu’est la

vertu », il envisage de savoir ce qu’est la vertu « pour que nous sachions », de sorte que

l’Éthique contienne aussi, pour ce maître anonyme, une enquête proprement scientifique sur

dicit : quemadmodum alia, si per ‘alia’ supponatur opus naturalis philosophie et rationalis. Et tunc cum dicitur :

ut fiamus boni, erit finis communis moralis philosophie ». 1 On reconnaît ici l’application tacite de la distinction docens-utens. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 34, notre édition : « [...] et potest aliter exponi

ut opus quod est ad intellectualem uirtutem dicatur contemplationis gratia, opus uero quod est ad

consuetudinalem uirtutem dicatur [et] ut fiamus boni. Et tunc per hanc dictionem ‘alia’ supponuntur opera

contemplatione uirtutis, quomodo etiam in iuris contemplatione, alii uero dicuntur fieri boni per operationem

ciuilitatum ».

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la vertu (car le maître envisage dès le début, on l’a vu, de connaître les quatre causes de la

vertu) :

Or lorsqu’il dit : ni en effet nous n’examinons pas ce qu’est la vertu <pour

que nous sachions>, il semble dire le contraire de ce qui est ajouté par cela : <il

faut examiner> ce qu’est la vertu. Mais cela n’est pas ce qui est indiqué par ce

qu’il dit : pour que nous sachions ce qu’est la vertu ou pour que nous devenions

bons. Lorsque donc il dit qu’il faut examiner ce qu’est la vertu, cela est par cette

intention : pour que nous sachions principalement. Or, lorsqu’il dit : nous

<n’>examinons <pas> ce qu’est la vertu, tu as par cette intention : pour que

nous devenions bons1.

On peut donc conclure, avec Wieland, que l’anonyme d’Avranches distingue déjà les

deux dimensions de l’éthique que Wieland appelle « doctrinale » (lehrenden) et « appliquée »

(angewandten)2 : car, d’après l’exemple donné par le maître, on peut soit « contempler » le

droit soit le pratiquer en vue des affaires civiles3. Cette double dimension de l’éthique

entraîne pour le maître une division méthodologique que nous examinons dans la section

suivante.

II.1.2. Modus typicus vs. modus docens : le destinataire du discours éthique

Après avoir distingué les sciences « contemplatives » des sciences pratiques, Aristote

revient en ÉN II, 2 (1103b34-1104a8) sur la méthode de l’éthique, qui doit s’adapter à la

variabilité d’un sujet qui « n’a rien d’immuable ».

La Lectura Abrincensis reconnaît ce manque de stabilité du sujet étudié : les

opérations dans lesquelles s’acquiert la vertu n’ont effectivement « rien d’immuable », de

même que les choses singulières (II, § 2). La méthode adéquate à ces conditions du sujet est

donc le discours « exemplaire et par paraboles » (sermone exemplari et parabolico ; II, § 2 ;

VI, § 130) qui procède « de manière non certaine » (non certitudinaliter ; II, § 15), un discours

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 9, notre édition : « Cum autem dicit : neque

enim scrutamur quid est uirtus, uidetur contrarium dicere ei quod subiungitur per hoc [autem] : quid sit uirtus.

Sed non est quod designatur per hoc quod dicit : ut sciamus quid est uirtus uel ut fiamus boni. Cum ergo dicit

quod [non] est scrutandum quid est uirtus, hoc est hac intentione : ut sciamus principaliter. Cum autem dicit :

scrutamur quid est uirtus, habeas hac intentione : ut fiamus boni ». 2 WIELAND, Ethica-Scientia practica, p. 124. 3 La distinction entre l’aspect théorique des sciences ou des arts et leur application effective se trouve insinuée

dans d’autres passages du texte. Voir par exemple Livre III, Lectio X, A, f. 115r : « Et dicendum est quod ea

que sunt artis habent duplicem comparationem, habent enim comparationem ad principia secundum que

constituitur ars, et habent aliam comparationem ad operantem cuius operatio est in singularibus que non sunt

cognita apud ipsum ».

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appelé aussi « schématique» (typicus, II, § 15-16, § 39-40) ou « en figure » (in figura, II,

§ 40)1. Ce modus typicus, incertain, s’adapte à la variabilité des circonstances qui entourent

les opérations singulières. Mais si l’Éthique a aussi une finalité spéculative (comme nous

l’avons montré ci-dessus), on peut supposer que cette finalité sera cherchée au moyen d’une

méthodologie différente.

Comme on l’a montré dans le chapitre précédent, les modi tractandi ou les modes de

procéder d’une science sont conçus comme les modes selon lesquels ladite science est

transmise (on peut ainsi parler de doctrina). La distinction méthodologique présentée dans

la Lectura Abrincensis est donc articulée autour de la figure de celui qui apprend, l’auditeur

destinataire du discours éthique, désigné par l’auteur anonyme comme celui qui « peut être

instruit » par la doctrine (II, §16 ; V, § 1).

Or, la doctrine correspond au principe extrinsèque de la connaissance, principe qui se

trouve « dans quelqu’un d’autre » (l’enseignant) et qui s’oppose au principe intrinsèque

qu’est l’expérience2, entendue comme répétition ou multiplication des expériences

débouchant dans une connaissance unique ou « intellection commune » (V, § 1), sous la

forme d’« une seule acception universelle relative aux choses semblables »3, assimilée parfois

à l’art (IV, § 15, § 24) :

[...] il dit noter le principe de la disposition à la vertu intellectuelle, à

savoir un principe en nous qui est dit ‘expérience’ multipliée par le temps, et un

principe dans quelqu’un <d’autre> qui est dit ‘doctrine’ [...]4.

Cette distinction, évoquée ici en raison de l’utilité qu’elle a pour comprendre la

manière dont ces deux principes contribuent à l’acquisition de la vertu intellectuelle, ne

manque pas de rappeler la distinction faite à l’intérieur de la science disposant l’homme en

vue de la vertu morale, présentée par le maître dans la quatrième leçon : on a cette science

1 Que nous avons caractérisé de manière générale dans le premier chapitre de cette partie (section III.2.2). 2 Cette distinction (dont nous avons parlé) se trouve déjà dans les Introductions à la philosophie : nous en avons

un exemple dans la différenciation entre « découverte » et « doctrine » évoquée par l’anonyme Dicit Aristotiles :

la connaissance de la philosophie peut être acquise per inventionem (connaissance dont le principe se trouve

ainsi en nous) ou per doctrinam (connaissance dont le principe est extrinsèque) ; cf. ANONYME, Dicit Aristotiles,

éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 366, § 4, cité ci-dessus (deuxième partie, chapitre I, section II). 3 ARISTOTE, Métaphysique, A, 1, 981a5-7. 4 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio I, § 33, notre édition : « [...] notari dicit principium

dispositionis ad uirtutem intellectualem, scilicet principium in nobis quod dicitur ‘experimentum’

multiplicatum per tempus, et principium in aliquo quod dicitur ‘doctrina’ ».

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« à partir des diverses parties de la philosophie morale » (voici l’aspect doctrinal, extérieur)

et « par expérience propre » (voilà l’aspect intrinsèque)1. Or, le principe extérieur de la

connaissance n’est pas négligeable : car l’application de la connaissance obtenue par

expérience propre doit parfois être « redressée » par la doctrine ou l’art (I, § 43), de sorte que

l’on a « besoin d’un maître » (ÉN II, 1, 1103b12) ; de manière similaire la vertu morale

(comparée à l’art) « redresse » les opérations de l’agent, pour que celui-ci ne s’incline pas

vers l’excès ou le défaut (I, § 39).

Le destinataire du discours éthique, celui qui veut « être instruit », peut avoir des

intentions diverses : certains voudront « avoir la connaissance de la philosophie morale »

(entendue ici comme une connaissance purement théorique), tandis que certains autres

voudront « devenir bon<s> », ce qui n’est possible qu’à travers l’opération relative aux

circonstances singulières (II, § 16)2. Or, comment faut-il comprendre la manière de procéder

schématique et non certaine décrite par Aristote comme propre au discours éthique ? Le

maître présente la question sous la forme d’une dubitatio (uidetur habere dubitationem) qui

compare l’éthique aux disciplines comme la sophistique et la dialectique (sans que cette

dernière soit explicitement mentionnée) :

<Question> Ensuite il dit qu’il faut faire les discours selon la matière

<qu’ils traitent>, et à cause de cela il faut parler de manière schématique et non

pas de manière certaine. Il semble y avoir une hésitation en cela qu’il y a un mode

doctrinal relatif aux <arguments> probables ou aux <arguments> sophistiques ;

et semblablement en est-il relativement aux <affaires> morales dans ce livre :

une procédure certaine détermine en effet les principes propres à la vertu morale

en genre et en espèce3.

Selon cette dubitatio, il semblerait qu’une méthode certaine doive s’appliquer à la

connaissance de la vertu morale selon son genre et son espèce (i.e. selon sa définition) ;

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IV, § 32, notre édition : « Est iterum alia scientia

que disponit ad uirtutem consuetudinalem, sicut est scientia operandorum et fugiendorum que habetur ex

diuersis partibus moralis philosophie et per propiam experientiam ». 2 La distinction rappelle la différence dont nous avons traitée ci-dessus : celle qui existe entre celui qui fait une

étude théorique du droit, et celui qui intervient activement dans les affaires civiles, et celle qui existe entre les

principes qui constituent l’art et leur application aux cas singuliers par l’opérant. 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 15, notre édition : « Deinde dicit quod

sermones sunt inquirendi secundum materiam et propter hoc typo oportet dici et non certitudinaliter. Videtur

habere dubitationem eo quod de probabilibus siue de sophisticis est modus docendi, et similiter est de moralibus

in hoc libro : [non] certitudinalis modus determinat enim propria principia consuetudinalis uirtutis in genere et

in specie ».

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comme dans le cas de la sophistique, il y aurait ici un mode doctrinal (modus docendi)

différent du modus typicus. Or, le maître précise dans sa réponse (articulée, comme nous

l’avons signalé, sur la figure de l’apprenti) que la méthode « schématique » s’applique

uniquement à la dimension de l’éthique que l’on pourrait appeler « appliquée », celle par

laquelle on envisage l’instruction de celui qui, en opérant, veut devenir bon – en atteignant

ainsi la finalité principale de l’éthique. Or, celui qui vise la connaissance purement

spéculative de la vertu peut bel et bien être instruit par le mode certain (modus docens) que

le maître mentionnait dans la dubitatio :

<Solution> À propos de quoi il est dit que par cette doctrine peut être

instruit quelqu’un qui envisage d’avoir la connaissance de la philosophie morale.

Et chez lui-même le mode est certain ; et encore peut être instruit l’opérant qui

envisage de devenir bon, et le mode exemplaire et par paraboles est utile à cela.

Et à cause de cela <l’auteur> inclut l’un et l’autre mode dans cette doctrine, mais

principalement <le mode> schématique, car il est envisagé principalement que

soit instruit celui qui opère relativement aux <circonstances> singulières ; et

même si cela <est ainsi>, il faut parler du mode doctrinal1.

Les deux procédures (modus typicus et modus docens) sont considérées par Aristote,

puisque, selon le maître anonyme, l’Éthique inclut aussi une recherche sur la définition de la

vertu exposée « in uniuersali » (V, § 1) ; toutefois, comme la fin principale de l’Éthique est

de devenir bons, c’est le modus typicus qui est davantage considéré.

II.1.3. La lecture de Wieland

Avant d’entreprendre une analyse détaillée de ces deux types de discours, il convient

de signaler que l’interprétation du passage proposé ici repose sur les corrections apportées au

manuscrit dans notre édition2 ; ces modifications nous amènent à contester l’interprétation

plus traditionnelle qu’est celle de Wieland, partiellement reprise par T. Köhler. Wieland, en

particulier, n’a pas reconnu le caractère certain du modus docens, qu’il assimile d’ailleurs au

modus typicus (auquel il est, selon la lecture que l’on fait ici, opposé). Or, la lecture de

Wieland se limite au paragraphe § 16 de la deuxième leçon, auquel Wieland ampute d’ailleurs

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 16 : « Ad quod dicitur quod per hanc

doctrinam potest instrui aliquis qui intendit habere cognitionem moralis philosophie. Et apud ipsum est

certitudinalis modus ; et potest iterum instrui operans qui intendit fieri bonus, et ei expedit modus exemplaris

et parabolicus. Et propter hoc utrumque modum tenet in hac doctrina, principaliter uero typicum, quia

principaliter intendit instrui <eum qui> operat circa singularia ; etsi hoc, dicendum est de modo docente ». 2 Énumérées dans l’apparat des variantes de notre édition.

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des mots décisifs pour la correcte compréhension du texte1. Le tableau suivant présente la

lecture du manuscrit donnée par Wieland, tout en indiquant, en caractères gras et entre

crochets, les mots présents dans le manuscrit que Wieland omet de transcrire (I) ; la

traduction de la deuxième colonne correspond à ce texte (II). La troisième colonne (III), quant

à elle, contient la lecture du manuscrit proposée par nous, avec les modifications introduites

expliquées entre parenthèses. On remarque aussi, en les soulignant, les différences avec la

lecture de Wieland :

I II III

Per hanc doctrinam potest

instrui aliquis, qui intendit

habere cognitionem moralis

philosophiae, et apud ipsum

(est) incertitudinalis modus.

Et potest iterum instrui ope–

rans qui intendit fieri bonus,

et ei expedit modus exem–

plaris et parabolicus. Et prop–

ter hoc utrumque modum te–

net in hac doctrina, princi–

paliter vero tipicum, quia

principaliter intendit instrui

[operat circa singularia] et

si hoc, dicendum est de modo

docente.

Par cette doctrine peut être

instruit quelqu’un qui envi-

sage d’avoir la connaissance

de la philosophie morale. Et

chez lui-même le mode est in-

certain ; et encore peut être

instruit l’opérant qui envisage

de devenir bon, et le mode

exemplaire et parabolique est

utile à cela. Et à cause de cela

<l’auteur> inclut l’un et

l’autre mode dans cette doc-

trine, mais principalement <le

mode> schématique, car il est

envisagé principalement

d’instruire... et si cela est

ainsi, il faut parler du mode

doctrinal.

Ad quod dicitur quod per

hanc doctrinam potest instrui

aliquis qui intendit habere

cognitionem moralis philo–

sophie. Et apud ipsum est (est

exp. in A) certitudinalis (cer–

titudinalis scr.] incertitudi–

nalis A) modus ; et potest ite–

rum instrui operans qui inten–

dit fieri bonus, et ei expedit

modus exemplaris et pa–

rabolicus. Et propter hoc

utrumque modum tenet in hac

doctrina, principaliter uero

typicum (typicum scr.] tipi–

cum A), quia principaliter in–

tendit instrui <eum qui> (eum

qui supp.) operat circa sin–

gularia ; etsi hoc, dicendum

est de modo docente.

À partir de cette lecture, Wieland extrait trois conclusions intéressantes :

1 Un phénomène similaire (concernant, cette fois, un texte du Pseudo-Hervé le Breton) a été signalé par C.

Lafleur : en reproduisant un passage du ms. Oxford, Corpus Christi College 283 (f. 147 va) Wieland omet

(parfois sans l’indiquer clairement) des mots importants. Ainsi, la version complète du passage reproduite par

C. Lafleur se lit : « De solo autem bono quod est bonum politicum determinat in libro Ethicorum, eo quod illud

bonum in se alia bona includit. Si enim aliquis bene se habeat ad omnes, bene se habebit ad se ipsum – non

intelligendo precise : ‘Omnis enim caritas a se ipso incipit’ ut dicitur alibi », alors que Wieland indique « [...]

De solo autem bono determinat in libro Ethicorum, eo quod illud bonum in se alia bona includit ... Omnis enim

caritas incipit a seipso » (Notons que l’omission des mots « quod est bonum politicum » n’est pas clairement

indiquée dans Ethica-Scientia practica). Cf. LAFLEUR et CARRIER, « La Philosophia d’Hervé le Breton »

(première partie), p. 178, n. 59 ; ANONYME, Dicit Aristotiles, éd. LAFLEUR et CARRIER, p. 384, § 34 ; WIELAND,

Ethica-Scientia practica, p. 95, n. 177.

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(a) d’abord, il remarque que la Lectura Abrincensis (qu’il croit être le plus ancien des

commentaires artiens sur la Vetus) montre déjà une séparation entre deux dimensions de

l’éthique : une dimension doctrinale (lehrenden), liée à l’enseignement théorique de

l’éthique, et une dimension « appliquée » (angewandten), destinée à l’instruction de ceux qui

désirent opérer en vue de devenir bons.

(b) La dimension doctrinale, sur laquelle le maître dit qu’elle instruit « quelqu’un qui

envisage d’avoir la connaissance de la philosophie morale », est, quant à sa manière de

procéder, incertaine (incertitudinalis) et s’identifie au modus typicus. Nous pouvons ainsi

conclure que, selon la lecture de Wieland, le modus typicus s’identifie au modus docens

mentionné dans la partie finale de ce passage.

(c) Outre les modi typicus et docens, il existe une autre méthode, le modus exemplaris

et parabolicus, correspondant à la dimension « appliquée » de l’éthique. Ce mode envisage

l’instruction de ceux qui veulent se rendre bons.

Ainsi interprétée, la discussion méthodologique envisagée par la Lectura Abrincensis

semble être très loin des développements postérieurs, comme celui du Pseudo-Peckham. Or,

une lecture plus attentive, considérant d’autres passages où la Lectura aborde le problème

méthodologique, permet de rectifier certains points de l’interprétation de Wieland et de

justifier les modifications introduites dans le texte. On évaluera d’abord la justesse des trois

points dégagés par Wieland1, pour envisager ensuite d’analyser les caractéristiques de

chacune des méthodologies énumérées par le maître.

La première conclusion de Wieland (a) nous semble très exacte : nous avons déjà

évoqué (à l’occasion de l’analyse de l’opposition contemplationis gratia-ut boni fiamus) la

distinction entre les dimensions doctrinale et appliquée de l’éthique, qui réapparaît ici très

clairement. Or, les conclusions (b) et (c) nous semblent plus problématiques.

Les points que nous voudrions rectifier se dégagent donc de la lecture combinée de b

et c. D’abord, la distinction entre les modes typicus et docens est insuffisante : ces deux

1 Toutefois, on n’envisage pas une critique globale de la position de Wieland sur ce sujet ; le texte comporte sur

ce point plusieurs problèmes textuels dont la résolution n’est possible qu’au moyen d’un examen plus ample,

hors de l’intention, plus générale, de l’étude de Wieland (qui s’avère plus juste dans l’analyse du reste des

commentaires, dont le texte est moins problématique).

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modes sont identifiés et opposés au mode parabolicus et exemplaris ; or, le maître établit

clairement la parenté entre les modi typicus, parabolicus, exemplaris et figurativus : « Or par

cela qu’il dit de manière schématique, on comprend le mode exemplaire et per paraboles, qui

est <le fait de> dire en figure »1. L’identification incorrecte entre les modi docens et typicus

est, à notre avis, favorisée par l’omission des mots operat circa singularia (cf. texte I), que

Wieland n’inclut pas dans sa transcription2. L’omission de la phrase operat circa singularia

est décisive : une telle omission empêche le lecteur de faire le lien entre le modus typicus et

l’instruction de ceux qui doivent agir en soupesant les circonstances singulières, en entravant

aussi l’assimilation entre les modes typicus et parabolicus. Le mode schématique (typicus)

n’envisage pas simplement que « quelqu’un soit instruit », comme le veut Wieland (d’où

l’identification avec le modus docens), mais plutôt que quelqu’un soit instruit par rapport

aux choses singulières. Toute la différence entre le mode doctrinal et le mode schématique

repose sur cette division : il existe une méthode d’instruction qui a pour but la connaissance

(modus docens) et une autre, différente, qui envisage les actions concrètes.

Le point (b) pose aussi un problème, mais celui-ci est moins évident car, dans ce cas,

Wieland suit le manuscrit mot à mot et sans omission. La méthode propre à la dimension

doctrinale de l’éthique est qualifiée d’« incertaine » ; cette caractérisation éloigne la Lectura

Abrincensis des commentaires postérieurs, qui montrent une tendance à considérer la

méthode propre à l’aspect doctrinal comme plus certaine et plus proche de celle des sciences

démonstratives. Nous proposons de rectifier cet aspect de la lecture de Wieland en apportant

au manuscrit quelques corrections. Ainsi, là où le manuscrit lit « et apud ipsum

incertitudinalis modus » (« et chez lui-même le mode <est> incertain »), nous proposons de

restituer le verbe « est » exponctué par le copiste et de lire certitudinalis au lieu de

incertitudinalis3.

Ces modifications, dont la justification est loin d’être évidente, peuvent être fondées

sur une lecture globale du texte. Une raison de penser que le modus docens doit être considéré

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 40, notre édition : « Per hoc autem quod

dicit typo, intelligitur modus exemplaris et parabolicus, qui est dicere in figura ». 2 Le problème posé par ces mots (operat crica singularia), qui semblent hors place, est facilement résolu au

moyen de l’ajout de l’expression eum qui, que nous suppléons dans l’édition à partir de l’Expositio littere (« eum

qui operat circa singularia », II, § 39). 3 En accord avec la correction que nous avons introduit dans la dubitatio du § 15, où nous corrigeons « non

certitudinalis » en « certitudinalis ».

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comme certitudinalis se dégage de la lecture de certains passages connexes. L’Expostio

littere de la deuxième leçon (la même où se trouve la dubitatio que nous venons de discuter)

revient sur le discours typicus et non certain qui, nous le savons d’après le § 16, est lié aux

opérations singulières :

Lorsqu’il dit que tout discours doit être dit de manière schématique et

non pas de manière certaine relativement aux <opérations> qu’il faut accomplir,

on ne comprend pas qu’il ne soit pas donné de quelque manière comme certain,

mais non pas quant à celui qui doit être instruit dans les opérations singulières1.

La caractérisation du maître n’exclut pas la possibilité de parler en éthique de manière

certaine ; c’est le discours dirigé vers celui qui veut opérer à l’égard des circonstances

singulières qui est « schématique » (par opposition, on peut le supposer à partir de la dubitatio

étudiée ci-dessus, au discours dirigé vers ceux qui veulent connaître [§ 16], ou encore vers

la détermination de la vertu selon ses principes, genre et espèce [§ 15]). Plus loin (dans la

sixième leçon), le maître admet encore la possibilité de réfléchir sur les vertus de manière

certaine, tout en opposant le discours parlant certitudinaliter à celui suivant le modus

exemplaris :

Il y a donc une hésitation <qui surgit> naturellement : quels sont les actes

propres de la justice selon chacune <de ses> différences ou de la prudence selon

elle-même. Et c’est pourquoi il faut parler relativement à ces <choses> de

manière certaine, et non seulement <selon> le mode exemplaire2.

De la lecture d’ensemble de ces passages, nous pouvons conclure qu’il y a dans la

Lectura Abrincensis une opposition entre deux discours différents : un discours certain, le

modus docens, destiné à instruire l’auditeur de la doctrine à propos de la vertu selon sa

définition (en déterminant son genre et son espèce ; II, § 15), et un discours « schématique »

et non certain destiné à instruire celui qui veut bien agir dans les circonstances singulières.

La nature du premier n’est guère précisée : le maître ne lui consacre que des considérations

isolées et indirectes (sauf pour la dubitatio présentée aux paragraphes § 15-16 de la secunda

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 39, notre édition : « Cum dicit quod omnis

sermo oportet dici typo et non certitudinaliter circa ea que sunt facienda, non intelligitur quin aliquo modo

certitudinaliter datur, sed non quantum ad eum qui debet instrui in operationibus singularibus ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VI, § 130, notre édition : « Est etiam naturaliter

dubitatio : qui sint proprii actus iusticie secundum utramque differenciam, aut prudente secundum se. Et ideo

oportet certitudinaliter dicere de eis, et non solum modo exemplari ».

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lectio). Le discours typicus, quant à lui, est mieux décrit, mais son analyse ne manque pas

non plus d’ambiguïtés.

II.1.4. Caractérisation des différentes méthodologies selon la Lectura Abrincensis

Nous avons mentionné l’équivalence que le maître semble établir entre les modi

typicus, parabolicus, exemplaris et in figura1. Toutefois, plusieurs passages laissent penser

que les trois termes ne sont pas toujours équivalents.

Le modus typicus est assimilé à l’exemple ou la figure, ou encore à la « figure

exemplaire » (VI, § 73) ; le maître fait ici référence au monde archétypal des idées (on

reconnaît ici l’influence indirecte de Platon). Or, la vérité se trouve du côté des choses, et

non pas dans le modèle, car le zélotype (zelotipus) coïncide pour notre maître avec la figure

de l’amour, et non pas avec « le vrai amour » (II, § 40)2. Cette description du mode typicus

reste curieuse, car parfois le sens du mot « exemplaris » est rapproché aussi du modus

inductivus3 : le maître indique par exemple que les vertus de la justice et de la prudence, dont

l’acte est intérieur, ne sont pas adéquates pour montrer ce qu’est la vertu « par le mode

inductif », et ajoute tout de suite qu’il ne faut pas parler de ces vertus uniquement « de

manière exemplaire » (c’est à dire, en partant des cas singuliers ; VI, § 129-130), mais aussi

de manière certaine. Le mot « exemplum », pour sa part, est généralement employé dans son

sens élémentaire : Aristote utilise des exemples comme des instances particulières des

notions générales qu’il est en train d’exposer.

Le modus parabolicus, quant à lui, est souvent évoqué à côté de l’induction : le maître

déclare à plusieurs reprises qu’Aristote montre telle ou telle chose « per inductionem et

parabolam ». Mais la parabole et l’induction renvoient à deux choses différentes. Examinons

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 40, notre édition : « Per hoc autem quod

dicit typo, intelligitur modus exemplaris et parabolicus, qui est dicere in figura ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 40, notre édition : « Archetipum enim est

principalis figura qua dicitur mundus ‘archetipus’ ; et ‘zelotipus’ dicitur qui habet figuram zeli siue amoris, non

uerum amorem ». 3 Il est peut-être pertinent de noter qu’induction et exemple sont rapprochés dans le deuxième livre des Premiers

Analytiques d’Aristote (où ils occupent, respectivement, les chapitres 23 [68b8-68b37] et 24 [68b38-69a19]).

Toutefois, l’exemple diffère de l’induction, car la preuve offerte par induction part de tous les cas singuliers,

alors que l’exemple, se servant des similitudes, ne prend pas en compte la totalité des cas singuliers.

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par exemple le commentaire sur ÉN II, 2, 1104a11-1104b31. Le maître explique d’abord le

sens de tout le passage :

Dans la première partie, quant à elle, comme il a été dit, on montre que la

vertu provient des opérations existant dans le moyen terme, et <qu’>elle est

conservée et augmentée ; ce qui est montré par cela qu’elle est corrompue à partir

des opérations existant dans l’excès ou dans le défaut. <L’auteur> pose diverses

raisons par rapport au même <point>, <et> c’est pourquoi les <choses> bonnes

sont comprises à partir d’une parabole avec la vertu et la santé corporelle,

laquelle <parabole> est signalée avec l’intention (= proposito) <de servir à la

compréhension> de la vertu et de la santé spirituelle. Or, la raison qui reste est

comprise par induction dans les parties manifestes de la vertu. Et

semblablement, lorsqu’il montre que la vertu est principe des actes entièrement

semblables <à elle>, est comprise cette raison par induction et par parabole2.

En effet, Aristote compare d’abord les cas des exercices et de la nourriture, qui

peuvent soit augmenter soit détruire la santé corporelle (comme il est facilement discernable

dans le sensible), avec la vertu, qui peut être aussi corrompue par l’excès et le défaut : voici

ce que l’auteur considère comme une parabole, mais qu’il nomme parfois « similitude » (ce

dernier vocable étant évoqué plus fréquemment). L’argumentation se poursuit au moyen des

exemples pris dans le cas des vertus particulières, la chasteté et le courage ; nous avons affaire

ici à l’induction. Le sens de ces deux manières de procéder est précisé dans l’Expositio. Par

rapport à la similitude avec la santé corporelle (qu’il appelait dans le paragraphe cité ci-

dessus « parabole ») le maître dit :

Or lorsqu’il dit : dans <les choses> obscures il faut se servir des

<témoignages> manifestes, il entend que l’être de la vertu dans la médiété est

une réalité obscure. La vertu est en effet une réalité intelligible dont l’<aspect>

singulier n’est pas connu dans le sens. [...] Et ainsi le discours est obscur, tantôt

du point de vue de la réalité signifiée, tantôt du point de vue du mode de la

signifier. Mais les témoignages manifestes sont dits <manifestes> tantôt du point

de vue de la réalité, tantôt du point de vue du mode de signifier. En effet, une

1 Cf. Survol, Première partie, ch. III, II.3.2. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 6, notre édition : « In prima uero parte, sicut

dictum est, ostenditur quod uirtus sit ex operationibus in medietate existentibus, et saluatur et augmentatur ;

quod ostenditur per hoc quod corrumpitur ex operationibus in superfluitate uel indigentia existentibus. Ponit

diuersas rationes ad idem, quare bona sumpta sunt ex parabola ad uirtutem et sanitatem corporalem, que

proposito notatur uirtuti et sanitati spirituali. Reliqua uero ratio sumitur per inductionem in partibus manifestis

uirtutis. Et similiter, cum ostendit quod uirtus est principium consimilium actuum, sumitur ratio per

inductionem et parabolam ».

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similitude est considérée dans la santé et la vigueur du corps, qui sont des réalités

manifestes ; et le discours relatif à celles-ci est fait par la propriété du langage1.

Nous pouvons reconnaître ici le sens de « parabole » que nous avions décrit

brièvement au chapitre précédent : il s’agit de faire connaître une réalité intelligible (ou

encore « spirituelle ») au moyen d’une image sensible, de manifester une réalité spirituelle

par des similitudes prises dans des réalités corporelles. La réalité intelligible qu’est la vertu

est difficile à saisir (l’obscurité réside ici dans la chose elle-même, et non seulement dans le

discours ou le mode de la signifier) ; mais cette réalité peut être rendue manifeste par une

comparaison (faite par une proportion) avec les réalités corporelles : on reconnaît ici appliqué

à l’interprétation de l’Éthique le sens de « parabole » que l’on trouve appliqué à l’étude des

textes sacrés, où le sens spirituel est rendu manifeste par des similitudes sensibles, de sorte

que le sens « superficiel » cache un sens plus profond.

Quant à l’induction, le maître explique dans l’Expositio que dans le passage concerné

Aristote veut « manifester par induction » que la vertu se conserve dans la médiété ; or, pour

montrer cela, l’auteur se sert de la chasteté et du courage car leurs actes sont manifestes, à la

différence de l’acte de la prudence (II, § 55 ; VI, § 129). L’induction part donc de cas

particuliers des vertus (idéalement, des vertus dont l’acte est extérieur et peut être facilement

perçu par les sens), pour arriver à des notions générales.

Modus typicus, modus exemplaris, modus parabolicus, modus figurativus sont ainsi

présentés par le maître comme équivalents, bien qu’il soit possible de trouver entre eux

certaines différences : ils ont en commun le fait de remonter aux généralités à partir de ce qui

est évident aux sens. Ces méthodes envisagent l’instruction de ceux qui veulent « devenir

bons » (si cela est effectivement ainsi, on le discutera dans les sections suivantes). Tous les

quatre peuvent être caractérisés comme « incertains », en contraste avec le modus docens,

qui procède de manière certaine et envisage la connaissance spéculative de la vertu.

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 51, notre édition : « Cum autem dicit : in

obscuris oportet uti apertis, intendit esse uirtutis in medietate esse rem obscuram. Est enim uirtus res

intelligibilis cuius singulare non est notum in sensu. Et cum dicitur ‘in medietate’, per proportionem sit sermo

de ea. Et sic sermo est obscurus, tum ratione rei significate, tum ratione modi significandi eam. Manifesta uero

testimonia dicuntur tum ratione rei, tum ratione modi significandi. Sumitur enim similitudo in sanitate et

fortitudine corporis, que sunt res manifeste ; et fit sermo de eis per proprietatem locutionis ».

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II.2. Le Commentaire de Paris

La Lectura connue comme « Commentaire de Paris » inclut un commentaire sur le

premier livre de l’Éthique ; or, la première partie de ce commentaire (où le maître a

effectivement traité, comme il est évident d’après les premières lignes conservées, de la

forma determinandi de l’Éthique)1 fait défaut dans le manuscrit, et le commentaire de

l’anonyme sur le premier excursus méthodologique d’Aristote n’est pas parvenu jusqu’à

nous, sauf par certaines considérations isolées. Toutefois, le maître discute en profondeur

l’excursus méthodologique d’ÉN II, 2. Son exposé sert souvent à éclairer certains points de

la Lectura Abrincensis, car le maître reprend parfois des opinions qui y sont exprimées (soit

pour les réfuter, soit pour les confirmer) ; d’ailleurs, la clarté du texte contraste avec

l’obscurité et la densité de la Lectura Abrincensis.

Le problème de la double finalité de l’Éthique est discuté au moyen de plusieurs

questions, et le maître consacre une bonne partie de l’Expositio littere à éclairer le sens précis

du contraste contemplationis gratia - ut boni fiamus. L’Éthique aura comme finalité

principale de nous rendre bons (quoiqu’elle inclue aussi une investigation sur la définition de

la vertu) ; en raison de cela, sa méthode sera « schématique et incertaine » (typo et

incertitudinalis), à la différence de la démonstration dans le sens le plus rigoureux (en rapport

à la fermeté de la connaissance que seul le syllogisme démonstratif peut engendrer), dont la

méthode est subtilis.

II.2.1. La double finalité de l’Éthique

Le Commentaire de Paris distingue entre deux sens différents du mot

« contemplatio » afin d’expliquer comment l’Éthique peut porter sur la vertu intellectuelle

sans toutefois être « en vue de la contemplation », mais « pour que nous devenions bons ».

Ce mouvement argumentatif n’est pas sans rappeler le développement de la Lectura

Abrincensis ; mais, dans cette dernière, la distinction entre les deux sens de « contemplatio »

(que nous avions appelé A et B) n’était pas explicite. L’anonyme de Paris est sur ce point

beaucoup plus clair. Or, avant de distinguer ces deux sens du mot contemplatio, le maître

1 ANONYME, Lectura in Ethicam Novam (alias Commentaire de Paris), éd. GAUTHIER, p. 95 : « Set hic dubitatur

in hunc modum. In principio istius partis prohemialis primo posuit illud quod est materia huius scientie, scilicet

bonum quod est per se desiderabile, et postea formam determinandi, et auditorem [...] ».

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précise dans l’Expositio littere (qui précède dans ce cas les questions)1 la signification de

l’expression « quemadmodum alia » (comme les autres) :

Premièrement, il dit que le présent ouvrage n’est pas en vue de la

contemplation etc., comme les autres ; et on se demande ce qui est supposé par

ce nom « autres », et il y a une double opinion <sur cela>. D’après la première

opinion, il peut être dit que par ce nom « autres » sont supposées la philosophie

naturelle et <la philosophie> rationnelle, et à cause de cela il dit que l’éthique

n’est pas en vue de la spéculation comme les autres, c’est-à-dire la naturelle et la

rationnelle. Il peut être exposé autrement, puisque par ce qu’il dit « autres »

peuvent être supposées les vertus intellectuelles. En effet, la vertu intellectuelle

est en vue de la contemplation, et non pas pour que nous devenions bons, et il

doit dire (= loqui) ainsi comme les autres ; <car> les vertus intellectuelles sont

en vue de la contemplation2.

Cette distinction suppose une différence dans la manière de comprendre la

contemplation, qui peut être conçue soit comme pure spéculation (A = la philosophie

rationnelle et la philosophie naturelle), soit comme union avec le Premier (B = vertu

intellectuelle). Ce double sens du mot « contemplatio » permet de résoudre un problème que

la Lecture d’Avranches avait déjà rencontré : celui d’expliquer pourquoi la finalité pratique

de l’éthique (ut boni fiamus) l’emporte sur la finalité spéculative. Dans le tandem question-

réponse qui s’attaque à ce problème, le maître présuppose la connaissance du statut de la

philosophie morale, établi dans le Prologue : la science morale est meilleure que le reste des

sciences au sens pur et simple (simpliciter), et elle doit ainsi avoir la fin la plus noble :

<Question> : En outre, il est objecté sur ce qu’il dit, que <le présent

ouvrage> n’est pas en vue de la contemplation, mais pour que nous devenions

bons. Et il semble que cela soit faux, car la fin la plus noble doit appartenir à la

science la plus noble. Donc, puisque la contemplation est <quelque chose de>

plus noble que <le fait que> nous devenions bons, elle est la fin de la meilleure

science ; et ainsi, puisque l’éthique est la meilleure entre toutes les autres

1 La structure générale de ce commentaire diffère ainsi de celle de la Lectura Abrincensis, qui place les questions

avant l’Expositio littere ; mais ces variations sont fréquentes. 2 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157ra : « Primo dicit quod presens

opus non est contemplationis gratia etc. quemadmodum alia ; et queritur quid supponitur per hoc nomen ‘alia’,

et est duplex opinio. Ex <prima> o<pinione> potest dici quod per hoc nomen ‘alia’ supponitur naturalis

philosophia et rationalis, et propter hoc dicit <quod> non est ethica speculationis gratia quemadmodum alia,

hoc est naturalis et rationalis. Aliter potest exponi quia por hoc quod dicit ‘alia’ possunt (possunt sP] possunt

uel sP) supponi uirtutes intellectuales. Virtus enim intellectualis contemplationis gratia est, et non ut boni

fiamus, et debet sic loqui (loqui scr.] logi P) quemadmodum alia [quemadmodum alie] ; uirtutes intellectuales

sunt contemplationis gratia ». Cette double opinion se rapproche notablement des deux possibilités

d’interprétation insinuées dans la Lectura d’Avranches (II, § 39), où « autres » renvoie tantôt à l’œuvre de la

philosophie naturelle et de la philosophie rationnelle, tantôt à la vertu intellectuelle.

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<sciences>, elle est en vue de la contemplation, et non pas en vue de cela, que

nous devenions bons1.

L’infériorité de la contemplation à l’égard de la finalité pratique de l’Éthique n’est

possible qu’au prix de prendre « contemplatio » dans son sens purement spéculatif (A) ; la

seule connaissance des réalités naturelles ou rationnelles ne constitue pas une finalité plus

noble que le fait de se rendre bons. Toutefois, les vertus morales se subordonnent à la vertu

intellectuelle, qui permet l’union avec le Premier :

<Solution> : Au premier <point objecté>, il faut répondre que la

contemplation est double. En effet, une certaine <contemplation> est la fin des

réalités naturelles et rationnelles, et une certaine <autre> est la fin des vertus

intellectuelles. Et la contemplation qui est la fin de la philosophie rationnelle ou

naturelle n’est pas plus noble que la vertu ou le <fait> de devenir bons, car selon

la vertu <intellectuelle> on s’unit au Premier, selon cette spéculation-là non.

Mais la spéculation qui est la fin des vertus intellectuelles est plus noble que la

vertu, car l’union avec le Premier se fait davantage par cette <vertu

intellectuelle> que par la vertu morale2.

Mais qu’en est-il de la recherche sur la définition de la vertu ? Le maître reconnaît

qu’Aristote s’en occupe dans ce même livre (postea renvoie ici, très probablement, au

chapitre 4 du deuxième livre) ; or, cela n’empêche pas que l’Éthique envisage principalement

de nous rendre bons (et non pas seulement de nous faire connaître spéculativement ce qu’est

la vertu), car on ne devient bon que par l’opération de la vertu (et non par la simple possession

de la vertu elle-même ou de sa définition) :

En outre, il est objecté sur ce qu’il dit : nous n’examinons pas ce qu’est

la vertu pour que nous sachions, mais pour que nous devenions bons. Mais il

semble qu’il dit <quelque chose> de faux, parce que, plus tard (= postea), il

définira la vertu et en recherchera la définition, et ainsi dans ce livre il envisage

de déterminer ce qu’est la vertu. À cela il faut répondre que l’auteur ne dit pas

que la vertu n’est pas définie, mais il nie qu’il ne faille pas examiner la définition

de la vertu (= scrutandum in diffinitione), car lorsque nous possédons la vertu,

1 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157rb : « Item obicitur supra hoc

quod dicit non est contemplationis gratia sed ut boni fiamus. Et uidetur quod hoc sit falsum ; quia nobilioris

scientia nobilior debet esse finis. Ergo, cum contemplatio sit nobilior quam fieri bonum, est finis melioris

scientie ; et sic, cum ethica sit melior inter omnes alias, est ad contemplationem et non ad hoc ut boni fiamus ». 2 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157rb : « Ad primum dicendum

est quod duplex est contemplatio. Quedam enim est contemplatio que est finis rerum naturalium et rationalium

et quedam est contemplatio que est finis uirtutum intellectualium. Et contemplatio que est finis rationalis

philosophie uel naturalis non est nobilior quam uirtus siue bonum fieri, quia secundum uirtutem unimur Primo,

secundum autem illam speculationem non. Sed illa speculatio que est finis intellectualium uirtutum est nobilior

uirtute, quia magis fit unio ad Primo (primo scr.] perimum P) per ipsam quam per uirtutem consuetudinalem ».

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nous ne la possédons complètement que dès le moment (= adhuc) où nous

opérons, et c’est pourquoi il dit que <nous n’examinons pas> ce qu’est la vertu

pour que nous sachions, mais pour que nous devenions bons comme s’il disait

même si nous avons la vertu et la définition de la vertu, nous devons pourtant

opérer pour que nous devenions bons1.

Ce point sera évoqué par le maître lors de la discussion méthodologique sur le

discours typicus et incertus : la vertu exige, une fois connue sa définition, l’opération, à la

différence des sciences démonstratives où, une fois possédée la définition, on s’y repose2 ;

nous ne cherchons pas à savoir ce qu’est la vertu pour faire de cette connaissance le terme ou

l’état (status) où l’on reste3. Cette séparation entre la connaissance de la vertu par sa

définition et la capacité d’opérer vertueusement est envisagée par le commentateur dès le

premier livre. La simple appréhension intellectuelle de la doctrine ne suffit pas : l’auditeur

du discours éthique peut connaître le bien sans être capable de bien agir ; mais la fin de

l’éthique n’est pas la contemplation, mais l’opération :

Il y en a d’autres qui reçoivent <la doctrine> et pourtant n’opèrent pas le

bien, même s’ils connaissent les biens, et ces auditeurs de cette science la

reçoivent infructueusement. Et cela est ce qu’il dit ensuite : Car la fin n’est pas

la connaissance, mais l’opération (ÉN I, 1, 11095a5-6), comme s’il disait : il ne

suffit pas de posséder cette science, mais ensuite il faut opérer, d’où la fin est

l’opération, et non pas la connaissance4.

Or, même s’il distingue entre connaître la vertu et l’opérer, le maître n’utilise pas le

vocabulaire associé à cette distinction dans d’autres ouvrages (à savoir la distinction utens-

docens). Néanmoins, la description du discours éthique ébauchée par le maître dans le

Commentaire de Paris se sert du vocabulaire que nous trouvons dans le reste des

1 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157rb : « Item, obicitur supra hoc

quod dicit non ut sciamus quid est uirtus scrutamur, sed ut boni fiamus. Sed uidetur quod falsum dicit, quia

postea diffiniet ipse uirtutem et inuestigabit diffinitionem, et sic in isto libro intendit determinare quid est uirtus.

Ad hoc dicendum est quod auctor non dicit quod uirtus non diffiniatur, sed negat quod non est scrutandum in

diffinitione uirtutis, quia cum habemus uirtutem non habemus eam complete nisi adhuc operemur, et ideo dicit

non ut sciamus quid est uirtus sed ut boni fiamus, quasi diceret quod etsi habeamus uirtutem et diffinitionem

uirtutis tamen debeamus operari ut boni fi<amus> ». 2 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157va : « Sed <cum> uirtus est

habita, adhuc non debemos quiescere in termino. Ad hoc debemus frecuenter bene operari, et ideo est sermo

circa operationces certitudinales ». 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157va : « Ad hoc dicendum quod

non est contemplationis gratia ut ibi fiat status [...] ». 4 ANONYME, Lectura in Ethicam Novam (alias Commentaire de Paris), éd. GAUTHIER, p. 94 : « [...] sunt autem

alii qui recipiunt et tamen non operantur bene, etsi cognoscant bona, et isti audientes istam scientiam, eam

recipiunt non fructuose. Et hoc est quod dicit statim : Quia finis est non cognitio, set operatio, quasi diceret :

non sufficit istam scientiam habere, set postea est operandum, vnde operatio finis est et non cognitio ».

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commentaires artiens. D’ailleurs, nous y rencontrons une opposition qui, répétée dans les

Commentaires de Pseudo-Peckham et de Kilwardby, ne figure pas dans la partie de la Lectura

Abrincensis que nous connaissons aujourd’hui1 : l’opposition entre les termes grossus et

subtilis.

II.2.2. Le discours éthique

La forma determinandi ou modus procedendi (des termes utilisés par le maître

anonyme) est décrite, dans le commentaire sur Éthique II (et en suivant le texte aristotélicien),

comme « schématique » (typicus) et « incertain » (incertitudinalis)2 ; le commentaire sur le

livre I, quant à lui, caractérise le discours relatif aux opérations comme grossus, procédant

« par des raisons superficielles » et a posteriori3.

La discussion sur ce caractère incertain du discours éthique est significativement plus

longue que celle que l’on trouve dans la Lectura Abrincensis. Cette discussion, occupant des

portions importantes de la Sententia, de l’Expositio littere et des questiones, s’articule autour

de deux points principaux : la cause de l’incertitude du discours éthique, et la comparaison

du modus procedendi de l’éthique avec ceux des Analytiques, de la sophistique et de la

dialectique (un point que nous trouverons aussi dans le commentaire du Pseudo-Peckham).

Quant au premier point, il est noté que le manque d’exactitude ou l’incertitude propre

au sermo ethicus s’expliquent en raison de deux facteurs, un lié au caractère du sujet traité,

l’autre lié à la manière de procéder4. D’abord, la finalité principale de l’éthique (devenir

bons) suppose un sujet dont la matière est variable au degré maximum : les opérations.

Quiconque veut devenir bon, doit bien opérer et en conséquence a affaire aux circonstances

1 L’opposition entre les modi grossus et subtilis pourrait se trouver dans le commentaire sur le livre I. 2 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 156vb : « Sed quia sermo qui est

circa operationes est sermo incertitudinalis, ideo [...] in secunda parte ostendit quod sermo moralis est incertus

et typicus. Et in hac secunda parte docet modum procedendi et perscrutandi uirtutem ; per hoc innuens quod

modus procedendi non est certus in ista scientia sicut in aliis ». 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Novam (alias Commentaire de Paris), éd. GAUTHIER, p. 99-100 : « Et una est

quia in ista scientia determinatur de felicitate, que unitur nobis per operationes multas ; et quia in illis

operationibus est incertitudo, ideo dicit quod modus improbandi istas opiniones debet esse per rationes

superficiales [...] hic non sunt sumpte rationes a priori, set a posteriori. [...] differt enim sicut subtilem et

grossum ». 4 Il y a dans les affaires traitées par la morale une « double incertitude ». Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam

Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 156vb : « Ergo iste sermo, scilicet moralis, est incertus. Et dicit

auctor quod iste sermo est typo et incertitudinalis et uero dicendum quod hoc dicitur propter duplicem

incertitudinem que est in moralibus [...] ».

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singulières de l’action1. Et la doctrine doit être proportionnée aux choses sur lesquelles elle

porte, de sorte qu’à l’indétermination du sujet correspond l’incertitude de la science s’y

rapportant. Ainsi, par leur variabilité, et par leur nombre2, les opérations singulières sont

incertaines :

Mais il est dit incertain en raison d’une autre cause : parce que les

<choses> singulières sont incertaines à cause de leur multitude et à cause de leur

variation, et le discours est relatif aux œuvres sur les <choses> singulières. Et

c’est pourquoi il est dit incertain, et ainsi sont patentes les <choses> dites sur le

discours schématique et incertain3.

La deuxième cause de l’inexactitude du discours moral ne provient pas de son objet,

mais de la manière d’en traiter : le mot « typo » est ici assimilé aux exemples et aux paraboles,

qui traitent de son objet en se servant d’une proportion ou d’une assimilation (rappelons que

le mode typicus incluait dans la Lectura Abrincensis le discours figuratif), afin que l’on puisse

comprendre une chose au moyen d’une autre. Excès, défaut, et médiété, ce sont des éléments

qui ne se trouvent, à proprement parler, que dans les réalités naturelles :

En effet, le discours schématique est le discours qui est dans les <choses>

exemplaires et <dans> les paraboles. Ainsi en est-il dans la vertu, parce que le

nom vertu est un nom dit par assimilation, parce que l’excès, le défaut et le moyen

terme sont proprement dans les réalités naturelles, et <tout cela> est dans la vertu

par assimilation ou proportion. Et à cause de cela le discours relatif à la vertu est

dit schématique4.

Ces causes peuvent en quelque sorte être expliquées comme les aspects « matériel »

et « formel » de l’incertitude : la première cause se trouve dans les choses elles-mêmes, alors

que la deuxième se rapporte à la forma tractandi. La notion d’incertitude est ainsi plus

englobante que la notion de discours « schématique » (typicus) : la première s’applique à tout

1 Comme le notait déjà la Lectura Abrincensis, pour laquelle le mode de procéder relatif aux opérations

singulières était aussi incertain. 2 Sur ce point, cf. aussi ANONYME, Lectura in Ethicam Novam (alias Commentaire de Paris), éd. GAUTHIER, p.

99 : « [...] in ista scientia determinatur de felicitate, que unitur nobis per operationes multas ». 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 156vb : « Incertitudinalis autem

dicitur propter aliam causam : quia singularia sunt incerta propter suam multitudinem et propter suam

uariationem, et iste sermo est de operibus circa singularia. Et ideo dicitur incertitudinalis, et sic patet dicta super

(super scr.] incertum P) typicum (typicum scr.] thipicum P) sermonem et incertitudinalem ». 4 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 156vb : « Typicus (typicus

scr.] thipicus P) enim sermo est ille sermo qui est in exemplaribus et parabolis. Similiter est in uirtute, quia

nomen uirtutis est nomen dictum per transumptionem (transumptionem scr.] transsumptionem P), quia

superfluitas, indigentia et medietas sunt proprie in rebus naturalibus, et per transumptionem siue proportionem

est in uirtute. Et propter hoc sermo de uirtute dicitur typicus (typicus scr.] thipicus P) ».

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le discours éthique, la deuxième s’applique uniquement au discours procédant par des

similitudes ou « proportions ».

Quant au deuxième des points articulant l’exposition sur le sermo incertus (présenté

dans la section consacrée aux questions), on remarque une comparaison avec divers types

d’argumentation admettant des degrés de certitude divergents selon qu’ils procèdent par

démonstration (au sens strict des Seconds Analytiques), à partir de prémisses probables

(dialectique) ou à partir de prémisses probables seulement en apparence (sophistique). Cette

comparaison sera assez fréquente dans les commentaires rédigés quelques années plus tard

(comme celui du Pseudo-Peckham) ; mais elle était très peu développée dans la Lectura

Abrincensis, qui ne fait que mentionner vaguement les arguments probables et les

sophistiques.

Dans un premier temps, le maître compare l’Éthique aux Seconds Analytiques : il

semble qu’il soit faux que le mode d’examiner relatif aux opérations soit incertain, puisque,

comme dans les Seconds Analytiques, Aristote définit la démonstration de manière certaine

en donnant sa définition et en déterminant ainsi ses principes, ainsi aussi traite-t-il des

opérations qui sont les vrais principes de la vertu :

En plus, il est demandé sur cela qu’il dit, que le discours relatif aux

<choses> qu’il faut opérer ou accomplir est incertain, et ainsi il veut signaler que

le mode d’examiner dans cette science est incertain. Et il semble que cela est

faux, parce que dans le livre des Seconds <Analytiques> le mode d’examiner la

démonstration est certain, car ce mode est dans la définition de la démonstration

elle-même. Ensuite, il définit la démonstration, le syllogisme et la démonstration

(sic), et il détermine les principes certains de la démonstration, comme le principe

vrai et immédiat, etc (cf. ARISTOTE, Seconds Analytiques, I, 2, 71b19-22). Et ainsi

il procède de manière certaine. Similairement, dans cette science, l’auteur définit

la vertu et détermine certaines opérations qui sont des vrais principes de la vertu

elle-même. Et ainsi semble-t-il que le mode d’examiner <dans l’Éthique> n’est

pas incertain1.

1 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157va : « Item obicitur supra

hoc quod dicit, quod sermo circa operanda uel facienda est incertitudinalis, et sic uult innuere quod modus

scrutandi in ista scientia sit incertus. Et uidetur quod hoc sit falsum, cum in libro Posteriorum certus est modus

scrutandi demonstrationem, quia iste modus sit <in> diffiniendo ipsam demonstrationem. Deinde diffinit

demonstrationem, sillogismum et demonstrationem, et determinat certa principia demonstrationis sicut

principium uerum et immediatum et cetera. Et sic certo modo procedit. Similiter, in ista scientia, diffinit auctor

uirtutem et determinat certas operationes que sunt uera principia ipsius uirtutis. Et sic uidetur quod modus

scrutandi non sit incertitudinalis ».

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La réponse est loin d’être claire : le maître reconnaît que, dans l’Éthique, Aristote

définit la vertu et détermine quels sont ses principes, sans toutefois nous dire si la manière de

procéder est certaine ou incertaine. La suite de la réponse rappelle la différence existant entre

cette science pratique et les sciences purement spéculatives (comme la science transmise dans

les Analytiques, appartenant à la philosophie rationnelle) : une fois acquise, la science

démonstrative ne requiert plus l’opération ; mais pour atteindre la finalité principale de

l’éthique (devenir bons), il faut continuer à opérer, même après avoir acquis la vertu1.

Dans un deuxième temps, la comparaison s’étend aux formes d’argumentation moins

exactes que la démonstration. La sophistique et la dialectique partent des prémisses probables

(ou probables en apparence), et non du nécessaire : voilà pourquoi elles devraient être

qualifiées d’« incertaines », comme la science morale. De manière assez étonnante (car

l’éthique semble ainsi porter sur ce qui est purement accidentel), le maître considère que la

science morale est encore moins certaine que la sophistique2 :

En outre, la dialectique est à partir du probable, <tandis que> la

sophistique <est> à partir du probable apparent. Mais le probable et le probable

apparent sont <des choses> incertaines, et ainsi il semble que la dialectique et la

sophistique devraient être dites incertaines, comme la science morale, et

<encore> plus. À cela il faut répondre que la science morale est dite incertaine

par le résultat de l’opération par rapport à la fin, parce que le résultat de

l’opération par rapport à la fin, qui est la vertu, est incertain, et les opérations sont

incertaines. Mais même si le probable et le probable apparent sont incertains,

pourtant le résultat du sophiste par rapport à sa fin et le résultat du dialecticien

par rapport à sa fin sont certains, et c’est pourquoi le discours dialectique et le

discours sophistique ne sont pas appelés incertains3.

1 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157va-157vb : « Ad hoc

dicendum est quod sine dubio hic diffinit uirtutem et determinat operationes que sunt principia et scrutatur

uirtutem. Sed <cum> uirtus est habita, adhuc non debemus quiescere in termino (termino scr.] tyo P). Ad hoc

debemus frequenter bene operari, et ideo est sermo circa operationes incertitudinales. Sicut dicit quia non

contingit hanc quietem, sed semper operandum est, sed non sic est de demonstratione. Immo habita

demonstratione, fit quies et scrutans non scrutatur autem plures ». 2 Qui est d’ailleurs considérée comme « une science probable et non existante ». Cf. IOHANNES DE FONTE

(comp.), Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 332, no 6. En Métaphysique, VI, 2, 1026b15-24, Aristote

affirme en plus que la sophistique s’occupe de ce qui est purement accidentel et qui est proche du « non-étant »

(μὴ ὄντος). Je reprends ici la note 32 de V. CERVERA NOVO, « Considérations méthodologiques dans les

premiers commentaires à l’Éthique à Nicomaque : étude comparative de trois Lecturae de la première moitié

du XIIIe siècle », Université Laval, Faculté de Philosophie, Québec, 2014 (examen de doctorat ; volet

prospectif), p. 14. 3 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157vb : « Item dialectica

(dialectica scr.] dicta P) est ex probabilibus et [in] <s>ophistica ex apparentibus probabilibus. Sed probabilia

et apparentia probabilia sunt incerta, et sic uidetur quod dialectica et sophistica deberet dici incertitudinales,

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Quoique l’explication du maître semble confuse, elle peut être mieux éclairée à la

lumière de certains parallèles. Ce qui fait de la morale une discipline incertaine est son

rapport avec sa finalité (la vertu) : le résultat recherché par les opérations pourrait ne pas être

obtenu, comme il arrive dans le cas du médecin1 ; or, ceci n’arrive ni dans le cas du sophiste

ni dans le cas du dialecticien : même si la matière de laquelle ils partent est incertaine, le

résultat de leur démarche est assuré par les rapports établis entre les arguments et la

conclusion. Cette argumentation n’est pas sans rappeler une comparaison que le maître avait

introduite dans l’Expositio littere : l’épée doit être proportionnée à la matière à partir de

laquelle elle accomplit sa fin propre, couper ; c’est pourquoi elle doit être en fer, et non pas

en bois. De manière similaire, la doctrine s’adapte à la matière à partir de laquelle elle doit

accomplir sa finalité : les opérations. Les opérations étant incertaines, la doctrine elle-même

sera incertaine2. La similitude posée par le maître peut être mieux comprise à partir d’un texte

artien datant de la moitié du XIIIe siècle (ca. 1260), l’Introduction Sicut dicit philosophus du

Pseudo-Jean le Page3. Au moyen d’un exemple similaire (celui de la scie), le maître explique

que le syllogisme, étant lui-même un instrument (comme la scie ou l’épée) doit s’adapter à

sa finalité, qui peut être certaine (ainsi il y a le syllogisme démonstratif, procédant par le

moyen terme qu’est la cause), ou moins certaine (ainsi il y a le syllogisme dialectique,

sicut moralis scientia, et magis. Ad hoc dicendum est quod moralis dicitur incerta per exitum in finem, quia

exitus operationis in finem, qui est uirtus, est incertus, et operationes sunt incerte. Sed quamuis probabile et

apparens probabile sint incerta, tamen exitus sophiste in suum finem est certus, et ideo sermo dialecticus et

sophisticus non dicuntur incertitudinalis ». 1 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 156vb-157ra : « Et sic oportet

medicum inspicere ad tempus et operatio et consideratio sue sunt incerte. Similiter est de nauta. Oportet enim

nautam inspicere ad ipsum tempus et propter hoc consideratio sua est incerta ; ergo similiter est. Consideratio

moralis sit ex operibus que sunt incerta, et ipse sermo ethicus est incertus ». Cf. ARISTOTE, Topiques, I, 2,

101b8-9 : « On ne peut dire, en effet, que de toute manière l’orateur va persuader son public, ou le médecin

guérir son patient [...] » (trad. J. BRUNSCHWIG, Topiques I-IV, Paris, Belles Lettres, 1967, p. 4) ; IOHANNES DE

FONTE (comp.), Auctoritates Artistotelis, éd. HAMESSE, p. 322, no 4 : « Rhetor non semper persuadebit, nec

medicus semper sanabit ». 2 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157ra : « Sicut gladius debet

proportionari materie ex qua fit finis, cogere materiam, – quia enim gladius est ad <s>cindendum ideo debet

causa ex materia tali scilicet ex ferrea et non ex lignea –, similiter si ea ex quibus est doctrina sunt incerta, et

doctrina est incerta, et hoc modo intelligendum est quod dicit ». 3 L’attribution de ce commentaire à Jean le Page a été sérieusement remise en cause par H. Hansen. Lafleur,

Piché et Carrier s’accordent avec l’argumentaire de Hansen, qui est d’ailleurs confirmé par la datation de ce

commentaire, 1260, trop tardive pour permettre l’attribution à Jean le Page. Cf. HANSEN, John Pagus on

Aristotle’s Categories, p. 28*-29* ; C. LAFLEUR, D. PICHÉ et J. CARRIER, « The Questiones circa litteram de

universalibus and Expositio littere secunde partis prohemii of the Commentary on the Isagoge Attributed (?)

to John Pagus (I. Introduction and Doctrinal study) : the Ontological status of Universals », Mediaeval Studies,

76 (2014), p. 152-155.

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procédant par un moyen terme contingent), etc1. Il semblerait donc que le Commentaire de

Paris considère que dans la morale, le moyen terme étant en quelque sorte impossible à

déterminer, l’issue dans la finalité recherchée est impossible2, à la différence de ce qui arrive

dans le cas des arguments sophistiques et dialectiques.

Il paraîtra donc que, comme l’affirme le maître à la fin de l’Expositio littere, sur ces

choses singulières « il n’y a pas de doctrine »3.

II.3. Robert Kilwardby : modus grossus vs. modus subtilis

Le commentaire de Robert Kilwardby est postérieur de quelques années à la Lectura

Abrincensis et au Commentaire de Paris (car l’auteur connaît l’editio longior de l’ÉN)4.

L’Expositio super Ethica Nova et Vetere5 diffère du reste des commentaires artiens, car il

s’agit d’un exposé sur le texte qui explique la littera de l’ouvrage sans toutefois inclure de

questions. Certains aspects de ce commentaire de la période parisienne de Kilwardby seront

repris dans son De ortu scientiarum (vers 1250)6.

1 PSEUDO-IOHANNES PAGUS, Sicut dicit philosophus, P2, f. 4ra-4rb, V1 5988, f. 64ra, éd. préliminaire de C.

LAFLEUR et J. CARRIER, § 25 : « Si uero ut instrumentum, habet respectum ad finem : complementum enim

instrumenti a fine est, secundum quod scribitur in secundo Phisicorum quod serra est dentata ad secandum et

ex ferro ad secandum dura. Sic ergo complementum sillogismi in quantum est instrumentum dependet a fine.

Aut ergo a fine qui est certus et infallibilis, qui est natus haberi per medium infallibile, aut a fine minus certo,

nata haberi per plura media, aut a fine qui in pluribus reperitur. Primo <modo> est scientia que habetur per

medium quod est causa, et sic est demonstratiua scientia, considerans demonstrationem, que demonstratio est

sillogismus faciens scire. Secundo modo est opinio nata haberi per media contingentia, cuius gratia est liber

Thopicorum <f. 4rb P2>, constituens sillogismum thopicum » ; cf. aussi trad. C. LAFLEUR et J. CARRIER, § 25 :

« Tandis que si le <syllogisme est pris> comme instrument, il a un rapport à la fin : en effet le complément de

l’instrument est d’après la fin, selon ce qui est écrit dans le deuxième <livre> des Physiques que la scie est

garnie de dents pour couper et <est faite> de fer pour couper les <choses> dures. Ainsi donc le complément du

syllogisme en tant qu’il est instrument dépend de la fin. Ou bien donc de la fin qui est certaine et infaillible,

laquelle est destinée à être trouvée par un moyen terme infaillible, ou bien de la fin moins certaine, destinée à

être trouvée par plusieurs moyens termes, ou bien de la fin qui est repérée en plusieurs. D’une première manière

il y a la science qui se trouve par le moyen terme qu’est la cause, et ainsi il y a la science démonstrative,

considérant la démonstration, laquelle démonstration est le syllogisme faisant savoir. De la deuxième manière

il y a l’opinion destinée à être trouvée par les moyens termes contingents, en vue de laquelle il y a le livre des

Topiques <f. 4rb P2>, constituant le syllogisme topique ». 2 Comme le suggère Aristote dans les Premiers Analytiques, I, 13, 32b17-21. 3 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157ra : « [...] sermo de

singularibus erit magis incertus propter multitudinem et uarietatem singularium ; incerta enim sunt, et ideo de

hiis non est doctrina. Et sic patet tota difficultas littere (littere scr.] litere P) ». 4 LEWRY, « Robert Kilwardby’s Commentary on the Ethica nova and vetus », p. 800. 5 Nous suivons ici l’appellation donnée par Buffon dans L’idéal éthique des maîtres ès arts, p. 8. 6 LEWRY, « Robert Kilwardby’s Commentary on the Ethica nova and vetus », p. 806. Il faut noter que, au

moment de la rédaction du De ortu scientiarum, Kilwardby disposait déjà de la traduction complète de

Grosseteste, ainsi que du commentaire d’Eustrate.

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Les considérations de Kilwardby sur le statut épistémologique de la morale posent

certains problèmes. Les affaires morales semblent tomber parfois sous le domaine des choses

complètement indéfinies, sur lesquelles, affirme Kilwardby, il n’est pas possible de faire des

démonstrations (même au sens moins strict)1 ; mais, à d’autres occasions, l’Éthique est dite

traiter de ce qui arrive ut in pluribus, c’est-à-dire, avec une certaine régularité, de sorte qu’il

est possible, aussi dans la morale, de démontrer à partir de prémisses probables. D’ailleurs,

la plupart du temps, le texte de l’Éthique est exposé sous la forme d’une série de syllogismes

enchaînés, dont les prémisses sont à leur tour le résultat d’un raisonnement ou d’un

mouvement argumentatif préalable (soit par déduction, soit par induction). Le commentaire

de Kilwardby sur les excursus méthodologiques d’Aristote est très bref ; pourtant, il ne

manque pas d’intérêt, car Kilwardby fait dans son Expositio quelques remarques (dont on

s’occupe tout de suite) servant à éclairer la nature de la science civile et de sa méthodologie.

II.3.1. La double finalité de l’Éthique

Kilwardby ne se sert pas des termes utens – docens, quoiqu’il distingue, comme les

autres commentaires artiens, les dimensions spéculative et active de la morale2. La dimension

contemplative de l’Éthique n’est aucunement écartée : Kilwardby va au-delà de la littera du

texte en affirmant que l’ouvrage (i.e. l’Éthique) « n’est pas seulement (= tantummodo, terme

absent dans la traduction de Burgundio) en vue de la contemplation », comme le reste des

1 ROBERT KILWARDBY, Notule libri Posteriorum, éd. CANNONE, p. 426 (cité d’après FIDORA, « Causality,

contingency and science in Robert Kilwardby », p. 101, n. 17) : « Ut dicit Aristoteles in Prioribus, de

contingentibus non fiunt demonstrationes, quia in illis non est medium ordinatum, sed ea, quae sunt a proposito,

sunt infinita, de esse scilicet et non esse ; ergo cum artificialia et moralia sunt huius<modi>, de ipsis non est

demonstratio ». Ce problème affecte aussi les sciences naturelles, car les disciplines pratiques et la physique

sont souvent comparées par Kilwardby quant à leur degré d’exactitude ; cf. ROBERT KILWARDBY, De ortu

scientiarum, éd. JUDY, 390, p. 137, l. 13-20 : « Contingentia autem quae cadunt in consideratione artium

practicarum sunt infinita et ideo erratica, eo quod ab humano proposito et consilio proveniunt — dico ut multum.

Aliquando tamen sunt nata sicut accidit in coniecturalibus artibus, ut in medicina et navigatione, ut praedictum

est. Et ideo ethica et mechanica non faciunt certam scientiam eorum, quae ostendunt, sed nec physica in

omnibus, licet in multis, sed magis faciunt opinionem et coniecturalem cognitionem ». Ce point est signalé par

A. Fidora, dont on consultera avec profit l’article « Causality, contingency and science in Robert Kilwardby »,

Anuario filosófico, 44, 1 (2001), p. 95-109. 2 Qu’il distingue aussi dans son De ortu scientiarum ; cf. ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY,

393, p. 138, l. 5-9 : « Quaero igitur distinguantur penes speculationem et praxim, cum illae quae practicae sunt

sint etiam speculativae – oportet enim prius virtute speculativa contemplari quod virtute practica debemus

operari – et e converso speculativae non sine praxi sunt » ; 394, p. 138, l. 18-21 : « Et dicendum quod omnis

operativa scientia aliquid habet de contemplatione et e converso, sicut dictum est, sed tamen bene distinguuntur

penes contemplationem et operationem tamquam penes fines principaliter intentos ». Sur ce point, cf. CELANO,

« Robert Kilwardby and the Limits of Moral Science », p. 34-37.

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sciences spéculatives1. Or, la connaissance spéculative que l’Éthique est susceptible de

transmettre n’est pas un terme que l’on recherche pour y rester ; il s’agit d’une connaissance

qui doit être au service de la finalité principale de l’éthique, devenir bons, finalité qui n’est

atteinte que par l’opération : « En effet, nous n’examinons pas relativement à la vertu pour

que nous sachions ce qu’est la vertu en y faisant un état <où l’on reste>, mais pour que nous

devenions bons. Or, cela ne peut se faire que par l’opération [...] »2.

D’autres précisions peuvent être ajoutées à partir du De ortu scientiarum, où

Kilwardby reprend le problème : les sciences opératives ne diffèrent pas des autres par

manque d’aspect théorique, mais plutôt par la fin qui est principalement recherchée (et

Kilwardby évoque ici l’autorité d’Aristote)3 : le philosophe moral n’examine pas les causes

pour elles-mêmes, mais par rapport à ce qu’il fait, car ce qui est cherché, c’est l’opération4.

Bref, la finalité principale de l’éthique, devenir bons, ne peut pas être accomplie sans

l’opération ; la manière de procéder de la science civile sera donc déterminée par cette

circonstance.

II.3.2. Modus grossus et modus typicus vs. modus subtilis

Dans son Expositio, Kilwardby revient sur le modus typicus à deux reprises, car il

commente tant l’Ethica Nova que la Vetus.

Le premier excursus méthodologique d’Aristote (ÉN I, 1,1094b11-21) est divisé en

deux parties, car Aristote explique d’abord « de quelle manière il faut déterminer de cette

science » en général (1094b11-14), pour déterminer ensuite quel est le mode (modus) de cette

1 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 296ra : « [...] presens opus non est

tantummodo contemplationis gratia sicut scientie speculatiue ». Notons que Kilwardby insinue ainsi que les

sciences spéculatives sont seulement en vue de la contemplation, ce qui heurte en quelque sorte avec les

affirmations faites dans le De ortu scientiarum sur la dimension appliquée des sciences théorétiques ; cf. les

passages cités ci-dessus. 2 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 296ra : « Non enim scrutatur de uirtute ut

sciamus quid est uirtus ibi statum faciendo, sed ut boni fiamus. Hoc autem non potest fieri nisi per operationem

[...] » ; cf. aussi ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157va, cité ci-

dessus (section II.2.1 de ce chapitre). 3 ARISTOTE, Métaphysique, II, 1, 993b21-22. 4 ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, 394, p. 138, l. 21-27 : « Unde dicit Aristoteles in II

Metaphysice quod finis scientiae speculativae est veritas, et finis scientiae operativae est actio. Operantes enim

licet considerent in eo quod agunt, tamen non perscrutantur de causa propter se ipsam sed respectu eius quod

agunt. Quamvis igitur moralis vel mechanicus consideret quid agendum et quomodo et propter quid, tamen

finaliter non intendit nisi operationem vel opus, et ideo a fine principaliter intento dicitur activus ».

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science « in speciali » (1094b14-21). L’exposé sur le deuxième excursus d’Aristote (ÉN II,

2, 1103b34-1004a8) est beaucoup moins détaillé ; mais il permet d’éclairer certains points

du commentaire sur la Nova.

Le discours éthique sera suffisamment clair s’il est manifesté « selon la substance »

traitée1 ; or, la substance n’est pas ici comprise quant à son essence (ou « quiddité »), mais

selon les conditions et les propriétés par lesquelles elle est appréhendée par nous :

Dans la première partie il procède ainsi : premièrement, il dit que la

matière de cette doctrine sera suffisamment manifeste si elle est manifestée selon

la substance ; et ici on n’intellige pas, par ladite substance, sa quiddité, mais les

propriétés et les conditions à travers lesquelles elle est appréhendée par nous,

comme il est patent d’après les <choses> déterminées conséquemment dans ce

livre2.

Cette explication n’est pas entièrement claire, car nous ne savons pas, d’après ce

passage isolé, ce que peut vouloir dire « manifester la substance selon les conditions et

propriétés » selon lesquelles elle est appréhendée, et de quelle manière cela pourrait se

répercuter sur l’aspect méthodologique. Or, Kilwardby a établi ailleurs les critères permettant

de déterminer le degré de certitude d’une science : on doit considérer non seulement si la

matière est ou non susceptible de démonstration, mais aussi sa proximité (ou éloignement)

par rapport au sensible (ou son degré d’abstraction)3 : on peut donc imaginer que Kilwardby

suppose ici les circonstances particulières sensibles sous lesquelles on perçoit les choses

bonnes et justes. Ces conditions agissent en sorte que l’on ne peut pas prétendre, dans la

science civile, au même degré de certitude qui est possible dans les autres sciences. Aristote

1 Notons, avec Wieland, que Kilwardby lit, en suivant la traduction de Burgundio, « substantiam » ; le texte

corrigé par R.A. Gauthier donne la lecture « subiectam materiam » ; cf. ARISTOTE, ÉN I, 1 (1094b11-21) ; voir

aussi WIELAND, Ethica-Scientia practica, p. 119. Pour la traduction de ce passage, voir ce même chapitre,

section I.2.2. 2 Lorsque nous citons les fragments du commentaire sur l’Ethica Nova, nous suivons toujours le ms. C ;

toutefois, on se sert du témoin P lorsque la lecture de celui-ci s’avère meilleure que celle de C. Nous ne citons

pas les lectures de P que nous ne conservons pas ; cf. ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et

Vetere, C, 296ra : « In parte prima sic procedit : primo dicit quod materia huius doctrine sufficienter

manifestabitur si secundum substantiam manifestetur ; et non intelligit per substantiam notam (notam scr. ex P]

numerum C) eius quiditatem sed proprietates et condiciones quibus a nobis apprehenditur (apprehenditur scr.

ex P] comprehenditur C) sicut patet ex consequenter determinatis in hoc libro ». 3 Comme le montre très bien A. Fidora ; cf. FIDORA, « Causality, contingency and science in Robert

Kilwardby », p. 104-105. Cf. ROBERT KILWARDBY, De ortu scientiarum, éd. JUDY, 391, p. 137, l. 21-24 : « Item

contingentia de quibus considerat physica sunt magis remota a sensu et magis universalia quam illa quae

considerat practicae, et causa est quia illa stat in sola speculatione, et istae descendunt ad operationes quae sunt

in sensibilibus singularibus et circa illa ».

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veut donc dire, dans la première partie de son excursus, que la science civile ne peut pas

traiter de ses objets de la manière la plus certaine (« modo certissimo »), c’est-à-dire, au

moyen d’une démonstration per priora1. Toutefois, dans le commentaire sur l’Ethica Vetus,

Kilwardby relativise ces considérations en affirmant que, même si le discours sur les

opérations reflète leur indétermination et n’a pas de certitude, « il faut pourtant noter qu’il ne

dit pas qu’<il n’y a dans ces discours> aucune certitude, mais ils n’ont pas la certitude

entière » que l’on trouve dans le discours démontré avec vérité2. Ainsi, le degré d’incertitude

dans le discours éthique s’accroît au fur et à mesure que l’on s’approche des réalités

singulières3.

Mais qu’en est-il du mode de procéder de l’Éthique in speciali ? En ajoutant à la

traduction de Burgundio un troisième terme, Kilwardby affirme dans le commentaire sur la

Nova que l’Éthique traite du bien modo grosso typico et euidenti4 ; dans les lignes qui suivent,

ce troisième terme reste toutefois sans explication, à la différence des autres ; on pourrait

bien le comprendre, comme le fait (à notre avis, correctement) V. Buffon5, comme faisant

référence à l’évidence avec laquelle se présentent à nous les données sensibles (les choses

premières quant à nous), plus facilement connues que les choses absolument premières. Dans

la section de son commentaire portant sur l’Ethica Vetus, Kilwardby décrit ce mode comme

exemplaris et typicus6.

1 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 286va : « Et in hoc significat quod non est

determinandum de ipso modo certissimo, sed penes proprietates et condiciones et hoc est Dicetur autem utique.

Secundo quia quereret aliquis quare sic determinari debet, respondet dicens quod non in omnibus est equalis

certitudo querenda et hoc de se patet in naturalibus enim si est omnimoda certitudo propter eorum continuam

(continuam scr. ex P] continualis? C) transmutationem, nec etiam in mathematicis fit nobis talis certitudo

propter eleuationem (eleuationem scr. ex P] alleuationem C) eorum a sensu et hoc est Certum enim ». 2 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 296ra-296rb : « Sed operationes et

circumstantie (corr. ex circumstantiarum) de quibus hic determinat non habent certitudinem. Ergo sermones de

eis non debent habere certitudines. Notandum tamen quod <non dicit> nullam certitudinem, sed non habent

omnimodam certitudinem sicut habet sermo uere demonstratus ». 3 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 296rb : « [...] et hoc est tali autem existente,

quod dicit quod sermo de operationibus fit sine certitudine sicut iam dictum est. Maior erit ibi incertitudo si

considerentur operationes ut sunt circa singularia et in singularibus ». 4 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 286vb : « Consequenter determinat modum

procedendi in speciali ostendens quod determinandum est de isto bono modo grosso, typico et evidenti ». 5 BUFFON, « La certeza y la cientificidad de la Ética », p. 178-179. 6 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 296ra : « [...] sermo de uirtute non debet

esse certitudinalis sed exemplaris et typicus, et hoc est illud autem ».

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Kilwardby explique avec un certain détail les termes utilisés. Le modus typicus se

rapproche de la manière de procéder que nous connaissons déjà par ce nom : il est assimilé

au modus figurativus et aux narrations utilisant des paraboles ; car on se sert ici des

comparaisons sensibles pour faire connaître le bien et le juste, des réalités spirituelles :

Or, le mode schématique est le mode figuratif, comme quand les

<choses> bonnes et les <choses> justes, qui sont spirituelles, sont manifestées

par des similitudes sensibles ; et ainsi il traite d’un mode de procéder spécial, à

savoir la narration de la vérité dans des paraboles ouvertes <quant à leur

signification>1.

On connaît ainsi, du côté du corps, des choses qui sont du côté de l’âme2.

Le modus grossus, quant à lui, sert à distinguer la méthodologie de la science civile

de celle des sciences démonstratives, car il s’oppose au modus subtilis : le premier procède

par des manifestations (ostentationes) sensibles et corporelles (ou encore « superficielles »)3,

alors que le deuxième procède par des raisons intellectuelles4. Plus de précisions sur ce modus

subtilis (que l’on retrouve aussi chez le Pseudo-Peckham et dans le Commentaire de Paris)

peuvent être obtenues à partir de l’une des sources de Kilwardby : on a déjà remarqué qu’il

posait, dans son commentaire sur les Premiers Analytiques, une question qui ressemblait,

dans sa structure, aux questions des artiens sur la supériorité de l’Éthique5 ; Kilwardby lui-

même déclarait prendre l’exemple du Grand Commentaire sur le De Anima d’Averroès. Or,

le terme subtilitatem désigne, dans cette section du Grand Commentaire que Kilwardby citait

dans son exposé sur les Premiers Analytiques, la confirmation propre à la demonstratio6.

Or, l’exposé méthodologique de Kilwardby ne s’arrête pas à la description des modes

de procéder attribués à la science civile par Aristote lui-même, car deux autres modes

1 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 286vb : « Modus autem typicus est modus

figurativus, ut quando bona et iusta, que sunt spiritualia, per similitudines sensibiles manifestantur ; et [quia]

sic tetigit unum modum procedendi specialem, scilicet ueritatis narrationem in apertis parabolis ». 2 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 296vb : « [...] utendum est similibus apertis

eorum que sunt ex parte corporis ad declarationem eorum que sunt ex parte anime et hoc est oportet enim in

obscuris ». 3 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 291va : « Et intendit per hoc quod non

solum superficietenus concluditur dictam conclusio<nem>, set per rationem ueram et subtilem ». 4 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 286vb : « Per hoc autem quod dicit grosse

excludit subtilem. Est enim modus grossus determinare per ostentationes sensibiles et corporales, subtilis autem

per rationes intellectuales ». 5 Cf. ce même chapitre, section I.1.2. 6 AVERROÈS, Commentarium Magnum in Aristotelis De anima libros, éd. CRAWFORD, comm. 1, p. 3, l. 9-10 :

« Intendit per subtilitatem confirmationem demonstrationis ».

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spéciaux s’ajoutent : il s’agit des manières de procéder que Kilwardby décrit dans les traités

sur l’Ars Vetus comme propres à la recherche de la vérité dans toute science (les modes de

procéder proprement scientifiques)1. D’une part, l’Éthique possède un modus colligendi (ou

une manière de raisonner), qui consiste à déduire des conclusions à partir de ce qui est vrai

dans la plupart des cas : ut in pluribus2. D’autre part, on peut aussi donner l’explication « d’un

<élément> par plusieurs », de sorte que l’Éthique utilise aussi le modus divisivus (appelé ici,

aussi, distinctivus) ; or, la division est dans ce texte assimilée au modus exemplorum

suppositivus3, de sorte que l’explication « unius per multa » peut aussi être comprise comme

le fait de manifester une affirmation générale à partir de plusieurs cas particuliers (rappelons

que tant la division que les exemples sont posés ex posteriora ou ex prioribus quo ad nos)4.

Le texte, quelque peu condensé, devient clair quand on le met en rapport avec un passage

que nous étudierons dans les sections qui suivent : quand Aristote propose de donner une

définition de la vertu, il manifeste d’abord son genre et sa différence spécifique (ÉN II, 4-5,

1105b19 et ss.) pour manifester ensuite (ÉN II, 6, 1107a8 et ss.), par division (en exposant

chacune des médiétés vertueuses), que la vertu est une médiété5. Il semble ainsi que, dans

l’Éthique, le modus exemplaris n’est plus une méthode destinée simplement à éclairer les

1 Cf. Deuxième partie, ch. I, section III.2. 2 Cette expression semble s’assimiler à la traduction de Burgundio pour « epi to polu », « ex hiis que sepius » ;

on la retrouve aussi dans le Commentaire Moyen d’Averroès sur l’Éthique, que Kilwardby connaît. Nous citons

le passage pertinent en suivant le texte latin établi par F. Woerther, d’après les passages de l’édition (en

préparation) qu’elle cite dans son article « Averroes’ Middle Commentary on Book I of the Nicomachean

Ethics », Oriens, 42 (2014), p. 267, n. 37 : « Et propter hoc intentionis quidem et voluntatis nostrae est ut

perveniamus ad veritatem istarum rerum per viam grossam et exemplarem, scilicet per definitiones et

descriptiones quae adaptantur rebus existentibus in illa specie, ut in pluribus, sed non in omnibus, sicut est

dispositio in definitionibus materiae necessariae ». Les italiques sont de nous. 3 Wieland présente cette assimilation comme une hésitation entre deux possibilités : classifier l’explication

« unius per multa » sous la division, ou la classifier sous le modus exemplorum suppositivus ; cf. WIELAND,

Ethica-Scientia practica, p. 125. V. Buffon, pour sa part, assimile ce mode au modus typicus ; cf. BUFFON, « La

certeza y la cientificidad de la Ética », p. 179. 4 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 286vb : « [...] subiungit etiam alios duos

modos speciales dicendo quod amabile est determinare de hiis concludendo de hiis que uidentur ut in pluribus

et per hoc significat modum colligendi. Amabile est iterum explicare unumquodque dicendorum, et est

explicatio unius per multa ; et ita significat modum distinctiuum et diuisiuum ; uel potest per hoc intelligi modus

positivuus exemplorum, et hoc est ex hiis que sepius ». 5 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 297rb : « Diuiditur ergo hec pars in duas :

in prima declarat quid est uirtus ; in secunda, cum dicit Non omnis operatio suscipit, determinat naturam medii

de qua dictam est. Et ex illa secunda parte haberi potest cognitio per diuisionem ».

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auditeurs sur la doctrine sans être strictement nécessaire1 ; il occupe plutôt le lieu de la

division, l’une des trois procédures nécessaires dans toute science.

II.4. La Lectura du Pseudo-Peckham

Le commentaire du Pseudo-Peckham présente quelques points en commun avec

Kilwardby ; mais les rapprochements avec les commentaires de la période 1230-1240 sont

encore plus remarquables.

II.4.1.La double finalité de l’Éthique

Ayant traité le problème de la méthode spéciale de l’Éthique dans la quatrième leçon

de sa Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem (c’est-à-dire dans la partie

consacrée au livre I de l’ÉN [Ethica Nova]), dans la vingt-quatrième leçon (incluse dans la

partie traitant le livre II [Ethica Vetus]), le maître laisse de côté la discussion sur le modus

typicus pour se concentrer sur la distinction contemplationis gratia- ut boni fiamus.

Le Pseudo-Peckham remarque d’abord, dans la Sententia, l’importance de la

contemplation dans la doctrine morale ; même si elle n’est pas envisagée en tant que finalité

principale de l’ouvrage, elle est nécessaire pour ceux qui veulent devenir bons, car, ayant

affaire aux opérations, ils doivent les connaître et savoir de quelle manière il faut les faire2.

Or, le mode d’enquêter à propos des opérations sera, comme il est clair d’après le livre

précédent, le modus typicus et incertus3.

Ne voulant pas écarter la dimension contemplative de la recherche envisagée par la

science morale, qui pourrait toutefois se confondre avec la félicité (ou vertu intellectuelle),

comprise comme contemplation affective du souverain bien, le maître doit recourir à la même

distinction que l’on a remarquée dans d’autres commentaires artiens, celle entre la

1 Rappelons que le modus exemplorum suppositivus était ainsi décrit par Kilwardby ; cf. Deuxième partie, ch.

I, section III.2. 2 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F, f. 38va, O, f. 32ra : « [...] in

doctrina in qua sunt operationes differentie habituum necesse est scrutari operationes sed in doctrina que non

est contemplationis gratia sed ut boni fiamus operationes sunt differentie habituum. Ergo in doctrina que non

est contemplationis gratia, sed ut boni fiamus, necesse est scrutari operationes et quomodo sit eas faciendum ». 3 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXIV, F, f. 38va, O,

f. 32ra : « [...] antequam procedatur ad proprietates que appropriant operationes (operationes F] rationes O) ad

uirtutem prius dicendum est quod modus scrutandi operationes debet esse typicus et incertus » ; F, f. 38vb, O,

f. 32rb : « De modo uero procedendi, quod dicit esse typicum et incertum, non oportet hic querere, quia habitum

est in libro precedenti ».

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contemplation prise en tant que « connaissance et dilection du souverain bien » (le sens

« propre » de ce mot) et la contemplation qui est simplement « connaissance des choses

naturelles » : cette dernière peut se subordonner à la finalité principale de l’éthique (devenir

bons) sans problème, alors que la première, au contraire, la subordonne :

En outre, la vertu intellectuelle est atteinte dans la connaissance et la

dilection du souverain bien. Puisque ce qui est par soi fin, par rapport à cela même

est la contemplation <au sens> propre. En conséquence, selon cela, tout ce qui

est envisagé dans l’affaire morale sera ordonné à la contemplation ; c’est

pourquoi l’affaire morale sera en vue de la contemplation. Or, si l’on disait ce

qu’<est> la contemplation, il faut dire <qu’>il y <en> a une <première> qui

n’<est> rien d’autre que la connaissance des réalités naturelles ou de sa fin, tandis

qu’il y <en> a une <deuxième> qui est l’acte ou la fin de la vertu intellectuelle.

Et <l’auteur> parle ici de la première et non de la deuxième1.

Or, une fois cette distinction faite, on peut encore se demander pourquoi la

contemplation n’est pas comprise comme vertu intellectuelle et considérée comme la fin

recherchée par cette doctrine ; Pseudo-Peckham répond qu’Aristote ne détermine pas la fin

universelle de la science morale2 ou civile, mais uniquement sa finalité en tant qu’elle

considère la vertu morale, devenir bons, finalité rapprochée de la morale par opposition à la

vertu intellectuelle qui en est sa fin éloignée3.

Une dernière question vient troubler l’équilibre entre la finalité contemplative et la

finalité « appliquée » de l’éthique : puisque l’auteur établit dans l’ouvrage une définition de

la vertu (définition qui est évidemment une connaissance purement spéculative, procédant

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXIV, F, f. 38vb, O,

f. 32rb : « Item uirtus intellectualis attenditur in cognitione (cognitione O] conitione F) et dilectione summi

boni. Quod quid est per se finis [sed] respectu illius proprie est contemplatio. Ergo secundum hoc quicquid

intenditur (intenditur O] bis F) in morali negotio ordinabitur ad contemplationem quare morale negotium erit

contemplationis gratia. Si dicatur quod contemplatio, dicendum est una autem que nichil aliud quam cognitio

rerum naturalium siue finis eius ; alia uero est (est F] om. O) que est actus siue finis uirtutis intellectualis. Et

loquitur hic de prima et non de secunda ». 2 Le commentaire d’Avranches nous parlait déjà de la « fin commune » de la philosophie morale, qui incluait

tant la vertu intellectuelle que la vertu morale ; cf. Lectio II, § 34. 3 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F, f. 38vb, O, f. 32rb : « [...] et

si dicatur querendo quare non dicit contemplationem hoc modo esse finem huius doctrine, dico quod non

determinat hic finem uniuersalem moralis scientie siue ciuilis, sed finem moralis inquantum considerat uirtutem

consuetudinalem ; huiusmodi autem non est finis per se contemplatio illo modo, sed remote (remote F] rem O)

et ex consequenti. Sed bonum fieri est proximius finis eius, et ideo dicit presens fieri ut bonum fiamus, et non

gratia contemplationis ».

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per priora)1, consistant dans le genre et la différence spécifique de la vertu2, on voit mal

comment la finalité principale visée par l’Éthique peut être « devenir bons » et non pas

« savoir ce qu’est la vertu »3 ; d’ailleurs, Aristote semble hésiter sur la vraie utilité de cette

définition, qui ne servirait à rien à ceux qui veulent devenir bons4. Le maître anonyme y voit

une inconsistance : ou bien la finalité de l’Éthique est principalement spéculative, ou bien la

définition de la vertu est inutile. Pour rétablir l’équilibre du tandem contemplationis gratia –

ut boni fiamus le maître recourt encore à une notion que l’on trouve déjà dans le reste des

commentaires (exception faite de la Lectura Abrincensis) : la notion de status (pris dans le

sens de « terme ») :

[...] je dis que, bien qu’il définisse <la vertu> dans les <chapitres> qui

suivent, puisque pourtant ne se trouve<nt> pas, dans cette définition, ni l’état <ou

terme recherché> ni la fin, il dit de manière convenable que nous n’examinons

pas ce qu’est la vertu pour que nous sachions ; en effet, il ne la définit sinon pour

que, connue cette <vertu>, on opère davantage et avec plus de certitude en vue

de celle-ci, et par cela est patente la solution à ce qui suit. Si en effet, dans cette

doctrine, il est nécessaire de définir et de connaître la <vertu>, <ce n’est pas>

pourtant de sorte que l’état <recherché> se trouve dans cela, <le fait de connaître

la vertu>, mais pour que, la <vertu> connue, on soit davantage poussé

(moueamur) à l’acquérir5.

La finalité spéculative de l’Éthique (comprise, d’après ce paragraphe, comme

connaissance de la vertu selon sa définition) est ainsi subordonnée à sa finalité pratique,

devenir bons ; mais celui qui opère doit connaître ce qu’est la vertu. Or, il faut déterminer

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXVIII, F, f. 46va : « [...]

diffinitio debeat fieri per priora [...] ». 2 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXVIII, F, f. 46ra : « [...]

primo inquirit diffinitionem quo ad genus, secundo quo ad differentiam, que cum genere facit diffinitionem ». 3 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F, f. 38vb, O, f. 32rb : « Dicit

auctor quod non inquirit ut sciat quid sit uirtus. Contra. Inferius diffiniet uirtutem (uirtutem F] ueritatem O).

[...] doctrina ergo presens opus erit ut sciamus quid sit uirtus ». 4 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F, f. 38vb, O, f. 32rb : « Item.

Ignota substantia uirtutis operans ad uirtutem non dicetur uirtuosus, quare operanti (operanti O] operari F) ad

uirtutem necesse est (necesse est bis O) scrutari quid sit uirtus. Preterea, dicit quod nullus (nullus O] nullius F)

esset profectus huiusmodi. Sed secundum hoc uidetur quod eam (eam om. O) inutiliter diffiniat ». 5 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F, f. 38vb, O, f. 32rb : « [...]

dico igitur quod si eam diffiniat in sequentibus quia tamen (cum F] tamen O) eius diffinitione non est status nec

finis ideo conuenienter dicit quod non scrutatur ut sciamus quid sit uirtus non enim diffinit eam, nisi ut ea

cognita magis et certius operemur ad eam et per hoc patet solutio ad sequens. Si enim necesse sit in hac doctrina

diffinire uirtutem et conoscere eam non tamen (tamen F] omnem O) ut in hoc sit status. Sed ut ea conita plus

moueamur ad eam acquirendam ».

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quelle est la méthode appropriée à la transmission de cette connaissance, et s’il y a dans

l’Éthique une double méthodologie répondant à la dualité des fins qu’elle envisage.

II.4.2. Modus typicus vs. modus subtilis

C’est probablement dans le commentaire du Pseudo-Peckham que la distinction

méthodologique entre les dimensions pratique et théorique de l’Éthique est le mieux

développée, avant qu’elle ne soit reprise par les commentaires d’Albert le Grand. D’ailleurs,

c’est dans le Pseudo-Peckham que l’on trouve clairement désigné pour la première fois le

tandem docens-utens1 (car on y trouve la distinction in utendo-in docendo), repris sous la

forme scientia moralis utens et scientia moralis docens chez Albert le Grand.

L’articulation entre les méthodologies adéquates à chacune des dimensions de la

science est assez complexe ; elle est déterminée par la distinction contemplationis gratia – ut

boni fiamus. Or, comme chez Kilwardby, le point de vue de l’agent de la connaissance semble

être de la plus grande importance dans la détermination de la méthodologie à employer et de

son niveau d’exactitude (ou de certitude).

D’une part, l’éthique vise à ce que nous devenions bons : la matière sujette de la

science est dans ce cas identifiée aux opérations singulières que nous devons accomplir pour

acquérir le bien. Le bien optimal est ainsi saisi dans les choses singulières, en partant des

biens sensibles dans lesquels on perçoit en quelque manière ce bien optimal ; en d’autres

mots, on peut dire que l’on accède au sujet étudié d’après ce qui est premier selon nous. De

ce point de vue, la méthodologie employée concerne les opérations singulières et procède en

déterminant le bien optimal au moyen des comparaisons avec les biens sensibles : elle sera

en conséquence générale (grossa) et schématique (typica).

D’autre part, dans l’Éthique, Aristote définit la vertu : or, la connaissance à travers la

définition ne peut pas être définie comme grossa et typica, mais comme subtilis (adjectif qui

était lié, nous l’avons vu, aux « raisons intellectuelles » et à la confirmation d’une conclusion

par démonstration)2. Dans ce cas, la science civile semble procéder de la même manière que

1 Rappelons que, dans la Lectura Abrincensis, on ne trouve explicitement mentionné que le premier élément. 2 Ou encore à la connaissance per priora simpliciter, comme dans le Commentaire de Paris ; voir ci-dessous,

section III.1.2.

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les sciences spéculatives : par démonstration à partir des choses qui sont premières en soi

(per priora)1.

Cette distinction que nous avons présentée de manière schématique est développée

par le maître à travers une série de questions assez complexe, présentée dans la quatrième

leçon, mais pouvant parfois être complétée par les discussions que le maître développe

ailleurs dans la Lectura.

D’abord, la Sentence et la première question déterminent la manière particulière dont

le Pseudo-Peckham comprend la littera de l’Ethica Nova2 et qui n’est pas sans rappeler une

idée que l’on trouve aussi dans l’Expositio de Kilwardby3 : la matière considérée sera

suffisamment traitée si on la rend manifeste selon les exigences de sa substance (si secundum

substantiam materia manifestabitur) ; or, la substance ne renvoie pas ici à « l’être » de la

chose, mais à son être « dans la mesure où il se compare », c’est-à-dire se rapporte, « à

nous »4. Ainsi, le maître comprend que « [...] la substance est appelée ici bien sensible,

comme l’opération ou <comme> d’autres <choses> de cette sorte, dans lesquelles la félicité

ou le meilleur sont sentis d’une certaine manière »5 ; ce qu’il faut considérer, c’est la manière

dont le bien se présente à nous : voilà l’aspect déterminant la manière d’envisager l’étude de

ce bien. Comme nous le verrons, la science civile diffère ici des autres sciences, où la

substance est comprise comme « la vérité ou l’être de la réalité », connu en soi ou per priora6.

La manière de procéder appropriée à la substance sera ainsi grosse et typo (en général et de

manière schématique)7 : grosse, car elle montre le meilleur par comparaison avec les biens

sensibles ; typo (ou exemplariter), car le bien des mœurs est compris par une certaine

1 Le maître revient sur le caractère apriorique de la définition dans la leçon XXVIII, dont nous traiterons plus

en détail ci-dessous. 2 Sur laquelle G. Wieland a déjà attiré l’attention dans Ethica-Scientia practica, p. 119. 3 Où la substance n’était pas comprise en tant que « quiddité », mais par rapport aux circonstances singulières

sous lesquelles elle était perçue. 4 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, F, 7vb, O, 7rb :

« Dicetur utique sufficienter de propositio, scilicet de (scilicet de F] id est O) bono optimo, si materia, scilicet

subiectum, manifestetur secundum substantiam, id est secundum quod esse eius prout ad nos comparatur (ad

nos comparatur inu. O) requirit ». 5 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, F, 8ra, O, 7va :

« Vnde substantia appellatur hic bonum sensibile sicut operatio uel aliqua huiusmodi, in quibus felicitas siue

optimum quodam modo sentitur ». 6 C’est le cas aussi de l’enquête sur la définition de la vertu envisagée dans la lectio XXVIII. 7 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, F, 7vb, O, 7rb :

« Circa secundam <pars O> sic procedit dicens quod amabile erit determinare de iustis et bonis (iustis et bonis

inu. O) in doctrina ciuili grosse et typo ».

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« traduction », un certain « transfert » (translationem) à partir du bien naturel (ainsi, la vertu

morale est comprise à partir de la vertu naturelle)1.

Les questions qui suivent viennent apporter des précisions sur la méthode spéciale de

l’éthique et sur ses rapports avec la méthodologie propre aux autres sciences (où la substance

est comprise comme « être » de la réalité). Dans la quatrième question, le maître signale une

difficulté du texte qu’il avait déjà remarquée (sans y en donner suite) dans la première2 :

Aristote envisage dans l’Éthique la définition de son sujet, le meilleur ou la félicité : or, la

connaissance par définition ne peut se faire par le mode « général et schématique », mais par

le mode « subtilis » qui lui est opposé3. D’ailleurs savoir est « intelliger par démonstration »

et toute science fait connaître la réalité par démonstration (comme l’affirme le maître dans la

deuxième question) ; l’éthique devrait donc connaître avec l’exactitude propre aux sciences

démonstratives.

La résolution de ces difficultés est loin d’être claire ; l’obscurité du texte contribue à

ce manque de clarté. Or, l’essentiel de cette stratégie argumentative est apparent : le maître

envisage de surmonter ces difficultés en délimitant, à l’intérieur de la science civile, un

champ dans lequel elle procède de la même manière que le reste des sciences. Ce domaine

concerne le sujet de la science (le meilleur bien) en tant qu’il est cognoscible, et non pas en

tant qu’il est opérable (aspect qui demeure sous la méthode grossa et typica) :

À l’autre point il faut dire que la vérité de ce bien est déterminée de façon

générale et schématique, mais cela n’est pas observé en tant que <ce bien> est

connaissable, mais en tant qu’il est opérable et uni à nous à travers les

opérations4.

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, F, 8va, O, 7vb : « [...]

amabile, id est conueniens, erit demonstrare ueritatem, id est notificare istud uerum bonum grosse, id est per

comparationem ad bona sensibilia, et typo, id est exemplariter uel typo, id est translatiue, quia bonum moris per

quandam translationem sumitur a bono nature (uere O), sicut uirtus moralis a uirtute naturali ». 2 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, F, 7va, O, 8ra :

« Contra. Notificare subiectum uel materiam (subiectum uel materiam F] substantiam uel naturam O) per

diffinitionem non est (est om. O) notificare ipsum grosse (grosse F] grosso O) et typo. Ergo iam contradiceret

ei quod sequitur ». 3 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, éd. BUFFON, § 23, p.

183 : « De quarto sic dicit quod determinandum est ueritatem grosse et typo. Contra. Inferius diffiniet optimum

siue felicitatem. Cum ergo notificatio per diffinitionem non sit grossa et typica, sed subtilis, male uidetur

dicere ». 4 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, éd. BUFFON, § 31, p.

185 : « Ad aliud dicendum quod ueritas huius boni determinatur “grosse et typoˮ sed hoc non attenditur ut est

cognoscibile, sed ut est operabile et per operationes nobis unibile ».

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Aristote ne se trompe pas en attribuant une méthode non exacte à la science civile,

car ce modus grossus et typicus ne concerne que la connaissance ex posteriora : la définition

dont nous parle ici le Pseudo-Peckham n’est qu’une description partant de ce qui est premier

quant à nous (et non pas simpliciter). La science civile, active, demeure pourtant une science :

sous ce dernier aspect, elle est méthodologiquement identique aux sciences spéculatives.

C’est pourquoi Aristote ne détermine pas la manière de procéder de l’éthique en tant que

science ; du point de vue doctrinal (in docendo) elle ne diffère pas des autres. C’est seulement

en tant qu’elle envisage les opérations (elle veut en effet nous rendre bons), le bien dans son

rapport aux sensibles, in utendo, qu’elle a une procédure spéciale. L’Éthique est ainsi

comparée aux Topiques dans un mouvement argumentatif dont l’interprétation est difficile :

En outre, <on se demande> pourquoi le mode de procéder est déterminé

dans cette doctrine et dans les Topiques, mais <il n’est pas déterminé> dans les

Seconds <Analytiques>. [...] À l’autre <point> on pourrait répondre par

suppression en disant qu’effectivement dans les Seconds <Analytiques> est

déterminé le mode de procéder parce que, étant donné que la science des

Premiers <Analytiques> et <la science des> Seconds <Analytiques> sont

comme une <unique> science continue, à partir de cela que <l’auteur> détermine

le mode de procéder dans les Premiers <Analytiques>, <à partir de cela même

ce mode> est déterminé dans les Seconds <Analytiques>. Ou il peut être dit que

la science est double : <il y a> une <science> dans laquelle le mode de procéder

est le même dans l’enseignement et dans l’usage, et une telle <science> n’a pas

à déterminer le mode de procéder, et telle est la doctrine des Seconds

<Analytiques>. Il y a <encore> une autre <science> dans laquelle le mode de

procéder diffère dans l’enseignement et dans l’usage, et telle est la doctrine des

Topiques et de la science civile. Et une telle <science> détermine le mode non

quant à la doctrine, mais quant à l’usage. Mais il semble donc <que>, comme

dans le livre des Réfutations <sophistiques> le mode de procéder diffère dans

l’enseignement et dans l’usage, il devrait déterminer dans <ce livre> le mode de

procéder. Et il faut dire que <ce mode> est supposé à partir de la doctrine des

Topiques1.

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, éd. BUFFON § 24, p.

183, § 30, p. 184-185 : « Preterea. Quare determinatur modus procedendi in hac doctrina et in Topicis non

autem in Posterioribus ? [...] Ad aliud posset responderi per interemptionem dicendo quod immo in

Posterioribus determinatur modus procedendi quia, cum scientia Priorum et Posteriorum sunt quasi una

scientia continua, ex eo quod determinat modum procedendi in Prioribus determinatur in Posterioribus. Vel

potest dici quod duplex est scientia : quedam in qua idem est modus procedendi in docendo et utendo (et talis

non habet determinare modum procedendi et talis est doctrina Posterior) ; alia est in qua differt modus

procedendi in docendo et utendo, et talis est doctrina Topicorum et scientia ciuilis. Et talis determinat modum

non quo ad doctrinam, sed quo ad usum ; sed tunc uidetur, cum in libro Elenchorum differat modus procedendi

in docendo et utendo, deberet ibi determinare modum procedendi. Et dicendum quod supponitur ex doctrina

Topicorum ».

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Comme dans l’Éthique (de même que dans les Topiques) les modes de procéder in

utendo et in docendo diffèrent, il faut que le mode d’usage soit explicité ; ce qui n’est pas le

cas, par exemple, dans les Analytiques (où les modes in docendo et in utendo ne diffèrent

pas), ni dans les Réfutations sophistiques (où le mode de procéder in utendo est supposé à

partir des Topiques). Il est possible d’interpréter, ici, que les Topiques donnent en quelque

sorte la méthode de l’Éthique1 : il y a des raisons de se demander si la dialectique est la

méthode spécifique de l’Éthique2 (car la même conclusion peut être démontrée par plusieurs

moyens termes). Nous pensons, avec Wieland, que le Pseudo-Peckham ne fait que remarquer

la similitude structurelle entre les deux sciences : toutes les deux ont une façon de procéder

in utendo qui diffère de la manière de procéder in docendo. Toutefois, le texte laisse place à

ces deux lectures.

Un premier rapprochement entre l’éthique et les argumentations topiques se trouve

dans la notion de démonstration, établie par le Pseudo-Peckham dans la deuxième question,

qui inclut la démonstration à partir des prémisses probables ; le maître semble ainsi distinguer

les divers types de raisonnement à partir de sa matière (plutôt qu’à partir de sa forme) :

Au premier de ces <points> nous répondons que comme les <choses>

nécessaires sont la cause de la conclusion nécessaire selon la raison de connaître

(et je ne dis pas selon la <raison> d’être), ainsi les <réalités> probables peuvent

être la cause de la conclusion probable et c’est pourquoi, comme la mathématique

est démonstrative de la conclusion nécessaire, ainsi la topique est démonstrative

de la conclusion probable3.

Or, la science civile envisage son sujet « pour que nous devenions bons », et il

l’enseigne non en vue de sa connaissance (causa cognoscendi), mais en vue de sa possession

(causa habendi ipsum). Ainsi, le mode de procéder de la science civile sera en même temps

différent et similaire par rapport à celui des autres sciences :

Si en effet on considère que la <science> civile procède et détermine du

meilleur par une comparaison aux biens sensibles, postérieurs au sujet de la

science, alors que les sciences spéculatives connaissent leurs sujets par les

1 C’est l’une des interprétations que suggère V. Buffon ; BUFFON, « La certeza y la cientificidad de la Ética »

p. 178. 2 WIELAND, Ethica-Scientia practica, p. 122. 3 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, éd. BUFFON, § 16, p.

182 : « Ad primum istorum dicimus quod sicut necessaria sunt causa conclusionis necessarie secundum

rationem cognoscendi, non dico essendi ; sic probabilia possunt esse causa conclusionis probabilis. Et ideo sicut

mathematica demonstratiua est conclusionis necessarie ; sic topica est demonstratiua conclusionis probabilis ».

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<choses> absolument premières, en cela la manière <de procéder> est

différente1.

La comparaison entre les manières de procéder dans la détermination du sujet per

priora et per posteriora est assez nette : l’éthique connaît son sujet à partir de ce qui est

premier pour nous, alors que la science spéculative part des choses premières en soi. Or, la

manière dont la science civile peut être rapprochée des autres sciences n’est pas entièrement

claire : la science civile ressemble aux sciences spéculatives en ce qu’elle considère les biens

sensibles (qui sont premiers quant à nous) comme causes de la possession du bien, de la

même manière que la science spéculative considère les choses premières en soi comme les

causes de la connaissance de leurs sujets2 (et on peut penser ici à la connaissance en tant

qu’habitus [i.e. en tant que connaissance possédée]). Cette démarche semble contredire celle

de la quatrième question, car le maître semble y suggérer que la science civile est similaire

aux autres en ce qu’elle serait capable de procéder en définissant les entités non seulement

par « une certaine description », mais aussi au sens propre, per priora.

Pour saisir dans quel sens la science civile peut être comme les autres sciences, il faut

analyser les procédures dont le maître voit l’application dans le discours de l’Éthique au-delà

de ses considérations explicites autour de la méthodologie de l’Éthique.

III. La logique comme méthode dans l’enseignement artien de l’Éthique : l’application des principes

méthodologiques

Or, qu’en est-il de l’application des principes méthodologiques propres à tout discours

scientifique à l’Éthique, qui a pourtant une méthode particulière ? Dépassant leurs

considérations explicites sur la manière de traiter la matière variable et peu stable de l’éthique

(les modi grossus, typicus et incertus), les maîtres analysent le texte aristotélicien à la lumière

des principes communs aux autres sciences : analyse, synthèse, division, définition,

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, éd. BUFFON

(ponctuation modifiée), § 16, p. 182 : « Si enim consideretur quod ciuilis procedit et determinat de optimo per

comparationem ad bona sensibilia subiecto scientie posteriora, scientie uero speculatiue notificant sua subiecta

per priora simpliciter, in hoc est differens modus ». 2 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, éd. BUFFON, § 16, p.

182-183 : « [...] sed si consideretur quod, sicut in speculatiuis, illa priora simpliciter causa sunt cognoscendi

subiecta illarum scientiarum, similiter ista bona sensibilia causa sunt quantum est ex parte nostra habendi bonum

optimum ; quantum ad hoc est modus consimilis procedendi. Et sic patet quomodo potest concedi quod est

similiter et non similiter ».

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argumentation (modus colligendi), invention, supposition d’exemples s’appliquent partout à

la matière étudiée ; il y a en ce sens une sorte de décalage entre le « manifeste

méthodologique » des maîtres, qui reprennent et réinterprètent la forma tractandi de

l’Éthique proposée par Aristote, et la méthodologie effectivement appliquée dans

l’interprétation du texte, qui se rapproche très souvent de celle des sciences théoriques1. Le

modus typicus, la méthode appropriée à l’Éthique, assimilé au modus exemplaris, est la

plupart du temps au service de la connaissance spéculative de la vertu (quoiqu’il s’agisse

d’une connaissance per posteriora), plutôt qu’orienté directement vers l’action2. Dans cette

optique, l’utilisation d’exemples sert à faire connaître à partir des réalités particulières,

premières pour nous, des réalités premières en soi. Ces principes serviront ainsi à orienter

l’homme dans l’action, mais non pas de manière directe.

Or, il est pertinent de se questionner encore sur le sujet ou la matière de cette science :

car l’enquête des définitions dans l’Éthique concerne une grande variété de sujets. Certains

spécialistes voient dans la félicité la notion « clef » de la toute première interprétation de

l’Éthique3 ; conçue comme contemplation amoureuse du Souverain bien ou du Premier,

1 Décalage sur lequel Wieland attire l’attention dans Ethica-Scientia practica, p. 127-128. 2 Comme le prétend Wieland, qui voit dans ces textes une mésinterprétation « praxistique » en raison de laquelle

les premiers interprètes de l’Éthique ne reconnaissent pas l’impossibilité de l’éthique de « sauter » directement

vers l’action. WIELAND, « Ethica docens- ethica utens », p. 594-595 ; ID., « The Reception and Interpretation

of Aristotle’s Ethics », p. 660-661 : « The commentators on the Ethica Nova and Vetus, who as theologians had

a low opinion of mere speculation, tended to interpret ethics as an immediately applicable guide to virtuous

living ; but this is to mistake the philosophical (scientific) character of the discipline ». Dans le cas de la Lectura

Abrincensis, les endroits où le maître explique comment les principes exposés dans l’Éthique pourraient

effectivement s’appliquer sont rares ; nous en avons un exemple au début du commentaire sur ÉN III ; cf.

ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, A, f. 108v : « Ponit autem in principio duas rationes quare

oportet de uoluntario et inuoluntario agere. Vna uero ratio est ex hoc quod oportet moralem cognoscere in

quibus operationibus debeatur laus, et in quibus uituperium, et in quibus innocentia, et in quibus pena ; hoc

autem secundum uoluntarium et inuoluntarium cognoscitur ; necesse est ergo determinare uoluntarium et

inuoluntarium ». La notion de prudence développée par le maître, fort influencée par Philippe le Chancelier

(nous citons les parallèles les plus pertinents dans la première partie) s’avère aussi particulièrement

intéressante : la prudence est présentée non seulement comme vertu morale (et liée ainsi aux vertus cardinales),

mais aussi comme habitus de l’intellect spéculatif qui dispose l’homme à la vertu au moyen de la science « des

choses qu’il faut faire et éviter ». Sur cela, cf. ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IV,

§ 38-39 de l’édition présentée, ci-dessous, en la troisième partie ; CERVERA NOVO, « Acerca de la prudentia en

los primeros comentarios a la Ethica Vetus. La Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem (ca. 1230) ». 3 A. Celano voit dans la notion de felicitas la notion qui permet aux maîtres de trouver la force « unifiante »

qu’ils n’ont pas pu trouver dans la notion de phronesis ; cf. CELANO, « The End of Practical Wisdom », p. 229.

Pour Wieland, la distinction docens-utens se rapporte à la notion de félicité (tant chez Albert que chez le Pseudo-

Peckham) : l’ethica docens s’occupe de la félicité en tant qu’objet, alors que l’ethica utens s’occupe de la félicité

en tant qu’objectif. WIELAND, « Ethica docens – ethica utens », p. 596.

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identifiés à Dieu, cette notion implique une « mésinterprétation théologique » de l’Éthique1

selon laquelle les premiers commentateurs artiens voient « les catégories théologiques

comme guides décisifs pour l’interprétation »2. Or, les artiens cherchent aussi à définir

d’autres notions : le plaisir, la volonté, la vertu, etc. La notion de vertu est particulièrement

pertinente, quoique son importance ait été parfois sous-estimée. La recherche des causes de

la vertu, et particulièrement la recherche de sa définition ou cause formelle, prend la plupart

du temps la forme d’une recherche nettement philosophique ; ainsi, les vertus infuses sont

rapidement écartées du domaine de l’Éthique (car son étude revient au théologien) en faveur

des vertus acquises3, et l’étude de la vertu devient scientifique (voire philosophique), plutôt

que théologique.

La vertu étant ainsi une notion clef que les maîtres abordent philosophiquement, l’un

des passages où l’articulation des modes dits « scientifiques » (divisio, diffinitio, collectio)

ressort très clairement est le commentaire sur ÉN II, 4-5 (Post hec autem...) : tous les maîtres

voient dans ce passage un exposé sur la vertu selon sa définition fournissant une vraie

connaissance de la « quiddité » de la chose (et non seulement une connaissance

« superficielle »). C’est donc autour de ce passage, et surtout autour d’ÉN II, 4, que nous

concentrerons l’analyse comparative des premiers commentaires artiens quant à l’application

des principes que nous avons développés dans les sections précédentes.

1 WIELAND, « Aristotle’s Ethics : Reception and Interpretation », p. 658-659. 2 WIELAND, « Happiness : The Perfection of Man », p. 677. 3 Dans la Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, l’auteur anonyme distingue entre trois

différents types d’habitus : un habitus naturalis siue innatus (qui semble correspondre aux vertus naturelles,

telles que la vision, dont on a la puissance avant de l’exercer), un habitus gratuitus siue infusus et un habitus

acquisitus (appelé aussi consuetudinalis). C’est le philosophe qui s’occupe de ce dernier type. Cf. PSEUDO-

PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXIII, § 25 : « Vnde ad plenam

intelligentiam predictorum notandum quod triplex est habitus : naturalis siue innatus, gratuitus siue infusus, et

acquisitus. Secundum ergo philosophos habitus naturalis siue operationes procedentes ab eo antecedunt ad

habitum acquisitum siue consuetudinalem de quo loquitur. Sed, secundum theologum, habitus naturalis et etiam

infusus siue gratuitus, de quo philosophi nichil sciuerunt, antecendunt ad habitum consuetudinalem siue

acquisitum. » (F, f. 37ra, O, f. 31rb) Les italiques sont de nous. Cette distinction se trouve aussi dans le

Commentaire de Paris, P, f. 154vb-155ra : « Dicendum est quod loquendo theologice oportet dicere quod

habitus bonus de necessitate precedit omnem operationem bonam, quia ratio recta est data a prima intelligentia

ut illuminet intellectum humanum [...] et hoc est quod dicunt theologi quod bonum est infusum a Deo [...] Aliter

potest dici, et ista solutio est secundum philosophos et non secundum theologos ; et tunc dicendum est quod nos

sumus principium virtutis tantum » ; on reproduit la transcription de LOTTIN, « Psychologie et morale à la

Faculté des arts de Paris aux approches de 1250 » , p. 519-520. Les italiques sont de nous. La Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem, pour sa part, annonce dans le Prologue que la vertu « propre à la spéculation

théologique » est laissée de côté dans la recherche envisagée dans l’Éthique (ANONYME, Lectura Abrincensis

in Ethicam Veterem, Prologue, § 9, notre édition).

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III.1. Connaissance per priora et per posteriora dans les premiers Commentaires sur l’Éthique

La distinction entre les méthodologies relatives à l’aspect doctrinal (docens) ou à

l’aspect « appliqué » (typicus) de l’Éthique se superpose dans les commentaires artiens à

d’autres distinctions logiques que nous avons passées en revue dans le premier chapitre de

cette partie. L’une de ces distinctions est celle de la connaissance per priora / per posteriora,

articulée parfois avec d’autres notions comme l’opposition universaliter-particulariter,

inventio-resolutio, etc.

III.1.1. La Lectura Abrincensis

La cinquième leçon de la Lectura Abrincensis envisage l’étude de la cause formelle

de la vertu, c’est-à-dire de sa définition par son genre et son espèce, exposée par Aristote aux

chapitres 4 et 5 du deuxième livre de l’Éthique ; déjà à la deuxième leçon le maître

comprenait ce passage comme une enquête sur la vertu dont la finalité était principalement

spéculative (« pour que nous sachions » ; II, § 9). Or, dans cette quinta lectio, le maître

discerne deux manières d’accéder à cette connaissance : à partir de ce qui est premier selon

nous (dans le particulier) ; ou bien à partir de ce qui est premier selon l’intellect (dans

l’universel) :

<L’auteur> détermine ensuite la cause formelle. Mais la cause formelle

est connue ou dans l’universel ou <dans> le particulier. Il enseigne donc la

connaissance de la cause formelle, d’abord dans l’universel, ensuite dans le

particulier, de sorte qu’une intellection (= intellectus) commune soit construite ;

d’après cette <connaissance quelqu’un> est apte à être instruit soit à partir de ce

qui est premier selon nous, soit à partir de ce qui est premier selon l’intellect1.

Quelqu’un pourrait ainsi apprendre ce qu’est la vertu en remontant vers l’universel à

partir des cas particuliers, tout en construisant, à partir des expériences singulières, une

intellection commune2 (en recourant ainsi au principe de la connaissance qui se trouve en

nous [cf. I, § 33]) ; mais aussi en connaissant d’abord la définition de la vertu qui s’applique

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 1, notre édition : « Determinat consequenter

causam formalem. Causa uero formalis uel cognoscitur in uniuersali uel particulari. Docet ergo cognitionem

cause formalis, primo autem in uniuersali, deinde in particulari, ut construatur intellectus communis ; ex parte

qua est aptus [est] instrui uel ex prioribus quo ad nos, uel ex prioribus quantum ad intellectum ». 2 Description que le maître emprunte à la Métaphysique, comme le laisse voir la manière dont il le formule au

paragraphe § 15 de la quatrième leçon, et qui est reprise à maintes occasions. Cf. ARISTOTE, Métaphysique, A,

1, 981a5-7.

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aux cas singuliers (ce qui semble pouvoir se faire par la doctrine qui nous est transmise,

principe extérieur de la connaissance ; cf. I, § 33) 1.

Ce double accès à la connaissance, ex prioribus quantum ad intellectum et ex

prioribus quo ad nos, correspond d’ailleurs à la démarche argumentative d’Aristote lui-

même : il traite d’abord de la vertu in uniuersali, i.e. selon son genre et sa différence

spécifique (ÉN II, 4-5, 1105b19 et ss.), pour s’occuper ensuite, de manière plus concrète (et

donc ex prioribus quo ad nos), des vertus particulières (ÉN II, 6, 1107a8 et ss.). En

comprenant ainsi le mouvement argumentatif d’Aristote, le maître consacre la cinquième

leçon à l’exposé sur la vertu in uniuersali (ou in communi), alors que la sixième leçon traite

de la vertu in particulari, comme l’annonce le maître dans la Divisio textus de la sexta lectio :

Mais toute opération n’admet pas la médiété. Il a été déterminé [N.B. :

dans la cinquième leçon] de la cause formelle de la vertu en général. Et encore

pour que <cette cause> soit connue dans le particulier, est ajoutée ici une partie

dans laquelle deux <choses> sont montrées ou rendues claires, à savoir que toute

opération ou passion n’admet pas la médiété, et ensuite quelles et combien sont

les opérations et les passions admettant la médiété2.

Les aspects universel et particulier de l’enquête sur la vertu morale correspondent

effectivement à la connaissance ex prioribus natura et ex prioribus quo ad nos ; le maître le

précise dans l’Expositio :

Ensuite, quand il dit Il ne faut pas parler uniquement de façon universelle,

etc., il prétend que la connaissance de la <vertu> morale doit être dans

l’universel, de sorte que quelqu’un connaisse à partir de ce qui est premier par

nature, et non pas seulement dans le particulier, de sorte que quelqu’un connaisse

à partir de ce qui est premier selon nous3.

En quoi consiste cette manière de connaître la vertu d’après « ce qui est premier selon

nous » ? Aristote expose chacune des médiétés particulières pour que l’on puisse, à partir de

1 On peut songer à reconnaître ici le processus d’enseignement décrit par Nicolas de Paris : il y a quelque chose

qui, perçu par les sens (dans ce cas, par l’ouïe, car l’apprentissage se fait a doctore), « reste » dans le disciple

afin que la doctrine soit produite. Cf. Deuxième partie, ch. I, section II. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VI, § 1 : « Non autem omnis operatio suscipit

medietatem. Determinatum est de causa formali uirtutis in communi. Ut cognoscitur etiam <in> particulari,

subiungitur hic pars in qua duo ostenduntur siue narrantur, scilicet quod <non> omnis operatio uel passio

suscipit medietatem, et deinde que et quot sunt operationes et passiones suscipientes medietatem ». 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VI, § 63, notre édition : « Deinde cum dicit :

Oportet non solum uniuersaliter dici, etc., intendit quod cognitio consuetudinalis debet esse in uniuersali ut

cognoscat aliquis ex prioribus natura et non <tantum> in particulari, ut cognoscat aliquis ex prioribus quo ad

nos [...] ».

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ces cas et « per modum inductiuum », colliger que la vertu est une médiété ; c’est pourquoi,

d’après l’interprétation du maître anonyme, il commence par exposer les six médiétés dont

l’acte est extérieurement manifeste (et donc plus facilement perçu par les sens) avant de

passer aux médiétés relatives aux passions intérieures de l’âme1. Cette manière de procéder

est employée partout dans l’Éthique, et le maître la signale à quelques reprises (voir par

exemple, II, § 6, § 55).

Or, on doit se demander si les modus docens et typicus que nous avons caractérisés

dans la section précédente2 de ce chapitre peuvent s’identifier à la connaissance ex prioribus

natura et à la connaissance ex prioribus quo ad nos respectivement. Le modus docens est lié

par le maître (à travers la dubitatio qu’il a opportunément posée à la deuxième leçon) à la

connaissance des « principes propres à la vertu en genre et en espèce » (II, § 15) ; on peut

bien l’identifier à la possibilité d’instruire quelqu’un « à partir de ce qui est premier selon

l’intellect » (I, § 33). Or, le cas de la connaissance ex prioribus quo ad nos est plus complexe ;

car tant la finalité que le mode de connaître liés à ce type de connaissance semblent se

multiplier.

Revenons un instant sur la double finalité de l’Éthique : elle n’est pas seulement

contemplationis gratia, mais (surtout) pour que nous devenions bons (ut boni fiamus). C’est

en vue de cette dernière finalité, en rapport étroit avec les opérations singulières, que nous

sommes instruits à travers le modus typicus, exemplaris et parabolicus : tous ces modes

partent des données sensibles : on recourt aux similitudes ou aux analogies prises dans des

exemples sensibles (dans lesquels on montre une réalité spirituelle au moyen d’une réalité

corporelle), ou bien on part des exemples particuliers pour en inférer des énoncés de caractère

général. Or, si le modus typicus (avec les modi parabolicus, figurativus et exemplaris)

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VI, § 80, notre édition : « Determinatis .VI.

medietatibus in quibus manifestatur uirtus consuetudinalis qualiter est in medietate passionum <et>

operationum, determinat hic alias .VI. medietates que ita possunt distingui a precedentibus, ut priores .VI.

medietates ad ea que sunt exterius referantur [...] » ; § 129 : « Ad quod uidetur dicendum quod non sunt

determitate ille medietates hic — licet inferius in proprio tractatu sint determinate —, eo quod intendit hic

enuntiare medietates quibus cognoscatur uirtutem consuetudinalem esse in medietate operationum aut

passionum. Actus uero iustitie secundum utramque differentiam et prudentie sunt actus interiores non manifesti

pluribus ; unde medietates in illis non sunt conuenientes ad ostendendum uirtutem consuetudinalem esse in

medietate per modum inductiuum ». Les italiques sont de nous. 2 Deuxième partie, chapitre II, II.1.2-II.1.4 (pour la Lectura Abrincensis), II.2.2 (pour le Commentaire de Paris),

II.3.2 (pour l’Expositio de Kilwardby), II.4.2 (pour la Lectura du Pseudo-Peckham).

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correspond à l’instruction de ceux qui veulent opérer relativement aux singuliers, cette

finalité manifeste de « devenir bons » au moyen des opérations singulières est en quelque

sorte atténuée par la finalité effectivement poursuivie par les paraboles, les figures et les

exemples utilisés dans l’Éthique : connaître ce qu’est la vertu à partir des choses qui (étant

évidentes dans le sensible) sont premières quant à nous (quoique cette connaissance générale

ainsi obtenue soit ultérieurement subordonnée à la pratique de la vertu), c’est-à-dire connaître

l’être de la vertu, décrit par le maître lui-même comme « une réalité obscure », à travers des

témoignages manifestes. Ainsi considéré, le modus typicus est complété par le « modus

inductiuus », et tous les deux visent la connaissance de la vertu par sa cause formelle.

Or, la manière dont la connaissance relative à la vertu morale peut contribuer à

l’action reste difficile à saisir : c’est le savoir (scire) concernant ce qu’il faut faire et ce qu’il

faut éviter, savoir transmis « à partir des diverses parties de la philosophie morale » (dont

l’Éthique)1 et acquis « par expérience propre »2 (on reconnaît ici, une fois de plus, les deux

principes qui sont aussi ceux de la vertu intellectuelle, la doctrine et l’expérience) qui peut

disposer l’homme à l’acquisition de la vertu morale ; toutefois, ce savoir y contribue « peu »3.

III.1.2. Connaissance per priora et per posteriora dans le Commentaire de Paris, la Lectura du

Pseudo-Peckham et l’Expositio de Kilwardby

La connaissance grossa qui est appropriée aux sujets sur lesquels porte le discours

éthique est généralement liée (dans les commentaires que nous considérons ici) à la

connaissance per posteriora, et opposée à la connaissance plus exacte qui s’obtient en

procédant per priora, ou, autrement dit, per uiam subtilem ou encore par la méthode subtilis ;

ce dernier terme est utilisé par les trois commentaires considérés dans cette section.

1 Comme nous l’avons remarqué au début de ce chapitre (section I.1.1), le maître ne mentionne pas

explicitement les parties de la philosophie morale. Le Guide de l’étudiant en distingue trois : ypotica (vouée au

gouvernement des citoyens du royaume), politica (consacrée à l’étude des décrets et des lois), et ethica ou

monostica (destinée au gouvernement de soi-même). cf. ANOYME, Compendium examinatorium Parisiense, éd.

LAFLEUR, § 74-76. 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IV, § 32, notre édition : « Est iterum scientia

quedam que disponit ad uirtutem consuetudinalem, sicut est scientia operandorum et fugiendorum que habetur

ex diuersis partibus moralis philosophie et per propriam experientiam ». 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IV, § 34, notre édition : « [...] et ideo dicit scire

nichil est ad uirtutem de qua est hic sermo, aut paruum est ad uirtutem. Et hoc intelligitur de scire illo in

operandis et non operandis, diligendis et fugiendis. Cum enim tria exigerentur ad uirtutem, scire et uelle et

inmutabiliter <habendo> operari, quod minime disponit ad propriam est scire ».

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Le Commentaire de Paris ne s’attarde pas sur ce point dans l’exposé sur l’excursus

méthodologique de la Vetus (ÉN II, 2, 1103b25-1104a8) ; pourtant, l’auteur ajoute quelques

précisions dans son commentaire sur la Nova. Aristote rappelle en ÉN I, 2 (1095a30-1095b4)1

la différence entre les raisonnements (raciones) qui partent des principes (a principiis) et

ceux qui avancent vers les principes (ad principia) en partant de ce qui est plus connu pour

nous (ces derniers étant les plus adéquats au discours éthique). Le maître explicite cette

différence : il s’agit de la différence entre la manière de procéder subtile (ou par

démonstration, si l’on se permet de définir ce terme d’après l’usage qu’en fait Averroès)2 et

la manière de procéder générale (grossa)3, qui contribue à la détermination des principes qui

servent de base au discours subtil :

[...] en effet, le discours qui part des principes est subtil, d’où, quand

quelque <chose> est prouvée par <ses> principes, cette preuve est subtile ; mais

l’itinéraire ou chemin conduisant aux principes est général et <procède> par les

<choses> postérieures ; en effet, nous ne pouvons pas montrer les principes sinon

par les <choses> postérieures, car rien n’est antérieur aux principes4.

L’éthique doit procéder à partir de ce qui nous est plus connu (et par conséquent per

posteriora) ; il faut donc que l’auditeur de l’Éthique soit d’abord bien instruit relativement

aux « raisons morales » (rationes consuetudinales), qui sont « superficielles », avant qu’il ne

puisse accéder facilement aux principes5 (ce qui n’est pas forcément nécessaire, car, dans

l’éthique, le fait [to hoti] prime sur le pourquoi [to dioti])6.

1 ARISTOTE, Ethica Nova, I, 2 (1095a30-1095b4), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 69, l. 1-8 : « Non

lateat autem nos quod differunt raciones que a principiis et ad principia. Bene enim et Plato quesivit hoc, utrum

a principiis an ad principia est iter, quemadmodum in stadiis ab atholothetis ad finem, vel e contrario.

Incipiendum quidem enim nobis, hec autem simpliciter ». 2 AVERROÈS, Commentarium Magnum in Aristotelis De anima libros, éd. CRAWFORD, comm. 1, p. 3, l. 9-10 :

« Intendit per subtilitatem confirmationem demonstrationis ». Sur cela, voir les considérations faites ci-dessus

dans ce même chapitre, section II.3.2. 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Novam (alias Commentaire de Paris), éd. GAUTHIER, p. 100 : « Vnde Plato

quesivit, utrum scilicet ratio que est a principiis et in principia differat ; differt enim sicut subtilem et grossum ». 4 ANONYME, Lectura in Ethicam Novam (alias Commentaire de Paris), éd. GAUTHIER, p. 99 : « [...] sermo enim

qui est a principiis est subtilis, vnde quando per principia probatur aliquid, ista ratio et probatio est subtilis ; set

iter siue uia in principia est grossa et per posteriora ; non enim possumus ostendere principia nisi per posteriora,

quia nichil est prius principiis ». 5 ANONYME, Lectura in Ethicam Novam (alias Commentaire de Paris), éd. GAUTHIER, p. 100 : « [...] in hac

scientia incipiendum est a nobis cognitis, id est a prioribus quo ad nos. Ideoque oportet consuetudinibus

instructum bene esse, id est oportet esse bene instructum circa consuetudinales rationes [...] ille qui sufficienter

habet rationes consuetudinales et superficiales, suscipiet de facili principia [...] ». 6 ARISTOTE, Ethica Nova I, 2, 1095b6-7, trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 69, l. 10-11 : « [...]

principium enim hoc quia et si hoc videtur sufficienter, non indigebimus ideo [vel propter quid, selon la

traduction alternative] ».

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La même opposition grossus-subtilis se trouve dans la Lectura du Pseudo-Peckham,

qui l’invoque dans la Lectio IV de sa Lectura ; le maître y objecte que, puisque la

connaissance par définition est subtilis, et non pas grossa et typica et qu’Aristote définit la

félicité, Aristote se trompe en disant que la vérité doit être déterminée, dans la science civile,

de manière générale et schématique :

Relativement au quatrième <point> il dit ainsi qu’il faut déterminer la

vérité de manière générale et schématique. Contre <cet argument>. Il définira le

meilleur ou la félicité ci-dessous. Comme le fait de connaître par la définition

n’est pas général et schématique, mais subtil, il semble qu’il parle mal1.

Dans la réponse, le maître fait appel à deux arguments différents : premièrement, il

distingue les aspects « théorique » et « pratique » (ou « doctrinal » et « appliqué ») de la vertu

(comme nous l’avons montré ci-dessus) ; la science civile définit seulement en tant qu’elle

est science et non pas en tant qu’elle est active ; deuxièmement, il distingue cette définition

au sens strict (i.e. per priora) des descriptions « faites par les choses qui sont premières

seulement quant à nous » ; la qualification grossa et typica s’applique uniquement à cette

dernière2. Les connaissances per priora simpliciter et per priora quo ad nos s’assimilent

respectivement aux modes subtilis et grossus, de sorte que cette distinction se superpose

partiellement à la distinction in utendo-in docendo.

Robert Kilwardby, pour sa part, ne s’intéresse pas particulièrement à l’identification

subtilis-per priora, grossus-per posteriora. Il se limite à rappeler le besoin qu’a l’éthique de

commencer toute recherche a prioribus quo ad nos3, sans toutefois faire le lien avec les modi

propres à l’investigation éthique et scientifique. La différence entre les modi subtilis et

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, éd. BUFFON, « Lecciones con

preguntas sobre Ética. Lectio IV », dans V. BUFFON (dir.) et al., Philosophia artistarum. Discusiones filosóficas

de los maestros de artes de París, Santa Fe, Ediciones UNL, 2017, p. 183, § 23: « De quarto sic dicit quod

determinandum est ueritatem grosse et typo. Contra. Inferius diffiniet optimum siue felicitatem. Cum ergo

notificatio per diffinitionem non sit grossa et typica, sed subtilis, male uidetur dicere ». 2 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio IV, éd. BUFFON, p. 184,

§ 28: « Respondendum quod illa scientia et est scientia et est actiua ; et determinat modum procedendi quem

habet non inquantum scientia, sed inquantum actiua. Et quantum ad hoc non debet diffinire, sed inquantum

scientiam. Vel potest dici quod diffinitio quam assignat hic non est diffinitio sed potius descriptio quedam et

per priora solum quo ad nos. Vnde hoc non aufert modum grossum et typicum ». 3 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 287va : « Tertio quod incipiendum est

argumentari a cognitis id est a prioribus. Set priora duplex sunt, scilicet simpliciter et ad nos, et forte

incipiendum est hoc a prioribus quo ad nos [...] » (transcription de V. Buffon).

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172

grossus est ainsi donnée par le type de raisons qu’ils utilisent : sensibles, ou encore

superficielles1 (modus grossus) et intellectuelles (modus subtilis).

III.2. Les modi divisivus, diffinitivus, collectivus et exemplorum suppositivus dans le discours artien

sur l’Éthique

III.2.1. La Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem

III.2.1.1. Vision d’ensemble de l’Éthique : connaître les causes de la vertu

L’ensemble des cinq livres de l’Éthique (selon la division appliquée par le maître, qui

divise le livre III en trois parties)2 est présenté comme une étude sur les causes de la vertu

qui reproduit en quelque sorte la structure de la recherche sur la définition (= cause formelle)

de la vertu entreprise aux chapitres 4, 5 et 6 du livre II (chapitres s’occupant respectivement

de la définition de la vertu selon le genre et la différence [ch. 4 et 5] et de la définition de la

vertu à partir des médiétés particulières [ch. 6]) : une étude générale suivie d’une

considération sur les vertus particulières. Les trois premiers livres de l’Éthique envisagent

ainsi la détermination des quatre causes de la vertu, alors que les livres 4, 5, et les « suivants »

envisagent l’étude de chacune des vertus. La structure générale de cette recherche, articulant

le tout autour de la notion de vertu (dont on recherche les causes) octroie à cette notion une

centralité remarquable3.

Or, la démarche des livres I-III soutient que la vertu est ainsi connue « quant à toutes

ses causes » ; il s’agit véritablement d’une connaissance scientifique au sens propre, où la

connaissance à partir de ce qui est premier quant à nous est en quelque sorte achevée par une

connaissance à partir des principes propres au sujet étudié ; ces causes tiennent lieu de

principes : de leur connaissance découle l’étude « des choses s’ensuivant » d’elles comme

1 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 291va : « [...] et intendit per hoc quod non

solum superficietenus concluditur dictam conclusio, sed per rationem ueram et subtilem, et hoc est et nec

determinata » (transcription de V. Buffon). On retrouve ici le lien entre les raisons superficielles et le modus

grossus que l’on connaît déjà grâce au Commentaire de Paris. 2 Cf. première partie, ch. III, sections I.1 et I.2. 3 La notion de vertu est sans aucun doute centrale, non seulement dans la Lectura Abrincensis, mais aussi dans

le reste des commentaires artiens. Toutefois, il semblerait que (comme le remarque aussi Wieland) la notion de

vertu est, dans la Lectura Abrincensis, particulièrement importante. Cf. G. WIELAND, « L’émergence de

l’éthique philosophique au XIIIe siècle, avec une attention spéciale pour le ‘Guide de l’étudiant parisien’ », dans

LAFLEUR et CARRIER (éds), L’enseignement de la philosophie au XIIIe siècle, p. 171.

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173

des conséquences1. Or, cette interprétation exige comme corrélat qu’Aristote applique à

l’Éthique les principes de toute recherche scientifique : division, définition, et argumentation.

III.2.1.2. La connaissance de la vertu par sa cause formelle : définition de la vertu

La cause formelle de la vertu (étudiée aux leçons V et VI), identifiée à sa définition,

aura pour la connaissance éthique la plus grande importance. Dans l’enquête sur la définition

de la vertu nous trouvons, dans les commentaires artiens (le commentaire d’Avranches

n’étant pas l’exception), un grand souci pour montrer comment la lettre du texte suit les

procédures nécessaires à toute science dans l’ordre adéquat : la division et la définition (dont

l’ordre d’application peut être variable) précèdent l’inférence de la conclusion obtenue à

partir du syllogisme, par lequel nous arrivons finalement à montrer les propriétés des sujets

considérés.

L’auteur anonyme de la Lectura Abrincensis est concerné par la manière dont Aristote

se sert de ces procédures lorsqu’il pose la définition de la vertu qu’il examine dans la

cinquième leçon (« La vertu est un état habituel volontaire, consistant dans une médiété,

déterminé par la raison relativement à nous, dans la mesure où le sage le déterminera » ; V,

§ 10). Cette définition pose un problème, car Aristote semble l’exposer sans nous avoir fait

connaître (par division) la totalité de ses parties ; en effet, l’un des termes constituant la

définition (le volontaire) n’est défini qu’au livre suivant :

[...] quand il est dit : la vertu est un état habituel volontaire, la définition

de la vertu ne semble pas être posée de façon convenable par cela que le

volontaire tombe dans la définition de celle-ci et <que pourtant il> n’a pas été

prédéterminé. Mais, dans le livre suivant [i.e. le livre III], vers le début, comme

il faut que les parties de la définition soient plus connues et antérieures à <la

chose> définie, cette différence <relative au> volontaire est posée en premier

dans la définition de la vertu2.

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, I, § 1-2, notre édition : « Ad ostendendum <hoc>

determinat consuetudine uirtutem, in hoc libro, quantum ad causam materialem eius et quantum ad causam

formalem et de consequentibus duas causas [Vnde pars istas et de consequentibus has duas causas]. [...] Ideo

tertia uero pars terminatur in fine libri, quia uero cause precedunt ea que consequuntur causas et causa materialis

in fieri precedit formalem ». ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VIII, A, f. 108r : « In

prima determinatur de intentione cause efficientis uirtutis (corr. ex uirtutem) et <de> comparatione <***> ad

causam efficientem et de eius opposito, scilicet de uoluntario et inuoluntario. Consequenter in parte secunda

[...] ponit conclusiones <***> que egrediuntur secundum (secundum sA] secundum causam pA) principia primo

determinata [...] ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 42, notre édition : « [...] cum dicitur : uirtus

est habitus uoluntarius, uidetur non conuenienter esse posita diffinitio uirtutis eo quod uoluntarium cadit in

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174

La division, partant de ce qui est plus connu pour nous, doit précéder la définition des

parties. Pourquoi donc Aristote inclut-il dans la définition présentée au livre II un terme (le

volontaire) qui n’est présenté qu’au livre III ? Le volontaire (invoqué dans la définition) est

la cause efficiente de la vertu ; en réponse au problème posé dans la question, le maître

affirme qu’il serait possible de connaître la vertu quant à sa cause formelle (sa définition,

établie au livre II), sans toutefois en connaître sa cause efficiente (exposée au livre III), tout

en élaborant un type de définition dont certaines parties ne sont pas déterminées. Or, pour

cela, il faut toutefois que toutes les parties de la définition soient préalablement connues, du

moins aliquo modo ; ainsi, le maître entend qu’Aristote a en quelque sorte anticipé la notion

de volontaire en ÉN II, 4 (1106a2-4), en distinguant la colère ou la crainte (qui se produisent

involontairement) des vertus, qui ne se produisent pas « sans volonté » : c’est à la lumière de

ce passage que la définition susmentionnée doit être comprise (accipitur ex hoc)1.

En définissant la vertu, du point de vue du genre, en tant qu’état habituel2, Aristote

suit, aux yeux de notre maître, une procédure strictement scientifique : ladite définition est le

résultat (voire la conclusion) d’un raisonnement fondé sur la définition des parties provenant

d’une division précédente. La totalité de la démarche argumentative d’Aristote (que le maître

examine en détail dans la Sententia, § 1-10) est présentée de manière synthétique :

Et quand il dit Après <avoir déterminé> ces <choses>, il faut examiner

ce qu’est la vertu, etc., et après quand il dit Parce qu’en effet la vertu, etc.,

<l’auteur> entend cette raison : trois <choses> sont dans l’âme, les passions, les

puissances et les états habituels ; et la vertu est une de ces <choses>. En

conséquence, la vertu est soit une passion, soit une puissance, soit un état habituel

[division]. Ensuite, à travers leurs définitions, il définit les puissances et les

diffinitione eius, et non est predeterminatum. Sed in sequenti libro, circa principium, cum oportet partes

diffinitionis notiores et priores esse diffinito, prima ponitur in diffinitione uirtutis hec differentia uoluntarium ». 1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1106a2-4), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 6-8 : « Adhuc

irascimur quidem et timemus involuntarie. Virtutes autem voluntates quedam, vel non sine voluntate » ;

ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 44, notre édition : « Ad aliud autem quesitum,

dicendum est quod uoluntarius dicit differentiam uirtutis in habitudine ad causam efficientem. Nihil autem

prohibet uirtutem cognosci quantum ad suam formam, non cognita comparatione eius ad causam efficientem,

secundum quemadmodum determinatur recte in consequenti libro. Potest ergo esse diffinitio alia, quod eius

partes omnes non sunt prius determinate, sed alique ille, scilicet que sunt eius secundum quod in illa parte

debent esse determinatas. Oportet tamen omnes partes aliquo modo esse prius notas. Vnde illa pars, quod uirtus

est uoluntaria, accipitur ex hoc quod supra dictum est : uirtutem non esse sine uoluntario, et ex eo quod dicit :

tria requiri ad uirtutem, quorum unum erat quod esset uolens ». 2 Le maître évoque (Lectio V, § 28-29) d’autres définitions de ‘vertu’ exposées par Aristote ; toutefois, il retient

comme « appropriée » au discours présenté dans l’Éthique celle qui définit la vertu comme état habituel

volontaire (V, § 10).

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passions <et les états habituels> [définition] ; par lesquelles <définitions> il

comprend subséquemment que cette raison qui s’ensuit est : que <la vertu> est

une puissance ou une passion ou un état habituel ; et aucune puissance ou passion

n’est un état habituel. Or, la vertu est l’une de ces <choses>, et elle n’est pas une

puissance ou une passion : elle est en conséquence un état habituel

[raisonnement]. Or, pour prouver la proposition mineure il y a toutes les raisons

par lesquelles <l’auteur> conclut que la vertu n’est pas une puissance ou une

passion1.

Cette explication sommaire de l’argumentation d’Aristote, articulée sur les trois

opérations suivies (division, définition, argumentation) se trouve aussi dans le reste des

commentaires que nous examinons ici.

Le processus se répète relativement aux prémisses de ce syllogisme constituant

l’argument général montrant que la vertu est un habitus : elles sont à leur tour obtenues par

des syllogismes, dont les termes ont été préalablement définis ; ainsi, Aristote prouve par

exemple la proposition mineure (la vertu n’est pas une passion) par de nombreuses raisons

ayant une structure identique :

En premier lieu <l’auteur> pose quatre raisons <pour montrer> que la

vertu n’est pas une passion : selon les passions nous ne sommes pas appelés bons

ou méchants ; mais selon les vertus et les vices (= malitias) nous sommes appelés

<bons ou méchants> ; donc, les vertus ne sont pas des passions [...]. Et <cela>

est expliqué : l’une et l’autre preuve (= probatio) est dans le texte2.

Ce mot « raison » équivaut donc ici à « raisonnement », ou encore à « probatio », mot

que l’on trouve sur la fin du passage ; car les « quatre raisons » partagent la structure d’un

syllogisme de deuxième figure :

Selon les passions nous ne sommes pas appelés bons ou méchants

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 46, notre édition : « Et cum autem <dicit>

scrutandum post hec quid sit uirtus, etc., <et> deinde cum dicit Quoniam igitur uirtus, etc., intelligit hanc

rationem : tria sunt in anima, passiones, potentie et habitus ; uirtus est aliquid horum. Ergo uirtus est passio uel

potentia uel habitus. Deinde per diffinitiones illorum, potentias et passiones <diffinit> ; quibus subsequenter

intelligit hanc rationem sequentem esse : quod est potentia uel passio uel habitus ; et non potentia uel passio est

habitus. Virtus autem est aliquid horum, et non est potentia uel passio : ergo est habitus. Ad probandum autem

minorem propositionem sunt rationes omnes quibus concludit quod uirtus non est potentia uel passio ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio V, § 4, notre édition : « Primo quatuor rationes

ponens quod uirtus non est passio : secundum passiones non dicimur boni uel mali ; secundum uirtutes uero et

malitias dicimur ; ergo uirtutes non sunt passiones. Alia ratio ponitur ad idem : secundum passiones non

laudamur neque uituperamur ; secundum uirtutes uero laudamur ; ergo uirtutes non sunt passiones. Et

explanatur : utraque probatio est in littera ».

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Selon les vertus nous sommes appelés <bons ou méchants>

-------------------------------------------------------------------------

Les vertus ne sont pas des passions

La même structure se reproduit avec d’autres moyens termes : être loué ou censuré,

être volontaire, etc. Les définitions des termes constituant les prémisses sont non seulement

formulées, mais aussi illustrées à partir de cas particuliers ou d’exemples (et donc à partir de

ce qui est premier selon nous ; V, § 47-51).

Pour sa part, la différence spécifique de cet habitus, qui est un état habituel qui rend

l’œuvre bonne, par opposition au vice (l’état habituel mauvais) est montrée à partir d’une

similitude ou d’une proportion (le maître aurait pu dire ici « parabole ») avec des choses

sensibles : l’œil et le cheval, dont les vertus respectives rendent bien l’œuvre bonne. Il en va

de même pour la définition affirmant que la vertu est une médiété : le rapport est fait avec le

moyen terme trouvé dans la quantité (continue ou discrète), où la nature du moyen terme

« est manifeste » (V, § 53-56).

Or, la définition générique de la vertu n’est pas sans rappeler les considérations que

le maître fait à propos de la vertu dans la deuxième leçon, où celle-ci est clairement

considérée à partir des Catégories. Au chapitre 8 (8b25 et ss.) des Catégories, Aristote

classifie les vertus, ainsi que les sciences, sous « l’état (hexis) et la disposition (diathesis) »1,

l’une des quatre sous-espèces de la qualité (avec « les aptitudes et incapacités naturelles »

[c’est-à-dire les dispositions non acquises, par opposition aux habitus, comme le fait d’être

par nature un bon coureur], les « effets qualitatifs et affections » [comme la douceur ou

l’amertume, qui produisent des impressions sur les sens, ou la blancheur, la noirceur, etc.,

pouvant être produites par une affection subite] et la forme et la figure (ou « configurations

spatiales »)2. Les « trois choses qui sont dans l’âme » peuvent ainsi bien s’accommoder aux

diverses sous-espèces de la qualité décrites par Aristote dans ce chapitre : car à côté des

vertus (qui sont dans la classe des états et des dispositions) on trouve les puissances (pouvant

1 Qui forment ensemble une seule espèce de la qualité. 2 Nous suivons ici les dénominations établies dans ARISTOTE, Catégories, 8 (8b25-10a16), trad. M.

CRUBELLIER, C. DALIMIER et P. PELLEGRIN, Aristote. Organon I-II, Paris, Garnier Flammarion, 2007, p. 161-

169.

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être classées parmi les capacités et les incapacités naturelles) et les passions (pouvant être

classées avec les affections). Dans le genre des dispositions, l’état représente une qualité bien

affirmée, difficile à changer ; alors que la disposition est une qualité qui peut être facilement

changée ou éliminée :

Et, certes, l’une des espèces de la qualité est dite état habituel ou

disposition. Or, l’état habituel diffère de la disposition car il est plus permanent

et de plus longue durée ; telles sont les sciences et les vertus ; en effet, la science

semble appartenir <aux choses> permanentes et <aux choses> qui sont

difficilement mues <ou changées>, comme si quelqu’un <ayant> acquis la

science de manière moyenne <ne pouvait la perdre> sinon une fois fait un grand

et fort changement, soit à partir d’une maladie, soit à partir de quelque chose de

cette sorte ; or, similairement, et la vertu et la justice ou la chasteté et <les choses>

singulières parmi de telles <choses> ne semblent pas pouvoir être mues ou

changées facilement. [...] C’est pourquoi l’état habituel diffère de la disposition,

car ceci, <la disposition>, est certes facilement muable (= facile mobile), tandis

que cela, <l’état habituel>, est difficilement muable (= difficile mobile)1.

Les dispositions et les états ne sont pas mutuellement exclusifs : les états, tels que la

science et les vertus, peuvent être le produit de certaines dispositions intensifiées au fil du

temps. En suivant Aristote, le maître décrit les dispositions comme des aptitudes facilement

changeables (facile mobiles) ; ces aptitudes constituent pour le maître la base sur laquelle se

forment les vertus, décrites comme des états habituels, dispositions permanentes ou difficiles

à altérer (difficile mobiles). En tant qu’état habituel, la vertu n’est pour l’auteur de la Lectura

Abrincensis qu’une unique disposition intensifiée grâce à la persévérance de l’agent dans

l’opération. Le maître semble s’inspirer ici du texte des Catégories, comme le laissent

imaginer les expressions « facile mobilis » et « difficile mobilis » :

Si à vrai dire <la disposition> est la même en substance que la vertu, <on

se demande> comment, puisque la disposition serait facilement mobile, la vertu

est difficilement mobile. À quoi il faut dire que cette disposition ne résulte pas

(= non derelinquitur) des actions qui suivent ; mais cette disposition première

<est> intensifiée, et elle est toujours intensifiée par les opérations jusqu’à ce

1 ARISTOTE, Categoriae, 8 (8b26-36), Editio composita, éd. MINIO-PALUELLO, p. 63, l. 19-27 – p. 64, l. 1-10.

Nous citons l’Editio composita à cause des coïncidences terminologiques avec la Lectura Abrincensis : « Et

una quidem species qualitatis habitus dispositioque dicuntur. Differt autem habitus dispositione quod

permanentior et diuturnior est ; tales vero sunt scientiae vel virtutes ; scientia enim videtur esse permanentium

et eorum quae difficile moveantur, ut si quis vel mediocriter scientiam sumat, nisi forte grandis permutatio facta

sit vel ab aegritudine vel ab aliquo huiusmodi ; similiter autem et virtus et iustitia vel castitas et singula talium

non videntur posse moveri neque facile permutari. [...] Quare differt habitus dispositione, quod hoc quidem

facile <mobile> [Selon la leçon du cod. Sangallensis, bibl. monast. 817] est, illud vero difficile mobile ».

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qu’elle devienne état habituel. La même disposition devient un état habituel

unique1.

La qualité est ainsi, par rapport aux vertus, un genre éloigné, dont les genres

subalternes seront d’abord l’état habituel (genre éloigné des vices et des vertus), et ensuite

l’état habituel bon (genre rapproché de la vertu, opposé au vice).

III.2.1.3. Les causes formelle et matérielle de la vertu : conséquences

De même que, dans la deuxième partie du troisième livre, Aristote, d’après notre

anonyme, tire les conclusions découlant de la détermination de la cause efficiente de la vertu

(la volonté) et de son opposé (l’involontaire), posés comme principes2, ainsi, dans la

troisième partie du livre II (commentée dans la septième leçon ; cf. Tableau 10, Appendice

C), Aristote tire certaines conséquences découlant des causes matérielle et formelle de la

vertu ; le maître envisage dans la septième leçon ce qu’il annonçait dans la première :

<Première leçon> Pour montrer cela <l’auteur> détermine de la vertu

[...], dans ce livre, quant à sa cause matérielle et quant à <sa> cause formelle et

relativement aux <choses> consécutives aux deux causes. D’où cette partie est

divisée en trois parties : la première, qui est relative à la cause matérielle [...] la

deuxième, qui est relative à la cause formelle [...]. La troisième partie, quant à

elle, se termine à la fin du livre, parce que, à vrai dire, les causes précèdent les

choses qui sont consécutives aux causes [...]. <Septième leçon> Il existe

assurément trois <dispositions>, etc. Il a été déterminé ce qu’est la vertu morale

et dans l’universel et dans le particulier. Et puisque <la vertu> se trouve dans une

médiété entre deux malices, dans cette partie <l’auteur> montre que toutes <les

dispositions> s’opposent entre elles, les extrêmes entre eux et à l’égard du moyen

<terme>, et inversement3.

Ce passage présente, aux yeux du maître anonyme, quelques difficultés découlant du

fait que la vertu est un état habituel bon (opposé au vice), rangé sous le genre de la qualité

(comme nous venons de le préciser), dont les sous-espèces sont énumérées dans les

Catégories :

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio II, § 19-20, notre édition : « Si uero <dispositio>

est eadem in substantia uirtuti, quomodo, cum esset <dispositio> facile mobilis, sit <uirtus> difficile mobilis.

Ad quod dicendum est quod per operationes sequentes non derelinquitur illa dispositio ; sed illa dispositio prima

intensa, et semper per operationes intenditur quousque fiat habitus. Fit autem ipsa dispositio habitus unus ». 2 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VIII, A, f. 108r, cité ci-dessus. 3 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio I, § 1-2, notre édition, cité ci-dessus ; Lectio VII,

§ 1, notre édition : « Tribus utique existentibus, etc. Determinatum est [eam] quid sit uirtus consuetudinalis et

in uniuersali et in particulari. Et quoniam est in medietate duarum malitiarum, in hac parte ostendit omnes sibi

aduersari, extrema inter se et respectu medii, et e conuerso ».

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Tableau 3: Espèces de la qualité

qualité

états et dispositions aptitudes et

incapacités

naturelles

effets

qualitatifs

et

affections

forme et

figure

habitus dispositions

vertu (bien) vice (mal)

médiétés extrêmes

Or, comme la définition de la vertu est ainsi reliée au texte des Catégories, et que le

chapitre 11 de ce livre est censé traiter des contraires in moralibus1, il n’est pas surprenant

que le maître considère les affirmations d’Aristote concernant l’opposition entre vices et

vertus à la lumière de ce onzième chapitre, qui fournit une série de remarques sur l’opposition

par contrariété (remarques que nous avons énumérées ailleurs)2. L’affirmation initiale d’ÉN

II, 8 (« [...] toutes les dispositions s’opposent entre elles ») est donc questionnée à partir d’une

lecture combinée de l’Éthique, des Catégories et de la Métaphysique qui, comme on l’a noté

dans la Première partie, trouve son parallèle tant dans les commentaires artiens sur les

Catégories que dans les commentaires de la tradition néoplatonicienne3.

L’élément de l’exposé d’Aristote (ÉN II, 8) qui trouble l’esprit du maître est que

toutes les dispositions s’opposent entre elles, « les extrêmes entre eux et à l’égard du moyen

<terme>, et inversement ». En disant cela, Aristote tombe dans une série de contradictions

qui se trouve bien exprimée dans l’une des nombreuses questions consacrées au problème

(VII, § 27, q. 6) :

Ensuite, il peut être demandé sur cela qu’il dit : toutes <les dispositions>

s’opposent à toutes. En effet, <l’auteur> signale par cela qu’un seul <élément>

s’oppose à plusieurs de manière contraire selon sa raison propre [...]. Et ainsi un

1 Comme il a été anticipé dans la Première partie, ch. II, section III.1. 2 Cf. Première partie, ch. II, section III.1. Le maître anonyme envisage aussi la discussion de l’opposition (par

privation) entre bien et mal, discussion qui se sert des sources liées au développement théologique de ce

problème. Les limites de ce travail (qui vise spécifiquement le problème méthodologique et l’application des

principes logiques à l’interprétation de l’Éthique, et particulièrement à la compréhension de la vertu) nous

empêchent de nous aventurer dans l’analyse de cette question. 3 Ces parallèles ont été détaillés dans la première partie ; on se limite ici à expliquer plus en détail la position

de l’auteur de la Lectura.

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seul <élément> s’oppose à de nombreux <éléments>, ce qui est contre ce qui est

<dit> dans la Métaphysique. En effet, <Aristote> dit qu’un <élément est> opposé

à un <seul> de façon contraire en ce que la contrariété est la distance parfaite

à l’intérieur d’un même genre. Or, la distance parfaite à l’intérieur d’un même

genre ne peut être que d’un <élément> unique <par rapport> à un autre1.

Aristote semble effectivement se contredire, car il affirme que toutes les dispositions

s’opposent entre elles, alors qu’il soutient dans la Métaphysique qu’un élément n’a qu’un

seul contraire2, ce qui est cohérent avec la définition de la contrariété comprise comme

distance maximale (ou parfaite) entre les extrêmes d’un même genre3, définition qu’Aristote

lui-même rappelle (ÉN II, 8, 1108b34-36) dans le chapitre de l’ÉN ici concerné. Le maître

anonyme devra donc expliquer comment toutes les dispositions (deux extrêmes vicieux et un

moyen terme vertueux) s’opposent les unes aux autres, sans contredire ni la première

condition (une chose n’a qu’un seul contraire) ni la deuxième (les contraires sont à l’intérieur

d’un même genre). Aux inconsistances découlant de ces éléments s’ajoutent les problèmes

surgissant des remarques complémentaires sur la contrariété exposées au chapitre 11 des

Catégories (que notre maître prend probablement pour un exposé sur les contraires in

moralibus) ; la dernière de ces remarques est particulièrement problématique :

Or, il est nécessaire que tous les contraires se trouvent soit dans le même

genre, soit dans des genres contraires, soit qu’ils soient eux-mêmes des genres ;

le blanc et le noir se trouvent assurément dans le même genre (en effet, la couleur

est leur genre <commun>), alors que la justice et l’injustice <se trouvent> dans

des genres contraires (en effet, <le genre> de l’une <est> la vertu, le genre de

l’autre est le vice) ; or, le bien et le mal ne sont pas dans un certain genre, mais

eux-mêmes sont des genres4.

La solution envisagée par le maître suppose la connaissance de ce passage, dont il a

déjà présenté une paraphrase lors de la formulation d’une autre question (VII, § 10, q. 3) :

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VII, § 27, notre édition : « Deinde, potest queri

de hoc quod dicit : omnes omnibus aduersari. Notat enim per hoc unum opponi pluribus contrarie secundum

propriam rationem [...]. Et sic unum opponitur multis, quod est contra hoc quod est in Methaphysica. Dicit enim

unum uni oppositum contrarie eo quod contrarietas est perfecta distantia in eodem genere. Perfecta autem

distantia in eodem genere non potest esse nisi unius ad unum ». 2 ARISTOTE, Métaphysique, X, 4, 1055a19-20. 3 ARISTOTE, Métaphysique, X, 4, 1055a16 ; Catégories, 6, 6a17-18. 4 ARISTOTE, Catégories, 11 (14a19-25), trad. BOÈCE, éd. MINIO-PALUELLO, p. 37, l. 4-10 : « Necesse est autem

omnia contraria aut in eodem genere esse aut in contrariis generibus, vel ipsa esse genera ; album quidem et

nigrum in eodem genere (color enim ipsorum genus est), iustitia vero et iniustitia in contrariis generibus (huius

enim virtus, huius vitium genus est) ; bonum vero et malum non sunt in aliquo genere, sed ipsa sunt genera ».

Notre traduction.

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« En plus, Aristote dit que, relativement au nombre des contraires, certains sont des genres

contraires, certains sont dans des genres contraires, tandis que certains <autres> sont dans un

même genre qui n’a pas de contraire »1. Cette classification donne lieu à différentes manières

de comprendre les contraires qui, aux yeux de notre maître, devraient tous être compatibles

avec les conditions énumérées ci-dessus (qu’une chose n’ait qu’un contraire, que les choses

contraires se trouvent dans le même genre). Pour rendre possible cette compatibilité, le maître

fait une distinction entre les différentes perspectives sous lesquelles le problème peut être

compris : la perspective morale, la perspective logique, la perspective naturelle2 (VII, § 14-

16).

Selon la perspective de la morale (VII, § 14), une chose peut s’opposer à plusieurs :

ainsi, le moyen terme (la vertu) s’oppose aux deux extrêmes contraires (l’excès et le défaut),

qui, eux, s’opposent aussi entre eux. Nous avons ainsi le cas dans lequel les contraires sont

des genres contraires. L’exemple donné par le maître est clair : la prodigalité tombe sous le

genre de la superhabundantia, l’avarice sous le genre de l’indigentia, la libéralité sous le

genre de la medietas. Ceci laisse ouvert le problème de l’opposition multiple, car, dans ce

cas, il y a plus d’un contraire pour une seule et même chose :

Tableau 4: Lectura Abrincensis. Opposition multiple entre vice et vertu (medietas, indigentia, superhabundantia)

medietas indigentia superhabundantia

liberalitas, magnanimitas,

castitas, etc.

illiberalitas, pusillanimitas,

etc.

prodigalitas, incontinentia,

etc.

En revanche, selon la perspective logique (VII, § 15)3, l’excès (superhabundantia) et

le défaut (indigentia) se trouvent dans un même genre, l’état habituel mauvais opposé à la

vertu, qui réunit les extrêmes vicieux. Ainsi considérés, l’excès et le défaut ne s’opposent pas

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VII, § 10, notre édition : « Preterea dicit

Aristoteles quod quedam sunt, de numero contrariorum, genera contraria, quedam uero sunt in contrariis

generibus, quedam uero sunt in eodem genere non habente contrarium ». 2 Distinction qui n’est pas sans rappeler la tripartition stoïcienne des sciences, et qui semble d’ailleurs insinuer

l’idée, déjà présente chez les stoïciens, qu’il y a ici trois façons de comprendre une même réalité. Cette

distinction renvoie aussi à la doctrine (alors naissante) des transcendantaux : c’est ici une même réalité qui est

supposée sous ces trois perspectives qui peuvent correspondre au bien (perspective morale), au vrai (perspective

logique) et à l’être (perspective naturelle). 3 Je laisse ici de côté l’analyse de la perspective naturelle (moins pertinente pour l’objectif de ce chapitre), selon

laquelle vertu et vice s’opposent comme le divisible et l’indivisible.

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entre eux, mais ils s’opposent uniquement à la vertu en tant que celle-ci est un état habituel

bon. Ainsi considérés, les contraires sont des genres contraires (i.e. vice et vertu sont deux

genres opposés) :

Tableau 5: Lectura Abrincensis. Opposition simple entre vice et vertu

vertu vice

liberalitas, magnanimitas, castitas, etc. illiberalitas, pusillanimitas, prodigalitas, etc.

Dans ce cas, la vertu n’a qu’un contraire, le vice ; par contre, les vices et les vertus

opposés ne sont pas dans le même genre, comme l’exige la définition de contrariété.

Comment donc faire pour arriver au troisième élément de la classification du maître, les

contraires qui se trouvent « dans un même genre qui n’a pas de contraire » (VII, § 10) ? Ce

n’est que plusieurs paragraphes plus loin que le maître donne une solution définitive, solution

qui, comme nous l’avons vu, se trouve bien développée dans les commentaires artiens sur les

Catégories de la période 1230-1245.

Cette solution fait appel aux notions de genus proximum et genus remotum. Selon son

genre rapproché, les états habituels mauvais et les états habituels vertueux appartiennent à

des genres opposés, le vice et la vertu ; mais ces deux genres peuvent être ramenés à un seul

en remontant vers les catégories plus générales. Ainsi, considérés selon leur genre éloigné,

les vices et les vertus appartiennent tous à un même genre, l’état habituel :

Ensuite, il peut être demandé pourquoi le moyen <terme> est dit

s’opposer aux extrêmes, étant donné qu’il n’est pas dans le même genre <que

ceux-ci>. Et <cette question> est résolue par ce qui a été dit. Puisqu’il y a en effet

un genre rapproché et un genre éloigné, le genre rapproché n’est pas ce en quoi

les extrêmes et le moyen <terme> ont des rapports, tandis que le genre éloigné, à

savoir l’état habituel, est <ce> en quoi les extrêmes et le moyen <terme> ont des

rapports, ou, si <cela> est dit selon l’intention morale, l’état habituel volontaire1.

1 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VII, § 31-32, notre édition : « Deinde, potest

queri quare medium dicatur opponi extremis, cum non sit in eodem genere. Et soluitur per hoc quod dictum est.

Cum enim genus proximum et est genus remotum, genus proximum non est in quo communicant extrema et

medium, genus uero remotum, scilicet habitus, est in quo communicant extrema et medium, uel, si dicatur

secundum intentionem moralem, habitus uoluntarius ».

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En unifiant toutes les possibilités, on peut comprendre non seulement comment se

produit l’opposition par contrariété entre les diverses dispositions, mais aussi comment

l’étude de la vertu peut être envisagée per priora et per priora quo ad nos, soit en remontant

vers le général, soit en descendant vers le particulier :

Tableau 6: Lectura Abrincensis. Vision sommaire des divers types d'opposition entre vice et vertu

genus remotum = un seul

genre (contenant les

extrêmes opposés)

habitus voluntarius

(indigentia medietas superhabundantia)

genus proximum = deux

genres = perspective logique

(un élément donné n’a plus

qu’un contraire)

virtus

(bonum)

malitia

(malum)

trois genres contraires =

perspective morale

(multiplicité de genres

opposés)

medietas indigentia superhabuntantia

vertus particulières liberalitas,

castitas, etc.

illiberalitas,

pusillanimitas, etc.

prodigalitas,

incontinentia, etc.

Le Pseudo-Peckham, pour sa part, invoque aussi la distinction genus remotum-genus

proximum afin d’expliquer l’opposition multiple entre la médiété et les extrêmes1 ; or, les

développements du Pseudo-Peckham n’incluent pas, à l’occasion de la discussion de

l’opposition entre vice et vertu, tous les éléments pris en considération par la Lectura

Abrincensis2. Par contre, la Lectura Abrincensis se rapproche beaucoup plus des

commentaires artiens sur les Catégories comme celui de Jean le Page ou encore celui de

Kilwardby. Le grand développement des problèmes relatifs à l’opposition entre vices et

vertus dans les commentaires artiens sur le chapitre 11 des Catégories nous rappelle l’opinion

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXXIV, F, f. 55 vb :

« Item quod medium non contrarietur extremis opportet ostendere sic, quoniam contraria sunt in eodem genere

proximo. Sed medium et extrema aut non sunt in eodem <genere>, aut non nisi in eodem <genere> remoto ». 2 Éléments que nous avons énumérés dans la Première partie, ch. II, III.1. Il faut toutefois remarquer que certains

de ces éléments – pouvant se rapprocher de l’exposé de la Lectura Abrincensis, ainsi que des discussions

présentes dans les commentaires artiens (par exemple, celui de Jean le Page) et néoplatoniciens (par exemple

ceux de Philopon et de Simplicius) sur les Catégories – sont à chercher dans la discussion sur la nature du mal

présentée dans la Lectio II, où Pseudo-Peckham évoque aussi le chapitre 11 des Catégories et la définition

standard de contrariété, tout en distinguant les points de vue physique, métaphysique et logique (les deux

derniers pouvant se comparer aux points de vue naturel et logique de la Lectura Abrincensis). Nous laissons ici

de côté ces parallèles, dont l’analyse pourrait s’avérer sans doute très intéressante. Pour une édition critique des

passages pertinents, accompagnée d’une traduction française et d’une étude historico-doctrinale, voir BUFFON

et PICHÉ, « Ontologie et logique du mal au XIIIe siècle ».

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exprimée par le Commentaire de Paris : l’enquête sur la cause formelle de la vertu, sa

définition (et donc la détermination de son appartenance à tel genre et à telle espèce), ne

revient pas au philosophe moral, mais au dialecticien. S’opposant à ce point de vue, l’auteur

de la Lectura Abrincensis considère comme une partie de la recherche envisagée par

l’Éthique l’étude de la cause formelle de la vertu1 ; il fait donc preuve de cohérence en

incluant dans la septima lectio une discussion très développée autour des problèmes suscités

par les conséquences du fait de définir la vertu comme un habitus volontaire bon.

III.2.2. Le Commentaire de Paris

Nous avons examiné, dans la première partie, la division de l’Éthique proposée par le

Commentaire de Paris qui, rejetant l’opinion de la Lectura Abrincensis, écartait l’étude de la

définition de la vertu (en tant que cause formelle) du domaine de la philosophie morale (car

l’étude de la définition revient, selon lui, au dialecticien). L’étude de la cause matérielle de

la vertu (que l’anonyme ne voulait pas identifier aux opérations, comme le faisait la Lectura

Abrincensis) était pour sa part réservée au De anima.

Or, malgré ces déclarations, le Commentaire de Paris revient sur ces deux points dans

l’étude des chapitres de l’Éthique consacrés à la définition de la vertu : il concède en effet

que les opérations sont la cause matérielle de la vertu2 (sans toutefois écarter leur rôle comme

cause efficiente prochaine de la vertu)3, et consacre plusieurs paragraphes à la discussion de

la définition de la vertu (qu’il n’identifie pas, dans ce passage, à sa cause formelle).

La définition générique de la vertu résulte de la démarche argumentative que le maître

décrit comme suivant les trois opérations propres à toute science (divisio, diffinitio, collectio),

que nous avons déjà notées dans la Lectura d’Avranches : Aristote énumère les trois choses

existant dans l’âme (dans le moment qui correspond à la division), les définit, et finalement

conclut nécessairement que la vertu est un habitus :

Or, dans la présente leçon <l’auteur> recherche la définition de la vertu

elle-même quant à <son> genre, et il montre que la vertu est, relativement à son

genre, un état habituel. Et il énumère <les> trois <choses> qui sont dans l’âme, à

1 Cf. Première partie, ch. III, section I.2. 2 Opinion que le maître rejetait dans sa division générale du texte. 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 244ra : « Quarta ratio sumitur a

causa efficiente proxima uirtutis (operationes enim sunt causa proxima uirtutis) uel a causa materiali, quia

operationes et sunt causa efficiens uirtutis et sunt causa materialis ».

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savoir la puissance, l’état habituel et la passion. Et puisque la vertu n’est ni une

passion ni une puissance, il conclut que la vertu est un état habituel. Et la présente

leçon se divise en trois parties. Dans la première il énumère <les> trois <choses>

qui sont dans l’âme, à savoir la puissance, la passion et l’état habituel. Dans la

deuxième partie il définit chacun de ces <éléments>, à savoir la passion, l’état

habituel et la puissance. Dans la troisième partie il montre que la vertu n’est ni

une passion ni une puissance, et c’est pourquoi il conclut que la vertu est

nécessairement (= de necessitate) un état habituel1.

Or, la définition des parties énumérées dans la première section de la leçon est obtenue

« per exempla »2, c’est-à-dire de manière inductive, à partir des instances particulières : en

observant quelles sont les choses que nous appelons, par exemple, passions (comme la

crainte), nous apprenons que le plaisir ou la peine les suivent dans tous les cas.

À la différence de l’anonyme d’Avranches et du Pseudo-Peckham (dont nous

examinons le texte ci-dessous), ce maître n’est pas très concerné par l’ordre des trois

opérations (divisio, diffinitio, collectio) et leur rapport mutuel ; il présente pourtant une

inquiétude qui, bien que non étrangère au Commentaire d’Avranches, n’y était pas clairement

formulée (V, § 11) : pour que la conclusion du raisonnement construit à partir des définitions

préalablement obtenues soit acceptable, il faut garantir la vérité des prémisses :

En premier <lieu>, on doute sur cela qu’il dit, que trois <choses> sont

dans l’âme, les puissances, les passions et les états habituels. Et on accorde que

le raisonnement (= ratio) que fait l’auteur ne vaudrait rien s’il y avait dans l’âme

plus que ces trois <choses>, car dans ce cas cet argument ne vaudrait pas : « trois

<choses> sont dans l’âme, à savoir la puissance, la passion et l’état habituel, et

la vertu n’est ni une passion ni une puissance ; par conséquent, <la vertu> est un

état habituel »3.

1 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 243vb : « In presenti autem

lectione inquirit diffinitionem ipsius uirtutis quantum ad genus, et ostendit quod uirtus est habitus genere. Et

enumerat tria que sunt in anima scilicet potentiam, habitum et passionem. Et cum uirtus non sit passio nec

potentia, concludit uirtutem esse habitum. Et presens lectio diuiditur in .iii. (.iii. sP] duas pP) partes. In prima

parte enumerat tria que sunt in anima, scilicet potentiam, passionem et habitum. In secunda parte diffinit

unumquodque horum scilicet passionem, habitum et potentiam. In tertia parte ostendit quod uirtus non est passio

neque potentia, et ideo concludit quod uirtus de necessitate est habitus ». 2ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 243vb : « [...] consequenter diffinit

unumquodque horum. Primo passionem, et notandum quod notificat passionem dupliciter, scilicet per exempla

et ponendo diffinitionem eius. Primo sic dico autem passiones delectari uel tristari et timere et audere et cetera,

sicut patet in littera. Ex hiis concludit diffinitionem passionis dicens quod passiones uniuersaliter sunt quibus

sequitur delectatio et tristitia ». 3 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 244ra : « Primo dubitatur supra

hoc quod dicit quod tria sunt in anima, potentie, passiones et habitus. Et constat quod ratio (ratio scr.] recta ?

P) quam facit auctor nihil ualeret si plura essent in anima quam ista tria, quia tunc non ualeret hoc argumentum :

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L’auteur montre, par plusieurs arguments que l’on n’examine pas ici, comment la

proposition mise en cause peut être vraie, malgré que l’âme contienne aussi d’autres choses

(telles les connaissances, les similitudes des choses, etc.) ; or, la préoccupation du maître

pour établir la vérité des prémisses se rapporte sans aucun doute au fait qu’il veut accorder à

la conclusion obtenue une certaine nécessité : la vertu est, de necessitate, un état habituel.

L’ensemble de ce processus se montre cohérent avec la description méthodologique que le

maître donnait dans son commentaire sur la Nova : car la preuve procédant à partir des

principes s’avère en quelque sorte « subtile », mais les principes eux-mêmes sont obtenus

per posteriora1.

Avant d’examiner le texte de Kilwardby, il vaut la peine de remarquer un dernier

élément par lequel l’anonyme de Paris se rapproche de la Lectura Abrincensis : pour lui,

l’habitus qu’est le genre de la vertu s’identifie aussi avec la sous-espèce de la qualité que

sont les états habituels et les dispositions. Ainsi il se demande pourquoi la disposition n’est

pas énumérée à côté de l’habitus ; la réponse est simple : les états habituels sont aussi des

dispositions (sans que l’inverse soit pourtant vrai)2.

III.2.3. L’Expositio de Kilwardby

Malgré la brièveté qui caractérise ses considérations méthodologiques, Kilwardby

expose clairement et de manière très explicite les modi procedendi qu’il trouve appliqués

dans l’Éthique : le modus grossus et typicus (procédant « par des raisons sensibles »), opposé

au modus subtilis (associé à la démonstration) ; le modus colligendi adéquat à l’objet de cette

science, procédant à partir de prémisses vraies dans la plupart des cas (ut in pluribus) ; et la

division, distinction, ou supposition d’exemples (l’explication d’une chose au moyen de

plusieurs). Or, si la méthode grossa et typica était d’abord appliquée en raison de la

« substance » étudiée, à savoir les conditions particulières sous lesquelles se présentent à

nous les objets de la science civile (car la substance était ici prise dans un premier sens

‘tria sunt in anima, scilicet potentia, passio et habitus, et uirtus non est passio nec potentia ; ergo est habitus’

[...] ». 1 Cf. ce même chapitre, section III.1.2. 2 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 244rb : « Item non solummodo

habitus sunt in anima, sed etiam dispositiones sunt in anima, queritur ergo quare non enumerat auctor

dispositionem sicut enumerat habitum. Deberet enim enumerare hanc sicut illum, ut uidetur. Ad hoc dicendum

est quod omnis habitus est dispositio, sed non e conuerso, et sic patet quod per habitum datur intelligi dispositio

et non e conuerso. Et sic enumerando habitum dat intelligere dispositionem ».

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distingué par Kilwardby, et non dans le sens de « quiddité »), les chapitres 4 et 5 du livre II

définiront la substance en tant que quiddité, de sorte que le deuxième des modi de la science,

la définition (que Kilwardby ne mentionne pas dans son « manifeste » méthodologique), sera

aussi appliqué dans l’Éthique ; or, ce processus n’exclut pas les autres modes décrits par

Kilwardby, qui viennent compléter la définition pour fournir la matière des prémisses

utilisées dans les raisonnements construits dans le texte1.

Ainsi, Aristote établit (ÉN II, 4-6) la définition de la vertu (en déterminant sa

« quiddité » ou son « être ») en deux étapes : il énonce d’abord la définition de la vertu, pour

faire connaître ensuite, par division, que la vertu est un moyen terme :

Ayant déterminé de la production et de la génération de la vertu, il

envisage ici de déterminer de son être, ou de ce qu’est la vertu, et puisque la

quiddité de la vertu consiste autour du moyen <terme> dans les opérations et les

passions, c’est pourquoi il détermine similairement dans cette partie la nature

autour de laquelle consiste la vertu dans ces <choses>. Et cette partie est divisée

en deux : dans la première, il déclare ce qu’est la vertu ; dans la deuxième, quand

il dit toute opération n’admet pas la médiété (ÉN II, 6, 1107a8-9), il détermine

la nature du moyen <terme> de laquelle il a <déjà> parlé ; et à partir de cette

deuxième section on peut avoir connaissance de la vertu par division2.

Que la vertu est un genre est montré par un syllogisme qui occupe la totalité du

quatrième chapitre, constitué par la prémisse majeure (Quoniam igitur, 1105b20) énumérant

les trois <choses> existant dans l’âme (une majeure exemplifiée par les cas particuliers des

passions, puissances et états habituels [1105b21-1105b28]), la prémisse mineure, en deux

parties (Passiones quidem, 1105b29, Propter hec autem, 1106a6), et suivie de la conclusion

(Si igitur, 1106a14), qui est précédée d’un rappel de la mineure : « Conséquemment, il

rappelle la mineure et tire la conclusion en disant que, si la vertu n’est ni passion ni puissance,

il reste qu’elle est un état habituel, et <cela> est <dit> ici : si, en effet, <la vertu> n’est,

1 Nous reconnaissons, avec G. Wieland, que chez Kilwardby l’application de la méthode syllogistique à

l’Éthique est particulièrement remarquable : la presque totalité de l’Expositio explicite à chaque pas les

syllogismes qui, aux yeux du maître, articulent le texte commenté. WIELAND, Ethica-Scientia practica, p. 125. 2 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 297rb : « Post hec autem quid sit uirtus etc.

Determinato de fieri siue de generatione uirtutis (uirtutis scr.] uirtus C), hic intendit de esse eius determinare

siue quid sit uirtus ; et quia quiditas uirtutis consistit circa medium in operationibus et passionibus, ideo similiter

in hac parte determinat naturam circa quam consistit uirtus in illis. Diuiditur ergo hec pars in duas : in prima

declarat quid est uirtus ; in secunda, cum dicit non omnis autem operatio suscipit, determinat naturam medii de

qua dictam est. Et ex illa secunda parte haberi potest cognitio uirtutis per diuisionem ».

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etc. »1. Ainsi exposé, le chapitre II.4 peut se réduire à ce raisonnement (dans lequel il faut

supposer des prémisses complémentaires) :

Les choses qui se produisent dans l’âme sont au nombre de trois (passions,

puissances, états habituels)

Les passions ne sont pas des vertus

Les puissances ne sont pas des vertus

-------------------------------------------------------------------------

Il reste que les états habituels sont des vertus

Ces parties contiennent à leur tour (comme nous l’avons montré dans d’autres cas)

des syllogismes prouvant chacune des prémisses.

La deuxième partie de la définition porte sur la différence spécifique de la vertu, que

Kilwardby appelle « complétive »2, car elle permet de compléter le genre en déterminant les

autres parties impliquées dans la définition (rendre bien l’œuvre, etc.). Aristote part d’une

proposition universelle « Toute vertu perfectionne celui qui la possède », dont il montre

ensuite la convenance par induction, à travers l’énumération des cas particuliers, le cas de

l’œil (dont la vertu lui permet de bien voir) et du cheval (que la vertu fait bon coureur, etc.).

Après avoir pourchassé les parties de la définition au moyen des exemples, de sorte que l’on

peut reconnaître ici l’application de la divisio dans le sens qui se rapproche de la supposition

1 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 297va : « Primo ponit maior et exemplificat,

secundo ostendit minor, tertio concludit conclusionem. Circa maior sic procedit : primo ponit eam, et hoc est

quoniam igitur ea. Secundo exemplificat, primo determinando cuius sunt passiones [...] et hoc est dico autem

passiones ; secundo que sunt potentie [...] et hoc est potentias autem etc. Tertio qui sunt habitus dicens habitus

esse secundum quod bene uel male nos habemus penes passiones, et exemplificat, et hoc est habitus autem.

Consequenter ostendit minor sue conclusionis, et primo primam partem, secundo secundam, ibi et propter hec

autem. [...] etc. Consequenter resumit minor et concludit conclusionem dicens quod, si uirtus nec sit passio nec

potentia relinquitur quod sit habitus, et hic est si igitur neque ». 2 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 297vb : « [...] consequenter nouatur

differentiam completiuam uirtutis et procedit sic : primo dat intentionem, docens quod non sufficit dicere

quoniam uirtus sit habitus, sed oportet dicere qualis habitus sit, ut completum habeatur genus predictum et hoc

est dicunt etc. ».

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d’exemples1, il conclut « la définition complète » de la vertu : la vertu de l’homme est,

universellement, ce par quoi l’homme bon est parfait et rend bien son œuvre2.

Kilwardby, par son approche, coïncide en général avec les grandes lignes marquées

par les Commentaires sous forme de leçons ; or, il faut remarquer que son Expositio est, du

point de vue méthodologique, beaucoup plus claire : en bon logicien, Kilwardby explicite

toujours les formes d’argumentation et les procédures utilisées dans le texte, tout en articulant

aussi la structure interne de chacun des arguments.

III.2.4. La Lectura du Pseudo-Peckham

La lecture des chapitres d’Aristote consacrés à la définition de la vertu suscite encore,

chez le Pseudo-Peckham, des réflexions sur la vraie finalité de l’Éthique ; si l’Éthique ne vise

pas la contemplation, mais que nous devenions bons (le maître le répète encore une fois), il

semblerait inutile de rechercher ce qu’est la vertu (car cela ne nous aiderait pas à nous rendre

bons) ; et Aristote a bien expliqué que nous ne recherchons pas ce qu’est la vertu « pour que

nous sachions », mais pour que nous devenions bons, de sorte que la définition de la vertu

semble ainsi être au-delà de l’intention de la doctrine3. Pour éliminer cette inconsistance

(Aristote donne une définition de la vertu là où il n’est pas nécessaire de le faire), le Pseudo-

Peckham rappelle une fois de plus l’utilité de la connaissance, qui « dirige l’homme dans la

droite opération » en lui fixant un objectif ; toutefois, cette connaissance n’est évidemment

pas recherchée comme la fin ultime de la doctrine éthique4.

1 Cf. ce même chapitre, section II.3.1. 2 ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere, C, f. 297vb : « [...] et hoc ostendendo hanc

uniuersalem propositionem : ‘omnis uirtus perficit habens ipsam et opus eius bene reddit’, circa quam sic

procedit : primo ponit ipsam, et hoc est dicendum igitur etc. Secundo inductiue ostendit, inducens in uirtute

occuli et uirtute equi similiter dicens intelligi in aliis, et hoc est uerbi gratia. Venantis partibus diffinitionis,

consequenter concludit totam diffinitionem dicens quod uirtus hominis universaliter est habitus a quo homo

bonus perficitur et opus eius bene reddere ». 3 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXVIII, F, f. 46va, O,

f. 36vb : « De primo sic : superius dixit auctor quod presens opus non est contemplationis gratia sed ut boni

fiamus. Si ergo ad bonum fieri non prodest scire quid est uirtus, uidetur quod in doctrina presenti non sit

dicendum quid sit uirtus. Item ibidem dixit non enim scrutamur ut sciamus quid sit uirtus ergo scire quid est

uirtus preter intentionem presentis doctrine. Ergo in doctrina presenti non est determinandum ». La question est

similairement posée à la XXIVe leçon [citée ci-dessus], où le maître formule aussi la question inverse, en

suggérant (avant de répondre en sens contraire) que l’Éthique n’est pas ut boni fiamus, car elle envisage la

définition de la vertu, une finalité spéculative. 4 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXVIII, F, f. 46va, O,

36vb : « Item diuersitatem actuum sequitur diuersitas habituum, ergo cum scire, uelle et (et om. O) operari sint

actus diuersi, uirtus que derelinquitur ex hiis non potest esse habitus unus. Et sic neque diffinitione una diffiniri.

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La présentation d’une définition de la vertu dans l’Éthique est ainsi suffisamment

justifiée. Pour donner cette définition, Aristote déterminera d’abord le genre de la vertu pour

rechercher ensuite sa différence, en donnant ainsi la définition complète1. La détermination

de ces deux parties de la définition est présentée comme dans les autres commentaires

examinés ; la recherche du genre suit les trois étapes de toute investigation scientifique :

énumérer, définir, démontrer. La différence est pour sa part justifiée par induction à partir

des similitudes prises dans le cas des vertus naturelles :

Premièrement, puisque la vertu est du nombre des <choses> qui sont dans

l’âme, l’auteur énumère ces <choses> qui sont dans l’âme, de sorte qu’il montre

que <l’une> de ces <choses>-ci convient à la vertu comme <étant> son genre.

Deuxièmement, il manifeste chacune de ces <choses> : Or, je dis.

Troisièmement, par l’élimination de deux de ces <choses>, comme par un lieu

<commun ou un argument> à partir de la division, il conclut en troisième

relativement à la vertu : passions. Quatrièmement, il affirme qu’il a été dit ce

qu’est la vertu selon son genre : certes, ce qu’<est>. [...] Cette partie dans

laquelle il requiert la définition quant à la différence est divisée, car premièrement

il dit qu’il ne suffit pas de rechercher ainsi ce qu’est la vertu quant à son genre,

mais que, avec cela, il convient de rechercher la différence. Deuxièmement il

introduit la différence : <il faut> savoir. Troisièmement, il montre que la

différence <établie> est convenable par induction : par exemple, <la vertu> de

l’œil2.

Les passions sont manifestées d’abord par des exemples, ensuite par une quasi-

définition ; similairement en est-il des puissances et des états habituels. Comme le font le

reste des maîtres, Pseudo-Peckham analyse les diverses manières dont les prémisses sont

établies, spécialement la multiplicité d’arguments visant les prémisses mineures « la vertu

n’est pas une passion » et « la vertu n’est pas une puissance ». Les passions et les états

Respondendum quod ad bonum fieri prodest scire quid est uirtus ; unde in precedenti libro dixit auctor quod

cognitio dirigit hominem in rectam operationem sicut signum dirigit sagittantem ad figendum per sagittam et

ideo ad bonum fieri prodest scire quid est uirtus et si non proximo ». 1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXVIII, F, f. 46ra, O,

f. 36va : « Secunda pars diuiditur in duas quia primo inquirit diffinitionem quo ad genus. Secundo quo ad

differentiam (differentiam] diffinitionem O) que cum genere facit diffinitionem ». 2 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXVIII, F, f. 46ra, O,

f. 36va : « [...] primo quia uirtus est de numero eorum que sunt in anima, enumerat auctor ea que sunt in anima

ut ostendat quod illorum conueniat uirtuti sicut genus eius. Secundo manifestat unumquodque illorum dico

autem. Tertio per remotionem (remotionem F] rerationem? O) duorum (duorum F] duarum O) quasi per locum

a diuisione concludit tertium de uirtute : passiones. Quarto dicit quod dictum est quid sit uirtus secundum genus

quid quidem. [...] Pars illa in qua requirit <diffinitionem> quo ad differentiam diuiditur quia primo dicit quod

non sufficit sic inquirere quid sit uirtus quo ad genus. Sed cum hoc oportet inquirere differentiam. Secundo

introducit differentiam sciendum. Tertio per inductionem ostendit illam differentiam esse conuenientem : uerbi

gratia oculi ».

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habituels (le maître ne nous dit rien des puissances) sont compris ici, explicitement, comme

appartenant au genre de la qualité (de sorte que l’habitus contient aussi la disposition, et la

passion ne s’oppose pas à l’action)1.

Or, le Pseudo-Peckham se distingue de la Lectura Abrincensis par la façon d’aborder

le problème méthodologique : là où l’anonyme d’Avranches insinuait (à propos de la vertu

définie comme « état habituel volontaire ») qu’Aristote procédait à la définition de la vertu

sans avoir suffisamment distingué les parties impliquées par une telle définition (car le

volontaire n’avait pas été défini), le Pseudo-Peckham propose que la définition aurait dû

précéder la division, et non pas l’inverse. La raison en est que la définition se fait par

l’antérieur (per priora), alors que la division se fait par le postérieur (per posteriora)2. On

devrait donc définir la vertu avant de la diviser (en procédant ainsi à partir de ce qui est

absolument premier, et non seulement premier quant à nous)3 : mais Aristote envisage

d’abord de diviser la vertu en intellectuelle et morale. Le problème est résolu au moyen de la

délimitation du but poursuivi par l’auteur : il vise uniquement la définition de la vertu morale.

C’est pourquoi la division préalable est nécessaire : parce que la définition concerne

uniquement l’un de ses membres. En donnant ainsi la priorité au moment apriorique du

processus, Pseudo-Peckham semble envisager, par rapport à la définition de la vertu, une

connaissance qui part idéalement de ce qui est premier en soi (per priora), à laquelle, en

conséquence, ne s’applique pas la manière de procéder grossa et typica qui caractérise la

connaissance du bien à partir du sensible. Il revient donc à l’aspect « théorique » de l’Éthique

de définir la vertu.

1 PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXVIII, F, f. 46vb, O,

f. 37ra : « Ad primo ergo obiectum dico quod sine dubio actiones sunt in anima ; sed (sed F] si O) hic accipitur

passio non ut est (est bis O) unus genus rerum diuisum ex opposito (opposito F] oppositio O) contra actionem,

set prout facit tertiam speciem (speciem om. F) qualitatis quo certe quomodo (quomodo F] modo O) non

diuiditur contra actionem. Preterea, actio que est ab anima potest habere causam intra et sic reducitur ad actum.

Ad aliud dico quod hic non appellatur habitus prout dicitur qualitas difficile mobilis set prout nominat omne

(omne F] esse O) acquisitum in anima per se siue non causatum in ea ab extrinseco et sic patet quod dispositio

potest dici habitus et sub habitu continetur ». 2 Sur la convenance de faire connaître le postérieur par l’antérieur, voir ARISTOTE, Topiques, VI, 4, 141b15. 3 Notons que le maître ne pense pas ici à la distinction des éléments se trouvant dans l’âme, mais à la distinction

entre vertus intellectuelles et morales.

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IV. Bilan

Une vision d’ensemble très claire se dégage de cette analyse des premiers

commentaires artiens sur l’Éthique en ce qui concerne la place de cette discipline dans la

hiérarchie des sciences et sa méthodologie particulière. Certains éléments communs sont

présents avec une régularité remarquable, qui n’exclut pourtant pas les particularités de

chaque texte.

On remarque d’abord (déjà dans la discussion sur la place occupée par la science

morale) le besoin de comparer l’éthique au reste des sciences : il ne s’agit pas seulement de

déterminer si la science morale peut ou non être supérieure aux autres (rappelons que la

philosophie morale, ou encore la science civile, occupe dans les commentaires de l’anonyme

de Paris et du Pseudo-Peckham une place privilégiée et qu’elle semble parfois se placer au-

dessus de la science divine), mais aussi de savoir exactement en quoi la morale se différencie

des sciences prises au sens strict. Or, malgré sa supériorité sous d’autres aspects, la science

morale semble être inférieure aux autres sur le plan méthodologique.

Cet intérêt pour les rapports entre l’éthique et « les autres » sciences (identifiées

clairement à la philosophie rationnelle et la philosophie naturelle) se manifeste aussi dans la

discussion artienne sur la méthodologie décrite par Aristote. L’Éthique présente aux yeux

des maîtres une dualité méthodologique qui répond à sa double finalité (finalité qu’ils

reconnaissent dans la dichotomie contemplationis gratia – ut boni fiamus). L’éthique, science

pratique, vise l’action comme sa finalité principale (ut boni fiamus) ; mais elle a aussi, en tant

qu’elle transmet une connaissance sur des notions générales (vertu, félicité, etc.), un aspect

théorique et contemplatif (contemplationis gratia). Or, cet aspect théorique ou contemplatif

ne se confond pas avec la contemplation dans son sens, pour ainsi dire, plus technique, selon

lequel la contemplation est une vertu intellectuelle (définie à la manière artienne :

contemplation amoureuse de Dieu ou du premier principe). Pour le mot contemplatio, les

maîtres distinguent deux sens condensés dans la phrase comparant l’éthique aux sciences

théorétiques : quemadmodum alia (« comme les autres ») : si alia est compris comme se

rapportant aux vertus intellectuelles, alors la finalité pratique de l’éthique ne peut pas

dépasser sa finalité contemplative ; mais aux yeux des maîtres, Aristote suppose par ce alia,

tout simplement, les sciences théorétiques (ici, la rationnelle et la naturelle), subordonnées à

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la finalité pratique, de sorte que l’éthique peut comporter aussi une dimension théorique qui

la rapproche des sciences au sens « propre » : de ce point de vue, l’éthique peut se servir de

la méthodologie adéquate à toute science : division, définition, démonstration, induction. Or,

en tant qu’elle vise une finalité pratique (« devenir bons ») imbriquée dans des circonstances

singulières et variables, il appartient à l’éthique de procéder d’une manière spéciale, à savoir

en gros (grosse, par opposition aux sciences démonstratives) et de manière schématique et

non certaine (typo et non certitudinaliter, à partir des similitudes avec les sensibles, ou encore

par paraboles), ou exemplaire (exemplaris, c’est-à-dire en partant des cas singuliers).

Cette duplicité méthodologique est parfois associée à la distinction per priora / per

posteriora, qui semble s’identifier aux côtés théorique (docens) et « appliqué » (utens) de

l’éthique : ainsi, procéder grosse équivaut à procéder per posteriora, tandis que le mode

subtil ou docens s’assimile à la connaissance universelle procédant per priora. Or, cette

assimilation paraît effacer la prépondérance de la finalité pratique de l’éthique, devenir bons :

en analysant la manière dont les maîtres définissent la vertu, nous remarquons que les modes

typicus, grossus, incertus, parabolicus, figurativus et exemplaris ne visent pas l’action, mais

cherchent plutôt à connaître la vertu par sa définition, toutefois à partir de ce qui est premier

selon nous. Ceci n’empêche pas que cette connaissance théorique vise ultimement l’action ;

mais le rapport entre la méthodologie propre à l’aspect appliqué de la science transmise dans

l’Éthique et l’action elle-même n’est pas direct.

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Conclusion

Nous avons traité dans ce travail un certain nombre d’aspects liés à la Lectura

Abrincensis in Ethicam Veterem en particulier, et aux premiers commentaires artiens sur

l’Éthique en général. Il convient maintenant de mettre au net ceux de ces aspects les plus

importants.

Concernant la Lectura Abrincensis, on a déterminé certains points remarquables qui

ne se trouvent pas ainsi établis dans la littérature spécialisée. D’abord, on a apporté des

précisions sur la date de composition en montrant qu’il n’y a pas de raisons de considérer ce

commentaire plus ancien que les autres : la date 1230-1240 place ce commentaire dans la

même période que le Commentaire de Paris et le Commentaire de Naples, à côté des textes

didascaliques comme le Guide de l’étudiant parisien. D’ailleurs, les parallèles avec le

Commentaire de Paris, tant du point de vue structurel que du point de vue doctrinal, placent

ces deux textes dans un même milieu intellectuel ; d’autres parallèles doctrinaux avec

d’autres commentaires artiens (ceux de Kilwardby et du Pseudo-Peckham sur l’Éthique, mais

aussi les commentaires artiens sur les Catégories) confirment que la Lectura Abrincensis est

issue de la Faculté des arts de Paris, où l’auteur anonyme entretient sans aucun doute des

rapports avec ses collègues. On a aussi examiné la cohérence interne du traité. La division

établie au début du livre II concorde parfaitement avec le propos annoncé dans le Prologue

(§ 20) : traiter des quatre causes de la vertu (finale, matérielle, formelle et efficiente). Qui

plus est, les renvois fréquents au premier livre de l’Éthique, avec l’inclusion de celui-ci dans

le plan général du travail, permettent de conjecturer que le maître anonyme a commenté aussi

l’Ethica Nova.

Or, il importe également de déterminer ce que la Lectura Abrincensis, mise en rapport

avec le reste des commentaires artiens de la période 1230-1245, peut nous apprendre sur la

toute première réception de l’Éthique dans l’Occident latin ; voilà ce que nous avons tenté de

faire dans la deuxième partie de cette thèse, en explorant les problèmes concernant le statut

et la méthodologie de l’Éthique. Ce deuxième aspect du travail nous amène à considérer deux

points :

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Les préjugés de l’historiographie sur les maîtres ès arts. Nous avons évoqué dans

l’introduction les préjugés qui pèsent encore sur les commentaires artiens de la période 1230-

1245. Après avoir examiné en profondeur les textes artiens, nous pouvons conclure que

l’interprétation artienne de l’Éthique ne se laisse pas ranger sous cette vision, quelque peu

simplifiée, de la mésinterprétation chrétienne du texte impliquant des éléments comme la

christianisation de la vertu et de la contemplation, la compréhension de l’Éthique comme

« guide » pour l’action vertueuse concrète et l’utilisation des catégories théologiques comme

guides décisifs de l’interprétation, entre autres. Les maîtres ès arts ont effectivement compris

la vertu intellectuelle et la félicité comme contemplation amoureuse du premier principe :

mais rien n’empêche de penser qu’ils le font en philosophes1 : l’assimilation au premier

principe grâce à la fronesis sera l’un des points remarquables des interprétions plus tardives

de l’Éthique. En plus, les maîtres n’excluent aucunement la notion de contemplation comme

connaissance théorique pure et simple ; en fait, dans l’interprétation du lemme aristotélicien

contemplationis gratia, c’est ce deuxième sens qui prévaut sur le premier. Or cette

contemplation théorique est comprise comme une étude proprement scientifique de la vertu

et de la félicité, dont l’application à l’action concrète est considérée comme sa finalité ; mais

cette application ne semble pas pouvoir se faire directement.

En ce qui concerne l’utilisation des catégories théologiques comme guides

interprétatifs de l’Éthique, on ne peut nier que les maîtres se servent très souvent des éléments

issus des textes théologiques de l’époque ; mais ils n’en font pas des éléments « décisifs ».

Les maîtres se servent bien souvent aussi, voire davantage, des catégories nettement

philosophiques issues des textes païens : nous avons vu jusqu’à quel point le texte des

Catégories s’avère crucial dans la compréhension de la notion de vertu2 et comment, devant

les nouveaux textes aristotéliciens traduits aux XIIe et XIIIe siècles (l’Éthique et la

Métaphysique, entre autres), les maîtres cherchent à les accorder avec les textes du corpus

aristotélicien déjà connus.

La conception artienne de l’Éthique : points communs. L’étude de la problématique

liée à la conception méthodologique de l’Éthique a aussi permis de mettre en relief une série

1 Cf. ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IV, § 26, notre édition : « Felicitas autem,

sicut ponunt philosophi, est in cognitione summi boni ». 2 Ce qui s’applique aussi aux textes théologiques.

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d’outils philosophiques que les maîtres ès arts partagent au-delà de toute différence

doctrinale : l’application universelle des outils méthodologiques fournis par la logique à

toutes les sciences humaines (qui amène les maîtres à trouver la manière de faire de l’éthique

une science comme les autres, du moins selon son aspect théorique), la compréhension de

l’Éthique comme une doctrine, c’est-à-dire comme la transmission d’une connaissance

véritable sur un sujet déterminé (dans le cas de la Lectura Abrincensis, connaissance de la

vertu par ses causes – et donc connaissance proprement scientifique), ou encore la distinction

entre deux sens différents de contemplatio (l’un, plus technique, l’autre, plus général)

permettant de faire rentrer l’Éthique dans l’édifice des sciences démonstratives (quoique la

notion de démonstration soit parfois comprise dans le sens d’une démonstration à partir des

prémisses probables).

Or, tous ces éléments communs semblent converger dans une sorte de rupture

méthodologique : il y a en effet un décalage entre le « manifeste » méthodologique de

l’Éthique (ou sa forma tractandi) et la méthodologie effectivement appliquée dans les textes.

Bien que la finalité principale de l’Éthique soit de « devenir bons » et que la méthodologie

appropriée à cette finalité s’adapte aux conditions de sa réalisation (car on devient bon par

les actions, toujours variables) en étant « schématique » ou « non certaine », l’Éthique est

conçue par les maîtres, avant tout, comme un examen purement spéculatif de la vertu, par

lequel on détermine ses causes et sa définition (per priora et per posteriora), de sorte que

« savoir ce qu’est la vertu » (la finalité secondaire ou « subordonnée » de l’Éthique) devient

prépondérant. Partant, une telle approche de l’Éthique ne peut être comprise que comme

philosophique.

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Troisième partie : ANONYMI MAGISTRI ARTIVM LECTVRA ABRINCENSIS IN ETHICAM VETEREM

(ca. 1230-1240). Édition critique et traduction française sélectives

Chapitre I : considérations générales

I. Le manuscrit

Le texte de la Lectura Abrincensis ne nous est parvenu que dans un seul manuscrit,

conservé aujourd’hui à la Bibliothèque municipale de la ville d’Avranches ; il fait partie des

nombreux codices provenant de l’Abbaye du Mont Saint-Michel : il s’agit du codex

Avranches, Bibliothèque municipale, 232, où la Lectura Abrincensis occupe les folia 90r-

123r. Une version numérisée de ce codex est disponible en ligne depuis l’année 2015 dans la

Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux, créée par l’Institut de recherche et

d’histoire des textes (IRHT-CNRS)1. On s’est aussi servi des microfiches disponibles au

Laboratoire de Philosophie Ancienne et Médiévale (LAPAM) de la Faculté de Philosophie de

l’Université Laval. Nous n’avons pas eu l’occasion de vérifier nos lectures sur le manuscrit

original.

Le codex rassemble de nombreux textes philosophiques (dont plusieurs textes

aristotéliciens) copiés entre la fin du XIIe et le XIVe siècle2 ; le morceau correspondant à la

Lectura Abrincensis a probablement été copié vers le milieu du XIIIe siècle (ou après),

comme l’indique l’inclusion, dans les folia 123r-125v, du commentaire du Pseudo-Peckham

(copié par la même main que les folia précédents), qui date d’au moins 1240. On a eu

l’occasion de citer les descriptions générales de ce manuscrit ; on voudrait ajouter ici des

précisions concernant la partie contenant la Lectura Abrincensis.

Certains éléments laissent voir que le texte copié aux f. 90r-123r ne peut aucunement

être le texte original de la Lectura : le texte présente un nombre très élevé de leçons fautives

qui, en l’absence d’un deuxième témoin, sont confirmées par des textes parallèles utilisant

des sources communes (ou étant eux-mêmes la source de notre texte), par leur évidence et

1http://bvmm.irht.cnrs.fr/mirador/index.php?manifest=http%3A%2F%2Fbvmm.irht.cnrs.fr%2Fiiif%2F17932

%2Fmanifest, consulté le 19 mars 2017. 2 Selon les indications de Ravaisson (Rapports, p. 165), qui n’indique pas s’il s’agit du début, du milieu ou de

la fin du XIVe siècle.

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leur systématicité, ou encore par les corrections ajoutées a posteriori par une deuxième main.

Ce deuxième (ou peut-être troisième) copiste s’est d’ailleurs occupé de remplir les lacunes

laissées par le premier en confrontant systématiquement le texte copié avec le modèle, ce qui

fait preuve du soin avec lequel ce commentaire a été produit.

Quant au nombre de copistes qui sont intervenus, on peut en distinguer au moins

deux : le scribe qui a copié le modèle, et le correcteur, qui, en plus de remplir en maintes

occasions le texte manquant dans les lacunes, a parfois ajouté, dans les marges (avec une

encre très pâle et presque illisible, comme si on voulait que la lacune soit postérieurement

remplie par le copiste original), le mot à copier dans ces lacunes. Ces corrections ne sont

visibles que dans la version numérisée du manuscrit. En voici quelques exemples : au folio

100v on lit dans la marge inférieure gauche ex parte (correction ajoutée dans le corps du

texte) ; au folio 108r on lit dans la marge de droite reddit (la correction ayant été ajoutée dans

le corps du texte) ; au folio 121v, dans la marge inférieure droite, on trouve le mot perfectio

(ajouté aussi dans le corps du texte). Certaines lacunes n’ont pas été remplies (f. 100v, f.

101r), et on ne trouve pas de corrections ajoutées dans les marges.

Or, on peut se questionner sur l’intervention d’une troisième main (outre celle du

premier copiste et celle du correcteur) : les f. 90r-92r sont copiés d’une main d’écriture très

allongée ; l’espacement entre les mots est notable. D’ailleurs, ces premiers folia exhibent

certaines erreurs systématiques de copie (attribuables à l’incompétence du copiste pour

interpréter les abréviations du modèle) qui disparaissent par la suite : on trouve in où il faut

sans aucun doute lire est ; ou encore contra où il faut lire circa. Nous en recensons plusieurs

exemples dans le Prologue :

quod in sanitas au lieu de quod est sanitas (§ 2, in fine)

in determinatiua au lieu de est determinatiua (§ 3)

in magnanimitas au lieu de est magnanimitas (§ 16, in fine)

contra actum au lieu de circa actum (§ 13, in fine)

contra uitam au lieu de circa uitam (§ 16)

À partir du folio 92v, l’écriture devient moins homogène, et l’espacement entre les

mots est plus serré ; l’écriture (qui formait aux premiers folia une ligne assez droite) se fait

plus hésitante et ses erreurs systématiques diminuent. On peut donc penser (sans toutefois

pouvoir l’affirmer hors de tout doute) qu’un nouveau copiste a très vite remplacé le premier.

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II. Les divisions du texte

À la différence de la plupart des commentaires parisiens, le texte ne présente pas, dans

la copie que nous avons conservée, des divisions claires (qui étaient sans aucun doute

présentes dans la version originale du texte). Les différentes sections du texte (divisio,

sententia, questiones, solutiones, etc.) ne sont pas marquées par des signes de paragraphe

sinon que très exceptionnellement, ce qui rend la lecture du texte difficile. Le début de chaque

leçon n’est pas toujours indiqué : on emploie d’abord un signe de paragraphe (placé dans les

marges extérieures du texte) qui cesse d’apparaître à la quatrième leçon. Quant à la division

du commentaire selon la division des livres de l’Éthique, elle est un peu plus notoire : des

rubriques sont ajoutées dans l’incipit (f. 90r) et au commencement du troisième livre (Lectio

VIII, f. 108r)1. Toutes les divisions internes du texte ont en conséquence été ajoutées par

nous. On les indique entre crochets obliques (< >) afin de signaler qu’il s’agit d’une

intervention éditoriale.

Après avoir examiné le manuscrit, nous avons établi la division en Lectiones de la

manière suivante :

Tableau 7: Lectura Abrincensis. Index lectionum

LECTIO

FOLIA

LEMMA

Prohemium

90r-91r Omnis doctrina alicuius boni esse operatrix uidetur (I.1,

1094a1-2)

I 91r-92v Duplici autem (II.1, 1103a14)

II 92v-94v Quoniam igitur presens opus (II.2, 1103b25)

III 94v-97r Signum autem oportet facere (II.2, 1104b3)

IV 97r-99r Queret autem aliquis (II.3, 1105a17)

V 99r-101v Post hec autem quid sit uirtus scrutandum (II.4, 1105b19)

VI 101v-106r Non autem omnis operatio suscipit medietatem (II.6, 1107a8)

VII 106r-108r Tribus utique existentibus (II.8, 1108b10)

VIII 108r-111r Virtute utique (III.1, 1109b30)

IX 111r- 113v Quod autem per ignorantiam (III.2, 1110b17)

X 113v- 116r Determinatis autem uoluntario et inuoluntario (III.4,

1111b3)

XI 116r-118r Videtur autem <his> quidem boni (III.6, 1113a16)

XII 118r- 120r Si non ignorans (III.7, 1114a12)

XIII 120r-123r Quoniam igitur medietas (III.9, 1115a6)

1 Dans ce cas, l’initiale ‘v’ est écrite en noir dans la marge de gauche, pour servir de guide au rubricator.

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III. La présente édition

N’ayant pas la possibilité d’utiliser un témoin parallèle pour rectifier les leçons

fautives, on a amendé le texte du seul manuscrit A là où la leçon nous semblait manifestement

fautive. Afin d’éviter, autant que possible, l’introduction de nouvelles erreurs, on a tenté de

fonder les corrections apportées au texte tant sur des sources parallèles qu’à partir des

parallèles trouvés à l’intérieur du texte. Quand ces ressources ont fait défaut, on a essayé de

rétablir la leçon correcte en faisant appel au sens commun, à la lecture d’ensemble du texte

et aux parallèles doctrinaux avec le reste des commentaires sur la Vetus.

Toutes les modifications introduites dans le texte sont indiquées en note de bas de

page ; il en va de même pour les sources potentielles de notre texte.

L’emploi des majuscules dans le manuscrit n’est pas systématique. Nous les ajoutons

notamment au début de chaque nouvelle phrase ; au début des noms propres ; et au début des

titres d’ouvrages. On emploie aussi les majuscules dans les expressions renvoyant à Dieu en

tant que créateur : Facientis, Opifice, etc. ; mais on s’abstient de les ajouter à des expressions

telles que summo bono, prima essentia, superioris essentia, etc.

La ponctuation est aussi le fruit de notre intervention (la ponctuation présente dans

le texte étant employée de manière fort asystématique et ne répondant pas à l’usage moderne).

Les lemmes et les titres d’ouvrages sont indiqués en italiques ; nous réservons les

simples apostrophes (‘’) pour enfermer les mots ou les phrases faisant l’objet d’une mention.

Pour ce qui est de l’orthographe, on a tenté de maintenir les formes les mieux

attestées dans notre manuscrit. Toutefois, il a été nécessaire d’imposer une certaine

uniformité. Ainsi, nous utilisons toujours les graphies u et i, mieux attestées que v et j (qui

n’apparaissent que rarement). Devant les voyelles, nous avons préféré la forme -ti- au

détriment de la forme -ci- (étant toutes les deux difficilement distinguables dans le codex).

Les diphtongues æ et œ ne sont pas attestées dans le manuscrit ; nous ne les avons pas

restituées.Certains mots présentant une orthographe variable ont été uniformisés selon la

forme la mieux attestée ; c’est le cas, par exemple, du mot typum et des formes en dérivant.

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201

Ainsi, on écrit typum, typicum, typo au lieu de tipum, topicum1, thipo etc. ; nous avons

pourtant conservé les formes archetipus et zelotipus. Nous avons aussi conservé, sans

correction, la forme Methaphysica.

IV. La traduction

La traduction essaie de conserver, partout où cela est possible, la structure et l’ordre

du texte latin. Nous tentons ainsi de rester fidèle au texte latin.

Les termes latins les plus significatifs sont souvent traduits de manière uniforme ;

certaines exceptions sont faites en vue de la clarté conceptuelle du texte ; c’est le cas, par

exemple, du verbe derelinquor, que nous traduisons alternativement par « être laissé »,

« résulter », « laisser », etc. Parfois, c’est la polysémie de certains termes qui impose le besoin

de varier la traduction ; des termes comme ratio, intellectus, intelligere ne se laissent pas

traduire toujours de la même manière et prennent des significations diverses. Dans le cas

nécessitant un plus grand éclaircissement, nous avons ajouté entre parenthèses le terme latin

que nous traduisons.

Dans les cas où les termes latins ont des rapports qu’il faut souligner, nous essayons

de rendre ces rapports visibles dans la traduction ; toutefois, fidèle à l’usage le plus répandu,

nous avons choisi de traduire virtus consuetudinalis par « vertu morale », tout en indiquant

le terme latin là où il s’avère pertinent pour la compréhension du texte (par exemple, quand

il faut souligner les rapports entre consuetudinalis et consuetudo).

1 Sauf quand ce mot fait référence au livre des Topiques, cas dans lequel on conserve évidemment la forme

(liber) Topicorum.

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202

Chapitre II. Édition du texte

CONSPECTVS SIGLORVM

A = ms. Avranches, Bibliothèque municipale, 232, f. 90r-123r

[ ] indique les mots retranchés

< > indique les mots ajoutés

<***> = lacuna

cancell. = cancellauit

del. = deleuit

dub. = dubius

exp. = expunxit

in marg. = in margine

pA = indique le premier état de A (codex ante correctionem)

sA = indique le second état de A (codex post correctionem)

scr. = scripsi

sup. lin. = supra lineam

supp. = suppleui

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203

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM

LECTVRA ABRINCENSIS IN ETHICAM VETEREM

(ca. 1230-1240)

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204

<PROLOGVS>

{f. 90r-91r}

<§ 1> {f. 90r} Omnis doctrina alicuius boni esse operatrix1 uidetur2 ; et iterum, omnis

doctrina aliquod bonum exoptat. Cum ergo non idem bonum proximum3 exoptatum a diuersis

doctrinis – tres autem sunt4 partes doctrine, sicut tres partes philosophie humane –, erit triplex

bonum respondens hiis tribus partibus, scilicet bonum5 moralis philosophie, et bonum

naturalis et bonum rationalis. Sunt autem partes naturalis philosophie ordinate ad bonum

humanum quod est6 sanitas7 ; partes uero rationalis philosophie ad bonum humanum quod

est scientia coniuncta intentioni doctrine ; bonum autem moralis philosophie est felicitas siue

uirtus.

<§ 2> Quod autem sit triplex bonum humanum, et non amplius, perpenditur ex

consideratione uite. Vita enim [aut] est in corpore8 per animam, et sic hominis, et huius [in]

complementum sanitas conseruata usque ad terminum qui sibi positus est ab Opifice. Vita9

uero spiritualis est duplex10 : una qua uiuit anima per scientiam rerum et alia qua uiuit

participatione felicitatis ut uirtutis.

<§ 3> Est autem, sicut dictum est prius11, naturalis philosophia que habet has duas

partes : mathematicam et phisicam, ordinatam ad bonum quod est12 sanitas, testante

YSIDORO13 quod sic perpenditur in mathematica : mathematica enim unaqueque ad

1 operatrix sA] operatrix t pA t exp. 2 ARISTOTE, Ethica Nova, I, 1 (1094a1-2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 65, l. 4-5 : « Omnis ars

et omnis doctrina, similiter autem et operatio et proheresis, boni alicuius operatrix esse videtur ». 3 proximum scr.] proximo A 4 sunt scr.] sint A 5 scilicet bonum scr.] bonum scilicet A 6 est sA] est scientia coniuncta pA scientia coniuncta exp. 7 sanitas scr.] insanitas A 8 corpore scr.] corporis A 9 uita scr.] uirtus A 10 PSEUDO-AUGUSTIN, De spiritu et anima, ch. IX, éd. MIGNE, col. 784-785 : « Duplex est quidem vita animae ;

alia qua vivit in carne, el alia qua vivit in Deo. Duo siquidem in homine sensus sunt, unus interior, et unus

exterior, et uterque bonum suum habet in quo reficitur. Sensus interior reficitur in contemplatione divinitatis,

sensus exterior in contemplatione humanitatis ». 11 Voir ci-dessus, § 1. 12 est scr.] in A 13 Ysidoro scr.] presidoro A

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astrologiam1 ordinatur, quia scientia2 uero est3 determinatiua proprietatum que accidunt4 in

inferioribus secundum motum superiorum5 – penes quas accidit alterationem fieri et

conseruationem sanitatis complexionalis in humano corpore6. Sumus enim et nos,

quodammodo, finis omnium que sunt7.

<§ 4> Naturalis philosophie inferior8 pars est ordinata ad materialem naturam

sanitatis que est in calidis et frigidis et humidis et siccis et consequentibus huius ; quod patet

1 astrologiam scr.] astitus A 2 quia scientia scr.] qui scrutando A 3 est scr.] in A 4 accidunt scr.] accidit A 5 Sur la façon dont les corps supérieurs agissent sur les inférieurs, voir la leçon X, où l’auteur explique le lemme

solsticiis aut ortibus (ÉN III, 5, 1112a25-26). ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio X,

A, f. 115v : « Et per solsticium intelligit elongationem et propinquationem maximam solis, secundum quem

principaliter facta impressio effectuum in inferioribus tamquam luminare principalis ». 6 Nous n’avons pas trouvé cette citation chez Isidore, mais elle lui est attribuée aussi par Jean de Sicile, dans

son commentaire sur Azarchel. Voir IOHANNES DE SICILIA, Scriptum super canones Azarchelis de tabulis

Toletanis, éd. PEDERSEN, J5, f, p. 4 : « […] quod etiam dicit Isidorus manifeste, quod astronomia est

determinativa proprietatum quae accidunt in inferioribus penes motum superiorum » ; voir aussi J13, b-c, p. 6-

7 : « [...] cum ad eam [c’est-à-dire, ad stellarum scientia], sicut dicit Isidorum, sit mathematicarum scientiarum

quaelibet ordinata [..] ». Sur cette ordination des différentes parties de la mathématique à l’astrologie voir aussi

ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), éd. ZAVATTERO, p. 21, l. 64-68 : « Et

sic patet quod sciencia metaphisice est propter hominem. Item omnes mathematice ordinantur ad astrologiam.

Set astrologia est propter unionem anime humane cum corpore quia motus corporum supercelestium, de quo

determinat astrologus, est propter huiusmodi unionem. Et sic patet quod omnes sciencie naturales sunt propter

hominem » ; OLIVIER LE BRETON, Philosophia, éd. C. LAFLEUR et J. CARRIER, dans LAFLEUR et CARRIER (éds),

L’enseignement de la philosophie au XIIIe siècle, p. 474-487 : « Si sit mathematica de quantitate continua

mobili, sic est astronomia, ad quam tam triuium quam quadruuium ordinatur, cuius libros <et> actores

innumerabiles ad recitandum complete uix sufficeret unus dies [...] » ; GUI BONATTI, De astronomia tractatus

X universum quod ad iudiciariam rationem Natiuitatum, Aëris, Tempestatum, attinet, coprehendentes (vers

1277), Basel, 1550, ch. III, 3 : « […] quidam inuidentes dicant quod Astronomia sit nihil. Certum est ipsam

esse unam ex quatuor mathematicis, scilicet nobilior […] quoniam subiecta aliarum Mathematicarum sunt infra

subiectum Astronomiae. Subiectum enim Arithmeticae est numerus, geometriae mensura, musicae consonantia,

sicut alibi dicitur, quae sunt nobiliora, ratione demonstrationis tamen. Subiectum uero astrologiae est qualitas

motus supercoelestium corporum ». Sur l’inclusion de la médecine dans le domaine de la physique, voir ISIDORE

DE SÉVILLE, Liber differentiarum II, éd. M.A. ANDRÉS SANZ, Isidori Hispalensis liber differentiarum

[II],Turnhout, Brepols (coll. « Corpus christianorum » series latina, CXI A), 2006, p. 97, l. 7-9, p. 99, l. 24-25 :

« […] ad fisicam pertinere aiunt disciplinas septem, quarum prima est arithmetica, secunda geometrica, tertia

musica, quarta astronomia, quinta astrologia, sexta mechanica, septima medicina […] Medicina est scientia

curationum, ad temperamentum corporis uel salutem inuenta ». 7ARISTOTE, Physica Vetus, II, 2 (194a34-35), trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 54, l. 1-3 :

« […] et utimur tamquam propter nos omnibus que sunt (sumus enim quodammodo et nos finis [...]) » ;

ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), éd. ZAVATTERO, p. 19 : « Sicut dicit

Aristotiles in secundo Physicorum nos sumus finis omnium eorum que sunt » ; PSEUDO-IOHANNES PAGUS, Sicut

dicit philosophus, éd. LAFLEUR, § 5, p. 145-147 : « Tertio modo potest appellari ‘omnia’ quia est ‘finis omnium’

secundum quod scribitur in secundo Phisicorum quod nos sumus quodam modo finis omnium. Celestia enim

corpora mouent elementa, elementa autem ordinatur ad mixtum, mixtum uero ad uitam, uita ad sensum, sensus

ad intelligentiam ; et ibi est status totius nature ». 8 inferior sA] superior pA in sup. lin.

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decurrendo1 per partes naturalis philosophie inferiores2 ; unde, cum hec sit diffinitio

sanitatis, ‘sanitas est3 commensuratio4 calidorum et frigidorum, humidorum et siccorum in

se et ad continens’5, ex parte materialis nature ordinatur inferior pars philosophie ; ex parte

uero commensurabilis6 ad continens – cum ʻcontinensʼ dicatur principaliter corpus

circumdans elementa7, quod facit impressionem super corpora materialia – ordinabitur

naturalis philosophie superior pars.

<§ 5> Rationalis uero philosophia ordinata est ad scientiam secundum quod

interpretata affectuum ueri et boni ; quod patet facta consideratione in partibus eius.

Materialiter uero naturalis philosophia, iam dicta, <ordinata> est ad eumdem finem.

<§ 6> Moralis uero philosophia ordinata est ad bonum quod est felicitas siue uirtus ;

quod patet in partibus eius moralis philosophie.

<§ 7> Si ergo consideremus8 partes [moralis] philosophie prout participat optimum a

fine, [et] erit melior <pars> que est ad melius. Quare uidebitur moralis philosophia esse

melior aliis. Propter quod intelligendum quod melior dicitur pars philosophie altera [altera]

uel quia est de meliori, uel quia in forma meliori, uel quia est ad melius proximo9.

1 decurrendo sA] decurendo pA 2 inferiores scr.] inferiorum A 3 est scr.] in A 4 commensuratio scr.] commentario A 5 ARISTOTE, Physica Vetus, VII, 3 (246b3-6), trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 266, l. 1-4

et apparatus : « Habitus enim virtutes et malitie sunt, virtus autem omnis et malitia ad aliquid sunt, sicut sanitas

quidem calorum et frigorum mensuratio quedam est aut eorum que sunt infra ad continens ». Certains témoins

offrent le mot commensuratio (au lieu de mensuratio) comme traduction alternative de symmetria : cod.

Cantabrigensis, bibl. Coll. Gonv. et Caii 452/379 ; cod. Vindobonensis, bibl. nation. 87 ; cod. Patavinus, bibl.

Anton., Scaff. XX, 428. 6 commensurabilis scr.] commenturalis A 7 elementa scr.] tria uel circa A 8 consideremus scr.] consideremur A 9 ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), éd. ZAVATTERO, p. 22, l. 105-110 :

« Et dicendum est quod sciencia dicitur esse certior et melior alia tribus modis, scilicet aut quia est de meliori,

aud quia fit certiori modo vel meliori, aut quia est ad meliorem finem. Et rationalis dicitur esse de certiori et

meliori quia modo meliori, et naturalis forsitan quia de re meliori ; set moralis est ad finem meliorem sicut ad

felicitatem, et ideo melior est simpliciter, et ideo alia ordinatur ad ipsam » ; PSEUDO-PECKHAM, Lectura in

Ethicam Novam et Veterem, F 7rb ; O f. 6vb : « Ad (et ad F) hoc ultimum dicendum quod scientia dicitur esse

(esse om. O) nobilior et certior alia tribus [de] causis : uel quia de nobiliori et certiori, uel quia modum (quia

per modum O) procedendi habet nobiliorem [...], uel propter nobiliorem finem intentum secundum scientiam.

Et quo ad hoc ultimum potest dici quod ciuilis dicitur hic principalis et est nobilior quam ipsa. Quo ad modum

procedendi prima philosophia nobilior. Quo ad illud de quo diuido : quia uel loquimur de illo de quo est utraque

secundum substantiam eius – et sic si dicamus quod philosophia prima (prima philosophia O) sit de diuinis et

ista de diuinis in hoc non posset esse preeminentia (preeminentius O) ; uel possumus considerare illud de quo

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<§ 8> Primo modo est scientia diuina melior : est enim de summo bono. Secundo

uero modo est naturalis philosophia melior secundum aliquam sui partem. Est enim <in>

meliori forma, procedit1 certitudinibus2, enim docetur3. Tertio uero modo moralis

philosophia4 melior quia magis ordinat ad felicitatem acquirendam. Quo habito, restat

querere de quo est et que sit eius diuisio secundum partem de qua nunc intentio <est>.

<§ 9> Est enim de uirtute prout est illud quo habetur felicitas. Oportet ergo intelligere

uirtutis diuisionem. Dimittatur autem uirtus naturalis, quia de ea non est intentio sibi ; et5

dimittatur uirtus que est propria speculationis theologice ; et sumatur hec diuisio uirtutis

humane per duas6 differentias que sunt intellectualis et consuetudinalis. Nam anima nata est

ordinari in bono uel ab essentia a qua perficitur, uidelicet prima essentia, uel etiam

comparatione essentie quam nata est perficere.

<§ 10> Est autem nata perfici ab essentia prima. In qua comparatione habet uirtutem

intellectualem eo quod non potest ei coniungi nisi per cognitionem et affectum, quorum unum

est speculatiui intellectus, alterum uero actiui7. Vnde uirtus predicta in cognitione et affectu

consistit8.

est utraque non secundum substantiam, sed secundum rationem secundum quam consideratur. Dico ergo quod

si philosophus primus consideret bonum diuinum, considerat ipsum sub ratione ueri, et si ciuilis ipsum

considerat, considerat ipsum sub ratione boni, et quia ipsum est nobilius consideratum sub ratione boni (et quia

ipsum est nobilius consideratum sub ratione boni om. O) quam ueri, ideo ratione eius de quo est potest dici quod

(quedam O) doctrina ciuilis nobilior est. Et secundum hoc patet solutio omnium obiectorum ». 1 procedit scr.] procedunt A 2 certitudinibus scr.] certitudinabus A 3 CASSIODORE, Institutiones, II, Praef., 4, éd. MYNORS, p. 92, l. 3-7 : « Mathematicam vero Latino sermone

doctrinalem possumus appellare ; quo nomine licet omnia doctrinalia dicere possimus quaecumque docent, haec

sibi tamen commune vocabulum propter suam excellentiam proprie vindicavit [...] ». 4 philosophia sA] philosophia q pA 5 sibi et scr.] et sibi A 6 duas scr.] naturas A 7 actiui scr.] altiui A 8 ARISTOTE, Metaphysica, II, 2 (993b20-21), trad. ANONYME (siue‘Media’), éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 37, l. 1 :

« Nam theorice finis est veritas et practice opus » ; ANONYME, De anima et de potenciis eius, éd. GAUTHIER, p.

48 : « […] sequitur de potentia rationali. Sumitur enim ratio quandoque ut cognitiva, quandoque ut affectiva.

Et quod verius est, una et eadem potencia, que primo dicitur cognitiva respectu veri, cum iudicat illud esse

bonum et afficitur circa illud, dicitur affectiva respectu boni, ita ut prima ratio sit speculativa, secunda sit

practica, id est operativa, quia inperat motus » et p. 50 : « Sequitur de intellectu separabili, cuius una pars est in

cognitione veri, alia pars est in affectione boni. Pars illa que est in affectione boni dicitur intellectus practice,

altera pars dicitur intellectus speculatiuus » ; PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 193 l.

33-36 : « Cum sit quedam uis anime contemplatiua ueri […] erit altera similiter in bonum affectiua ».

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<§ 11> Secundum uero reliquam comparationem, quam habet ad corpus – quod

natum est perfici ab ea–, erit uirtus consuetudinalis, que alio nomine dicitur ‘politica’1.

Dicitur enim ‘consuetudinalis’ quia consuetudine firmatur, ‘politica’ uero quia per eam

conueniens est hominem conuersari cum hominibus.

<§ 12> De diuisione uero uirtutis intellectualis, quia paucioris est diuisionis, {f. 90v}

determinabitur in primo libro. Habet enim has .iii. partes : fronesim2, sapientiam,

intelligentiam3.

<§ 13> Virtutis uero consuetudinalis est hec diuisio secundum huius doctrine. Cum

enim anima sit nata perficere corpus secundum uirtutes motiuas, et uirtutes uero motiue4

sunt concupiscibilis, irascibilis5, rationalis6 – de quarum numero dictum in alias7 –, erit opus8

1 politica scr.] poltica A 2 fronesim scr.] fronesius A 3 intelligentiam scr.] intellectiam sA intellectiuam pA — ARISTOTE, Ethica Nova I, 13 (1103a4-7), trad.

BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 94, l. 18-19 – p. 95, l. 1-2 : « Dicimus enim harum has quidem

intellectuales, has autem morales, sophiam {sapienciam} quidem et fronesim {prudenciam} et intelligenciam

intellectuales, liberalitatem autem et honestatem morales ». Sur cette division, voir aussi le traité ANONYME,

De potentiis anime et obiectis, éd. D.A. CALLUS, « The Powers of the Soul. An Early Unpublished Text »,

Recherches de Théologie Ancienne et Médiévale, XIX (janvier-juin 1952), p. 161 : « Habitus autem qui est in

comparatione ad superiorem essentiam, et nominatur virtus intellectualis, dividitur per tres differentias, scilicet

fronesim, sapientiam, intelligentiam, secundum quod tripliciter est cognoscere summum bonum et cognitum,

quemadmodum est ibi determinatum diligere » ; ANONYME (PSEUDO-ROBERT GROSSETESTE), « Communia »

salmanticana « Circa moralem philosophiam », éd. BUFFON, CARRIER, CERVERA NOVO et LAFLEUR, § 23 : « Ad

aliud dicendum quod uirtutes intellectuales sunt tres scilicet intelligentia, sapientia et fronesis » ; PSEUDO-

PECKHAM, Lectura in Ethicam Novam et Veterem, Lectio XXI, § 20, éd. BUFFON, p. 271 : « Deinde, subdiuidit

intellectualem dicens quod sapientiam, id est dilectio relata ad cognitionem summi boni, et intelligentiam, id

est cognitio relata ad cognitionem summi ueri, et fronesim, uirtutes sicut de numero laudabilium habituum » ;

ARNOUL DE PROVENCE, Divisio scientiarum, éd. LAFLEUR, p. 336, l. 550-553 : « Et isti tres habitus anime

uocantur uirtutes intellectuales, scilicet intelligentia, sapientia, fronesis, de quibus determinatur in libro De

intellectualibus uirtutibus ». 4 motiue scr.] motitem A 5 irascibilis scr.] irationalis A 6 rationalis sA] rationabilis concupiscibilis uero potentie actus diuiditur pA 7 Voir AVICENNE, Liber de anima, I, 5, éd. S. VAN RIET, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, I-II-III,

Louvain, Peeters ; Leiden, Brill (coll. « Avicenna Latinus »), 1972, p. 93, l. 99-3 – p. 94, l. 4-14 : « Mores autem

qui in nobis sunt comparatur huic virtuti nisi quia anima humana, sicut postea scies, est una substantia, habens

comparationem ad duo, quorum unum est supra eam et alterum infra eam, sed secundum unumquodque istorum

habet virtutem per quam ordinatur habitus qui est inter ipsam et illud. Haec autem virtus activa est illa virtus

quam habet anima propter debitum quod debet ei quod est infra eam, scilicet corpus, ad regendum illud ; sed

virtus contemplativa est illa virtus quam habet anima propter debitum quod debet ei quod est supra eam, ut

patiatur ab eo et proficiat per illud et recipiat ex illo ; tamquam anima nostra habeat duas facies, faciem scilicet

deorsum ad corpus, quam oportet nullatenus recipere aliquam affectionem generis debiti naturae corporis, et

aliam faciem sursum, versus principia altissima, quam oportet semper recipere aliquid ab eo quod est illic et

affici ab illo. Ex eo autem quod est infra eam, generantur mores, sed ex eo quod est supra eam, generantur

sapientiae ; et haec est virtus activa ». 8 opus scr.] on A

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uel actus1 consuetudinalis circa2 actum uel passionem concupiscibilis, et irascibilis3, et

rationalis.

<§ 14> Concupiscibilis uero potentie actus diuiditur secundum obiectum suum4,

<scilicet> secundum naturale5 quod6 est concupiscibile. Concupiscibile aut est uegetale aut

sensibile aut rationale. Vegetale uero concupiscibile aut est in hiis que sunt tactus, aut in hiis

que sunt gustus7, quia aut est in conseruatione indiuidui aut in conseruatione8 speciei, quorum

unum est per opus nutritiue9 particulare, est alterum per opus <uirtutis> generatiue. Est uirtus

que10 bene disponens11 concupiscibilem potentiam <ad> uegetale12 concupiscibile quod est13

secundum tactum et gustum, scilicet castitas, et14 sic15 patet in hiis que determinantur in

quarto libro16.

<§ 15> Est autem aliud concupiscibile sensibile in quo contingit esse et plus et minus,

et medium, ut gradus in hiis que sunt secundum uisum, et auditum, et uocem, et gestum. Et

uirtus qua17 bene disponitur concupiscibilis in hiis est eutrapelia18, quasi hominis instructio

cum19 monetario. Sicut enim dicitur argentum bene monetatum cum fuerit conueniens20

inpressio eius qui prebet auctoritatem21 monete ad usum consequentem, sic dicitur homo bene

1 actus scr.] atus A 2 circa scr.] contra A 3 irascibilis scr.] irationalis A 4 suum scr.] sum uel secundum A 5 naturale scr.] naturalis A 6 quod scr.] que A 7 gustus sA] tactus gustus pA 8 conseruatione scr.] obseruatione A 9 nutritiue scr.] uirtutem A 10 uirtus que scr.] que uirtus A 11 disponens scr.] disponents A 12 uegetale scr.] rationale A 13 est sA] est seruatum pA 14 et sA] et s pA s exp. 15 sic scr.] sicut A 16 ARISTOTE, Ethica Vetus, III, 13 (1118a23-27), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 45, l. 17-21 :

« Circa tales igitur delectaciones, castitas et incontinencia est, quibus et reliqua animalia communicant. […]

Hee autem sunt, tactus et gustus.Videntur autem et gustu vel parum vel nichil uti ». 17 qua scr.] que A 18 eutrapelia scr.] catraprelia A 19 cum scr.] sum A 20 conueniens sA] moniens pA moniens cancell. conueniens in marg. 21 auctoritatem sA] auctoritatem + uacia (dub.) impossibile uero interius diuiditur per tres differentias nominis

concupiscibile sensibile commune nolui (dub.) et proximam s pA (del. per vacat)

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‘monetatus’ per hanc virtutem, cum sensus et motus exteriores bene regulantur ad usum et in

eis apparet inpressio rationis que prebet auctoritatem1.

<§ 16> Concupiscibile interius uero diuiditur per tres differentias : aut est

concupiscibile nobis et proximo ut, sicut communicamus in natura qua sumus homines, sic

communicamus2 in affectu – et hoc concupiscibile dicitur ʻamor’ – ; uirtus, que

consuetudinalis <est>, dicitur ʻamicitia’, que est communis uirtus in omnibus que sunt circa3

uitam – qui enim probet alteri amorem consequenter tenetur ei in omnibus que pertinent ad

uitam – ; aut est aliud concupiscibile gratia proximi secundum quod concupiscimus quod

bene eueniat bonis et male malis ; et uirtus ista nominatur ‘nemesis’ ; atque concupiscibile

nobis ipsis a proximo, et hoc est solum honor uel que sunt similia honori. Dico autem

ʻhonorem uerum’ qui est exhibitio4 reuerentie in testimonio uirtutis ; et diuiditur in magnum

honorem et paruum5, sicut inferius6 erit manifestum. Et hec uirtus que est in desiderando

honorem sicut oportet, uno modo7 est8 magnanimitas, alio uero modo est medium inter

philotimiam et aphilotimiam9.

<§ 17> Virtus uero que est irrationalis potentie ita recipit diuisionem : aut per actum

qui cadit10 super rationem11 determinatam ex nobis – et est ille actus uereri, quod uidemus

1 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 880, l. 161-165 – p. 881, l. 166-168 : « Circa ergo

gestus corporis ponit modum modestia, et hanc vocat summus philosophus Aristoteles eutraperiam, id est

bonam monetationem. Et quare sic appellat ratio est ; sicut ergo in moneta imprimitur imago regis et non est

autentica moneta nec habet cursum suum nisi sit debita materia et ymago regis impressa, que impressio

ymaginis superscriptio dicit Matth. XXII ubi dicitur : ‘Cuius est ymago hec et superscriptio? Dicunt ei Cesaris’

etc., idem Marc. XII, sic in homine imprimitur ymago regis, scilicet ratio, que reprimit et refrenat motus

sensualitatis illicitos et gestus quantum ad membra exteriora et sensus ordinat ». 2 communicamus scr.] communicemus A 3 circa scr.] contra A 4 exhibitio scr.] exibitio A 5 paruum scr.] partium A 6 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VI, A, f. 101v : « Deinde ponit similiter duas

medietates circa desiderare honorem et fugere inhonorem, et est medietas circa desiderium magnorum honorum

‘magnanimitas’, superhabundantia ‘chaunotis’, defectio autem ‘pusillanimitas’. Medietas uero inter honorum

paruorum <et magnorum> desiderium est innominata. Superhabundancia uero ‘philotimia’, defectio uero

‘aphilotimia’ ». 7 modos sA] modo inmagnatas pA 8 est scr.] in A 9 aphilotimiam scr.] amphilotimiam A 10 cadit sA] ca pA ca exp. 11 uel rem

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211

est nature uel statui –, et hec uirtus dicitur ʻuerecundia’1 ; uel est circa2 actum uirtutis

irascibilis qui est agredi, et determinatur per materiam que est terribile aut difficile, et hec

uirtus dicitur ʻfortitudo’3, cuius uis4 est circa5 actum qui est irasci, qui terminatur in

proximum ; et nominatur uirtus ista ʻhumilitas’ eo quod cum mansuetudine oportet irasci,

mali6 ne deteriores fiant.

<§ 18> Virtus uero rationalis potentie aut est penes actum qui est discernere, qui ex

nobis ipsis determinatur – et nominatur ʻprudentia’ prout est in discretione boni et mali7, et

bonorum et malorum –, uel est circa8 actum qui debetur rei, et uirtus ista nominatur ʻueritas’

(debemus [in] rem ostendere sicut est)9 ; uel est in operatione actus qui debetur proximo, et

penes hoc accipitur uirtus que est ʻiustitia’. Est enim iustitia circa [tribe] tribuere unicuique

quod suum est10.

1ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VI, A, f. 102v : « Timor uero rei indicentis (sic),

ut alicuius rei que non conuenit persone humane, secundum suum statum, et circa quam est uerecundia ». 2 circa scr.] contra A 3 ANONYME, De potentiis anime et obiectis, éd. CALLUS, p. 164 : « In id vero quod est ad finem est fortitudo,

que est agressio terribilium et difficilium cum perpessione ». 4 uis scr.] uir A 5 circa scr.] contra A 6 mali scr.] malis A 7 Anonyme, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio IV, § 38, de notre édition : « Et uidetur instantia

esse in prudentia. Prudentia enim consistit in discretione boni et mali. Discretio autem illa ad scire uidetur

pertinere » ; voir aussi AUGUSTIN, De civitate Dei, XIX, 4, éd. B. DOMBART et A. KALB (paucis emendatis

mutatis additis), Sancti Aurelii Augustinii De civitate Dei libri XI-XXII, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus

christianorum », series latina, XLVIII), 1955, p. 666, l. 85-88 : « Quid illa uirtus, quae prudentia dicitur, nonne

tota uigilantia sua bona discernit a malis, ut in illis appetendis istis que uitandis nullus error obrepat, ac per hoc

et ipsa nos in malis uel mala in nobis esse testatur? » ; ANONYME, De potentiis anime et obiectis, éd. CALLUS,

p. 163 : « Quantum autem est ex parte eius quod est ad finem, scilicet, discernere, qui est actus prudentie, est

duplex actus consequens duplici doni » ; ISIDORE DE SÉVILLE, Etymologiarum siue Originum libri XX, éd.

LINDSAY, lib. II, cap. xxiv, par. 5, l. 10 : « Prudentia est in rebus, qua discernuntur a bonis mala ». 8 circa scr.] contra A 9 ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, Lectio VI, A, f. 104r : « Verus enim reddit ipsi rei quod

[habet] debet […] Indicat enim quantum ad ipsam rem esse sicut est ». 10 AUGUSTIN, De ciuitate Dei, XIX, 4, éd. DOMBART et KALB, p. 666, l. 92-93 : « Quid iustitia, cuius munus est

sua cuique tribuere […]? » ; ISIDORE DE SÉVILLE, Etymologiarum siue Originum libri XX, éd. LINDSAY, lib. II,

cap. xxiv, par. 6, l. 12-13 : « Iustitia, qua recte iudicando sua cuique distribuunt » ; MACROBIUS, Commentarii

in somnium Scipionis, I.8, 7, éd. M. ARMISEN-MARCHETTI, Macrobe, Commentaire au Songe de Scipion. Livre

I, Paris, Belles Lettres (« Collection des universités de France »), 2001, p. 51 (éd. J. WILLIS, Ambrosii Thodosii

Macrobii Commentarii in somnium Scipionis, Leipzig, Teubner, 1963, p. 38, l. 14-15) : « […] iustitiae, seruare

unicuique quod suum est » ; et I.10, 3, éd. ARMISEN-MARCHETTI, p. 57 (éd. WILLIS, p. 42, l. 12-14) : « […] de

pietate et nimio in suos amore procedit ; haec autem diximus ad iustitiam referri, quae seruat unicuique quod

suum est ».

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<§ 19> Ex quibus colligitur quot <sunt> species uirtutis consuetudinalis secundum

multitudinem potentie per actus et actus per materias actuum1. Et hoc est quod dicit in hoc

libro secundum horum differentias. Sequitur hec rationi differentia, facta hac diuisione

uirtutis. Consequenter est2 diuidere hanc3 partem moralis philosophie secundum diuisionem

eius.

<DIVISIO ETHICE>

<§ 20> Est autem in primo libro determinata uirtus in ordinatione ad felicitatem et

per suas differentias. In secundo autem libro determinatur de uirtute consuetudinali quantum

ad causam materialem et formalem eius. In tertio uero determinatur quantum ad causam

efficientem, et finem, et propositiones que {f. 91r} consequuntur4 per causam5 efficientem6

habitudinem ad finem. In quarto uero <de> fortitudine : quid et circa7 quas passiones sit.

Idem <de> speciebus apparentis fortitudinis. In quinto uero est de castitate : quid sit et circa8

quas passiones, et de differentia eius ad fortitudinem, <et de differentia> suorum9

extremorum et ab extremis10. Consequentes uero11 libri sumuntur secundum diuisiones

uirtutis precedentes12, ut sit penes liberalitatem et magnificentiam unus liber, penes uero

magnanimitatem et medium inter philotimiam et aphilotimiam unus liber ; et sic,

consequenter, secundum diuisionem medietatum.

1 ANONYME, De anima et de potenciis eius, éd. GAUTHIER, p. 31 : « Secundum cognitionem autem distinguntur

potentiae per actus et actus per obiecta ». 2 est scr.] et A 3 hanc scr.] habeat A 4 consequuntur sA] consequu quuntur pA 5 causam scr.] uirtutem A 6 efficientem scr.] efficientas A 7 circa scr.] contra A 8 circa scr.] contra A 9 suorum scr.] siue A 10 extremis scr.] ebdomada ut vid. sA ebm pA 11 uero scr.] uera A 12 precedentes scr.] premianatum dub. A

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<PRIMA LECTIO>

{f. 91r-92v}

<DIVISIO TEXTVS>

<§ 1> {f. 91r6} Duplici autem1, etc. Determinatur in primo libro de uirtute ordinata

ad felicitatem et de differentiis eius. Consequenter, in hac parte, ponenda est2 differentia3

consuetudinalis uirtutis. Ad ostendendum4 <hoc> determinat consuetudine uirtutem, in hoc

libro, quantum ad causam materialem eius et quantum ad causam formalem et de

consequentibus duas causas [Vnde pars istas et de consequentibus has duas causas].

<§ 2> Vnde pars ista diuiditur in tres partes : prima, que est de causa materiali,

extenditur usque ad illud : Post hec autem scrutandum quid sit uirtus5, etc. Secunda uero,

que est de causa formali6, extenditur usque ad illud : Tribus dispositionibus existentibus7.

Ideo tertia uero pars terminatur in fine libri ; quia uero cause precedunt ea que consequuntur

causas, et causa materialis in fieri precedit formalem.

<§ 3> Doctrina autem8 ista est ut fiamus boni9. Erit prima pars doctrine, que est de

causa materiali uirtutis consuetudinalis ; et hec quidem pars diuiditur in duas, nam in causa

materiali continetur ex quibus est et ex qualibus ; et quia ex quibus precedit, prima est illa

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103a14), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 5, l. 4-5 : « Duplici

autem virtute existente, hac quidem intellectuali, hac vero consuetudinali […] ». 2 est scr.] enim A 3 differentia scr.] differentiam A 4 ad ostendendum scr.] oorstendum A 5 post hec autem scrutandum quid sit uirtus sA] post hec tribus inest(?) dispositionibus existentibus pA —

ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b19), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 13-14 : « Post hec

autem quid est virtus scrutandum ». 6 formali sA] fonal pA 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b10), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 13 : « Tribus

utique dispositionibus existentibus […] ». 8 autem sA] autem est pA 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b25-30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6-7, l. 25-1 :

« Quoniam igitur presens opus non comtemplacionis gracia est, quemadmodum alia, neque enim ut sciamus

quid est virtus scrutamur, set ut boni fiamus […] ».

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pars que est ex causa materiali ex quibus, et illa terminatur hic1: Quoniam autem opus2, etc.

Hec autem pars post differentiam uirtutis consuetudinalis ab intellectuali3.

<EXPOSITIO LITTERE>

<§ 32> {f. 92v6} Dicit autem Duplici4 uirtute5et non ‘duabus uirtutibus’ ut notetur

eadem esse uirtus quantum est de natura suspicientis et agentis proximi. Sed principiatur

secundum diuersas comparationes in ordine ad superiorem essentiam [et ad] et ad inferiorem ;

et respectu superioris ‘intellectualisʼ dicitur, respectu inferioris ‘consuetudinalisʼ6, et ex hiis

fit una dispositio perfecti ad optimum. Vnde meretur dici una uirtus7 duplex, per hoc in quod

dicit : existente.

<§ 33> Notat prius fieri diuisionem uirtutis per has differentias uel enuntiationes8.

Per hoc autem quod dicit : intellectualis multum habet de doctrina generationem et

augmentum, et ideo experimento indiget et tempore9, notari dicit principium dispositionis10

ad uirtutem intellectualem, scilicet principium in nobis quod dicitur ‘experimentum’,

multiplicatum per tempus, et principium in aliquo quod dicitur ‘doctrina’ ; et hec duo ordinant

ad cognitionem summi boni, que erat eleuatis respectu uirtutis intellectualis. Et dicitur

multum habere de doctrina11 ad differentiam consuetudinalis que parum habet, sicut habet in

fine quod scire parum est ad uirtutes consuetudinales, multum autem ad intellectualem, quia

cognitio summi boni sequitur dilectio eiusdem ; quantum enim cognoscit unusquisque,

tantum illud diligit.

1 Il s’agit de cette première leçon. 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b25), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 25 : « Quoniam

igitur presens opus […] ». 3 intellectuali scr.] materialites A 4 duplici scr. ex fonte] dupera? A 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103a15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 5, l.1 : « Duplici autem

virtute existente [...] ». 6 Cf. ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), P, f. 157rb : « Item practicus

intellectus comparatur ad inferiora, speculatiuus ad superiora ». 7 uirtus scr.] uirtus d pA uirtus est? sA 8 enuntiationes scr.] enuntiationem A 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103a15-17), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 5, 2-4 : « [...] ea

quidem que intellectualis multum ex doctrina habet, et generacionem et augmentum, et ideo experimento indiget

et tempore ». 10 dispositionis scr.] dispositiones A 11 habere de doctrina ad differentiam sA] habere ad differentiam pA de doctrina in marg.

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[...]

<§ 38> {f. 92v24} Cum autem dicitur quod tradimus actus, per operationes1

intelligitur operatio ipsius uirtutis, ut uidere actus uero iunctus ipsius sensibilis cum sensu,

quod, per operationem, derelinquitur a uirtute.

<§ 39> Deinde, cum dicit Quod in sensibilibus est uerum2, manifestat in eo quod est

uirtus a natura plus communicans cum uoluntate. Cum autem dicit : Quemadmodum in aliis

artibus3, notatur per hoc quod uirtus etiam est quedam ars. Ars enim interpretatur uirtutem4

uel dicitur ab ‘artando’ ‘ars’, quia uirtus artat operantem ne declinet5 in superfluum aut

diminutum.

[...]

<§ 43> {f. 92v35} Cum autem dicit : Si non sic esset, nulla esset necessitas6 docentis7,

intelligitur quod si non esset ars per operationes preexistentes, non esset modus doctrine ad

habendum artem ; doctrina enim rectificat in operationibus. Cum autem dicit : Facientes

permutationes cum hominibus8, intelligitur de permutatis conuersationibus9 cum bonis et

cum malis : ex operationibus hii fiunt iusti, alii uero iniusti10. Ex conuictu conformantur

mores.

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103a28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 5, l. 18 : « [...] postea

autem, actus tradimus ». 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103a33), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 5, l.18-19 : « Quod in

sensibus manifestum ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103a32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 1 : « Quemadmodum

et in artibus aliis ». 4 uirtutem scr.] uirtus A 5 declinet sA] declinet ut pA ut exp. 6 necessitas scr. ex fonte] contrarietas A 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103 b 12), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 13 : « Si enim non

sic haberet, nulla esset necessitas docentis ». 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103b15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 15 : « Facientes

enim permutaciones cum hominibus [...] ». 9 conuersationibus scr.] auersationibus A 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103b15-16), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 15-16 : « [...]

hii quidem iusti, hii vero iniusti fimus ».

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<§ 44> Ponit autem exemplum1 in operationibus trium uirtutum, scilicet iustitie,

fortitudinis et temperantie2, et non prudentie eo quod opus eius est interius, et non

manifestantur in pluribus, actus uero aliarum uirtutum sunt manifesti. Et ponit exemplum in

actu uirtutis rationalis, cum dicit de actu iustitie ; de actu uero irascibilis cum dicit timere uel

audere3, et cum dicit irasci ; de actu concupiscibilis cum dicit de actu castitatis uel

continentie.

[...]

1 exemplum sA] exemplum ex pA 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 1 (1103b15-20), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 15-21 :

« Facientes enim permutaciones cum hominibus, hii quidem iusti, hii vero iniusti fimus. Facientes ea que in

periculis, et assueti timere vel audere, hii quidem fortes, hii vero timidi. Similiter autem et ea que circa

concupiscencias habet, et ea que circa iram ; hii quidem enim casti et humiles fiunt, hii autem incontinentes et

iracundi, hii quidem ex sic in eis converti, hii vero ex sic ». 3 uel audere sA] uel aud pA aud exp.

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<SECVNDA LECTIO>

{f. 92v-94v}

<DIVISIO TEXTVS>

<§ 1> {f. 92v46} Quoniam igitur presens opus1, etc. Determinatum est iam in prima

parte ex quibus uirtus est consuetudinalis. Et quoniam oportet adici2 qualitatem bonam3, in

hac parte, ex contemplatione4 ad finem, ostendit quod oportet scrutari qualitates operationum

siue dispositiones ex quibus derelinquitur {f. 93r} uirtus. Et quia finis est ut fiamus boni5,

supponitur hanc dispositionem operationis in6 operari secundum rectam rationem.

<§ 2> Inquiret autem postea7 quid sit operari <secundum> rectam rationem8. Addicit

quod operari secundum rectam rationem est operari in medietate9 cum delectatione in

delectabilibus10, et tristitia in tristibus11, et perseuerantia uoluntatis in opere. Quia uero

oportet scrutari ea que sunt in operationibus ut habeatur uirtus : ea uero que sunt in

operationibus et12 conferentia13, nil stans habentia et singularia14. Secundum autem

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b25), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 25 : « Quoniam

igitur presens opus non contemplacionis gracia est [...] ». 2 adici sic. 3 bonam scr.] bona A 4 contemplatione scr.] contempitionie dub. A 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b25), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 25-26 – p.7, l. 1 :

« Quoniam igitur presens opus non contemplacionis gracia est, quemadmodum alia, neque enim ut sciamus

quid est virtus scrutamur, set ut boni fiamus […] ». 6 in sA] in r pA 7 postea sA] posteai pA 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.7, l. 4-6 : « Secundum

igitur rectam racionem operari commune et supponatur, dicetur autem postea de eo, et quid est recta racio [...] ». 9 medietate scr.] mediate A 10 delectabilibus scr.] delectationibus A 11 tristibus scr.] tristalis A 12 et scr. ex fonte] sunt A 13 Ce mot traduit le grec συμφέροντα. 14 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a4), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 9-10 : « Ea autem

que in operacionibus et conferencia, nil stans habent [...] ».

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materiam sermones1 inquirendi2, oportet sermonem eodem [et] non certitudinaliter3 <esse>,

scilicet sermone exemplari et parabolico, quo determinato in prima parte.

<§ 3> In secunda uero parte, que hic incipit : Prius igitur autem cum4, determinatum

quidem est operari secundum rectam rationem ex qua fit uirtus, et hoc est ex qualibus5 fiat

uirtus consuetudinalis secundum condiciones determinatas. In prima uero parte ostendit quod

consuetudinalis uirtus fit ex operationibus in medietate, et saluatur et augmentatur, et preter

hoc6 <ostendit> quoniam operationum est principium7 consimilium8. Et hec pars terminatur

ibi : Signum autem9, etc.

<§ 4> In illa uero secunda parte ostendit quod omnis uirtus est circa operationes cum

delectatione et tristitia. Et pars terminatur ibi : Queret autem10, etc. In illa uero <tertia parte>

ostenditur [quod uirtus fit cum persentiatia11 uoluntatis in parte et terminatur ibi hec pars post

hec autem etc.] quod uirtus sit a perseuerantia uoluntatis in operatione. <Et pars terminatur

ibi> : Post hec autem etc. 12.

<§ 5> Ex hiis autem omnibus condicionibus13 colligitur quid sit operari. Et hec est

causa materialis ‘ex qua’ respectu uirtutis.

1 materiam sermones scr. ex fonte] naturam sermonis A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a3), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 10-11 : « [...] quoniam

secundum materiam sermones inquirendi ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a1), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.7, l. 7-9 : « [...] quoniam

omnis qui circa ea que facienda sermo, typo et non certitudinaliter oportet dici [...] ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER p. 7, l. 17-18 : « Prius igitur

hoc inspiciendum, quoniam hec innata sunt ab indigencia et superfluitate corrumpi ». 5 qualibus scr.] quolibet A 6 hoc scr.] hac A 7 principium sA] princiipium pA 8 consimilium scr.] consilium A 9 signum autem sA] signum pA. — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104b4), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd.

GAUTHIER, p. 8, l. 12-13 : « Signum autem oportet facere habituum [...] ». 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105a17), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 10, l. 8-9 : « Queret

autem aliquis quomodo dicimus quod oportet iusta quidem facientes, iustos fieri ». 11 sic 12 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b19), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 13-14 : « Post

hec autem quid est virtus scrutandum ». 13 condicionibus scr.] condictionibus A

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<SENTENTIA>

<§ 6> In1 prima uero parte, sicut dictum est, ostenditur quod uirtus sit ex

operationibus in medietate2 existentibus, et saluatur et augmentatur ; quod ostenditur per hoc3

quod4 corrumpitur ex operationibus in superfluitate uel indigentia existentibus. Ponit [in]

diuersas rationes [et] ad idem, quare bona sumpta sunt5 ex parabola ad uirtutem et sanitatem

corporalem, que proposito notatur uirtuti et sanitati spirituali. Reliqua uero ratio sumitur per

inductionem in partibus manifestis uirtutis. Et similiter, cum ostendit quod uirtus est

principium consimilium actuum, sumitur ratio per inductionem et parabolam6. Sic terminatur

illa pars.

<QVESTIONES>

<§ 7> <1> Incidit autem questio de hoc quod dicit : Quoniam non est opus

contemplationis gratia7. Videtur enim quod omnis doctrina est8 ut sic9 perficiatur intellectus

in contemplatione Dei ; qualiter et hec erit ut perficiatur uirtus in contemplatione ueri ? <1*>

Sed propter hoc dicitur esse contemplationis gratia. Illud enim cuius gratia aliquid est, est

ultimum et optimum in illo genere. Melius autem est fieri bonos quam contemplari bonum.

Hoc enim bonum est propter illud, ex quo manifestum est quod fieri bonos est cuius10 gratia

est hoc opus, non contemplatio.

<§ 8> Cum autem dicit : quemadmodum alia11, designat quod operatio rationalis

philosophie et naturalis <est> contemplationis gratia, una12 formaliter, altera13 materialiter

1 in scr.] uel A 2 medietate scr.] mediate A 3 per hoc sA] per pA 4 quod sA] quod ost pA 5 sunt scr.] est A 6 parabolam scr.] parabola A 7 ARISTOTE Ethica Vetus, II, 2 (1103b25-26), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 25-26 :

« Quoniam igitur presens opus non contemplacionis gracia est [...] ». 8 est scr.] sit A 9 sic scr.] sit A 10 est cuius gratia sA] est gratia pA cuius in marg. 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b26), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 26 : « [...]

quemadmodum alia [...] ». 12 una scr.] unum A 13 altera scr.] alterum A

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[materialiter]1. Licet enim per eas2 habeatur alicuius operationis rectitudo, non tamen tanta

est perfectio multitudine illius operationis quanta in cognitione ueri.

<§ 9> <2> Cum autem dicit : neque enim scrutamur quid est uirtus3, uidetur4

contrarium dicere ei quod subiungitur per hoc5 [autem] : quid sit uirtus. Sed non est quod

designatur per hoc quod dicit : ut sciamus quid est uirtus uel ut fiamus boni6. <2*> Cum ergo

dicit7 quod [non] est scrutandum quid est uirtus8, hoc9 est hac intentione : ut sciamus

principaliter. Cum autem dicit : scrutamur quid est uirtus, habeas hac intentione : ut fiamus

boni.

<§ 10> <3> Deinde cum dicit quod operationes quales sunt domine habituum ut

fiant10, uidetur falsum dicere. Si autem alterum debet esse simpliciter causa alterius, magis

[politica uel poetica] est operatio causa [operatio] operationis quam causa uirtutis ; quare non

erunt operationes quales domine habituum.

<§ 11> <3*> Et dicendum quod uirtus in quantum uirtus est causa operationis, in

quantum autem est consuetudinalis ex operatione causatur, et est bonum uoluntatis primo in

operatione, consequenter in habitu. Et ideo dicit operationes esse dominas habituum.

<§ 12> <4.1> Deinde cum dicit : operari secundum rectam rationem11, potest queri

quid sit recta ratio. Et cum dicatur ‘uirtus’, <4.2> utrum uniuoce uel equiuoce respectu

aliarum <uirtutum>.

1 materialiter scr.] materialiter bis A 2 eas scr.] ea A 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b26-27), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6-7, l. 26-1 : « […]

neque enim ut sciamus quid est virtus scrutamur […] ». 4 uidetur dub. 5 per hoc sA] per pA hoc in marg. 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b26-27), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 26 – p. 7, l. 1 :

« [...] neque enim ut sciamus quid est virtus scrutamur, set ut boni fiamus [...] ». 7 dicit sA] dicit scrutandum pA 8 quod non est scrutandum sA] scrutandum deinde pA — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b19), trad.

BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 13-14 : « Post hec autem quid est virtus scrutandum ». 9 hoc scr.] hec A 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b30-31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 2-4 : « [...]

necesse est scrutari ea que circa operaciones, quomodo faciendum eas ; hee enim domine ut quales fiant

habitudines, quemadmodum diximus ». 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 4-5 : « Secundum

igitur rectam racionem operari commune et supponatur [...] ».

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221

<§ 13> <4.1*> Et dicendum quod recta ratio dicitur recta ordinatio intellectus

practici, qui natus est imperare potentiis humanis ad bonum eligendum et exercendum et ad

malum detestandum. Si uero queratur qualiter habeatur ab intellectu practico, dicendum quod

habetur uel ex bona uirtute, uel ex infusione gratie a suprema essentia, uel ex inspectione

operum in animalibus. Operationem1 dico <ut> liberalitas2, mansuetudo3, et ita de aliis in

quibus excellunt diuersa genera animalium medium conueniens sue nature eligentium.

<§ 14> <4.2*> Non potest autem dici recta ratio uniuoce ‘uirtus’ cum aliis. Non enim

fit ex assuetudine operationum, cum precedat operationes, sed dicitur primus habitus bonus

intellectus practici.

<§ 15> <5> Deinde dicit quod sermones sunt inquirendi secundum materiam4 et

propter hoc typo oportet5 dici et non6 certitudinaliter7. Videtur habere dubitationem eo quod

1 operationem scr.] operationi A 2 liberalitas scr.] libertatis A 3 mansuetudo scr.] mansuetudine A — Au sujet de l’observation des coutumes des animaux, cf. ARISTOTE, De

historia animalium, IX, 1(608a11), trad. GUILLAUME DE MOERBEKE, éd. BEULLENS et BOSSIER, dans De

historia animalium libri I-X. Translatio Guillelmi de Moerbeka, Leiden, Boston, Köln ; Brill (coll. « Aristoteles

Latinus » XVII, 2.I.2, dans Aristoteles Latinus Database, second release), 2006 : « Mores autem animalium

sunt viliorum quidem et que brevioris vite minus nobis manifesti secundum sensum, eorum autem que longioris

vite manifestiores. Videntur enim habentia quandam virtutem circa unamquamque anime passionum naturalem,

circa que prudentiam et stultitiam et virilitatem et formidolositatem et mansuetudinem et sevitiam et alios tales

habitus » ; Analytica priora, I, 27 (70b14-70b31) trad. BOÈCE, éd. MINIO-PALUELLO, p. 138, l. 28-29 – p. 139,

l. 1-16 : « Si enim est specialiter alicui generi individuo existens passio, ut leonibus fortitudo, necesse est et

signum esse aliquod ; compati enim sibi invicem positum est. Et sit hoc magnas summitates habere; quod et

aliis generibus non totis contingit. Nam signum sic proprium est quoniam totius generis propria est passio, et

non soli us proprium, sicut solemus dicere. Erit ergo et in alio genere hoc, et erit fortis homo et aliud aliquod

animal. Habebit ergo signum ; unum enim unius erat. Si ergo haec sunt, et poterimus talia signa colligere in his

animalibus quae tantum unam aliquam passionem habent propriam, unaquaeque autem habet signum, quoniam

unum habere necesse est, poterimus naturas colligere. Si vero duo habeat propria totum genus, ut leo forte et

communicativum, quomodo cognoscemus utrum utrius sit signum eorum quae specialiter scquuntur, nisi et si

alii non toti alicui ambo, et in quibus non totis utrumque, quando hoc quidem habet, illud autem non ? Nam si

fortis quidem, liberalis autem non, habet autem duum hoc, palam quoniam et in leone hoc signum fortitudinis ».

PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 800, l. 97-103 : « [...] sicut dicit Philosophus, ut

castitas in elephante et castore, liberalitas in leone. Unde dicitur in libro De natra anmalium quod vulpes

sequuntur leonem quia est animal communicativum prede. Similiter et magnanimitas quantum ad actum

aggrediendi, ut in leone [...]. Et mansuetudo ad patientiam quantum ad actum sustinendi et non repugnandi, ut

in agno ; [...] Et modestia irascendi quantum ad actum irascendi, ut in columba [...] ». 4 materiam scr. ex fonte] naturam A 5 typo oportet scr. ex fonte] quempo quem A 6 et non sA] et non in ral pA 7 certitudinaliter scr. ex fonte] incertitudinaliter A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a3-4), trad. BURGUNDIO

DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 8-10 : « […] typo et non certitudinaliter oportet dici, ut et in prinicipio diximus,

quoniam secundum materiam sermones inquirendi ».

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de probabilibus1 siue de sophisticis est modus docendi, et similiter est de moralibus in hoc

libro : [non] certitudinalis modus determinat enim propria principia consuetudinalis uirtutis

in genere et in specie.

<§ 16> <5*>Ad quod dicitur quod per hanc doctrinam potest instrui aliquis qui

intendit habere cognitionem moralis philosophie. Et apud ipsum est certitudinalis2 modus ;

et potest iterum instrui operans qui intendit fieri bonus, et ei expedit modus exemplaris et

parabolicus. Et propter hoc utrumque modum tenet in hac doctrina, principaliter uero

typicum3, quia principaliter intendit instrui <eum qui>4 operat circa singularia ; etsi hoc,

dicendum est de modo docente.

<QVESTIONES>

<§ 17> Deinde potest queri quantum ad secundam partem lectionis5 : <6> Cum

aliquid inducatur per primam operationem, utrum idem uel alterum inducitur per secundam ;

<7> et si idem sed altero modo se habens, utrum illam dispositionem possibile sit extendi in

tertia6 ; <8> et qualiter derelinquitur, ex operatione que fit in una potentia7, dispositio que fit

uirtus in alia potentia ; <9> et ad [quod] quid expediant operationes consequentes uirtutem

existentem in substantia ; <10> et cum innata sit corrumpi ex superfluitate et indigentia,

utrum in prima operatione praua corrumpatur aut exigitur multitudo operationum8 ; <11> et

utrum aliquando, in illa transsumptione, neque insit ei uirtus neque malitia.

<§ 18> <6.1> Prima questio sic determinatur : ex operatione secunda, aut

derelinquitur eadem dispositio que derelicta est ex prima, aut altera non eadem derelinquitur ;

quia quod fit non est principium preexistentis. Si uero alia dispositio derelinquitur, tunc erunt

ter dispositiones in numero, in ipso9 quot sunt operationes. Et cum operationes sint eedem

1 probabilibus scr.] probatur A — Je suis ici la lecture de KÖHLER, Grundlagen des philosophisch-

anthropologischen Diskurses im dreizenten Jahrhundert, p. 417-418. 2 certitudinalis scr.] incertitudinalis A 3 typicum scr.] topicum sA copi pA copi exp. 4 Cf. § 39. 5 lectionis scr.] locutionis A 6 tertia scr.] tertio A 7 potentia scr.] uirtute A 8 operationum sA] operationum u pA 9 ipso scr.] ipsa A

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specie, erunt dispositiones eedem specie, et sic erunt plura indiuidua {f. 93v} eiusdem speciei

in eodem subiecto indiuisibili. Et propter hoc, non derelinquitur uirtus per hunc modum.

Nullus enim numerus simpliciter fieret ex omnibus dispositionibus. Prima illa dispositio

derelicta ex prima operatione, aut est eadem in substantia ipsi uirtuti1 que fit consequenter,

aut non.

<§ 19> <6.2> Si non est eadem, queritur quare2 non abicitur dispositio per aduentum

ipsius uirtutis. Cum non repugnet illi, remanebit ergo dispositio in ipsa potentia et uirtus

similiter. Superuacua ergo erit dispositio cum aliquid non sit utile ad quod non sufficiat

uirtus. Si uero est eadem in substantia3 uirtuti, quomodo, cum esset <dispositio> facile

mobilis, sit <uirtus> difficile mobilis4.

<§ 20> <6.1*> Ad quod dicendum est quod per operationes sequentes non

derelinquitur illa dispositio ; sed illa dispositio prima intensa, et semper per operationes

intenditur quousque fiat habitus. Fit autem ipsa dispositio habitus unus5. Solum6 tollitur

inperfectio dispositionis adueniente habitu, non autem substantia eius.

<§ 21> <6.2*> Et est simile cum illuminatur aer illuminatione incompleta aut a

lumine lunari. Si adueniat illuminans, non tollitur illa illuminatio sed perficitur. Et similiter

manifestum est de [de] caliditate que facta in aere per calefactionem illius calefacentis

alterantis aera alteratione completa.

<§ 22> <7> Secunda uero questio terminatur sic. Cum augmentum sit motus in

magnitudinem perfectam, uirtus autem augmentatur, uidebitur aliquando uirtutis magnitudo

1 Par rapport à cette construction de idem avec datif, cf. A. ERNOUT et F. THOMAS, Syntaxe latine, Paris,

Klincksieck, 2002 (1951), p. 174. 2 queritur quare scr.] querit autem quod A 3 substantia sA] substantiaa pA 4 ARISTOTE, Catégories, 8 (8b26-36), Editio composita, éd. MINIO-PALUELLO, p. 63, l. 19-27 – p. 64, l. 1-10 :

« Et una quidem species qualitatis habitus dispositioque dicuntur. Differt autem habitus dispositione quod

permanentior et diuturnior est ; tales vero sunt scientiae vel virtutes ; scientia enim videtur esse permanentium

et eorum quae difficile moveantur, ut si quis vel mediocriter scientiam sumat, nisi forte grandis permutatio facta

sit vel ab aegritudine vel ab aliquo huiusmodi ; similiter autem et virtus et iustitia vel castitas et singula talium

non videntur posse moveri neque facile permutari. [...] Quare differt habitus dispositione, quod hoc quidem

facile <mobile> [mobile supp. ex cod. Sangallensis, bibl. monast. 817] est, illud vero difficile mobile ». 5 unus scr.] unum A 6 solum scr.] solis A

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circa completam1, et hoc etiam uidetur per simile sumptum in aliis formis. Intendi enim

possunt2 albedo et caliditas similiter, et ita in aliis formis. Quare uidebitur sic esse in uirtute.

<§ 23> Contrarium uero arguitur sic : ex operationibus augmentatur uirtus ; et idem

potest una operatio quam3 altera4 eque bona ; ergo unaqueque debet augmentum uirtuti. Sed

impossibile est infinitum abire operationes5. Ergo intensio6 uirtutis non est determinata7,

quod concedendum est de uirtute humana8 quantum est de operatione eius.

<§ 24> <7*>Et differt dicere ‘augmentum’ proprie et communiter. Omne enim9

proprie sumptum augmentum10 habet terminum. Et secundum hoc posita est diffinitio

augmenti supradicta11. Augmentum uero, prout communiter sumitur ad intensionem in

formis in naturalibus, quarum principium sufficiens est natura, non nomen habet12. Formis

uero uoluntariis non est omnis intensionis13 obiectum propter multiplicationem operationum

que non est figura, tum propter intensionem uoluntatis, que possibilis est semper magis et

magis14 intendere15 ut sit proportionalis uirtus uoluntatis in intensione16 omnis17 ipsius anime

rationalis, cum induratione.

1 completa scr.] completa A 2 possunt scr.] potest A 3 quam scr.] quod A 4 altera sA] altam pA 5 Par rapport à ce paragraphe et au paragraphe précédent, il faut dire que pour Aristote l’infini, en effet, s’oppose

à ce qui est complet. La perfection réside précisément dans l’être complet ; par conséquent, la grandeur parfaite

ne peut pas aller jusqu’à l’infini, mais elle doit avoir une limite : « Est donc infini ce dont, quand on le prend

selon la quantité, il est toujours possible de prendre quelque chose à l’extérieur. Mais ce dont rien n’est à

l’extérieur <de lui> cela est achevé et une totalité. C’est en effet ainsi que nous définissons la totalité, ce à quoi

il ne manque rien, par exemple un homme total [...] ». Cf. ARISTOTE, Physique (207a5-11), trad. P. PELLEGRIN,

Paris, Flammarion, 2000, p. 192-193. 6 intensio scr.] intentio A 7 determinata scr.] detracta A? 8 humana scr.] humane A 9 enim sA] alis pA enim in marg. 10 sumptum augmentum habet sA] sumptum habet pA augmentum in marg. 11 Cf. § 22. 12 ARISTOTE, Physica Vetus, V, 2 (226a29), trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 199, l. 3 : « Qui

vero secundum quantum est secundum commune quidem innominatus est, secundum utrumque autem

augmentum et detrimentum : quod quidem est in perfectam magnitudinem augmentum, quod vero ex hoc

detrimentum ». 13intensionis scr.] intunsionis A 14 et magis scr.] imagis A 15 intendere scr.] intendit A 16 intensione scr.] intencico A 17 omnis scr.] omne A

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<§ 25> <8> Tertia uero questio sic terminatur. Operationes ex quibus derelinquitur

uirtus uel passiones sunt diuersas potentias1. Effectus ergo operationum aut fiet in eadem

potentia in qua operatio est, aut in alia ; et conuenit quod non sit2 in eadem. Nam operationes

alique transfigurantur mediante organico3 aliquo corporeo. Habitus uero siue uirtus in ipsa

anima <est>, et dispositiones similiter. Si uero in alia potentia, <aut> equaliter in una, ut

uidetur, et in altera ; aut, si nata est derelinqui plus in rationabili quam in4 alia potentia, quasi

ratio illius. Et iterum, cum multe sint potentie in quibus sint operationes aut passiones,

qualiter in una potentia indiuisibili derelinquatur5 uirtus, aut, si in [in] diuersis, non in tot

potentiis quot potentiarum sunt operationes aut passiones.

<§ 26> <8*> Ad quod dicitur6 quod sicut intellectus practicus natus est7 in operatione,

ita potentie sensibiles et corporales nate sunt inoperari ab eo. Cum ergo per operationes, que

sunt in potentiis8 aliis, habilitentur in effectum potentie, ut regantur in effectum a uirtute

rationabili, ex consequenti est habitus habilitans intellectum practicum ut imperet, quantum

est enim in se esse iustus. Habilitatio9 uero quedam in aliis potentiis non est uirtus absoluto10

nomine dicta, sed que est in intellectu uel in ui rationali11.

<§ 27> <9> Ad illam uero questionem qua queritur quid conferant operationes post

uirtutem habitam existentes, cum uirtus ipsa sufficiat ad finem, <9*> dicendum quod

dupliciter est utilitas earum12 : una in comparatione ad uirtutem13, alia in comparatione ad

1 potentias scr. portiones A 2 sit scr.] est A 3 organico sA] a organico pA 4 in scr.] est A 5 derelinquatur scr.] derelinquitur A 6 dicitur scr.] dicetur A 7 natus est scr.] nature A 8 potentiis scr.] possibilis A 9 habilitatio scr.] habilitio A 10 PRISCIEN, Institutiones grammaticae, II, 5, § 31 ; éd. M. HERTZ, Leipzig (coll. « Grammatici Latini », II),

1855 (reproduction anastatique Hildesheim, 1961), t. I, p. 62, l. 5-6 : « Absolutum est, quod per se intellegitur

et non eget alterius coniunctione nominis, ut ‘deus’, ‘ratio’ ». 11 ALEXANDRE DE HALÈS, Summa Theologica, éd. KLUMPER, lib. I, prima pars, inq. 1, t. 3, q. 3, cap.: 4, II,

Solutio, p. 188a : « Dicendum quod secundum debitum statum naturae debet esse ut ipsa vis rationalis in homine

dominetur aliis viribus, scilicet irascibili et concupiscibili, et istae subiciantur ei et trahat ipsas ad se; unde sic

condita est humana natura et ex hoc habet ipsa vis rationalis facilitatem sive pronitatem ad bonum et

difficultatem ad malum ; per hanc autem facilitatem et difficultatem attenditur habilitatio rationis ad bonum

gratiae et per hoc ad gloriam, ad quam nata est et ordinata ». 12 earum sA] ea pA 13 uirtutem sA] utilitatem pA

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felicitatem1. Cum enim habet uirtutem, adhuc deest ei felicitas ad quam disponunt<ur>

operationes multiplicate que egrediuntur a uirtute. Licet enim aliquis habeat uirtutem, non

sufficit ipsa ad felicitatem, de modo fuerit facultas operandi. Si uero non fuerit facultas,

sufficiens est ipsa uirtus acquisita ad felicitatem. Sic uoluntas, in impotente operari, sufficiens

est ad uirtutem2. Ita uirtus in eo qui non habet facultatem operandi post uirtutem habitam. Et

sufficiens est ad felicitatem, licet non ad tantam ad quantam potest per operationes.

<§ 28> Utilis est item3 operatio que sequitur uirtutem ad conseruationem uirtutis siue

intensionem eius. Per hoc enim, quod multotiens operatur sicut prius, significo quod hoc est

ex delectatione quam habet. Delectatio enim quam habet rationis, que habetur cum intendit,

facit intensionem uirtutis. Sic ergo utilis est operatio ut saluetur uirtus et augmentetur.

<§ 29> <10.1>Ad sequentem uero questionem, si possit dispositio ad uitium manere

cum uirtute in eadem potentia, <10.1*> dicendum quod non de modo illud uitium apponatur4

uirtuti. Sicut enim illa dispositio, que prima erat derelicta ex bona operatione, eadem intensa

sufficienter fit uitium consuetudinale. Vnde, sicut repugnabat uirtus et uitium in sua

substantia, sic repugnabat dispositio uitii uirtuti et dispositio [uir] uirtutis uitio ; et dispositio

dispositioni, licet non fuerit tanta repugnantia dispositionis ad dispositionem quanta fuerit

<repugnantia> uirtutis ad uitium.

<§ 30> <10.2> Qualiter ergo corrumpitur uirtus consuetudinalis a uitio uel econuerso,

cum non possit dispositio alterius esse simul in eadem potentia cum altero.

<§ 31> <10.2*> Ad quod dicendum quod operationes praue, in habente uirtutem,

inducunt dispositionem in potentiis imperatis a rationabili. Cum uero fuerit ista dispositio

intensa, fit inobediens uirtuti rationabili, trahens eam ad suum concupitum ; que si trahatur,

1 felicitatem sA] facilitatem pA 2 Cf. PSEUDO-AUGUSTIN BELGE, Sermones, éds A.B. CAILLAU et B. SAINT-YVES, S. Aurelii Augustini

Hipponensis episcopi operum supplementum [II], Paris, Parent-Desbarres, 1836, p. 96, l. 55 : « Sed dicet quis

ex uobis : quare dixit bonae uoluntatis et non actionis. Cuius causa est quia bona uoluntas sufficit ubi non fuerit

operandi facultas. Itaque fratres bona uoluntas ualet aliquando sine bona operatione operatio uero nunquam

sine bona uoluntate. ». Cf. aussi PIERRE ABÉLARD, Commentaria in epistulam Pauli ad Romanos, éd. E.M.

BUYTAERT (éd.) Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis », 11), 1969, II, 4,

l. 54 : « [...] id est secundum hoc quod in proposito diuinae bonitatis consistit quae magis animum quam opera

remunerat. Alioquin multi qui facultatem operandi non habent, cum tamen habeant uoluntatem, reprobarentur ».

Les italiques sont de nous. 3 item scr.] intensio A 4 apponatur scr.] appoaatur A

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innascitur dispositio praua uirtuti rationabili ; que dispositio intenditur ; cum fuerit habilis

positio super eam, dicitur uitium consuetudinale1. Intensio uero illius dispositionis per

operationes prauas que sequuntur dispositionem ageneratam. Sed in generationem ipsius

dispositionis corrumpitur uirtus corruptione completa, in dispositionibus uero aliarum

potentiarum prauis remittitur uirtus. Et corrumpitur uirtus corruptione que est motus.

<§ 32> <11> Et propter hoc sequitur determinatio questionis sequentis : utrum simul

inesse dispositio praua et habitus eidem potentie, uel si non possint2 simul inesse. Utrum

aliquando sit potentia nec sic disposita nec sic, uel, si non est disposita altera3 illarum, qualiter

una generetur et altera corrumpatur. Corruptio enim subita est4, ut uidetur, et generatio

subita ; et propter hoc sequitur <quod> si corrumpitur, non est, si generatur, est. Et cum primo

corrumpitur uitium, item primo uidetur generari uirtus uel illa dispositio que, cum est intensa,

consequenter fit uirtus.

<§ 33> <11*> Ad quod dicendum quod, secundum iam dictum modum, non potest

inesse uirtus et corrumpi corruptione que est motus, et non esse uitium et generari generatione

que est motus. Generatio enim subita <est>. Si generetur uitium, in uitium quantum ad

substantiam sui, que est dispositio ; et si corrumpitur uirtus corruptione, non est quantum ad

illam substantiam que est dispositio. Et sic intendit inesse medium inter 5 dispositionem

prauam et bonam, quarum6 una sit uirtus et altera uitium. Hiis determinatis, restat de

diffinitionibus que sunt in littera.

<EXPOSITIO LITTERE I>

<§ 34> Cum dicit : causa contemplationis7, intelligitur ibi cognitio generaliter, que

est intellectus speculatiui, et hoc uidetur per hoc quod dicit : quemadmodum alia8, si per ‘alia’

1 consuetudinale scr.] esuetudinaliie? pA esuetudinale sA lii exp.? 2 possint scr.] possunt A 3 altera sA] alterarum pA 4 est scr.] etiam A 5 inesse medium inter scr.] medium inter inesse A 6 quarum scr.] qui A 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b25-26), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 25-26 : « […]

non contemplacionis gracia est […] ». 8 quemadmodum alia scr. ex fonte] quedamodo i anima A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b26), trad.

BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 6, l. 26 : « [...] quemadmodum alia [...] ».

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supponatur opus naturalis philosophie et rationalis. Et tunc cum dicitur : ut fiamus boni1, erit

finis communis moralis philosophie ; et potest2 aliter exponi ut opus quod est ad

intellectualem uirtutem dicatur contemplationis gratia3, opus uero quod est ad

consuetudinalem uirtutem dicatur [et] ut fiamus boni. Et tunc per hanc dictionem ‘alia’

supponuntur opera contemplatione uirtutis, quomodo etiam in iuris contemplatione, alii uero

dicuntur fieri boni per operationem {f. 94r} ciuilitatum4.

<§ 35> <Per> hoc autem quod dicitur : ut fiamus boni5, intelligitur de bonitate que

est in habendo uirtutem uel in augmentatione eius, et non de eo6 quod est in habendo

felicitatem, nisi in quantum bonitas felicitatis habetur ex consequente ad bonitatem uirtutis.

<§ 36> Cum autem dicit : nullum esset proficuum7, intelligitur quod scire quod est8

uirtus, nisi ordinalis ad fieri bonum uel esse bonum, non est proficiens. Vnde cum <dicit> :

scire quid est uirtus9, ponitur finis principalis, neque proficuum. Vnde dicit Philosophus quod

scire ut sciamus uel10 discamus11 curiositas est, sed scire ut fiamus <boni> proficuum12 est.

<§ 37> Cum autem dicit : ea que sunt in operationibus13, per hoc pronomen ‘ea’

intelliguntur condiciones quibus appropriantur operationes, ut ex eis et per eas uirtus fiat.

Cum autem dicit quod operationes sunt domine habituum14, non intelligitur de ipsis

operationibus in se, sed de bono quod est in eis. Bonum enim primo est in uoluntate,

consequenter in operatione et deinde in habitu. Si fiat uirtus ex operationibus siue fiat ex

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 1 : « [...] set ut boni

fiamus [...] ». 2 et potest scr.] potest et A 3 contemplationis gratia scr.] gratia contemplationis A 4 ciuilitatum scr.] cuilti tum A 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 1 : « [...] set ut boni

fiamus [...] ». 6 de eo scr.] deo A 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b29), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 1-2 : « [...] quoniam

nullum esset proficuum eius [...] ». 8 est sA] est scire pA scire exp. 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.6, l. 26 – p. 7, l. 1 : « [...]

neque enim ut sciamus quid est virtus scrutamur, set ut boni fiamus [...] ». 10 uel discere sA] uel dsre pA dsre exp. 11 discamus scr.] discere A 12 proficuum sA] profiicuum pA i exp. 13 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b29), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 2-3 : « […] necesse

est scrutari ea que circa operaciones […] ». 14 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b30-31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p 7, l. 3-4 : « hee enim

domine ut quales fiant habitudines, quemadmodum diximus ».

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uoluntate [et], <sit> primo in uoluntate, consequenter in habitu. Aliter autem est de habitu

siue de uirtute infusa.

<§ 38> Cum autem dicit : operari secundum rectam rationem in genere1, intelligitur

respectu omnium uirtutum consuetudinalium sicut principium eorum que efficiuntur. Per hoc

autem quod dicit : supponatur2, intelligitur quod hoc est principium quod est suppositio.

Concluditur enim, eo quod finis est fieri bonos, medium debet esse operari secundum

principium quod est recta ratio ; et ita operari secundum rectam rationem concluditur, et etiam

principium respectu conclusionum sequentium.

<§ 39> Cum dicit quod omnis sermo oportet dici typo3 et non certitudinaliter circa4

ea que sunt facienda5, non intelligitur quin aliquo modo certitudinaliter datur, sed non

quantum ad eum qui debet instrui in operationibus singularibus6.

<§ 40> Per hoc autem quod dicit typo, intelligitur modus exemplaris et parabolicus,

qui est dicere in figura7. Archetipum enim est principalis figura qua dicitur mundus

‘archetipus’8 ; et ‘zelotipus’ dicitur qui habet figuram zeli siue amoris, non9 uerum amorem.

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 4-5 : « Secundum

igitur rectam racionem operari commune et supponatur [...] ». 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1103b32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 5. Cf. note

précédente. 3 typo scr.] tipo A 4 circa scr. ex fonte] contra A 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a1-2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 7-9 : « [...] quoniam

omnis qui circa ea que facienda sermo, typo et non certitudinaliter oportet dici […] ». 6 singularibus sA] sig pA 7 Cf. § 16. 8 Cf. GUILLAUME DE CONCHES, Glosae super Platonem (I, 32), éd. É. JEAUNEAU, Guillelmi de Conchis Glosae

super Platonem, Turnhout, Brepols (coll. « Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis », 203), 2006, p.

62, l. 33 : « Haec eadem a Platone dicitur archetipus mundus : mundus, quia omnia continet quae in mundo

sunt ; archetipus, id est principalis forma (arcos enim princeps, tipos figura uel forma) ». Cf. PLATON, Timaeus (17A-53C), éd. J.H. WASZINK, dans Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, London,

Warburg Institute (coll. « Plato Latinus », IV), 1975, p. 30, l. 15 : « Tempus uero caelo aequaeuum est, ut una

orta una dissoluantur, si modo dissolui ratio fas que patietur, simul ut aeuitatis exemplo similis esset uterque

mundus ; archetypus quippe omni aeuo semper existens est, hic sensibilis imago que eius is est qui per omne

tempus fuerit, quippe et sit ». 9 non scr.] nam A

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<§ 41> Cum autem dicit : secundum materiam sunt inquirendi1 sermones2, intelligitur

quod conformis debet esse sermo ei de quo est doctrina, et ei quod3 docetur.

<§ 42> Cum autem dicit : Ea que sunt in operationibus et4 conferentia5, intelligitur

multitudinem circumstantiarum in operationibus, quas6 oportet fieri ferre ad finem. Et

notantur hic tres condiciones materie, propter quas non oportet dici certitudinaliter, sicut

propter tres oppositas oportet dici certitudinaliter. Cum reperuntur in aliquo docibili, scilicet

multitudo infinitatum ‒ singularibus differenter se habentibus secundum temporalia, quarum

unaqueque est principium incertitudinis ‒, <oportet> certitudinem7 uero eligi super

uniuersalia in paucitate entia inuariabilia secundum tempus.

<§ 43> Cum autem dicit : neque sub arte incidunt neque sub narratione8, intelligitur

numerus duplex : super uniuersaliter et super singulariter9 definita ; et in hiis que habent

causam et in hiis que numerantur praeter causam.

<§ 44> Cum autem dicit : omni sermone10, intelligitur sermo qui est de rebus

moralibus que sunt conferentes et diuersibiles secundum tempus.

<§ 45> Cum autem dicit : Oportet operantes intendere ea que sunt ad tempus11, hoc

intelligitur ut instruatur operans, quia secundum diuersitatem temporis oportet conformari

operationes, sicut secundum diuersitatem temporis oportet conformari medicina12, et

secundum diuersitatem temporis oportet conformari rationem regendi nauium, que ad

gubernationem pertinet. Et posuit similitudinem in medicina et gubernatione eo quod iste

1 inquirendi scr. ex fonte] in A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a4), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 9-10 : « […] quoniam

secundum materiam sermones inquirendi ». 3 quod scr.] qui A 4 et scr. ex fonte] in A 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a4-5), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 10-11 : « Ea autem

que in operacionibus et conferencia [...] ». 6 quas sA] quare pA 7 certitudinem scr.] certitudo A 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a7-8), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 13-14 : « [...]

neque enim sub arte neque sub narracione aliqua incidunt ». 9 singulariter scr.] singularia A 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a6), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 12 : « Tali autem

existente tocius sermone […] ». Dans le manuscrit Paris, BnF, lat. 8802 (Qh) Gauthier lit « Tali autem existente

et omni sermone ». 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a8-9), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 14-15 : « Oportet

autem eos semper qui operantur, ea que ad tempus intendere […] ». 12 medicinam scr.] medicina A

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sunt artes in quarum operationibus plus est respicienda diuersitas temporis eo quod secundum

omnem diuersitatem corporis fiat alteratio in corpore humano. Et est1 aliqua differenti<a>

nauium.

<§ 46> Cum autem dicit : in temptandum auxiliari2, notat quod hec doctrina non est

nisi sicut auxilium quoddam ad hoc : ut fiamus boni, sicut scire naturaliter ea que pertinent

ad opera uirtutum auxilium quoddam est ad scire in particulari3 , et scire in particulari

auxilium quoddam est ad uelle operari. Si uero diceret4 quod bonitas esset in nobis a causa

prima bonitatis, tunc planum esset quod hec doctrina non esset nisi auxilium quoddam ad

fieri bonos.

<§ 47> Cum autem dicit : Prius igitur5, per hanc dictionem ‘igitur’ notat intellectum6

ab eo quod dictum est : temptandum auxiliari7, et etiam argumentatio hec est : uirtus

consuetudinalis est ex operari secundum rectam rationem ; operari autem secundum rectam

rationem est operari in medietate8 superfluitatis et indigentie. Hoc autem cognosci per hoc,

quod uirtus innata est corrumpi ab indigentia et superfluitate : igitur inspiciendum est

quoniam hec innata sunt9, et cum extrema enim sunt notiora medio. Et propter hoc arguit per

hunc modum, ex corruptione uirtutis per superfluitatem et indigentiam, generationem eius et

saluationem et augmentationem in medietate.

1 est scr.] in A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 17: « [...]

temptandum auxiliari ». 3 particulari sA] partiiculari pA 4 diceret scr.] dicere A 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 17-18 : « Prius

igitur hoc inspiciendum [...] ». 6 intellectum scr.] intellectom A 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 17 : « [...]

temptandum auxiliari ». 8 medietate scr.] mediate A 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a12), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 18-19 : « [...] hoc

inspiciendum, quoniam hec innata sunt ab indigencia et superfluitate corrumpi. »

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<QVESTIO>

<§ 48> Sed posset aliquis querere de eo quod dicit, quod uirtus nata1 est corrumpi,

cum natura non sit alicuius ad non esse uel ad corruptionem, que est uia2 in non esse.

<§ 49> Ad quod dicendum est quod nomen nature extenditur prout dicitur aliquid

possibile corrumpi natura. Et est eadem natura qua possibile est corrumpi et generari. Sed

per naturalem potentiam in suo susceptibili et in causa, possibile est generari per naturalem.

Videtur in3 potentiam in sua causa possibile corrumpi. Et sumuntur4 hec duo nomina,

‘indigentia’ et ‘superfluitas’, secundum proportionem in hoc genere.

<§ 50> ‘Superfluitas’ enim proprie dicitur respectu augmentationis5, indigentia uero

est diminutio ad completam6, cum possibilitate ad illud. Hic autem accipitur ‘superfluitas’

pro additione super circumstantias modificationis in uirtute, ‘indigentia’ uero pro

diminutione respectu illarum circumstantiarum uel sumptarum. Similiter [in] ‘medietas’

accipitur per proportionem ; hic medium enim proprie, in communi7, et discretione.

Secundum similitudinem uero, quam similitudinem ostendet posterius.

<EXPOSITIO LITTERE II>

<§ 51> Cum autem dicit : in obscuris oportet uti apertis8, intendit esse uirtutis in

medietate esse rem obscuram. Est enim uirtus res intelligibilis cuius singulare non est notum

in sensu. Et cum dicitur ‘in medietate’, per proportionem sit9 sermo de ea. Et sic sermo est

obscurus, tum ratione rei significate, tum ratione modi significandi eam. Manifesta uero

testimonia dicuntur tum ratione rei, tum ratione modi significandi. Sumitur enim similitudo

1 nata scr.] uita A 2 que est uia scr.] que est uia bis A 3 in scr.] in bis A 4 sumuntur scr.] sumumtur A 5 augmentationis scr.] commmentati A 6 completam scr.] completa A 7 communi scr.] communis A 8 apertis scr. ex fonte] arte A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a14), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd.

GAUTHIER, p. 7, l. 19 : « Oportet enim in obscuris, apertis testimoniis uti ». 9 sit sA] sit fre pA

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in sanitate et fortitudine corporis, que sunt res manifeste ; et fit sermo de eis per proprietatem

locutionis.

<§ 52> Ponit autem similitudinem in hiis : sicut sanitas consistit in equalitate

humorum et compositionis partium similium et officialium, sic uirtus de qua est sermo

consistit in equalitate circumstantiarum in operationibus uel passionibus. Et sic uirtus

corporis qua1 potest homo maxime in operationem ex parte corporis, ita uirtus de qua est

sermo, qua potest homo maxime in operatione que est a parte anime. Et cum duo in uirtute

considerari debeant, scilicet quod sit habitus bonus et <quomodo> bene reddat opus,

proportionatur sanitas uirtuti secundum quod est habitus bonus. Virtus uero corporalis2

comparatur ei secundum quod est bene redditum3 opus.

<§ 53> Deinde cum dicit : Superflua ginnasia45, id est corporis exercitationes

superflue, intendit dicere qualiter est de fortitudine corporali. Cum autem dicit : Similiter

utique et potus et cybus6, intendit dicere qualiter est de sanitate corporis ; et recte comparat

ginnasiam7 ad fortitudinem8, et potum et cybum ad sanitatem, eo quod ginnasia9 fit10

secundum motum neruorum et ossium in quibus consistit fortitudo, potus uero attenditur

secundum frigidum et humidum, cybus uero secundum calidum et humidum, in quibus

determinatur proportio ad principia sanitatis. Nihil tamen prohibet id quod in potu11 esse

calidum uel siccum naturaliter [sequitur], et id quod est <in> cybo12 esse frigidum uel siccum

naturaliter ; sed hoc non est secundum rationem cybi13 in quantum est cybus et potus in

quantum est potus.

1 qua scr.] que A 2 corporalis scr.] coporalis A 3 redditum scr.] reddit A 4 ginnasia scr. ex fonte] gingnasia A 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a15-16), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 20-21 :

« Superflua enim ginnasia et indigencia, corrumpunt virtutem ». 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a16), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.7, l. 21-22 : « Similiter

utique potus et cibus amplius vel minus fiens [...] ». 7 ginnasiam scr.] gingnasia A 8 fortitudinem sA] po pA 9 ginnasia scr.] gingnasia A 10 fit scr.] fiunt A 11 potu scr.] potus A 12 cybo scr.] cybus A 13 cybi scr.] cibi A

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<§ 54> Cum autem dicit : Commensuratus1 et facit et saluat et auget2, facere est ut

sit saluare, ut permaneat uero, ut intendatur.

<§ 55> Deinde cum dicit : Sic in castitate et fortitudine3, intendit manifestare per

inductionem quod uirtus saluatur in medietate ; et ponit inductionem in manifestis uirtutibus

penes operationes et passiones, et non ponit exemplum de prudentia. Opus enim eius est in

medietate a ratione, que opera non sunt manifesta {f. 94v} pluribus quibus fit inductio.

<§ 56> Cum autem dicit : Qui4 fugit et timet et nihil sustinet, est timidus5, intendit

tres proprietates timidi ex opposito contra tres proprietates ipsius fortis. Fugere enim est

contra agredi, timere uero contra sperare, nihil sustinere contra perseuerare in patiendo ; et

antecedit agressio et sequitur spes de confirmatione propter quod sequitur perseuerantia in

perpessione ; et sic ex opposito se habent fugere et timere et nihil sustinere.

<§ 57> Cum autem dicit : et qui omnem uoluptatem habet6, intelligit ibi habere

uoluptatem per coniunctionem ipsius uoluptabilis cum uoluptuoso per spem aut sensum aut7

memoriam. Cum enim dicitur : insensibilis8, non dicitur ille qui priuatus est sensu, sed qui

de facili non patitur a passionibus tactus et gustus que maxime sunt in mutatiue.

<§ 58> Cum autem dicit : Sed non solum generationes9 etc., intelligitur secunda pars

in qua manifestat quod uirtus generata est principum consimilium10 actuum illis ex quibus

generatur11, saluatur et augetur, ut ponat similitudinem uirtutis ad animalia perfecta. Primo

enim generantur animalia, et consequenter saluantur per uirtutem nutritiuam, et deinde

1 commensuratus scr. ex fonte] commensuratur A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a17), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 23 :

« Commensuratus autem, et facit et auget et salvat ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a18), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 23-24 : « Sic igitur

in castitate et fortitudine habet, et aliis virtutibus ». 4 Une lacune de trois lettres environ suit ce mot. 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a10-20), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 24-25 : « Qui

enim omnia fugit et timet et nichil sustinet, timidus fit ». 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a22), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 7, l. 26-27 : « Similiter

autem et qui omnem voluptatem {vel delectacionem} habet et a nulla semotus est [...] ». 7 aut scr.] querit A 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a25), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 8, l. 1-2 : « [...] qui

autem omnes fugit ut ruricole, insensibilis ». 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a27), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 8, l. 3-5 : « Set non

solum generaciones et augmenta et corrupciones ex eisdem ipsis et ab eisdem ipsis fiunt [...] ». 10 consimilium scr.] consilium A 11 generatur scr.] genera A

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auguntur per augmentatiuam. Completum uero animal <est> per uirtutem generatiuam,

generat sibi simile1, et simile ei a quo generatur. Sic etiam intelligit hic de uirtute : primo, ut

generetur, secundo ut saluetur, tertio ut augeatur2 ; et deinde ut generet operationes

consimiles illis a quibus generatur. Et hoc manifestat, similiter enim modus per parabolam et

inductionem, cum dicit : Verbi gratia in uirtute3, et cum dicit : sicut in uirtutibus se habet4.

1 simile sA] simile m pA 2 augeatur scr.] augetur? A 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 8, l. 6 : « Verbi gracia

in virtute ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104a33), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 8, l. 8 : « Sic autem

habet et in virtutibus ».

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<TERTIA LECTIO>

{f. 94v-97r}

<DIVISIO TEXTVS>

<§ 1> {f. 94v12} Signum autem oportet facere1, etc. Determinatum est in proximo

quod uirtus generatur et saluatur ex operationibus in medietate existentibus2. In hac parte

intendit auctor adicere condicionem, super predictam, per quam habeatur signum3 uirtutis et

uitii in aliquo4. Et hec condicio est ut sit delectatio5 in quibus oportet et tristitia in quibus

oportet.

<§ 2> In sequenti uero parte, que ibi incipit : Queret6 autem aliquis7, etc., adicit, super

has duas condiciones, tertiam, scilicet perseuerantiam uoluntatis in opere8. Et intelliguntur

hee .III. condiciones9 ita distincte, ut prima attendatur penes condiciones operationis que

etiam in potentia subiecta <delectationi et tristitie>, secunda uero quantum ad condicionem

motoris10, quod est uoluntas, tertia uero quantum ad condicionem coniunctam uirtuti et11

potentie. Oportet enim perseuerantiam esse uirtutis operatiue in opere et uirtutis motiue in

uoluntate. Per iam dicta, patet ordo illarum trium partium.

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 2 (1104b3-4), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 8, l. 12-13 : « Signum

autem oportet facere habituum [...] ». 2 existentibus scr.] entibus A 3 signum scr.] signo A 4 Cf. lectio II, § 3. 5 delectatio scr.] in delectatione A 6 queret scr. ex fonte] querat A 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105a16-17), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 10, l. 8-9 : « Queret

autem aliquis quomodo dicimus quod oportet iusta quidem facientes [...] ». 8 Cf. Lectio II, § 4. 9 Cf. Lectio II, § 2. 10 motoris scr.] motori A 11 uirtuti et scr.] uirtusque A

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<QVARTA LECTIO>

{f. 97r- 99r}

<SENTENTIA>

<§ 1> {f. 97r14} Queret autem aliquis1, etc. Determinatum est de duabus

dispositionibus ex quibus colligitur causa materialis ex qua est uirtus2 consuetudinalis. Hic

accidit tertiam dispositionem. Intendit enim in hac parte ostendere quod omnis uirtus

consuetudinalis est cum perseuerantia uoluntatis in actu ; et hoc incipit determinare mouendo

questionem de principiis artis et uirtutis, ut eis differentia propriorum principorum uirtutis

eliciatur predicta condicio ; et deinde <ut> manifestetur quod illa [aliquod] requiritur ad

uirtutem consuetudinalem.

<§ 2> Est autem hec questio prima : si oportet facientes iusta esse iustos3, sicut

facientes gramaticalia gramaticos. Sed quia hoc non sufficit ad esse gramaticos ‒ facere

gramaticalia ‒, potest enim aliquis, casu uel alio supponente4, facere gramaticalia et non esse

gramaticus. Ideo subiungit quod gramaticalia oportet gramatice facere ; et si hoc est,

gramaticus est. Non tamen si iusta facit iuste iustus est. Iuste enim facere dicitur dupliciter :

ad modum iusti uel secundum iustitiam que est in ipso, et modus ille diuersibilis est per

plurales condiciones que post coniunguntur.

<§ 3> Assignat etiam aliam differentiam inter artem et uirtutem, quod ea que ab arte

fiunt non refert utrum uoluntarie uel inuoluntarie fiant : de modo secundum artem fiant. Et

non intendunt artem ea uero que fiunt a uirtutibus : refert si uoluntarie uel inuoluntarie fiant ;

et si uoluntarie fiant, intendunt bonum uirtutis uel signant eius intensionem.

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105a17), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 10, l. 8-9 : « Queret

autem aliquis [...] ». 2 uirtus sA] causa pA uirtus sup. lin. 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105a17-18), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 10, l. 9-10 : « [...]

quod oportet iusta quidem facientes, iustos fieri [...] ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105a22-23), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 10, l. 13 : « [...] et

casu et alio supponente ».

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<§ 4> Deinde, quia dixit quod ad fieri iustum requiritur iusta facere1, et iuste,

determinat quid est iuste facere siue bene facere, et deinde quid est iusta facere, ut ex hoc

eliciatur propria condicio uirtutis que est perseuerantia uoluntatis in opere.

<§ 5> Vnde dicit : ad iuste uel bene facere tria exiguntur : scienter, cum uoluntate,

cum perseuerantia uoluntatis in actu2. Sed solum primum requiritur ad gramatice operari uel

ad modum alicuius artis.

<§ 6> Deinde determinat quid est iusta operari, scilicet operari talia qualia iustus et

castus operaretur.

<§ 7> Hoc determinato, proponit3 quod uirtus consuetudinalis fit cum4 perseuerantia

uoluntatis in opere. Sic enim est in sanitate anime et sanitate corporis. Sed sic est in sanitate

corporis quod non sufficit ad sanitatem cognitio sanantium5, sed usus eorum, qui uoluntarius

est in sanando, et oportet perseuerantiam nature esse in operando. Quare oportebit in sanitate

anime, que fit per uirtutem, primo esse cognitionem6 operandorum et deinde usum

uoluntarium eorumdem cum perseuerantia. Hoc enim facit uoluntas7 in hiis quod natura in

illis.

<§ 8> Quo habito, habentur condiciones omnes que8 requiruntur ad causam

materialem uirtutis9, scilicet quod sit ex operationibus in medietate superfluitatis et

indigentie, et cum delectatione et tristitia in quibus oportet, et perseuerantia uoluntatis in

opere.

<QVESTIONES>

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105a17-18), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 10, l. 8-10 : « Queret

autem aliquis quomodo dicimus quod oportet iusta quidem facientes, iustos fieri ». 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105a30-33), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 10, l. 20-22 : « [...]

set si qui operatur qualiter habens operatur ; prius quidem si sciens ; deinde si volens propter hec ; tercium

autem si firme et inmutabiliter habens, operatur ». 3 proponit scr.] propriat A 4 cum sup. lin. 5 sanantium scr.] sanatiorum A 6 cognitionem scr.] cognitiom A 7 dub. 8 que scr.] qui A 9 uirtutis scr.] uirtutes A

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239

[...]

<§ 24> {f. 98r14} <4.4> Deinde sequens questio terminatur sic, scilicet quod ad artem

non requiruntur tot quot1 ad uirtutem intellectualem2. <4.4*> Causa autem est quia ars est

perfectio intellectus speculatiui prout est regula operis. Perfectio autem intellectus speculatiui

consistit in argumentatione, et ipsa ars cognitio quedam est que fit ex experimento precedenti

multotiens facto. Cum ergo uoluntas ex preexistenti cognitione cognitionem sequatur, non

requiretur uoluntas ad artem, nec uoluntatis perseuerantia.

<§ 25> Ad uirtutem uero intellectualem requiruntur scire et uelle. Cum enim bona sit

anima per uirtutem intellectualem et bene ordinata ad summum bonum immediate, bona

autem ordinatio anime rationalis ad summum bonum immediate est per illas potentias quibus

potest ea adiungi uel ad ipsum conuerti. Hec autem est potentia cognoscitiua et motiua.

Requiritur ergo ad uirtutem intellectualem habendam actus uirtutis cognoscitiue et motiue —

actus uirtutis cognoscitiue est scire et motiue est uelle. Requiritur ergo ad uirtutem

intellectualem et scire et uelle. Est enim uirtus intellectualis consistens3 in contemplatione

summi boni et dilectione eiusdem. Non autem requiritur ad uirtutem intellectualem operatio

corporalis ; per illam enim non coniungitur immediate summo bono.

<§ 26> <5> Sequens uero questio terminatur, qua queritur utrum omne scire ordinat

ad uirtutem, an sit quedam scientia propter uirtutem, quedam uirtus propter scientiam,

quedam uero indifferens. Et uidetur quod uirtus quedam sit propter scientiam. Virtus enim

est ordinata ad felicitatem, ut propter quid est. Felicitas autem, sicut ponunt philosophi, est

in cognitione summi boni. Ergo uirtus est propter scientiam.

[...]

<§ 29> Quod autem aliquid sit scire, impertinens uidetur per hoc : scientia enim non

disponit ad uirtutem nisi ex natura scibilium. Scibilia uero sunt quedam que non sunt ex

1 quot scr.] neque A 2 intellectualem scr.] intelligibilem A 3 consistens scr.] consistans A

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nostro opere neque dirigunt nos in opere, ut triangulum esse equalem quadrato. Scientia ergo

cadens super huiusmodi scibilia non est dispositiua ad uirtutem1.

<§ 30> <5*> Propter quod dicendum est quod scientia quedam est ad quam ordinat

omnis uirtus, et hec est scientia data; non innata neque adquisita, nec est solum scientia2.

Quod enim est scientia solum perficit intellectum speculatiuum ; hec autem totum hominem.

Vnde non est solum scientia, sed est tota beatitudo.

<§ 31> Est etiam alia scientia ad quam disponit uirtus consuetudinalis ut melius

habeatur, sicut est scientia de summo bono, quam hic habemus; et ad hanc <scientiam>

disponit uirtus illa qua anima remouetur a delectationibus corporalibus mensurante3.

<§ 32> Est iterum scientia quedam que disponit ad uirtutem consuetudinalem, sicut

est scientia operandorum et fugiendorum que habetur ex diuersis partibus moralis

philosophie et per propriam experientiam4.

<§ 33> Est autem scientia que disponit ad uirtutem intellectualem, sicut est cognitio

omnium mirabilium que facta sunt propter hominem, in quibus relucet bonitas Facientis, per

quam contemplans5 reducitur ad Eius dilectionem6.

<§ 34> Ex hac determinatione scientie patet que est scientia propter quam est uirtus

uel uniuersaliter uel particulariter7 quedam, et que est ad consuetudinalem uirtutem, et que

est ad intellectualem. Scientia uero, que est ad uirtutem intellectualem in maxima parte, nulla

est ad consuetudinalem ; et ideo dicit scire nichil est ad uirtutem de qua est hic sermo, aut

paruum est ad uirtutem. Et hoc intelligitur de scire illo in operandis et non operandis,

1 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 761, l. 120-124 : « Ad hoc respondeo quod aliquod

scire est impertinens ad virtutem, aliquod pertinens. Hoc autem dinoscitur ex natura scibilium; scientia enim

non disponit ad virtutem nisi ex natura scibilium. Sunt ergo quedam scibilia, que non sunt ex nostro opere neque

nos dirigunt in opere, ut triangulum esse equalem cuadrato. Unde scientia cadens super huiusmodi scibile non

disponit ad virtutem ». 2 scientia sA] scientia sed est tota beatitudo pA sed est tota beatitudo canc. 3 mensurante scr.] mensurate A 4 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 761, l. 139-141 : « Est alia scientia que disponit ad

virtutem, scilicet scientia operandorum, et de hac dicunt non intelligi illud verbum in Ethica : ‘Scire nichil aut

parum’, etc. dicunt enim illam multum facere ad virtutem ». 5 dub. 6 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 762, l. 165-167 : « Tertio modo dicitur scientia

cognitio omnium mirabilium que facta sunt propter hominem, in quibus relucet bonitas facientis, per quam

reducitur ad eius dilectionem et delectationem [...] ». 7 particulariter scr.] parti A

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diligendis {f. 98v} et fugiendis. Cum enim tria exigerentur ad uirtutem, scire et uelle et

inmutabiliter <habendo>1 operari, quod minime disponit ad propriam est scire.

[...]

<§ 38> {f. 98v14} <7.2> Illa uero questio qua queritur utrum omni2 consuetudinali

insint hec tria sic terminatur. Et uidetur instantia esse in prudentia. Prudentia enim consistit

in discretione boni et mali. Discretio autem illa ad scire uidetur pertinere. Sed dicendum est

<7.2*> quod prudentia accipitur secundum .IIII. modos : uno modo in quantum est scientia

boni aut mali per modum incomplexum, alio modo in quantum est <scientia> boni et mali

per modum complexum prout deliberatio cadit super ea. Est etiam prudentia que derelinquitur

ex electione bone discretionis in operandis et fugiendis. Est etiam prudentia qua homo

remouet se a bono mutabili per discretionem, conuertendo se aut3 adherendo bono

inmutabili4.

<§ 39> Secundum primum modum, prudentia non est uirtus qua homo bonus fit ; est

tamen directiua in uirtutem. Secundo modo similiter prudentia non est uirtus, sed est habitus

intellectus speculatiui disponens ad5 uirtutem. Tertio modo est uirtus moralis. Quarto uero

modo est prudentia uirtus purgatoria. Est enim quedam principalis uirtutis differentia, scilicet

moralis siue politica, purgatoria6, purgati animi, exemplaris7. Et sic patet ad quam

1 habendo supp. in lac. 2 omni scr. ex correctione in marg.] omne A 3 aut sup. lin. 4 PHILIPPE LE CHANCELIER, Summa de bono, éd. WICKI, p. 762, l. 152-159 : « Omnes tamen predicte accipiuntur

per hoc nomen ‘prudentia’ large sumptum. Verbi gratia est quedam scientia boni et mali per modum

incomplexum, secundum quem dicimur scire operari [...] Alio modo dicitur scientia que est suorum scibilitum

per modum complexum, prout deliberatio cadit super ea. [...] » ; Ibid. p. 763, l. 196 : « Nam unaqueque

predictarum dicitur prudentia ; proprie autem dicitur prudentia que relinquitur ex delectatione bone discretionis

in operandis et fugiendis, et hoc secundum ethicum ». 5 ad sup. lin. 6 purgatoria scr.] purgatio A 7 MACROBE, Commentarii in Somnium Scipionis, livre I, 8, 5, éd. ARMISEN-MARCHETTI, p. 51 (éd. WILLIS, p.

37, l. 22-28) : « Sed Plotinus, inter philosophiae professores cum Platone princeps, libro De uirtutibus gradus

earum uera et naturali diuisionis ratione compositos per ordinem digerit. Quattuor sunt, inquit, quaternarum

genera uirtutum. Ex his primae politicae uocantur, secundae purgatoriae, tertiae animi iam purgati, quartae

exemplares ».

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requiruntur1 ille .III. condiciones et ad quam non, scilicet ad prudentiam, que est uirtus que

derelinquitur ex scire et uelle et inmutabiliter operari operatione interiori.

<EXPOSITIO LITTERE>

[...]

<§ 49> {f. 99r11} Et cum dicit : Simile aliquid facientes2 egrotantibus3, notat

similitudinem ex qua confirmatur quod intendit, ex quo infert : Quemadmodum igitur4, etc.

Ex quo intelligitur quod scire est parum ad uirtutem, in quo est complementum artis.

Complementum uero uirtutis quantum ad causam materialem est perseuerantia uoluntatis5 in

opere.

<§ 50> Et hoc habito, terminatur pars que est de6 causa materiali uirtutis

consuetudinalis.

1 requiruntur scr.] requirantur A 2 facientes scr. ex fonte] fa A 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105b14-15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 10 : « Simile

aliquid facientes egrotantibus [...] ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 3 (1105b16), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 11-12 :

« Quemadmodum igitur [...] ». 5 uoluntatis sA] uirtutis pA uirtutis exp. 6 de sup. lin.

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<QVINTA LECTIO>

{f. 99r-101v}

<SENTENTIA>

<§ 1> {f. 99r13} Post hec autem quid sit uirtus scrutandum1. Quoniam igitur2, etc.

Determinatur causa materialis ex qua est uirtus consuetudinalis3. Determinat consequenter

causam formalem4. Causa uero5 formalis uel cognoscitur in uniuersali uel particulari. Docet

ergo cognitionem cause formalis, primo autem in uniuersali6, deinde in particulari7, ut

construatur intellectus communis ; ex parte qua est aptus8 [est] instrui uel ex prioribus quo

ad nos, uel ex prioribus quantum ad intellectum9. Docet ergo in uniuersali causam formalem

dupliciter, scilicet in quantum est uirtus extremitas et in quantum est uirtus medietas.

Extremitas qualis in quantum tenet rationem boni et perfecti ; medietas uero prout est inter

superfluitatem et indigentiam in operationibus aut passionibus.

<§ 2> Et primo determinat uirtutem secundum quod est extremitas, ponendo quod

uirtus est habitus secundum quem homo bonus est in se et in suo opere ; deinde <determinat

uirtutem> secundum quod uirtus est consistens in medietate determinata ratione quo ad nos,

prout prudens determinabit10. Et primo determinatur illa ratio uirtutis quam alia, eo quod illa

sumitur a fine uirtutis, reliqua uero a materia circa quam est uirtus. Et hec est principium

1 scrutandum scr. ex fonte] sed notandum A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b19), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 13-14 : « Post hec

autem quid est virtus scrutandum ». 3 Dans l’ensemble des leçons I-IV. 4 Dans l’ensemble des leçons V-VI. 5 uero dub. 6 Dans la présente leçon. 7 Dans la sixième leçon. 8 est aptus sA] est uirtus pA uirtus exp. 9 ARISTOTE, Analytica Posteriora, I, 2 (71b33-72a1), trad. ANONYME, éd. L. MINIO-PALUELLO, Bruges, Paris ;

Desclée de Brower (coll. « Aristoteles Latinus », IV, 2), 1953, p. 9, l. 21-23 : « Priora autem sunt et notiora

dupliciter ; etenim non idem prius natura et ad nos prius, neque notius natura et nobis notius » ; Physica Vetus,

I, 1 (184a14-18), trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 7, l. 7-11 : « [...] manifestum est et de

natura scientie temptandum prius determinare que circa principia sunt. Innata autem est ex notioribus nobis via

et certioribus in certiora nature et notiora ; non enim eadem nobisque nota et simpliciter ». 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1106b36-1107a2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 14-16 :

« Est igitur virtus, habitus voluntarius in medietate existens que ad nos determinata, racione ; et ut sapiens

determinabit ».

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determinandi aliam, sicut finis determinat materiam rei, que enim est habitus bonus quantum

ad substantiam uirtutis et quantum ad opus. Oportet ideo esse in medietate duarum

malitiarum1, etc.

<§ 3> Determinata illa multitudine primarum partium et ordine, determinat

consequenter hoc modo primam partem : primo, inquirendo quid sit genus uirtutis ; secundo,

quid sit differentia eius. Inquirit autem genus sic : cum tria sint in anima, potentia, passio,

habitus, uirtus autem est aliquid horum2. Cum sit in potentia motiua anime in quantum

comparatur ad bonum uel malum, a quo mota est, et non est passio neque potentia, ergo est

habitus. Quod autem non sit potentia neque passio, sed habitus, exemplificat per positas

diffinitiones.

<§ 4> Primo quatuor rationes ponens quod uirtus non est passio : secundum passiones

non dicimur boni uel mali ; secundum uirtutes uero et malitias dicimur3 ; ergo uirtutes non

sunt passiones. Alia ratio ponitur ad idem : secundum passiones non laudamur neque

uituperamur ; secundum uirtutes uero laudamur4 ; ergo uirtutes non sunt passiones. Et

explanatur : utraque probatio est in littera5. Tertia ratio est hec : uirtutes6 sunt uoluntates, uel

non sine uoluntate7. Passiones uero sunt inuoluntarie. Ergo, uirtutes non sunt passiones. Item

passionibus dicuntur moueri scilicet alterari8, uirtutibus uero adiaceri9 ; ergo uirtutes non

sunt passiones.

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1107a2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 16 : « Medietas

autem, duarum maliciarum [...] ». 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b19-21), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 14-15 :

« Quoniam igitur ea que in anima fiunt tria sunt, passiones, potencie, habitus, horum aliquid erit uirtus ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b29-31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 25, p. 12, l. 1-

2 : « […] quoniam non dicimur secundum passiones boni vel mali. Secundum virtutes autem vel malicias,

dicimur ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b31-1106a2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 2-5 : « [...]

secundum passiones quidem, neque laudamur neque vituperamur [...] Secundum autem virtutes vel malicias,

laudamur vel vituperamur ». 5 littera scr.] litera A 6 uirtutes sA] uoli pA uoli exp. 7 sine uoluntate scr. ex fonte] sunt uoluntates A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1106a3-4), trad. BURGUNDIO

DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 7-8 : « Virtutes autem voluntates quedam, vel non sine voluntate ». 8 alterari scr.] altari A 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1106a4-6), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, P. 12, l. 8-10 : « […]

secundum quidem passiones moveri dicimur. Secundum virtutes autem et malicias, non moveri, set adiaceri

qualiter ».

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<§ 5> Ordinari1 et alterari sunt2 actus oppositi ut distinguuntur ille rationes .IIII. sic :

ut prima sumatur3 ex proprietate cause formalis aut finalis ipsius uirtutis, secunda uero ex

proprietate consequente causam finalem, tertia4 uero quantum ad causam efficientem, quarta

uero quantum ad causam materialem.

<§ 6> Sumuntur iterum tres rationes ad ostendendum quod uirtus non est potentia.

Due rationes5 sunt eedem6 cum duabus primis precedentibus, tertia uero sumpta est a causa

efficiente uirtutis et potentie. Hinc enim causa efficiens est uoluntas et illic natura.

<§ 7> Determinato genere uirtutis, determinat consequenter differentiam eius7.

Sumpta comparatione ad uirtutem materialem [alterius] tocius et ad uirtutem partis, scilicet

in comparatione ad uirtutem equi et oculi, utraque autem uirtus suum subiectum bonum reddit

et eius opus bonum. Cum ergo similiter sit in aliis, omnis uirtus sic se8 habebit ; quare uirtus

humana <sic se habebit>9.

<§ 8> Deinde determinat secundam rationem uirtutis, primo distinguens rationem

medii : scilicet per ‘medium’ aliud est secundum rem, aliud est quo ad nos10, quod neque

superhabundat neque deficit11. Deinde ostenditur quod uirtus est in medietate quo ad nos12.

Quod autem sit in medietate sic arguitur : uirtus est certior omni arte13 existente de eisdem

1 ordinari sA] ordinaritur pA tur cancell. 2 sunt sA] sicut pA sicut exp. sunt sup. lin. 3 sumatur scr.] suatur A 4 tertia scr.] tertio A 5 rationes scr.] potentie A 6 eedem scr.] eadem A 7 Il s’agit bel et bien de la transition du chapitre 4 au chapitre 5. Cf. ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4-5 (1106a12-

15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 15-17 : « Quid quidem igitur est genere virtus, dictum

est. Oportet autem non solum sic dicere quoniam habitus, set et qualis ». 8 sic se scr.] se sic A 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106a21-22), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 23-24 : « Si

utique hoc in omnibus sic habet, et hominis virtus erit utique habitus [...] ». 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106a28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 29 : « [...] aut

secundum rem, aut secundum nos ». 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106a31-32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 13, l. 3-4 : « Ad nos

autem quod neque superhabundat neque deficit ». 12 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106b8), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 13, l. 15 : « Medium

autem non quod rei, set quod ad nos ». 13 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106b14-15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 13, l. 21 : « [...]

virtus autem omni arte cercior et melior est [...] ».

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de quibus est uirtus. Ars autem et natura inspectrices1 sunt medii ; uirtus ergo erit inspectrix

medii2.

<§ 9> Et quia non est idem medium omnibus operationibus et passionibus – quia enim

alicui est parum, alteri est multum – est uirtus inspectrix medii quo ad nos ; et quia medium

quo ad nos potest esse in se medium secundum rem – medium autem secundum rem non

cuiuscumque inuenire, sed sapientis –, erit uirtus inspectrix medii quo ad nos determinata

ratione prout sapiens determinabit, eo quod bonum est finitum3, malum4 infinitum, {f. 99v}

quia5 uno modo dirigere est, multis uero peccare6.

<§ 10> Quibus determinatis, colligetur tota ratio uirtutis consuetudinalis, scilicet

quod uirtus est habitus uoluntarius in medietate consistens, ratione determinata quo ad nos,

prout sapiens determinabit7.

<QVESTIONES>

[...]

<§ 28> <7> {f. 100r5} Potest etiam queri, cum ponantur multe diffinitiones uirtutis,

qualiter8 inter se differunt — per alteram enim diffinitionem, alterum esse oportet exprimere9.

Est autem una diffinitio uirtutis : uirtus est dispositio perfecti ad optimum ; et hec data est in

1 inspectrices scr.] inspectiones (dub.) A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106b15-16), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 13, l. 21-22 : « [...]

quemadmodum et natura, medii utique erit inspectrix ». 3 finitum scr.] firmatum A 4 malum scr.] uel A 5 quia in marg. 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106b28-31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 7-9 : « Adhuc

peccare quidem, multis modis est. Malum autem infiniti, quemadmodum Pithagorici existimant. Bonum autem

finiti, dirigere autem, uno modo ». 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1106b36-1107a2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 14-16 :

« Est igitur virtus, habitus voluntarius in medietate existens que ad nos determinata, racione ; et ut sapiens

determinabit ». 8 qualiter scr.] quarum A 9 exprimere scr.] ex primo A

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Physicis1. Est autem alia diffinitio uirtutis que data est in libro De caelo et mundo2, que talis

est : Virtus est ultimum potentie de re3. Est autem tertia diffinitio hic data : uirtus est habitus

bonus a quo quis bonus est et bene reddit opus suum4. Hec autem : uirtus est habitus

uoluntarius5, etc., est prima diffinitio uirtutis consuetudinalis. Hec autem : uirtus est a quo

quis6 bonus est appropriata.

<§ 29> Distinguuntur tres prime diffinitiones sic7. Virtus habet essentialem

comparationem ad finem ad quem disponit, et secundum hoc data est diffinitio uirtutis :

Virtus est dispositio perfecti ad optimum. Habet autem essentialem comparationem ad

potentiam <cuius>8 est perfectio et terminus, et secundum hoc data est hec diffinitio : Virtus

est ultimum potentie de re. Et est utraque diffinitio uirtutis communis, utilis et adquisite. Est

autem tertia comparatio essentialis uirtutis ad subiectum et opus, et secundum hoc ponitur

hec diffinitio hic : <uirtus est habitus bonus a quo quis bonus est et bene reddit opus suum> ;

et est appropriata uirtuti de qua est hic sermo.

[...]

1 ARISTOTE, Physica Vetus, VII, 3 (246b22-23), trad. JACQUES DE VENISE, éd. BOSSIER et BRAMS, p. 266, l. 4-

6 : « Similiter autem et pulcritudo et macies ad aliquid sunt ; dispositiones enim quedam perfecti ad optimum

sunt […] ». Voir aussi IOHANNES DE FONTE (comp.), Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 155, no 186 :

« Virtus est dispositio perfecti ad optimum ». 2 mundo scr.] celo A 3 ARISTOTE, De caelo et mundo, I, 11 (281a10-15), trad. GUILLAUME DE MOERBEKE, éd. F. BOSSIER, De caelo.

Translationes Roberti Grosseteste et Guillelmi de Morbeka (coll. « Aristoteles Latinus » VIII.2, dans Aristoteles

Latinus database, first release), 2003 : « [...] ut nominetur ad finem et excellentie virtutem [...] Virtus autem

excellentie » ; voir surtout la traduction arabo-latine de MICHEL SCOT, De caelo et mundo, éd. ARNZEN et

CARMODY, p. 220-221, textus 116-117 : « Dicamus ergo quod diffinitio potentie est ultimum potentie rei [...]

Manifestum est igitur quod potentia diffinienda est in fine eius quod potest ». C’est probablement cette

traduction arabo-latine qui donne lieu à la forme la plus répandue de cette citation (qui est d’ailleurs celle utilisée

par notre maître), qui se trouve repétée à plusieurs occasions, par exemple dans JEAN DE LA ROCHELLE,

Tractatus de divisione multiplici potentiarum animae, éd. MICHAUD-QUANTIN, p. 151, l. 61-62 : « Virtus est

ultimum potentie de re ». Voir aussi IOHANNES DE FONTE, Auctoritates Aristotelis, éd. HAMESSE, p. 162, no 37 :

« Virtus est optimum alicujus quod potest ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106a21-24), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 12, l. 23-25 : « Si

utique hoc in omnibus sic habet, et hominis virtus erit utique habitus, a quo bonus homo fit, et a quo bene suum

opus reddit ». 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1106b36), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 14 : « Est igitur

virtus, habitus voluntarius [...] ». 6 quis sup. lin. 7 sic scr.] sicut A 8 cuius supp. in lac.

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<§ 42> {f. 100v11} <14> Deinde potest queri quantum ad hoc quod dicitur, quod

uirtus secundum substantiam que1 quid est esse significat est medietas. Secundum autem

perfectum2 et bonum est extremitas3 ; cum magis uideatur esse extremitas secundum

substantiam quam medietas <et> quam uirtus, secundum quod uirtus est habitus bonus et

perfectio, et secundum quod <uirtus> est habitus bonus et perfectus, est extremitas. Quare

uirtus secundum substantiam est extremitas. Verbi gratia, cum dicitur : uirtus est habitus

uoluntarius4, uidetur non conuenienter esse posita diffinitio uirtutis eo quod uoluntarium

cadit in diffinitione eius, et non est predeterminatum. Sed in sequenti libro, circa principium5,

cum oportet partes diffinitionis notiores et priores esse diffinito, prima ponitur in diffinitione

uirtutis hec differentia uoluntarium. Et potest queri ex qua determinatione, supra illa6,

accipiatur inesse uirtuti, cum manifestum sit eo, quod est, et de eo, quod est consistens in

medietate. Similiter potest queri de hoc membro : prout sapiens determinabit7, et que sit illa

sapientia qua sapiens huiusmodi dicatur.

<§ 43> <14*> Ad quod dicendum est quod uirtus est extremitas in quantum tenet

rationem8 boni et perfecti, et secundum hunc modum est adquisita. Est autem medietas in

quantum est inter superfluitatem et indigentiam ; quod dicitur extremitas secundum quod

bonum et malum circa habitum dicuntur extremitates. Dicit autem uirtutem esse medietatem

secundum substantiam que significat quid est esse, ut intelligatur9 de substantia morali ipsius

uirtutis, que est secundum materiam uirtutis et formam habitus. Consistentem10 enim dicit

formam in medietate, medietas materiam ; extremitas consequitur ipsam in quantum

participat intentionem finis. Et propter hoc non dicitur secundum substantiam esse

1 que scr. ex fonte] quod A — cf. § 44. 2 perfectum sA] quod perfectum pA quod exp. 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1107a6-8), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 20-22 : « Ideo

secundum substanciam et racionem que quid est esse significat, medietas est virtus. Secundum autem perfectum

et bonum, extremitas ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1106b36), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 14 : « Est igitur

virtus, habitus voluntarius […] ». 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, III, 1 (1109b32-34), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 23, l. 6-8 : « [...]

voluntarium et involuntarium necesse forsan determinare eis qui de virtute intendunt ». 6 id est la définition donnée au début du livre III. Cf. note précédente. 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1107a1-2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 15-16 : « [...] et

ut sapiens determinabit ». 8 rationem scr.] positionem A 9 intelligatur sA] intelligatur secundum substantiam que significat pA secundum substantiam que significat

exp. 10 consistentem scr.] consistens A

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extremitas. Est autem uirtus medietas secundum substantiam dupliciter, uidelicet prout est

medium inter potentiam et finem, diuidens potentiam ad finem, et est medietas inter1 duas

malitias2, quarum una attenditur secundum superfluum, alia autem diminutum.

<§ 44> Ad aliud autem quesitum, dicendum est quod uoluntarius3 dicit differentiam

uirtutis in habitudine ad causam efficientem. Nihil autem prohibet4 uirtutem cognosci

quantum5 ad suam formam, non cognita comparatione eius ad causam efficientem, secundum

quemadmodum determinatur recte in consequenti libro. Potest ergo esse diffinitio alia, quod

eius6 partes omnes non sunt prius determinate, sed alique ille, scilicet que sunt eius secundum

quod in illa parte debent esse determinatas7. Oportet tamen omnes partes aliquo modo esse

prius notas. Vnde illa pars, quod uirtus est uoluntaria, accipitur ex hoc quod supra dictum

est : uirtutem non esse sine uoluntario, et ex eo quod dicit : tria requiri ad uirtutem, quorum

unum erat quod esset uolens.

[...]

<§ 46> {f. 100v30} Et cum autem <dicit> scrutandum post hec quid sit uirtus8, etc.,

<et> deinde cum dicit Quoniam igitur uirtus9, etc., intelligit hanc rationem : tria sunt in

anima, passiones, potentie et habitus ; uirtus est aliquid horum10. Ergo uirtus est passio uel

potentia uel habitus. Deinde per diffinitiones illorum, potentias11 et passiones12 <diffinit> ;

quibus13 subsequenter intelligit hanc rationem sequentem esse : quod est potentia uel passio

[deinde per diffinitiones] uel habitus ; et non potentia uel passio est habitus. Virtus autem est

1 inter scr.] iterum A 2 duas malitias scr.] duarum malitiarum A 3 uoluntarius scr.] uoluntarium A 4 prohibet scr.] proibet A 5 quantum scr.] quam A 6 eius scr.] cuius A 7 debent esse determinatas scr.] dat habere determinatur A 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b19), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 13-14 : « Post hec

autem quid est virtus scrutandum ». 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b19-20), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 14 : « Quoniam

igitur ea [...] ». 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 4 (1105b20-21), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 11, l. 14-15 : « [...]

tria sunt, passiones, potencie, habitus, horum aliquid erit virtus ». 11 illorum potentias scr.] potentias illorum A 12 passiones scr.] rationes A 13 quibus scr] que A

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aliquid horum, et non est potentia uel passio : ergo est habitus. Ad probandum autem

minorem propositionem1 sunt rationes omnes quibus concludit quod uirtus non est potentia

uel passio.

[...]

<§ 70> {f. 101v14} Cum autem dicit : Est igitur uirtus habitus2, etc., per hoc quod

dicit habitus, facit separationem a potentia et passione ; per hoc quod dicit uoluntarius, facit

separationem ab habitu naturali ; per hoc quod dicit existens in medietate3, facit separationem

a malitia, que est in superfluitate et indigentia.

[...]

1 propositionem scr.] proportionem A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1106b36), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 14 : « Est igitur

virtus, habitus voluntarius […] ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1106b36-1107a1), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 14-15 :

« […] in medietate existens […] ».

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<SEXTA LECTIO>

{f. 101v- 106r}

<DIVISIO TEXTVS>

<§ 1> {f. 101v21} Non1 autem omnis operatio suscipit medietatem2. Determinatum

est de causa formali uirtutis in communi. Ut cognoscitur etiam <in> particulari, subiungitur

hic pars in qua duo ostenduntur siue narrantur, scilicet quod <non> omnis operatio uel passio

suscipit medietatem, et deinde que et quot sunt operationes et passiones suscipicientes

medietatem. Prima pars terminatur3 ita : Oportet4 etc., secunda ibi : Tribus itaque5.

[...]

<QVESTIO>

<§ 26> {f. 102r34} <6> Deinde potest queri quantum ad hoc quod dicit : Sermones

uniuersales esse inanes6, cum locutus fuerit de uirtute secundum sermones uniuersales,

dicendo : Virtus est habitus7, etc. ; et nihil quod est in8 doctrina fit inane.

<§ 27> <6*> Ad quod dicendum quod uniuersalis sermo dicitur hic non qui

simpliciter est. Non enim uniuersalis simpliciter est inanis, sed uniuersalis qui est in opere

1 non scr.] nam A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1107a8-9), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 22-23 : « Non

omnis autem suscipit operatio, neque omnis passio, medietatem ». 3 terminatur scr.] determinatur A 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a27), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.15, l. 15-16 : « Oportet

autem [...] ». 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.19, l. 13 : « Tribus utique

[...] ». 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a30-31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.15, l. 17-18 : « In

circa operaciones enim sermonibus, universales quidem, inanes sunt [...] ». 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 6 (1106b37), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.14, l. 14 : « Est igitur

virtus, habitus voluntarius [...] ». 8 in sA] in natura fit pA natura fit exp.

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particulari1 ex aduerso operato2. Vniuersalis3 non est inanis simpliciter, sed minus uerus est

circa operationes, non in se. Vnde dicit : Particulares uero ueriores4. Significatur ergo quod

uniuersalis est minus uerus, et si solum esset uniuersalis, esset inanis. Rationem autem

subiungit, cum dicit : Circa singularia enim sunt operationes5.

[...]

<EXPOSITIO LITTERE>

<§ 63> {f. 103r23} Deinde cum dicit : Oportet non solum uniuersaliter dici6, etc.,

intendit quod cognitio consuetudinalis debet esse in uniuersali, ut cognoscat aliquis ex

prioribus natura, et non <tantum> in particulari, ut cognoscat aliquis ex prioribus quo ad nos ;

et tunc dicit : in singularibus aptari7, et hoc manifestat cum dicit : Circa enim omnes

operationes, sermones8 uniuersales sunt inanes9 nisi10 aptatur11.

<§ 64> Deinde cum dicit : Oportet concordari in hiis12, id est, ut sermo in

particularibus consonet sermoni uniuersali, et dicit : Suscipiendum13 ex descriptione14.

1 particulari scr.] particularis A 2 operato scr.] opero A 3 uniuersalis scr.] particularis A 4 ueriores scr. ex fonte] meliores A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a31), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd.

GAUTHIER, p.15, l. 18 : « [...] particulares autem, veriores ». 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a31-32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.15, l. 18-19 : « Circa

singularia enim operaciones ». 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a27-28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.15, l. 15-16 :

« Oportet autem hoc non solum uniuersaliter dici […] ». 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a29-30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.15, l. 16-17 : « […]

set et singularibus aptari ». 8 sermones scr. ex fonte] secundum omnes A 9 inanes scr. ex fonte] in actum A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a30), éd. GAUTHIER, p.15, l. 17 : « In

circa operaciones enim sermonibus, universales quidem, inanes sunt ». 10 nisi scr.] nihil A 11 aptatur scr.] appetatur A 12 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.15, l. 19 : « Oportet

autem in his concordari ». 13 suscipiendum scr. ex fonte] suscipit A 14 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107a32-33), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.15, l. 19-20 :

« Suscipiendum igitur hec, ex descriptione ».

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Descriptionem1 uocat uniuersalem2, ut forma uniuscuiusque medietatis per operationem et

passionem cuius est propria.

[...]

<§ 73> {f. 103v7} Deinde dicit : Nunc igitur in typo et in capitulo dicimus3, per

‘typum’ intelligens figuram exemplarem, per ‘capitulum’ summam eius quod dicit esse circa

dationem pecuniarum4, non determinando secundum quem modum uel secundum quam

differentiam ; et propter hoc quod dicit : Postea autem certius5, cum intelligat6 certitudinem

difficiliam quam in7 proprio tractatu determinabit8.

[...]

<§ 80> {f. 103v21} Determinatis .ui. medietatibus in quibus manifestatur uirtus

consuetudinalis, qualiter est in medietate passionum <et>9 operationum, determinat hic alias

.ui. medietates, que ita possunt distingui a precedentibus, ut priores .ui. medietates ad ea que

sunt exterius referantur. Verbi gratia, actus fortitudinis respicit determinare quod est exterius,

castitatis uero actus delectabile quod est exterius ; actus uero liberalitatis est magis bonum10

fortune ; magnanimitas uero et recta medietas honorem respiciunt qui est exterius. Consistunt

ergo quantum ad ea que sunt corporis uel quantum ad11 bonum fortune.

1 descriptionem scr.] scriptionem A 2 uniuersalem scr.] uocalem A 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107b14), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.16, l. 12-13 : « Nunc

quidem igitur in typo et in capitulo dicimus contenti hoc ipso ». 4 dub. 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 7 (1107b15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.16, l. 13 : « Postea autem

cercius de hoc determinabit ». 6 intelligat scr.] intelligit A 7 in pA] in exp. sA 8 Il s’agit du livre IV, chapitres1-9. 9 et supp. in lac. 10 bonum scr.] bono A 11 ad sA] ad ea pA ea exp.

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[...]

<QVESTIO>

<§ 128> {f. 105r22} <37.1> Deinde potest queri quare non assignate sunt medietates

in utraque differentia iustitie ; et similiter in speciebus prudentie que dicuntur logice uirtutes.

<§ 129> <37.1*> Ad quod [uidetur] dicendum quod non sunt determitate ille

medietates hic — licet inferius in proprio tractatu sint diterminate1 —, eo quod intendit hic

enuntiare medietates quibus cognoscatur uirtutem consuetudinalem esse in medietate

operationum aut passionum. Actus uero iustitie secundum utramque differentiam et prudentie

sunt actus interiores non manifesti2 pluribus ; unde medietates3 in illis non sunt conuenientes

ad ostendendum uirtutem consuetudinalem esse in medietate per modum inductiuum.

<§ 130> <37.2> Est etiam naturaliter dubitatio : qui sint proprii actus iustitie

secundum utramque differentiam, aut prudentie secundum se. Et ideo oportet certitudinaliter

dicere de eis, et non solum modo exemplari.

1 Le maître fait référence au livre V de l’Éthique selon la division générale établie au début ; cf. Prologue, § 20. 2 manifesti scr.] maniffesti A 3 medietates sA] meidetas pA

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<SEPTIMA LECTIO>

{f. 106r-108r}

<SENTENTIA>

<§ 1> {f. 106r19} Tribus utique existentibus1, etc. Determinatum est [eam] quid sit

uirtus consuetudinalis et in uniuersali et in particulari. Et quoniam est in medietate duarum

malitiarum, in hac parte ostendit omnes2 sibi aduersari, extrema inter se et respectu medii, et

e conuerso.

<§ 2> Et deinde, cum dicit : omnes3 omnibus aduersentur4, utrum magis opponantur

extrema inter se quam medium alteri extremorum. Et ostendit quod extrema magis

opponuntur inter se quam respectu medii.

<§ 3> Deinde, cum opponantur medio, utrum eque opponantur an uno magis, altero

minus.

<§ 4> Et sic terminatur hec pars que est5 ex oppositione extremorum et medii. In

prima parte, ubi ostenditur omnes omnibus aduersari, ponit similitudinem in comparatione

ad equale et magis et minus. Equale enim opponitur ei quod est maius uel minus, et maius ei

quod est minus opponitur et e conuerso. Ostendit etiam per inductionem, sicut in fortitudine

et castitate et liberalitate, quarum medietates sunt manifeste.

<§ 5> In secunda uero parte, cum dicit : Sic aduersantibus ad inuicem6, ponit rationem

unam per quam ostenditur maiorem esse contrarietatem extremorum inter se quantum ad

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 13 : « Tribus

utique disposicionibus existentibus […] ». 2 omnes scr.] omnia A 3 omnes scr. ex fonte] omnia A 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 15-16 : « [...]

omnes omnibus adversantur qualiter ». 5 est sA 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b26), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 5-6 : « Sic

adversantibus ad invicem [...] ».

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medium ; et est contrarietas1 propter distantiam longiorem2, alia propter distantiam

<minorem>, eo quod dissimilitudo maior sit extremorum inter se quam ad medium.

<§ 6> Deinde, in tertia parte, ponit duas causas quare3 medium opponitur plus uni

extremorum quam alteri, et est una causa in ipsa re, alia uero in nobis. Causa autem ex parte

rei est conuenientia, penes actum uel passionem, in aliquibus circumstantiis debitis ; unde

reliqua extremitas, que minus conuenit, opponitur medio ; causa uero in nobis est extremitas

ad quam magis inclinati sumus ex corruptione nature que magis est allicitiua, et est plus

retrahens <a medio>.

<§ 7> <Et ostendit> determinationem harum questionum. Patet autem questionum

consequentia et rationum differentia ex iam dictis. Precedit autem hec pars conuenienter illam

que sequitur, nam in illa queritur quomodo est eligere medium per discretionem ab extremis.

Ad hoc autem cognoscendum, oportet cognoscere quod extremorum magis opponatur et quod

minus. Nam secundum hoc, si uelimus eligere medium, oportet segregari a magis contrario ;

et sic semper donec deueniatur in medium. Ergo oportet [per] recognoscere quod sit magis

contrarium medio et quod minus. Quod fuit ultima4 questio in hac parte.

<QVESTIONES>

<§ 8> <1> Incidit autem hic questio ex hoc quod dicit : omnes5 omnibus aduersari6.

Non enim conuenientia aut contingentia ad se inuicem opponuntur, sed malitia et malitia in

quantum huiusmodi7 conueniunt ; ergo in quantum huiusmodi non opponuntur contrarie, nec

in quantum superfluum <uel> diminutum. Si enim superfluum et diminutum opponerentur

contrarie, opponerentur contrarie ubi primo inuenientur, scilicet in quantitate8 ; sed <non>

1 contrarietas scr.] medium A 2 longiorem scr.] lungiorem A 3 quare scr.] quarum A 4 ultima scr.] ultimo A 5 omnes scr.] omnia A 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 15-16 : « […]

omnes omnibus adversantur […] ». 7 in quantum huiusmodi sup. lin. 8ARISTOTE, Categoriae, 6 (6a4-11), trad. BOÈCE, éd. L. MINIO-PALUELLO, Categoriae vel Praedicamenta.

Translatio Boethii, Editio Composita, Translatio Guillelmi de Moerbeka, Lemmata e Simplicii commentario

decerpta, Pseudo-Augustini Paraphrasis Themistiana, Bruges, Paris ; Desclée De Brouwer (coll. « Aristoteles

Latinus », I, 1-5), 1961, p. 17, l. 1-6 : « Et eadem sibi ipsis contingit esse contraria ; nam si est magnum et

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opponuntur contrarie ibi ; quare contrarietas non erit in quantum sunt malitie, nec1 in quantum

sunt sub ratione superflui et diminuti {f. 106v} simpliciter ; ergo non est contrarietas

extremorum.

<§ 9> <2> Preterea, in contrariis secundum naturam non dicitur contrarietas medii ad

extrema, ut rubeum non dicitur contrarium albo aut nigro [nigri]. Nunc medium in moribus

opponitur2 contrarie extremis, prout malitia et bonitas opponuntur priuatiue. Malitia enim

non est aliquid ens in suo susceptibili ; cum enim dicitur aptum3 natum habere perfectionem

et non habens, non in se dicitur aliquod ad ens, aptum autem natum dicitur habere aliquod

ens. Propter quod, cum idem4 opponatur eidem priuatiue, contrarie non, erit malitia contraria

uirtuti non priuatiue opposita.

<§ 10> <3> Preterea dicit Aristoteles quod quedam sunt, de numero contrariorum,

genera contraria, quedam uero sunt in contrariis generibus, quedam uero sunt in eodem

genere non habente contrarium5. Sed superfluitas et indigentia sunt in genere habente

contrarium. Malitia autem et uirtus opponuntur contrarie. Ergo oportet alterum in altero esse ;

uel si secundum se habent6 contrarietatem, oportet quod sint in eodem genere non habente

contrarium ; quorum utrumque est inconueniens.

<SOLVTIONES>

<§ 11> Solutio. <1*> Ad primum dicendum quod ille habitus qui est superfluitas per

proportionem dicitur7, et ille habitus qui indigentia dicitur per proportionem, <et> sunt

contrarii secundum se, non autem propter rationem malitie in qua conueniunt, nec propter

parvum contrarium, ipsum autem idem simul est parvum et magnum, ipsum sibi erit contrarium ; sed

impossibile est ipsum sibi esse contrarium. Non est igitur magnum parvo contrarium nec multa paucis ; quare

si quis haec non relativa esse dicat, quantitas tamen nihil contrarium habebit ». 1 nec scr.] enim A 2 opponitur scr.] opponi A 3 aptum scr.] actum A 4 dub. 5 ARISTOTE, Categoriae, 11 (14a19-25), trad. BOÈCE, éd. MINIO-PALUELLO, p. 37, l. 4-10 : « Necesse est autem

omnia contraria aut in eodem genere esse aut in contrariis generibus, vel ipsa esse genera ; album quidem et

nigrum in eodem genere (color enim ipsorum genus est), iustitia vero et iniustitia in contrariis generibus (huius

enim virtus, huius vitium genus est) ; bonum vero et malum non sunt in aliquo genere, sed ipsa sunt genera ». 6 habent scr.] habet A 7 dicitur scr.] dens sA ce groupe de lettres se trouve reproduit au crayon sur la marge gauche.

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rationem superflui et diminuti ; que, scilicet superfluitas et diminutio, attenduntur secundum

additionem et diminutionem ex parte circumstantiarum ; secundum1 idem susceptibile et

secundum2 idem actum, maxime distantes secundum rationes suas in uno genere existentes

in unione3 actiue et passiue, ad inuicem incompossibiles simul dicentur inesse contrarie.

<§ 12> Et non est simile de contrariis moralibus et physicis4 in comparatione ad

medium. Contraria moralia habent medium quod, secundum formam, non fit ab extremis.

Bonus enim habitus, quantum ad bonitatem, non est partim ab una malitia et partim ab alia ;

sed media species in materias inter species contrarias quantum ad formam fit ab extremis (et

non solum quantum ad materiam). Tepidum autem, quantum ad formam, fit a calido et

frigido, et rubeum ex albo et nigro. Fit enim non solum mixtio materiarum5, <sed> unio

formarum ut forma ; unio in unam formam, et materiarum6 in materia7 naturalis.

<§ 13> <2*> Ad sequens uero quesitum, dicendum quod licet malitia, in quantum

huiusmodi, priuatiue opponatur uirtuti aut bonitati, tamen habitus malus, secundum hanc

rationem, opponitur contrarie habitui bono. Non enim malitia in hoc genere dicit priuationem

bonitatis in susceptibili tantum, sed habitudinem ipsius subiecti ad opera uel ad passiones

propter delectationes in apparenti bono, sicut accidit de ignorantia et deceptione. Ignorantia

enim priuatiue opponitur scientie, deceptio uero contrarie.

<§ 14> <3*> Ad ultimum8 obiectum9, scilicet aut malitiam non esse contrariam uirtuti

aut superfluitatem et indigentiam non esse contrarias, dicendum est quod in huiusmodi

contrarietatibus in quibus est medium, extrema sub extremis sunt, et media sub mediis, et hoc

secundum intentionem moralem, ut illiberalitas est sub indigentia et liberalitas sub medietate,

et prodigalitas sub superhabundantia. Hec autem sunt plura genera.

1 secundum scr.] sicut A 2 secundum scr.] sicut A 3 unione scr.] unio A 4 physicis scr.] phycis? A 5 materiarum scr.] materierum A 6 materiarum scr.] materierum A 7 materia scr.] untiam A 8 ultimum scr.] ultimo A 9 obiectum sA] obiectum dicendum pA dicendum exp.

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<§ 15> Secundum autem intentionem logicam erunt prodigalitas et illiberalitas1 sub

habitu malo, et ratione illius est contrarietas, sicut accidit quod egritudo — siue sit ex calida

causa, siue ex frigida — est contraria sanitati secundum genus quod est egritudo, et non eo

quod est2 ex huiusmodi causis, et sic unum uni contrarium3.

<§ 16> Secundum <intentionem naturalem> contingit considerare superfluitatem et

indigentiam in quantum ponunt malitiam dispositam4 ad contrarium uirtutis ; et secundum

hoc utrumque opponetur uirtuti secundum rationem generis, et erit uirtus, quantum ad

speciem, secundum rationem indiuisibilem, uitium uero diuisibile. Variatur ergo

determinatio secundum diuersum genus philosophie.

<QVESTIONES>

<§ 17> <4.1> Deinde potest queri de hoc quod superponitur prius, utrum malitia

possit opponi contrarie, et hoc : <4.2> utrum solum dicat priuationem eius quod debet

potentie inesse, aut dicat quamdam perfectionem potentie.

<§ 18> <5> Et preter hoc, si bonum et malum sunt contraria, quomodo oportet unum

esse naturaliter sub illo altero5 ; neque enim6 hoc in aliis contrariis inuenitur.

<§ 19> Quod autem malitia nullam7 formam determinet8, sed solum priuationem, sic

ostenditur : omnis forma fluit mediate aut inmediate ab essentia prima ; sed malitia non sic,

nec sic, fluit ab ea ; ergo malitia non est forma. Principium enim habet malitia ab homine,

non in quantum erat ab ente, sed in quantum erat ex non ente. Cuius autem principium est

1 illiberalitas scr.] liberalitas A 2 est scr.] sunt A 3 ARISTOTE, Metaphysica, X, 5 (1055b30), trad. ANONYME (‘Media’), éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 194, l. 14 :

« Quoniam vero unum uni contrarium est [...] » ; trad. M. SCOT, éd. Venise, f. 264rbF : « Unum est contrarium

uni » ; AVICENNE, Liber de philosophia prima, VII, I, éd. VAN RIET, p. 356, l. 60-61 : « Manifestum est quod

contrarium unus non est nisi unum » ; SIMPLICIUS, In Aristotelis Categorias commentarium, trad. G. DE

MOERBEKE, éd. PATTIN vol. 2, p. 562, l. 16 : « [...] unum uni videtur contrarium esse [...] ». 4 dispositam scr.] dispositem A 5 altero scr.] alterius A 6 enim sup. lin. 7 uel nullem? 8 malitia nullam formam determinet sA] nullam formam determinet malitia pA

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non ens, oportet ipsum esse non ens. Cum enim principium eius1 sit ens, eo quod esse

participat, non ergo malitia forma2 quedam <est>.

<§ 20> Preterea, si malitia esset forma quedam in qua subiectum perficeretur respectu

actuum qui dicuntur egredi ab ipso, non esset3 contra naturam ipsius subiecti ; est autem

contra naturam eius, cum sit corruptiuum nature ; non ergo est qua subiectum perficiatur uel4

in se <uel> respectu actuum.

<SOLVTIONES>

<§ 21> Solutio. <4.1*> Ad quod dicendum quod malitia, in quantum malitia, non est

ens. Dicitur autem malitia priuatio eius quod debet inesse secundum naturam in eo in quo

debet esse. Sed quia adiungitur5 ei delectatio in apparenti bono – quod quodlibet6 alicui

nature7 esset bonum, licet non secundum rationem – ex illa delectatione innascitur habitus ex

quo est facilitas ad actum proportionalem habitui ; propter quod dicetur contrarietas habitus

ad habitum. Ille uero habitus procedit ab homine secundum liberum arbitrium quod est ad

opposita. Et in quantum ille habitus tenet rationem entis, est a prima essentia, non autem in

quantum est malus8. Vnde, si ibi esset amor apparentis boni sine aduersione a9 bono

secundum ueritatem, esset similiter ab ente.

<§ 22> <4.3> Reliquo uero modo quantum ad hoc et non quantum ad illud. Sed

quomodo corrumpet habitus malus habitum bonum10, cum in quantum est habitus non

contrarietur ei, sed opponatur in quantum est malus ; ex illo esset non ens ; non ens autem

non habebit uirtutem corrumpendi.

1 eius sup. lin. 2 dub. 3 esset sA] essett pA t exp. 4 Cf. la lecture de O. Lottin, qui donne et ; LOTTIN, « Psychologie et morale à la Faculté des Arts de Paris aux

approches de 1250 », p. 530-531. On indique les lectures de Lottin dans les notes qui suivent. 5 adiungitur scr. cum LOTTIN] attingitur A 6 quodlibet scr.] quodlis? A quidem LOTTIN 7 nature scr. cum LOTTIN] natura A 8 malus A] malitia LOTTIN 9 a scr.] et A 10 bonum sA] malum pA malum exp.

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<§ 23> <4.3*> Et dicendum est quod habet uirtutem corrumpendi propter

defectionem apparentis boni, que infixa est habitui malo. Vnde dicit Dyonisius quod hoc est

natura boni, quod dat1 uirtutem suo contrario pugnandi cum ipso2. Si enim non esset species

apparentis boni, non esset delectatio, et si non esset delectatio, non esset ratio corrumpendi

bonum habitum qui est in amore boni similiter. Ex quo manifestum est quod bonum dat

potentiam suo contrario pugnandi cum ipso.

<§ 24> <4.4> Sed quomodo, si album non esset subiectum nigri necessarie3, nec

nigrum albi, et ita de aliis contrariis, bonum erit subiectum mali.

<§ 25> <4.4*> Non dico quod bonus habitus est subiectum habitui malo, et ita unum

illorum que sunt contraria est necessario4 causa alterius, si ipsum sit.

<§ 26> <5*> Ad aliud dicendum quod diuersa natura est in hiis contrariis. Hec enim

sunt contraria circa5 ens possibile, reliqua uero sunt determinata circa naturam alicuius entis,

quod non egrediuntur. Accidit ergo propter hoc quod bonum {f. 107r} et malum sic se

habent : quod bonum, in priori natura, sit subiectum mali posterioris nature, sicut bonum

potentie subicitur malo ipsius habitus. Illud enim in superiori libro magis explanatum.

<§ 27> <6> Deinde, potest queri de hoc quod dicit : omnes omnibus aduersari6. Notat

enim per hoc unum opponi pluribus contrarie secundum propriam rationem, et non sic, sicut

medium in materias opponitur extremis secundum rationem extremorum. Nam rubeum, in

contrarietate ad album, opponitur secundum rationem nigri et, in oppositione ad nigrum,

opponitur secundum rationem albi. Liberalitas uero secundum propriam rationem opponitur

utrique extremorum inquantum est bonus habitus ; extrema uero simpliciter opponuntur ad

inuicem secundum proprias rationes. Et sic unum opponitur multis, quod est contra hoc quod

1 dat scr. cum LOTTIN] dant A 2 DENYS LE PSEUDO-ARÉOPAGITE, De divinis nominibus, ch. IV, éd. J.P. MIGNE (coll. « Patrologiae cursus

completus », series Latina, III), 1889, 719 B : « Quod si confidentius verum proferre liceat, illa etiam que illi

contraria sunt, ejus vi et sunt et repugnare possunt ». 3 necessarie scr.] necesse A 4 necessario scr.] negatio uel nego A 5 circa scr.] circumstantia A 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 15-16 : « […]

omnes omnibus adversantur […] ».

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est in Methaphysica. Dicit enim unum uni oppositum contrarie1 eo quod contrarietas2 est

perfecta distantia in eodem genere3. Perfecta autem distantia in4 eodem genere non potest

esse nisi unius ad unum.

<§ 28> <6*> Ad quod dicendum quod hoc quod dicitur hic non est5 contrarium ei

quod dicitur in Methaphysica. Nam hic intelligitur contrarietas uirtutis in quantum est

medietas superfluitatis et indigentie, aut in quantum est bonus habitus ; et sic est extremitas.

Si primo modo, medietas opponetur extremis secundum rationes extremorum : medium enim

ad superfluum e<s>t diminutum, et ad diminutum e<s>t superfluum, sicut equale ad minus

e<s>t maius, et [ad] maius e<s>t ad minus. Si uero intelligatur de uirtute in quantum est

bonus habitus et tenet rationem extremitatis, opponetur illis duobus secundum unum in quo

conueniunt, scilicet habitus malus ; et sic utroque modo erit unius ad unum contrarietas,

primo secundum rationem extremorum que sunt habundans et diminutum, secundo

secundum rationem extremorum que sunt bonus habitus et malus, etc.

<§ 29> Vtraque contrarietas <est> perfecta distantia in eodem genere. Secundum

enim primum modum distantia est superflui6 ad diminutum in genere quantitatis7. Est enim

quantum proportionaliter dicere in uirtute ; secundum hoc intelligitur ex parte operationis aut

passionis quantum ad circumstantias in quibus reperitur natura quantitatis.

<§ 30> Si uero secundo modo intelligitur, <contrarietas> erit distantia boni a malo in

genere habitus ; uel ibi potest intelligi genus subiectum in quo nata sunt esse contraria et a

quo egreditur in quantum est genus8. Quod autem dicit Aristoteles in secundo Topicorum

1 Aristote, Métaphysique, X, 5 (1055b30), trad. ANONYME (‘Media’), éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 194, l. 14 :

« Quoniam vero unum uni contrarium est [...] ». 2 contrarietas scr.] qualitas A 3 AVICENNE, Liber de philosophia prima, VII, I, éd. VAN RIET, p. 356, l. 48-61 : « [...] Igitur contrarietas est

distantia perfecta, quia definitio earum est eadem [...] Manifestum est igitur quod contrarium unius non est nisi

unum ». Voir aussi la traduction arabo-latine : ARISTOTE, Métaphysique, X, 4 (1055a16-17), trad. M. SCOT,

Venise, 1562, f. 261vbL : « Quod igitur differentia completa contrarietas est ». Voir aussi la version du ms.

Assisi, Biblioteca comunale 286, f. 175va : « Quod contrarietas est differentia completa manifestum est ex hiis

[...] » ; trad. ANONYME (‘Media’) éd. VUILLEMIN-DIEM, p. 192, l. 13-20 : « Ergo quia contrarietas est differentia

finalis, ex hiis palam ; multipliciter autem dictis contrariis [...] ». 4 in sup. lin. 5 est scr.] esse A 6 dub. 7 quantitatis scr.] quanti? A 8 JEAN LE PAGE, Rationes super Praedicamenta, lectio XLIV, éd.HANSEN, p. 257, l. 3-12 : « Ad ultimum.

Concedo quod non quo ad naturalem, sed quo ad logicum vel moralem. Ad obiectum dicendum quod auctor

non dicit simpliciter quod non sint in genere – sunt enim in qualitate, ut obicitur – sed negat quod non sunt in

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quod unum opponitur uni contrarie1 : si hoc dicatur secundum superfluitatem, illud uero

secundum indigentiam, intelligendum est hoc quod dictum est secundum uiam proprietatis.

Secundum enim uiam proprietatis in huiusmodi <contrarietatibus> quondam opponitur

incomplexis2 multis contrarie, secundum uero uiam unitatis unum opponitur, sicut iam

ostensum est.

<§ 31> <7> Deinde, potest queri quare medium dicatur opponi extremis, cum non sit

in eodem genere.

<§ 32> <7*> Et soluitur per hoc quod dictum est. Cum enim genus proximum et est

genus remotum, genus proximum non est in quo communicant extrema et medium, genus

uero remotum, scilicet habitus, est3 in quo communicant extrema et medium, uel, si dicatur

secundum intentionem4 moralem, habitus uoluntarius5.

<§ 33> <8> Deinde, obicitur quantum ad hoc quod dicit, quod maior est contrarietas

extremorum quantum ad se inuicem <quam> quantum ad medium. Cum medium opponatur

extremis secundum rationem boni et mali, extrema uero opponantur inter se secundum

superfluum et diminutum, quorum utrumque continetur sub malo, quare maior est oppositio

medii ad extrema quam extremorum inter se.

<§ 34> <8*> Et soluitur per hoc quod dictum est. Cum enim <sunt> genus proximum

et genus remotum, genus proximum non est in quo communicant6 extrema et medium, genus

genere contrarietatum moralium, sed, ut visum est, sunt genera earundem. Littera ergo sic exponitur: Bonum et

malum non sunt in genere, supple moralium contrarietatum, sed sunt genera aliorum, id est aliarum

contrarietatum moralium, cum ad illa, <ut> visum est, aliae contrarietates reducantur. Vel aliter secundum

primam solutionem : Bonum et malum non sunt in genere praedicabili secundum moralem, sed sunt genus

subiectum ». 1 Non inueni. ALBERT LE GRAND, Super Ethica, lib. II, lec. VIII, éd. KÜBEL, p. 131 : « sicut dicitur in TOPICIS,

unum uni opponitur ». 2 incomplexis scr.] incomplexorum A 3 est scr.] et A 4 intentionem scr.] intensionem A 5 JEAN LE PAGE, Rationes super Praedicamenta, lectio XLIV, éd. HANSEN, p. 256 : « Dicit quod contraria sunt

in contrariis generibus. In capitulo qualitatis dixit quod sunt in eodem genere. Ergo sibi contrariatur hic et ibi.

Et dicendum quod duplex est genus, scilicet proximum et remotum. Dicendum <ergo> quod contraria sunt in

contrariis generibus proximis; nam genus proximum iustitiae est virtus et proximum iniustitiae est vitium, et sic

loquitur hic, sed sunt in eodem genere remoto, ut in qualitate, et sic loquitur superius ». 6 communicant scr.] communicent A

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uero remotum, scilicet habitus, est in quo communicabunt extrema et medium, uel, <si>

dicatur secundum intentionem moralem, habitus uoluntarius.

<§ 35> Quantum ad hoc quod dicit, quod maior est contrarietas extremorum1, [et]

soluitur per hoc quod dicit maiorem esse contrarietatem2 extremorum in se quam ad medium.

Est3 autem medium quantum4 ad circumstantias. Secundum hoc, maior est similitudo in

substantia medii ad extrema quam extremorum inter se, et maior <est> oppositio extremorum

<quantum ad> substantiam materialem in se quam ad medium5.

<§ 36> Aliter autem est si medietas consideretur in quantum est bonus habitus et

extrema in quantum sub ratione habitus mali contine<n>tur ; et sic est oppositio secundum

rationem. Per hoc autem quod dicit duas esse causas [uel] ex quibus est contrarietas, unam

in re, alia uero ex nobis6, uidetur ostendi quod idem erit magis contrarium et minus alicui uni

et eidem. Potest enim accidere quod unum contrariorum magis remoueatur a medio et ad

aliud magis nati sumus. Erit ergo utrumque contrariorum magis et minus contrarium, quod

concedendum est si non eadem est causa contrarietatis. Una enim est causa contrarietatis ex

re et ex nobis7 alia. Illa uero contrarietas que est ex re est absoluta, reliqua uero, que est ex

nobis, dicitur contrarietas in adquirendo, secundum quod subiectum debet adquirere

uirtutem8 et fugere uitium.

<§ 37> <9> Sed potest aliquis querere propter quid huius duplex causa contrarietatis

tangitur in contrariis moralibus, in contrariis uero naturalibus non, nec in contrariis secundum

rationem.

<§ 38> <9*> Ad quod dicendum est differenter esse in hiis contrariis et in aliis. Quia

enim moralis intendit non solum de hiis secundum se, sed in comparatione ad actum

humanum, scilicet in quantum sunt fugienda aut eligenda, erit duplex contrarietas : una ex

re, alia ex nobis. Contraria uero naturalia aut secundum rationem considerantur altero duorum

1 extremorum scr.] contrariorum A 2 contrarietatem scr.] existentem omne? A 3 est scr.] esse A 4 quantum scr.] quam A 5 Les ajouts indiqués ici sont à revoir. 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1109a11-13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 24-25 : « Una

quidem igitur causa hec, ex ipsa re. Alia autem, ex nobis ipsis ». 7 nobis sA] nobis n pA n cancell. 8 uirtutem scr.] ueritatem A

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modorum1, scilicet secundum se, et non in comparatione ad nos. Et ideo non determinantur

due cause2 ; contrarietas enim secundum naturam aut secundum rationem est similiter

contrarietas.

<EXPOSITIO LITTERE I>

<§ 39> Expositio autem littere3 est hec. Ita habitum est circa quas operationes aut

passiones est medietas <et> extremitates, que sunt superfluitas et indigentia, itaque4, et

notatur5 [aliquo] per id quod subsequitur : Tribus existentibus dispositionibus6 ; et per hoc

quod dicit dispositionibus, accipitur quod malitia non solum priuatio eius quod debet inesse

secundum naturam, sed est dispositio ad actum ; duabus malitiis7 ; et in hoc quod dicit malitiis

postea uirtute8, notat contrarietatem, et similiter per hoc quod dicit : hac9 secundum

superfluitatem, hac secundum indigentiam10, uirtus uero ad malitias.

<§ 40> Et cum dicit : omnes omnibus aduersantur11, notat oppositionem in se

extremorum et medii ad extrema et e conuerso. Et per hoc quod dicit : qualiter. Extreme et

medie dispositiones opponuntur12, per hanc dictionem qualiter notatur quod non est similiter

medie dispositionis13 oppositio, in quantum est media, ad extremas. Et hoc significatur per

subiectum.

1 duorum modorum sA] duorum extremorum pA extremorum exp. 2 cause scr.] anime A 3 littere scr.] litere A 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 13 et appareil

critique : « Tribus utique disposicionibus existentibus [...] ». Le manuscrit Paris, BnF lat. 8802 lit « Tribus

itaque disposicionibus existentibus [...] ». 5 notatur scr.] notetur A 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 13 : « Tribus

utique disposicionibus existentibus […] ». 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 13-14 : « [...]

duabus quidem maliciis [...] ». 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b12), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 15 : « [...] una

autem virtute [...] ». 9 hac scr. ex fonte] hanc A 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b11-12), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 14-15 : « [...]

hac quidem secundum superfluitatem, hac autem secundum indigenciam [...] ». 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 15-16 : « [...]

omnes omnibus adversantur qualiter ». 12 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b13-14), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 15-17 : « […]

omnes omnibus adversantur qualiter. Extreme quidem, et medie et ad invicem opponuntur ». 13 dispositionis sA] dispositiones pA e exp. i sup. lin.

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<§ 41> Cum dicit : Quemadmodum autem1, etc., [et] notatur ibi similitudo in parte,

et recte dicit similitudinem uirtutis et suorum extremorum ad equale et maius et minus.

Medium enim et extremum dicitur proportionaliter in uirtute <et> [proprium] malitia, proprie

uero in quantitate.

<§ 42> Deinde, cum dicit : Ideo proiciunt medium2, [et] hoc explanatur per precedens.

<§ 43> Deinde, cum dicit : maior contrarietas est extremis ad inuicem quam ad

medium3, intelligitur de medio in quantum est medium, et non de ipso in quantum est bonum ;

et una sumitur ex distantia, {f. 107v} alia ex similitudine, cum dicit : Adhuc autem4, etc., et

ex diffinitione contrariorum, que ibi dicitur : Ea autem que multum discedunt5 ad inuicem6,

etc.

<§ 44> Deinde, cum dicit : Ad medium autem7, etc., tangitur tertia pars in qua

tanguntur due opposite secundum magis et minus extremorum ad medium ; et ponit duas

causas, dicens : Una qualis que est ex ipsa re8, alia uero cum dicit : Alia uero ex nobis ipsis9.

<§ 45> Deinde, cum dicit : Quoniam igitur10, etc., epilogat ea que dicta sunt in

supradictis partibus, et terminatur ibi, cum dicit : sufficienter dictum est11.

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 19, l. 17 et appareil

critique : « Quemadmodum enim [...] ». Le manuscrit Paris, BnF lat. 8802 lit : « Quemadmodum autem [...] ». 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b23-24), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 3 : « Ideo et

proiciunt medium extremi […] ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b27-28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 6-7 : « [...]

maior contrarietas est extremis ad invicem, quam ad medium ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 9 : « Adhuc ad

medium [...] ». 5 discedunt scr. ex fonte] descendunt A 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b33-34), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 12-13 : « Ea

autem que multum discedunt ab invicem, contraria diffiniuntur ». 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1108b35-1109a1), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 14 : « Ad

medium autem opponuntur [...] ». 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1109a5-6), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 19 : « Una quidem,

que ex ipsa re ». 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 8 (1109a12-13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 20, l. 25 : « Alia

autem, ex nobis ipsis ». 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a20), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 3-4 : « Quoniam

quidem igitur [...] ». 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a23-24), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 8 : « [...]

sufficienter dictum est ».

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<§ 46> In secunda uero parte, cum dicit : Ideo difficile1 bonum [est] esse2, etc.,

intendit determinare [et] quomodo est inuenire medium per discretionem ab extremis et in

illo delectari et quiescere. Primo autem ostendit difficile esse inuenire medium per

similitudinem sumptam in medio circuli.

<§ 47> Cum autem dicit : bonum est et rarum3, etc., ostendit esse optimum, licet sit

difficile4.

<§ 48> Deinde, cum dicit : Ideo oportet eum5, etc., docet modum discernendi ipsum

ab extremis segregando a contrario, et quia contrarium dicitur secundum duas causas, docet

modum segregandi a contrario secundum6 utramque causam, et ponit similitudinem in modo

inueniendi respectu aliorum inuentorum.

<§ 49> Deinde, cum dicit : Difficile7 autem forsitan hoc8 in singularibus9, determinat

quod licet hec sit communis ratio inueniendi medium morale a qua, non recedens, non errabit,

dicit esse magis difficile inuenire medium in singularibus. Et hoc habito, terminatur intentio

partis illius.

<QVESTIONES>

<§ 50> <10> Incidit autem hic questio de hoc quod dicit : oportet inuenire medium10,

in eadem parte in qua docet ex quibus et qualibus11 est12 uirtus consuetudinalis, cum inuentio

1 difficile scr. ex fonte] dificile A 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a24), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 8 : « Ideo difficile

bonum esse ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a29-30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 13 : « Quod

est bonum et rarum [...] ». 4 difficile scr.] dificile A 5 eum scr. ex fonte] illa A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER,

p. 21, l. 14 : « Ideo oportet eum [...] ». 6 secundum scr.] scilicet A 7 difficile scr. ex fonte] dificile A 8 hoc scr. ex fonte] hic A 9 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b14), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 4-5 : « Difficile

autem forsan hoc, et maxime in singularibus ». 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 3-4 : « [...] magis

poterimus medium invenire ». 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b15), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 5-6 : « [...] et

quibus et in qualibus [...] ». 12 est scr.] etiam A

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medii in aliis partibus philosophie distinguatur in propria parte, uerbi gratia, in secundo

Topicorum ; et docet quomodo est inuenire medium, et non in primo, in quo determinatur [ex

quo determinatur] ex quibus et qualibus sunt ratiocinationes dialectice.

<§ 51> <10*> Ad quod dicendum est <quod> aliter de medio dialectico et de medio

morali. Medium autem dialecticum habet determinatam rationem in communi, sed

multiplicatur secundum quod est ad hoc genus problematis uel ad illud, uel ad aliud. Et ideo

docet inuenire medium in partibus illis1 in quibus agitur de problemate2 dialectico, de

accidente in quantum est de accidente, et de genere in quantum est de genere, et ita de aliis.

<§ 52> Sic autem est de medio morali quod, in quantum trahitur ad hanc3 uirtutem

uel ad illam, non particulatur per circumstantias sed per actionem, et debetur ei medietas in

multitudine circumstantiarum ratione uirtutis consuetudinalis in communi. Si uero

unaqueque uirtus habeat proprias circumstantias, non ratione sui generis, sed ratione sui

oportet determinare in tractatu uniuscuiusque uirtutis specialis.

<§ 53> <11> Potest etiam queri de hoc quod dicit rationem eligendi medium per

segregationem a contrario. Per hoc enim notat malum esse principium cognoscendi bonum,

cum alibi dicit4 quod rectum est index sui et obliqui, et similiter bonum est index sui et mali.

Preterea malum, in quantum huiusmodi, siue sit secundum superfluitatem siue secundum

diminutionem, non habet terminum. Quomodo ergo ab ipso est incipere notitiam uel

quomodo est discernere ipsum a medio.

<§ 54> <11*> Ad quod dicendum est bonum esse simpliciter notius natura malo,

malum uero aliquando notius quo ad nos. Si non cognosceretur malum quo ad nos, [nisi] tunc

<ratio> boni prius esset nota5 ; est ergo inpressa ratio boni in mente humana, secundum quam

diuiditur de aliquo malo esse malum ; et illis malis notis in sua malitia, fit per gressus aliquod

medium bonum quod cognoscitur per discretionem ab illis extremis ; et sic consequenter

eligitur ; neque obuiat quod ipse dicit : Malum in utroque extremorum erit infinitum6. Licet

1 docet inuenire medium in partibus illis scr.] in partibus illis docet inuenire medium A 2 problemate scr.] pilente A 3 hanc sA] hanc partem pA partem exp. 4 dicit scr.] dica A 5 nota scr.] nata A 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 5 (1106b29-30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 7-8 : « Malum

autem infiniti [...] ». Voir aussi II, 5 (1106b34-36), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 14, l. 11-13 :

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enim possit intendi ei infinitum malum, unumquodque tamen malum finitum est, et a malo

particulari sit segregatio, non autem a malo sub generalibus intentionibus.

<§ 55> <12> Deinde, potest queri quomodo natura eius quod magis et minus sit in

malo, et malum non habeat terminum et magis dicebatur per accessum ad terminum et

recessum a termino. Et si non est in malo magis et minus, non est in malo magis contrarium

et [et] minus contrarium, ex eo quod magis malum est magis contrarium. Sed si non est magis

contrarium, ergo non est magis segregari a magis contrario, quod dicitur hic.

<§ 56> <12*> Ad quod dicendum est aliter esse magis et minus in hiis contrariis et

in aliis. Dicitur enim in aliis contrariis magis et minus per accessum et recessum a termino1,

in quo est uerissima species rei2, ut per accessum <inuenitur> albedinis speciem. Non sic

autem est in istis contrariis eo quod huiusmodi contraria ponunt magis et minus per recessum

a medio et accessum ad medium. Dicitur enim magis malum qui minus habet de bono

secundum suum genus, et minus malum quod plus accedit ad bonum, sicut accidit de obtuso3

et acuto in angulis. Non enim dicitur magis acutum uel minus per accessum ad

magnitudinem4, sed per recessum a recto. Acutior dicitur [in] <qui> plus <recedit> a recto in

genere acutorum5, minus uero acutus qui minus.

<EXPOSITIO LITTERE II>

<§ 57> Expositio autem littere6 est talis. Quia uirtus est medietas aliarum malitiarum

in operationibus et in passionibus, accipere autem <medium>7 [non] in unaquaque re est

« Et propter hoc, malicie quidem superfluitas et indigencia, virtutis autem medietas. Boni quidem enim

simpliciter. Mali autem omnifariam ». 1 termino scr.] terminis A 2 rei scr.] ei A 3 obtuso scr.] obtuoso A 4 magnitudinem scr.] emne A 5 acutorum scr. hic et alibi] accutorum A 6 littere scr.] litere A 7 medium supp. in lac.

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difficile1 ; ideo difficile2 est, bonum est. Quia autem medium accipere sit <difficile>3 sic

ostenditur, in medio circuli, cum dicit : Non omnis sed scientis est accipere medium circuli4.

<§ 58> Et cum dicit : Sic utique et irasci5, ponit facilitatem quantum ad actum,

difficultatem uero quantum ad circumstantias actus ; et hoc est quod dicit : Sed cui, et

quantum6, etc. ; et per cui notatur persona, et per quantum notatur quantitas actus uel eius

super quod est actus, et per quando, tempore, et cuius gratia finis, et per qualiter forma ipsius

actus.

<§ 59> Et deinde dicit : Quod est bonum et rarum et laudabile et optimum7, que sic

distinguntur ut bonum dicatur in perficiendo subiectum et rarum uero propter [in]

concomitantiam eius in subiecto, laudabile uero in comparatione ad sermonem, optimum

autem8 in querendo ; ut sit bonum in perficiendo, rarum9 in perficiendo, laudabile

ostendendo, optimum in querendo.

<§ 60> Et deinde cum dicit [cum dicit] : Ideo oportet10, [et] inferetur illud et a bonitate

et a difficultate. Quia enim bonitas est, ideo allicit ; quia est difficultas, ideo requiritur

principium unde fiat facile. Et dicit quod oportet segregari a magis contrario11. Magis enim

contrarium dicebatur secundum duas causas predeterminatas ; et reddit causam quando a

magis contrario eo quod illud est minus peccatum, et ponit similitudinem in qua manifestatur,

cum dicit : Quemadmodum Calipso suadet. Sic. ‘<A fumo>’12. etc. {f. 108r} Et notatur

1 difficile scr.] dificile A 2 difficile scr.] dificile A 3 difficile supp. in lac. 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a25-26), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 9-10 : « Verbi

gracia, circuli medium accipere non omnis, set scientis ». 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a26), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 10-11 : « Sic

utique et irasci quidem [...] ». 6 sed scr. ex fonte] si A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a28), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER,

p. 21, l. 12 : « Set cui, et quantum, et quando, et cuius gracia [...] ». 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a29-30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 13-14 : « Quod

est bonum et rarum et laudabile et optimum ». 8 autem sup. lin. 9 rarum scr.] carum A 10 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a30), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 14 : « Ideo oportet

eum [...] ». 11 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a30-31), trad. BURGUNDIO DE PISE, trad. BURGUNDIO DE PISE, éd.

GAUTHIER, p. 21, l. 14-15 : « Ideo oportet eum qui intendit ad medium, prius quidem segregari a magis

contrario ». 12 a fumo supp. in lac. ex fonte — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a31-32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd.

GAUTHIER, p. 21, l. 15-16 : « Quemadmodum et Calipso suadet. Sic. A fumo [...] ».

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duplex ratio periculi in mari : una que est ex obuiatione rupum uel acerui arenarum, alia uero

que est ex undatione spumarum1 ; uel unum genus periculi notatur ex collisione uaporum

ascendentium2 ex mari, que Calipso3 dicitur fumus per quem non sit distinctus inter rupem

et non rupem, nec terram et non terram ; et per procellam4 intelligitur5 maris a profundo.

<§ 61> Deinde, dicit : Intendere autem oportet6, etc., intelligit segregationem ad quod

magis nati sumus.

<§ 62> Cum autem dicit : Sed erit notum7, etc., determinat8 per quid dignoscetur9 ad

quod sit magis natus10 ; et cum dicit : In contrarium autem ipsos trahere11 oportet qui

intendunt12 ; [et] causam subiungit, dicens : Multum enim seiungentes13 nos14, etc. ; et simile

ponit, dicens : Quod tortuosa lignea faciunt15, etc.

<§ 63> Cum autem dicit : In omni magis cauendum16, dat17 regulam, quod cauendum

est semper delectationibus quia quantum in est18 nobis non iudicamus eam indecepti19 ; et

simile ponit dicens : Quod igitur plebis senes20, etc., id est sicut senes plebis se habebant ad

1 spumarum scr.] stellarum A 2 ascendentium scr.] astendentium A 3 calipso scr.] caligo A 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109a32), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 16 : « A fumo et

procella [...] ». 5 intelligitur scr.] intelligetur A 6 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b1-2), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 20-21 :

« Intendere autem oportet [...] ». 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b3), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 22 : « Hoc autem

erit notum […] ». 8 determinat scr.] determinant A 9 dignoscetur scr.] denoscetur A 10 natus scr.] notum A 11 trahere scr. ex fonte] tradere A 12 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b4-5), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p.21, l. 23: « In

contrarium autem ipsos trahere oportet ». 13 se sup. lin. 14 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b5-6), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 24 : « Multum

enim seiungentes [nos] a peccare [...] ». 15 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b6-7), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 25 : « Quod qui

tortuosa lignorum dirigunt, faciunt ». 16 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b7-8), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 25-26 : « In

omni autem magis cavendum delectabile et delectacionem [...] ». 17 dat scr.] da A 18 est sup. lin. 19 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b8-9), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 26-27 : « [...]

non enim indecepti iudicamus eam ». 20 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b9), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 21, l. 27 : « Quod igitur

plebis senes [...] ».

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Helenam, ad quam mouebantur, licet non ducebantur ; sic oportet nos pati ad delectationem1,

id est a delectationibus, et non deduci ; et dicere uocem eorum in omnibus2 ; uox autem eorum

erat : ‘fugiamus’3. Sic enim eam proicentes, minus peccabimus4.

<§ 64> Et deinde cum dicit : Hec igitur5, etc., concludit positam inueniendi medium.

<§ 65> Deinde, dicit : Difficile6 est autem hoc in singularibus7, id est licet hec sit

rationalis inueniendi medium, tamen circa hoc medium uel illud est difficultas, et hec

manifestat cum dicit : et enim nos8, etc. Signum enim est quod non recte discernimus medium

ab extremis eo quod irrationabiles aliquando dicimus [aliquando] humiles et audaces fortes ;

per quod notatur humilitatem plus accidere ad deficientiam, fortitudinem9 uero ad

superhabundantiam in suo genere.

<§ 66> Deinde, dicit : Sed qui parum10, etc., in quo notatur signum in eo quod malus

qui non multum distat a bono non uituperatur ; cum autem proprium sit mali uituperari, qui

autem succedit a bono uituperatur. Et causam subiungit manifeste cum dicit : hic11 enim non

latet12. Sed quantum sit uituperandus, non facile determinare, sicut non de aliquo alio

1 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b10), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 1 : « [...] hoc

oportet et nos pati ad delectacionem [...] ». 2 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b10-11), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 1-2 : « [...] et

in omnibus eorum dicere vocem ». 3 Cf. PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, F, f. 55va : « Deinde docet

magis in speciali declinare a malo, et dicit quod in omnibus magis cauendum est delectationem quia nos non

approbamus eam nisi decepti ; et dicit quod nos oportet pati ad delectationem, quod passi sunt plebis senes

(correxi ex blebissones) ad Helenam (correxi ex helenanam). Elena enim fuit pulcerrima mulierum et quam

respicientes plebis senes (correxi ex blebissones) dicebant ‘fugiamus, fugiamus, ne peccemus in delectando’ ». 4 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b11-12), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 2-3 : « Sic

enim eam proicientes, minus peccabimus ». 5 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b12-13), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 3 : « Hec igitur

facientes ut in capitulo dicamus [...] ». 6 difficile scr. ex fonte] dificile A 7 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b14), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 4-5 : « Difficile

autem forsan hoc, et maxime in singularibus ». 8 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b16-17), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 6-7 : « [...] et

enim nos quandoque quidem deficientes, laudamus et humiles dicimus [...] ». 9 fortitudinem scr.] fortitudine A 10 parum scr. ex fonte] paruum A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b18-19), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd.

GAUTHIER, p. 22, l. 8-9 : « Set qui parum quidem a bono excedit [...] ». 11 hic scr. ex fonte] hoc A 12 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b20), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 10 : « [...] hic

enim non latet ».

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sensibilium. Sed indiuiduum de hiis communi<bus> fiunt1 singularia habere per

experientiam ; unde dicit : hec enim in singularibus2, etc.

<§ 67> Cum autem dicit : Hoc igitur ostendit3, epilogat illud quod determinatur in

hac parte, scilicet quod medius habitus laudabilis est in omnibus, sed4, quia ille aliquando

inclinat ad superhabundantiam, aliquando ad deficientiam5, oportet scire hoc et segregari ab

illo, cum enim inueniemus bonum facillime6. Et hec fuit intentio.

1 Ce mot fiunt semble être barré. Cette lecture est à revoir. 2 singularibus scr.] sigularibus A — ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b22-23), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd.

GAUTHIER, p. 22, l. 12-13 : « [...] hec enim in singularibus, et in sensu iudicium ». 3 ARISTOTE, Ethica Vetus, II, 9 (1109b23-24), trad. BURGUNDIO DE PISE, éd. GAUTHIER, p. 22, l. 13-14 : « Hoc

quidem ostendit quod medius habitus, in omnibus laudabilis ». 4 sed sup. lin. 5 deficientiam scr. ex fonte] electionem A 6 facillime scr.] facilime A

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Chapitre III. Traduction française : Anonyme (maître ès arts) Commentaire d’Avranches sur la

vieille Éthique (vers 1230-1240)

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<PROLOGUE>

{f. 90r-91r}

<§ 1> Il semble que toute doctrine soit opératrice de quelque bien ; et derechef, toute

doctrine souhaite quelque bien. <Or>, comme le bien prochain souhaité par les diverses

doctrines n’<est> pas le même – il y a trois parties de la doctrine, de même qu’<il y a> trois

parties de la philosophie humaine –, il y aura un triple bien correspondant à ces trois parties,

à savoir le bien de la philosophie morale, et le bien <de la philosophie> naturelle, et le bien

<de la philosophie> rationnelle. Or les parties de la philosophie naturelle sont ordonnées vers

le bien humain qui est la santé ; tandis que les parties de la philosophie rationnelle <sont

ordonnées> vers le bien humain qui est la science jointe à l’intention, <c’est-à-dire au

dessein>, de la doctrine ; le bien de la philosophie morale, quant à lui, est la félicité ou la

vertu.

<§ 2> Or, <le fait> qu’il y ait un triple bien humain, et non pas davantage, est évalué

à partir de la considération de la vie. La vie, en effet, est dans le corps grâce à l’âme, et c’est

le cas de l’homme, et l’achèvement de celui-ci <est> la santé conservée jusqu’au terme qui

lui est posé par l’Artisan. La vie spirituelle, pour sa part, est double : l’une par laquelle l’âme

vit au moyen de la science des réalités et l’autre par laquelle elle vit grâce à la participation

de la félicité en tant que vertu.

<§ 3> Or, il y a <aussi>, comme il a été dit plus haut, la philosophie naturelle qui a

ces deux parties : la mathématique et la physique, ordonnée vers le bien qui est la santé,

Isidore attestant <ce> qui s’évalue ainsi en mathématique : en effet, chaque <discipline>

mathématique est ordonnée vers l’astrologie, puisqu’elle est à vrai dire une science

déterminative des propriétés qui arrivent dans <les corps> inférieurs selon le mouvement des

<corps> supérieurs – au pouvoir desquelles <propriétés> il arrive que se produisent

l’altération et la conservation de la santé de la constitution (= complexionalis)1 dans le corps

1 Sur la traduction de ce terme, voir A. BLAISE, Lexicon latinitatis medii aeui, Turnhout, Brepols, 1975.

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276

humain. Et en effet nous sommes, d’une certaine façon, la fin de toutes les <choses> qui

sont.

<§ 4> La partie inférieure de la philosophie naturelle est ordonnée vers la nature

matérielle de la santé qui est dans les <choses> chaudes, et les froides, et les humides, et les

sèches et dans les <choses> s’ensuivant de celle-ci ; ce qui est patent en parcourant les parties

inférieures de la philosophie naturelle ; d’où, puisque la définition de la santé est celle-ci, ‘la

santé est dans la mesure des <choses> chaudes, des froides, des humides, et des sèches en soi

et par rapport au <corps> qui <les> contient’, du côté de la nature matérielle est ordonnée la

partie inférieure de la philosophie ; tandis que du côté de la partie comparable au <corps>

contenant – puisque ‘contenant’ est principalement dit le corps entourant les éléments, qui

fait une empreinte sur les corps matériaux – s’ordonnera la partie supérieure de la philosophie

naturelle.

<§ 5> La philosophie rationnelle, quant à elle, est ordonnée vers la science selon quoi

elle <est> interprétée <comme relevant> des affects du vrai et du bien ; cela est patent une

fois faite la considération dans ses parties. Du point de vue de la matière, la philosophie

naturelle, déjà mentionnée, est ordonnée vers la même fin.

<§ 6> La philosophie morale, pour sa part, est ordonnée vers le bien qui est la félicité

ou la vertu ; ce qui est patent dans les parties de cette philosophie morale.

<§ 7> Donc si nous examinons les parties de la philosophie dans la mesure où

l’excellent participe de la fin, la meilleure partie sera celle qui est par rapport au meilleur.

C’est pourquoi la philosophie morale semblera être meilleure que les autres <parties de la

philosophie>. Pour cette raison il faut comprendre qu’une partie de la philosophie est dite

meilleure qu’une autre ou bien parce qu’elle est relative au meilleur, ou bien parce qu’elle

est dans la meilleure forme, ou bien parce qu’elle est le plus près par rapport au meilleur.

<§ 8> De la première manière la science divine est meilleure : elle est en effet relative

au souverain bien. Tandis que de la deuxième manière la philosophie naturelle est meilleure

selon une certaine partie d’elle-même. Elle est en effet dans une meilleure forme, elle procède

au moyen de certitudes, <et> en effet elle est enseignée. Mais de la troisième manière la

philosophie morale est meilleure parce qu’elle ordonne davantage pour acquérir la félicité.

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Une fois cela établi, il reste à chercher relativement à quoi elle est et quelle est sa division

selon la partie sur laquelle porte maintenant l’intention.

<§ 9> <L’intention> porte en effet sur la vertu dans la mesure où elle est ce par quoi

est possédée la félicité. Il faut donc comprendre la division de la vertu. Mais que soit laissée

pour compte la vertu naturelle, parce que ne porte pas sur elle l’intention <du Philosophe>

(= sibi) ; et que soit laissée pour compte la vertu qui est propre à la spéculation théologique ;

et que soit prise cette division de la vertu humaine par <ses> deux différences qui sont <la

vertu> intellectuelle et <la vertu> morale. Car l’âme est apte <par nature> à être ordonnée

dans le bien ou par l’essence par laquelle elle est parfaite, à savoir <par> l’essence première,

ou aussi par rapport à l’essence qu’elle est apte <par nature> à parfaire.

<§ 10> Or elle est apte <par nature> à être parfaite par l’essence première. Dans ce

rapport <l’âme> possède la vertu intellectuelle en ce qu’elle ne peut être jointe à l’<essence

Première> que par la connaissance et l’affect, desquelles <choses> l’une relève de l’intellect

spéculatif, tandis que l’autre de l’<intellect> actif. D’où la prédite vertu consiste dans la

connaissance et l’affect.

<§ 11> Tandis que selon l’autre rapport, que <l’âme> a envers le corps – lequel est

apte <par nature> à être parfait par l’âme –, sera la vertu morale, qui par un autre nom est

dite ‘politique’. Elle est dite en effet ‘morale’ parce qu’elle est consolidée par les mœurs,

tandis qu’<elle est dite> ʻpolitique’ parce que, grâce à elle, il est convenable que l’homme se

tienne en compagnie des hommes.

<§ 12> Mais de la division de la vertu intellectuelle, parce qu’elle est une plus brève

division, {f. 90v} il sera déterminé dans le premier livre. Elle a en effet ces trois parties :

fronesis, sagesse et intelligence.

<§ 13> Tandis que cette division de la vertu morale est <formulée dans le> deuxième

<livre> de cette doctrine. Puisque en effet l’âme est apte <par nature> à parfaire le corps

selon les vertus motrices, et les vertus motrices sont la concupiscible, l’irascible et la

rationnelle – sur le nombre desquelles <nous avons> parlé en d’autres <œuvres> –, l’œuvre

ou l’acte de la <vertu> morale sera relative à l’acte ou la passion de la concupiscible, et de

l’irascible, et de la rationnelle.

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<§ 14> L’acte de la puissance concupiscible, quant à lui, est divisé selon son objet, à

savoir selon le naturel qui est concupiscible. Le concupiscible ou bien est végétal, ou bien

sensible, ou bien rationnel. Le concupiscible végétal, quant à lui, ou bien est dans ces

<choses> qui sont propres au toucher, ou dans ces <choses> qui sont propres au goût, parce

que ou bien il est dans la conservation de l’individu, ou bien dans la conservation de l’espèce,

desquelles <choses> l’une est au moyen d’une opération de la <vertu> nutritive particulière,

l’autre est au moyen d’une opération de la vertu générative. Il y a une vertu qui dispose

adéquatement la puissance concupiscible vers le concupiscible végétal qui est selon le

toucher et le goût, à savoir la chasteté, et ainsi <cela> est patent dans ces <choses> qui sont

traitées dans le quatrième livre.

<§ 15> Or, il y a un autre concupiscible sensible dans lequel échoient l’être plus et

l’<être> moins, et l’intermédiaire, comme la gradation dans ces <choses> qui sont selon la

vision et l’audition et la voix, et le geste. Et la vertu par laquelle <la puissance> concupiscible

est adéquatement disposée par rapport à ces <choses> est l’eutrapelia, comme l’arrangement

de l’homme avec le <bien> monétaire. Comme en effet l’argent est dit correctement monnayé

puisqu’il y a une empreinte convenable de celui qui fait voir l’autorité de la monnaie en vue

de <son> usage conséquent, ainsi l’homme est correctement dit ‘monnayé’ par cette vertu,

quand <ses> sens et mouvements extérieurs sont correctement réglés en vue de l’usage et

<que> dans ceux-ci apparaît l’empreinte de la raison qui fait voir l’autorité.

<§ 16> Or le concupiscible intérieur est divisé selon trois différences : ou bien il y a

un concupiscible pour nous et pour le prochain de telle sorte que, comme nous mettons en

commun la nature par laquelle nous sommes des hommes, de la même manière nous mettons

en commun l’affect – et ce concupiscible est dit ‘amour’ – ; la vertu <correspondante> qui

est morale est dite ʻamitié’, laquelle est une vertu commune dans toutes <les choses> qui se

rapportent à la vie – en effet celui qui est tel qu’il témoigne de l’amour à l’autre est

conséquemment attaché à lui dans toutes <les choses> qui concernent la vie – ; ou bien il y a

un autre concupiscible en vue du prochain selon lequel nous désirons que <tout> aboutisse

bien pour <les hommes> bons et que <tout aboutisse> mal pour <les hommes> méchants ; et

cette vertu est nommée ‘indignation’ ; et <il y a quelque chose de> concupiscible pour nous-

mêmes à partir du prochain, et cela est seulement l’honneur ou <les choses> qui sont

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semblables à l’honneur. Mais je dis ʻhonneur vrai’ celui qui est une démonstration de respect

au témoignage de la vertu ; et il est divisé en grand et petit honneur, comme on le rendra

manifeste plus bas. Et cette vertu qui consiste à désirer l’honneur comme il faut, d’une

manière elle est la magnanimité, et d’une autre manière elle est l’intermédiaire entre l’amour

de l’honneur et la haine de l’honneur.

<§ 17> Quant à la vertu qui est de la puissance irrationnelle, elle reçoit ainsi une

division : ou bien <elle est> par un acte qui tombe sur une raison déterminée à partir de nous

– et cet <acte> est l’acte de révérer, parce que nous voyons <ce qui> appartient à la nature

ou au statut <d’une personne> –, et cette vertu est dite ʻrévérence’ ; ou bien elle est relative

à l’acte de la vertu irascible qui est <l’acte> d’agresser, et elle est déterminée par une matière

qui est terrible ou difficile, et cette vertu est dite ʻcourage’, dont la force est relative à l’acte

qui est de se mettre en colère, <acte> qui a pour terme le prochain ; et cette vertu est nommée

‘humilité’ en ce qu’il faut se mettre en colère avec mansuétude, afin que les méchants ne

deviennent pas pires.

<§ 18> La vertu de la puissance rationnelle, pour sa part, ou bien est selon l’acte de

discerner, <acte> qui est déterminé à partir de nous-mêmes – et elle est nommée ʻprudence’

dans la mesure où elle est dans la distinction du bien et du mal, et des <hommes> bons et des

<hommes> méchants –, ou elle est relative à l’acte qui est dû à la réalité, et cette vertu est

nommée ‘vérité’ (nous devons montrer la réalité comme elle est) ; ou <cette vertu> est dans

l’opération de l’acte qui est dû au prochain, et selon cela est saisie la vertu qui est la ‘justice’.

La justice en effet porte sur <le fait> de donner à chacun ce qui lui appartient.

<§ 19> À partir de ces <considérations> on comprend combien il y a d’espèces de la

vertu morale selon la multitude de la puissance par les actes et de l’acte par les matières des

actes. Et cela est ce que <l’auteur> dit dans ce livre selon les différences de ces <choses>.

Suit cette différence pour la raison, une fois faite cette division de la vertu. Conséquemment,

il faut diviser cette partie de la philosophie morale selon la division de celle-ci.

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280

DIVISION DE L’ÉTHIQUE

<§ 20> Or dans le premier livre la vertu est traitée dans <son> ordonnancement vers

la félicité et par ses différences. Mais dans le second livre on traite de la vertu morale quant

à sa cause matérielle et formelle. Tandis que dans le troisième <livre>, on <en> traite quant

à la cause efficiente, et à la fin, et aux propositions qui {f. 91r} suivent par la cause efficiente

par rapport à la fin. Dans le quatrième <livre on traite> du courage : ce qu’il est et

relativement à quelles passions il est. Même chose relativement aux espèces du courage

apparent. Dans le cinquième <livre>, on traite de la chasteté : ce qu’elle est et relativement à

quelles passions elle est, et <on traite> aussi de la différence de celle-ci par rapport au

courage, et <on traite> de la différence de ses extrêmes et à partir des extrêmes. Quant aux

livres suivants, ils sont pris selon les divisions de la vertu qui précèdent, de telle sorte qu’un

livre soit selon la libéralité et la magnificence, un livre selon la magnanimité et le moyen

<terme> entre l’amour de l’honneur et la haine de l’honneur ; et ainsi, conséquemment, selon

la division des médiétés.

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<PREMIÈRE LEÇON>

{f. 91r-92V}

DIVISION DU TEXTE

<§ 1> {f. 91r6} Or <la vertu étant> double, etc. On traite dans le premier livre de la

vertu ordonnée vers la félicité et de ses différences. Conséquemment, dans cette partie, il faut

poser la différence de la vertu morale (= consuetudinalis). Pour montrer cela <l’auteur>

détermine la vertu du point de vue de la coutume (= consuetudine), dans ce livre, quant à sa

cause matérielle et quant à <sa> cause formelle et relativement aux <choses> consécutives

aux deux causes.

<§ 2> D’où cette partie est divisée en trois parties : la première, qui est relative à la

cause matérielle <de la vertu>, s’étend jusqu’à cet <endroit> : Après <avoir déterminé> ces

<choses>, il faut examiner ce qu’est la vertu, etc. Mais la deuxième, qui est relative à la

cause formelle, s’étend jusqu’à cet <endroit> : Il existe trois dispositions. C’est pourquoi la

troisième partie, quant à elle, se termine à la fin du livre ; parce que, à vrai dire, les causes

précèdent les <choses> qui sont consécutives aux causes, et la cause matérielle précède dans

le devenir la <cause> formelle.

<§ 3> Par ailleurs, cette doctrine est pour que nous devenions bons. Il y aura une

première partie de la doctrine, qui est relative à la cause matérielle de la vertu morale ; et

cette partie certes est divisée en deux, car dans la cause matérielle est contenu <le traité sur

les choses> à partir desquelles <elle> est, et <le traité sur> la sorte <de choses> à partir

desquelles <elle est> ; et parce <le discours sur les choses> à partir desquelles <elle est>

précède, première est cette partie qui est <tirée> de la cause matérielle <traitant des choses>

à partir desquelles <est la vertu>, et celle-là se termine ici : Or, Puisque le <présent> ouvrage

etc. Or cette partie <vient> après la distinction de la vertu morale par rapport à la vertu

intellectuelle.

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282

[...]

EXPOSÉ SUR LA LETTRE

<§ 32> {f. 92v6} Or <l’auteur> dit la vertu <étant> double et non pas ‘deux vertus’

pour qu’il soit noté qu’il y a une même vertu relative à la nature de la <puissance> subissante

et de <la puissance> agente prochaine. Mais elle tire son principe selon diverses

comparaisons dans l’ordre par rapport à l’essence supérieure et inférieure ; et à l’égard de

l’<essence> supérieure <cette vertu> est dite ‘intellectuelle’, à l’égard de l’inférieure <elle

est dite> ‘morale’, et à partir de celles-ci est faite une <seule> disposition du parfait vers le

meilleur. D’où il est convenable qu’une <seule> vertu soit dite double, par cela en ce qu’il

dit : étant.

<§ 33> <L’auteur> note d’abord que la division de la vertu est faite par ces différences

ou <ces> énonciations. Mais par ceci qu’il dit : <la vertu> intellectuelle a beaucoup de

génération et d’augmentation relativement à la doctrine, et c’est pourquoi elle a besoin

d’expérience et de temps, il dit noter le principe de la disposition à la vertu intellectuelle, à

savoir un principe en nous qui est dit ‘expérience’, multiplié par le temps, et un principe dans

quelqu’un <d’autre> qui est dit ‘doctrine’ ; et ces deux <choses> disposent vers la

connaissance du souverain bien, laquelle était élevée à l’égard de la vertu intellectuelle. Et

elle est dite avoir beaucoup de doctrine par différence avec la <vertu> morale qui <en> a peu,

comme on trouve à la fin que le savoir est insuffisant pour les vertus morales, mais suffisant

pour la <vertu> intellectuelle, parce qu’à la connaissance du souverain bien s’ensuit l’amour

de celui-ci ; en effet autant chacun le connaît, autant il l’aime.

[...]

<§ 38> {f. 92v24} Mais lorsqu’il est dit : <or>, nous livrons <ensuite> les actes, par

les opérations <ou les actes> est comprise l’opération de la vertu elle-même, comme voir

<est> l’acte en vérité conjoint du sensible lui-même avec le sens, ce qui, à travers l’opération,

est laissé par la vertu.

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283

<§ 39> Ensuite, lorsqu’il dit Ce qu’est <manifestement> vrai dans les sensibles,

<l’auteur> manifeste <que> ce en quoi est la vertu par nature communique davantage avec

la volonté. Mais lorsqu’il dit : Et de même <que> dans les autres arts, il est noté par cela

que la vertu est aussi un certain art. L’art en effet explique la vertu, ou il est dit ‘art’ d’après

‘redresser’ (= artando), car la vertu redresse celui qui opère pour que <celui-ci> ne s’incline

pas vers l’excès ou le défaut.

[...]

<§ 43> {f. 92v35} Lorsqu’il dit aussi : s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait nul besoin

d’un enseignant, il est compris que si l’art n’était pas <acquis> par les opérations

préexistantes, il n’y aurait pas de mode de la doctrine en vue de l’acquisition de l’art ; la

doctrine, en effet, redresse (= rectificat) <notre manière d’agir> dans les opérations <que

nous accomplissons>. Or lorsqu’il dit : En faisant des échanges avec les hommes, <cela> est

compris relativement aux échanges (= conuersationibus) dans la vie commune avec les bons

et les mauvais : à partir de <ces> opérations les uns deviennent justes, tandis que les autres

injustes. À partir de la vie en communauté sont formées les mœurs.

<§ 44> Or, <l’auteur> pose un exemple dans les opérations de trois vertus, à savoir

de la justice, du courage et de la tempérance, et non pas de la prudence parce que son œuvre

est intérieure, et <ses actes> ne se manifestent pas dans la plupart <des cas>, tandis que les

actes des autres vertus, quant à eux, sont manifestes. Et il pose un exemple dans l’acte de la

vertu rationnelle, lorsqu’il parle de l’acte de justice ; <un exemple> relatif à l’acte de vertu

irascible lorsqu’il parle <de l’acte> de craindre ou d’oser, et lorsqu’il parle <de l’acte> de se

mettre en colère ; <et il pose un exemple> relatif à l’acte de <vertu> concupiscible lorsqu’il

parle de l’acte de chasteté et de continence.

[...]

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284

<DEUXIÈME LEÇON>

{f. 92v-94v}

DIVISION DU TEXTE

<§ 1> {f. 92v46} Puis donc que le présent ouvrage, etc. Il a déjà été déterminé dans

la première partie à partir desquelles <choses> la vertu est <dite> morale. Et parce qu’il

convient qu’une qualité bonne soit ajoutée, dans cette partie <Aristote> montre, à partir de

la contemplation en vue de la fin, qu’il faut examiner les qualités des opérations ou les

dispositions à partir desquelles reste <ou résulte> {f. 93r} la vertu. Et parce que la fin <de

cette doctrine> est que nous devenions bons, on suppose cette disposition de l’opération en

vue de l’opérer selon la raison droite.

<§ 2> Or <l’auteur> recherchera ensuite ce qu’est opérer selon la raison droite. Il

ajoute qu’opérer selon la raison droite c’est opérer dans le moyen <terme> avec plaisir dans

les <choses> plaisantes, et <avec> peine dans les <choses> pénibles, et <avec> persévérance

de la volonté dans l’œuvre. Parce qu’à vrai dire il faut examiner ces <choses> qui sont dans

les opérations pour que la vertu soit acquise : les <choses> qui sont dans les opérations et

les <choses> apportant une aide <à l’opération>, n’ont rien de stable, et les <choses>

singulières. Or <quand il dit> les discours doivent être cherchés selon la matière <qu’ils

traitent>, il faut que le discours soit par lui-même <fait> de manière non certaine, à savoir en

tant que discours exemplaire et par paraboles, cela ayant <été> déterminé dans la première

partie.

<§ 3> Or dans la deuxième partie, qui commence ici : Il faut donc, en premier lieu,

puisque, a été déterminé, certes, l’opérer selon la droite raison à partir de laquelle se fait la

vertu, et <ici> c’est à partir de quelle sorte de <choses> se fait la vertu morale selon des

conditions déterminées. Mais dans la première partie <l’auteur> montre que la vertu morale

se fait à partir des opérations <se trouvant> dans la médiété, et elle est conservée et elle est

augmentée, et au-delà de cela il montre que <la vertu> est principe des opérations semblables.

Et cette partie-ci se termine à cet endroit : Or, <il faut faire> un signe <distinctif>, etc.

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<§ 4> Dans cette deuxième partie <Aristote> montre que toute vertu est relative aux

opérations accompagnées de plaisir et de peine. Et <cette> partie se termine ici : Or,

<quelqu’un> demandera, etc. Or dans cette troisième partie on montre que la vertu existe à

partir de la persévérance de la volonté dans l’opération. Et <cette> partie se termine ici : Or,

après <avoir déterminé> ces <choses>, etc.

<§ 5> Or à partir de toutes ces conditions il est conclu ce qu’est l’opérer. Et celle-ci

est la cause matérielle ‘à partir de laquelle’ à l’égard de la vertu.

SENTENCE

<§ 6> Dans la première partie, quant à elle, comme il a été dit, on montre que la vertu

provient des opérations existant dans le moyen <terme>, et <qu’>elle est conservée et

augmentée ; ce qui est montré par cela qu’elle est corrompue à partir des opérations existant

dans l’excès ou dans le défaut. <L’auteur> pose diverses raisons par rapport au même

<point>, <et> c’est pourquoi les <choses> bonnes sont comprises à partir d’une parabole

avec la vertu et la santé corporelle, laquelle <parabole> est signalée avec l’intention (=

proposito) <de servir à la compréhension> de la vertu et de la santé spirituelle. Or, la raison

qui reste est comprise par induction dans les parties manifestes de la vertu. Et semblablement,

lorsqu’il montre que la vertu est principe des actes entièrement semblables <à elle>, est

comprise cette raison par induction et par parabole. Ainsi se termine cette partie.

QUESTIONS <SUR LA PREMIÈRE PARTIE DE LA LEÇON>

<§ 7> <1> Or une question surgit relativement à cela qu’il dit : Puisque le

<présent>ouvrage n’est pas en vue de la contemplation. Il semble en effet que toute doctrine

est pour que l’intellect soit ainsi perfectionné dans la contemplation de Dieu ; <or>, de quelle

manière aussi celle-ci sera-t-elle pour que la vertu soit perfectionnée dans la contemplation

du vrai ? <1*> Mais à cause de cela <cette doctrine> est dite être en vue de la contemplation.

En effet, cela en vue de quoi quelque chose est, est l’ultime et le meilleur en ce genre-là. Or

il est mieux de devenir bons que de contempler le bien. Ce bien-ci en effet est à cause de

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celui-là, à partir de quoi il est manifeste que devenir bons est cela en vue de quoi est cet

ouvrage, <et> non pas la contemplation.

<§ 8> Or lorsque d’autre part il dit : comme les autres, <l’auteur> indique que

l’opération de la philosophie rationnelle et <de la philosophie> naturelle est en vue de la

contemplation, l’une formellement, l’autre matériellement. En effet, bien que par celles-ci

soit possédée la rectitude de quelque opération, cependant il n’y a pas autant de perfection

par une multiplicité de cette opération que dans la connaissance du vrai.

<§ 9> <2> Or lorsqu’il dit : et en effet nous n’examinons pas ce qu’est la vertu <pour

que nous sachions>, il semble dire le contraire de ce qui est ajouté par cela : <il faut

examiner> ce qu’est la vertu. Mais cela n’est pas ce qui est indiqué par ce qu’il dit : pour

que nous sachions ce qu’est la vertu ou pour que nous devenions bons. <2*> Lorsque donc

il dit qu’il faut examiner ce qu’est la vertu, cela est par cette intention : pour que nous

sachions principalement. Or, lorsqu’il dit : nous <n’>examinons <pas> ce qu’est la vertu,

tu as par cette intention : pour que nous devenions bons.

<§ 10> <3> Ensuite lorsqu’il dit que de telles opérations sont rectrices des états

habituels de sorte qu’ils soient faits <avec une certaine qualité>, il semble dire faussement.

Or si l’une de <ces choses> doit être <purement et> simplement la cause de l’autre,

l’opération est davantage en vue de (= causa) l’opération qu’en vue de (= causa) de la vertu ;

c’est pourquoi de telles opérations ne seront pas rectrices des états habituels.

<§ 11> <3*> Et il faut dire que la vertu en tant que vertu est la cause de l’opération,

mais en tant qu’elle est morale elle est causée à partir de l’opération, et le bien de la volonté

est d’abord dans l’opération, ensuite dans l’état habituel. Et c’est la raison pour laquelle il dit

que les opérations sont rectrices des états habituels.

<§ 12> <4.1> Ensuite lorsqu’il dit : opérer selon la droite raison, on peut se demander

ce qu’est la droite raison. Et comme elle est dite ‘vertu’, <4.2> <on peut se demander> si elle

<l’est> de manière univoque ou équivoque à l’égard des autres vertus.

<§ 13> <4.1*> Et il faut dire que la droite raison est dite disposition droite de

l’intellect pratique, lequel est <apte> par nature pour commander aux puissances humaines

de choisir et d’exercer le bien et de détester le mal. Mais s’il est demandé de quelle manière

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elle est possédée par l’intellect pratique, il faut dire qu’elle est possédée ou bien à partir de

la vertu bonne, ou bien à partir de l’infusion de la grâce par l’essence suprême, ou bien à

partir de l’examen des œuvres chez les animaux. Je dis opération comme la libéralité, la

mansuétude, et ainsi en <est-il> relativement aux autres <opérations>, dans lesquelles se

distinguent les divers genres d’animaux qui choisissent le milieu convenant à leur nature.

<§ 14> <4.2*> La raison droite ne peut pas être dite ‘vertu’ de manière univoque avec

les autres. En effet, elle n’est pas faite à partir de l’accoutumance (= assuetudine) des

opérations, puisqu’elle précède les opérations, mais elle est dite premier état habituel bon de

l’intellect pratique.

<§ 15> <5> Ensuite il dit que les discours doivent être cherchés selon la matière

<qu’ils traitent>, et à cause de cela il faut parler de manière schématique et non pas de

manière certaine. Il semble y avoir une hésitation en ce qu’il y a un mode doctrinal relatif

aux <arguments> probables ou aux <arguments> sophistiques ; et semblablement en est-il

relativement aux <affaires> morales dans ce livre : une procédure certaine détermine en effet

les principes propres à la vertu morale en genre et en espèce.

<§ 16> <5*> À propos de quoi il est dit que par cette doctrine peut être instruit

quelqu’un qui envisage d’avoir la connaissance de la philosophie morale. Et chez lui-même

le mode est certain ; et encore peut être instruit l’opérant qui envisage de devenir bon, et le

mode exemplaire et par paraboles est utile à cela. Et à cause de cela <l’auteur> inclut l’un et

l’autre mode dans cette doctrine, mais principalement <le mode> schématique, car il est

envisagé principalement que soit instruit celui qui opère relativement aux <circonstances>

singulières ; et même si cela <est ainsi>, il faut parler du mode doctrinal.

QUESTIONS <SUR LA DEUXIÈME PARTIE DE LA LEÇON>

<§ 17> Ensuite on peut se demander quant à la deuxième partie de la leçon : <6> étant

donné que quelque <chose> est induit par la première opération, <on se demande> si la même

<chose> ou une autre <chose> est induite par la deuxième <opération> ; <7> et s’<il s’agit

de la> même <chose> mais se trouvant d’une autre manière, <on se demande> s’il est

possible que cette disposition soit étendue à <l’occasion de> la troisième <opération> ; <8>

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et de quelle manière résulte (= derelinquitur), à partir d’une opération qui est faite dans une

seule puissance, la disposition qui devient vertu dans une autre puissance ; <9> et à quoi sont

utiles les opérations qui suivent la vertu existant dans la substance ; <10> et puisque <la

vertu> est <apte> par nature à être corrompue à partir de l’excès et du défaut, <on se

demande> si elle est corrompue à l’occasion de la première opération mauvaise ou <si> une

multitude d’opérations est requise ; <11> et <on se demande> si parfois, dans cette

comparaison, ni la vertu ni la malice n’est dans <la substance>.

<§ 18> <6.1> La première question est ainsi déterminée : à partir de la deuxième

opération, ou bien résulte (= derelinquitur) la même disposition qui a été laissée (= derelicta

est) à partir de la première <opération>, ou bien résulte (= derelinquitur) une autre non pas

la même ; parce que ce qui devient n’est pas le principe de ce qui préexiste. Mais si résulte

(= derelinquitur) une autre disposition <différente de la première>, alors seront

<multipliées> par trois les dispositions en nombre, <c’est-à-dire> dans le même <nombre>

dans lequel sont les opérations. Et puisque les opérations sont les mêmes en espèce, les

dispositions seront les mêmes en espèce, et ainsi il y aura plusieurs individus {f. 93v} de la

même espèce dans le même sujet indivisible. Et à cause de cela, la vertu n’est pas laissée

<dans l’âme> par ce mode. En effet, aucun nombre ne se ferait <purement et> simplement à

partir de toutes les dispositions. Cette première disposition résultant (= derelicta) à partir de

la première opération, ou bien est la même en substance que la vertu elle-même qui se fait

conséquemment, ou bien non.

<§ 19> <6.2> Si elle n’est pas la même, on se demande pourquoi la disposition n’est

pas rejetée par l’arrivée de la vertu elle-même. Comme <la vertu> ne lui est pas opposée, la

disposition demeurera donc dans la puissance elle-même et la vertu <demeurera>

pareillement. La disposition serait donc superflue s’il n’y avait pas quelque chose d’utile en

vue duquel la vertu ne suffirait pas. Si à vrai dire elle est la même en substance que la vertu,

<on se demande> comment, puisque la disposition serait facilement mobile, la vertu est

difficilement mobile.

<§ 20> <6.1*> À quoi il faut dire que cette disposition ne résulte pas (= non

derelinquitur) des actions qui suivent ; mais cette disposition première <est> intense, et elle

est toujours intensifiée par les opérations jusqu’à ce qu’elle devienne état habituel. La même

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disposition devient alors un état habituel unique. <Et> seulement l’imperfection de la

disposition est enlevée une fois l’état habituel advenu, mais non pas sa substance.

<§ 21> <6.2*> Et il y a une ressemblance lorsque l’air est illuminé par un éclairage

incomplet ou par une lumière lunaire. Si une <autre> source de lumière (= illuminans) arrive,

cet éclairage n’est pas enlevé mais il est perfectionné. Et semblablement <cela> est manifeste

relativement à la chaleur qui est faite dans l’air par le chauffage de cette source de chaleur (=

calefacentis) altérant l’air d’une altération complète.

<§ 22> <7> La seconde question, quant à elle, se détermine ainsi. Puisque

l’accroissement est un mouvement vers la grandeur parfaite, <et que> la vertu est augmentée,

il semblera que parfois la grandeur de la vertu <soit> près de <la grandeur> complète, et cela

semble aussi <être la même chose> par un <cas> semblable pris dans les autres formes. En

effet, la blancheur et la chaleur peuvent être intensifiées semblablement, et ainsi <en est-il>

dans les autres formes. C’est pourquoi il semblera en être ainsi dans la vertu.

<§ 23> La <position> contraire, quant à elle, est argumentée ainsi : à partir des

opérations la vertu est augmentée ; et une opération peut la même <chose> qu’une autre

également bonne ; donc chacune d’elles doit un accroissement à la vertu. Mais il est

impossible que les opérations aillent jusqu’à l’infini. Donc l’accroissement (= intensio) de la

vertu n’est pas déterminé, ce qu’il faut admettre relativement à la vertu humaine en tant qu’il

s’agit de son opération.

<§ 24> <7*> Et c’est différent de dire ‘accroissement’ proprement et communément.

En effet tout accroissement pris proprement possède un terme. Et conformément à cela est

posée la susdite définition d’accroissement. Mais l’accroissement, dans la mesure où il est

communément pris en vue de l’intensification dans les formes dans <les choses> naturelles,

dont le principe suffisant est la nature, n’a pas de nom. Mais dans les formes volontaires, il

n’y a pas d’objet <propre> à toute intensification, soit à cause de la multiplication des

opérations, qui n’est pas une figure, soit à cause de l’intensification de la volonté, <pour>

laquelle il est possible de s’intensifier de plus en plus, de sorte que la vertu de la volonté soit

proportionnelle, dans l’intensification de toute l’âme rationnelle elle-même, à

l’endurcissement <de l’âme>.

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<§ 25> <8> La troisième question, quant à elle, se détermine ainsi. Les opérations à

partir desquelles résultent (= derelinquitur) la vertu ou les passions sont <selon> diverses

puissances. En conséquence, l’effet des opérations ou bien sera fait dans la même puissance

dans laquelle l’opération est, ou bien dans une autre ; et il convient qu’il ne soit pas dans la

même <puissance>. Car quelques opérations sont transformées au moyen d’un certain organe

corporel. L’état habituel ou vertu <est> dans l’âme elle-même, et semblablement les

dispositions. Tandis que s’<il est> dans une autre puissance, ou <il l’est> d’une manière égale

dans l’une, comme il semble, et dans l’autre ; ou, si <la vertu> est <apte> par nature pour

rester plus dans la <puissance> raisonnable que dans une autre puissance, <elle l’est> comme

<une sorte de> raison de celle-là. Et à nouveau, puisque sont nombreuses les puissances dans

lesquelles sont les opérations ou les passions, <on se demande> de quelle manière la vertu

résulte (= derelinquatur) <être> dans une puissance indivisible, ou <encore on se demande>

si, <étant> dans des <puissances> diverses, <les vertus> ne sont pas dans de si nombreuses

puissances que le sont les opérations ou les passions de <ces> puissances.

<§ 26> <8*> À quoi il est dit que comme l’intellect pratique <est apte> par nature <à

être> dans l’opération, ainsi les puissances sensibles et corporelles sont <aptes> par nature

pour opérer à partir de lui. Puis donc que par les opérations, qui sont dans les autres

puissances, les puissances sont disposées vers l’acte (= effectum), de telle sorte qu’elles soient

dirigées vers l’acte par la vertu raisonnable, en conséquence l’état habituel qui dispose

l’intellect pratique existe pour qu’il commande <les puissances>, en tant qu’il y a en effet en

lui le <pouvoir d’>être juste. Mais une certaine disposition dans les autres puissances n’est

pas la vertu dite par le nom absolu, mais celle qui est dans l’intellect ou dans la force

rationnelle.

<§ 27> <9> Quant à cette question par laquelle on se demande ce qu’apportent les

opérations existantes une fois acquise la vertu, étant donné que la vertu elle-même suffit pour

<acquérir> la fin, <9*> il faut dire que l’utilité de ces <opérations> est double : l’une en

rapport avec la vertu, l’autre en rapport avec la félicité. En effet lorsque <quelqu’un> possède

la vertu, lui manque encore la félicité vers laquelle sont disposées les opérations multipliées

qui tirent leur origine de la vertu. En effet, bien que quelqu’un possède la vertu, <la vertu>

elle-même ne suffit pas pour <acquérir> la félicité de manière <à ce que> la faculté d’opérer

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soit <présente>. Mais si la faculté n’était pas <présente>, la vertu acquise elle-même serait

suffisante pour <acquérir> la félicité. Ainsi la volonté, dans <l’homme> impuissant d’opérer,

est suffisante pour <acquérir> la vertu. De cette manière <se trouve> la vertu dans celui qui

ne possède pas la faculté d’opérer une fois acquise la vertu. Et <cela> est suffisant pour

<acquérir> la félicité, bien que <cela> ne <soit> pas <suffisant> pour <acquérir> autant <de

félicité> que l’on peut <acquérir> par les opérations.

<§ 28> En plus, l’opération qui suit la vertu est utile à la conservation de la vertu ou

à l’intensification de celle-ci. Par cela, en effet, qu’elle opère maintes fois comme la première

<fois> (= prius), je signifie que cela est à cause du plaisir que quelqu’un possède. En effet,

le plaisir que quelqu’un possède de la raison, qui est possédée lorsque <l’opération>

s’intensifie, fait l’intensification de la vertu. Ainsi donc l’opération est utile pour que la vertu

soit conservée et augmentée.

<§ 29> <10.1> À la question suivante, <à savoir> si la disposition vers le vice peut

demeurer avec la vertu dans la même puissance, <10.1*> il faut dire que non de manière <à

ce que> ce vice soit placé auprès la vertu. <Car>, en effet, comme cette disposition, qui restait

(= derelicta) la première provenant d’une bonne opération, <par une opération> également

intense de manière suffisante <la vertu> devient vice moral. D’où, comme la vertu et le vice

s’opposaient (= repugnabat) dans leur substance, de même la disposition du vice s’opposait

à la vertu et la disposition de la vertu <s’opposait au> vice ; et la disposition <s’oppose à> la

disposition, quoique ne soit pas tant l’opposition de la disposition à la disposition que l’est

l’opposition de la vertu au vice.

<§ 30> <10.2> <On se demande> donc de quelle manière est corrompue la vertu

morale par le vice ou inversement, étant donné que la disposition de l’un ne peut pas être en

même temps avec l’autre dans la même puissance.

<§ 31> <10.2*> À quoi il faut dire que les opérations mauvaises, chez celui qui

possède la vertu, introduisent une disposition dans les puissances commandées par la

<puissance> raisonnable. Puisque cette disposition a été intensifiée elle devient

désobéissante à la puissance raisonnable, en la poussant vers son <objet> désiré ; et si <cette

disposition> est poussée, naîtra une disposition mauvaise pour la puissance raisonnable ;

laquelle disposition est intensifiée ; <et> puisqu’une <dis>position appropriée (= habilis) a

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été sur elle, <la disposition> est dite vice moral. Mais l’intensification de cette disposition

<est> à cause des opérations mauvaises qui suivent la disposition générée. Mais dans la

génération de cette disposition est corrompue la vertu par une corruption complète, tandis

que dans les dispositions mauvaises des autres puissances est diminuée la vertu. Et la vertu

est corrompue par une corruption qui est mouvement.

<§ 32> <11> Et à cause de cela s’ensuit la détermination de la question suivante : <à

savoir> si <peuvent> exister en même temps dans la même puissance la disposition mauvaise

et l’état habituel, ou s’ils ne peuvent pas <y> exister en même temps. Et <on demande> si

parfois la puissance n’est ni disposée de cette façon-ci ni de cette façon-là, ou, si l’une d’entre

elles n’est pas disposée, de quelle manière l’une est-elle générée et l’autre corrompue. La

corruption en effet est soudaine, comme il semble, et la génération <est aussi> soudaine ; et

à cause de cela, il s’ensuit que si elle est corrompue, elle n’existe pas, si elle est générée, elle

existe. Et comme en premier lieu le vice est corrompu, de même il semble en premier lieu

que soit générée la vertu ou cette disposition qui, lorsqu’elle est intensifiée, en conséquence

elle devient vertu.

<§ 33> <11*> À quoi il faut dire que, selon la manière déjà mentionnée, la vertu ne

peut pas exister et être corrompue par une corruption qui est mouvement, sans <que> le vice

n’existe pas et soit généré par une génération qui est mouvement. La génération en effet est

soudaine. Si le vice est généré, <la génération est> vers le vice quant à sa substance, qui est

la disposition ; et si est corrompue la vertu par la corruption, cela n’est pas quant à cette

substance qui est la disposition. Et ainsi <l’auteur> entend qu’il y a un moyen<terme> entre

la disposition mauvaise et <la disposition> bonne, dont une est la vertu et l’autre le vice. Une

fois ces <choses> déterminées, il reste <à traiter> des définitions qui sont dans le texte.

EXPOSÉ SUR LA LETTRE I

<§ 34> Lorsqu’il dit : en vue de la contemplation, on comprend dans ce cas la

connaissance en général, qui est <celle> de l’intellect spéculatif, et cela se voit par ce qu’il

dit : comme les autres, si par ‘les autres’ est supposée l’œuvre de la philosophie naturelle et

<de la philosophie> rationnelle. Et alors quand il est dit : pour que nous devenions bons,

<cela> sera la fin commune de la philosophie morale ; et <cela> peut être exposé autrement

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de telle sorte que l’œuvre qui vise la vertu intellectuelle soit dite en vue de la contemplation,

<et> l’œuvre qui vise la vertu morale soit dite pour que nous devenions bons. Et alors par ce

mot ‘autres’ sont supposées les œuvres dans la contemplation de la vertu, comme aussi dans

la contemplation du droit, alors que d’autres <hommes> sont dits devenir bons par l’opération

{f. 94r} des affaires civiles.

<§ 35> Or par cela qui est dit : pour que nous devenions bons, on comprend

relativement à la bonté qui est dans la possession de la vertu ou dans son accroissement, et

non pas relativement à cela qui est dans la possession de la félicité, sinon dans la mesure où

la bonté de la félicité est obtenue à partir de ce qui suit la bonté de la vertu.

<§ 36> Or lorsqu’il dit : il n’y aurait aucune utilité, on comprend que savoir ce qu’est

la vertu, si <ce> n’<est> pas en tant que <cette connaissance dénote> un ordre (= ordinalis)

vers le devenir bon ou l’être bon, n’est pas utile. D’où lorsqu’il dit : savoir ce qu’est la vertu,

est posé la fin principale, et <ce> n’<est> pas utile. D’où le Philosophe dit que savoir pour

que nous sachions ou que nous apprenions est curiosité, mais savoir pour que nous devenions

bons est utile.

<§ 37> Or lorsqu’il dit : celles, <c’est-à-dire ces choses>, qui sont dans les

opérations, par ce pronom ‘celles’ sont comprises les conditions par lesquelles les opérations

sont appropriées, de telle sorte qu’à partir d’elles et par elles la vertu soit faite. Or lorsqu’ il

dit que les opérations sont rectrices des états habituels, <cela> n’est pas compris

relativement aux opérations elles-mêmes en soi, mais relativement au bien qui est en elles.

En effet le bien est d’abord dans la volonté, conséquemment dans l’opération et ensuite dans

l’état habituel. Si la vertu se fait à partir des opérations ou <si elle> se fait à partir de la

volonté, elle est en premier lieu dans la volonté, conséquemment dans l’état habituel. Or il

en est autrement relativement à l’état habituel ou relativement à la vertu infuse.

<§ 38> Or lorsqu’il dit : opérer selon la droite raison en général, cela est compris à

l’égard de toutes les vertus morales en tant que principe des <choses> qui sont réalisées. Or

par cela qu’il dit : il est supposé, on comprend que c’est le principe qu’est la supposition. Il

est en effet conclu, de ce que la fin est de devenir bons, que le moyen <terme> doit être opéré

selon le principe qui est la raison droite ; et ainsi est conclu l’opérer selon la droite raison, et

en plus <ceci est> principe à l’égard des conclusions suivantes.

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<§ 39> Lorsqu’il dit que tout discours doit être dit de manière schématique et non

pas de manière certaine relativement aux <opérations> qu’il faut accomplir, on ne

comprend pas qu’il ne soit pas donné de quelque manière comme certain, mais non pas quant

à celui qui doit être instruit dans les opérations singulières.

<§ 40> Or par cela qu’il dit de manière schématique, on comprend le mode

exemplaire et par paraboles, qui est <le fait de> dire en figure. L’archétype en effet est la

figure principale par laquelle est dit le monde ‘archétype’ ; et ‘zélotype’ est dit celui qui

possède la figure du zèle ou de l’amour, <et> non pas le vrai amour.

<§ 41> Or lorsqu’il dit : les discours doivent être cherchés selon la matière <qu’ils

traitent>, on comprend que le discours doit être conforme à ce de quoi est la doctrine, et à ce

qui est enseigné.

<§ 42> Or lorsqu’il dit : les <choses> qui sont dans les opérations et les <choses>

apportant une aide, on comprend la multitude de circonstances dans les opérations, <et> il

faut que celles-ci soient faites pour mener vers la fin. Et trois conditions de la matière sont

notées ici, à cause desquelles il ne faut pas parler de manière certaine, de même qu’à cause

des trois <conditions> opposées il faut parler d’une manière certaine. Lorsque ces

<conditions> ont été retrouvées dans quelque <chose> susceptible d’être enseigné, à savoir

la multitude d’un grand nombre <de choses> ‒ les <choses> singulières se trouvant

différemment selon les <choses> temporelles, dont chacune est un principe d’incertitude ‒,

il faut que la certitude soit choisie sur l’ensemble des étants invariables selon le temps en un

petit <nombre>.

<§ 43> Or lorsqu’il dit : <les choses particulières> ne tombent ni sous l’art ni sous

<aucune> exposé, on comprend <que> le nombre <est> double : sur <les choses définies>

de manière universelle et sur <les choses> définies de manière singulière ; et chez celles qui

ont une cause et chez celles qui sont comptées au-delà de la cause.

<§ 44> Lorsqu’il dit : tout discours, on comprend le discours qui est relatif aux réalités

morales qui sont utiles et variables selon le temps.

<§ 45> Or lorsqu’il dit : Il faut que ceux qui opèrent envisagent les <choses> qui

sont relatives aux circonstances (= tempus), cela est compris <ici> pour que l’opérant soit

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instruit, parce qu’il faut que les opérations soient conformées à la diversité des circonstances

(= temporis), de même qu’il faut que la médecine soit conformée à la diversité des

circonstances (= temporis), et il faut que la raison de la direction des navires, qui tient à <son>

pilotage, soit conformée à la diversité du temps. Et il a posé une ressemblance dans la

médecine et dans le pilotage par cela que ceux-ci sont des arts dans les opérations desquelles

la diversité des circonstances doit être davantage considérée par ce que selon toute diversité

du corps est produite une altération dans le corps humain. Et il y a une certaine différence

<propre> aux navires.

<§ 46> Or lorsqu’il dit : essayer d’aider, <l’auteur> note que cette doctrine n’existe

que comme une certaine aide en vue de ceci : que nous devenions bons, de même que

connaître naturellement les <choses> qui tendent vers les œuvres des vertus est une certaine

aide pour connaître dans la <chose> particulière, et connaître dans la <chose> particulière est

une certaine aide pour vouloir opérer. Si en vérité nous disions que la bonté est (= esset) en

nous par la cause première de la bonté, alors il serait évident que cette doctrine ne serait

qu’une certaine aide pour devenir bons.

<47> Or lorsqu’il dit : <Il faut> donc, en premier lieu, par ce mot ‘donc’ il indique

l’intelligé à partir de ce qui a été dit : essayer d’aider, et aussi l’argumentation est celle-ci :

la vertu morale est à partir du <fait d’>opérer selon la droite raison ; or opérer selon la droite

raison c’est opérer dans la médiété <entre> l’excès et le défaut. Or cela <on peut le> savoir

par ceci, le fait que la vertu est <apte> par nature à être corrompue par le défaut et l’excès :

donc il faut examiner que ces <choses> sont <aptes> par nature, et puisque les extrêmes

sont en effet plus connus que le moyen <terme>. Et à cause de cela il argumente par ce mode,

à partir de la corruption de la vertu par l’excès et par le défaut, que la génération, la

conservation et l’accroissement de la <vertu sont> dans la médiété.

QUESTION

<§ 48> Mais quelqu’un pourrait demander relativement à ce qu’il dit, que la vertu est

<apte> par nature à être corrompue, puisque aucune <chose> en vue du non-être ou en vue

de la corruption, qui est la voie vers le non-être, n’appartient à sa nature.

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<§ 49> À cela il faut dire que le nom de la nature s’étend dans la mesure où quelque

chose est dit susceptible d’être corrompu par la nature. Et la nature par laquelle il est possible

d’être corrompu et d’être généré est la même. Mais par la puissance naturelle dans cela qui

la reçoit et dans la cause, il est possible d’être généré par <la puissance> naturelle. Il semble

possible d’être corrompu dans la puissance <et> dans sa cause. Et ces deux noms, ‘défaut’ et

‘excès’, sont considérés selon une proportion dans ce genre.

<§ 50> ‘Excès’ en effet est dit en termes appropriés à l’égard de l’accroissement,

tandis que le défaut est une diminution par rapport à <la grandeur> complète, quand <il y a>

la possibilité en vue de cette chose-là. Or ici ‘excès’ s’entend comme une addition sur les

circonstances de la spécification <ou qualification> dans la vertu, tandis que ‘défaut’

<s’entend> comme une diminution à l’égard des circonstances ou de ces <choses> admises.

De manière semblable ‘médiété’ s’entend par une proportion ; en effet, le moyen <terme est

considéré> proprement, communément, et par discernement. <Cela est> selon une

ressemblance, laquelle ressemblance il exposera ultérieurement.

EXPOSÉ SUR LA LETTRE II

<§ 51> Or lorsqu’il dit : dans <les choses> obscures il faut se servir des

<témoignages> manifestes, il entend que l’être de la vertu dans la médiété est une réalité

obscure. La vertu est en effet une réalité intelligible dont l’<aspect> singulier n’est pas connu

dans le sens. Et lorsqu’il est dit ‘dans la médiété’, le discours relatif à celle-ci est fait par une

proportion. Et ainsi le discours est obscur, tantôt du point de vue de la réalité signifiée, tantôt

du point de vue du mode de la signifier. Mais les témoignages manifestes sont dits

<manifestes> tantôt du point de vue de la réalité, tantôt du point de vue du mode de signifier.

En effet, une similitude est considérée dans la santé et la vigueur du corps, qui sont des

réalités manifestes ; et le discours relatif à celles-ci est fait par la propriété du langage.

<§ 52> En outre il pose une ressemblance dans ces <choses-ci> : de même que la

santé consiste en l’égalité, <c’est-à-dire de l’équilibre>, des humeurs et <appartient> à la

composition des parties semblables et qui ont une fonction, de même la vertu sur laquelle

porte le discours consiste dans l’égalité, <c’est-à-dire dans l’équilibre>, des circonstances

dans les opérations ou passions. Et de même <qu’est> la vertu du corps par laquelle l’homme

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peut <opérer> au plus haut degré dans l’opération provenant du côté du corps, de même <est>

la vertu sur laquelle porte le discours, par laquelle l’homme peut <opérer> au plus haut degré

dans l’opération qui provient du côté de l’âme. Et puisque deux <choses> dans la vertu

doivent être considérées, à savoir ce qu’est un état habituel bon et <de quelle manière> elle

rend bien l’œuvre, la santé est proportionnée à la vertu selon ce qu’est un état habituel bon.

La vertu corporelle, quant à elle, est mise en rapport à celle-ci selon que l’œuvre est bien

rendue.

<§ 53> Ensuite lorsque <l’auteur> dit : Des entraînements excessifs, c’est-à-dire, des

exercices excessifs du corps, il entend dire de quelle manière il en est relativement à la force

corporelle. Or lorsqu’il dit : D’une manière semblable dans tous les cas et la boisson et la

nourriture, il entend dire de quelle manière il en est relativement à la santé du corps ; et il

compare correctement les exercices <faits> pour <acquérir> la force <corporelle>, et la

boisson et la nourriture pour <acquérir> la santé, par ce que les exercices sont faits selon le

mouvement des nerfs et des os dans lesquels consiste la force, <et> la boisson quant à elle

est observée selon le froid et l’humide, <et> la nourriture quant à elle selon le chaud et

l’humide, <toutes choses> dans lesquelles est réglée une proportion en vue des principes de

la santé. Rien cependant n’interdit que ceci qui <est> dans la boisson soit chaud ou sec

naturellement, et que ceci qui est dans la nourriture soit humide ou sec naturellement ; mais

ceci n’est pas selon la raison de la nourriture en tant qu’elle est nourriture et la boisson en

tant qu’elle est boisson.

<§ 54> Or lorsqu’il dit : <la nourriture> mesurée et produit et augmente et conserve

<la santé>, l’agir est de telle sorte que <la santé> soit conservée, de telle sorte qu’en effet

elle dure, de telle sorte qu’elle <soit> augmentée.

<§ 55> Ensuite lorsqu’il dit : Ainsi <se trouve être le cas> dans la chasteté et le

courage, il entend manifester par induction que la vertu est conservée dans la médiété ; et il

pose une induction dans les vertus manifestes selon les opérations et les passions, et il ne

pose pas l’exemple de la prudence. En effet l’œuvre de celle-ci est dans la médiété <établie>

par la raison, <et> ces œuvres ne sont pas manifestes {f. 94v} <dans la> plupart <des cas>

pour lesquels est faite l’induction.

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<§ 56> Or lorsqu’il dit : Celui qui se fuit et craint <tout> et qui ne supporte rien, est

timide, il envisage trois propriétés de l’<homme> timide à partir de l’opposé contre trois

propriétés de l’<homme> fort lui-même. <Le fait> de fuir en effet va contre <le fait

d’>agresser, <le fait de> craindre, pour sa part, contre <le fait d’>espérer, <le fait de> ne rien

supporter contre <le fait de> persévérer dans la souffrance ; et précède l’agression et suit

l’espoir relativement à la confirmation à cause de quoi s’ensuit la persévérance dans la

souffrance ; et ainsi à partir de l’opposé se trouvent le <fait de> fuir, et <le fait de> craindre,

et <le fait de> ne rien supporter.

<§ 57> Or lorsqu’il dit : et celui qui possède toute volupté, il comprend ici <l’action

d’>avoir la volupté par la conjonction de l’agréable (= uoluptabilis) lui-même avec celui qui

a la volupté (= uoluptuoso) par l’espoir ou le sens ou la mémoire. Lorsqu’en effet on dit :

insensible, n’est pas dit celui qui est privé de sens, mais celui qui, facilement, ne souffre pas

à cause des passions du toucher et du goût qui sont au degré maximum dans les <choses> qui

changent.

<§ 58> Or lorsqu’il dit : mais non seulement les générations, etc., on comprend la

deuxième partie dans laquelle il montre que la vertu générée est le principe des actes

entièrement semblables à ceux à partir desquels elle est générée, conservée et augmentée, de

telle sorte qu’il pose une ressemblance de la vertu avec les êtres animés parfaits. D’abord en

effet les êtres animés sont générés, et conséquemment ils sont conservés par la vertu nutritive,

et ensuite ils sont accrus par la <vertu> augmentative. L’être animé est complété par la vertu

générative, <et> il génère un <être> semblable à lui, et un <être> semblable à celui par lequel

il est généré. De cette manière aussi il intellige ici relativement à la vertu : premièrement de

telle sorte qu’elle soit générée, deuxièmement qu’elle soit conservée, troisièmement qu’elle

soit accrue ; et ensuite de telle sorte qu’elle génère des opérations entièrement semblables à

celles par lesquelles elle est générée. Et cela il <le> montre, <et> d’une manière semblable

en effet <est> le mode par parabole et <le mode par> induction, lorsqu’il dit : par exemple

dans la vertu, et lorsqu’il dit : comme dans <le cas> des vertus.

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<TROISIÈME LEÇON>

{f. 94v-97r}

DIVISION DU TEXTE

<§ 1> {f. 94v12} Or il faut faire un signe <distinctif des états habituels>, etc. Il a été

déterminé dans le <chapitre> précédent (= in proximo) que la vertu est générée et

sauvegardée à partir des opérations existant dans la médiété. Dans cette partie l’auteur veut

ajouter une condition, à celle déjà mentionnée, par laquelle on trouve un signe de la vertu et

du vice chez quelqu’un. Et cette condition est qu’il y ait du plaisir <dans les choses> dans

lesquelles il faut <éprouver du plaisir> et de la peine <dans les choses > dans lesquelles il

faut <éprouver de la peine>.

<§ 2> Or dans la partie suivante, qui commence là : Or, quelqu’un demandera, etc.,

il ajoute, à ces deux conditions, une troisième, à savoir la persévérance de la volonté dans

l’œuvre. Et ces trois conditions sont comprises ainsi distinctement, de telle sorte que la

première est attentive aux conditions de l’opération qui <sont> aussi dans la puissance

assujettie au plaisir et à la peine, la seconde quant à la condition du moteur, parce qu’il est la

volonté, la troisième quant à la condition unie à la vertu et à la puissance. Il faut en effet que

la persévérance appartienne à la vertu opérative dans l’œuvre et à la vertu motrice dans la

volonté. Par les <choses> déjà dites, est patent l’ordre de ces trois parties.

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<QUATRIÈME LEÇON>

{f. 97r- 99r}

SENTENCE

<§ 1> {f. 97r14} Or quelqu’un demandera, etc. Il a été déterminé des deux

dispositions à partir desquelles est conclue la cause matérielle d’après laquelle est la vertu

morale. Survient ici la troisième disposition. En effet, dans cette partie <l’auteur> envisage

de montrer que toute vertu morale est accompagnée de la persévérance de la volonté dans

l’acte ; et il commence à déterminer cela en posant une question sur les principes de l’art et

de la vertu, pour qu’à propos de ceux-ci [i.e. l’art et la vertu] ladite condition soit obtenue

par la différence des principes propres à la vertu ; et ensuite pour qu’il soit rendu manifeste

que cette <condition> est exigée en vue de la vertu morale.

<§ 2> Or il y a cette première question : s’il faut que <ceux> qui font des <choses>

justes soient justes, comme <ceux> qui font des <choses> grammaticales <sont>

grammairiens. Mais puisque cela ne suffit pas pour être grammairiens ‒ <c’est-à-dire> faire

des <choses> grammaticales ‒, quelqu’un peut en effet, par hasard ou en se subordonnant à

un autre, faire des <choses> grammaticales et ne pas être grammairien. C’est pourquoi

<l’auteur> ajoute qu’il faut faire <les choses> grammaticales de manière grammaticale ; et

si cela est <ainsi>, <qui fait ces choses> est grammairien. Cependant, si <quelqu’un> fait des

<choses> justes de manière juste il n’est pas juste. En effet, agir de manière juste est dit de

deux façons : relativement au mode du juste ou selon la justice qui est en lui-même, et ce

mode-là est variable par plusieurs conditions qui sont ensuite unies.

<§ 3> <L’auteur> pose encore une autre différence entre l’art et la vertu, parce que

des <choses> qui sont produites à partir de l’art il n’indique pas si elles sont faites

volontairement ou involontairement : elles sont produites relativement au mode selon l’art.

Et n’intensifient pas l’art les <choses> qui sont produites à partir des vertus : <en effet,

l’auteur> indique si elles sont produites volontairement ou involontairement ; et si elles sont

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produites volontairement, elles intensifient le bien de la vertu ou signalent l’intensification

de celle-ci.

<§ 4> Ensuite, parce qu’il a dit que pour devenir juste il est requis de faire des

<choses> justes, et de manière juste, il détermine ce qu’est faire de manière juste ou faire

correctement, et ensuite ce qu’est faire des <choses> justes, pour qu’à partir de cela soit

obtenue la condition propre de la vertu qui est la persévérance de la volonté dans l’œuvre.

<§ 5> D’où il dit : pour faire <les œuvres> de manière juste ou correctement trois

<choses> sont exigées : <qu’elles soient accomplies> sciemment, avec volonté <et> avec la

persévérance de la volonté dans l’acte. Mais seulement le premier <élément> est requis pour

opérer de manière grammaticale ou pour <opérer> selon le mode d’un quelconque art.

<§ 6> Ensuite il détermine ce qu’est opérer des <choses> justes, c’est-à-dire opérer

<des choses> telles que les opéreraient <l’homme> juste et <l’homme> chaste.

<§ 7> Une fois cela déterminé, il pose que la vertu morale est faite avec la

persévérance de la volonté dans l’œuvre. Il en est ainsi dans la santé de l’âme et <dans> la

santé du corps. Mais ainsi en est-il dans la santé du corps parce que la connaissance des

<choses> qui guérissent ne suffit pas pour <avoir> la santé, mais <encore faut-il> la pratique

de celles-ci, qui est <la pratique> volontaire dans la guérison, et il faut qu’il y ait persévérance

de la nature dans l’opération. C’est pourquoi dans la santé de l’âme, qui est faite par la vertu,

il faudra qu’il y ait d’abord la connaissance des <choses> qu’il faut opérer et ensuite la

pratique volontaire de ces mêmes <choses> avec persévérance. En effet, la volonté fait dans

ces <choses>-ci cela que la nature <fait> dans ces <choses>-là.

<§ 8> Une fois ceci établi, sont possédées toutes les conditions qui sont requises en

vue de la cause matérielle de la vertu, à savoir qu’elle soit à partir des opérations dans la

médiété entre l’excès et le défaut, et <qu’elle soit> avec plaisir et peine dans les <choses> où

il faut, et <avec> persévérance de la volonté dans l’œuvre.

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302

QUESTIONS

[...]

<§ 24 > {f. 98r24} <4.4> Ensuite est déterminée ainsi la question suivante, à savoir

pourquoi en vue de l’art ne sont pas requises autant de <conditions> que pour <en vue de>

la vertu intellectuelle. <4.4*> Or la cause <de cela> est que l’art est la perfection de l’intellect

spéculatif en tant qu’il est la règle de l’œuvre. Or, la perfection de l’intellect spéculatif

consiste dans l’argumentation, et l’art lui-même est une certaine connaissance qui est

produite à partir d’une expérience précédente accomplie maintes fois. Donc puisque la

volonté suit la connaissance à partir d’une connaissance préexistante, la volonté ne sera pas

requise en vue de l’art, ni la persévérance de la volonté.

<§ 25> Mais pour la vertu intellectuelle, le savoir et le vouloir sont requis. Puisqu’en

effet l’âme est bonne au moyen de la vertu intellectuelle et <qu’elle est> bien ordonnée au

souverain bien immédiatement, la bonne ordination de l’âme rationnelle vers le souverain

bien est de manière immédiate par ces puissances par lesquelles elle peut être unie <à ce

souverain bien> ou être tournée vers lui-même. Or ces <puissances> sont (= hec est) les

puissances (= potentia) cognitive et motrice. Donc pour acquérir la vertu intellectuelle l’acte

de la vertu cognitive et motive est requis – l’acte de la vertu cognitive est le savoir et <celui

de la vertu> motrice est le vouloir. Tant le savoir que le vouloir sont donc requis pour

<acquérir> la vertu intellectuelle. En effet, la vertu intellectuelle consiste dans la

contemplation du souverain bien et dans la dilection de celui-ci. Or, dans <l’acquisition de>

la vertu intellectuelle n’est pas requise l’opération corporelle ; en effet <l’âme> n’est pas unie

immédiatement au souverain bien par cette <opération>-là.

<§ 26> <5> Or est déterminée la question suivante, par laquelle on se demande si tout

savoir ordonne à la vertu, ou si une certaine science est à cause de la vertu, une certaine vertu

<est> à cause de la science, tandis qu’une certaine <science est> indifférente. Et il semble

qu’une certaine vertu soit à cause de la science. La vertu en effet est ordonnée à la félicité,

comme <ce> à cause de quoi elle est. Or la félicité, comme l’établissent les philosophes, est

dans la connaissance du souverain bien. Donc la vertu est à cause de la science.

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303

[...]

<§ 29> Or que le savoir soit quelque chose <en vue de la vertu> semble impertinent

par ceci : la science en effet ne dispose pas en vue de la vertu sauf à partir de la nature des

<choses> connaissables. Or, il y a certaines <choses> connaissables qui ne sont pas à partir

de notre œuvre ni ne nous dirigent dans l’œuvre, comme <le fait> que le triangle est égal au

carré. Donc la science qui tombe sur les <choses> connaissables de cette sorte n’est pas

ordonnée (= dispositiua) en vue de la vertu.

<§ 30> <5*> À cause de quoi il faut dire qu’il y a une certaine science en vue de

laquelle toute vertu ordonne, et celle-ci est la science donnée ; elle n’est ni innée ni acquise,

et elle n’est pas seulement science. En effet, ce qui est seulement science perfectionne

l’intellect spéculatif ; mais cette <science perfectionne> l’homme complet. D’où elle n’est

pas seulement une science, mais elle est <aussi> la béatitude complète.

<§ 31> Il y a aussi une autre science en vue de laquelle dispose la vertu morale de

telle sorte que le meilleur soit possédé, comme la science relative au souverain bien, que nous

avons ici ; et en vue de cette science dispose la vertu par l’<action> modératrice <de> laquelle

l’âme est éloignée des plaisirs corporels.

<§ 32> Il y a encore une certaine science qui dispose en vue de la vertu morale,

comme l’est la science des <choses> qu’il faut faire et des <choses> qu’il faut éviter qui est

possédée à partir des diverses parties de la philosophie morale et par expérience propre.

<§ 33> Or il y a une science qui dispose en vue de la vertu intellectuelle, comme l’est

la connaissance de toutes les <choses> merveilleuses qui ont été faites pour l’homme, dans

lesquelles brille la bonté du Créateur, par laquelle <science> celui qui contemple est

reconduit vers l’amour de Celui-ci.

<§ 34> À partir de cette détermination de la science il est patent quelle est la science

à cause de laquelle est une <certaine> vertu ou bien universellement ou bien particulièrement,

et quelle est <la science> en vue de la vertu morale, et quelle est <la science> en vue de la

<vertu> intellectuelle. Mais la science, qui est en vue de la vertu intellectuelle dans le plus

haut degré (= in maxima parte), est sans valeur en vue de la <vertu> morale ; et c’est pourquoi

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304

il dit <que> le savoir n’est rien en vue de la vertu relativement à laquelle est ce discours, ou

il est peu <de chose> en vue de la vertu. Et cela est compris relativement à ce savoir <qui est

dans les œuvres> qu’il faut opérer et <dans les œuvres> qu’il ne faut pas opérer, <et dans les

choses> qu’il faut préférer {f. 98v} et <dans les choses> qu’il faut éviter. Bien qu’en effet

trois <conditions> soient exigées en vue de la vertu, et savoir et vouloir et opérer en ayant

<la volonté> de manière immuable, ce qui dispose le moins vers la propre <vertu morale>

est le savoir.

[...]

<§ 38> {f. 98v14} <7.2> Cette question par laquelle on se demande si ces trois

<conditions> existent dans toute <vertu> morale est ainsi déterminée. Et il semble qu’il y ait

une objection dans <le cas de> la prudence. En effet, la prudence consiste dans la distinction

du bien et du mal. Or cette distinction semble se rapporter au savoir. Mais il faut dire <7.2*>

que la prudence est comprise selon quatre modes : par un mode dans la mesure où elle est

science du bien ou du mal par un mode incomplexe, par un autre mode en tant qu’elle est

science du bien et du mal par un mode complexe, dans la mesure où la délibération tombe

sur elle. Il y a aussi la prudence qui reste à partir de l’élection de la bonne distinction dans

<les choses> qu’il faut faire et <les choses> qu’il faut éviter. Il y a encore la prudence par

laquelle l’homme s’éloigne du bien muable à travers <cette> distinction, tout en se

convertissant ou en adhérant au bien immuable.

<§ 39> Selon le premier mode, la prudence n’est pas une vertu par laquelle l’homme

devient bon ; elle est néanmoins directive vers la vertu. De manière similaire, par le second

mode la prudence n’est pas une vertu, mais elle est un état habituel de l’intellect spéculatif

qui dispose en vue de la vertu. Par le troisième mode <la prudence> est une vertu morale. Et

par le quatrième mode la prudence est une vertu purificatrice. Il y a en effet une certaine

différence relevant de la vertu principale, à savoir la vertu morale ou politique, la vertu

purificatrice, <la vertu> de l’âme purifiée, <la vertu> exemplaire. Et ainsi il est patent en vue

de quelle <vertu> ces trois conditions sont requises et en vue de laquelle elles ne <le sont>

pas, à savoir en vue de la prudence, qui est la vertu qui reste à partir du savoir et du vouloir

et de l’opérer de manière immuable à travers une opération intérieure.

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305

EXPOSÉ SUR LA LETTRE

[...]

<§ 49> {f. 99r11} Et lorsqu’il dit : ils font (= facientes) quelque chose de semblable

aux malades, il signale une analogie à partir de laquelle est confirmé ce qu’il envisage, à

partir de cela il infère <la conclusion suivante> : Donc de même que, etc. <Et> à partir de

cela il est compris que le savoir est insuffisant en vue de la vertu, <mais> dans ce savoir est

le complément de l’art. Le complément de la vertu quant à sa cause matérielle est la

persévérance de la volonté dans l’œuvre.

<§ 50> Et cela ayant été établi, se termine la partie qui est à propos de la cause

matérielle de la vertu morale.

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306

<CINQUIÈME LEÇON>

{f. 99r-101v}

SENTENCE

<§ 1> {f. 99r13} Or, après <avoir déterminé> ces <choses>, il faut examiner ce

qu’est la vertu. Puisque donc, etc. Est déterminée <ici> la cause matérielle à partir de laquelle

est la vertu morale. <L’auteur> détermine ensuite la cause formelle. Mais la cause formelle

est connue ou dans l’universel ou <dans> le particulier. Il enseigne donc la connaissance de

la cause formelle, d’abord dans l’universel, ensuite dans le particulier, de sorte qu’une

intellection (= intellectus) commune soit construite ; d’après cette <connaissance quelqu’un>

est apte à être instruit soit à partir de ce qui est premier selon nous, soit à partir de ce qui est

premier selon l’intellect. En conséquence, il enseigne la cause formelle dans l’universel de

façon double, à savoir en tant que la vertu est une extrémité et en tant que la vertu est une

médiété. <La vertu est> une extrémité de cette sorte en tant qu’elle a <en soi> la raison du

bien et du parfait ; <elle est> une médiété dans la mesure où elle est entre l’excès et le défaut

dans les opérations ou <dans> les passions.

<§ 2> Et premièrement <l’auteur> détermine <ce qu’est> la vertu selon qu’<elle> est

une extrémité, <tout> en posant que la vertu est l’état habituel selon lequel l’homme est bon

en soi et dans son œuvre ; ensuite, il détermine <ce qu’est> la vertu selon que <cette> vertu

consiste dans une médiété déterminée par la raison selon nous, dans la mesure où

<l’homme> prudent <le> déterminera. Et en premier lieu est déterminée cette raison de la

vertu, avant l’autre, par cela que celle-là est considérée à partir de la fin de la vertu, tandis

que la <raison> restante <est considérée> à partir de la matière relativement à laquelle est la

vertu. Et cette <première raison> est le principe de détermination de l’autre, comme la fin

détermine la matière de la réalité, qui est en effet l’état habituel bon quant à la substance de

la vertu et quant à <son> œuvre. Pour cette raison il faut que <la vertu> soit dans la médiété

entre deux malices, etc.

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307

<§ 3> Une fois déterminée cette multitude de parties premières et <leur> ordre,

<l’auteur> détermine ensuite de cette façon la première partie : premièrement, en recherchant

quel est le genre de la vertu ; deuxièmement, <en recherchant> quelle est sa différence. Or il

recherche le genre ainsi : puisque il y a trois <choses> dans l’âme, la puissance, la passion

et l’état habituel, la vertu est une de ces <trois choses>. Puisqu’elle est dans la puissance

motrice de l’âme en tant qu’elle est en rapport au bien ou au mal, par le<s>quel<s> <l’âme>

est mue, et <qu’>elle n’est ni une passion ni une puissance, elle est en conséquence un état

habituel. Or, que <la vertu> n’est ni une puissance ni une passion, mais un état habituel, <cela

l’auteur le> montre avec des exemples par les définitions proposées.

<§ 4> En premier lieu <l’auteur> pose quatre raisons <pour montrer> que la vertu

n’est pas une passion : selon les passions nous ne sommes pas appelés bons ou méchants ;

mais selon les vertus et les vices (= malitias) nous sommes appelés <bons ou méchants> ;

donc, les vertus ne sont pas des passions. Une autre raison est posée <pour montrer> la même

<chose> : selon les passions nous ne sommes ni loués ni censurés ; tandis que selon les vertus

nous sommes loués ; donc les vertus ne sont pas des passions. Et <cela> est expliqué : l’une

et l’autre preuve (= probatio) est dans le texte. La troisième raison est la suivante : les vertus

sont des volontés ou ne <sont> pas sans volonté. Or, les passions sont involontaires. En

conséquence, les vertus ne sont pas des passions. En outre, il est dit que <les hommes> sont

mus par les passions c’est-à-dire altérés, tandis que par les vertus <ils sont dits> être disposés

<d’une certaine façon> ; donc les vertus ne sont pas des passions.

<§ 5> Être ordonné et être altéré sont des actes opposés quand sont distinguées ces

quatre raisons ainsi : de sorte que la première soit considérée à partir de la propriété de la

cause formelle ou finale de la vertu elle-même, la deuxième à partir de la propriété qui suit

la cause finale, la troisième quant à la cause efficiente, la quatrième quant à la cause

matérielle.

<§ 6> Et encore trois raisons sont considérées pour montrer que la vertu n’est pas une

puissance. Deux <de ces> raisons sont identiques aux deux premières <raisons> précédentes,

tandis que la troisième est prise à partir de la cause efficiente de la vertu et de la puissance.

Ici en effet la cause efficiente est la volonté, et là-bas <la cause efficiente est> la nature.

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<§ 7> Une fois déterminé le genre de la vertu, <l’auteur> détermine ensuite sa

différence. Ayant établi une mise en rapport de la vertu matérielle d’une totalité et de la vertu

d’une partie, à savoir dans la mise en rapport de la vertu du cheval et de l’œil, <il dit que>

l’une et l’autre vertu rend bon le sujet <où elle est> et <elle rend aussi> son œuvre <propre>

bonne. Et puisque ainsi en est-il dans les autres <cas>, toute vertu se trouvera <être> de cette

façon ; c’est pourquoi la vertu humaine se trouvera <être également> ainsi.

<§ 8> Ensuite il détermine la deuxième raison de la vertu, en distinguant d’abord la

raison <c’est-à-dire la définition> du moyen <terme> : de toute évidence par ‘moyen <terme’

il entend que> l’un est selon la réalité, l’autre est selon nous, <et> celui-ci ni n’excède ni ne

fait défaut. Ensuite, il est montré que la vertu est dans une médiété relative à nous. Or, que

<la vertu> est dans une médiété est argumenté ainsi : la vertu est plus exacte que tout <autre>

art existant relativement aux mêmes <choses> autour desquelles est la vertu. Or, l’art et la

nature sont examinateurs du moyen <terme> ; la vertu sera donc examinatrice du moyen

<terme>.

<§ 9> Et puisque le moyen <terme> n’est pas le même dans toutes les opérations et

les passions – parce qu’en effet <le moyen terme selon la réalité> est insuffisant pour

quelqu’un, et suffisant pour quelqu’un d’autre – la vertu est examinatrice du moyen <terme>

selon nous ; et puisque le moyen <terme> selon nous peut être en soi le moyen <terme> selon

la réalité – trouver le moyen <terme> selon la réalité n’<appartient> pas à n’importe qui,

mais au sage –, la vertu sera examinatrice du moyen <terme> relatif à nous <et elle sera>

déterminée par la raison dans la mesure où le sage la déterminera, par ce que le bien est fini,

<alors que> le mal <est> infini, {f. 99v} puisqu’il n’y a qu’une façon de se diriger <au bien>,

alors qu’<il est possible> de pécher de plusieurs <façons>.

<§ 10> Une fois ces <choses> déterminées, sera comprise en entier la raison de la

vertu morale, à savoir que la vertu est un état habituel volontaire consistant dans une médiété,

déterminée par la raison relativement à nous, dans la mesure où le sage <la> déterminera.

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309

QUESTIONS

[...]

<§ 28> <7> {f. 100r5} En outre, il peut être demandé, puisque plusieurs définitions

de la vertu sont posées, de quelle façon <ces définitions> diffèrent entre elles – en effet, par

une autre définition, il faut qu’un autre être soit exprimé. Or il y a une définition de la vertu :

la vertu est la disposition du parfait en vue de l’optimal ; et cette <définition> est donnée

dans la Physique. Il y a une autre définition de la vertu qui est donnée dans le livre du Ciel et

du monde, qui est telle : la vertu est <le terme> ultime d’une puissance selon la réalité. Il y

a <encore> une troisième définition donnée ici : la vertu est l’état habituel bon à partir

duquel quelqu’un est bon et rend bien son œuvre. <Et> celle-ci, la vertu est un état habituel

volontaire, etc., est la première définition de la vertu morale. <Et> celle-ci, la vertu est ce à

partir de quoi quelqu’un <est> bon, est appropriée.

<§ 29> <7*> <Et> les trois premières définitions sont ainsi distinguées. La vertu a

une mise en rapport essentielle avec la fin envers laquelle elle <nous> dispose, et d’après

cela une définition de la vertu a été donnée : la vertu est la disposition du parfait en vue de

l’optimal. <Or, la vertu> a <aussi> une mise en rapport essentielle avec la puissance dont

<elle> est perfection et terme, et selon cela cette définition a été donnée : La vertu est <le

terme> ultime d’une puissance selon la réalité. Et chacune <de ces définitions> est une

définition de la vertu commune, utile et acquise. Or, il y a une troisième mise en rapport

essentielle de la vertu par rapport au sujet et à l’œuvre, et d’après cela est posée ici cette

définition : la vertu est l’état habituel bon à partir duquel quelqu’un est bon et rend bien son

œuvre ; et <cette définition> est appropriée à la vertu sur laquelle porte ici le discours.

[...]

<§ 42> {f. 100v11} <14> Ensuite, on peut se demander quant à cela qui est dit, que

la vertu, selon la substance qui signifie ce qu’est <son> être, est une médiété ; selon le parfait

et le bien <elle> est une extrémité ; puisque l’extrémité semble être davantage selon la

substance que la médiété et que la vertu, selon que la vertu est un état habituel bon et une

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perfection, et selon que la vertu est un état habituel bon et parfait, est une extrémité. C’est

pourquoi la vertu est une extrémité selon la substance. Par exemple, quand il est dit : la vertu

est un état habituel volontaire, la définition de la vertu ne semble pas être posée de façon

convenable par cela que le volontaire tombe dans la définition de celle-ci et <que pourtant

il> n’a pas été prédéterminé. Mais, dans le livre suivant, vers le début, comme il faut que les

parties de la définition soient plus connues et antérieures à <la chose> définie, cette différence

<relative au> volontaire est posée en premier dans la définition de la vertu. Et il peut être

demandé à partir de quelle détermination, avant celle-ci, est compris <le fait> d’exister dans

la vertu, puisqu’il a été manifesté <relativement à> cela, qu’<elle> est, et relativement à cela,

qu’<elle> consiste (= est consistens) dans une médiété. Similairement il peut être demandé

sur ce membre <de phrase> : comme le sage le déterminera, aussi <il peut être demandé>

quelle est cette sagesse par laquelle le sage est dit <être> de cette sorte.

<§ 43> <14*> À quoi il faut répondre que la vertu est une extrémité en tant qu’elle a

(= tenet) la raison du bien et du parfait, et selon ce mode elle a été acquise. Or, elle est médiété

en tant qu’elle est entre l’excès et le défaut ; c’est pourquoi elle est dite <être une> extrémité

selon que le bien et le mal relatifs à l’état habituel sont dits <être des> extrémités. Or,

<l’auteur> dit que la vertu est une médiété selon la substance qui signifie ce qu’est <son>

être, de sorte que <cela> soit compris relativement à la substance morale de la vertu elle-

même, qui est selon la matière de la vertu et la forme de l’état habituel. En effet, il dit que la

forme <de l’état habituel> consiste dans une médiété, <et que> la médiété <est sa> matière ;

l’extrémité suit <cette matière> même en tant qu’elle participe de l’intention de la fin. Et à

cause de cela il n’est pas dit que l’extrémité est selon la substance. Or la vertu est une médiété

selon la substance de façon double, c’est-à-dire dans la mesure où elle est un moyen <terme>

entre la puissance et la fin, qui divise la puissance par rapport à la fin, et elle est une médiété

entre deux malices, desquelles l’une est atteinte selon l’excès, l’autre <selon> le défaut.

<§ 44> À l’autre point demandé, il faut dire que <le terme> volontaire vise (= dicit)

la différence de la vertu en rapport à la cause efficiente. Or, rien n’empêche de connaître la

vertu quant à sa forme, même si la mise en rapport de celle-ci à la cause efficiente n’est pas

connue, comme il est correctement déterminé dans le livre suivant d’une certaine façon. En

conséquence, la définition peut être différente, parce que ses parties n’ont pas été entièrement

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déterminées de manière préalable, mais <seulement> certaines <parties>, à savoir celles qui

appartiennent à cette <définition> selon qu’<elles> doivent être déterminées dans cette

partie-là. Pourtant, il faut que toutes les parties soient d’abord connues d’une certaine façon.

D’où cette partie <de la définition>, que la vertu est volontaire, est comprise à partir de ce

qui a été dit ci-dessus : que la vertu n’est pas sans le volontaire, et à partir de ce qu’il dit :

que trois <choses> sont requises en vue de la vertu, dont l’une était que l’<agent> veuille

<agir>.

[...]

<§ 46> {f. 100v30} Et quand il dit Après <avoir déterminé> ces <choses>, il faut

examiner ce qu’est la vertu, etc., et après quand il dit Parce qu’en effet la vertu, etc.,

<l’auteur> entend cette raison : trois <choses> sont dans l’âme, les passions, les puissances

et les états habituels ; et la vertu est une de ces <choses>. En conséquence, la vertu est soit

une passion, soit une puissance, soit un état habituel. Ensuite, à travers leurs définitions, il

définit les puissances et les passions <et les états habituels> ; par lesquelles <définitions> il

comprend subséquemment que cette raison qui s’ensuit est : que <la vertu> est une puissance

ou une passion ou un état habituel ; et aucune puissance ou passion n’est un état habituel. Or,

la vertu est l’une de ces <choses>, et elle n’est pas une puissance ou une passion : elle est en

conséquence un état habituel. Or, pour prouver la proposition mineure il y a toutes les raisons

par lesquelles <l’auteur> conclut que la vertu n’est pas une puissance ou une passion.

<§ 47> Or, quand <l’auteur> dit Je dis passions les audaces etc., il manifeste les

passions mêmes à travers les passions spéciales, puisque la concupiscence est un appétit

délectable, et cette passion est dans la force concupiscible. Or la crainte est une passion de

façon double : la crainte est, d’une manière, une passion procédant de l’appréhension d’un

mal dans le futur ; d’une autre manière, la crainte est une passion procédant de la contraction

du corps selon le mouvement de contraction (= sistolen) <du cœur> – parce qu’il y a une

définition de la crainte déterminée selon ce qui <se> trouve <en nous> du côté du corps, <et>

une autre <définition déterminée> selon ce qui <se> trouve <en nous> du côté de l’âme. Or,

l’audace est une passion procédant de l’appréhension de la propre puissance sur la réalité

externe ; et ainsi chacune de ces <passions> appartient à la vertu naturelle.

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[...]

<§ 70> {f. 101v14} Or quand il dit : La vertu est donc un état habituel, etc., par cela

qu’il dit état habituel, il fait une séparation par rapport à la puissance et à la passion ; par cela

qu’il dit volontaire, il fait une séparation par rapport à l’état habituel naturel ; <et> par cela

qu’il dit existant dans une médiété, il fait une séparation par rapport à la malice, qui est dans

l’excès et le défaut.

[...]

<SIXIÈME LEÇON>

{f. 101v- 106r}

DIVISION DU TEXTE

<§ 1> {f. 101v21} Mais toute opération n’admet pas la médiété. Il a été déterminé de

la cause formelle de la vertu en général. Et encore, pour que <cette cause> soit connue dans

le particulier, est ajoutée ici une partie dans laquelle deux <choses> sont montrées ou rendues

claires, à savoir que toute opération ou passion n’admet pas la médiété, et ensuite quelles et

combien sont les opérations et les passions admettant la médiété. La première partie se

termine ainsi : Il <ne> faut <pas>, etc., la deuxième <partie se termine> là <où il dit> : <Il

existe> ainsi trois <dispositions>.

[...]

QUESTION

[...]

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313

<§ 26> {f. 102r34} <6> Ensuite, il peut être demandé quant à cela qui est dit :

<Concernant les opérations> les discours universels sont vides, car <dans cette doctrine> il

a été dit relativement à la vertu selon des discours universels, en disant : La vertu est un état

habituel, etc. ; et rien de ce qui est dans la doctrine se produit de manière vide.

<§ 27> <6*> À quoi il faut dire que n’est pas dit ici le discours universel qui est <pris

au sens pur et> simple. En effet, <ce discours> universel n’est pas vide <pris au sens pur et>

simple, mais le <discours> universel qui est dans l’œuvre particulière de manière opposée à

<ce qui est> opéré. <Le discours> universel n’est pas vide <au sens pur et> simple, mais <il

est> moins vrai relativement aux opérations, <et> non pas en soi. D’où on dit : Les

<discours> particuliers sont davantage vrais. Il est donc signifié que le <discours> universel

est moins vrai, et <que> s’il était uniquement universel, il serait vide. Or, il ajoute une raison,

quand il dit : En effet relativement aux <choses> singulières sont les opérations.

[...]

EXPOSÉ SUR LA LETTRE

<§ 63> {f. 103r23} Ensuite, quand il dit : Il ne faut pas parler uniquement de façon

universelle, etc., il prétend que la connaissance de la <vertu> morale doit être dans

l’universel, de sorte que quelqu’un connaisse à partir de ce qui est premier par nature, et non

pas seulement dans le particulier, de sorte que quelqu’un connaisse à partir de ce qui est

premier selon nous ; et alors il dit : <mais il faut aussi> s’adapter aux <cas> singuliers, et il

manifeste cela quand il dit : Relativement à toutes les opérations, les discours universels sont

vides, si <le discours> ne s’adapte pas <aux singuliers>.

<§ 64> Ensuite, quand il dit : Il faut <qu’ils> s’accordent dans ces <choses>, c’est-

à-dire de sorte que le discours dans le particulier concorde avec le discours universel, et il

dit : <Il faut> prendre <ces choses> à partir d’une description. Et il <l’>appelle la

description universelle, comme la forme de chaque médiété par l’opération et la passion qui

lui est propre.

[...]

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314

<§ 73> {f. 103v7} Ensuite il dit : Maintenant, donc, nous parlons en schéma et de

manière sommaire, <et> par ‘schéma’ il comprend la figure exemplaire, par ‘de manière

sommaire’ la somme de ce qu’il dit être relatif à la donation de richesses, <mais> non pas en

déterminant selon quel mode ou selon quelle différence ; et à cause de cela qu’il dit : Or, par

la suite, <on déterminera cela> de manière plus certaine, <il le dit> puisqu’il comprend que

la certitude qu’il déterminera dans le traité correspondant (= proprio) est plus difficile <à

saisir>.

[...]

<§ 80> {f. 103v21} Une fois déterminées les six médiétés dans lesquelles est

manifeste la vertu morale, <et> de quelle manière elle est dans la médiété des passions et des

opérations, il détermine ici les autres six médiétés, lesquelles peuvent ainsi être distinguées

des précédentes, de sorte que les premières six médiétés sont référées aux <choses> qui sont

dans l’extérieur. Par exemple, l’acte du courage s’oriente à déterminer ce qu’est extérieur ;

tandis que l’acte de la chasteté <se tourne> vers l’agréable, qui est extérieur ; l’acte de la

libéralité pour sa part est plutôt un bien de la fortune ; alors que la magnanimité et la droite

médiété s’orientent <vers> l’honneur qui est extérieur. En conséquence, <ces médiétés>

consistent quant à ces <choses> qui appartiennent au corps, ou quant au bien de la fortune.

QUESTION

[...]

<§ 128> {f. 105r22} <37.1> Ensuite, il peut être demandé pourquoi ne sont pas

assignées les médiétés dans chacune des différences de la justice ; et <on peut se questionner>

similairement relativement aux espèces de la prudence qui sont dites vertus logiques.

<§ 129> <37.1*> À quoi il faut dire que ces médiétés ne sont pas déterminées ici –

quoiqu’elles soient déterminées après dans le traité correspondant (= proprio) –, par ce que

<Aristote> envisage ici d’énoncer les médiétés par lesquelles il est connu que la vertu morale

est dans la médiété des opérations ou des passions. Mais les actes de la justice selon chacune

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de ses différences et <les actes> de la prudence sont des actes intérieurs <qui> ne sont pas

manifestes dans la plupart des cas ; d’où les médiétés de (= in) ceux-ci ne conviennent pas

en vue de montrer par le mode inductif que la vertu morale est dans la médiété.

<§ 130> <37.2> Il y a donc une hésitation <qui surgit> naturellement : quels sont les

actes propres à la justice selon chacune <de ses> différences ou de la prudence selon elle-

même. Et c’est pourquoi il faut parler relativement à ces <choses> de manière certaine, et

non seulement <selon> le mode exemplaire.

[...]

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<SEPTIÈME LEÇON>

{f. 106r-108r}

SENTENCE

<§ 1> {f. 106r19} Il existe assurément trois <dispositions>, etc. Il a été déterminé ce

qu’est la vertu morale et dans l’universel et dans le particulier. Et puisque <la vertu> se trouve

dans une médiété entre deux malices, dans cette partie <l’auteur> montre que toutes <les

dispositions> s’opposent entre elles, les extrêmes entre eux et à l’égard du moyen <terme>,

et inversement.

<§ 2> Et ensuite, quand il dit : toutes <les dispositions> s’opposent à toutes, <on

pourrait se demander> si les extrêmes s’opposent davantage entre eux que le moyen <terme

ne s’oppose> à chacun des extrêmes. Et il montre que les extrêmes s’opposent davantage

entre eux qu’à l’égard du moyen <terme>.

<§ 3> Ensuite, puisque <les extrêmes> s’opposent au moyen <terme>, <il se

demande> s’ils s’y opposent de façon égale, ou si l’un <d’entre eux s’y oppose> davantage,

l’autre moins.

<§ 4> Et ainsi se termine cette partie qui est issue de l’opposition des extrêmes et du

moyen <terme>. Dans la première partie, où il est montré <que> toutes <les dispositions>

s’opposent à toutes, <l’auteur> pose une ressemblance dans la comparaison avec l’égal, le

plus et le moins. En effet, l’égal s’oppose à ce qui est plus grand ou plus petit, et <ce qui est>

plus grand s’oppose à ce qui est plus petit, et inversement. <Et cela> il <le> montre aussi par

induction, comme dans le courage et la chasteté et la libéralité, dont les médiétés sont

manifestes.

<§ 5> Dans la deuxième partie, lorsqu’il dit : <Ces dispositions> s’opposant ainsi

entre elles, il pose une raison par laquelle il est montré que la contrariété des extrêmes entre

eux est plus grande que <la contrariété qui les oppose> au moyen <terme> ; et <ainsi> il y a

une contrariété en raison d’une plus grande distance, <et> une autre à cause d’une moindre

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distance, par ce que plus grande est la dissemblance des extrêmes entre eux qu’elle <ne l’est>

à l’égard du moyen <terme>.

<§ 6> Ensuite, dans la troisième partie, il pose deux causes par lesquelles le moyen

<terme> s’oppose davantage à l’un des extrêmes qu’à l’autre, et l’une <de ces> cause<s> est

dans la réalité elle-même, tandis que l’autre <est> en nous. Or, la cause issue de la réalité est

la convenance <de l’une des extrémités>, au moyen de l’acte ou de la passion, dans certaines

circonstances dues ; d’où l’extrémité restante, qui convient <dans ces circonstances> dans

une moindre mesure, s’oppose <davantage> au moyen <terme> ; tandis que la cause <qui

est> en nous est l’extrémité à laquelle nous sommes plus inclinés à cause de la corruption de

la nature qui est plus attirante, et <nous> éloigne davantage du moyen <terme>.

<§ 7> Et il montre la détermination de ces questions. Or, la conséquence de <ces>

questions et la différence de <ces> raisons sont patentes à partir de ce qui a déjà été dit. Cette

partie précède de manière convenable celle qui suit, car dans celle-ci on se demande de quelle

façon est l’élection du moyen <terme> au moyen de la discrétion à partir des extrêmes. Or,

pour connaître cela, il faut savoir lequel des extrêmes s’oppose le plus <au moyen terme>, et

lequel <s’oppose> le moins. En effet, selon cela, si nous voulons choisir le moyen <terme>,

il faut s’éloigner de <l’extrême qui lui est> plus contraire ; et ainsi <faut-il continuer>,

toujours, jusqu’à ce que l’on arrive au moyen <terme>. En conséquence, il faut reconnaître

ce qui est le plus contraire au moyen <terme>, et ce qui <l’est> le moins. Cela fut la dernière

question dans cette partie.

QUESTIONS

<§ 8> <1> Or une question surgit ici à partir de cela qu’il dit : toutes <les

dispositions> s’opposent à toutes. En effet, les <réalités> qui s’accordent (= conuenientia)

ou les <réalités> contingentes ne s’opposent pas entre elles, mais la malice et la malice

s’accordent en tant que telles ; en conséquence, en tant que telles, elles ne s’opposent ni de

manière contraire, ni en tant qu’excès ou défaut. En effet, si l’excès et le défaut s’opposaient

de manière contraire, ils s’opposeraient de façon contraire là où ils se trouveraient par la

première fois, à savoir dans <le chapitre sur> la quantité ; mais ils ne s’opposent pas de

manière contraire là-bas ; c’est pourquoi la contrariété ne sera <présente dans ces choses> ni

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en tant qu’elles sont des malices, ni en tant qu’elles sont sous la raison de l’excès et du défaut

{f. 106v} au sens <pur et> simple ; en conséquence, la contrariété n’appartient pas aux

extrêmes.

<§ 9> <2> En plus, dans <le cas des> contraires selon la nature la contrariété ne se

dit pas du moyen <terme> par rapport aux extrêmes, comme le rouge n’est pas dit <être>

contraire au blanc ou au noir. Or (= nunc), dans la morale le moyen <terme> s’oppose de

manière contraire aux extrêmes, dans la mesure où la malice et la bonté s’opposent par

privation. En effet, la malice n’est pas un étant dans ce qui la reçoit ; puisqu’en effet on dit

que <ce qui reçoit la malice> est apte par nature à avoir la perfection et qu’il ne <la> possède

pas, <la malice> n’est pas dite <être> en soi quelque chose par rapport à l’étant, <alors

qu’>on dit que l’apte par nature <à avoir la perfection> a une certaine entité. À cause de quoi,

puisque le même s’oppose au même par privation, <et> non pas de manière contraire, il y

aura une malice contraire à la vertu <qui> ne <lui est> pas opposée par privation.

<§ 10> <3> En plus, Aristote dit que, relativement au nombre des contraires, certains

sont des genres contraires, certains sont dans des genres contraires, tandis que certains

<autres> sont dans un même genre qui n’a pas de contraire. Mais l’excès et le défaut sont

dans un genre qui a un contraire. Or la malice et la vertu s’opposent de manière contraire. En

conséquence, il faut que <le genre de> l’une soit dans <le genre de> l’autre ; ou bien, si elles

possèdent la contrariété selon elles-mêmes, il faut qu’elles soient dans un même genre qui

n’a pas de contraire ; <et> chacune de ces choses est inconvenante.

SOLUTIONS

<§ 11> <1*> Solution. À la première <question> il faut dire que cet état habituel qui

est l’excès est dit par proportion, et cet état habituel qui est le défaut est dit par proportion, et

ils sont contraires selon eux-mêmes, et non pas en raison de la malice dans laquelle ils

s’accordent, ni à cause de la raison de l’excessif et du déficient ; lesquelles <choses>, à savoir

l’excès et le défaut, sont atteintes selon l’addition et la diminution à partir des

circonstances ; <et> selon la même <chose qui> reçoit et selon le même acte, <les éléments>

éloignés au maximum selon leurs raisons <et> existant à l’intérieur d’un unique genre dans

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l’union de l’action et de la passion, seront dits incompatibles entre eux, <ne pouvant pas>

exister en même temps de manière contraire.

<§ 12> Et <le rapport> des contraires moraux et <celui des contraires> physiques en

rapport au moyen <terme> n’est pas pareil. Les contraires moraux ont un moyen <terme>

qui, selon la forme, n’est pas produit à partir des extrêmes. En effet, l’état habituel bon, quant

à la bonté, n’est pas <formé> en partie à partir d’une malice et en partie à partir de l’autre ;

tandis que, dans les matières, l’espèce moyenne <se trouvant> entre les espèces contraires

est produite à partir des extrêmes quant à <sa> forme (et non seulement quant à la matière).

<Par exemple> le tiède, quant à <sa> forme, est produit à partir du chaud et du froid, alors

que le rouge <est produit> à partir du blanc et du noir. En effet, il se produit <ici> non

seulement le mélange des matières, mais <aussi> l’union des formes en tant que forme ;

<c’est-à-dire> l’union <des formes> dans une forme unique, et <l’union> des matières dans

la matière du naturel.

<§ 13> <2*> Tandis qu’à la <question> posée conséquemment, <il faut> dire que

même si la malice, en tant que telle, s’oppose à la vertu ou à la bonté par privation, cependant

l’état habituel mauvais, selon cette raison, s’oppose de manière contraire à l’état habituel

bon. En effet, dans ce genre, la malice n’est pas dite <être> seulement privation de la bonté

dans <ce> qui la reçoit, mais <aussi> état habituel du sujet lui-même par rapport aux œuvres

ou aux passions à cause des délectations dans le bien apparent, comme il arrive dans le cas

de l’ignorance et de la tromperie. En effet, l’ignorance s’oppose à la science par privation,

alors que la tromperie <s’y oppose> de manière contraire.

<§ 14> <3*> À la dernière objection, à savoir ou bien la malice n’est pas contraire à

la vertu ou bien l’excès et le défaut ne sont pas contraires, il faut dire que dans les contraires

(= contrarietatibus) de cette sorte dans lesquels il existe un moyen <terme>, les extrêmes se

trouvent sous les extrêmes, et les <termes> moyens sous les moyens, et cela selon l’intention

de la <philosophie> morale, comme l’avarice est <rangée> sous le défaut et la libéralité sous

la médiété, et la prodigalité sous l’excès. Et ce sont plusieurs genres.

<§ 15> Or, selon l’intention logique la prodigalité et l’avarice seront <rangées> sous

l’état habituel mauvais, et la contrariété est en raison de cela, comme il arrive que la maladie

– qu’elle soit à partir d’une cause chaude, ou d’une <cause> froide – est contraire à la santé

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selon le genre qu’est la maladie, et non pas de ce qu’elle est à partir des causes de cette sorte,

<le chaud et le froid>, et ainsi une seule <chose n’a qu’> un contraire.

<§ 16> Selon l’intention de la <philosophie> naturelle il arrive que l’on considère

l’excès et le défaut en tant qu’ils posent une malice disposée vers le contraire de la vertu ; et

selon cela chacun d’<entre eux> s’opposera à la vertu en raison du genre, et la vertu sera,

quant à l’espèce, selon une raison indivisible, alors que le vice <sera selon> le divisible. En

conséquence, la détermination <de ce problème> sera changée selon le genre divers de la

philosophie.

QUESTIONS

<§ 17> <4.1> Ensuite, il peut être demandé sur cela qui est <dit> plus haut, si la

malice peut s’opposer de manière contraire <à la bonté>, et <sur> cela : <4.2> si l’on dit

seulement privation <l’absence> de cela qui doit exister <à l’intérieur> d’une puissance, ou

si l’on se réfère à une certaine perfection de la puissance.

<§ 18> <5> Et en plus de cela <on se demande>, si le bien et le mal sont contraires,

de quelle façon faut-il que l’un soit naturellement sous l’autre ; et en effet, cela ne se trouve

pas dans les autres contraires.

<§ 19> Or, que la malice ne détermine aucune forme, mais <qu’elle détermine>

seulement la privation, est montré ainsi : toute forme découle de façon médiate ou immédiate

à partir de l’essence première ; mais la malice ne découle pas à partir de cette <essence

première> ni d’une manière ni de l’autre ; partant, la malice n’est pas une forme. En effet, la

malice a son principe dans l’homme, non pas en tant qu’elle était à partir de l’étant, mais en

tant qu’elle était à partir du non-étant. Or, il faut que cela dont le principe est le non-étant

soit lui-même non-étant. En effet, puisque son principe est l’étant, en ce qu’elle participe

l’être, la malice n’est donc pas une certaine forme.

<§ 20> En plus, si la malice était une certaine forme dans laquelle le sujet serait

perfectionné à l’égard des actes qui sont dits sortir à partir de lui, <cette malice> ne serait pas

contre la nature du sujet lui-même ; or, <la malice> est contre sa nature, puisqu’elle est <un

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principe> corrupteur de la nature ; en conséquence, <la malice> n’est pas telle que le sujet

soit perfectionné par elle soit en soi, soit par rapport aux actes.

SOLUTIONS

<§ 21> Solution. <4.1*> À quoi il faut répondre que la malice, en tant que malice,

n’est pas étant. Or, la malice est dite privation de ce qui doit exister selon la nature dans ce

en quoi cela devrait être. Mais puisque la délectation dans le bien apparent se joint à <ce qui

reçoit la malice> – parce que n’importe quel bien serait à une certaine nature, même si <ce>

n’<est> pas selon la raison – à partir de cette délectation naît un état habituel à partir duquel

existe une <certaine> facilité par rapport à l’acte proportionnel à l’état habituel ; à cause de

quoi il sera dit <qu’il y a> une contrariété de l’état habituel par rapport à l’état habituel. Mais

cet état habituel procède de l’homme selon le libre arbitre qui est en rapport aux opposés. Et

cet état habituel est à partir de l’essence première en tant qu’il tient la raison de l’étant, et

non pas en tant qu’il est <état habituel> mauvais. D’où, s’il y avait là amour du bien apparent

sans inclination <contraire> au bien selon la vérité, <cet état habituel> serait similairement

issue de l’étant.

<§ 22> <4.3> D’une autre façon en est-il quant <au bien selon la vérité> et non pas

quant <au bien apparent>. Mais <on se demande> de quelle manière l’état habituel mauvais

corrompra l’état habituel bon, puisqu’en tant qu’il est état habituel il ne contrarie pas l’<état

habituel bon>, mais il s’<y> oppose en tant qu’il est mauvais ; à partir de celui-ci il y aurait

le non-étant ; or, le non-étant n’aura pas la vertu de corrompre.

<§ 23> <4.3*> Et il faut dire que <le non-étant> a la vertu de corrompre à cause de

la défection du bien apparent, qui est fixée par l’état habituel mauvais. D’où Denys dit que

cela est la nature du bien, qu’elle donne la vertu à son contraire en se battant contre celui-ci.

En effet, s’il n’y avait pas l’espèce du bien apparent, il n’y aurait pas de délectation, et s’il

n’y avait pas de délectation, il n’y aurait pas de raison de corruption de l’état habituel bon

qui est similairement dans l’amour du bien. À cause de quoi il est manifeste que le bien donne

la puissance à son contraire en se battant contre lui.

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<§ 24> <4.4> Mais <on se demande aussi> de quelle façon, si le blanc n’est pas sujet

du noir de manière nécessaire, ni le noir du blanc, et ainsi dans <le cas> des autres contraires,

le bien sera sujet du mal.

<§ 25> <4.4*> Je ne dis pas que l’état habituel bon est le sujet de l’état habituel

mauvais, et ainsi l’une de ces <réalités> qui sont contraires <n>’est <pas> cause de l’autre

de manière nécessaire, si celle-ci est.

<§ 26> <5*> À l’autre <point> il faut dire que dans ces contraires la nature est

diverse. Ceux-ci sont contraires relativement à l’étant possible, alors que les autres sont

déterminés relativement à la nature d’un certain étant, parce qu’ils ne se produisent pas

(=quod non egrediuntur). En conséquence, il arrive à cause de cela que le bien {f. 107r} et

le mal se trouvent ainsi : <de telle manière> que le bien, dans sa nature antérieure, est le sujet

du mal de la nature postérieure, comme le bien de la puissance est diminué par le mal de

l’état habituel lui-même. En effet, ceci a été mieux expliqué dans le livre antérieur.

<§ 27> <6> Ensuite, il peut être demandé sur cela qu’il dit : toutes <les dispositions>

s’opposent à toutes. En effet, <l’auteur> signale par cela qu’un seul <élément> s’oppose à

plusieurs de manière contraire selon sa raison propre, et non pas ainsi, comme le moyen

<terme> dans les matières s’oppose aux extrêmes selon la raison des extrêmes. Car le rouge,

dans sa contrariété par rapport au blanc, s’oppose <à lui> selon la raison du noir et, dans son

opposition par rapport au noir, s’oppose <à lui> selon la raison du blanc. Mais la libéralité

selon sa raison propre s’oppose à chacun des extrêmes en tant qu’elle est un état habituel

bon ; tandis que les extrêmes s’opposent entre eux de manière absolue selon leurs raisons

propres. Et ainsi un seul <élément> s’oppose à de nombreux <éléments>, ce qui est contre

ce qui est <dit> dans la Métaphysique. En effet, <Aristote> dit qu’un <élément est> opposé

à un <seul> de façon contraire en ce que la contrariété est la distance parfaite à l’intérieur

d’un même genre. Or, la distance parfaite à l’intérieur d’un même genre ne peut être que d’un

<élément> unique <par rapport> à un autre.

<§ 28> <6*> À quoi il faut dire que cela qui est dit ici n’est pas contraire à ce qui est

dit dans la Métaphysique. Car la contrariété de la vertu <par rapport aux extrêmes> est

comprise ici en tant que <la vertu> est une médiété <entre> l’excès et le défaut, ou en tant

qu’elle est un état habituel bon ; et ainsi, <dans ce dernier cas> la vertu est une extrémité. Si

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la médiété <est comprise> de la première manière, elle s’opposera aux extrêmes selon les

raisons des extrêmes : en effet, le moyen <terme> est un défaut par rapport à l’excès, et il est

un excès par rapport au défaut, comme l’égal par rapport à ce qui est plus petit est plus grand,

et <il est> plus grand par rapport au plus petit. Si par contre on comprend la vertu en tant

qu’elle est un état habituel bon et tient raison d’extrémité, elle s’opposera à ces deux

<extrêmes> selon l’<élément> unique dans lequel ils s’accordent, à savoir l’état habituel

mauvais ; et ainsi selon chacune de ces manières il y aura contrariété d’un seul <élément>

par rapport à un autre <élément> unique, premièrement selon la raison des extrêmes qui sont

l’abondant et le défaut, deuxièmement selon la raison des extrêmes qui sont l’état habituel

bon et <l’état habituel> mauvais, etc.

<§ 29> Chacune <des> contrariété<s décrites> est la distance parfaite à l’intérieur

d’un même genre. En effet, selon la première manière <mentionnée> la distance est de

l’excès par rapport au défaut dans le genre de la quantité. En effet, dans la vertu il faut dire

une détermination quantitative de manière proportionnelle ; selon cela, la détermination

quantitative est comprise à partir des opérations ou des passions <et> par rapport aux

circonstances dans lesquelles se trouve la nature de la quantité.

<§30> Mais si <la vertu> est comprise selon la deuxième manière, la contrariété sera

la distance du bien par rapport au mal dans le genre de l’état habituel ; ou ici peut être compris

le genre sujet dans lequel <la vertu et le vice> sont aptes par nature à être contraires et à partir

duquel il<s> sorte<nt> en tant qu’il est genre. C’est pourquoi Aristote dit dans le deuxième

<livre> des Topiques qu’un seul <élément> s’oppose à un <autre élément> unique de façon

contraire : si l’un <de ces éléments> est dit selon l’excès, tandis que l’autre selon le défaut,

il faut comprendre cela qui est dit selon la voie de la propriété. En effet, selon la voie de la

propriété dans les contraires de cette sorte parfois <une chose> s’oppose à plusieurs <termes>

incomplexes de manière contraire, alors que selon la voie de l’unité <une chose> s’oppose à

un seul <élément>, comme on l’a déjà montré.

<§ 31> <7> Ensuite, il peut être demandé pourquoi le moyen <terme> est dit

s’opposer aux extrêmes, étant donné qu’il n’est pas dans le même genre <que ceux-ci>.

<§ 32> <7*> Et <cette question> est résolue par ce qui a été dit. Puisqu’il y a en effet

un genre rapproché et un genre éloigné, le genre rapproché n’est pas ce en quoi les extrêmes

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et le moyen <terme> ont des rapports, tandis que le genre éloigné, à savoir l’état habituel, est

<ce> en quoi les extrêmes et le moyen <terme> ont des rapports, ou, si <cela> est dit selon

l’intention morale, l’état habituel volontaire.

<§ 33> <8> Ensuite, il est objecté quant à cela qu’il dit, que la contrariété des

extrêmes entre eux est plus grande que <leur contrariété> quant au moyen <terme>. Puisque

le moyen <terme> s’oppose aux extrêmes en raison du bien et du mal, alors que les extrêmes

s’opposent entre eux selon l’excès et le défaut, chacun d’entre eux étant contenu sous le mal,

<on se demande> pourquoi l’opposition du moyen <terme> par rapport aux extrêmes est plus

grande que <l’opposition> des extrêmes entre eux.

<§ 34> <8*> Et <la question> est résolue par cela qui a été dit. En effet, puisqu’il y

a un genre rapproché et un genre éloigné, le genre rapproché n’est pas <ce> en quoi les

extrêmes et le moyen <terme> ont des rapports, tandis que le genre éloigné, à savoir l’état

habituel, est <ce> en quoi les extrêmes et le moyen <terme> auront des rapports, ou, si <cela>

est dit selon l’intention morale, l’état habituel volontaire.

<§ 35> Quant à cela qu’il dit, que plus grande est la contrariété des extrêmes, <cela>

est résolu par ce qu’il dit que plus grande est la contrariété des extrêmes entre eux que <la

contrariété des extrêmes> par rapport au moyen <terme>. Or, le moyen <terme> est

<déterminé> selon les circonstances. Selon cela, plus grande est la ressemblance dans la

substance du moyen <terme> par rapport aux extrêmes que <celle de la substance> des

extrêmes <comparés> entre eux, et, quant à la substance matérielle, plus grande est

l’opposition des extrêmes entre eux que <l’opposition de ceux-ci> par rapport au moyen

<terme>.

<§ 36> Or, autrement en est-il si la médiété est considérée en tant qu’elle est état

habituel bon et <que> les extrêmes <sont considérés> en tant qu’ils sont contenus sous la

raison de l’état habituel mauvais ; et ainsi l’opposition est selon la raison. Or par cela qu’il

dit que deux sont les causes à partir desquelles est la contrariété, l’une <qui est> dans la

réalité, l’autre <qui vient> de nous, il semble montrer que la même <chose> sera plus et

moins contraire à une seule et même <réalité>. En effet, il peut arriver que l’un des contraires

s’éloigne plus par rapport au moyen <terme> et que nous soyons par nature plus disposés

vers l’autre. En conséquence, chacun des contraires sera plus et moins contraire, ce qui doit

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être accordé si la cause de la contrariété n’est pas la même. Certes, une est la cause de la

contrariété à partir de la réalité, <et> autre <la cause> à partir de nous. Mais cette contrariété

qui est à partir de la réalité est absolue, tandis que la restante, qui est à partir de nous, est dite

contrariété dans l’acquisition, selon que le sujet doit acquérir la vertu et éviter le vice.

<§ 37> <9> Mais quelqu’un peut demander à cause de quoi la cause double de cette

contrariété est traitée dans les contraires moraux, tandis qu’<elle> n’<est> pas <traitée> ni

dans les contraires naturels ni dans les contraires selon la raison.

<§ 38> <9*> À quoi il faut dire qu’il en est différemment dans ces contraires et dans

les autres. Puisqu’en effet <le philosophe> moral envisage <l’étude de> ces <choses> non

seulement en soi, mais <aussi> par une mise en rapport avec l’acte humain, à savoir en tant

que <certaines choses> doivent être choisies ou évitées, la contrariété sera double : l’une à

partir de la réalité, l’autre à partir de nous. Tandis que les contraires naturels ou selon la

raison sont considérés <seulement> par l’un de ces deux modes, à savoir en soi, et non par

rapport à nous. Et c’est pourquoi, <dans ce cas>, ne sont pas déterminées deux causes ; en

effet, la contrariété selon la nature ou selon la raison est contrariété de manière similaire.

EXPOSÉ SUR LA LETTRE I

<§ 39> Or, voici l’exposé sur la lettre. Ainsi on a considéré autour de quelles

opérations ou passions sont (=est) la médiété et les extrémités, qui sont l’excès et le défaut,

Ainsi, <etc.>, et <cela> est indiqué par ce qui suit : Il existe <ainsi> trois dispositions ; et par

ce qu’il dit, dispositions, on comprend que la malice n’est pas seulement la privation de ce

qui doit exister selon la nature, mais elle est <aussi> disposition vers l’acte ; <ensuite il dit>

deux malices ; et dans ce qu’il dit : malices <et> tout de suite vertu, il indique la contrariété,

et similairement par ce qu’il dit l’un par excès <et> l’autre par défaut, la vertu <est

comparée> aux malices.

<§ 40> Et quand il dit : toutes <les dispositions> s’opposent à toutes, l’<auteur>

indique l’opposition des extrêmes entre eux et <l’opposition> du moyen <terme> par rapport

aux extrêmes, et inversement. Et par ce qu’il dit : <toutes les dispositions s’opposent à

toutes> d’une certaine façon les dispositions extrêmes et les moyennes s’opposent, par cette

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326

expression d’une certaine façon est indiqué que l’opposition de la disposition moyenne n’est

pas similairement, en tant que moyenne, par rapport aux <dispositions> extrêmes. Et cela est

signifié par le sujet.

<§ 41> Quand il dit : De même que, etc., est notée là une ressemblance partielle, et il

dit correctement <qu’il existe> une ressemblance de la vertu et de ses extrêmes par rapport à

l’égal, le plus et le moins. En effet, le moyen <terme> et l’extrême sont dits de manière

proportionnelle dans <le cas de> la vertu et la malice, et <au sens> propre dans la quantité.

<§ 42> Ensuite, quand il dit : Et c’est pourquoi ils poussent le moyen <terme>, cela

s’explique par <la phrase> précédente.

<§ 43> Ensuite, quand il dit : la contrariété la plus grande est <celle> des extrêmes

l’un par rapport à l’autre, plutôt que par rapport au moyen <terme>, <cela> est compris

relativement au moyen <terme> en tant qu’il est moyen, et non pas relativement à ce <moyen

terme> en tant qu’il est bon ; et l’une <de ces oppositions> est comprise à partir de la distance,

{f. 107v} l’autre à partir de la ressemblance, quand il dit : Mais de plus, etc., et à partir de la

définition des contraires, laquelle est référée ici : Or, <les choses> qui sont les plus éloignées

l’une de l’autre, etc.

<§ 44> Ensuite, quand il dit : Mais à l’égard du moyen, etc., est traitée la troisième

partie dans laquelle sont traitées les deux <dispositions> opposées selon le plus et le moins

– <représentées par les> extrêmes – par rapport au moyen <terme> ; et <l’auteur> pose deux

causes, <l’une> en disant : L’une telle qu’elle vient de la réalité elle-même, tandis que l’autre

quand il dit : L’autre <qui vient> de nous.

<§ 45> Ensuite, quand il dit : Qu’ainsi, etc., il conclut les <choses> qui ont été dites

dans les parties déjà mentionnées, et <cela> se termine là, quand il dit : <nous l’avons> établi

suffisamment.

<§ 46> Mais dans la deuxième partie, quand il dit : C’est pourquoi il est difficile

d’être bon, etc., <l’auteur> envisage de déterminer de quelle façon est-il <possible> de

trouver le moyen <terme> à travers la discrétion à partir des extrêmes et dans cela <même>

se délecter et se reposer. Or il montre d’abord qu’il est difficile de trouver le moyen <terme>

par une ressemblance comprise dans le centre du cercle.

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327

<§ 47> Or, quand il dit : le bien est rare, etc., il montre que <le bien> est l’optimum,

même s’il est difficile <à atteindre>.

<§ 48> Ensuite quand il dit : C’est pourquoi il faut <que> celui, etc., il enseigne le

mode de distinguer <le moyen> à partir des extrêmes en <se> séparant du contraire, et

puisque le contraire est dit selon deux causes, il enseigne le mode de <se> séparer du contraire

selon chaque cause, et il pose une ressemblance dans le mode de trouver <le moyen terme>

à l’égard des autres <choses> trouvées.

<§ 49> Ensuite, quand il dit : Or cela est sans doute difficile dans les <cas>

singuliers, il détermine que bien qu’il y ait une raison commune de trouver le moyen <terme>

moral, grâce à laquelle, si l’on ne s’éloigne pas <d’elle>, on ne se trompera pas, on dit qu’il

est très difficile de trouver le moyen <terme> dans les singuliers. Et une fois connu cela, se

termine l’intention de cette partie.

QUESTIONS

<§ 50> <10> Or, ici une question surgit sur cela qu’il dit : il faut trouver le moyen

<terme>, dans la même partie où il enseigne à partir desquelles <choses> et de quelle sorte

<de choses> est la vertu morale, <et cette question surgit> puisque la découverte du moyen

<terme> dans les autres parties de la philosophie est distinguée dans <sa> partie propre, par

exemple, dans le deuxième <livre> des Topiques ; et <là> il enseigne de quelle façon c’est

<possible> de trouver le moyen <terme>, et non pas dans le premier <livre>, dans lequel est

déterminé à partir desquelles <choses> et de quelle qualité sont les raisonnements

dialectiques.

<§ 51> <10*> À quoi il faut dire qu’autrement en est-il du moyen <terme> dialectique

et du moyen <terme> moral. Or le moyen <terme> dialectique possède une raison déterminée

en commun, mais <cette raison> est multipliée selon qu’elle est <orientée> vers ce genre de

problèmes, ou vers celui-là, ou <encore> vers un autre. Et c’est pourquoi il enseigne <de

quelle manière> trouver le moyen <terme> dans ces parties où il s’agit du problème

dialectique, <et> de l’accident en tant qu’il est relatif à l’accident, et du genre en tant qu’il

est relatif au genre, et ainsi par rapport aux autres <prédicables>.

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328

<§ 52> Ainsi en est-il du moyen <terme> moral lequel, en tant qu’il est tiré vers cette

vertu ou vers cette autre, n’est pas particularisé par les circonstances mais par l’action, et une

médiété lui est due dans la multitude des circonstances en raison de la vertu morale en

commun. Mais si chaque vertu a ses circonstances propres, il faut <en> déterminer dans le

traité de chaque vertu spéciale non pas en raison de son genre, mais <plutôt> en raison

d’elle<-même>.

<§ 53> <11> Il peut aussi être demandé sur cela qu’il dit, <qu’il existe> une raison

<permettant de> choisir le moyen <terme> en se séparant de <l’extrême le plus> contraire.

Par cela en effet il indique que le mal est le principe de connaissance du bien, quand il dit

ailleurs que le droit est un indice de soi-même et de l’oblique, et similairement le bien est un

indice de soi-même et du mal. En plus le mal, en tant que tel, qu’il soit selon l’excès ou selon

le défaut, n’a pas de terme. En conséquence, de quelle manière est-il possible de prendre

connaissance <du bien> à partir de lui, ou de quelle manière est-il <possible> de le distinguer

du moyen <terme>, <voilà une question qu’il faut traiter>.

<§ 54> <11*> À quoi il faut dire que, de manière <pure et> simple, le bien est par

nature plus connu que le mal, tandis que le mal est parfois plus connu quant à nous. Si le mal

n’avait pas été connu quant à nous, alors la raison du bien aurait été connue en premier lieu ;

en conséquence, la raison du bien est imprimée dans l’intelligence (= mente) humaine, selon

laquelle <raison> on discerne, relativement à un certain mal, qu’il est un mal ; et une fois ces

maux connus dans leur malice, est produit, de manière progressive, un moyen <terme> bon

qui est connu par discrétion à partir de ces extrêmes ; et ainsi <ce moyen terme> est choisi

conséquemment ; et <l’auteur> n’obvie pas ce que lui-même <avait> dit : Le mal dans chacun

des extrêmes sera infini. En effet, même s’il peut être envisagé, pour lui, <qu’il y ait> un mal

infini, pourtant chaque mal <particulier> est fini, et la séparation <qu’il faut opérer> est à

partir d’un mal particulier, et non pas à partir du mal <compris> selon des intentions

générales.

<§ 55> <12> Ensuite, il peut être demandé de quelle manière la nature de ce qui <est>

le plus et le moins se trouve dans le mal, alors que le mal n’a pas de terme, et que le plus est

dit par approchement d’un terme, et <le moins est dit> par éloignement d’un terme. Et s’il

n’y a pas dans le mal du plus et du moins, il n’y a pas dans le mal de plus contraire et de

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moins contraire, de ce que le plus grand mal est plus contraire <au bien>. Mais s’il n’y a pas

<quelque chose> de plus contraire, en conséquence il n’y a pas <la possibilité> de se séparer

de ce <qui est> plus contraire <au moyen terme>, <ce> qui est dit ici.

<§ 56> <12*> À quoi il faut dire qu’autrement en est-il de l’être plus et de <l’être>

moins dans ces contraires <moraux> et dans les autres. En effet, dans les autres contraires le

plus et le moins sont dits par approximation et éloignement par rapport au terme, dans lequel

se trouve la véritable espèce de la réalité, comme par approximation est trouvée l’espèce de

la blancheur. Or, il n’est pas ainsi dans ces contraires <moraux> par ce que les contraires de

cette sorte posent le plus et le moins en s’éloignant du moyen <terme bon> et en

s’approximant au moyen <terme>. En effet, est dit plus mauvais <ce> qui a moins de bien

selon son genre, et moins mauvais <ce> qui accède au bien davantage, comme il arrive

relativement à l’obtus et l’aigu dans <le cas des> angles. En effet, <un angle> n’est pas dit

plus ou moins aigu par approximation à une magnitude <déterminée>, mais par son

éloignement par rapport à <l’angle> droit. <Et> on dit plus aigu <l’angle> qui s’éloigne le

plus du droit dans le genre des <angles> aigus, et moins aigu <l’angle> qui s’<en> éloigne

le moins.

EXPOSÉ SUR LA LETTRE II

<§ 57> Tel est l’exposé sur la lettre. Puisque la vertu est une médiété entre les autres

malices dans les opérations et dans les passions, saisir le moyen <terme> dans chaque réalité

est difficile ; <et> à cause de cela, <qu’>il est difficile <à atteindre>, <le moyen terme> est

bon. Or que saisir le moyen <terme> est difficile est montré ainsi, dans le centre du cercle,

quand il dit : Saisir le centre du cercle n’appartient pas à tous, mais <seulement> à celui qui

sait.

<§ 58> Et quand il dit : Ainsi également se mettre colère, il pose la facilité quant à

l’acte, tandis que la difficulté <il la pose> quant aux circonstances de l’acte ; et cela est <ce>

qu’il dit : Mais <avec> celui <qu’il faut>, et dans la mesure <correcte>, etc. ; et par celui

est indiquée la personne, et par la mesure est indiquée la quantité de l’acte ou de cela sur quoi

porte l’acte, et par quand, le temps, et <par> à cause de quoi la finalité, et par de la manière

<qu’il faut> la forme de l’acte lui-même.

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330

<§ 59> Et ensuite il dit : Que le bien est rare, digne d’éloge et optimum, lesquelles

<choses> sont distinguées de sorte que bien soit dit dans l’action de perfectionner le sujet et

rare à cause de la concomitance de ce<s choses> dans le sujet, digne d’éloge en comparaison

au discours, optimum quant à la recherche ; de manière que <le moyen terme> est bon en

perfectionnant, rare en perfectionnant, digne d’éloge en le montrant <à travers le langage>,

optimum en le cherchant.

<§ 60> Et ensuite quand il dit : C’est pourquoi il faut, cela sera conclu et à partir de

la bonté et à partir de la difficulté. Parce qu’en effet <le moyen terme> est bonté, c’est

pourquoi il attire ; parce qu’il est difficulté, c’est pourquoi il exige un principe à partir duquel

devenir facile <est à atteindre>. Et <à cause de cette exigence> il dit qu’il faut se séparer de

<ce qui est> plus contraire <au moyen vertueux>. En effet, le plus contraire se disait selon

deux causes prédéterminées ; et il rend une cause quand <il conseille de s’éloigner> de ce

qui est plus contraire par ce que <le plus contraire à notre inclination naturelle> est le péché

moins grave, et il pose <cela> par une ressemblance dans laquelle <cette cause> est

manifestée, quand il dit : Comme le conseille Calypso. Ainsi <elle dit « loin> de la fumée »,

etc. {f. 108r}. Et est indiquée <ici> la double raison des dangers de la mer : l’une qui est à

partir de la rencontre des rochers ou des bancs de sable, l’autre qui est à partir de l’action des

vagues d’écume ; ou encore un <autre> genre de danger est indiqué à partir de la collision

des vapeurs ascendantes de la mer, que Calypso appelle la fumée par laquelle il n’y a pas de

distinction entre les rochers et <la partie de la côte qui n’a pas> de rochers, ni entre la terre

et <ce qui n’est pas> la terre <ferme> ; et par la tempête il comprend <celle qui vient> des

profondeurs de la mer.

<§ 61> Ensuite, <quand> il dit : Or, il faut que l’on envisage, etc., il comprend la

séparation par rapport à cela en vue de quoi nous sommes davantage <disposés> par nature.

<§ 62> Or, quand il dit : Mais <cela> sera connu, etc., il détermine ce par quoi est

reconnu <ce> en vue de quoi <chacun> est davantage <disposé> par nature ; et quand il dit :

Il faut attirer ceux qui envisagent <d’être bons> vers le contraire, il ajoute une cause, en

disant : En effet, ce n’est qu’en nous écartant beaucoup, etc. ; et il pose une comparaison, en

disant : Ce que font ceux qui <redressent> le bois tordu, etc.

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331

<§ 63>1 Or, quand il dit : En toute <chose> il faut surtout prendre garde, il donne

une règle, puisqu’il faut toujours se garder des délectations car ce qui existe en nous, nous ne

le jugeons pas avec impartialité ; et il pose une comparaison en disant : Donc ce que les

Anciens du peuple, etc., c’est-à-dire comme les Anciens du peuple se trouvaient par rapport

à Hélène, vers laquelle ils étaient attirés, même s’ils ne l’estimaient pas ; ainsi faut-il <que>

nous résistions par rapport au plaisir, c’est-à-dire <en nous écartant> des plaisirs, et non pas

en <nous> laissant conduire <par ces plaisirs> ; et <il faut> répéter leur parole dans toutes

<circonstances> ; et cette parole était : ‘échappons <aux plaisirs>!’. En effet, en suivant ainsi

<cette parole>, nous pécherons dans une moindre mesure.

<§ 64> Et ensuite quand il dit : Donc, <en faisant> ces choses, etc., il conclut <son

discours sur la manière> proposée de trouver le moyen <terme>.

<§ 65> Ensuite, il dit : Cela est <sans doute> difficile dans les <cas> singuliers,

c’est-à-dire bien que celle-ci soit la <forme> rationnelle de trouver le moyen <terme>,

pourtant il y a une difficulté relative à ce moyen ou à <cet> autre, et il manifeste ces <choses>

quand il dit : et en effet, nous, etc. En effet, il y a un signe <de cette difficulté> quand nous

ne discernons pas correctement le moyen <terme> des extrêmes en ce que parfois, <en étant>

irrationnels, nous appelons courageux les humbles et les audacieux ; par laquelle <raison>

est indiqué que l’humilité s’approche davantage de la déficience, alors que le courage, dans

son genre, <s’approche> davantage de l’excès.

<§ 66> Ensuite, il dit : Mais celui qui <s’éloigne> légèrement, etc., dans cela est

indiqué un signe en ce que le méchant qui n’est pas très loin du bon n’est pas censuré ; et

puisqu’il est approprié de censurer les méchants, celui qui est au-dessous du bon est censuré.

Et il ajoute une cause de façon manifeste quand il dit : celui-ci en effet ne passe pas inaperçu.

Mais dans quelle mesure faut-il le censurer, <cela> n’<est> pas facile à déterminer, comme

<il> n’<est> pas <facile à déterminer dans le cas> d’autre des sensibles. Mais les <choses>

singulières <tirées> de ces <choses> communes font en sorte que l’on a par expérience une

<chose> individuelle unique ; d’où il dit : en effet, ces <choses> dans les singuliers, etc.

1 La traduction des lemmes de ce paragraphe s’inspire de celle de Tricot, ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, trad.

J. TRICOT, Paris, Vrin, 1959.

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332

<§ 67> Or, quand il dit : Donc, cela montre, il conclut ce qui est déterminé dans cette

partie, à savoir que l’état habituel moyen est digne d’éloge dans tous <le cas>, mais, puisque

parfois il incline vers l’excès, parfois vers la déficience, il faut savoir cela et se séparer de ce

<contraire>, pour qu’en effet nous trouvions le bien facilement. Et celle-ci fut l’intention <de

cette partie>.

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333

Appendice A. Division générale de l’Éthique dans le Compendium examinatorium

Parisiense Tableau 8: Compendium examinatorium Parisiense. Division générale de l'Éthique

Pri

ma

(Noua e

thic

a n

uncu

pat

ur)

: D

e

feli

cita

te e

t su

is p

ropri

etat

ibus

Liber I (§79) 1a: Tanguntur quedam communia que ad artem antecedunt

2a: Agit de eis

que sunt

substantia artis

(Dicamus autem,

I.2 1095a14)

1a: De felicitate secundum opinionem

aliorum

2a: De felicitate

secundum

uirtutem:

(Reuertamur

autem, I.5

1097a15)

1a: Proprietates per

quas disponitur

felicitas ad

felicitandum

2a: [omise dans le

texte]

3a: Quod de uirtute

dicendum est. Diuidit

uirtutem in

felicitatem et

consuetudinalem.

Sec

unda

(Vet

us

ethic

a u

oca

tur)

: de

uir

tute

consu

etudin

ali

et d

e

oper

atio

nib

us

per

quas

acq

uir

itur

uir

tus.

Tre

s li

bro

s par

tial

es c

onti

net

Liber II (§80):

Dispositionibus

generalibus in

quibus consistit

uirtus

1a: De quibusdam antecedentibus ad substantiam doctrine

2a: De eis que

sunt de

substantia

doctrine

(Quoniam autem

presens opus,

II.2 1103b26)

1a: De dispositionibus in quibus consistit

uirtus

2a: De diffinitione uirtutis (Post hec

autem, II.4 1105b19)

Liber III (§81):

De causis

efficientibus

uirtutis

1a: De illo quod non est principio nec causa uirtutis

(inuoluntarium, uiolentum, ignorantiam)

2a: Quod est principium et causa virtutis: de voluntario et de

eligentia (Determinatis autem uoluntario, III.4 1111b4)

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334

Liber IV (§82):

De quibusdam

speciebus

uirtutis

(fortitudine et

castitate)

1a: De

fortitudine

1a: De fortitudine uero

2a: De fortitudine apparenti (Dicunt

autem, III.11, 1116a16)

2a: De castitate (Post hec autem de castitate, III,13,

1117b23)

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335

Appendice B. Division générale de l’Éthique dans les Communia Salmanticana

Tableau 9: Communia Salmanticana. Division générale de l'Éthique

1. D

e fe

lcit

ate

in s

e

1. Pars prohemialis 1. Quod felicitas est finis bonus et optimus

2. Quod scientia moralis est determinare de

huiusmodi bono

3. Manifestat causam formalem que est modus agendi

qui est typicus et grossus

4. Quis debet esse auditor huius doctrine

2. Tractatus 1. Opiniones antiquorum

2. De felicitate secundum opinionem propriam

3. Ostendit quamdam felicitatis proprietatem

2. D

e uir

tute

1. Ostendit secundum quam partem anime inest uirtus huiusmodi

(diuidit ibi uirtutes in morales et intellectuales) [I.13]

2. De uirtute consuetudiali (ÉN II-III) 1. De

uirtute in

generali

1. Causa exficiente remota (operationes

in medietate existentes) ÉN II

2. Causa exficiente proxima (proheresis

siue uoluntas consiliata) ÉN III

2. De uirtute in speciali

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336

Appendice C. Lectura Abrincensis, division du livre II

Tableau 10: Lectura Abrincensis. Division du livre II

1a pars: <De

causa

materiali>

1a pars: Ex quibus <fiat

uirtus>

Lectio 1: Duplici

autem (1103a14)

1a

pars

De differentia uirtutis

consuetudinalis ab

intellectuali (partie

isolée)

2a

pars

De causa materiali ex

qua

2a pars: Ex qualibus fiat

uirtus secundum

condiciones

determinatas

Lectio 2:

Quoniam igitur

presens opus

(1103b25)

1a

pars

De sermone exemplari

et parabolico (partie

isolée)

1a

pars

2a

pars

1a condicio:

consuetudinalis uirtus

fit ex operationibus in

medietate

2a

pars

Lectio 3: Signum

autem oportet

facere (1104b3)

2a condicio: omnis

uirtus est circa

delectationes et tristitias

3a

pars

Lectio 4: Queret

autem aliquis

(1105a17)

3a condicio: uirtus fit

cum perseuerantia

uoluntatis in operatione

2a pars: <De

causa

formali>

1a pars: <De causa formali

uirtutis in uniuersali>

Lectio 5: Post

hec autem

(1105b19)

2a pars: <De causa formali

uirtutis in particulari>

Lectio 6: Non

autem omnis

(1107a8)

1a

pars

Non omnis operatio uel

passio suscipit

medietatem

2a

pars

Circa quas operationes

uel passiones est

medietas

3a pars: <De consequentibus duas causas>

Lectio 7: Tribus

utique

existentibus

(1108b10)

1a

pars

Omnis omnibus

aduersari

2a

pars

Sic aduersantibus ad

inuicem

3a

pars

Medium opponitur plus

uni extremorum quam

alteri

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337

Bibliographie

Liste des manuscrits cités et des sigles utilisés dans les notes de bas de page

Les manuscrits énumérés ci-dessous contiennent normalement plus d’un texte.

Comme nous citons parfois plusieurs textes contenus dans le même manuscrit, nous évitons

ici toute référence aux auteurs, titres et numérotations des folia ; ces éléments sont néanmoins

bien identifiés dans les notes de bas de page et dans la Bibliographie.

A = Avranches, Bibliothèque municipale, 232.

C = Cambridge, Peterhouse, 206.

P = Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 3804A.

P1 = Prague, Národní Knihovna České Republiky, III F 10.

P2 = Padova, Biblioteca Universitaria 1589.

M = München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14460.

M1 = Madrid, Biblioteca Universitaria, 73.

O = Oxford, Bodleian Library, lat. misc., c. 71.

F = Florence, Biblioteca Nazionale, conv. sopp. G4.853.

V = Vatican, Biblioteca Apostolica, lat. 3011.

V1 = Vatican, Biblioteca Apostolica, lat. 5988.

Sources manuscrites

ANONYME, Lectura Abrincensis in Ethicam Veterem, ms. Avranches, Bibliothèque

municipale, 232, f. 90r-123r.

ANONYME, Lectura in Ethicam Veterem (alias Commentaire de Paris), ms. Paris,

Bibliothèque nationale de France, lat. 3804A, f. 152ra-159vb et f. 241ra-247vb ; ms.

Paris, BnF, lat. 3572, f. 226ra-235ra.

NICOLAS DE PARIS (?), Super Priscianum De accentibus = NICOLAS DE PARIS (?), Super

Priscianum De accentibus, ms. München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14460,

f. 188rb-201va.

NICOLAS DE PARIS (?), In Predicamenta = NICOLAS DE PARIS (?), In Predicamenta, ms.

München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14460, f. 42ra-62ra.

NICOLAS DE PARIS (?), In librum Sex principiorum = NICOLAS DE PARIS (?), In librum Sex

principiorum, ms. München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14460, f. 174ra-

188ra.

NICOLAS DE PARIS, Rationes Sex principiorum = NICOLAS DE PARIS, Rationes Sex

principiorum, ms. Vatican, Biblioteca apostolica, lat. 3011, f. 11rb-21vb.

PSEUDO-PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem = PSEUDO-

PECKHAM, Lectura cum questionibus in Ethicam Novam et Veterem, ms. Firenze,

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338

Biblioteca nazionale, Conv. sopp. G4 853, f. 1r-77v ; ms. Oxford, Bodleian Library,

lat. misc. c. 71, f. 2ra-52r (témoins complets) ; ms. Avranches, Bibliothèque

municipale, 232, f. 123r-125v ; ms. Praga, Národní Knihovna III F 10, f. 12r-23v

(témoins partiels).

ROBERT KILWARDBY, Expositio super Ethica Nova et Vetere = ROBERT KILWARDBY,

Expositio super Ethica Nova et Vetere, ms. Cambridge, Peterhouse 206, f. 285ra-

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