são cristóvão: l‘écomusée d'un quartier

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236 A&ha Oumar Kotzaré impôts supplémentaires pour réaliser ces musées. Les populations devraient pou- voir intervenir à travers leurs associations, financièrement ou par leur engagement physique dans des activités et travaux. Les associations traditionnelles seront très méfiantes, peu réceptives et réticentes face à ce genre de projets. I1 s’agira alors d’encourager la naissance de nouvelles associations avec le concours d’émigrés n’ayant jamais rompu avec leur milieu. Les interventions extérieures devront tou- jours être délimitées et prévues en accord avec U chaque territoire D et devraient se limiter à la formation et à l’appui technique. Le financement des musées par les États sahéliens nous paraît peu probable à l’heure actuelle si l’on tient compte de la situation économique, et les projets sociaux seront encore longtemps ajour- nés. I1 faudrait insérer les écomusées dans le cadre des projets intégrés au niveau des États et des organismessous-régionaux ou régionaux et explorer les possibilités des écomusées associatifs ou communau- taires. La perception que le Sahélien a de I’être humain, de la nature qui I’en- vironne, des nécessités de la lutte pour la survie correspond à une vision eéco- muséale )> qui se veut une approche, une attitude : se connaître, se reconnaître, s’assumer. L’expérience écomuséale par- ticipera ainsi au desserrement de l’étau des fausses stratégies de développement qui sont responsables des faillites en cours dans nos pays. L’écomusée, en tant que mode de participation et mode de ges- tion, sera une grande conquête dans le domaine de la culture et de la vie tout court. Comme toute conquête, elle nécessitera des sacrifices, une certaine abnégation, du désintéressement, de l’amour. Si cette première étape ne devait pas voir le jour, cela signifierait pour l’évolu- tion muséale en Afrique, notamment au Sahel, une mobilisation moindre des populations pour la défense de leur cul- ture, des dégâts culturels accrus condui- sant à l’asservissementet une perte totale d’identité culturelle. Finalement les che- mins du combat culturel se confondront plus que jamais avec ceux du combat pour la vie. Fernanda de Camargo e Almeida-Moro Née à Rio de Janeiro. e Bachelor of Arts >> d’études et d’histoire des musées. e Master of Arts x et u Phi- losophy Doctor )> en archéologie. Ancienne direc- trice générale des musées de 1’État de Rio deJaneiro et présidente du Conseil pour la protection de l’héritage culturel. Directrice de recherche et des programmes appliqués de Mouseion ; membre du Conseil scientifiquedu Musée d’astronomiede Rio. Présidente du Comité national brésilien de I’ICOM ; membre du Conseil exécutifde I’ICOM et de la Commission des musées de l’Union interna- tionale des sciences anthropologiques et ethnogra- phiques. Travailler dans un quartier, utiliser toutes ses potentialités, donner conscience à la communauté en l’unissant directement à l’environnement naturel et culturel, cultiver ses traditions, faire fructifier ses racines, stimuler sa créativité, préserver l’environnement global : voilà le sens du projet que nous avons pour la première fois tenté de mettre à exécution vers 1968, àRio deJaneiro, dans le quartier de Santa Tereza. Le musée conceptueZ d u quartìer Un groupe de personnes enthousiasmées par l’idée (l’ancienne équipe Cepi 1) avait décidé de sortir dans les rues de ce quartier pittoresque, situé sur une hau- teur de Rio, certains d’entre nous habitaient et où d’autres travaillaient. Nous’ n’avions aucune idée préconçue. Tout ce que nous voulions, c’était préser- ver le quartier, le découvrir et accroître ses potentialités. Nous avons découvert des lieux et des personnes, nous avons vécu intensément avec les premiers comme avec les secondes, nous nous sommes attachés à favoriser leur développement en utilisant les ateliers des artistes, les musées et d’autres institutions comme points de rencontre et de création et, sur- tout, le marché du quartier comme foyer d’animation éducative et culturellez. L’équipe s’est toujours efforcée d’être 1. Noyau du futur Mouseion - Centre de recherche en muséologie et en sciences de l’homme - , institution qui a entrepris divers programmes et projets de recherche et de réalisation dans le domaine de la muséologie différente à Rio de Janeiro. analysé par Sven Lindquist dans Gäu där du stà?.. 2. Dans le sens qui devait être ultérieurement

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Page 1: São Cristóvão: l‘écomusée d'un quartier

236 A&ha Oumar Kotzaré

impôts supplémentaires pour réaliser ces musées. Les populations devraient pou- voir intervenir à travers leurs associations, financièrement ou par leur engagement physique dans des activités et travaux. Les associations traditionnelles seront très méfiantes, peu réceptives et réticentes face à ce genre de projets. I1 s’agira alors d’encourager la naissance de nouvelles associations avec le concours d’émigrés n’ayant jamais rompu avec leur milieu. Les interventions extérieures devront tou- jours être délimitées et prévues en accord avec U chaque territoire D et devraient se limiter à la formation et à l’appui technique.

Le financement des musées par les États sahéliens nous paraît peu probable à l’heure actuelle si l’on tient compte de la situation économique, et les projets sociaux seront encore longtemps ajour- nés. I1 faudrait insérer les écomusées dans le cadre des projets intégrés au niveau des États et des organismes sous-régionaux ou régionaux et explorer les possibilités des écomusées associatifs ou communau- taires.

La perception que le Sahélien a de

I’être humain, de la nature qui I’en- vironne, des nécessités de la lutte pour la survie correspond à une vision eéco- muséale )> qui se veut une approche, une attitude : se connaître, se reconnaître, s’assumer. L’expérience écomuséale par- ticipera ainsi au desserrement de l’étau des fausses stratégies de développement qui sont responsables des faillites en cours dans nos pays. L’écomusée, en tant que mode de participation et mode de ges- tion, sera une grande conquête dans le domaine de la culture et de la vie tout court. Comme toute conquête, elle nécessitera des sacrifices, une certaine abnégation, du désintéressement, de l’amour.

Si cette première étape ne devait pas voir le jour, cela signifierait pour l’évolu- tion muséale en Afrique, notamment au Sahel, une mobilisation moindre des populations pour la défense de leur cul- ture, des dégâts culturels accrus condui- sant à l’asservissement et une perte totale d’identité culturelle. Finalement les che- mins du combat culturel se confondront plus que jamais avec ceux du combat pour la vie.

Fernanda de Camargo e Almeida-Moro

Née à Rio de Janeiro. e Bachelor of Arts >> d’études et d’histoire des musées. e Master of Arts x et u Phi- losophy Doctor )> en archéologie. Ancienne direc- trice générale des musées de 1’État de Rio de Janeiro et présidente du Conseil pour la protection de l’héritage culturel. Directrice de recherche et des programmes appliqués de Mouseion ; membre du Conseil scientifique du Musée d’astronomie de Rio. Présidente du Comité national brésilien de I’ICOM ; membre du Conseil exécutifde I’ICOM et de la Commission des musées de l’Union interna- tionale des sciences anthropologiques et ethnogra- phiques.

Travailler dans un quartier, utiliser toutes ses potentialités, donner conscience à la communauté en l’unissant directement à l’environnement naturel et culturel, cultiver ses traditions, faire fructifier ses racines, stimuler sa créativité, préserver l’environnement global : voilà le sens du projet que nous avons pour la première fois tenté de mettre à exécution vers 1968, àRio de Janeiro, dans le quartier de Santa Tereza.

Le musée conceptueZ du quartìer

Un groupe de personnes enthousiasmées par l’idée (l’ancienne équipe Cepi 1)

avait décidé de sortir dans les rues de ce quartier pittoresque, situé sur une hau- teur de Rio, où certains d’entre nous habitaient et où d’autres travaillaient. Nous’ n’avions aucune idée préconçue.

Tout ce que nous voulions, c’était préser- ver le quartier, le découvrir et accroître ses potentialités. Nous avons découvert des lieux et des personnes, nous avons vécu intensément avec les premiers comme avec les secondes, nous nous sommes attachés à favoriser leur développement en utilisant les ateliers des artistes, les musées et d’autres institutions comme points de rencontre et de création et, sur- tout, le marché du quartier comme foyer d’animation éducative et culturellez.

L’équipe s’est toujours efforcée d’être

1. Noyau du futur Mouseion - Centre de recherche en muséologie et en sciences de l’homme - , institution qui a entrepris divers programmes et projets de recherche et de réalisation dans le domaine de la muséologie différente à Rio de Janeiro.

analysé par Sven Lindquist dans G ä u där du stà?..

2. Dans le sens qui devait être ultérieurement

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Sä0 Cnitóvão : L’écomusée d’un qzlartier 237

quasi invisible, comme transparente ; elle animait, elle participait, mais sans inter- férer, sans chercher à modifier en profon- deur les structures existantes.

En 1970, nous avons présenté cette expérience si vivante de muséologie active à Georges Henri Rivière et à Hugues de Varine qui nous ont apporté un soutien sans réserve et nous ont invité à participer plus activement aux travaux du Conseil international des musées (ICOM). A l’époque, nous avions donné à notre projet le nom de Musée concep- tuel du quartier. L’espace du musée était le quartier tout entier, avec ses partici- pants, sa vie, ses structures, ses memora- bilia. Le programme, qui prenait tou- jours plus d’ampleur, a été redéfini chaque fois que cela était nécessaire. Plus tard, vers 1971, nous nous sommes rendu compte, à la Conférence générale de I’ICOM, qui se tenait à Paris et à Greno- ble, que ce mouvement de muséologie ouverte, de muséologie différente, plus participative, se développait dans le monde entier et qu’il était, d’une cer- taine façon, lié aux concepts du jeune mouvement écomuséologique3.

São Cristóvão, écomasée intégré

Nous avons persévéré dans cette voie et lorsque nous sommes a116 travaillerà São Cristóvão, nous avons commencé à plan- ter les semences d’un nouveau projet de musée ouvert. Notre territoire? Le quar- tier de São Cristóvão, un quartier magni- fique situé au nord de Rio. L’idée de départ pourrait sembler être la même, mais le quartier étant d’une nature tota- lement différente, cela nous a amenés à

développer diverses facettes du projet. Nous pourrions même dire que c’est là que nous avons mis en place un projet relevant de ce que nous appelons I’éco- muséologie intégrée.

C’est en général à São Cristóvão que l’enfant carioca4 établit sa première rela- tion profonde avec le concept d’univers, avec l’environnement naturel, avec le passé. C’est là, qu’amené par ses parents, le petit enfant découvre ces choses fasci- nantes : l’immense parc de la Quinta da Boa Vista, le vieux bâtiment et les collec- tions du Musée national, les coupoles argentées de l’observatoire national où la grande lunette permet de voir les étoiles >>.

C’est là encore qu’il découvre l’immense marché du Nordestes, aussi bruyant que haut en couleur, où l’on peut apercevoir, entre des montagnes d’objets et de nourritures, des chanteurs et des conteurs d’histoires. On y trouve

3 . C’est la conception de la vie communautaire associative que nous avons proposée en 1968 avec le projet de Santa Tereza, et largement développée à partir de 1973 avec le projet du Musée des images de l’inconscient (voir <( Musée des images de l’inconscient, Rio de Janeiro : une expérience vécue dans le cadre d’un hôpital psychiatrique,, Mziseum, vol. XXVIII, no 1, 1976, p. 35), puis formulée en 1974 2 l’occasion d’une consultation de l’Unesco et du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) pour El Salvador. Nous continuons à nous en inspirer pour tous les projets de musées vivants et ouverts que nous cherchons à réaliser.

les personnes nées à Rio de Janeiro, s’applique aujourd’hui à toutes celles qui y vivent.

5. Feira do Nordeste : marché où l’on trouve des produits du nord-est du pays, où s’approvisionnent les populations qui ont émigré vers le centre-sud (Rio).

4. Le terme Cmiocu, qui désigne initialement

49 MUSEU NACIONAL DE HIST~RIA NATURAL, São Cristóvão. Un Wunderkabinet où les enfants de Rio ont découvert le patrimoine culturel.

50 Le plafond de Ferret au Musée Primeiro Reinado : ctLe Ciel, dont Monsieur le curé nous a parlé. )>

Page 3: São Cristóvão: l‘écomusée d'un quartier

238 Femanda de Camarco e AL’meida-Moro

51 Découverte des jouets scientifiques dans le Parc São Cristóvão.

aussi de gigantesques f a v e h agglutinées sur les pentes des collines, des églises qui ne désemplissent pas, des écoles de samba6 dont on entend la musique, des firmes commerciales - grandes, moyen- nes et petites - qui s’allient à de puissan- tes industries. Ce quartier, où, au temps de I’Empire7, ont résidé la famille impé- riale et la noblesse, est ensuite devenu un fief de la haute bourgeoisie, puis d’une classe moyenne aisée, tout en laissant affluer vers les collines une population moins favorisée qui a formé les favelas.

Lorsque l’ancienne équipe Cepi s’est mise à travailler à São Cristóvão, il y a de cela quelques années, elle croyait entre- prendre un programme comparable à celui qu’elle avait mis en oeuvre à Santa Tereza. Mais chaque quartier a sa propre réalité et appelle une réflexion, un pro- cessus de sensibilisation dsérents. Nous avons dû pénétrer dans le quartier, faire un travail poussé de prospection et d’analyse, avant de nous attelerà la réali- sation concrète de ce que nous considé- rons comme un écomusée intégré.

Finalement nous sommes arrivés à la conclusion que la communauté n’était pas uniquement formée de ceux qui habitaient le quartier mais qu’il fallait aussi prendre en compte ceux qui y tra- vaillaient et par conséquent l’utilisaient et y vivaient du lever au coucher du soleil, ainsi que les habitués du marché du Nordeste, musée animé du dimanche, où tous les habitants de Rio originaires du Nordeste se retrouvent pour passer cette journée. <<Tout cela forme un tissu vivant, dont les fibres étroitement enche- vêtrées sont indissociables. Le quartier est

un tout harmonieux, sans cloisons étan- ches, qui agit comme une totalité indivi- sible. C’est ainsi qu’il continuera àvivre, en se développant de façon active, riche d’émotions. D

Une coopérative de musées au service du quartier

Lorsqu’en 1980 nous avons assumé la res- ponsabilité de la direction de l’inspection des musées de l’État, puis, peu après, celle du Musée du Primeiro Reinado- unité pilote des musées de I’État, elle- même située à São Cristóvão- nous y avons vu une possibilité d’accélé- rer la réalisation de notre projet, et d’y associer, comme structures d’animation, tous les musées du quartier, publics et privés, sans compter l’observatoire national, qui est aujourd’hui un musée, le parc de la Quinta da Boa Vista, les éco- les de samba, les autres établissements éducatifs et culturels - bref, tout un ensemble d’institutions qui animeraient le quartier, motiveraient la commu- nauté, comme I’équipe Cepi l’avait fait à Santa Tereza, dans le cadre de son pre- mier programme.

Si cette fois nous avons souhaité nous appuyer sur des institutions, cela tient non seulement à l’immensité du quar- tier, mais aussi ànotre volonté de les inté- grer à notre travail, de former un tout homogène, propice à I’élaboration de la vision interdisciplinaire qui doit présider à la collecte des éléments de la mémoire collective, autrement dit, de former une coopérative de musées au service du quar- tier. I1 était hors de question de créer,

avec I’écomusée du quartier, une institu- tion de plus; il fallait structurer notre écomusée en intégrant les institutions existantes.

Le Musée du Primeiro Reinado, ancien manoir de la marquise de Santosg, a joué un rôle déterminant dans la première partie du programme, sur la base des recherches que l’institution MOUSEION consacrait au quartier. A aucun moment, cependant, ce rôle de meneur de jeu ne s’est exercé au détriment de la créativité et des projets des autres institutions, car chacune, dans le cadre d’une partici- pation active, proposait son domaine d’action spécifique.

I1 s’agissait de relier entre elles les acti- vités du quartier, de faire en sorte que la communauté intensifie sa participation créative et spontanée, de favoriser ainsi transactions et rencontres, de dynamiser les traditions.

Notre idée était de préserver la vie. Le patrimoine naturel et culturel, y compris l’activité quotidienne, étaient interprétés comme un tout - l’histoire vivante d’une communauté sur un territoire.

Au Primeiro Reinado, nous avons essayé de jouer la carte de la participation de la communauté dans la vie quoti-

6. Gén6ralement implantées dans des faveLa1, les écoles de samba - groupes de création de sambas - créent non seulement la musique, mais aussi le thème et les costumes présentEs dans les défilbg de carnaval.

7. Epoque de l’histoire du Brésil comprise entre 1822 et 1889. .

8. F. de Camargo e Almeida Moro, Cartas de Sü0 Crirtóvüo. Rio de Janeiro, 1980.

9. Domitila de Castro Canto e Mello, faite par l’empereur Pedro Ie‘ vicomtesse puis marquise de Santos.

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São Cr&óvão : /’écomusée &un quartier 239

dienne du muséelo. I1 fallait pour cela ouvrir entièrement l’établissement aux visiteurs et les faire participer jusqu’à la routine quotidienne du personnel du musée. Nous nous sommes efforcés de définir un projet assez ouvert pour que nous puissions accepter la participation de la communauté telle qu’elle nous était offerte et pour que la communauté puisse de son côté nous accepter. Nous ne pou- vions cacher à la communauté les points faibles du musée et si, d’une part, nous tentions de susciter une interaction collectivité-patrimoine, en considérant que cette dernière n’était pas seulement consommatrice mais aussi ressource pri- mordiale, nous démontrions, de l’autre, la nécessité d’une équipe de spécialistes qualifiés, qui serait également participa- trice et consommatrice.

Vivre de ” z é e

Le mythe du Musée du Primeiro Reinado, installé dans le manoir de la marquise de Santos, la favorite de l’empereur, a été balayé : ce qui importait maintenant, c’était la découverte d’une demeure incroyable, avec un immense potentiel de beauté et un intérieur rehaussé de pein- tures et de sculptures. Tel que nous l’avons interprété, ce manoir est devenu une maison abritant désormais une acti- vité culturelle intense, d’accès facile, où les personnages historiques sont intégrés avec simplicité à la vie quotidienne.

L’équipe avait, entre autres projets, celui d’amener la communauté du quar- tier à utiliser l’espace du musée pour ses propres activités de création. Au début, les groupes de musiciens du quartier se

produisaient au musée ; puis, un groupe de jeunes est venu y composer des airs et les répéter jusqu’à ce qu’un beau diman- che, se sentant prêts, ils donnent un con- cert dans le kiosque de la place à côté du marché. Nous avons échangé des visites avec les commerçants du quartier, les employés des garages du voisinage, les élèves des écoles et les habitants desfave- l‘as et nous en avons reçu une aide. Nous avons réussi à nous procurer un autocar pour le transport des jeunes enfants du bidonville, qui venaient partager de façon intense la vie du quartier”.

Un jour, plus de cinquante enfants ont débarqué à l’observatoire national. L’autocar s’est arrêté à côté du parc où les coupoles de l’observatoire se mêlent à d’immenses manguiers qui croulaient sous les fruits. Les enfants se sont précipi- A la do des aliments qui tés, ont grimpé aux arbres, en sont redes- cendus en se gavant de mangues ; certains

52

ont été transportés Sur plus de 2000 kilomètres.

responsables les regardaient avec stupé- faction ; d’autres essayaient de rétablir l’ordre ; pourtant les instructions étaient de laisser faire. Ce jour-là, les enfants n’ont pas vu les étoiles. Ils ont mangé des mangues! Le lendemain, l’autocar bondé est revenu sous les manguiers avec de nouveaux amateurs. Ceux de la veille sont allés voir les étoiles. Ceux qui venaient pour la première fois ont mangé des mangues. Le troisième jour, tous les enfants ont vu les étoiles. Le principe du

10. F. de Camargo e Almeida Moro, e0 museu como sistema de educacäo nao formal )>, D. O. Bahia, 19 décembre 1984.

aL’écomusée n’est pas visité, il est vécu)> (selon une communication présentée lors du Séminaire d’oaxtepec, au Mexique, en 1984 : al’écomusée de Haute-Beauce .).

1 1. Comme le dit Pierre Mayrant :

53 Projets de retour.. . valises à la Feira do Nordeste.

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240 Fernanda de Carmargo e Almeida-Moro

programme, dès le début, était de ne pas nous opposer au cours des choses.

Un autre jour, nous avons décidé d’amener au Primeiro Reinado des enfants qui n’étaient jamais .sortis du bidonville. Nous avons donc fait décou- vrir notre musée à un premier groupe d’enfants. L’effet produit sur eux par le manoir aux murs peints fut inimagina- ble. Auparavant, la relation de ces enfants au rêve passait par les allégories des écoles de samba, qui, comme toutes les allégories, tendent à la caricature’z. Leur relation aux scènes à la fois néo- classiques et tropicales peintes sur les murs13 et aux subtiles nuances de la lumière tamisée des lieux fut telle qu’en observant ces petits visages, ces gestes expressifs, nous (les membres du person- nel), qui par obligation venions tous les jours dans ce musée, avons pu voir ce que cela signifie de découvrir quelque chose qu’on n’avait jamais imaginé. Mais un des grands moments de la visite fut celui où les enfants se sont jetés à terre pour voir le plafond avec les délicats reliefs de Ferret14 qui représentent le Panthéon classique. Leur émotion a été si forte qu’elle nous a gagnés. J’ai entendu un enfant qui disait à un autre: <<Regarde, c’est le ciel dont nous parle Monsieur le curé. )>

Le passé au présent

Tisser des liens au sein de la communauté n’est pas chose facile, de même que la faire participer activement, et il est encore plus difficile de donner corps à un territoire ouvert, sans imposer de bornes ni de servitudes. C’est peut-être de là que venait la fascination que le programme exerçait sur nous. Un des points les plus importants était de parvenirà harmoniser les désirs ; le moyen le plus facile de le faire, et même le seul, était l’acceptation de l’autre tel qu’il est, les découvertes et les redécouvertes. Parfois, une institution devait faire un effort d’ouverture15.

Tel n’a pas été le cas du Musée national d’histoire naturelle. L’ancienne Maison des oiseaux, qui est le musée le plus ancien du pays, fascine par ses collections diverses : momies, objets indigènes, col- lections archéologiques, herbier, flacons contenant des serpents, sans parler de l’antique Cabinet des curiosités. Si cer- tains muséologues réclament une muséo- logie plus moderne, la communauté, elle, <c aime >> le Wunderkabinet - le musée par excellence, le lieu où tous les enfants de Rio, quels que soient leurs croyances, leurs traditions et leur milieu

social, ont découvert ce qu’est un bien culturel.

Nous avons vu que la communauté participait activement et nous avons senti qu’il en serait toujours ainsi. Bien amé- nagé, ce vieux musée est devenu l’un des rouages fondamentaux du développe- ment de l’ensemble, ouvert sur le pré- sent, et mis au service d’idées neuves. Car ce qui compte, ce n’est pas toujours le musée lui-même, mais l’art d’en tirer parti.

Le parc et les maisons du quartier donnent la vision de l’environnement, l’observatoire, celle de l’univers, le Musée national, celle du monde, le marché du Nordeste, une sensation d’enchantement pour tous et de nostal- gie pour certains. Quant aux écoles de samba, elles génèrent la joie. Le Musée du Primeiro Reinado était indissociable de cet ensemble, car c’est à lui qu’il incombait de montrer que de la diversité de notre peuple est née une certaine symbiose et d’apporter certaines réponses à travers son action d’animation.

Mais les collections et peintures des sal- les ne sauraient à elles seules montrer l’origine de cette symbiose. Nous avons donc eu recours à des expositions tempo- raires axées sur l’étude de thèmes déter- minés : Le curnavaL de Venise, Le goût au temps de L’Empire, La route des Indes.

Prolongeant les interrogations de la communauté, ces expositions avaient toutes comme thème fondamental le pro- cessus de l’acculturation.

Pour ce qui est du Carnaval de Venise, nos travaux ont porté sur son origine et sur son évolution. Nous avons recréé, au musée, la Venise du X V I I I ~ siècle en pre- nant comme référence la réalité des écoles de samba. Avec l’exposition Le godt au temps de l’Empire, nous avons analysé la maison elle-même comme véhicule des acculturations que nous avons absorbées à travers le métissage et la formation du goût de l’époque16.

Le but de l’exposition intitulée Lu route des h d e s était d’illustrer la rencon- tre des races, des cultures qui nous ont formés, depuis l’arrivée des Européens au Brésil et celle des autres populations qui ont suivi et de montrer comment nous percevons tout cela. Réalisée la même année que les rihes et belles expositions sur les découvertes, organisées à Lisbonne sous l’égide du Conseil de l’Europe, notre idée, qui était simple, procédait d‘une démarche inverse17. Nous mon- trions notre vision de la question : l’Europe d’autrefois ; l’Asie et la notion d’Inde en tant qu’Eldorado; l’Inde de la

route de la soie et l’Inde des épices; l’Afrique et la réalité qui est la nôtre ; ce que nous étions et ce que nous sommes devenus.

Tout en présentant une collection de sculptures, le musée avait transformé une zone pour organiser un grand marché aux épices. Ce marché fut l’un des éléments qui nous aida à attirer, pour la première fois, les habitués de la foire du Nordeste. C’est peut-être lui qui a véritablement dynamisé l’exposition. Nous avons égale- ment modifié la zone réservée aux exposi- tions permanentes du musée, et agencé les collections elles-mêmes en fonction de l’objectif de l’exposition.

La communauté a été interpellée par l’exposition, et c’est peut-être là la meil- leure réaction que nous pouvions espérer. A travers ces interrogations, nous avons pu aborder, parallèlement, la probléma- tique du marché de São Cristóvão, l’analyser et la lier au programme. Con- trairement à ce que beaucoup pensent, le marché du Nordeste àSão Cristóvão n’est pas une île, un compartiment étanche au sein de la communauté ; nous y voyons un lieu d’échange, engagé dans un pro- cessus d’intégration. L’exposition La route des Indes, avec son marché, nous a permis d’élargir le dialogue avec les habi- tués de la foire. Comme pendant notre travail sur les favelas, notre souci était d’ouvrir des aires de communication et non de modifier des structures.

Chez certains amateurs, qui se fiaient à leur première impression et ne pous- saient pas plus loin l’analyse, on a pu observer une tendance à ne voir dans le marché de São Cristóvão qu’un << écomu- Sée D. Mais c’est une erreur : le marché fait partie intégrante de São Cristóvão, de son environnement ; il est impossible de le considérer isolément. Ce n’est pas une

12. Les intrigues imaginées par les écoles de samba comportent des allégories illimitées, d’une richesse surprenante.

13. Du fait du processus d’acculturation, une iconographie tropicale est venue s’ajouter 1 l’iconographie néo-classique. L’effet ainsi produit est considérable.

Brésil avec la mission Lebreton (mission française).

15. René Rivard. e Que le musée s’ouvre ! . . . ou vers une nouvelle muséologie : les écomusées et les musées ouverts., p. 49, Québec, 1984 miméographié. La notion de visiteur, celle d’un public, est remplacée ici par celle de population; elle s’étend 1 tous ceux qui occupent le territoire desservi par le musée : jeunes, ouvriers, intellectuels, groupes spécifiques et autres. Elle est un facteur d’intégration fondamental.

16. Nous avons largement bénéficié de l’aide et des conseils du regretté professeur Mario Praz (Italie).

17. Voir l’article de Y.R. Isar, %Les decouvertes portugaises et l’Europe de la Renaissance )>, dans Musesm, no 142, 1984, p. 92.

14. Marc et Zéphyrin Ferrez sont venus au

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São Crastóvão : Péco?nusée d’un quartier 241

foire aux échantillons. On se tromperait en imaginant que c’est une transposition pure et simple du Nordeste. Non ... s’il représente effectivement une première tentative d’interprétation d’une mélan- colie, d’un besoin de se raccrocher à sa propre nostalgie, de la préserver, c’est aussi un lieu d’échange et par l’échange il permet non seulement d’exister, mais aussi de posséder, et c’est à ce niveau que les marchés, en liaison avec d’autres structures, développent leur communica- tion avec la communauté.

Sur ce marché en perpétuelle muta- tion, où les céramiques et les vanneries du Nord côtoient les farines, les assaisonne- ments, les plats de toutes sortes, on voit passer des conteurs, des chanteurs, des groupes de personnes arrivées depuis longtemps du Nordeste, d’autres, qui en sont venues depuis peu, des habitants du quartier, de la ville, du pays. Certes, il y règne un parfum de nostalgie car les gens du Nordeste y mêlent le passé au rêve et font de leur lointaine terre l’Eldorado irréel de leurs songes. Mais parallèlement, de nouvelles idées surgissent; les nouvel- les terres inspirent de nouvelles amours, le marché fait partie de la vie quotidienne du quartier. C’est à travers lui que les coutumes des gens du Nordeste se propa- gent au sein de la communauté, dans un mouvement de flux et de reflux qui est la vie même.

L’enchantement de vivre et de partici-

per nous a amenés à porter une attention toute particulisre à l’équipe de base qui appuyait nos efforts. Un des principaux écueils de l’action communautaire est la tentation constante d’outrepasser les limites de sa mission et souvent d’occu- per, involontairement, le territoire des autreSIS. Le personnel du musée doit analyser, catalyser, tout en demeurant invisible, pour que le jour où nous devrons quitter la direction du musée, d’autres puissent plus facilement pour- suivre notre action.

Aujourd’hui, la communauté mène déjà seule de nombreuses activités. Pour d’autres actions, chacune des institutions qui intervient encore s’emploie àla dyna- miser. L’idée d’appeler notre projet Eco- musée intégré de São Cristóvão corres- pond à la conception d’un espace vaste, sans limites définies, sans ingérence des pouvoirs publicsls. C’est un projet de participation de la communauté, sans règles étroites, où l’on apprend que patri- moine, territoire et communauté sont et doivent être àjamais imbriqués.

[Traduit du portugais]

18. Nous nous itions particulierement préoccupés de cette question pour le Musée des images de l’inconscient. Voir Museum, vol. XXVIII, no 1, 1976.

19. Citons de nouveau René Rivard, ibid. : 8 Le support gouvernemental n’est pas toujours une condition sine qua non de la création d‘un écomusée. D

Heimatmzcsezcm : m e bistoire ozcbfiée Alfred0 Cruz-Ramírez Dans ce dernier article de ¿a revue,

l’auteurjette u n regardsur un précurseur Né à Mexico, 1956. F i t ses études en histoire de tombé dans ¿’oubli. Ilnous montre com- l’art à l’Université de Paris-I. En 1981, entreprend ment les idées gui étaient 2 la base de sa des recherches en muséologie et s’intéresse aux pro- blèmes de la programmation culturelle. A égale-

création et qui font partie dupatrimoine ment organisé au Musée des enfants (paris. MAM, muséoologique ’Ont est ’Orti le 1984) l’exposition Fête des morts au ifexique. ment d6.f éCOmuJées fgrefzt perverties

a$n de servir ¿es buts ultranationa¿istes de l’Allemagne nazie. I l vu suns dire que n i l’auteur n i ¿a rédaction n ‘ont l’intention d’étub¿ir une comparaison entre les éco- musées actuels e t les Heimatmuseen de l’époque.

I1 n’est pas étonnant que dans la généalo- gie des écomusées on oublie souvent de parler d’un parent proche, le Heimatmu-

seum, le musée du terroir lorsqu’on sere- mémore l’usage qui en a été fait par les idéologues de l’Allemagne nazie.

Grâce àdes études récentes, on connaît le rôle assigné aux arts dans la politique culturelle du troisième Reich et l’intérêt qu’elle a accordé à la formation des collections’ ; quant aux musées, d’une part ils ont été assainis, c’est-a-dire qu’on en a exclu l’art <dégénéré>>, et, d’autre part, on y a introduit une pédagogie per- mettant d’exalter les valeurs du régime politique de l’époque.

Parallèlement à l’institution muséale

1. Hildegard Brenner, La politique artistique du national-socialisme, p. 137- 147, Paris, François Maspero, 1980.