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UNIVERSITE RENE DESCARTES (PARIS V)
FACULTE DE MEDECINE RENE DESCARTES
ANNEE 2009 THESE N°2009------------
PO UR LE
DOCTORAT EN MEDECINE
SPECIALITE : MEDECINE GENERALE
PAR
M. MOUDDEN Noamane Né le 19 Juillet 1981 à Orsay
__________
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE 14/05/2009
TITRE : FAUT-IL ENVISAGER UN TRAITEMENT
SYMPTOMATIQUE DE LA FATIGUE?
DIRECTEUR DE THESE : Monsieur le Docteur GOURARIER
PRESIDENT DE THESE : Madame le Professeur LE JEUNNE
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REMERCIEMENTS
A Mesdames et Messieurs les membres du jury.
Madame le Professeur Claire LE JEUNNE, je vous remercie de l‟honneur
que vous me faites en acceptant de présider ce jury. Veuillez accepter
l‟expression de mon plus profond respect.
Madame le Professeur Patricia THOREUX, je vous remercie pour la grande
joie que vous me faites d‟être membre du jury.
Monsieur le Docteur Jean LAFORTUNE, je vous remercie de l‟intérêt que
vous portez à ce travail en acceptant de le juger.
Madame le Docteur Marie-José PRUNIERES-THEVENOT, je vous
remercie d‟avoir accepté de siéger dans ce jury.
A Monsieur le Docteur Laurent GOURARIER pour m‟avoir proposé le sujet
de cette étude, pour votre soutien, vos conseils et vos encouragements.
A Monsieur le Docteur Pierre LEVY pour votre aide sur les calculs
statistiques et pour vos encouragements.
Aux Docteurs Abdelhamid et Hélène MOUDDEN, mes parents, pour bien
des choses et votre relecture.
A Monsieur Alexandre ZALIEWSKI et Mademoiselle Adeline SEGOND
pour votre aide dans le questionnaire.
A Nicolas GRIECO, pour infiniment plus que ton aide informatique, et à
Guillaume SARASA.
A mes frères Yassir et Elias et ma sœur Nazik.
A Anaïs BRIAND, un vrai trésor.
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SERMENT
En présence des Maîtres de cette Ecole, de mes chers condisciples et devant
l‟effigie d‟Hippocrate, je promets et je jure d‟être fidèle aux lois de
l‟honneur et de la probité dans l‟Exercice de la Médecine. Je donnerai mes
soins gratuits à l‟indigent et n‟exigerai jamais un salaire au-dessus de mon
travail.
Admis dans l‟intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s‟y
passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés, et mon état ne
servira pas à corrompre les moeurs ni à favoriser le crime. Respectueux et
reconnaissant envers mes Maîtres, je rendrai à leurs enfants l‟instruction que
j‟ai reçue de leurs pères.
Que les hommes m‟accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses !
Que je sois couvert d‟opprobre et méprisé de mes confrères si j‟y manque.
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SOMMAIRE
Quelques définitions de la fatigue……………………………………….p.10
1. Introduction……………………………………………………………..p.12
2. Matériel et méthode……………………………………………….p.15 La fatigue, un signe inquiétant…………………………………………...p.20
3. Résultats de l’enquête d’opinion………………………...p.21
3.1. L‟échantillon.……...……………………….....…….……………...…p.21
3.2. Résultats des questions n°13 et n°30……….………...…..…...p.24
3.3. Réponses aux questions principales..…………………..…..….p.26
4. Résultats de la recherche bibliographique………p.30
4.1. Le coût énergétique……………………………………….………...p.30 4.1.1. Le coût énergétique mécanique.……………………..…………………….p.30
4.1.2. Le coût énergétique cognitif …………………………..………………..…p.31
4.1.3. Le coût énergétique central ; niveau d‟activation centrale……..……….....p.31
4.1.4. Ergothérapie, mesures ergonomiques……………………………………...p.33
4.2. Fatigue et maladies cardiovasculaires………………………...p.34
4.2.1. La baisse du débit cardiaque……………………………..……………..….p.34
4.2.2. Le réseau artério-veineux……………………………….….………………p.35
4.2.3. Le reconditionnement à l‟effort : les effets cardiovasculaires………..…....p.36
4.3. Fatigue et affections pulmonaires………...……………………p.37 4.3.1. Distinguer entre fatigue et dyspnée….……………………………………..p.37
4.3.2. Fatigue des muscles respiratoires….……………………………………….p.38
4.3.3. Hypoxémie et fatigue……………….…………………………………...…p.39
4.3.4. Conclusion……………………….….…………………………………......p.40
4.4. Fatigue musculaire………………………..…………………………p.40
4.4.1. Fatigue musculaire à l‟effort……….………………..……………………..p.41
4.4.2. Asthénie per et post infectieuse..…….………………..…………………...p.44
4.4.3. Myopathies……………………………………………..……………..........p.45
4.4.4. Bénéfices de l‟exercice physique .……………………..…………………..p.45
8
4 .5 . Fatigue et affections
neuromusculaires………………………p.46 4.5.1. La sclérose latérale amyotrophique : atteinte du motoneurone central…….p.46
4.5.2. Le syndrome post poliomyélitique (SPP)………………………………….p.46
4.5.3. Les neuropathies périphériques dysimmunes……………………………...p.47
4.5.4. La neuropathie sensitivomotrice de Charcot-Marie-Tooth (CMT)………..p.47
4.5.5. Les maladies de la jonction neuromusculaire……………………………...p.47
4.5.6. La sclérose en plaques (SEP)……………..………………………………..p.48
4.6. Les fatigues psychique, psychologique et centrale………p.49
4.6.1. La fatigue centrale……………………………………………………….…p.50
4.6.2. Théorie des neurotransmetteurs…………………………………………....p.51
4.6.3. La fatigue mentale : modèle du traumatisme crânien……………………...p.52
4.6.4. Fatigue et sommeil….……………………………………………………...p.53
4.6.5. La dépression………………………………………………………………p.54
4.6.6. La fatigue affective………………………………………………………...p.55
4.6.7. Approche neuropsychologique du sentiment de
fatigue…...………………p.56
4.6.8. La fatigue psychosensorielle……………………………………………….p.57
4.7. Fatigue et immunologie, endocrinologie,
cancérologie………………………………………………………………p.58 4.7.1. Le rôle de la sérotonine…………………………………………………….p.58
4.7.2. L‟axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS)………………………..p.59
4.7.3. L‟axe hypothalamo-hypophyso-gonadien…………………………………p.60
4.7.4. Fatigue sympathique ou parasympathique…………………………………p.60
4.7.5. Cytokines et fatigue………………………………………………………..p.61
4.7.6. Hormone thyroïdienne ou hormone de croissance...……………………….p.62
4.8. Mesurer la fatigue…………………………………………………...p.63 4.8.1. Méthodes biomécaniques…………………………………………………..p.63
4.8.2. Les questionnaires………………………………………………………….p.65
4.8.3. Évaluer l‟autonomie, la qualité de vie et les facteurs contributifs…………p.67
4.9. Traitements non spécifiques de la fatigue…………………...p.68 4.9.1. Thérapeutique médicamenteuse……………………………………………p.68
4.9.2. Thérapeutique non médicamenteuse……………………………………….p.71
4.9.3. Traitement des facteurs favorisants…………………………………....…..p.72
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5. Discussion…………………………………………………………………p.73
5.1. Qu‟est-ce qu‟une bonne ou une mauvaise fatigue ?..……p.76 5.1.1. Historique………………………………………………………….……….p.76
5.1.2. Relation entre fatigue normale, bonne fatigue et fatigue physique………..p.78
5.1.3. Relation entre fatigue psychique et mauvaise fatigue……………………...p.79
5.1.4. Quand la fatigue psychique fait l‟objet d‟une plainte.……………………..p.80
5.1.5. Quand la fatigue physique est recevable…………………………………...p.81
5.1.6. Le paradoxe de Sartre.......…….………………………………………...….p82
5.1.7. La fatigue n‟est jamais neutre…………………………...…………………p.82
5.2. Traiter la fatigue : approche biopsychosociale…………….p.84 5.2.1. La fatigue est plurifactorielle : Syndromes Overlappés..…………….…….p.84
5.2.2. A quoi sert la fatigue ?..................................................................................p.85
5.2.3. Le cercle vicieux de la fatigue…………........................................………..p.86
5.2.4. Il faut préciser le symptôme fatigue………………………………………..p.87
5.2.5. Justification du modèle de Damasio…………................…………….……p.88
5.2.6. Existe-t-il une fatigue normale ou pathologique ?........................................p.89
5.2.7. Quel traitement symptomatique envisager pour la fatigue ?........................p.90
5.3. Le problème de l‟automédication………………………………p.92 5.3.1. Historique du café, des amphétamines et autres stimulants …...…………..p.92
5.3.2. Automédication et paradoxe du dopage...………………………………….p.95
5.3.3. Le risque pharmaceutique : exemple des compléments alimentaires……...p.97
5.3.4. Le rôle du médecin…………………………………………………………p.98
5.3.5. Quelle est l‟attente des patients ?................................................................p.100
5.4. Une réflexion éthique obligatoire……………………………..p.102 5.4.1. Nos conditions de vie se sont modifiées..………………………………...p.102
5.4.2. La solitude dans notre organisation sociale….…………………………...p.103
5.4.3. L‟invention de l‟individualité, la fatigue d‟être soi..……………………..p.104
5.4.4. Quelle place réserver à la fatigue ?.………………………………………p.107
5.4.5. Questions éthiques..………………………………………………………p.111
6. Conclusion………………………………………………………………p.115 BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………….p.120
ANNEXES …………………………………………………………………….p.125
10
RESUME……………………………………………………………………….p.136
« Car ce qui est en jeu, c‟est le poids, la pesanteur même de notre pouvoir être, et
non pas notre pouvoir de faire ceci ou cela. N‟en pouvoir plus, c‟est encore une façon de
pouvoir et de se rapporter à son propre pouvoir : c‟est de pouvoir qu‟on en peut plus.
N‟en pouvoir plus n‟est pas du tout identique à ne plus pouvoir. Celui qui ne pourrait plus
du tout en aurait fini aussi avec la fatigue, comme avec la souffrance. » (Jean-Louis
Chrétien, De la fatigue [26])
11
Quelques définitions de la fatigue
La définition retenue par la SSMG (société scientifique de médecine générale) est
celle de Horn (2002) : « la fatigue est une plainte résultant d’un déséquilibre entre ce
qui doit être accompli et ce qui peut l’être» [113]. C‟est sur cette définition que je vais
développer ma thèse. Cette définition ne fait pas forcement l‟unanimité tant la fatigue est
complexe.
La fatigue est un phénomène complexe et subjectif. Son origine est
multifactorielle. C‟est une expérience intime, universelle et extrêmement fréquente
qui est difficilement mesurable objectivement. La fatigue est « la conscience d‟une
capacité diminuée pour une activité physique et/ou mentale due à un déséquilibre dans la
disponibilité, l‟utilisation, ou la restauration des ressources physiologiques ou
psychologiques requises pour exécuter l‟activité » [4]. La fatigue dite « normale » a un
rôle protecteur, permettant d‟éviter les conséquences néfastes d‟un effort excessif :
chute de la force musculaire, incoordination motrice, augmentation du nombre
d‟erreurs...
Le caractère ubiquitaire de la fatigue lui donne immanquablement une dimension
sociale. La fatigue peut être vécue comme une « bonne » ou une « mauvaise » fatigue.
La « bonne » fatigue est « saine » et « naturelle ». Elle est plus que « normale » car elle
chasse la « mauvaise » fatigue. Elle peut être vue comme une récompense suite à un
effort qui coûte mais qui est productif. La notion de « stress » occupe une grande place
dans l‟étiologie de la « mauvaise » fatigue [76].
Elle est également non spécifique. En effet, elle survient dans de nombreuses
pathologies: infectieuse, toxique, cancéreuse, inflammatoire, pathologies endocriniennes
et métaboliques, pathologies du sommeil, dépression, pathologies neurologiques. Dans
de nombreux cas, il existe une association de facteurs étiologiques. On distinguera la
fatigue primaire (en rapport direct avec la cause) et la fatigue secondaire (liée à des
facteurs aggravants).
L‟existence de différents synonymes usuels : manque d‟énergie ou de motivation,
faiblesse, fatigabilité, envie de dormir, lassitude, ennui, anhédonie, aboulie,
épuisement… illustre chacune de ses nombreuses facettes. La fatigue s‟accompagne
d‟irritabilité, d‟impatience, de maladresse…
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Ce phénomène psychophysiologique peut être aigu (défini comme l‟apparition ou
l‟aggravation de la fatigue depuis six semaines ou moins) ou chronique (présente plus de
50 % du temps, pendant plus de six mois). La fatigue aiguë peut être vue comme
l’augmentation du coût neuromusculaire, métabolique ou psychologique, nécessaire
à la réalisation d‟une tâche et/ou l‟impossibilité de réaliser cette tâche. Elle apparaît
lorsqu‟il existe une inadéquation entre la réserve énergétique et le coût énergétique
nécessaire à la réalisation d‟un objectif donné.
La fatigue nerveuse implique toutes les étapes situées en amont de la jonction
neuromusculaire. La fatigue centrale concerne parfois tous les phénomènes
anatomiquement au dessus du bulbe, plus souvent elle englobe la moelle épinière. Des
afférences périphériques interfèrent communément avec les mécanismes supra spinaux.
La fatigue périphérique fait quant à elle référence à l‟altération potentielle de la
propagation neuromusculaire, du couplage excitation-contraction, de la disponibilité
en substrats ou du flux sanguin ainsi qu‟aux modifications possibles du milieu
intracellulaire et de l‟appareil contractile.
L‟installation de la fatigue aiguë est donc complexe et souvent multiple. Il est admis que
son amplitude et ses origines sont spécifiques à l’exercice réalisé. Si aucun des sites
n‟est en général responsable seul des pertes de force, leur implication relative dépend du
type même de fatigue.
La fatigue peut dégénérer en épuisement chronique qui constitue l‟état ultime
dans lequel les sensations de fatigue peuvent persister plusieurs semaines malgré le
repos de l‟individu en question.
La fatigue psychologique peut se traduire par une réduction de la motivation,
de l‟enthousiasme, ou par de l’ennui qui se produit dans les situations telles que l‟effort,
une activité mentale prolongée, l‟inquiétude ou la dépression chronique.
La caractéristique de la fatigue pathologique est d‟être d’emblée, même sans
effort, manifeste, excessive et de ne pas disparaître après le repos. Elle déséquilibre de
façon durable l‟organisme, le privant de récupération. Elle a des conséquences sur la vie
quotidienne.
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1. Introduction
Pour toute personne en bonne santé, la sensation de fatigue s‟accompagne d‟une
envie irrésistible de se reposer. Cette réaction est probablement une précaution devant
l‟excès d‟exercice pouvant provoquer des dommages physiques ou psychologiques, ou
peut-être le moment de réparer et compenser ces mêmes dommages. Quand cette fatigue,
expérimentée par la plupart des personnes, s‟accompagne en effet d‟un repos réparateur
et quand elle se dissipe avec l‟arrivée d‟une énergie nouvelle, elle est considérée comme
normale. Le problème se pose quand la fatigue arrive disproportionnée par rapport au
travail fourni, quand elle ne cède pas avec le repos, et quand accompagnant l‟individu
toute la journée, elle interfère avec ses activités.
Ce symptôme tient une place particulière dans la médecine moderne. C‟est une
expérience intime, universelle et extrêmement fréquente qui est difficilement mesurable
objectivement. Il est également non spécifique. La ressemblance avec la « douleur » est
frappante. La douleur qui annonce comme une alarme la maladie, initie le raisonnement
médical, il faut comprendre pour guérir ce qui fait mal. Mais le traitement symptomatique
avec l‟utilisation en particulier de la morphine n‟a été l‟objet de long débats, que très
tardivement. En 1847, à l‟occasion d‟une séance de l‟Académie des sciences, Magendie
déclare : « Que les gens souffrent plus ou moins, en quoi cela peut-il intéresser
l‟Académie des sciences ? » [46] Ceci semble actuellement inexplicable, à tel point qu‟il
nous est tous arrivé de considérer nos anciennes pratiques comme inacceptables. Le
traitement de la douleur aussi bien aiguë que chronique est aujourd‟hui acquis.
L‟analogie avec la fatigue est-elle possible ? C‟est notre première hypothèse. Ne faut-il
pas initier le débat au plus tôt ?
14
La question de la fatigue bénéficie d‟un intérêt croissant. Les publications
scientifiques ont abondé en 2006 puis 2007, bien plus encore en 2008. Les points de
départ de ces réflexions sont variés et sans aucun doute secondaires à une demande des
patients. Il n‟y a pas pour le moment de consensus sur la définition de la fatigue ce qui
complique terriblement la discussion entre spécialités, acteurs de santé et chercheurs. Elle
a été particulièrement étudiée en médecine du travail afin d‟élaborer le code du travail.
Elle fait l‟objet d‟une recherche approfondie en médecine du sport depuis de nombreuses
années. Elle est une étape indispensable à franchir pour les patients de rééducation. Elle
accompagne inexorablement le malade atteint de sclérose en plaques ou de polyarthrite
rhumatoïde. Elle devient la principale plainte des patients de cancérologie. Il existe bien
quelques traitements contre la fatigue, mais les études évaluant ces traitements sont
rares : les traitements les plus prometteurs sont avant tout des psychotropes. Il est certain
que l‟approche du problème à travers plusieurs modèles enrichit la compréhension du
phénomène « fatigue », mais il n‟existe pas ou très peu de coordination pour ce sujet. Il
est possible aussi que sous le terme « fatigue » se cachent en réalité des phénomènes tout
à fait distincts.
En médecine générale la fatigue est un motif de consultation dans 1.3 %
des cas (soit 65000 consultations par jour en France [63]) et est présente chez 41% des
patients [12], et ce chiffre risque d‟augmenter en raison de la chronicisation de
nombreuses affections. En pédiatrie, le motif de fatigue représente entre 10 et 25% des
consultations [11]. Le généraliste se sent actuellement trop souvent démuni alors que
cette consultation relève entièrement du rôle du médecin traitant [87]. Etant en première
ligne, il est de son devoir de savoir réagir devant une telle plainte. Cette mission est
d‟autant plus difficile que la question de la fatigue soulève le problème du coût pour la
collectivité, un problème majeur d‟éthique et de société, le problème de l‟automédication,
de la drogue et du dopage. Où s‟arrête la fatigue normale, où commence la fatigue
pathologique ? « Commander à la maladie c‟est en connaître les rapports avec l‟état
normal que l‟homme vivant -et aimant la vie- souhaite de restaurer » [18].
15
En premier lieu je souhaite faire le point sur la demande du patient. A l‟aide d‟un
questionnaire, je vais essayer de mieux comprendre l‟attente des malades face à la
fatigue. L‟objectif premier est d‟évaluer la position des sujets interrogés vis-à-vis d‟un
éventuel traitement symptomatique de la fatigue dont nous faisons l‟hypothèse qu‟il sera
psychotrope (deuxième hypothèse).
Il s‟agit ensuite de faire une revue des discussions médicales sur la fatigue, afin de
faire ressortir les principales facettes du phénomène, notamment sur le plan
physiologique et physiopathologique. La discussion a pour objectif de confronter les
résultats de l‟enquête aux résultats de la recherche médicale sur la « fatigue », et aux
réflexions éthiques et sociologiques. Un traitement symptomatique de la fatigue doit-il
être envisagé ?
16
2. Matériel et méthode
1. Enquête d‟opinion
Le premier objectif est l‟étude des représentations de la fatigue par les patients
(malades ou non), de leurs attentes, et de leurs positions face au traitement
symptomatique et plus particulièrement psychotrope. Un questionnaire a été élaboré avec
l‟aide du Docteur Gourarier (psychiatre) et après discussion avec Mlle Segond (en DEA
de sociologie à l‟université Paris VI ) et M. Zalewski (journaliste au journal METRO). Je
me suis référé aux guidelines for the design of on-line questionnaires du NRC (national
research council canada) [77]. Nous avons également suivi les recommandations trouvées
sur le site Internet de l‟Ipsos [111], sur le réseau animafac (réunion d‟associations) [112].
Nous nous sommes reportés au cours de méthodologie de l‟enquête du D.E.A d‟éthique
médicale de la faculté de médecine Necker-Enfants-Malades (Paris V) [37]. Nous
effectuons donc une étude descriptive grâce à une enquête transversale par sondage.
L‟objectif de l‟enquête est de répondre aux questions suivantes :
-Quelle est la limite du normal et du pathologique pour les sondés ? Autrement dit,
quand la fatigue devient-elle une plainte médicale, Y a-t-il une bonne et une
mauvaise fatigue ?
-Existe-t-il une ressemblance avec la douleur ? Faut-il traiter la fatigue avec un
traitement symptomatique ? Dans quelles circonstances ?
-Quelle est la représentation du risque ? Ont-ils une expérience du traitement
psychotrope ? Y a-t-il un risque de dopage ? Peut-il y avoir une perte de liberté ?
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Le questionnaire vise la population générale française sans aucun critère
d‟inclusion. Il n‟y a pas eu de contrôle sur la nationalité ni sur la domiciliation, nous
avons considéré que le questionnaire en français a limité l‟échantillonnage aux
francophones. Les sondés sont recrutés via le réseau Internet auprès de forums de
discussion et de proche en proche, sur la base du volontariat : du 1er novembre 2007 au
30 juin 2008. Nous avons privilégié l‟enquête en ligne pour différentes raisons. D‟abord
pour l‟accessibilité, la facilité d‟utilisation, le bon respect de l‟anonymat et du
volontariat. Le programme utilisé présente les questions conformément aux
recommandations. Il permet également une acquisition et une gestion plus facile d‟une
base de données de qualité.
Afin de palier le biais de recrutement nous avons également proposé le questionnaire en
salle d‟attente d‟un cabinet de médecine générale pendant 2mois (mai-juin 2008) toujours
sur le volontariat, sans entretien ni explication.
Le questionnaire comprend 30 questions. Il est présenté par quelques lignes
volontairement réductrices afin d‟attirer l‟attention de l‟enquêté, et d‟attiser sa curiosité.
Les premières questions ont pour objectif de confirmer le sujet et de situer le patient face
au symptôme "fatigue". La question 13 est une question ouverte pour que la personne
interrogée puisse s‟exprimer sur la fatigue normale et pathologique. Les questions ont été
ordonnées d‟abord pour sensibiliser le lecteur sur la question du traitement psychotrope,
sur le traitement de la douleur, sur la notion de traitement symptomatique et au final pour
recueillir son opinion sur le traitement symptomatique de la fatigue. La dernière question
est ouverte à tout commentaire, avant les remerciements.
Il a été très difficile de réduire le fossé entre les termes médicaux et le langage courant.
Pour interpréter les résultats il est plus facile de faire correspondre les termes du langage
courant à des concepts médicaux. Sachant cela, le risque est important de modeler déjà
dans la question la représentation qu‟a le patient de la « fatigue » et du « traitement
symptomatique ».
18
Ceci est d‟autant plus important à appréhender, que nous avons imposé la ressemblance
avec la douleur dans notre hypothèse de départ. Nous avons jugé judicieux de poser la
question du traitement symptomatique de la fatigue de plusieurs manières différentes,
afin de laisser la liberté d‟incohérence à la personne interrogée. Nous avons estimé
nécessaire de poser la question sur l‟analogie avec la douleur très rapidement afin que la
personne exprime plus spontanément son désaccord.
Nous avons veillé à ce que les questions posées n‟induisent a priori pas de bonne ni de
mauvaise réponse, de telle sorte que la personne sondée ne se sente pas testée. Il n‟y a pas
à craindre de réponse de mise en valeur. Il n‟y a pas de question indiscrète faisant
redouter une réticence à répondre.
Il y a 28 questions à choix multiples et 2 questions ouvertes. La qualité et la quantité
des réponses à ces 2 questions reflèteront le sérieux et la motivation des sondés. 26
questions sont à réponse obligatoire, les 2 questions ouvertes ne le sont pas. Pour les
questions à choix multiples les réponses sont variablement en nombre pair ou impair, afin
de ne pas concentrer les réponses au centre (ne sait pas, peut-être, moyen…). Le
questionnaire est bien sur anonyme. La personne interrogée est libre de quitter l‟enquête à
tout moment. Si le questionnaire n‟est pas mené jusqu‟au bout, les réponses ne seront pas
enregistrées. Le temps pour répondre à l‟enquête est mesuré, il n‟y a pas de durée limite.
Avant sont lancement le questionnaire a été présenté à 6 personnes non initiées afin de
recueillir leurs impressions.
Noter que la question 7 a été ajoutée au questionnaire vers la 200e réponse. Nous avons
perçu l‟importance de cette représentation que secondairement.
Les statistiques ont été effectuées avec l‟aide de Dr. Lévy (hôpital Ambroise Paré) et de
programmes informatiques standards. Une analyse multi-variée, permettrait de distinguer
les facteurs concomitants à la réponse positive ou négative aux questions principales et
ainsi de contourner le biais de recrutement (Q20, Q21, Q26, Q27) : faut-il traiter la
fatigue comme la douleur ? Cette analyse en précision est coûteuse en temps, une
première approche globale est suffisante pour notre argumentation.
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2. Recherche bibliographique
Une recherche sur PubMed a été réalisée entre septembre 2006 et mai 2008 avec les
mots clés : fatigue, asthenia, asthénie, scale, échelle dans un premier temps ; puis en
association avec polyarthrite, sclérose en plaques, parkinson, treatment, cancer,
sleepiness, sleep, physiopathology, méthylphénidate, amphétamines, hypoxemia,
muscle… La nécessité d‟examiner les hypothèses physiopathologiques de la fatigue dans
différentes spécialités médicales, fait que nous avons privilégié les revues d‟articles, et
les articles traitant surtout de la fatigue ressentie par les patients (subjective). La fatigue
objective, souvent mesurée par la force musculaire ou autre méthodes biomécaniques, est
largement représentée dans la littérature. Les articles très spécialisés, rapportant des
expériences très précises, dont les résultats ne sont encore que ponctuels n‟ont pas été lus
dans le détail et seront brièvement exposés. Une sélection d‟articles référencés a
également été analysée.
Nous avons consulté l‟annuaire des thèses de la Bibliothèque Inter-Universitaire
de Médecine.
Une recherche par amazone.fr a été plus fructueuse qu‟en bibliothèque où le mot
clef « fatigue » fait majoritairement référence à des articles de physique des matériaux ou
au syndrome de fatigue chronique (SFC).
Au total il est difficile de dire combien d‟articles traitent exactement du traitement
symptomatique de la fatigue. Les revues d‟articles sur la fatigue son rares. Mais les
publications sur la physiopathologie de la fatigue sont de plus en plus nombreuses car
l‟intérêt pour le vécu des patients sur le plan de la fatigue et en terme de qualité de vie est
en forte croissance. Les essais sur les traitements symptomatiques de la fatigue sont très
rares, ou bien rapportent un effet positif du traitement étiologique sur la fatigue.
En médecine générale seulement 4 thèses soutenues à Paris et à Toulouse ont été retenues
sur le sujet.
Il existe étonnamment très peu d‟ouvrage de vulgarisation sur la fatigue. Le sujet est
certainement traité en partie dans les ouvrages sur le « bien être » qui foisonnent en
librairie.
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Dans les écrits de la littérature française ou étrangère seuls 2 essais philosophiques [26,
62] ont retenu mon attention. Il est clair qu‟une étude approfondie de l‟ensemble de ces
textes permettrait certainement une analyse fine du ressenti parfois très intime de la
fatigue, ainsi que l‟évolution de ses représentations en fonction du niveau social, et dans
le temps. Il existe de nombreux travaux de sociologie, sur la fatigue et le travail, le
dopage, et les addictions, dont je me suis amplement inspiré pour la discussion [44, 46,
70, 75, 76...].
L‟objectif de la recherche bibliographique a été d‟abord de faire le point sur la
physiopathologie de la fatigue. Par quels phénomènes sommes nous fatigués ? La
distinction avec une description des étiologies n‟est pas évidente quand on sait que la
fatigue est polyfactorielle. Nous nous efforcerons de présenter les résultats en restant le
plus près possible du symptôme et du ressenti tout en analysant les différents modèles
que nous fournissent les pathologies. Il n‟y aura donc pas de liste exhaustive des
étiologies de la fatigue ni de démarche diagnostique devant le symptôme. Nous
présenterons les modèles organe par organe pour plus de simplicité, mais il est évident
qu‟il risque d‟y avoir des recoupements, des répétitions, et des inclassables.
Cette étude de la littérature médicale est nécessaire pour mieux comprendre la genèse de
la fatigue, et de son caractère pathologique. La compréhension du pathologique passe
forcément par une définition de la norme suivant les recommandations de Comte [18]. La
physiologie est un moyen inévitable. Mais la probabilité d‟établir une continuité entre la
fatigue normale et pathologique est très grande, et risque de compliquer la présentation.
Sachant cela, nous exposerons sans a priori, indifféremment les modèles de fatigue
normale ou pathologique.
Enfin il s‟agit de justifier aussi la seconde hypothèse : un traitement symptomatique de la
fatigue est un psychotrope. Pour cela je vais essayer d‟intégrer les traitements
actuellement proposés dans notre analyse de la physiologie.
21
La fatigue, un symptôme inquiétant Aux Pays-Bas, Feyen (1994) situe la fatigue à la sixième place dans la liste des
plaintes en médecine générale, même si le patient ne consulte pas nécessairement son
médecin pour ce symptôme. La fatigue se trouve à la 8e place des motifs de consultation
au Canada (Cathébras 1992) [113].
Aux Etats Unis elle est la septième cause de consultation (National ambulatory medical
care survey). Elle représenterait en tant que symptôme isolé 1 à 3 % des motifs de
consultations médicales.
Ses caractéristiques épidémiologiques sont peu connues en France. Des données sont
présentées sur la prévalence de la fatigue dans un échantillon de 3 784 patients consultant
367 médecins généralistes à travers la France (R. FUHRER 1994). Si 41,2% des patients
ont déclaré avoir ressenti au moins un des symptômes de fatigue, on trouve seulement
7,6% qui se sont présentés à leur médecin avec des plaintes de fatigue. Les femmes s'en
plaignent plus souvent, mais elles ne consultent pas plus souvent pour cette raison. Pour
les hommes, l'âge a une très forte association avec la fatigue comme motif de
consultation et comme diagnostic
Dans d‟autres études citées dans la recommandation belge, la prévalence varie entre
6,9 et 30%, généralement aux alentours de 20 %. [113]
P. Cathebras observe dans une consultation de médecine générale hospitalière à Montréal
une prévalence de la fatigue de 13,6 %, la fatigue étant le motif de consultation
prédominant dans 6,7 % des cas.
Malgré les progrès techniques constants de la médecine, une cause pour la fatigue ne
serait mise en évidence que dans 50 % des cas (Feyen 1994). Il est aussi important de
noter que seulement 1% de la population souffrant de fatigue significative s‟inscrit dans
la définition du SFC (0,2 % de la population générale).
D. W. Bates (Brighan and women‟s hosp. Boston) observe que sur une cohorte de 995
patients se présentant à une consultation hospitalière de médecine générale, 27 % se
plaignent d‟une fatigue inhabituelle interférant avec leur mode de vie. Apres l‟examen du
malade et des éléments de son dossier 85 soit 8,5 % ont une fatigue apparemment
inexpliquée.
Les performances du patient fatigue sont diminuées, ses arrêts de travail sont plus
fréquents et plus longs, sa consommation de médicaments est augmentée. D‟une façon ou
d‟une autre, cela se répercute sur l‟entourage et le fonctionnement psychosocial du
patient. Les patients fatigués font deux à trois fois plus appel à des soins médicaux
ambulatoires, reçoivent deux fois plus de prescriptions médicales et sont hospitalisés
deux fois plus souvent [113].
La littérature nous confirme, avec de nombreux exemples, que la fatigue est un mal
incontournable de la médecine du XXIe siècle, toutes spécialités confondues.
22
3. Résultats de l’enquête d’opinion
3.1. L‟échantillon
Nous avons pu réunir 382 réponses : 293 réponses par Internet et 89 par
questionnaire papier dans le cabinet de médecine générale, 173 hommes et 209 femmes.
Toutes les tranches d‟age sont représentées, mais la moitié des réponses correspond aux
25-40 ans. 97% ont entre 18 et 70 ans.
0
20
40
60
80
100
120
140
160
180
200
1 2 3 4 5 6
categorie
age
- 14ans n=1
14-18ans n=6
18-25ans n=70
25-40ans n=197
40-70ans n=103
+70ans n=5
sexe
femmes n=209,
55%
hommes n=173,
45%
n=
23
Sur les 33 catégories professionnelles proposées seulement 4 ne sont pas représentées :
artisans, religieux, ouvriers agricoles et retraités anciens agriculteurs. (Voir Annexe III)
Nous avons obtenu 135 et 191 réponses aux questions ouvertes n°13 et n°30, alors
que la réponse n‟était pas obligatoire. Ceci montre l‟intérêt qu‟ont eu les personnes
interrogées pour le sujet. Nous avons reçu plusieurs commentaires, par mail et à l‟oral
dans le cabinet : tous ont trouvé le sujet très intéressant et se sont sentis concernés par le
problème mais avouent ne pas s‟être posés la question auparavant.
88% de réponses positives à la question n°1 : « je ne sais pas ce qui m‟arrive, mais je suis
fatigué ». Les réponses aux questions ouvertes sont à de rares exceptions près toutes
sérieuses.
Il faut noter que les questionnaires papier ont tous été bien remplis, avec peu de résultats
incomplets.
Il n‟existe pas de lien de corrélation entre les réponses aux questions 6, 8 et 9.
Les réponses aux questions principales ne semblent pas modifiées en fonction de la
réponse à l‟une de ces 3 questions.
Les sportifs non plus, n‟ont pas de réponses différentes à celles des non sportifs. (42,41%
de sportifs.)
Les résultats sont similaires en fonction de mode de réponse (en cabinet ou par Internet).
35 % des personnes interrogées ont déjà consulté pour fatigue.
0
50
100
150
200
250
300
Av ez v ous deja consulte pour une f atigue
inexpliquee?
Pensez-v ous qu'il suf f it d'une bonne nuit
de sommeil reparateur pour corriger la
f atigue?
Av ez-v ous ou un proche a-t-il ete attteint
d'une maladie grav e?
Non
Oui
Q6 Q9 Q8
n=
24
Le temps moyen de réponse sur Internet a été de 9minutes, conformément aux
recommandations, afin de ne pas lasser la personne interrogée.
Quelques personnes ont eu peur de « mal » répondre.
3 personnes ont eu l‟impression que la manière dont les questions étaient posées et
surtout le choix des réponses, orientait leur décision, en particulier pour la question n°29.
Quelques personnes ont été très logiquement perturbées par le terme „céphalées‟.
Le programme informatique n‟a pas fonctionné comme souhaité pour la question
n°24, puisqu‟il a fallu donner une réponse même en répondant non à la question n°23.
Il y a eu une confusion dans les questions n°28 et n°29, les personnes ne devaient
répondre qu‟à une seule des deux, mais la consigne n‟a pas toujours été respectée. Il y a
donc respectivement 319 et 302 réponses : nous proposons un résultat simplement en
additionnant les réponses.
-Pensez vous qu‟une bonne gestion des traitements est possible, avec un minimum d‟effets secondaires, en
respectant l‟attente du patient? Ou craignez-vous de mauvais diagnostics et de graves effets secondaires?
0
20
40
60
80
100
120
140
160
180
200
Q28-29
oui tout à fait, je pense que
c'est possible.
plutot positif
c'est à craindre, mais il faut
poursuivre les recherches
plutot inquiet
tout ceci me semble
extravagant et irrealisable
c'est scandaleux, nous irions
droit dans le mur
sans avis
n=
25
3.2. Résultats des questions n°13 et n°30
Une des questions secondaires était à propos de la limite de la fatigue normale et de
la fatigue pathologique.
-Pour de nombreuses personnes, la fatigue normale cède avec le repos et après une bonne
nuit de sommeil. Elle est due « aux excès en tout genre ».
Elle est normale « quand le moral est bon », qu‟il n‟y a pas de dépression et « qu‟on peut
prendre sur soi. Il est admis qu‟elle est dépendante de la « volonté ». On peut lire parfois
qu‟elle est subjective, et sans cause médicale ou bien claire retrouvée…
55,7% acceptent le critère du repos pour juger la fatigue pathologique (question n°11). En
lisant les réponses à la question n°13 des personnes qui ont dit non, on s‟aperçoit que la
question a été peut-être mal comprise. Le critère du repos est assez largement accepté,
mais pas de manière unanime.
-La fatigue pathologique est automatiquement considérée comme l‟inverse.
Elle résiste au sommeil et au repos, elle se prolonge dans le temps, « touche la totalité du
corps ». Elle « commence dès le matin » ou au moindre effort. Elle est « constante et
invariable », quelque soit l‟instant ou le lieu. Un argument fort est la persistance de la
fatigue en vacances.
Certains insistent sur le fait qu‟elle empêche l‟action, coupe l‟envie, et induit la déprime.
Si la fatigue normale est à cause de l‟excès d‟activité, la fatigue pathologique est la
conséquence d‟une carence d‟apports. Elle est « indépendante de la volonté ».
0
10
20
30
40
50
60
On a l'habitude de dist inguer la
fat igue patho lo gique de la
fat igue no rmale, sur le critere de
la recuperat io n par le repo s.
Est-ce un bo n critere?
On aime dist inguer la fat igue
physique de la fat igue
psycho lo gique. Est-ce un
meilleur critere de def init io n du
no rmal et du patho lo gique?
oui
non, c'est un continuum
non, il doit exister un meilleur
critere
Q11 Q12
%
26
-On retrouve souvent la remarque que « seul le patient peut savoir si ce qu‟il ressent est
normal ou pathologique », que la fatigue devient pathologique « quand elle est considérée
comme un handicap ». Très rares sont les personnes qui considèrent l‟aspect social, et la
bonne adaptation à l‟environnement comme un critère.
Quelques personnes évoquent l‟aspect exogène de la fatigue normale et l‟aspect
endogène du pathologique.
-La question n°12 obtient 37,4% de réponses positives. Faire la distinction entre normal
et pathologique avec les dimensions physique et psychologique prête à confusions. 22%
pensent qu‟il existe un passage progressif vers le pathologique, mais ne rejettent pas le
critère.
-La question n°7 a été ajoutée au cours de l‟enquête : 90,8% des personnes pensent qu‟il
existe une bonne et une mauvaise fatigue.
La dernière question (n°30) avait pour objectif de laisser les personnes s‟exprimer
sur le risque social que représente l‟arrivée d‟un traitement symptomatique contre la
fatigue, avec une pointe d‟humour.
-une vingtaine de personnes n‟a pas compris la question, et a répondu d‟un point
d‟interrogation, mais ceux-ci ne sont pas comptabilisés dans les réponses.
-La très grande majorité des personnes refuse de confondre fatigue et paresse. Pour eux la
question ne se pose pas, le paresseux n‟est pas fatigué et n‟est donc pas candidat au
traitement. « La fatigue n‟a rien à voir avec la paresse. » Ils appellent au respect de la
paresse, ils réagissent fortement car la paresse n‟est pas une maladie, et certains parlent
même d‟« art de vivre » ou simplement de « nature humaine ». Car « la vie n‟est pas le
tour de France, ce n‟est pas une performance ! »
La paresse est très facilement mise en opposition avec la « motivation personnelle».
-Certains pensent que les paresseux resteront des paresseux, résistants et accrochés à leur
« philosophie », d‟autres imaginent bien « qu‟ils n‟auront plus d‟excuses ». « Tant que
les traitements ne seront pas obligatoires, ils garderont leur paresse en toute liberté. »
-Seulement une dizaine de personnes sentent qu‟ils seront « en menace d‟extinction »,
« les chefs moins fatigués, les harcèleront pour qu‟ils se mettent à bosser ! », « ils seront
exclus de la société », « ils seront stigmatisés ».
27
3.3. Réponses aux questions principales
Quelle est la représentation du risque et quelle est l‟expérience des psychotropes ?
A la question n°15, sur l‟efficacité d‟un traitement médicamenteux contre la dépression,
seulement 27% des personnes interrogées ont répondu oui, 47% pensent que non et 26%
sont sans avis.
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Pensez-v ous qu'il est ou sera
possible de traiter la depression
av ec un medicament?
Sav iez-v ous que l'heroine et la
morphine sont deux substances
de la meme f amille?
Sav iez-v ous qu'il existe un
risque important
d'accoutumance et de
dependance aux somnif eres, et
qu'ils peuv ent prov oquer de
grav es accidents chez les
personnes agees?
Pensez-v ous que le traitement
de la f atigue peut ressembler au
dopage sportif ?
Si v ous dev iez consulter un
medecin pour f atigue
inhabituelle et qu'il repondait : "je
ne v ois rien de grav e essay ez
de v ous reposer, je v ous rev ois
dans 2 semaines." Seriez-v ous
satisf ait?
Oui
Non
Sans avis
Q15
Q16
Q22
Q23 Q25
%
28
16,27% (n=62) ont bénéficié d‟un traitement par la morphine et seulement 2 personnes
l‟ont refusé. 80% l‟accepteraient si on leur proposait. 85% des personnes qui savent
que la morphine et l’héroïne sont de la même famille, acceptent ou accepteraient la
prise de morphine.
Pour 92,9% (n=354), le traitement de la douleur est bien entendu un progrès.
93,2% savent que les somnifères peuvent provoquer de graves accidents et exposent
aux risques de dépendance et d’accoutumance.
Enfin 49% des personnes interrogées pensent que le traitement de la fatigue peut
ressembler au dopage sportif. Cela ne modifie en rien leurs réponses aux principales
questions.
195 personnes (51%) pensent qu’on peut craindre des abus, des addictions et de
graves effets secondaires mais qu’il faut poursuivre la recherche pour le traitement
symptomatique de la fatigue. 265 personnes (69,5%) pensent qu‟une bonne gestion de
tels traitements serait possible. Seulement 24 personnes ont exprimé leur désaccord sur
l‟éventualité d‟un traitement symptomatique et 37 leurs inquiétudes.
0102030
405060
708090
100
Le traitement de la
do uleur en general
est- il un pro gres?
A ccepteriez-vo us un
traitement par
mo rphine?
A cceptez-vo us
l'analo gie entre le
traitement de la
do uleur et celui de la
fat igue?
A ctuellement les
pateints de
cancero lo gie se
plaignent davantage
de la fat igue. F aut- il
se battre po ur
so ulager leur fat igue?
oui
non
sans avisQ14 Q18
Q19
Q27
%
29
Faut-il traiter la fatigue avec un traitement symptomatique ?
D’abord il faut observer que 29,92% des personnes acceptent au premier abord
l’analogie entre la fatigue et la douleur. Ce résultat passe à 43,5% pour les
personnes qui ont expérimenté la morphine.
Quand la question est orientée en parallèle avec la douleur et en insistant sur le traitement
étiologique associé (questions n°20) les réponses sont à 48,5% pour le traitement
symptomatique de la fatigue.
Q20
Q27
Q26 Q21
0102030405060708090
100
Doit-on traiter la fatigue
pathologique comme on
traite la douleur d'une
fracture? Il s'agit de soulager
la douleur avec un
medicament et d'en reparer
la cause.
Un traitement symptomatique
a pour objectif de soulager un
symptome sans se
preoccuper de la cause. Il est
parfois utilise dans l'espoir
d'une guerison spontanee.
Faut-il orienter la recherhce
medicale vers un traitement
symptomatique de la fatigue?
Doit-on traiter la fatigue du
lundi matin comme les
cephalees du vendredi soir
ou l'insomnie saisonniere?
Actuellement les patients de
cancerologie se plaignent
davantage de fatigue. Faut-il
se battre pour soulager leur
fatigue?
o ui, exactement
vaguement o ui
pluto t no n
no n, pas d'acco rd
sans avis
%
30
En revanche si le traitement symptomatique n‟est pas associé au traitement étiologique
(question n°26), les réponses positives tombent à 27%. Les réponses aux questions n°20
et 26 sont tout à fait cohérentes, on voit sur le schéma ci-dessous un décalage des
réponses vers le refus, mais presque un tiers des personnes n‟ont pas modifié leur
réponse.
Les questions 20 et 26 avaient été formulées différemment dans le but de tromper la
personne interrogée et de semer la confusion. Il est remarquable que d’une question à
l’autre les personnes soient restées concentrées et n’ont pas brutalement inversé leur
tendance, ou n’ont pas répondu de manière aléatoire.
Quand il s‟agit de traiter la fatigue des patients de cancérologie (question n°27), on
obtient 94% de réponses positives. Et pour la fatigue du lundi matin (question n°21),
il y a 21% de réponses positives.
x=Q26-20
Les réponses aux questions 26 et 20 ont été soustraites pour chaque personne puis le résultat dénombré
sachant que oui exactement est cotée 0 vaguement oui=1 plutôt non=2 non pas du tout = 3 sans avis=4
0
20
40
60
80
100
120
-4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4
n=
31
4. Résultats de la recherche bibliographique
4.1. Le coût énergétique
4.1.1. Le coût énergétique mécanique
L‟insuffisance d‟apports énergétiques : depuis Aristote, nous sommes voués à la
fatigue parce que notre corps passe à l‟acte dans un effort qui toujours a son coût [26].
Une question ce pose, à savoir si les réserves énergétiques en lipides dans les adipocytes
ou en glycogène dans les muscles, peuvent être liés au sentiment de fatigue ? (cf.
myopathies)
Un mois après un AVC la consommation maximale d‟O2 (VO2max) lors d‟un effort
de marche sur tapis roulant en allègement du poids du corps, n‟atteint que 60 % des
valeurs retrouvées pour une population témoin sédentaire équivalente. Cette perte de
puissance semble liée au déconditionnement à l‟effort. Mais les valeurs retrouvées après
six mois n‟atteignent pas celles d‟un groupe témoin sédentaire [27].
Le coût énergétique de la marche du sujet hémiplégique est 1,5 à 2 fois plus important
que celui d‟une marche normale et peut représenter les trois quarts de sa réserve
physiologique. Le coût énergétique des activités de la vie quotidienne chez le sujet
hémiplégique est lui aussi probablement augmenté.
La conjonction de la désadaptation à l‟effort et de l‟augmentation du coût énergétique
aboutit donc à une diminution des capacités fonctionnelles. Autrement dit si chez un sujet
sain la marche soutenue pendant 1 heure coûte 1pomme, elle peut coûter le double chez
le malade et la distance parcourue sera plus petite. Le facteur limitant n‟est certainement
pas le coût à proprement parler mais plus la puissance nécessaire à développer pour
marcher. Nous retrouverons ce problème chez les patients insuffisants respiratoires et/ou
atteints de maladies neuromusculaires.
La notion de coût énergétique fait directement référence à la technique et l‟astuce
biomécanique.
32
4.1.2. Le coût énergétique cognitif
La réserve énergétique et le coût énergétique nécessaires à la réalisation de tâches
cognitives ne sont pas mesurables par la consommation d‟oxygène. Peut-on se fatiguer de
penser ? (Cf. discussion)
Très peu d‟études s‟intéressent à la question du rapport entre la lésion cérébrale en elle-
même et l‟existence de fatigue. Les données de la littérature sont contradictoires. La
réalité d‟une fatigue primitive n‟est donc pour l‟instant pas prouvée [100]. De manière
instinctive, il est séduisant de penser que si la lésion cérébrale a endommagé différents
chemins cognitifs (cartes cérébrales [45]), le recours à d‟autres chemins pour
"contourner" le déficit, serait à l‟origine de fatigue. On peut comprendre que
l‟augmentation de travail pour une tache cognitive peut compliquer simplement la
réalisation simultanée d‟une autre et provoquer un sentiment de fatigue [69].
La notion d‟épuisement des neuromédiateurs est actuellement discutée [60] (cf.
fatigue centrale). On sait de longue date également que la pensée est l‟activité la moins
coûteuse en énergie.
On évoque le « burn out syndrome » qui est issu du vocabulaire aérospatial. Cette notion
exprime le moment où une fusée, après avoir trop rapidement brûlé tout son carburant,
retombe au sol. Cette métaphore persiste et résiste chez les psychologues [44, 46], mais
sa définition exacte reste floue [43]. Les personnes souffrant de « burn out » acceptent
une interprétation psychosomatique de leurs troubles. Il se distingue de la dépression par
sa disparition à l‟arrêt du travail.
4.1.3. le coût énergétique central ; niveau d‟activation centrale
Certains auteurs émettent l‟hypothèse que la déafférentation et la paralysie étendue
peuvent être à l‟origine d‟un dysfonctionnement des systèmes d‟activation réticulaire, des
noyaux de la base et du cortex (cf. syndrome de fatigue post poliomyélitique).
Ceci reste l‟objet de controverses. Cependant, en cas de paralysie partielle, les muscles
doivent travailler à une intensité de contraction maximale pour un résultat fonctionnel
utile. Le contrôle volontaire requiert une augmentation et une focalisation du « sens de
l‟effort ». Il y a donc probablement une activation corticale plus élevée, dirigée vers un
nombre réduit de fibres corticospinales et de motoneurones disponibles au-dessous de la
lésion. Cette élévation continue du « sens de l‟effort » pourrait contribuer au
développement de la fatigue chronique, sans lien obligatoire avec la fatigabilité
intrinsèque des fibres musculaires. On rejoint ici une des explications avancées du
syndrome de fatigue chronique. Ce « sens de l‟effort » peut facilement être confondu à
tort avec la notion de motivation ou de vigilance…
33
Le central activation failure (CAF) traduit la baisse de la contraction musculaire
maximale volontaire (MVC) indépendante des facteurs périphériques. Une secousse
électrique sur un motoneurone provoque une augmentation de la contraction du muscle
au repos comme en MVC. On peut alors calculer le niveau d‟activation central : NA (%)=
[1 Ŕ Amplitude de la secousse surimposée /Amplitude de la secousse au repos] x100.
Après l‟exercice le NA diminue, le CAF augmente [74].
Retenons pour ce paragraphe qu‟il existe peut-être une quantité d‟activité centrale
épuisable. Le CAF est certainement polyfactoriel : il est mesuré aussi bien chez les
patients obèses, chez les patients atteints de SEP (sclérose en plaques), les blessés
médullaires… il est moins évident dans la SLA (sclérose latérale amyotrophique), ou
dans le syndrome de fatigue chronique. [52]
Figure 1 : illustre la mesure de la secousse musculaire au repos puis en contraction
volontaire, suite à une même stimulation du nerf moteur. Il existe une secousse même en
contraction maximale, en début d‟effort : elle traduit le « défaut d‟activation central »
(CAF). Elle augmente avec la durée de l‟exercice ce qui correspond schématiquement à
la fatigue centrale (Cf. figure 2, fatigue centrale.)
34
4.1.4. Ergothérapie, mesures ergonomiques
L‟éducation à la gestion de l‟activité (répartition des tâches, pauses afin d‟éviter
d‟atteindre un niveau trop important de fatigue), la domotique, les aides techniques, les
aides à domicile, l‟adaptation de l‟environnement (au domicile ou sur le lieu de travail)
vont intervenir lorsque la fatigue par son intensité menace l‟autonomie des patients. Il est
nécessaire de s‟assurer que les activités sont effectuées sans «gaspillage d‟énergie» et en
toute sécurité.
Réduire le coût d‟une activité cognitive par exemple passe par des modifications
cognitivo-comportementales, ou simplement l‟organisation. L‟enseignement de
techniques de relaxation peut être un complément utile pour la gestion du stress source de
fortes dépenses d‟énergie. Cette vision généralisée et très largement acceptée de fatigue
par épuisement des ressources énergétiques, a été le moteur de beaucoup de découvertes
technologiques, et surtout a fait le triomphe du management [44].
35
4.2. Fatigue et maladies cardiovasculaires
4.2.1. La baisse du débit cardiaque
C‟est en premier lieu l‟inadaptation des débits cardiaques aux besoins de
l‟organisme que nous évoque la fatigue. Quelle que soit l‟origine de l‟insuffisance
cardiaque, les situations sont complexes, intriquées, et font également intervenir la pré-
ou la post- charge. Ainsi la mesure au repos de la fraction d‟éjection ventriculaire qui est
largement utilisée dans le diagnostic de l‟insuffisance cardiaque n‟est pas corrélée à
l‟incapacité d‟effort [20].
La mesure des échanges gazeux au cours de l‟effort est un témoin plus valide et un
facteur pronostique fort, mais elle ne permet pas de distinguer les composantes centrales
(débit cardiaque) et périphériques (différence artério-veineuse en oxygène) de la chaîne
du transport et de l‟utilisation de l‟oxygène. Certaines mesures non invasives en
développement apportent des informations complémentaires sur les anomalies
hémodynamiques à l‟origine de l‟intolérance à l‟effort : paramètres échocardiographiques
au repos et en fin d‟effort couplés au doppler tissulaire, mesure du débit cardiaque
d‟effort par impédancemétrie thoracique et par réinspiration de gaz inerte.
A la baisse du débit correspond avant tout la baisse du transport en oxygène. Ceci
induit une baisse du métabolisme oxydatif grand producteur d‟ATP. Cette baisse du
transport peut également venir de l‟hémoglobine. Nous n‟entrerons pas dans le détail des
étiologies, mais il faut noter qu‟en cancérologie l‟anémie est une cause indépendante de
la fatigue sans rapport avec la baisse du transport en oxygène [97].
La baisse du débit cardiaque entraîne avec certitude la baisse de transport d‟autres
métabolites/catabolites à l‟origine de la fatigue. Prenons l‟exemple de l‟acide lactique qui
a longtemps été considéré comme l‟agent responsable de la fatigue musculaire. On sait
actuellement que son accumulation dans le muscle traduit le dépassement du
métabolisme aérobie par le métabolisme anaérobie : si l‟acide lactique est produit dans
les muscles striés squelettiques, il peut être rapidement utilisé en aérobie par le muscle
cardiaque par exemple. En cas d‟insuffisance cardiaque, les lactates ne sont pas évacués
des muscles striés squelettiques, et le métabolisme aérobie ne sera pas optimisé.
L‟insuffisant cardiaque accumule d‟autres métabolites et force est de constater qu‟il se
fatigue plus vite que ne le prédit sa fonction cardiaque.
La perte de l‟activité physique entraîne la désadaptation à l‟effort. L‟altération du
métabolisme oxydatif musculaire (cf. fatigue musculaire), avec une acidose prématurée
associée à une déplétion en phosphocréatine au cours de l‟effort et un temps de
resynthèse anormalement long de cette phosphocréatine à la phase de récupération, est
particulièrement marquées au cours de l‟insuffisance cardiaque.
La diminution de l‟activité physique est également contemporaine de la symptomatologie d‟effort (angor,
claudication vasculaire, palpitations, malaises…) : le patient limite son activité de façon à ne pas provoquer
une symptomatologie douloureuse anxiogène.
36
4.2.2. Le réseau artério-veineux
Au cours des maladies cardiovasculaires, une altération de la fonction
endothéliale est à l‟origine d‟une dégradation de l‟adaptation microcirculatoire, comme
l‟altération de la vasodilatation NO dépendante. La conjonction de l‟atteinte musculaire
métabolique et des troubles de la perfusion au cours de l‟insuffisance cardiaque
chronique est plus importante que l‟insuffisance de débit cardiaque dans la pathogénie de
la désadaptation à l‟effort.
Les perturbations neurohormonales, notamment la stimulation des systèmes
nerveux sympathique, rénineŔangiotensineŔaldostérone et arginineŔvasopressine, sont de
plus en plus incriminées dans la pathogénie des maladies cardiovasculaires, en particulier
au cours de l‟insuffisance cardiaque. Elles sont à l‟origine d‟effets délétères multiples qui
vont influer sur la tolérance à l‟effort : vasoconstriction, augmentation des résistances
périphériques, augmentation du volume sanguin, remodelage ventriculaire [20] ; et nous
verrons qu‟elles peuvent être à l‟origine de la fatigue (cf. fatigue humorale).
L‟atteinte respiratoire est fréquente au cours de l‟insuffisance cardiaque sévère,
les anomalies du rapport ventilation/perfusion et de la diffusion alvéolo-capillaire sont à
l‟origine d‟une hyperventilation réflexe délétère. Une dyspnée vient alors aggraver la
fatigue ; elle est le plus souvent corrélée à une augmentation de la pression artérielle
pulmonaire.
L‟insuffisance respiratoire peut être liée à une broncho-pneumopathie chronique
obstructive associée à l‟atteinte cardiovasculaire, les deux affections partageant un
facteur de risque fort, le tabagisme (cf. fatigue et affection pulmonaires).
37
4.2.3. Le reconditionnement à l‟effort : les effets cardiovasculaires
Il a une place particulière car il intervient sur différentes altérations à l‟origine de la
fatigue physique :
Sur la fonction cardiaque : il existe quatre mécanismes du bénéfice apporté par
l‟exercice [20, 28, 65]. L‟action anti-athérogène : les HDL sont augmentés, LDL et
triglycérides diminués, graisse corporelle diminuée, sensibilité à l‟insuline augmentée,
pression artérielle diminuée. L‟action anti-thrombotique est remarquable ! L‟action anti-
ischémique : les besoins en O2 sont diminués, flux coronaires augmentés, capacité
vasodilatatrice augmentée, circulation collatérale augmentée, inversion de la dysfonction
endothéliale. Enfin l‟action anti-arythmique permet d‟augmenter le tonus vagal et de
baisser l‟activité adrénergique.
On a pu démontrer une diminution des résistances périphériques par réduction de la
dysfonction endothéliale avec une meilleure perfusion musculaire. Elle participe avec la
réactivation de la vasodilatation NO dépendante [97] à l‟amélioration des performances
aérobies.
Il y a une amélioration des capacités respiratoires avec amélioration de la diffusion
alvéolo-capillaire, participant à la régression de la dyspnée.
L‟augmentation des capacités aérobies maximales : augmentation des performances
oxydatives enzymatiques (cf. fatigue musculaire) et de la densité capillaire au niveau des
fibres musculaires striées. La répercussion chez les patients coronariens est remarquable,
également au cours de l‟artériopathie oblitérante des membres inférieurs.
Chez la personne âgée le déclin cardiovasculaire est inexorable, linéaire. Les myocytes
diminuent en nombre mais augmentent en taille par infiltration de calcium, collagène,
graisse, fibrose, amylose. À 75 ans, ne survit que 10 % du stock des cellules sinusales.
Mais la baisse de la VO2max, d‟environ 10 % par décennie, est secondaire plus à la
détérioration périphérique que cardiaque. Ici réside le secret de l‟énorme bénéfice
d‟activités physiques régulièrement entretenues [28]. À 85 ans, une VO2 de 18
mL/min/kg chez l‟homme, 15 chez la femme est un garant d‟autonomie, soit un « gain »
en qualité de vie chiffrable de 10 à 20 ans.
Les pathologies métaboliques associées aux maladies cardiovasculaires
(dyslipidémies, diabète, obésité) viennent aggraver l‟intolérance à l‟effort,
l‟insulinorésistance étant particulièrement impliquée dans le déconditionnement
musculaire au cours de l‟insuffisance cardiaque [88]. Alors que l‟effet bénéfique de
l‟activité sportive sur ses facteurs est clairement démontré [65].
Ces effets du reconditionnement à l‟effort se traduisent par un recul du seuil de fatigue.
38
4.3. Fatigue et affections pulmonaires
4.3.1. Distinguer entre fatigue et dyspnée
La fatigue est un symptôme extrêmement fréquent dans les affections respiratoires.
Dans les pathologies obstructives chroniques elle est retrouvée chez plus de 90 % des
patients. Elle est présente dans les pathologies restrictives quelle que soit l‟origine.
L‟analyse de la fatigue est encore plus difficile chez les patients de pneumologie. Il
faut dans un premier temps la distinguer d‟une dyspnée qui peut être associée : difficulté
à respirer, s‟accompagnant d‟une sensation de gène ou d‟oppression.
Il apparaît difficile aux patients de faire la distinction entre l‟impression de fatigue et la
dyspnée. Elles sont dans l‟expérience individuelle souvent accompagnées l‟une par
l‟autre, aussi désagréables l‟une que l‟autre. A tel point qu‟elles peuvent engendrer une
véritable « peur » de l‟effort. La fatigue perçue limite le maintien d‟une activité ou
empêche son initiation, par un phénomène d‟anticipation du désagrément susceptible
d‟être provoqué par cette activité. Il existe bien une relation entre ces deux symptômes,
mais qui n‟est pas parallèle.
Dans le cas d‟une pathologie induisant une fatigue par elle-même, en même temps
qu‟un déficit respiratoire, il est difficile de faire la part, au point de vue de la perte
d‟autonomie fonctionnelle, entre ce qui est dû à l‟affection elle-même et ce qui est dû au
déficit respiratoire entraîné par cette affection. La dyspnée étant le facteur limitant le plus
fréquent à l‟effort avec la douleur musculaire.
39
4.3.2. Fatigue des muscles respiratoires
Une des sources possibles de fatigue dans les maladies respiratoires est l‟excès de
travail des muscles respiratoires qui se traduit par la diminution des performances de la
ventilation. Elle est le plus souvent liée au surcroît de travail imposé par l‟excès de
résistances. Celles-ci sont constituées par le contenant (cage thoracique) et le contenu
(arbre broncho-pulmonaire).
L‟enraidissement de la cage thoracique est visible dans les déformations thoraciques
(scolioses, cyphose…) et les affections neurologiques et musculaires. Dans l‟emphysème,
ce mécanisme ne peut être évoqué que pour le temps expiratoire. Ces résistances
pariétales peuvent être aussi augmentées par l‟excès de masse abdominale et la distension
gazeuse digestive. Les déformations thoraciques et l‟hyperinflation dynamique, que l‟on
retrouve dans l‟emphysème (pression positive en fin d‟expiration ou PEEPi), modifient la
position du diaphragme et diminuent ses performances.
L‟excès de résistance broncho-pulmonaire est créé par le bronchospasme, la
diminution du calibre bronchique, l‟encombrement bronchique, l‟hyperinflation avec
compression des bronches à l‟expiration. (Enfin, l‟excès de travail des muscles
respiratoires peut également être en rapport avec la dysharmonie du jeu musculaire par
altération de la commande nerveuse et/ou atteinte de la cage thoracique.)
C‟est le diaphragme qui est concerné avant tout par cet excès de travail et le siège
principal de la fatigue physique respiratoire. Les muscles inspirateurs accessoires sont
également touchés puisqu‟ils sont mis en jeu, par compensation, non seulement à l‟effort,
mais aussi au repos (cf. fatigue musculaire). La faiblesse diaphragmatique auto entretient
sa propre fatigue. La baisse du volume courant augmente l‟espace mort relatif et majore
le travail du diaphragme. Quant aux muscles expirateurs, importants notamment pour
lutter contre l‟hyperinflation, ils sont les moins endurants.
La suractivité des muscles respiratoires augmente leur consommation d‟oxygène.
Elle aggrave le déséquilibre entre dépenses et apports puisque leur consommation propre
d‟oxygène peut alors atteindre, au repos, jusqu‟à 50 % de la consommation d‟oxygène
corporelle totale, au détriment de la distribution périphérique.
Il existe donc une compétition entre les muscles respiratoires, déjà surconsommateurs
d‟oxygène au repos, et les muscles périphériques.
De récentes études mettent en évidence une « myopathie » chez les patients BPCO
(broncho-pneumopathie chronique obstructive). Plus que par le déconditionnement à
l‟effort, on a pu décrire l‟augmentation de la part de fibres de type II dans le muscle et
surtout une amyotrophie supérieure à celle des témoins sédentaires. Il y également une
baisse des concentrations d‟enzymes de l‟oxydation. Ces transformations affectent aussi
les muscles respirateurs, augmentent la sensation de dyspnée et donc la sensation de
fatigue…
40
4.3.3. hypoxémie et fatigue.
L‟apport d‟oxygène et l‟expulsion du CO2 instinctivement sont les premières
conditions pour éviter la fatigue et assurer l‟endurance.
Dans la SEP chez des patients marchant, mais ne se plaignant pas de dyspnée, une
hypercapnie et une hypoxie ont été retrouvées, mais sans corrélation avec la sensation de
fatigue, ni la diminution du périmètre de marche. Si l‟importance de l‟oxygène dans la
contraction musculaire est largement étudiée, nous n‟avons trouvé aucun article traitant
du rôle de l‟hypoxie sur le sentiment même de fatigue. L‟élévation de la PaCO2 n‟est pas
prédictive d‟une fatigabilité augmentée.
La baisse de la ventilation centrale
Un facteur d‟aggravation supplémentaire du déficit d‟apport en oxygène sont les troubles
du contrôle nerveux de la ventilation, qui existent même dans les affections purement
respiratoires. Par exemple, dans la BPCO, la fatigue centrale serait secondaire à la fatigue
musculaire périphérique qui induirait une diminution d‟excitation centrale, réduisant la
fréquence et l‟amplitude du diaphragme, destinée à protéger le diaphragme.
L‟atteinte diaphragmatique est source d‟hypoventilation nocturne, elle-même facteur de
fatigue diurne. L‟accent est mis sur la recherche d‟un SAS -dont on pense qu‟il est cause
de fatigue, en réalité surtout de somnolence- dans les atteintes neurologiques centrales.
La baisse de la ventilation mécanique
La part de l‟atteinte ventilatoire dans la fatigue et le déficit fonctionnel général est
souvent sous-estimée, en clinique courante, lorsque le déficit respiratoire n‟est pas
manifeste [15].
Les abdominaux, insuffisants, ne jouent plus leur rôle de contre appui pour le diaphragme
dans l‟inspiration d‟effort, ce qui diminue l‟expansion thoracique.
Un renforcement électif des inspirateurs et expirateurs améliore la pression inspiratoire
maximale et la pression expiratoire maximale. Les techniques de renforcement analytique
de ces muscles ou d‟endurance (travail avec charge inspiratoire résistive instrumentale
par exemple), sont bien connues et largement pratiquées dans la BPCO. La rééducation
respiratoire améliore grandement la fatigue, la dyspnée, la qualité de la vie et l‟auto-prise
en charge du patient, alors même que l‟amélioration des capacités d‟exercice physique est
modeste.
Echange alvéolo-capillaire
Nous n‟avons pas trouvé d‟étude traitant de la répercussion des troubles de diffusion de
l‟oxygène, sur la fatigue.
Hémodynamique
La fatigue est un signe plutôt tardif dans l‟hypertension artérielle pulmonaire. Il est
difficile de prétendre établir une relation avec les phénomènes pathologiques, ceux-ci
sont particulièrement compliqués dans ce contexte.
41
4.3.4. conclusion
La fatigue, sensation d‟autant plus désagréable qu‟elle s‟accompagne de dyspnée,
entraîne une restriction des activités physiques, qui fait entrer le patient dans la spirale du
déconditionnement à l‟effort. La fatigue freine les performances physiques
principalement en diminuant le plaisir et la motivation. Elle peut engendrer une véritable
« peur » de l‟effort. La douleur également participe à la kinésiophobie. Elle est
classiquement mise en évidence chez les fibromyalgiques. On assiste à un véritable cercle
vicieux. L‟état de fatigue des personnes atteintes de PR (polyarthrite rhumatoïde)
s‟améliore par la pratique d‟activités aérobies d‟intensité modérée. La sensation
subjective d‟effort perçue après une séance d‟entraînement diminue chez les patients qui
participent régulièrement à un entraînement aérobie d‟intensité modérée [81].
Pour le pneumologue, l‟exercice physique n‟apporte que peu de bénéfices directs.
La diminution de l‟activité physique aggrave l‟encombrement broncho-pulmonaire, la
perte de compliance thoracique et l‟hypoxie. Et il est probable que l‟inactivité de ces
patients conduise à l‟irréversibilité de l‟insuffisance respiratoire. La prise en charge de la
fatigue est donc centrée sur : le traitement de la cause, la diminution du travail
respiratoire, l‟optimisation de principe de l‟oxygénation des tissus, et enfin le
reconditionnement à l‟effort.
4.4. Fatigue musculaire Le muscle est un transformateur d‟énergie, convertissant une énergie chimique en énergie
mécanique et thermique. La fatigue musculaire peut être définie par une diminution de la
performance mécanique. Ceci est perçu par l‟individu. La fatigue peut également être
mesurée comme un retard à la réponse musculaire.
Dans ce chapitre je ne considérerai pas la plaque motrice ni toutes les étapes en amont
comme causes de fatigue musculaire (afin de respecter notre classification).
Avant les années 1970, les notions d‟épuisement des substrats, d‟accumulation de
substances inhibantes ou la rupture d‟un maillon prévalaient, pour expliquer la fatigue
musculaire. Dans les années 1980 le phénomène est perçu comme multiparamétrique et
réversible avec une vitesse et un délai variables. Les années 1990 ont renforcé la notion
de forte plasticité musculaire, de systèmes progressifs de protection, d‟économie et
d‟optimisation, et très récemment de microenvironnements [96]. Les deux processus que
sont la transmission du signal moteur et la chaîne métabolique énergétique se superposent
largement et agissent l‟un sur l‟autre [96].
42
4.4.1. Fatigue musculaire à l‟effort
Baisse de la stimulation :
À la périphérie, l‟activité électrique de la membrane de surface est le premier site de
défaillance possible : pendant les stimulations de haute fréquence, le flux de potassium
vers l‟extérieur de la cellule est important et, sa concentration extracellulaire peut
localement s‟élever jusqu‟à 9 mmol/l. Il s‟ensuit une dépolarisation partielle de la
membrane musculaire dont le potentiel peut passer de Ŕ80 à Ŕ40 mV. Cette dépolarisation
conduit à une inactivation des canaux sodiques : il s‟ensuit un blocage de la génération du
potentiel d‟action ou au moins une amplitude et une vitesse de propagation réduites le
long des tubules T. Les modifications de l‟onde M mesurées à l‟électromyographie de
surface sont le reflet de ce phénomène [74].
La contraction elle-même va engendrer un rétrocontrôle négatif en différents points [15],
ainsi les contractions musculaires fatigantes s‟accompagnent d‟une diminution de la
fréquence de décharge des motoneurones. La réponse biomécanique d‟un muscle stimulé
de façon répétée évolue en fonction de la fréquence et de la durée de la stimulation.
Baisse de l‟ATP :
Il a été mesuré une baisse du taux d‟ATP chez les patients insuffisants rénaux chroniques,
corrélée avec la plainte de fatigue. Chez les patients de cancérologie, les taux d‟ATP
musculaire sont particulièrement bas en cas d‟anorexie et de cachexie et sont fortement
liés au sentiment de fatigue. Quelques essais de traitement par ATP ou NADH ont été
satisfaisants.
L‟épuisement énergétique peut être la conséquence soit d‟un épuisement des ressources
(exercice exténuant), soit d‟une erreur dans la composition du mélange (glycogénoses et
myopathies lipidiques), d‟une incapacité des mitochondries à débiter le carburant
(myopathies mitochondriales), voire d‟une difficulté à réapprovisionner la cellule en
carburant neuf, suite à un défaut dans le système de vidange du carburant en partie
consommé (AMP) (déficit en myoadénylate désaminase). On peut retrouver à chaque
étape de la chaîne énergétique un déficit enzymatique à l‟origine de la pathologie.
Chez le sujet sain la cellule musculaire maintient à tout prix un rapport ATP/ADP assez
haut pour pouvoir utiliser l‟énergie libre de l‟ATP. Ce qui fait qu‟au cours de l‟exercice
la concentration d‟ATP baisse peu. Lors d‟une contraction soutenue, la phosphocréatine
s‟effondre dans les 15 premières secondes en même temps que s‟élève le phosphate
inorganique (Pi). Mais dans les fibres les plus rapides, l‟ATP diminue de façon
importante. Comme l‟ATP est à 90 % sous forme de MgŔATP, son hydrolyse provoque
une augmentation du Mg2+.
Pour des efforts plus longs la diminution des réserves en glycogène musculaire joue un
rôle à la fois sur la poursuite de l‟exercice mené jusqu‟à l‟épuisement et sur la fatigue
chronique résultant d‟un entraînement intense. Pour des efforts très prolongés la baisse
des réserves en glycogène stimule l‟utilisation d‟autres sources de substrats dont les
acides aminés ou la mise en jeu du cycle des purines nucléotides. Il en résulte une
augmentation de l‟ammoniaque qui est un autre facteur de la fatigue musculaire. Cette
augmentation de l‟ammoniaque stimule l‟uréogenèse hépatique et la production d‟acide
urique [23].
43
Baisse du calcium disponible :
Avec la fatigue, moins de calcium est libéré ce qui limite le nombre de liaisons actineŔ
myosine formées. L‟élévation du Mg2+ a un effet inhibiteur sur la libération du calcium.
À très faible concentration d‟ATP, la libération du calcium est inhibée. C‟est en fait
l‟association d‟une élévation du Mg2+ et d‟une diminution de l‟ATP et du blocage des
potentiels d‟action qui semble être le facteur inhibant in vivo la libération de calcium.
La baisse du taux d‟ATP permettrait au phosphate inorganique de rentrer dans le
réticulum où il précipiterait en phosphate de calcium, réduisant la quantité de calcium
disponible. Et l‟accumulation intramitochondriale de calcium diminue la capacité de
régénération de l‟ATP.
L‟acidose et l‟hyperammoniémie :
Sur le plan métabolique les changements les plus souvent évoqués sont la baisse du pH et
l‟augmentation du lactate intracellulaire. Cependant, ces variations ne peuvent tout
expliquer puisque les patients atteints de Mc Ardle (qui n‟ont pas de métabolisme
anaérobie) ne sont pas soumis à ces variations mais voient très rapidement apparaître la
fatigue. C‟est en fait probablement une association de petites variations métaboliques
intracellulaires qui pourrait expliquer la fatigue. Les auteurs s‟accordent pour dire que
l‟acidose a une action indirecte sur la fatigue [96].
L‟accumulation de protons limite l‟activité de la pompe Na/K, réduit la probabilité
d‟ouverture des canaux calciques du réticulum sarcoplasmique, gène le recaptage actif du
calcium par le reticulum endoplasmique, diminue le nombre de ponts actine-myosine et
la force de leur liaison, abaisse l‟affinité de la troponine pour l‟ion calcique. L‟ion H+
inhibe l‟enzyme phosphofructokinase et donc le déroulement de la glycolyse.
L‟augmentation du pH est dépendante de l‟efficacité des systèmes tampons, qui restent
peu étudiés (les Pi biprotoniques semblent corrélés à l‟épuisement musculaire). Le
muscle produit de l‟ammoniac à partir de 1‟AMP. L‟ammoniac capte un ion H+ pour
former de l‟ammonium et retarde ainsi l‟acidose musculaire et la fatigue. Cette
production dépend du fonctionnement de deux enzymes, l‟AMP phosphatase et l‟AMP
désaminase, dont le ratio varie selon la capacité oxydative du muscle. L‟accumulation
intracellulaire d‟ammonium* va stimuler la glycolyse, tout en bloquant l‟utilisation
aérobic du pyruvate, mais aussi son recyclage vers la néoglucogenèse. Ceci entraîne une
déviation du métabolisme énergétique vers la formation quasi exclusive de lactates
aboutissant à une véritable impasse métabolique. (Cf. également fatigue centrale et
système GABAergique)
L‟entraînement en endurance améliore le métabolisme oxydatif et réduit les effets
délétères de l‟acidose.
*L‟ammonium est transformé en urée par le foie. Ce mécanisme de détoxication est consommateur de
bicarbonates. L‟élimination de l‟ammonium entretient donc l‟acidose.
44
Réduction des ponts actine-myosine :
Le ralentissement de la réponse musculaire traduit une altération du fonctionnement des
ponts actineŔmyosine. Noter aussi que les fibres rapides sont plus grosses que les fibres
lentes ; leurs besoins métaboliques sont plus élevés et elles sont donc plus sensibles à la
fatigue.
La décroissance de la tension mécanique du muscle au cours de la fatigue est liée à une
diminution des ponts actineŔmyosine par diminution des réserves en ATP, en
phosphocréatine et en calcium.
L‟épuisement musculaire se traduit cliniquement par l‟apparition de crampes, une perte
de l‟activité électromyographique, et la libération d‟enzymes musculaires dans le sang.
Altération de la fibre musculaire :
La diminution du stock énergétique cellulaire altère le fonctionnement des canaux
membranaires. Le sodium intracellulaire s‟accumule, à l‟origine de l‟œdème des fibres
musculaires. Des enzymes comme la phospholipase A2 altèrent par ailleurs les
membranes cellulaires, ce qui augmente leur perméabilité.
Des modifications de la fibre musculaire apparaissent. Les lésions initiales surviennent au
niveau de l‟appareil contractile avec désintégration des myofibrilles, puis surviennent
l‟altération du cytosquelette et des anomalies du réticulum sarcoplasmique, enfin, une
nécrose des fibres et une réponse inflammatoire. L‟œdème des fibres musculaires peut
augmenter la pression sur les tissus de voisinage et provoquer des troubles de la
microcirculation. Ce qui majore les anomalies métaboliques, induit la libération de
radicaux libres et active des enzymes protéolytiques, aggravant les lésions musculaires
histologiques et la désintégration des myofibrilles.
Au cours de certains efforts, pendant lesquels la force développée est intense, se produit
une ischémie musculaire partielle ou complète, en partie liée à l‟augmentation de
pression intramusculaire.
Il a été démontré que faiblesse musculaire entraîne inévitablement une fatigabilité
accrue. Il est établi que toute fatigue musculaire doit se traduire par une faiblesse
mesurable, ce qui n‟est absolument pas évident… (cf. discussion). Enfin la faiblesse
musculaire -qui peut être d‟origine périphérique ou centrale- peut ne pas être
accompagnée du sentiment de fatigue, alors que la fatigue musculaire l‟est…
Au total, il reste beaucoup de mécanismes à explorer pour comprendre totalement les
phénomènes qui président à l‟apparition de la fatigue [69]. On a observé par exemple des
modifications du système nerveux central chez des patients atteints de myodystrophies,
sans que le lien avec la fatigue ne soit bien établi [98].
45
4.4.2. Asthénie per et post infectieuse
L‟asthénie post infectieuse est d‟origine multifactorielle : multiplication du virus
dans le muscle, en détournant à son profit le métabolisme musculaire ; persistance virale
au ralenti (rétrovirus, herpes virus...), action des endotoxines bactériennes sur les cellules
et libération massive de cytokines nocives pour le muscle. Et ces différentes anomalies
sont à l‟origine d‟une acidose musculaire intracellulaire et d‟une hyperammoniémie
responsables d‟un dérèglement de l‟équilibre métabolique, véritable cercle vicieux qui
bloque les systèmes producteurs d‟énergie et d‟élimination des déchets métaboliques. Les
physiopathologies de l‟asthénie postinfectieuse et de la fatigue musculaire lors de l‟effort
physique intense présentent de nombreux points communs. [25]
Les cytokines libérées par les macrophages au cours des processus infectieux
stimulent le catabolisme des protéines musculaires et sont impliquées dans le
déclenchement de la fièvre, de l‟anorexie (cf. infra). L‟importance du catabolisme
musculaire est étroitement corrélée à l‟importance et à la durée de la fièvre. Chez les
sujets infectés, la biopsie musculaire montre des lésions aspécifiques mineures. Ceci se
traduit cliniquement par une diminution de la capacité à l‟effort.
Si l‟augmentation de la température dans le muscle s‟accompagne d‟une meilleure
performance, hyperthermie de tout le corps s‟oppose à la bonne extraction de l‟oxygène
par les muscles [85].
Se surajoutent le catabolisme des protéines du muscle cardiaque et les anomalies
circulatoires qui sont générées par l‟alitement. Ces constatations sont reproductibles,
qu‟il s‟agisse d‟une infection d‟origine virale, fréquente, comme la grippe, d‟une
infection bactérienne ou parasitaire comme le paludisme.
L‟hypothèse d‟une action plus ciblée de l‟agent infectieux est peu probable, compte
tenu des observations dans le SFC. De nombreux agents ont été retrouvés : Epstein-Barr
virus (EBV), cytomegalovirus, parvovirus B19, Brucellae, Toxoplasma gondii, C.
burnetii, C. pneumoniae, human herpes virus-6(HHV-6), groupe B coxsackie virus
(CVB), human T cell leukaemia virus II-like virus, spumavirus, entrovirus, hepatitis C
virus, human lentiviruses et l‟herpes virus-7 [40]. On peut donc penser que la fatigue est
fortement liée a la réponse immunitaire (cf. réponse immunitaire). La question se pose
éventuellement pour les virus plus agressifs à l‟origine d‟infections chroniques tels VZV,
HBV, HCV, et surtout HIV.
On peut retenir toutefois que l‟activité RNase a été retrouvée corrélée à la gravité clinique
de certains patients SFC et que l‟amélioration des symptômes s‟accompagnerait d‟une
normalisation de l‟activité enzymatique.
La maladie du sommeil, provoquée par une piqûre de la mouche Tsé-tsé, est une
parasitose, trypanosomiase humaine africaine. Comme son nom l‟indique, elle concerne
plus des troubles de la vigilance et du cycle veille sommeil que la fatigue.
46
4.4.3. Myopathies
Les myopathies inflammatoires comprennent les dermatomyosites, les polymyosites
les myosites granulomateuses, la myofasciite à macrophages et les fasciites
hyperéosinophiliques (maladie de Shulman, sclérodermie profonde, panniculite lupique,
borréliose, etc.). Le tableau comprend douleurs et faiblesses musculaires, et syndrome
inflammatoire biologique. La fatigue n‟est qu‟au second plan.
Les myosites à inclusions, la myopathie facio-scapulo-humérale, la maladie de
Duchenne et le déficit en dysferline comportent des signes d‟inflammation musculaire
histologiques, mais non biologiques. Les observations physiopathologiques renvoient le
débat sur la résistance à la fatigue non pas à une stratégie d‟économie énergétique, mais à
une notion de tolérance tissulaire à la contrainte mécanique de l‟effort.
4.4.4. Bénéfices de l‟exercice physique
L‟exercice physique a très souvent démontré son action bénéfique sur la fatigue [53].
Fait largement décrit dans la littérature, l‟arrêt des activités physiques s‟accompagne
d‟une modification progressive des fibres musculaires. En plus de l‟amyotrophie, parfois
très rapide, les fibres de types I dites lentes laissent leur place aux fibres de type II dites
rapides. Les premières, riches en enzymes oxydatives sont peu fatigables, les secondes au
contraire sont rapidement fatigables [65].
Ce phénomène est observé dans de nombreuses situations : aussi bien en cas de lésion
médullaire, que dans la fibromyalgie, en passant par l‟insuffisance cardiaque et
respiratoire ou les affection neuromusculaires.
On observe également dans le muscle inactif la présence de mitochondries
hypotrophiques, une réduction des enzymes oxydatives, un ratio abaissé des fibres
musculaires et des capillaires, et une réduction du débit sanguin [3].
Inversement l‟entraînement permet l‟accroissement de la densité capillaire et
mitochondriale, l‟élévation parallèle des enzymes oxydatives et de la myoglobine
facilitant ainsi la diffusion de l‟oxygène vers le compartiment cytoplasmique [80].
L‟entraînement normal, même à haut niveau ne modifie pas les secrétions
hormonales, de manière prolongée, c'est-à-dire moins de 12h. Des dosages anormaux
signent une pathologie ou des apports exogènes. [cours DESC Pr. Martine Duclos] (Cf.
fatigue hormonale).
La sécrétion d‟endorphines survient au-delà du seuil aérobie ou lors d‟efforts dépassant
60 minutes, mais qui pourrait se manifester lors d‟exercices moins intenses pratiqués par
des personnes particulièrement déconditionnées. De là découle l‟augmentation du seuil
de sensibilité douloureuse.
47
4.5. Fatigue et affections neuromusculaires
La «fatigue» figure parmi les symptômes primitifs les plus fréquemment revendiqués lors
d‟une première consultation neuromusculaire alors même que son origine reste très
diversifiée et souvent mal comprise.
Lorsqu‟un patient fait état de son aptitude physique, le plus souvent il évoque davantage
une limitation par la fatigue plutôt que par le déficit moteur lui-même (idem maladie de
parkinson ou AVC). Les patients atteints de maladies neuromusculaires sont des sujets
par définition très sédentaires et déconditionnés à l‟effort. Or un muscle affaibli par la
maladie neuromusculaire, travaille à l‟occasion des diverses tâches de la vie quotidienne
nécessairement à un pourcentage plus élevé de sa force maximale volontaire que le même
muscle d‟un individu valide (cf. coût énergétique).
4.5.1. La sclérose latérale amyotrophique :
C‟est une maladie dégénérative d‟étiologie inconnue aboutissant à une mort
prématurée du motoneurone central et périphérique. Les patients SLA rapportent une
fatigue indépendamment de leur force physique ou de leurs capacités physiques. Même si
la jonction neuromusculaire n‟apparaît pas affectée, il y a une moindre activation
musculaire par rapport aux contrôles. Le problème est complexifié par l‟atteinte du
motoneurone central, lui aussi responsable de mauvaises performances chez les patients.
4.5.2. Le syndrome post poliomyélitique (SPP)
Après la destruction du motoneurone périphérique par le virus dans la corne
antérieure de la moelle et apparition d‟un déficit moteur, les patients connaissent une
phase de récupération correspondant à la réinnervation distale à partir des motoneurones
sains avec néoformation d‟unités motrices géantes. Après une longue période de stabilité
clinique pouvant durer plusieurs dizaines d‟années (médiane 25 ans), le SPP fait son
apparition correspondant à la négativation de la balance entre les processus de
dénervation et de réinnervation [107]. Ce phénomène semble similaire à celui observé
chez les patients ayant une lésion médullaire. Les muscles innervés par les myotomes
lésionnels sont le siège d‟une atrophie neurogène irréversible, et peuvent bénéficier d‟une
certaine repousse axonale. La préservation de ces muscles détermine largement les
capacités fonctionnelles restantes, mais ils deviennent vulnérables [3].
La fatigue rencontrée chez les patients SPP pourrait correspondre en partie à une
altération de la fonction des jonctions neuromusculaires néoformées (cf. myasthénie).
D‟autres auteurs proposent que la fatigue des patients SPP dépende d‟une atteinte de la
substance réticulée activatrice dans le tronc cérébral à l‟occasion de la phase initiale de la
maladie. Une atteinte centrale avec défaut d‟activation motrice a aussi été discutée et
sous-tendue par la mise en évidence au sein d‟un groupe de 22 patients SPP de lésions
IRM encéphaliques (cf. fatigue centrale)
48
4.5.3. Les neuropathies périphériques dysimmunes
Elles sont représentées principalement par la polyradiculonévrite aiguë ou syndrome de
Guillain-Barré (SGB) et la polyradiculonévrite chronique (PRNC). La fatigue n‟est
encore une fois pas corrélée au manque de force ou à l‟existence de troubles sensitifs
puisqu‟elle est aussi retrouvée chez plus de 80 % des patients sans déficit sensitivomoteur
[53, 107]. Pour certains, la fatigue rencontrée chez ces patients pourrait correspondre au
contexte de maladie chronique responsable d‟un déconditionnement physique. Ainsi une
prise en charge de rééducation structurée a pu être proposée chez ces patients. Les auteurs
ont observé une diminution de 20 % des scores de fatigue et une amélioration des
échelles de qualité de vie.
4.5.4. La neuropathie sensitivomotrice de Charcot-Marie-Tooth (CMT)
La fatigue des patients CMT est connue de longue date. La physiopathologie de la fatigue
des patients CMT n‟est pas claire. Au cours de cette neuropathie, une atteinte axonale qui
fait le lit du déficit moteur peut s‟installer soit précocement dans les formes axonales soit
secondairement dans les formes démyélinisantes. En étudiant la force des muscles de la
main chez des patients CMT on met en évidence des performances inférieures pour la
main dominante ce qui diffère complètement des témoins. Les auteurs mettent ces
résultats sur le compte d‟une aggravation des lésions du fait d‟une sur-utilisation. Or
comme dans nombre d‟autres maladies neuromusculaires un déconditionnement
musculaire est avancé chez les patients CMT. La mise en place de programmes de
réentraînement chez ces patients a montré que dans la mesure où l‟exercice proposé reste
d‟intensité moyenne et respecte les déficits, les patients améliorent leurs performances
motrices.
4.5.5. Les maladies de la jonction neuromusculaire
La fatigabilité du patient est au centre du problème puisqu‟elle est le maître symptôme
qui conduit au diagnostic. La myasthénie auto-immune est l‟entité la plus fréquente mais
il existe aussi des myasthénies congénitales, le syndrome de Lambert-Eaton ou le
botulisme.
Ces pathologies conduisent à une contraction musculaire diminuée. La situation d‟effort
musculaire augmente le phénomène et explique la fatigabilité de ces patients.
L‟appréhension isolée de la fatigue chez ces patients est donc difficile. Alors que leur
humeur n‟est pas différente de celle des contrôles sains, 50 % des sujets fatigués ont une
fatigue autant physique que mentale. Si l‟origine de la fatigue musculaire des patients
myasthéniques apparaît clairement liée au blocage de la jonction neuromusculaire, la
fatigue intellectuelle est plus difficile à expliquer.
49
4.5.6. La sclérose en plaques (SEP)
La fatigue est en général peu ou pas du tout corrélée avec les caractéristiques de la
maladie (durée d‟évolution, faiblesse musculaire, ou lésions détectées par IRM). La
fatigue perçue au cours d‟une activité physique ou cognitive n‟est pas fortement corrélée
avec une diminution objective des performances observées. De nombreuses expériences
suggèrent que la fatigue dans la SEP n‟est pas seulement due aux blocs de conduction,
même si cette hypothèse est confirmée par l‟intolérance à la chaleur. Plusieurs causes
potentielles ont été proposées [59, 69, 100, 109]:
Les lésions du SNC sont à l‟origine d‟une diminution du métabolisme dans les
aires préfrontales, le thalamus, et les noyaux gris centraux. Celle-ci s‟associe à de la
fatigue chez les patients atteints de SEP. Les tentatives d‟identification d‟un « centre de
la fatigue » ont été des échecs. Il a aussi été suggéré que l‟exécution d‟activités motrices
ou cognitives requiert une activation plus intense et plus diffuse du SNC dans la SEP.
Même si l‟hypothèse de blocs de conduction complets ou partiels au sein du SNC
comme explication de la fatigue est séduisante, elle n‟a pas été jusqu‟à maintenant
confirmée par des tests neurophysiologiques. La fatigue pourrait être liée à des défauts
d‟interaction fonctionnelle entre le cortex frontal et les noyaux de la base. Le fait que
beaucoup de patients se plaignent d‟une fatigue sévère avant d‟initier toute activité plaide
également contre cette hypothèse ;
Les phénomènes immunitaires : la fatigue intense ressentie au cours des poussées
de SEP suggère que les réactions immunitaires jouent un rôle dans la genèse de la fatigue
(cf. fatigue et réponse immunitaire).
Des perturbations endocriniennes (hypothyroïdie ou dysfonctionnement du
système hypothalamo-hypophysaire), une demande métabolique accrue, ou une atteinte
du système nerveux autonome, ont été citées par certains auteurs comme mécanismes
potentiels. (cf. axe HHS)
En conclusion, aucune hypothèse sur la pathophysiologie de la fatigue dans la
SEP n‟a été suffisamment validée pour s‟imposer comme le mécanisme le plus plausible.
L‟étiologie de la fatigue est multifactorielle, et l‟importance d‟un facteur particulier varie
d‟un individu à l‟autre.
50
4.6. Les fatigues psychique, psychologique et
centrale
La fatigue psychologique s‟oppose à la fatigue physique, elle sous entend qu‟il n‟y a pas
d‟atteinte somatique, qu‟il n‟y a pas de lésion retrouvée. Il existe sous ce terme
certainement plusieurs phénomènes liés à la culture, au niveau socio-économique, à la
personnalité, à la mode, etc. Car le psychologique sous entend surtout quelque chose de
construit.
La notion de fatigue psychique reste assez floue. Le psychique diffère probablement de
l‟âme qui elle est inépuisable. Il existerait une quantité d‟énergie psychique, comme il
existe une quantité de glycogène dans les muscles (voir aussi coût énergétique).
La fatigue centrale correspond volontiers à un déficit neurologique véritable (normal ou
pathologique). Elle s‟oppose à la fatigue périphérique. Les très grands progrès en
neurosciences rendent toujours plus floue la limite de la psychiatrie et de la neurologie.
Ce serait une erreur d‟entretenir la séparation de ces 3 facettes de la fatigue.
Figure 2 : représente
schématiquement la
force musculaire
mesurable en fonction
de la durée de la
contraction.
Au départ de la
contraction il n‟existe
pas de fatigue centrale à
proprement parler
(puisqu‟il n‟y a pas eu
de travail) : on parle de
CAF (défaut
d‟activation centrale).
La fatigue périphérique
augmente au fur et à
mesure de l‟effort, en
fonction de celui-ci et de
la pathologie.
La fatigue centrale
correspond à
l‟augmentation du CAF
au cours de l‟exercice.
51
4.6.1. fatigue centrale
La fatigue d‟origine neurologique comprend les facteurs qui s‟étendent de l‟échelon
cortical à la plaque motrice. La notion de fatigue centrale (en terme de localisation)
n‟inclut pas la défaillance de la propagation du motoneurone à la fibre musculaire. Elle
peut être supra spinale ou spinale. La fatigue centrale est physiologique et participe à la
sauvegarde des tissus.
On peut définir la fatigue centrale comme la réduction de la contraction maximale
volontaire qui n‟est pas associée à la même réduction de force maximale obtenue par
stimulation du nerf moteur périphérique [15, 52, 106] (Cf. CAF). La fatigue centrale est
présente dés le début de la contraction maximale volontaire, elle augmente au fur et à
mesure [52, 98]. Certains auteurs appellent fatigue centrale l’augmentation du CAF
[100]. (Voir figure 2).
La notion de fatigue centrale comprend également la réduction des fonctions cognitives.
Celles-ci ne s‟exerçant a priori que dans le SNC, distinguer dans le terme « central »
déficit neurologique, trouble psychiatrique et perte de motivation est illusoire.
Les mesures de fatigue centrale ne sont pas corrélées à la fatigue ressentie par le patient
[52, 98].
L‟ordre moteur a pour origine l‟aire motrice primaire. L‟activité motrice est
programmée dans les aires pré-motrices, et l‟ordre moteur est soumis à des régulations en
boucle de la part des structures sous corticales et du cervelet. Les aires pariétales
postérieures permettent d‟intégrer les informations sensorielles afin d‟adapter le
mouvement. La participation du cortex frontal intègre la motricité dans le vaste processus
des activités cognitives. La moelle épinière est capable de générer une commande
motrice rythmique réflexe, en plus du réflexe myotatique.
Cette description a pour but de montrer que chacune de ces structure est capable de
moduler la commande motrice et donc intervenir sur le sentiment de fatigue.
Il n‟existe actuellement pas de "centre" de la fatigue, certaines régions semblent
avoir un rôle prédominant : la formation réticulaire mésencéphalique serait sévèrement et
constamment atteinte par le virus de la poliomyélite. L‟hypothalamus*, le thalamus, la
substance noire et le locus coeruleus, également responsables de l‟activation corticale,
sont régulièrement évoqués. Mais de nombreuses autres régions sont mises en cause : la
partie rostrale de la formation réticulée, le putamen, les régions périventriculaires, le
lemnisque médian ou le centre semi-ovale…
* Le contrôle de l‟hypothalamus est tellement puissant qu‟il impose l‟arrêt de l‟activité physique volontaire
dépassé une certaine température [85].
52
La fatigue centrale peut donc s‟exprimer par diminution des performances cognitives
ou baisse d‟excitation des motoneurones. Nous ne savons pas si la fatigue à l‟étage
cérébral est une inhibition d‟un groupe de neurones participants à un schéma complexe
ou s‟il s‟agit d‟une inhibition généralisée. Différents médiateurs sont dans ce sens mis en
cause (sérotonine, moduline, dopamine) [15]. Et la liste ne cesse d‟augmenter : la leptine
est un peptide qui pourrait intervenir dans la modulation de l‟asthénie au cours des
hépatopathies [89]. L‟élévation de la substance P, et la baisse des taux de somatomedine
C, plutôt impliquées dans la douleur, ont-elles un rôle dans la fatigue ? [43]
4.6.2. théorie des neurotransmetteurs
La libération de la dopamine se fait dans des synapses « sociales » : son action est
aussi bien sur le neurone post-synaptique que sur des centaines de neurones avoisinants
[105]. Les voies dopaminergiques jouent un rôle dans la motricité, elles sont à la clef de
la maladie de parkinson. Ces patients se plaignent d‟une importante fatigue indépendante
du déficit moteur. Cette fatigue répondrait favorablement à la lévodopa, soulignant le rôle
étiologique possible d‟un déficit central en dopamine**
[100].
On observe une augmentation de l‟activité dopaminergique au début de l‟effort puis une
baisse au fur et à mesure de l‟épuisement, minimale à l‟arrêt [23, 60]. Le rôle de la baisse
du précurseur immédiat, la tyrosine, est évoqué. Mais la notion d‟épuisement des réserves
en neuromédiateurs est loin d‟être évidente [105, 106].
La responsabilité des catécholamines (cf. adrénaline, noradrénaline) dans la fatigue est
incontestable. Leur administration avant l‟exercice s‟accompagne d‟une augmentation de
la performance dans tous les modèles animaux. Les drogues qui agissent sur leur
métabolisme (Cf. traitements) sont toujours utilisées dans un but de lutte contre la
fatigue, dans un cadre médical, festif ou de toxicomanie (Cf. discussion).
Lors de l‟exercice, le cerveau transforme le glutamate en glutamine afin de limiter
l‟excès d‟ammoniaque. Il y a une diminution du glutamate dans certaines régions
cérébrales. Celui-ci étant le précurseur du GABA (acide gamma amine butyrique), il en
résulte une baisse également de ce neurotransmetteur. C‟est un inhibiteur puissant des
autres neuromédiateurs, et il facilite l‟action des noyaux gris centraux sur la motricité.
Les déficits en GABA jouent un rôle dans la maladie de Parkinson ou la chorée de
Huntington. L‟évolution de l‟axe GABA-glutamate-glutamine au cours de l‟épuisement
est variable suivant les régions du cerveau, le déficit est particulièrement marqué dans le
striatum et le cervelet [60].
**
La physiopathologie de la fatigue dans la maladie de parkinson reste inconnue à ce jour. Elle est
certainement multifactorielle, mais aucune corrélation n‟a été retrouvée avec une dysimmunité. Il n‟y a pas
non plus de lien entre la fatigue et les troubles moteurs [66].
53
4.6.3. la fatigue mentale : modèle du traumatisme crânien
La gravité globale d‟un TC peut être évaluée à l‟aide du score de coma de
Glasgow. Les séquelles peuvent persister à distance du TC. On observe notamment des
troubles cognitifs. Ces troubles cognitifs sont largement dominés par les troubles de la
mémoire, des fonctions exécutives et de l‟attention. La mémoire à court terme est limitée
lorsqu‟il faut manipuler des éléments de façon simultanée (mémoire de travail). L‟atteinte
de la mémoire à long terme est fréquente. Les conséquences sur la vie quotidienne
peuvent être sévères.
Les troubles attentionnels constituent des déficits fréquents. A noter qu‟on
distingue, parmi les fonctions attentionnelles : l‟attention focalisée, l‟attention divisée,
l‟attention soutenue et l‟alerte phasique. Les lésions diffuses de la substance blanche
seraient responsables d‟un ralentissement du traitement de l‟information et d‟une
diminution des ressources attentionnelles [100, 110].
L‟adaptation dans les situations nouvelles et l‟autocorrection des comportements est
limitée. On assiste à un véritable syndrome dysexécutif. Ces troubles surviennent pour 50
à 70 % des TC graves et peuvent être de gravité variable.
La fatigue mentale est exprimée par différentes plaintes telles que la fatigabilité
pendant la réalisation de tâches cognitives, l‟irritabilité, ou l‟augmentation de la
fréquence des maux de tête. Selon l‟hypothèse du « coping » (adaptation), la fatigue
serait directement secondaire aux troubles cognitifs, et en particulier aux troubles
attentionnels. Plus précisément, la fatigue serait due à l‟effort supplémentaire fourni par
les patients cérébrolésés pour maintenir un bon niveau de performance dans la vie
quotidienne malgré leurs déficits et leur ralentissement. La réalisation d‟une tâche
cognitive nécessiterait une mobilisation importante, un « hyper-effort », pouvant
entraîner une sensation de fatigue. Cette hypothèse du « coping » a été étudiée
expérimentalement par plusieurs auteurs, sans résultats catégoriques [4]. Mais elle est très
régulièrement rapportée dans les articles [100, 110].
Ce phénomène de fatigue mentale semble être une combinaison des 2 notions évoquées
plus haut : coût énergétique cognitif et central. Assurer un calcul nécessite de conserver
les données en mémoire de travail (coût énergétique central augmente) et pour cela avoir
recours à des astuces coûteuses (par exemple revenir à l‟addition pour faire une
multiplication). On peut donc dire que la fatigue mentale est une sollicitation excessive
des processus intellectuels (Cf. burn out).
54
4.6.4. fatigue et sommeil
Les études sur la population générale confirment que la fatigue et les troubles du
sommeil (subjectivement rapportés par le patient) ne sont pas corrélés. La gravité des
troubles du rythme circadien ou de l‟architecture du sommeil (objectivement mesurés) ne
prédit pas l‟intensité de la fatigue.
La somnolence est une impression très pénible de ne pas être totalement éveillé. Elle se
caractérise par une grande facilité d‟endormissement [67]. Le sommeil s‟élabore à partir
de la fatigue de l‟individu, composante obligatoire, et d‟une composante circadienne qui
conditionne le fléchissement de la vigilance [82].
En cas de fatigue, notre habitude est d‟aller nous reposer, nous coucher voire de dormir
ou pire de regarder la télévision. Ceci est tellement ancré dans notre mode de vie qu‟il
devient difficile, comme pour la dyspnée, de faire la distinction entre la fatigue et la
somnolence.
Les pathologies à l‟origine de troubles secondaires du sommeil, sont nombreuses et
se superposent volontiers avec celles de la fatigue. Il n‟est pas étonnant que la confusion
soit installée. En cancérologie, des troubles du rythme circadien ont été observés et
corrélés avec les scores de fatigue [91, 94]. Cette association a été retrouvée dans le
lupus. Mais bien que la dépression s‟accompagne de troubles du rythme circadien, elle
n‟est pas corrélée avec la fatigue [97]. La prévalence des troubles du sommeil chez les
patients SFC apparaît élevée et participerait à l‟entretien des plaintes
musculosquelettiques [78].
L‟élaboration du processus de sommeil met en jeu de nombreux organes du système
digestif au système nerveux central. Les troubles du rythme circadien s‟accompagnent
forcément d‟une dérégulation des fonctions circadiennes endocriniennes (mélatonine,
cortisol, prolactine, etc.), métaboliques (température ou taux de protéines circulantes) ou
encore immunologiques (cytokines ou leucocytes circulants…). Tout l‟enjeu de la
recherche sur ces points est de décrire les interactions et interdépendances afin de saisir
quels sont, s‟ils existent, les éléments initiateurs.
Pourquoi le sommeil ou le repos sont-ils réparateurs ?
Les traitement médicaux contre l‟insomnie ont comme résultats de réduire le temps
d‟endormissement, le temps de réveil, le nombre de réveils nocturnes, baisser la
somnolence diurne, d‟augmenter la durée de sommeil et certaines études montrent une
amélioration de la qualité de vie. L‟amélioration de la qualité de vie s‟explique par l‟effet
anxiolytique du traitement symptomatique de l‟insomnie [84].
Pr. Dupond au sujet du syndrome de décompression [43] met en garde contre les
comportements de récupération considérés comme salutaires tels la grasse matinée, les
« week-ends télé » ou les vacances programmées « pour ne rien faire ». Il serait
préférable de garder le rythme veille sommeil habituel et de rester en « pression
positive », et de remplacer la mauvaise par de la bonne fatigue ! (cf. discussion).
Bannissant l‟idée que le repos doit être associé à l‟inactivité.
A défaut d‟une explication scientifique sur les mécanismes réparateurs du sommeil, un
constat mérite d‟être rappelé : nous ne sommes pas égaux devant le sommeil. Le besoin
normal de sommeil varie beaucoup d‟un individu à l‟autre, de 5 à 10heures par nuit.
55
4.6.5. la dépression
Les critères de dépression définis par le DSM IV comprenant des items tels que
fatigue, insomnie et agitation, perte de concentration… nous évoque aussi le syndrome
dysexécutif. Il est donc difficile de faire la part entre les différents symptômes souvent
associés. Ce que représente la dépression a beaucoup évolué ces derniers temps avec les
anti-dépresseurs. Ehrenberg décrit avec précision l‟histoire des anti-dépresseurs [46], et
Dr. Lepasquier (Pitié-salpêtrière) s‟exprime dans le même sens : la dépression est ce que
traitent les anti-dépresseurs. Et progressivement ce qu‟était humeur dépressive et triste
s‟est élargi au syndrome/triade : fatigue-anxiété-dépression.
La dépression est une cause de fatigue aussi bien physique que mentale, et la fatigue
intense affecte terriblement le malade. Dans le lupus, la dépression est le déterminant le
plus important de la fatigue [30]. 30 à 70% des patients SFC présenteraient des signes de
dépression majeure [78], le caractère primitif ou secondaire reste toujours difficile à
déterminer. Mais les études confirment que la fatigue peut être mesurée indépendamment
de la dépression [13, 91]. Comme pour les troubles du sommeil, le problème de l‟élément
initiateur se pose. Ceci d‟autant plus que les travaux sur la dépression font état de
modifications hormonales et des neurotransmetteurs complexes, entrant forcement en
relation avec celles observées dans la fatigue (cf. traitements antidépresseurs).
De récents travaux s‟efforcent de classer les individus suivant leurs scores aux tests de
Quality Of Life, de dépression, de douleur, de fatigue, d‟anxiété et de troubles du
sommeil [91]. On pourrait alors distinguer 4 classes de patients… et suspecter un
syndrome de « sickness behaviour ».
Pour faire la distinction, la fatigue mentale augmente par l‟exercice physique ou les
tâches cognitives, alors que la dépression reflète plus la tristesse, l‟auto-dévaluation et la
perte de plaisir. Mais la limite disparaît avec le problème de la solitude.
« J‟appelle nostalgie […] l‟état de solitude qui devient chaque jour, pour [le patient], plus
effrayant, le plonge dans les réflexions les plus noires, le souvenir du passé excite ses
regrets ; il craint d‟envisager l‟avenir ; il souffre, languit et meurt si rien ne le soustrait à
sa malheureuse position » [9].
Peter Handke à plusieurs reprises souffre de sa solitude dans son essai sur la fatigue : « il
fallait craindre, pendant la durée des études, une fatigue d‟un nouveau genre, inconnue à
la maison : la fatigue dans une chambre, en bordure de ville, seul, la „seulfatigue‟ » ou
bien « cette nouvelle fatigue venait aussitôt que, après le travail, nous sortions dans la rue
et que chacun allait de son coté » ou encore « jamais ne me quittait cette fatigue de
travailleur immigré ; fatigue qui isolait ». Il faut croire qu‟il existe dans le collectif une
énergie facilitatrice…
Cette fatigue est redoutable. Elle colle précisément à la « fatigue psychique » dans le
langage courant : perte de motivation, ennui, lassitude, anhédonie, aboulie… Si cette
fatigue est en partie tolérée chez le malade, elle est très mal vécue : véritable tabou à
l‟hôpital, comme au travail. Extrêmement culpabilisante, elle est la « mauvaise » fatigue
par excellence (cf. discussion). Elle est favorisée par la solitude et isole le malade, le
projetant dans un véritable cercle vicieux. Il me semble que c‟est un aspect que prend la
fatigue dans la dépression. La fatigue affective en est un autre.
56
4.6.6. la fatigue affective
Qui mieux que Peter Handke nous décrit la fatigue affective ?
« Cette fatigue qui pouvait s‟installer avec une femme avait quelque chose de
terrifiant.[…] L‟un comme l‟autre tombaient déjà, inexorablement, s‟éloignant chacun,
dans sa fatigue propre, non pas la notre, mais la mienne ici, la sienne là-bas. Il se peut que
la fatigue n‟ait été, dans le cas présent, qu‟un autre nom pour l‟insensibilité ou
l‟éloignement Ŕ mais pour le poids qui pesait sur les environs, c‟était le mot qui
convenait. […] Et il se faisait que tous deux, possédés par le démon-fatigue, devenaient
eux-mêmes redoutables. » [62]
Il existe des fatigues affectives aiguës et permanentes. En aigu, elle se manifeste
par des mouvements émotionnels en réponse à une situation de stress : chagrin,
agacement, irritabilité, etc. La personne peut être marquée par une désinhibition verbale
et comportementale, ou au contraire il peut s‟installer un retrait relationnel.
En écho aux phénomènes douloureux, on pourrait croire qu‟il existe un seuil au delà
duquel trop d‟émotions provoque une avalanche émotive. Ce seuil baisserait avec la
montée de la fatigue ?
Le petit enfant a du mal à identifier sa fatigue. Même lorsqu‟il est en age de parler, il a
tendance à exprimer son épuisement à travers son comportement, il va faire preuve
d‟irritabilité, de tension, d‟intolérance à la frustration, de pleurs, d‟oppositions et de
colères. En grandissant ils adopteront plutôt des comportements de passivité, de retrait et
d‟épuisement intellectuel et relationnel. Ces exemples illustrent l‟importance de l‟affect
dans la genèse de la fatigue, quand on sait que les enfants peuvent maintenir une activité
physique importante de façon soutenue sans manifester de fatigue. Les 2/3 des plaintes
pour fatigue en pédiatrie sont attribuées à des anomalies du rythme de vie [11].
La fatigue peut s‟installer de façon durable lors de situations de stress peu
visibles : tracas quotidiens, soucis domestiques, obligations relationnelles, etc. Cette
accumulation de stress génère un trouble de l‟adaptation de l‟affect. On comprend tout de
suite que nous ne sommes pas tous égaux devant cette fatigue. De nombreux travaux
retrouvent des types de personnalités prédisposant à la fatigue [12, 58, 109] sans être
jamais catégoriques. Les personnes à caractère obsessionnel, par exemple, sont assaillies
par les scrupules et le doute anxieux. Certains se plaignent de fatigue matinale, comme
s‟il fallait « dérouiller la pensée ». Cependant, une fois le dérouillage effectué, ces
personnes se mettent en route avec une vigilance toujours redoublée sur l‟ordre… Cet
exemple a l‟intérêt de montrer que le modèle de réserve énergétique/dépense énergétique
n‟est pas constant dans les phénomènes de fatigue.
Le meilleur moyen de limiter les fatigues affectives liées aux conflits est
d‟apprendre comment exprimer son point de vue tout en maîtrisant ses émotions. Grâce
aux méthodes comportementales on peut acquérir cette maîtrise et une attitude distanciée
avec la situation (cf. traitement).
Il est utile de rappeler que les réponses affectives ont certainement une action sur l‟axe
HHS et donc sur la réponse immunitaire (cf. axe HHS).
57
4.6.7. Une approche neuropsychologique du sentiment de fatigue.
La sensation d‟épuisement naît probablement des afférences sensitives. On peut
supposer que celles ci ont leur origine dans les muscles et tissus associés. Et cette
sensation peut aussi venir de l‟activation de voies centrales corticales. Il a été remarqué
que la perception chez un individu de l‟effort est plus liée à l‟intensité de la force
développée, qu‟à l‟énergie développée pour générer la force. Pourtant la difficulté dans
un déménagement n‟est pas de soulever le carton mais bien de monter les étages. Il
n‟existe pas chez l‟homme de capteur du travail, comment savoir en fin de journée quelle
a été notre dépense énergétique ?
Si l‟on veut faire un parallèle avec les écrits de A. R. Damasio [32], il faut admettre
que la fatigue est un sentiment. A distinguer de l‟émotion qui est plus primitive.
L‟émotion est la perception de toutes les réactions ou états du corps dans son ensemble,
c‟est-à-dire muscles, viscères, artères, peau, etc. devant un évènement. Elles sont
stéréotypées : tristesse, colère, joie, peur, plaisir, dégoût, honte et mépris.
En soulevant le carton, les muscles en tension, l‟individu reçoit une foule d‟informations,
sur le poids la force à développer, l‟équilibre à adapter, toutes ces sensations sont
absolument nécessaires pour poursuivre sa mission. Toutes ces sensations vont
s‟additionner aux émotions de la situation. Le déménagement va se prolonger, et les
efforts vont se multiplier. Comment savoir si notre déménageur ne va pas lâcher le
carton ? Pour un individu A dont ce n‟est pas le premier déménagement il lui est possible
d‟anticiper l‟énergie à fournir. Et pour cette quantité d‟énergie à fournir, il se souvient
(consciemment et inconsciemment) de sensations/émotions identiques, il est donc assuré
d‟y parvenir aujourd‟hui encore: il est en forme! En revanche l‟individu B, moins
habitué, s‟est mal mené sur le premier carton, et il se souvient bien de cette sensation.
Elle ne lui permettait pas de développer l‟énergie dont il pense avoir besoin aujourd‟hui :
les émotions changent, honte, colère, tristesse… il se sent fatigué. Il y a une discordance
entre l‟anticipation de la situation et la perception réelle. C‟est sur cette différence qu‟il
élabore son sentiment de fatigue.
Autrement dit les afférences qui véhiculent les signaux des sensations provoquées par la
situation immédiate, se confrontent avec les afférences qui véhiculent les signaux
d‟anticipation et de souvenir d‟émotions vécues. Cette confrontation a probablement lieu
en région thalamique. Lorsque les deux signaux sont en « harmonie » il n‟y aurait pas de
modification particulière du sentiment ambiant.
En revanche si les deux signaux sont discordants, le signal résultant a pour objectif de
porter à la conscience une situation qui instinctivement semble inappropriée, et de
modifier de manière inconsciente les dispositions du corps dans son ensemble,
reconduisant ainsi la boucle centrale/périphérique des émotions. L‟interprétation de ce
signal par l‟amygdale, le système réticulé et le cortex frontal va générer un sentiment.
Comment ce sentiment passe à la conscience n‟est pas encore expliqué. Mais son intérêt
est tout de suite compréhensible: en portant le sentiment à la conscience nous avons un
système d‟alarme biologique extraordinaire, qui porte un problème d‟ordre plutôt
physiologique à la conscience et donc ouvre une quantité de solutions via la réflexion!
58
Le sentiment de fatigue est donc polyfactoriel.
Il y a le contexte émotionnel avec l‟humeur. Les circonstances peuvent être plus ou
moins génératrices de fatigue. Le vécu intervient aussi bien dans l‟élaboration du
sentiment que dans le ressentiment [58]. Le sentiment de fatigue est souvent désagréable,
et justifie parfois une anticipation trop précoce, (le défaitisme ?) ou des manœuvres
d‟évitement de l‟effort. La mode, la culture sont intimement intriquées dans la genèse de
la fatigue. L‟age, l‟intelligence, le potentiel d‟introspection, l‟éducation, l‟adhésion aux
représentations… l‟entourage.
La personnalité intervient dans l‟interprétation de la fatigue. Ainsi chacun va privilégier
différents modes d‟explication : je suis trop vulnérable, ou la situation est trop stressante.
Même si la sensation d‟épuisement est la même, la coloration affective sera différente et
les actions qui en découlent également. Quelle part reste-t-il à la condition physique ?
4.6.8. la fatigue psychosensorielle
Par principe il faut parler de la fatigue sensorielle. Au même titre que tous les muscles,
par exemple, les organes sensoriels sont sujets à la fatigue et peuvent donc provoquer le
sentiment de fatigue [49].
Les mécanismes précis sont certainement complexes, puisque la fatigue joue elle-même
sur la précision de nos sens, et se pose encore la question de la cause ou de la
conséquence.
Il apparaît que les jeunes citadins sont cruellement privés de certains sens : odeurs,
toucher, goût et ont saturé les autres ouie et vision. Certains pensent que ceci peut être à
l‟origine d‟une fatigue. [6]. Vivant dans des conditions non naturelles, ce pourquoi nos
sens ont été conçus, il est probable qu‟il existe un dysfonctionnement et que celui-ci a
une répercussion importante sur notre interprétation de la réalité…
59
4.7. Fatigue et immunologie, endocrinologie,
cancérologie
La fatigue en cancérologie (CRF : cancer related fatigue) est typiquement beaucoup
plus sévère que chez les personnes en bonne santé [94]. Elle peut être la conséquence du
cancer lui même ou le résultat des traitements. Elle peut se prolonger bien après la fin du
traitement. Elle a été très longtemps sous-évaluée, au profit de la douleur ou des nausées,
possiblement parce que le patient pense pouvoir gérer seul ce symptôme, parfois par peur
d‟un traitement supplémentaire [22].
Les charges d‟entraînement imposées aux sportifs professionnels et/ou de haut
niveau sont à l‟origine du syndrome de surentraînement dont les contours nosologiques et
biologiques commencent à se préciser : il associe une capacité diminuée pour l‟exercice
physique et des perturbations comportementales et hormonales tels qu‟une diminution en
stéroïdes sexuels ou de l‟axe hypothalamo-hypophysaire adrénergique. Les changements
de l‟activité des neuromédiateurs cérébraux, tels que l‟élévation des niveaux de
sérotonine, sont responsables davantage des changements comportementaux que des
baisses de performance physique.
Il existe plusieurs conditions associant fatigue chronique et diminution de l‟activité
de l‟axe HHS et/ou du système locus coeruleus/noradrénaline : fibromyalgie, syndrome
de fatigue chronique, dépression du post-partum, insuffisance surrénalienne et sevrage en
glucocorticoïdes. Sur le plan clinique, ces pathologies associent fatigue, symptomatologie
dépressive, troubles du sommeil, douleurs musculaires, douleurs articulaires multiples.
Le fait que de faibles doses d‟hydrocortisone améliorent la symptomatologie en général
et surtout la fatigue, suggère que même si une faible cortisolémie est un résultat
secondaire ou un épiphénomène, elle peut contribuer à la perception du symptôme.
4.7.1. Le rôle de la sérotonine
Une des hypothèses proposées pour expliquer la CRF est que le cancer ou son
traitement provoque une augmentation des concentrations cérébrales de sérotonine ou une
modification d‟une population de récepteurs à la sérotonine (récepteurs 5-HT1A), causant
une diminution de la dynamique somato-motrice, une modification de l‟axe HHS et une
sensation d‟incapacité physique. [97] La sérotonine 5-HT a de nombreuses fonctions : le
sommeil, la mémoire, l‟humeur et la dépression, l‟appétit, la régulation thermique… il
existe des arguments forts pour penser qu‟elle intervient dans la fatigue centrale. Ces
modifications sont également mesurées dans la fatigue après l‟exercice physique intense.
Dans le syndrome de fatigue chronique on a observé une baisse des récepteurs à la
sérotonine dans le cerveau [40] sans dépression associée.
Il est probable que le TNF alpha stimule le relargage de sérotonine, mais aussi sa
clairance de la fosse synaptique. Le TNF alpha, l‟INF alpha et l‟INF gamma, l‟IL1 bêta
réduisent le métabolisme de la sérotonine.
60
4.7.2. L‟axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien (HHS)
La sécrétion de catécholamines et des hormones du complexe hypothalamo-
hypophyso-surrénalien fait partie intégrante de la réponse physiologique à tout stress
physique ou psychologique. Les concentrations plasmatiques de glucocorticoïdes
augmentent après un exercice court et intense mais elles diminuent après un exercice
prolongé, il existe généralement un délai entre l‟arrêt de l‟exercice et le retour de la
cortisolémie à ses valeurs de repos. On observe de faibles taux circulants de cortisol chez
les patients SFC [40,78]. L‟inflammation chronique tend à réduire la synthèse de CRH.
Le cortisol a de nombreuses fonctions décrites de manière plus ou moins précises :
pression artérielle, métabolisme glucidique, régulation immunologique, cycle veille
sommeil. Sa participation au sentiment de fatigue est très probable. Mais les études sont
souvent contradictoires. Les facteurs aggravants la fatigue comme le sommeil ou la
dépression ont également un lien avec l‟axe HHS, ce qui rend l‟interprétation des
résultats plus difficile.
Les effets euphorisants et analgésiques du cortisol sont bien connus. La dopamine est le
principal neurotransmetteur associé au concept d‟anhédonie et d‟humeur. Et il a été
montré que le cortisol augmentait la libération de dopamine dans le nucleus accumbens,
une zone impliquée dans le plaisir, renforçant de façon positive la conduite responsable
de l‟augmentation de la libération de dopamine (exercice musculaire, prise de drogues...).
Le CRH a aussi un rôle de neurotransmetteur au niveau du système nerveux central
lui permettant de générer la réponse intégrée endocrine, végétative et comportementale à
l‟exercice. Il a un rôle dans la physiologie du sommeil. Le CRH a des effets anxiogènes
et anorexigènes. Il stimule aussi la sécrétion de bêta-endorphines (la pro-
opiomélanocortine/POMC étant le précurseur commun de l‟ACTH et des bêta-
endorphines) qui ont des effets positifs sur la performance à l‟exercice à travers leurs
effets euphorisants et en diminuant la perception de la douleur.
Il agit en synergie avec l‟arginine-vasopressine (ADH anti-diurétique hormone) sur
l‟hypophyse antérieure.
L‟IL-1, l‟IL-6, et le TNF-α sont de potentiels stimulateurs de l‟axe HHS.
La sérotonine agit via les récepteurs 5-HT1A au niveau de l‟hippocampe, de
l‟hypothalamus et de l‟hypophyse en augmentant le relargage de CRH, ADH et d‟ACTH.
L‟injection intraveineuse d‟ACTH augmente de façon aiguë le tonus sympathique en
direction du lit vasculaire musculaire. Ces effets sont observés dans les trois minutes
suivant l‟injection. Il s‟agit probablement d‟un effet central de l‟ACTH puisque on a
montré l‟existence de fibres contenant de l‟ACTH innervant les structures centrales
impliquées dans le contrôle des fonctions cardiovasculaires (locus ceruleus, noyau du
tractus solitaire) et du système nerveux autonome (noyau parabrachial, noyau du tractus
solitaire).
61
4.7.3. L‟axe hypothalamo-hypophyso-gonadien
Il existe parfois une baisse de la concentration de testostérone plasmatique chez
l‟homme en cas de fatigue ; de même chez la femme, une perturbation du cycle menstruel
associe une diminution de la production de progestérone dans la phase lutéale raccourcie.
L‟élévation des endorphines et du CRH résultant du stress chronique (entraînement
physique excessif ou anxiété) serait responsable de la diminution de la libération de
l‟hormone lutéinisante (LH) et de la diminution de la sensibilité des cellules de Leydig à
la LH, donc de la production de testostérone [23]. Mais ces conclusions sont encore très
discutées. Chez la personne âgée on note également une baisse de la testostérone. Et les
adeptes du bodybuilding sont formels sur les effets positifs des stéroïdes anabolisants.
Dans le surentraînement, l‟aménorrhée est directement liée au déficit de sécrétion de
GnRH, qui est la conséquence directe d‟un déficit en apports énergétiques.
La testostérone inhibe le relargage par les macrophages des cytokines pro
inflammatoires [83], TNF alpha, IL1bêta, et IL6. Elle stimule l‟IL10, anti-inflammatoire.
On note parfois une baisse relative de la leptine circulante, associée à la baisse des
concentrations de testostérone. Il est trop tôt pour accorder un effet direct des hormones
sexuelles sur la fatigue.
Le rôle de la DHEA et de la DHEA-S chez les patients SFC est tout a fait improbable
[78]. Le succès qu‟ont connu ces deux hormones relève plus du show-biz que d‟une
réalité scientifique. Elles illustrent surtout les efforts fournis par les laboratoires dans la
lutte contre la fatigue.
4.7.4. Fatigue sympathique ou parasympathique
Plusieurs des symptômes de patients SFC évoquent un possible dysfonctionnement
du système nerveux autonome : hypotension avec bradycardie ou tachycardie
orthostatique, hypothermie, épisodes de sueur et/ou de pâleur, syncopes, palpitations.
Une relation entre la fatigue et une altération de l‟adaptation de la pression sanguine
orthostatique a été évoquée [12].
On distingue dans « le syndrome de surentraînement » deux types, l‟un sympathique
et l‟autre parasympathique. Dans le premier cas le sportif est hyper réactif aux
stimulations et est sujet à un épuisement précoce. On connaît par exemple le « syndrome
du cœur brisé », qui correspond à une poussée d‟insuffisance cardiaque secondaire à un
stress adrénergique (fatigue affective ?). Dans l‟autre cas, le sujet est hypo réactif,
multiplie les malaises et ne parvient pas au maximum de puissance. La distinction est
nécessaire afin d‟aménager le programme de réentraînement.
Pr. Jean-Louis Dupond souhaite la reconnaissance du « syndrome de décompression ».
Ce syndrome s‟apparente pour lui au « baby blues » ou au « syndrome de construction de
maison », des symptômes identiques sont observés chez les athlètes en cas de victoire ou
les étudiants après un concours. Ces syndromes doivent être considérés comme les
syndromes de sevrage observés à l‟arrêt du tabac ou de l‟alcool [43].
62
Le nerf vague comprend des neurones afférents : l‟hypothèse propose que le cancer
ou son traitement causent une décharge d‟agents neuroactifs. Le système
parasympathique sensible, ainsi activé, serait à l‟origine de l‟expression clinique de la
maladie. Les agents évoqués sont la sérotonine, les prostaglandines et les cytokines [97].
Chez l‟animal la stimulation du nerf vague s‟accompagne d‟une baisse de l‟activité
motrice (cf. « sickness behaviour »).
Le nerf vague peut être le médiateur de l‟augmentation des cytokines périphériques.
Ainsi l‟IL1 bêta périphérique peut via le nerf vague induire la production d‟IL1 bêta dans
l‟hippocampe et l‟hypothalamus. (cf. axe HSS)
On a montré que les taux d‟adrénaline et de noradrénaline étaient plus faibles à
l‟arrivée d‟un triathlon chez des sujets fatigués que des sujets non fatigués (sans
différence entre les groupes dans le temps de compétition, la lactatémie, la température
corporelle, ni les enzymes musculaires) [60]. Cette déplétion est également observée pour
toute situation de stress intense. (cf. fatigue centrale). À l‟arrêt de l‟exercice, les
concentrations plasmatiques de catécholamines retournent à leur concentration
préexercice en quelques minutes. Les catécholamines pourraient être impliquées dans la
fatigue via leurs effets cardiovasculaires périphériques, mais aussi par leurs effets
centraux. L‟adrénaline est un système d‟alarme qui conduit à une diminution des
fonctions neurovégétatives (prise alimentaire, sommeil) et à une activation de l‟axe HHS.
4.7.5. Cytokines et fatigue
De nombreux éléments font penser qu‟une anomalie de la réponse immunologique
pourrait être à l‟origine de fatigue. De nombreux travaux dans le SFC ont analysé les
modifications de différents paramètres immunologiques, mais aucun résultat n‟est assuré
pour le moment [40]. On a remarqué une augmentation de la réponse Th2, avec une
sécrétion augmentée d‟IL4. Le TGF-bêta est modifié [100]. On observe une baisse des
IgG1 et IgG3 circulantes.
Les cytokines pro inflammatoires comme le TNF alpha, l‟IL6 et l‟IL1beta sont très
souvent proposées comme agents responsables de fatigue dans différents modèles
pathologiques : CRF, SFC, fibromyalgie, lupus, post infection, SEP, maladie de
parkinson [66, 69, 109]…
L‟injection de ces cytokines, en particulier du TNF, provoque l‟expression clinique de
maladie (« sickness behavior » : fatigue, trouble de la concentration, mauvaise mémoire,
malaise, anorexie, léthargie etc.). L‟INF alpha utilisé en infectiologie provoque
également de la fatigue [10].
Mais les taux circulants de ces cytokines ne sont pas corrélés à l‟intensité de la fatigue,
dans la majorité des études. L‟IL1Ra ressort régulièrement comme inversement corrélée
avec la fatigue… Des résultats encourageant sur la fatigue ont été observés à l‟occasion
de traitements par anticorps anti-cytokines [97].
63
Les études sur la fatigue dans l‟infection par le VIH n‟aboutissent pas pour le
moment à un consensus [104].
La cachexie est un phénomène complexe. Elle correspond à une perte de poids
supérieure à ce que la baisse des apports caloriques laisserait envisager. Il y a une
sarcopénie mais celle-ci n‟est pas isolée. Les cytokines pro inflammatoires (IL1, IL2,
IL6, interféron gamma, TNF alpha) jouent un rôle essentiel dans l‟amaigrissement [83].
Les UCP1-2-3 ont été mises en évidence : ce sont des protéines de la chaîne respiratoire
qui ne participent pas à la formation d‟ATP [95], elles sont stimulées par le TNF.
L‟IL1 et le TNF alpha semblent favoriser l‟anorexie, via la stimulation du CRH ou le
blocage du neuropeptide Y. La responsabilité des cytokines dans la fatigue est donc
directe et indirecte, mais dans quelles proportions ?
D‟autres hormones sont étudiées dans la cachexie, très prometteuses, IGF-1 et
myostatine. Leur relation directe avec la fatigue reste à étudier. De même dans le
surentraînement, une diminution de la réponse somatotrope est très probable, mais sa
relation directe avec la fatigue n‟est pas démontrée.
4.7.6. Hormone thyroïdienne ou hormone de croissance
Le déficit en hormone de croissance avec un pic inférieur à 3 μg/L est responsable de
diminution de force, des capacités aérobies et de sensation de bien-être, sa
supplémentation entraîne une amélioration de la concentration, de la mémoire, de la
dépression, de l‟anxiété et de la fatigue [4, 63]. Mais l‟hypersomatotropisme altère la
trophicité musculaire et cardiaque ainsi que la disponibilité en glucose, et acides gras
libres. Les acromégales sont profondément fatigués.
L‟hormone thyroïdienne est l‟hormone régulatrice par excellence du métabolisme. Si
l‟hypothyroïdie ralenti le métabolisme et est réputée provoquer de la fatigue, elle n‟en a
absolument pas l‟exclusivité. L‟hyperthyroïdie s‟accompagne également de fatigue.
Chercher dans une anomalie du métabolisme ou de l‟équilibre hormonal l‟origine exacte
de la fatigue semble restrictif et périlleux [63].
64
4.8. Mesurer la fatigue
Comme pour tout autre symptôme, la nécessité de l’évaluation de la fatigue a conduit au
développement d’outils de mesure, prenant d’abord en compte de manière prédominante
la composante motrice, puis progressivement la composante psychologique plus
subjective. Ces outils de mesure de la fatigue sont de plus en plus utilisés.
L‟analyse de la bibliographie de ce domaine suggère de considérer les outils d‟évaluation
essentiellement selon deux niveaux :
_Un niveau périphérique de force musculaire avec un recours à des méthodes
biomécaniques associées ou non à des techniques électrophysiologiques ;
_Et un niveau central subjectif d‟évaluations le plus souvent fondées sur des
questionnaires.
4.8.1. Méthodes biomécaniques
C‟est par la mesure de la force musculaire que la fatigue est encore le plus
fréquemment appréhendée et évaluée, associée ou non avec l‟évaluation par
l‟électroneuromyographie. Cependant, le mode d‟activation musculaire (concentrique ou
isométrique), la stimulation tétanique ou contraction volontaire, la dynamique
(isocinétique le plus fréquent), les groupes musculaires mis en jeu, les modalités
d‟exercice et de tests (mesure contraction modérée ou force maximale) sont très
variables. La méthode la plus utilisée est :
-le testing manuel coté de 0 à 5 dont la reproductibilité est très aléatoire même avec un
expérimentateur entraîné compte tenu de la difficulté à distinguer le pourcentage de force
entre certains niveaux de cotation.
-Les tests analytiques dynamiques ou isométriques offrent une meilleure précision de
mesure, mais sont d‟une application plus longue. Le risque est de vouloir chiffrer la
fatigue sur un score ne concernant qu‟un groupe musculaire, l‟extrapolation est
dangereuse.
-Il a aussi été développé des outils spécifiques d‟un type d‟affection permettant une
cotation par association de score moteur sur différents muscles ou même associant
d‟autres modalités cliniques, comme parfois des épreuves chronométrées ou des épreuves
d‟endurance. La pratique d‟un test de marche est un complément au test d‟effort dans
l‟analyse de l‟adaptation à l‟exercice. Le test de marche de six minutes est le plus validé
et le plus largement utilisé.
La fatigue musculaire, faiblesse, peut être définie comme une réduction de la production
de force c‟est-à-dire une perte progressive de l‟aptitude à générer une force maximale.
Alors que la notion d‟épuisement/fatigabilité n‟est retenue que lorsqu‟une force
volontaire désirée ne peut être maintenue plus longtemps au niveau souhaité. Le retard à
la contraction musculaire est mal évalué avec ces outils.
65
On peut aussi explorer le niveau énergétique indirectement par la consommation
en oxygène nécessaire à la production de l‟effort.
Le test d‟effort représente le moyen le plus conventionnel pour apprécier la baisse des
performances physiques.
Le seuil ventilatoire correspond à un phénomène d‟hyperventilation lors du test d‟effort,
progressif. Il apporte des informations complémentaires au pic de VO2. Il s‟agit d‟un
paramètre sous maximal indépendant de la motivation du patient.
Enfin, sur le plan électromyographique, on analysera les signaux correspondant
aux mécanismes de recrutement des motoneurones et de conduction dans la fibre
musculaire. Il est possible également de réaliser des stimulations magnétiques
transcrâniennes pour connaître le degré de fatigue centrale d‟un sujet.
Les mesures de surfaces de coupes musculaires doivent être abandonnées, tant la qualité
du muscle ne réside pas dans sa taille. [52]
Dans la mesure où il n‟existe pas de valeurs de référence, ces mesures de fatigue ne
sont valables que pour le sujet comparé à lui-même. Les études utilisant ces mesures
doivent être interprétées avec beaucoup de précautions, tant les biais sont nombreux dans
la réalisation de l‟effort [52].
66
4.8.2. Les questionnaires
La fatigue considérée comme symptôme subjectif a sollicité au même titre que la douleur,
l‟emploi d‟outils génériques comparables. La plupart des outils, échelles ou
questionnaires, ont été développés pour des applications dans des affections
neurologiques (SEP, parkinson) ou en cancérologie.
Des instruments de type unidimensionnels ont été proposés pour l‟évaluation de la
fatigue mais ces outils ne permettent pas de différentier les diverses dimensions de la
fatigue.
-La fatigue "instantanée" est évaluée au moyen de l’Échelle visuelle analogique (EVA)-
Fatigue. Cette échelle aurait l‟avantage d‟être valide et fiable, pour les populations
normales et pathologiques.
-Le score de Rhoten est un des plus simples à utiliser car constitué d‟une échelle visuelle
allant de 0 (aucune fatigue) à 10 (épuisement total).
- Le Brief Fatigue Inventory (BFI) contient neuf items sur une seule page. On mesure la
fatigue et sa répercussion sur les activités journalières.
-L’échelle de sévérité de la fatigue (FSS ou KFFS) est fréquemment mentionnée dans la
littérature et a été largement validée [99]. Cette échelle comprend neuf items que la
personne doit coter de 1 (désaccord) à 7 (accord). Le score global est la moyenne des
résultats obtenus à chacun des neuf énoncés, il varie lui aussi de 1 à 7.
-Le short fatigue questionnaire est un questionnaire simple, constitué de quatre questions,
coté de 1 à 7, validé, fiable et reproductible.
- Le 4-item abbreviated fatigue questionnaire (AFQ) mesure le degré de fatigue au
moment même de l‟examen. [98]
- Le score de Borg permet de mesurer la perception du niveau d‟effort au cours de
l‟exercice [20]. Il comporte 15 niveaux sur une échelle allant de 6 (effort très léger) à 20
(effort violent). Il est validé pour fixer l‟intensité du travail lors de la réadaptation, le
niveau recherché d‟exercice se situe habituellement entre 12 et 16.
Les mesures unidimensionnelles présentent un inconvénient : deux patients avec le même
score peuvent ressentir des fatigues très différentes. L‟un peut être épuisé physiquement
et rester très alerte. L‟autre au contraire est plutôt mentalement extenué mais en bonne
forme physique.
67
Des instruments dits multidimensionnels ont été développés.
Ils peuvent être généralistes ou spécifiques.
-L’échelle de fatigue de Chalder (CFS) regroupe 11 questions couvrant les symptômes
physiques et psychologiques de la fatigue. Chaque question est cotée de 0 à 3. Cette
échelle, validée dans la population générale, a été utilisée pour diverses pathologies.
-Le multidimensional fatigue inventory, constitué de 20 items, recouvre cinq dimensions
de la fatigue (fatigue générale, fatigue physique, fatigue mentale, réduction de motivation
et d‟activité).
-L’échelle de Piper (PFSS) comprend 22 items répartis en quatre dimensions de la
fatigue: sévérité, affectivité, sensation et adaptation. Chaque question est cotée sur une
échelle numérique de 0 à 10 (fatigue maximum) ; le score total est la moyenne.
-L’échelle d’impact de la fatigue (FIS), qui mesure l‟effet de la fatigue sur les activités,
contient trois sous-échelles évaluant l‟impact sur le fonctionnement cognitif, le
fonctionnement physique et le fonctionnement psychosocial.
-La check-list individual strength (CIS fatigue) est constitué de 20 items, qui évaluent la
fatigue selon quatre niveaux : l‟expérience subjective de la fatigue, la concentration, la
motivation et l‟activité physique, chaque item étant évalué de 1 à 7.
-Le multidimensional assessment of fatigue (MAF) est composé de 16 questions et
mesure quatre dimensions de la fatigue : sévérité, détresse, rythme et impact sur les
activités de la vie quotidienne.
-Le functional assessment of chronic illness therapy-fatigue (FACIT-F) est un
questionnaire qui fait partie intégrante du système de mesure appelé FACIT. Le FACIT-F
est un autoquestionnaire bref (13 questions).
-Le cause of fatigue questionnaire (COF) comprend 12 activités potentiellement
responsables de fatigue : six taches mentales (regarder la télévision, lire, fournir un effort
mental, tenir une conversation, se concentrer, téléphoner), quatre taches physiques
(marcher, faire de l‟exercice physique, prendre une douche), deux mixtes (faire les
courses, activités sociales).
-La Barrow neurological institute (BNI) fatigue scale, est constituée de 10 items dont
chacun est évalué de 0 à 7 et d‟une échelle graduée de 0 à 10 sur laquelle le patient note
son niveau de fatigue en général.
L‟étude bibliographique montre que ne sont considérées, pour valider les échelles,
que les étiologies les plus « classiques » d‟un champ de maladies aussi rares que
nombreuses. Le risque étant de n‟avoir aucune validité sur les affections non étudiées.
68
Il faut remarquer qu‟il ne ressort de ces questionnaires pas de franc consensus sur les
différentes dimensions de la fatigue. Partagées entre les nécessités scientifiques plutôt
descriptives et les nécessités médicales qui entrent dans une démarche d‟action, il faut
reconnaître 4 axes principaux :
(1) le comportement (le plus objectif, mesure les effets sur les performances, la
concentration ; il est souvent confondu avec la sévérité) ;
(2) le ressenti (subjectif, il mesure l‟expérience fatigue et son interprétation intime, les
conséquences sur le moral) ;
(3) le mécanisme (physique ou psychologique, il évalue l‟activité qui provoque la fatigue,
la sensibilité et la spécificité de la fatigue) ;
(4) le contexte (il évalue l‟environnement susceptible de pérenniser la fatigue; et dépiste
des attitudes/situations aggravantes).
4.8.3. Evaluer l‟autonomie, la qualité de vie et les facteurs contributifs
Les échelles de fatigue ont été validées pour ne mesurer que la fatigue et éviter ainsi
la confusion avec la dépression, la somnolence, la douleur, l‟essoufflement, la qualité de
vie… Ceux-ci sont toutefois souvent associés, et il parait justifié de ne pas oublier la prise
en charge globale pour ne pas risquer l‟excès inverse de "tout fatigue".
Concernant l‟autonomie, les échelles génériques d‟incapacités seront utilisées
lorsque les répercussions fonctionnelles de cette fatigue sont importantes. La mesure
d‟indépendance fonctionnelle (MIF), la grille AGGIR, l‟index de Barthel peuvent être
utilisés.
Les échelles de qualité de vie les plus utilisées sont généralistes. Il s‟agit
essentiellement -du MOS SF-36 (Medical Outcome Study 36-item Short Form),
-du système FACIT,
-du Profile of Mood States (POMS),
-du NHP (Nottingham Health Profile),
-du SIP (Sickness Impact Profile)
-de l‟Euro- Quol.
Une échelle spécifique, l’Epworth sleepiness scale, permet de différencier fatigue et
somnolence diurne excessive (cf. fatigue et somnolence)…
Il existe encore de nombreuses échelles, mais la tendance est bien à l‟uniformisation.
L‟importance est de distinguer les échelles établies dans le but d‟effectuer des études
cliniques de celles élaborées pour le patient dans sa singularité.
69
4.9. Traitements non spécifiques de la fatigue
En dépit de nombreux travaux menés dans des domaines divers (bactériologique,
virologique, immunologique, neuromusculaire, psychologique…), la physiopathologie du
syndrome de fatigue chronique ou de la fibromyalgie demeure inconnue. Pour reprendre
les termes de Pr. Dupond : « la montagne scientifique a accouché d‟une souris ! Toutes
les études n‟ont finalement réussi qu‟à démontrer que les malades fatigués étaient
réellement fatigués… »
De ce contexte nous pouvons observer les efforts et les tentatives de traitement du
symptôme fatigue dans des groupes homogènes de malades.
D‟une manière générale les études sur l‟efficacité d‟un traitement contre la fatigue, toutes
pathologies confondues, sont rares et confirment le problème de la mesure [17].
4.9.1. Thérapeutique médicamenteuse
Avant d‟ajouter un nouveau médicament, il faut obtenir une liste exhaustive des
médicaments et autres substances consommées par le patient, et de réduire les substances
entraînant une sédation !
Les corticostéroïdes : combinaison d‟hydrocortisone et de fludrocortisone
n‟apporte aucune amélioration subjective de la fatigue dans le SFC. En revanche en
cancérologie, dès 20mg de prednisone, le bénéfice est spectaculaire mais les études sont
de courte durée, et connaissant les effets secondaires à long terme des corticoïdes, et la
décroissance des effets bénéfiques, leurs utilisation n‟est envisageable qu‟en dernier
recours.
Les agents antidépresseurs : les symptômes communs aux patients SFC et aux
sujets dépressifs sont nombreux et la prévalence des syndromes dépressifs associés au
SFC est élevée. Aucun antidépresseur n‟a démontré une amélioration probante sur les
scores de fatigue.
D‟un point de vu très général on considère que l‟effet bénéfique sur la fatigue des anti-
dépresseurs n‟est lié qu‟à l‟amélioration de la dépression (et des troubles du sommeil qui
lui sont associés).
Quelques études controversées, montrent une baisse de la durée de l‟exercice sous IRS,
expliquée par une hypothétique augmentation des concentrations centrales de sérotonine.
Inversement des résultats encourageants ont été observes après traitement par
antagonistes des récepteurs 5-HT3 chez les patients SFC, et en hépatologie. [40, 88, 97].
L‟utilisation du bupropion, antidépresseur atypique, en cancérologie est rapportée
intéressante dans 2 études [19].
70
L‟amantadine est une substance dopaminergique anti-glutamatergique. Cet
antagoniste des récepteurs NMDA limite la réintégration présynaptique de la dopamine et
ainsi stimule les récepteurs postsynaptiques. C‟est le médicament de référence dans la
SEP [6, 109, …]. Les effets secondaires de l‟amantadine sont peu fréquents, en général
peu sévères, et réversibles après l‟arrêt du traitement. Les plus fréquemment cités sont :
anxiété, insomnie, cauchemars, livedo reticularis.
Par analogie avec la sclérose en plaque, il a été proposé de traiter les patients atteints de
neuropathies dysimmunes par l‟amantadine. L‟essai s‟est soldé par un échec. Une simple
tendance à l‟amélioration de la fatigue a été notée en début de protocole ce qui
correspondrait à l‟attention supplémentaire adressée au patient.
La 4-aminopyridine ou la 3,4-diaminopyridine, qui en bloquant les canaux
potassiques prolongent la durée du potentiel d‟action, ont été utilisées empiriquement
dans le traitement de la fatigue dans le SEP. Les effets secondaires peuvent être
inconfortables (paresthésies, nervosité) et sévères (crises d‟épilepsie). Les résultats
préliminaires n‟ont pas permis de détecter un effet significatif sur la fatigue, mais une
amélioration significative de la force musculaire dans les membres inférieurs et de la
vitesse de marche sur 8 m a été observée.
Ce médicament montre chez le blessé médullaire incomplet (ASIA C et D) une
amélioration de la force des muscles atteints partiellement.
Le modafinil, neuromodulateur postsynaptique central des synapses alpha-1
noradrénergiques, a vu ses indications progressivement élargies à d‟autres conditions qui
peuvent provoquer une somnolence diurne excessive. Les résultats sont pour le moment
contradictoires. Certains patients SFC rapportent que le médicament « les aide à garder
les yeux ouverts », c‟est-à-dire améliore la somnolence, mais ne combat pas la sensation
de fatigue. Mais les études sur le CRF sont prometteuses [19, 92] ainsi que chez les
patients tétraplégiques [3] où l‟on note une amélioration de l‟estime de soi et de la
motivation. Pour la SLA dans un essai ouvert sur 15 patients le modafinil a été bien toléré
et a réduit significativement la fatigue mesurée [99].
Les stimulants amphétaminiques du SNC (méthylphénidate, dexméthylphénidate)
ont été utilisés pour traiter la fatigue, avec des résultats variables. Outre les effets
secondaires connus de ces substances (irritabilité, anorexie, insomnie, troubles de
l‟humeur, nausées, tachycardies, etc.), le risque de dépendance et tolérance est à
considérer avec précaution [31, 40]. Mais les études les plus récentes apportent des
résultats très encourageants [7, 92, 108], les effets secondaires sont beaucoup plus rares
que prévu, et visiblement bénins, à court et à long terme.
La midodrine (Gutron) chez le tétraplégique ; cet alpha-sympathomimétique de
référence pour les hypotensions artérielles neurogènes sévères, a été évalué contre
placebo les résultats montrent une amélioration de la performance et de la VO2max, et la
diminution parallèle de la sensation de fatigue [3].
La pémoline est un stimulant du système nerveux central. Une seule étude en a montré
une diminution de la fatigue pendant les périodes de traitement dans la SEP [109].
71
Immunothérapie : l‟influence d‟injections en intraveineuse d‟immunoglobuline
G reste l‟objet de controverses.
L‟utilisation des antagonistes du TNF alpha (étanercept) apporte des résultats très
prometteurs dans de nombreuses pathologies. [81] Ces résultats sont confortés par les
observations chez les patients traités par thalidomide, qui rapportent une amélioration du
sentiment de bien être, et une baisse de l‟agitation [2].
Les études sur l‟effet de l‟érythropoïétine sur la fatigue en cas d‟anémie
notamment en cancérologie, sont globalement positives, mais l‟action de l‟hormone est
très certainement indissociable de la montée de l‟hémoglobine [19].
Les compléments alimentaires doivent être utilisés avec grande précaution. Ils
doivent avant tout être de très bonne qualité. Ils ne prennent un sens que s‟il existe un
véritable déficit d‟apport ou un catabolisme modifié. Mais leur utilisation dépasse le plus
souvent ces cas de figure.
-La L-carnitine a fait la preuve de quelques effets positifs sur la fatigue en cas de déficit
de la carnitine-palmitoyl-transférase ou dans la CRF, mais ces résultats sont à confirmer
[19, 29].
-La L-glutamine prétend d‟accélérer la réparation musculaire …
-La supplémentation en acide eicosapentaenoique aurait montré un bénéfice chez les
patients SFC.
-Le coenzyme QlO améliorerait la récupération métabolique après l‟effort, augmenterait
la performance musculaire et la tolérance a l‟effort.
-Le dichloroacétate oxyde l‟acide lactique en acétylcoenzyme A et empêcherait ainsi son
accumulation.
-Le malate de citrulline induit une réduction de l‟acidose et améliore la cinétique de la
récupération de la phosphocréatine [25]. Il est certainement plus efficace que la prise de
boissons riches en bicarbonates.
-L‟apport de créatine est régulièrement rapportée comme ayant des effets bénéfiques sur
la force musculaire et la durée de contraction chez le sujet malade. Chez le sujet sain ce
bénéfice est très douteux. La créatine a été proposée chez les patients CMT pour
améliorer leurs performances motrices mais n‟est pas efficace.
-Les acides aminés à chaîne courte BCAA sont proposés afin de limiter le passage du
tryptophane par la barrière hémato-méningée et donc de limiter l‟augmentation de la
sérotonine centrale.
-Les vitamines et oligo-éléments ont bénéficié d‟un engouement inexplicable au XXe
siècle, il est difficile de lutter contre les représentations très fortes de la vitamine…
72
4.9.2. Thérapeutique non médicamenteuse
Le reconditionnement musculaire aérobie représente un élément essentiel de toute
prise en charge thérapeutique du patient SFC. Les bienfaits de l‟exercice aérobie sont
supérieurs à ceux du travail d‟étirement et de relaxation. Ceci nécessite des
encouragements répétés.
Les mécanismes d‟action de l‟exercice sur la fatigue n‟ont pas été élucidés. En
cancérologie, son intérêt reste à démontrer [68]. Il se peut que cet effet soit dû
simplement à un reconditionnement musculaire, cardiovasculaire, et respiratoire (cf. plus
haut). L‟exercice a aussi un impact bénéfique sur l‟humeur, possiblement sur les
sécrétions hormonales et le système immunitaire. L‟instauration d‟une routine d‟exercice
aérobique se heurte à de nombreux obstacles [7] : manque de motivation, augmentation
transitoire des symptômes, difficultés de réalisation des exercices, problèmes
d‟accessibilité des lieux d‟exercice, traitement en cours... Le type d‟exercices, leur durée,
leur fréquence, et leur intensité, doivent être adaptées à chaque situation particulière pour
éviter un échec.
Dans la SLA, par exemple, le programme de rééducation doit tenir compte des déficits
moteurs du patient et se faire sans douleur. Il ne doit pas s‟axer sur le renforcement
musculaire mais surtout prévenir les rétractions tendineuses et lutter contre la spasticité
notamment par l‟intermédiaire d‟étirements.
Puisque les résultats des interventions rééducatives reposent sur des modifications de
comportement et de style de vie à long terme, la clé du succès est la précocité de la prise
en charge, avant que les patients ne soient « emprisonnés » dans la fatigue, et avant que
l‟évolution de la maladie n‟ajoute des obstacles supplémentaires.
Dans la fibromyalgie la thérapie cognitivo-comportementale apporte une
amélioration de la qualité de vie en comparaison avec la prise en charge classique seule
ou accompagnée de relaxation.
On se repose sur l‟idée selon laquelle les patients disposent d‟un « capital d‟énergie »
pour la journée. Il peut être utile de planifier la journée, afin que les activités jugées
prioritaires soient complétées lorsque le niveau d‟énergie est maximal, tout en préservant
des temps de repos afin d‟éviter que les patients ne « s‟écroulent » trop tôt en fin de
journée. Cela permet de diminuer la frustration qui en résulte, mais aussi de réduire le
risque de conflits avec l‟entourage. Le déroulement de la nuit est aussi important à
évaluer que celui de la journée, et le patient doit être éduqué à l‟hygiène du sommeil.
On parle de stratégies d‟autogestion (« self-management »). Il s‟agit également
d‟organiser des distractions pour penser à autre chose, pour s‟occuper l‟esprit et oublier
sa fatigue, se forcer à poursuivre ses activités normales en dépit de la fatigue, parler avec
sa famille ou ses amis pour bénéficier de leur soutien et de leurs conseils [81].
Le patient peut s‟inscrire dans une structure psychothérapeutique si besoin. Il peut s‟agir
d‟un groupe de discussion, souvent modéré par un professionnel de santé, pour échanger
des expériences et des stratégies, proposer ou renforcer des éléments éducatifs communs,
rompre l‟isolement, et permettre à l‟individu de prendre confiance en sa capacité de
contrôler le symptôme.
73
Aucune étude n‟apprécie l‟influence d‟un repos prolongé sur la symptomatologie
des patients SFC. L‟intérêt du repos dans la fatigue est un calcul compliqué, il faut
trouver l‟équilibre entre la dégradation et la cicatrisation. Le repos prolongé est souvent
considéré comme une cause d‟aggravation des symptômes.
L‟utilisation de techniques de refroidissement est fondée sur le fait que la majorité
des patients constatent une augmentation de leur fatigue lorsque la température ambiante
et/ou corporelle augmente. Différents équipements sont proposés et mal évalués. Si les
résultats sont parfois satisfaisants, le mécanisme d‟action du refroidissement n‟est pas
connu avec précision. Il est très bien étudié dans la SEP.
En l‟absence d‟études prouvant l‟efficacité de certains nutriments ou régimes sur
la fatigue [16], il est recommandé de prévenir et combattre l‟obésité, qui augmente les
besoins énergétiques dans la mobilité ; de conserver une alimentation équilibrée avec
suffisamment de liquides ; d‟éviter les stimulants comme le café, le thé ou la nicotine, ou
autres substances présentes dans certains cocktails de vitamines ou préparations herbales,
qui donnent une sensation temporaire de gain d‟énergie mais peuvent interférer avec le
sommeil ; et d‟éviter les substances potentiellement sédatives (alcool, certaines
préparations herbales).
Il est essentiel de noter la quantité de plantes réputées améliorer les performances
physiques. Les études sont rares et de mauvaise qualité, mais quelques plantes semblent
avoir une action : Siberian ginseng (Eleutherococcus senticosus ou Acanthopanax
senticosus), Chinese ginseng (Panax ginseng), mahuang ou Chinese ephedra (Ephedra
sinica)
4.9.3. traitement des facteurs favorisants
Il est parfois nécessaire d‟instaurer certains traitements pour améliorer la fatigue
indirectement. Les résultats sont remarquables.
-En dehors des traitements de la dépression, on pensera au contrôle des facteurs pouvant
fragmenter le sommeil : spasmes musculaires, douleurs, troubles urinaires nocturnes,
apnées du sommeil, ou syndrome des jambes sans repos …
-Prendre en charge les troubles psychologiques et psychiatriques (dépression, anxiété,
stress)
-Est-il nécessaire de rappeler l‟importance de soulager les douleurs, qui peuvent favoriser
la fatigue.
Le nombre de ces facteurs et de leurs interactions potentielles confirme la nécessité d‟une
prise en charge globale et souvent multidisciplinaire de la fatigue.
74
5. Discussion
Nous avons obtenu 135 et 191 réponses aux questions ouvertes n°13 et n°30, alors
que la réponse n‟était pas obligatoire. Ceci montre l‟intérêt qu‟ont eu les personnes
interrogées pour le sujet. Nous avons reçu plusieurs commentaires, par mail et à l‟oral
dans le cabinet : tous ont trouvé le sujet très intéressant et se sont sentis concernés par le
problème. Les réponses aux questions ouvertes sont à de rares exceptions près toutes
sérieuses, ce qui confirme leur intérêt pour le sujet. 88% de réponses positives à la
question n°1 : « je ne sais pas ce qui m‟arrive, mais je suis fatigué ».
Il faut noter que les questionnaires papier ont tous été bien remplis, avec peu de résultats
incomplets. Le questionnaire étant libre et volontaire, il existe un biais de sélection,
l‟échantillon n‟est pas impartial, et donc non représentatif de la population générale.
C‟est le biais principal de mon enquête.
Il n‟y avait ni critère d‟inclusion ni critère d‟exclusion donc l‟échantillon est
suffisamment grand pour éventuellement faire une analyse multivariée. Cette analyse est
compliquée, et ne changerait pas notre discussion. Nous choisissons de minimiser ce
biais.
35 % des personnes interrogées ont déjà consulté pour fatigue (7.6% dans une étude
canadienne) [113]. Suivant les enquêtes la fatigue représente 1 à 3% des motifs de
consultations. Et si le symptôme est recherché il retrouvé dans 20 à 40% des patients, il
est ressenti comme invalidant dans 10 à 25% des fois [63]. Le biais d’intérêt ne peut
pas remettre en question nos résultats.
Il est important de noter que les réponses aux questions déterminantes (20, 21 et 26) ne
sont pas modifiées en fonction des réponses aux questions 6, 8 ou 9.
Elles ne sont pas modifiées suivant que les personnes ont répondu par Internet ou en
cabinet de médecine générale.
En résumé 1 personne sur 5 à 1 personne sur 2 exprime de l‟intérêt pour le traitement
symptomatique de la fatigue même dans des situations assez anodines. Et la quasi totalité
l‟accepte en cas d‟affection grave.
Notre question principale est : faut-il envisager un traitement symptomatique
de la fatigue ? Pour ne prétendons y pas apporter une réponse catégorique. Au contraire
il serait illusoire de croire faire le tour de la question de façon exhaustive. Et nous
craignons de nous perdre dans les sables hétéroclites d‟une accumulation de détails. Nous
proposons donc un fil d‟Ariane qui ne peut pas faire l‟unanimité. « Et c‟est tant mieux. Il
est grand temps de sortir du consensus mou. » [Kaufmann 2004].
75
Il n‟y a guère de place dans l‟épopée classique pour les douleurs chroniques. Et nous
nous souvenons du long chemin parcouru pour la lutte contre la douleur. Qu‟en est-il de
la fatigue ? Notre première hypothèse est qu’il existe de fortes similarités entre le
symptôme douleur et le symptôme fatigue et donc qu’il pourrait y avoir une
analogie dans les traitements. Essayons de garder ce fil conducteur.
Dans notre enquête 30% des personnes interrogées acceptent l‟analogie, et 93%
considèrent que le traitement de la douleur est un progrès. S‟interroger sur le traitement
de la fatigue est tout à fait justifié.
Nous allons essayer dans le premier temps de la discussion de comprendre les
représentations de la fatigue, et essayer ainsi de comprendre ce qui amène l‟individu à
consulter un médecin ou d‟agir seul contre sa fatigue. Nous devons pour cela
comprendre ce qu’est une bonne ou une mauvaise fatigue. La mauvaise justifiant
automatiquement son éradication.
Cette interrogation est arrivée tardivement dans notre démarche, mais l‟enquête confirme
la forte prévalence de cette représentation (90% des personnes interrogées). Les résultats
nous imposent de réfléchir sur le ressenti vis à vis de la fatigue physique ou
psychologique. Un consensus se dessine autour de la mauvaise fatigue : c‟est quand le
repos n‟est pas récupérateur. Peut-on préciser quel repos est suffisant pour telle fatigue ?
Il s’agit ensuite de déterminer ce que sont une fatigue normale et une fatigue
pathologique, au sens médical. Comme Canguilhem, « nous sommes très loin de penser
que santé et maladie soient des opposés qualitatifs, des forces en lutte. » La probabilité de
rétablir la continuité entre la fatigue normale et pathologique est telle, qu‟à la limite, le
concept de maladie risque de s‟évanouir.
Nous avons eu un aperçu des différents modèles biomédicaux de la fatigue et des
traitements proposés. Nous souhaitons dans cette discussion justifier la seconde
hypothèse : le traitement symptomatique de la fatigue est un psychotrope. Nous avons
jugé utile de nous appuyer sur le modèle explicatif du sentiment de A. R. Damasio. Ainsi
nous pourrons envisager les risques et conséquences d‟un tel traitement.
Les répercussions négatives de la fatigue sont-elles physiques, psychologiques ou
sociales ? La prise en charge de la fatigue ou sa coordination relèvent-t-elles du
médecin ? Aussi évident que cela puisse paraître nous pensons qu‟il est préférable de
discuter des limites du rôle du médecin. Nous aborderons ces questions par le problème
de l‟automédication. En effet la lutte contre la fatigue est une préoccupation déjà très
ancienne, et n’est pas le monopole du médecin.
76
La question n°25, où le médecin propose du repos et un contrôle dans 15 jours devant une
fatigue inhabituelle et un examen clinique normal, n‟obtient que 38,5% de réponses
positives. C‟est pourtant une attitude très prudente du médecin. Ce résultat ne permet pas
de savoir si le patient est mécontent de ne pas avoir de diagnostic ou s‟il aurait souhaité
recevoir un traitement.
Près de la moitié des personnes interrogées pensent que la dépression ne peut pas être
traitée par un médicament. 93% connaissent les dangers des somnifères. On peut se
demander« comment le médicament en est venu à incarner à lui seul l‟espoir, sans doute
déraisonnable, mais aujourd‟hui des plus compréhensibles, de se débarrasser de la
souffrance psychique ? » [46]
Ces résultats illustrent la grande ambivalence des patients pour le médicament. Les
personnes restent très suspicieuses vis-à-vis des traitements psychotropes. Mais on
remarque dans notre enquête que les personnes qui ont expérimenté la morphine
acceptent plus facilement l‟idée d‟un traitement de la fatigue.
« Il nous faudra de plus en plus vivre avec des psychotropes améliorant l‟humeur,
augmentant la maîtrise se soi adoucissant peut être les chocs de l‟existence : autant
prendre la mesure du mode de vie qu‟ils révèlent. » [46]
Nos interrogations nous amèneront directement à réfléchir sur la place de la fatigue
dans notre vie et dans notre organisation sociale. Nous avons soulevé de nombreuses
questions d’éthique, auxquelles nous ne prétendons pas répondre. Nous souhaitons faire
le point.
Nos résultats montrent que 48% des personnes pensent que le traitement de la fatigue
ressemble au dopage sportif. Mais dans l‟ensemble, la majorité pense qu‟une bonne
gestion du traitement est possible, il y a des risques d‟abus mais il faut poursuivre les
recherches.
77
5.1. Qu‟est-ce qu‟une bonne ou une mauvaise fatigue ?
5.1.1. Historique
La fatigue mériterait une étude comme celle de Roselyne Rey pour la douleur [93],
mais la fatigue n‟a pas suscité les mêmes passions chez les médecins. Expérience
individuelle et de tous les temps, la fatigue n‟occupe certainement pas une place
identique dans toutes les sociétés et dans toutes les époques [9]. Dans son acceptation
commune, l‟usure témoigne de l‟imperfection de notre condition de mortel. En grec
κηκμεκοντες désignent les morts : ceux qui ont supporté les fatigues. Les mythes de la
création insistent systématiquement sur la fatalité de la fatigue et de l‟usure par le travail,
punition irréversible du créateur.
Au IVe siècle, l‟acédie se caractérise par la tristesse et le découragement liés à un
manque de foi. « Lorsque l‟acédie fond sur toi, il persuade l‟âme que la psalmodie est
pesante, et il lance la paresse comme un défit au zèle. » Sont prédisposés les ermites et
les anachorètes (moines solitaires). Les cénobites sont protégés car vivent en
communauté. Pour une fois, l‟acédiaque remet en question la régularité des activités
ancestrales. La fatigue ressentie n‟est plus de l‟usure du corps mais de l‟ennui et du
manque de volonté. Aussitôt, l‟acédie devient maladie et péché. Le simple fait d‟être un
état indésirable justifie une demande de remise en état, dans les normes « naturelles ».
L‟ermite acédiaque a donc un contrôle interne trop faible, il est malade. En revanche le
cénobite acédiaque bénéficie d‟un renforcement permanent par la communauté
monastique : il est pécheur.
Hippocrate décrit la mélancolie, caractérisée par la tristesse et la lassitude, résultant
d‟un excès de bile noire. Cette vision, qui postule une base organique, se retrouve dans la
médecine médiévale. A la fin du XVIe et au début du XVIIe, l‟Europe se passionne pour
la mélancolie. L‟élite sociale oisive s‟y complait, d‟autant plus que la mode vient d‟Italie.
Les courtisans imposent dans leurs relations réciproques plus de retenue à leurs
impulsions spontanées. Ainsi au XVIIe les « vapeurs » deviennent à la mode. La maladie
met en accusation un mode de vie « contre nature ». Mais c‟est aussi une forme
ostentatoire de préciosité et de sensibilité, un modèle culturellement valorisé pour
exprimer ses petites et grandes souffrances. Les thérapies plus agréables que les
purgations et les saignées, telles que des cures thermales et le café, participent à créer une
incompréhension entre le monde médical et le monde de la cour.
Au XVIIIe la théorie de la fatigue nerveuse est un succès : par rapport à celui des
élites urbaines, le corps des paysans est plus simple et plus durci par l‟exercice et le grand
air, il ne présenterait pas de fragilité ni de sensibilité des nerfs.
Fin XIXe début XXe, la fatigue des ouvriers prend une autre dimension : il s‟agit
d‟augmenter la productivité du travail tout en réduisant la fatigue et l‟usure de la force de
travail et de promouvoir une gestion scientifique de la main d‟œuvre. Les travaux de
médecine du travail se multiplient, « clé de voûte d‟un nouveau compromis social ».
78
→ Ce très bref historique de la fatigue dans notre société, a pour but d‟abord de
montrer l‟évolution des représentations et aussi d‟introduire la notion de « bonne » et
« mauvaise » fatigue. Cette notion n‟a a priori aucun fondement scientifique ni médical,
mais elle tient une place favorite dans les représentations du symptôme. Cette vision est à
tel point ancrée dans notre interprétation de la fatigue, qu‟elle intervient aussi bien dans
la plainte du patient que dans la prise en charge médicale. Finalement il y a la fatigue
dont on peut souffrir en tant que personne*, et celle qui est recevable pour la médecine et
l‟entourage.
La complexité des représentations fait que toutes les fatigues ressenties ne
bénéficient pas des mêmes considérations. Ces représentations évoluent d’un groupe
à l’autre, d’un individu à l’autre, d’une époque à l’autre. Ces représentations sont
évidemment interdépendantes.
Si la médecine modifie ces représentations de la fatigue, elle risque de bouleverser
l’ordre des représentations en place.
Je souhaite préciser les limites des bonnes et mauvaises fatigues.
*Je veux dire par là qu‟il existe des fatigues qui n‟affectent pas l‟individu ni en bien ni en mal. Voire des
fatigues dont l‟individu ne prend même pas conscience.
79
5.1.2. Relation entre fatigue normale, bonne fatigue et fatigue physique.
La fatigue physique est conséquence du travail physique. Dans l‟antiquité, le travail
est indigne. Ce n‟est qu‟au Xe siècle, que certains ordres monastiques (les cisterciens)
vont valoriser le travail physique : signe de l‟expiation pour la faute originelle. Ce sens
spirituel positif est aujourd‟hui encore extrêmement fort. La fatigue physique est
également recherchée, comme moyen d‟échapper à l‟oisiveté quand apparaît la
mélancolie. Le protestantisme fait du travail l‟accomplissement terrestre de la volonté
divine, et l‟impose à tous : la fatigue en est un très bon indicateur. Une éthique du travail
se développe au XVIIIe siècle, le travail est un devoir. Cette notion de devoir est
étroitement liée à celles de responsabilité et de liberté individuelles dans le présent et
dans l‟avenir.
Peter Handke fait une description de bonne fatigue en racontant la moisson : « nous
étions assis, et en parlant ou nous taisant, nous goûtions la fatigue commune, comme
rassemblés par celle-ci, dans une épisodique entente de tous les voisins et des
générations. » [62] Pour lui, cette fatigue touche tous les hommes, de tous les horizons et
de tous les âges. Elle assure une cohésion qui parait indestructible sur le moment. Elle est
pour lui magnifique.
Elle est également présente dans le discours de Descartes : « des exercices du corps,
comme la chasse, le jeu de paume et autres semblables, qui ne laissent pas d‟être
agréables, encore qu‟ils soient fort pénibles ; et même on voit que souvent c‟est la fatigue
et la peine qui en augmentent le plaisir. Et la cause du contentement que l‟âme reçoit en
ces exercices, consiste en ce qu‟ils lui font remarquer la force, ou l‟adresse ou quelque
autre perfection du corps auquel elle est jointe. » [26] La bonne fatigue n'angoisse
nullement parce qu'elle est rattachable à une nomination, à un sens possible. « Je suis
mort de fatigue » est ainsi l'expression d'un bien-être, venant à couronner
l'accomplissement d'une tâche ou d'un exploit apprécié parce qu'il a demandé des efforts
nombreux ou réitérés [36].
La « bonne » fatigue, comme pour la « bonne » douleur, est aussi dans les
représentations collectives, l‟occasion de se dépasser, de repousser ses limites et donc de
progresser. Les exemples sont nombreux, mais c‟est dans le sport qu‟ils sont les plus
parlants. Le volume d‟entraînement des sportifs de haut niveau n‟a cessé d‟augmenter ces
dernières décennies : pensant que la répétition et le nombre d‟heures passées sont les
meilleurs moyens de progresser. Or des progrès ont été démontrés en réduisant le nombre
d‟heures d‟entraînements. Cette représentation est à l‟origine d‟une étonnante
contradiction : le travail use, mais le travail peut également faire progresser…
→ Ainsi la fatigue physique dans la représentation collective est fréquemment
« normale ». Normale par le travail et l‟activité, mais aussi dans la pathologie. Le malade
est fatigué. Mais quand aucune cause organique n‟est retrouvée, à partir de quel degré de
fatigue physique, la plainte est-elle recevable ?
80
5.1.3. Relation entre fatigue psychique et mauvaise fatigue
Longtemps, la mauvaise fatigue est considérée comme l‟apanage exclusif des
couches supérieures et des élites intellectuelles. Pour la première fois en 1887, la fatigue
est mise à l‟ordre du jour des débats de l‟académie de médecine : elle est saisie du
problème de surmenage intellectuel. Ce n‟est pas un hasard : la fatigue psychique quand
elle est reconnue est forcement pathologique.
L‟infatigabilité de la contemplation d‟Aristote n‟est que relative. Nous ne saurions
contempler toujours, même si nous pouvons le faire plus longtemps que courir. Il en
conclut que c‟est parce que nous pensons avec le corps que penser en vient naturellement
à nous fatiguer. Il est impossible à l‟homme de soutenir la jouissance continue, même par
la contemplation. La pensée, « le moins fatiguant de tous les actes humains est le plus
humain », à la fois en tant qu‟il est le moins fatiguant, mais aussi en tant qu‟il est
inéluctablement fatiguant. » [26] Il n‟est pas étonnant qu‟on lui accorde une gravité sans
mesure.
C‟est le théologien Malebranche qui rompt avec la pensée grecque (fin XVIIe), et
fait de la pensée un travail [26] : « l‟homme doit travailler de l‟esprit pour gagner la vie
de l‟esprit, c‟est une nécessité absolue. » Ce travail est pour lui une libération. Il ne voit
pas dans la liberté un indivisible, qu‟on possède ou pas, mais une faculté qui s‟accroît par
l‟usage qu‟on en fait. Il faut « faire usage de sa liberté AUTANT QU‟ON LE PEUT. » Il
n‟y a rien d‟étonnant que la fatigue de la pensée soit à l‟origine d‟un grand malaise.
On est tenté de penser que les « mauvaises fatigues » sont en attente d'une
nomination, qu‟elles souffrent d'une non-existence, d'une non-reconnaissance dans le
discours médical. « Se traîner, sans très bien savoir pourquoi, n'être bien nulle part. » La
mauvaise fatigue angoisse, inquiète d'autant plus qu'elle se fait habituelle, que sa cause
est obscure et qu'avec l'entourage elle crée une véritable coupure relationnelle [12].
Incomprise du sujet et de sa famille, doit-elle être respectée ou faut-il se « secouer » ?
Composer avec elle est de la haute voltige pour le patient lui-même [36]. Il est impossible
pour l‟individu d‟interpréter sa fatigue quand la faiblesse musculaire ou la maladie ne
sont pas bruyantes. Les tourments sont augmentés car le malade ressent le premier les
effets néfastes du repos prolongé. Il est souvent plus facile de l‟interpréter comme une
fatigue psychique, conservant ainsi un coté mystérieux.
→ Il est certainement simpliste un peu simpliste de faire correspondre la mauvaise
fatigue à la fatigue psychologique, et la bonne fatigue à la fatigue physique. Pourtant
c‟est une facette historique de nos représentations. Cette représentation n‟est plus tout à
fait d‟actualité à en croire les résultats du sondage.
81
5.1.4. Quand la fatigue psychique fait l‟objet d‟une plainte
La fatigue psychique, en règle générale, paraît être un phénomène très peu
intéressant, un état plutôt gris, chronique qui aplanit, abrase toutes les différences, affadit,
parasite, réduit à l'impuissance, comme la douleur chronique et la dépression. Dans le
rapport à l'autre, elle risque de provoquer un fort contre-transfert négatif. La sous-
estimation est un risque. Sous prétexte d'impuissance, de répétitivité, de lassitude, de
stagnation, d‟absence de changement, la fatigue psychique fait courir à l'interlocuteur un
risque de collusion antithérapeutique [12, 36]. Désinvestissement ou acharnement,
agressivité ou indifférence, sentiment de défi ou d'omnipotence ne manquent pas alors de
se manifester comme autant de signaux disant qu'il est pénible de faire l'expérience de ne
pouvoir rien faire d'autre qu'écouter la plainte. Tout ce qui est malade se doit d‟afficher
son anormalité sous peine d‟être frappée d‟illégitimité. Lorsque l‟image et les chiffres
sont normaux, la fatigue génère un malaise que le médecin a cherché à conjurer à l‟aide
d‟un outil familier : la nosologie. C‟est ainsi que la fatigue chronique a été
successivement dénommée psychasthénie, asthénie neurocirculatoire, patraquerie,
spasmophilie normocalcémique, encéphalomyélite myalgique bénigne… participant à
obscurcir l‟atmosphère autour du malade.
Guerbois en 1803 écrit au sujet de la nostalgie : « la cause de ce chagrin ne fut pas
difficile à deviner. Je dis deviner, car il était impossible d‟arracher un aveu à ces sortes de
malades ; aucun ne voulait dire ce qu‟il éprouvait. Ils paraissaient pour ainsi dire honteux
du mal qu‟ils ressentaient, mais ils se trahissaient par la joie que faisait éclater dans leurs
yeux la promesse d‟un congé ». [9] Un soldat proclamant bruyamment sa douleur d‟être
séparé des siens serait à coup sûr un simulateur. Le chirurgien Percy enseignait à ses
collaborateurs qu‟une nostalgie authentique se dérobait à la pleine conscience et aux
démonstrations sans pudeur. « Le désir trop tôt exprimé de revoir son pays décèlera à
l‟homme de l‟art le piège tendu à sa bonne foi par la paresse ou la ruse ».
Le sujet fatigué est pris dans l‟ambivalence de son symptôme. Il se sait malade mais
ne sait pas comment se plaindre. Comme la douleur, la fatigue échappe à la définition, à
la représentation, à la mesure et surtout à tout partage possible ; le sujet fatigué, comme le
douloureux, demeure cruellement bien seul avec lui-même. Rien d'étonnant que maladie
grave, fatigue et douleur soient aussi inéluctablement associées dans l'imaginaire collectif
comme autant de facettes d'une même réalité : la mort [36].
La somatisation est l‟illustration même du tabou. Face à la représentation floue de la
fatigue dans les standards et le déni, les patients ressentent leur souffrance comme
médicalement incorrecte : « cause à mes muscles, mes tendons, ma tête est fatiguée… »
[43].
→ La fatigue psychique n‟est finalement bien reçue que lorsque le surmenage
intellectuel est criant. De nombreux psychothérapeutes, psychanalystes ont poursuivi
cette voie, consolidant cette métaphore énergétique de la fatigue psychique. Le syndrome
du « Burn Out » en est l‟exemple le plus caricatural.
82
5.1.5. Quand la fatigue physique est recevable
La fatigue du peuple ne devient un sujet de préoccupation que lentement, lorsque les
plus riches prennent peu a peu conscience des liens qui unissent leur sort à celui des plus
pauvres. L‟industrialisation réclame plus de sécurité, plus de modernisation et une main
d‟œuvre plus précise et plus productive. Mais il faut attendre l‟action de médecins
engagés, relayée par le mouvement syndical, pour que le droit de souffrir de la mauvaise
fatigue soit reconnu aux catégories populaires [76]. Aujourd‟hui encore les travailleurs
manuels souffrent de la moindre reconnaissance médicale, les plaintes ont tendance à être
limitées et les discours s‟attardent sur le concept d‟usure obligatoire.
Autour de ces discours et de cette souffrance s‟est justement construite une cohésion
entre les individus. La plainte est tue car plus grande est la résistance à la fatigue plus fort
est le groupe. La plainte physique fragilise ces liens, d‟autant plus si le plaignant est
jeune. Les sociologues parlent de « logique de défense collective. »
La notion d‟usure, contrairement à la fatigue quotidienne, offre l‟avantage de ne pas être
la marque d‟une faiblesse personnelle, mais justement le signe que l‟on s‟est beaucoup
donné, sans compter ni rechigner.
Alors que les théories médicales sur la neurasthénie peuvent prospérer malgré
un fondement physiologique finalement très fragile et hypothétique, les médecins
qui ont étudié la fatigue ouvrière n’ont pu faire reconnaître leurs travaux qu’au
prix d’un stérilisant refus de subjectivité ! La fatigue physique doit être objectivée
pour être recevable. Les outils de mesures restent très nombreux, et sont au cœur du
raisonnement médical. Ces outils sont aujourd’hui très précis, mais il existe encore
de nombreux biais d’interprétation (Cf. mesurer la fatigue). Comme la fatigue
"physique" se confond avec la faiblesse, mesurable, je ne m’intéresserai plus qu’à
la fatigue "psychique", le ressenti étant au centre de ma problématique.
La quantité de fatigue n‟est pas directement rapportée comme un élément de fatigue
pathologique. Elle l‟est, en réponse au sondage, comme annoncé en introduction, si
disproportionnée ou résistante au repos (augmentant le temps de repos), voire présente
avant l‟action. On voit apparaître dans cette représentation, la plus importante, un
argument extrêmement subjectif qui semble intégrer l‟expérience personnelle et la
conscience collective (cf. infra). Il existerait une fatigabilité raisonnable pour une
quantité de travail donnée, dictée par une sorte de sagesse du groupe, implicite, et même
évidente ! Il n‟y a pourtant rien de moins évident (Cf. notion d‟effort).
→ Ce traitement inégal des plaintes de fatigue suivant les classes sociales traduit en fait
des mécanismes complexes de rapports de forces sociaux. Dès lors, c‟est peut être plus
sur le terrain social que sur le terrain scientifique qu‟il faut chercher certains facteurs
pouvant expliquer la diffusion de l‟idée de "mauvaise" fatigue…
83
5.1.6. Le paradoxe de Sartre
Sartre complique encore les représentations morales par son analyse. Suite à une
promenade en montagne il s‟explique. Celui qui vainc sa fatigue et continue son effort
"aime" sa fatigue, il "s‟y abandonne" comme à un bain. Il se sacrifie pour que le monde
existe davantage. Mais aimer la fatigue, c‟est aimer son corps, donnant à l‟effort une
interprétation narcissique et assez péjorative. Dès lors, Sartre choisit d‟appréhender sa
fatigue avec "raideur", comme un phénomène importun dont il veut se débarrasser. Tel
est son paradoxe : la position la plus active est décrite en termes de passivité, tandis que
la position de celui qui cède est décrite comme la ferme résistance aux séductions du
corps.
La fatigue de Sartre est une fatigue rebelle, révoltée et surtout contestataire. Mais
pensait-il si bien dire ? La fatigue s’exprime volontiers dans la confusion des symptômes
ou des idées. Un ras le bol brutal ou progressif. Devant le soupçon d‟exigences
surdimensionnées, d‟incommodités subies, la fatigue se présente comme le début de
rébellion… Ce n‟est pas comme cela que Sartre imaginait sa randonnée en montagne, ce
n‟est pas avec ces sensations qu‟il voulait passer la journée. Il choisit d‟arrêter, car il
n‟est pas d‟accord avec la situation. Est-ce que sa fatigue aurait été plus grande si la
marche lui avait été imposée ? Certainement, s‟il y a, à cette occasion, une modification
de son sentiment de liberté (cf. infra).
Des sociologues américains ont mis en évidence que la structure sous jacente des
représentations sociales de l‟étiologie de la plupart des maladies dans les sociétés
industrielles occidentales, pouvait se résumer à l‟idée d‟agression de l‟individu présumé
sain, par la société (pollution, bruits, rythmes de vie…).
Il semble bien que la représentation de la fatigue de Sartre s‟est largement développée. A
tel point qu‟être fatigué est devenu une expression extrêmement courante, banalisée.
Parfois sans même le savoir, on peut se plaindre de fatigue, simplement pour exprimer sa
douleur face aux agressions multiples. Le stress fatigue, et je pense que ce n‟est pas juste
un sens figuré ou un abus de langage, c‟est une authentique fatigue [39].
→ A priori cette fatigue n‟aboutit pas à une consultation médicale : 87,8% ont ressenti
une fatigue inexpliquée, seulement 35% ont consulté.
5.1.7. La fatigue n‟est jamais neutre
Le diagnostic de neurasthénie monte en puissance en France à la fin XIXe siècle
pour disparaître vers 1930. C‟est l‟occasion pour les hommes d‟affaires, les artistes et
plus généralement les bourgeois, d‟exprimer des sentiments ambivalents face à la
modernité, en se dégageant de tout jugement moral. La neurasthénie est, pour caricaturer,
remplacée par la dépression alors qu‟elle reste d‟usage courant en Chine où les troubles
d‟ordre strictement psychologique sont mal acceptés, notamment parce qu‟ils peuvent
constituer une critique implicite du régime [76].
84
Bonnes ou mauvaises fatigues correspondent plus à une problématique de mode,
non sans réels fondements. La façon dont la fatigue est décrite et finalement
ressentie au sein d’un groupe, est orientée par les représentations collectives
dominantes (structurées autour de croyances pathologiques, de médecine, de
science, de morale, d’éthique, du besoin de reconnaissance…), qui participent aux
enjeux sociaux et à la régulation sociale propre à ce groupe. La fatigue ressentie
comme "mauvaise" traduit des pressentiments, des inquiétudes qui évoluent avec la
civilisation. « Le rapport à la fatigue n’est jamais neutre ; il comporte le projet de la
quitter et de la surmonter, par le repos ou l’effort victorieux » [26]. La question de
la fatigue est donc universelle, ancienne et quotidienne. Elle semble imposer
constamment une décision réfléchie.
Chrétien s‟exprime sur la notion de "bonne" fatigue. On ne prend plaisir à la fatigue
que quand on n‟y est pas condamné. « La joie des grandes dépenses suppose d‟amples
ressources, et elle est d‟autant plus joyeuse qu‟en vérité ses dépenses augmentent ses
ressources encore. La fatigue du corps en ces jeux est déterminée et spécifiée par leur
gratuité et leur libéralité, ce en quoi elle ne peut être décrite comme fatigue » ! Le mot
« travail » du fait qu‟il s‟applique simultanément à ceux pour lesquels il est épuisant,
fastidieux, désagréable, et à ceux qui y prennent manifestement plaisir, est une
escroquerie [76]. Cette très juste distinction permet d‟introduire la question du dopage
sportif, et du problème des « workaholics », où l‟individu s‟impose volontairement une
fatigue, qui n‟a a priori pour but que d‟augmenter encore et encore ses ressources, et
fréquemment y associe des conduites dopantes (cf. infra).
La fatigue neutre, seule, perd tout son sens. Et il n‟y a pas non plus de fatigue définie
intrinsèquement bonne ou mauvaise. Elle est, ce qu‟on la fait être à partir d‟un projet
social, commun ou individuel et personnel. Rien ne commence avec la fatigue si ce n‟est
le repos. Elle est secondaire et tardive, et est un indice sur ce qui la précède. « L‟idée de
fatigue première semble aussi absurde que celle d‟un oubli premier. » Les sciences
s‟inscrivent dans la pensée de Chrétien, puisque la chimie et la physique ne suivent pas
d‟éthique. En revanche, comme le fait remarquer Canguilhem la vie est polarisée. Elle
fuit la mort et l‟extinction de l‟espèce. On peut donc concevoir une bonne ou mauvaise
activité biologique, mais celle-ci se décrit justement dans son contexte.
→ « Si des analyses philosophiques peuvent distinguer, voire opposer, une fatigue
du corps et une lassitude de l‟âme, il n‟est pas pour nous d‟abord de fatigue, si spirituelle
qu‟elle soit, qui ne pèse sur nos gestes […] ni d‟effort physique qui ne nous plonge en
quelque lenteur ou stupeur » [26]. Toute limite parait artificielle.
« Si on éprouve le besoin de se rassurer c’est qu’une angoisse hante constamment la
pensée, si on délègue à la technique le soin de restaurer dans la norme l’organisme
affecté, c’est qu’on n’attend rien de bon de la nature par elle-même » [18]. La
fatigue "normale" serait celle qui n’angoisse plus, qui n’interroge plus, qui s’intègre
naturellement dans la logique propre et sociale, grâce à l’expérience, et la
connaissance personnelle et collective.
85
5.2. Traiter la fatigue : approche biopsychosociale
Nous avons vu la subjectivité des représentations de la fatigue pour le patient. Existe-t-il
des limites plus objectives en médecine ? Peut-on appréhender cette subjectivité ?
5.2.1. La fatigue est plurifactorielle : Syndromes Overlappés
Actuellement quand la fatigue ne s‟accompagne pas de cause organique évidente, le
médecin se doit d‟évoquer la fibromyalgie, le syndrome du colon irritable ou le syndrome
de fatigue chronique. Ces trois entités ont fait l‟objet de longues dissertations pour leur
reconnaissance. Pourtant l‟incertitude persiste du fait d‟un argument fort : ces 3
syndromes sont dits « overlappés ». À titre d‟exemple, environ 70 % des patients
souffrant du SFC présentent des manifestations symptomatiques de fibromyalgie alors
que 42 % des patients fibromyalgiques répondent aux critères du SFC [7]. Les
interrogations sont d‟autant plus grandes qu‟il n‟y a toujours pas de physiopathologie
bien claire. Cette confusion est à l‟image du symptôme fatigue en général.
Une confusion similaire est remarquable au XIXe siècle à l‟occasion des discussions
autour de la fièvre. On avait décrit la fièvre ataxique, la fièvre maligne, la fièvre locale, la
fièvre putride, la fièvre mésentérique, la fièvre bilieuse, la fièvre essentielle, la fièvre
froide, [50]… Autant d‟entités qui aujourd‟hui font bien sourire.
La douleur ne suscite plus la même confusion aujourd‟hui, alors que les discussions ont
été bien plus virulentes [93].
Pour Chrétien, « cette polychromie de la fatigue offre à qui voudrait la décrire une
tache indéfinie, mais qui aurait la vanité toujours attenante à l‟indéfini, car elle se perdrait
dans l‟énumération hasardeuse et profuse… » [26]. Il a tout à fait raison. La revue de la
littérature est catégorique : la fatigue est polyfactorielle. Nous avons vu que la fatigue
peut naître de tous les organes, sans compter tous les facteurs favorisants. Chaque
phénomène décrit fait partie d‟un ensemble qui ne cesse de se complexifier au fur et a
mesure des découvertes. Chaque événement est cause non pas d‟une ou de deux
conséquences, mais d‟une multitude, rendant l‟analyse extrêmement difficile voire
impossible dans la rigueur et le détail. Ceci impose donc une observation globale et donc
une compréhension de l‟ensemble. La fatigue nous rappelle que « l‟être humain est une
unité où la structure, le fonctionnement, le cerveau et l‟esprit sont mutuellement et
réciproquement interdépendants » (A. T. Still, premier principe de l‟ostéopathie).
→ L‟argument principal qui nous incite à croire que la fatigue peut être décrite par un
modèle unique est le suivant : « Il n‟est aucun acte humain, même le plus joyeux et le
plus roboratif, qui ne soit sous l‟horizon de la fatigue… Elle suppose par essence la
temporalité, et inversement une temporalité sans fatigue ne serait qu‟irréelle. » [26] Bien
plus que la douleur, la fatigue est universelle, et constante, au sein même de notre être.
Imaginer qu‟elle pourrait avoir différents mécanismes indépendants, n‟expliquerait pas
cette parfaite coordination.
86
5.2.2. A quoi sert la fatigue ?
Comme Pr. Dupond [43] on peut à juste titre s‟interroger sur la finalité de ces actions
biologiques qui choisissent de faire mal pour prix de la guérison, ce qui pourrait paraître
irrespectueux de toutes les règles de bonne pratique médicale! Comment réagirait un
malade face à un médecin qui, pour le guérir, lui proposerait de lui faire très mal, de lui
donner de la fièvre, des douleurs musculaires, et de lui couper l‟appétit !
Pour lui la fatigue impose une économie d‟énergie pour concentrer toutes les ressources
de l‟organisme au profit de la seule lutte contre la maladie. Ainsi la fatigue entre dans la
vision de Canguilhem de la maladie : elle n‟est pas seulement déséquilibre ou
dysharmonie, elle est aussi et surtout effort de la nature pour obtenir un nouvel équilibre ;
réaction généralisée en intention de guérison [18]. Mais cette économie a-t-elle un sens
encore aujourd‟hui, alors que nous vivons dans l‟abondance, que les progrès techniques
permettent des réparations plus rapide que nature ? Cette vision qui considère la fatigue
comme un phénomène purement énergétique n‟est-elle pas encore une fois réductrice ?
« Nous pensons que la vie n‟est pas indifférente aux conditions dans lesquelles elle
est possible, que la vie est polarité et par là même, la vie est en fait une activité
normative » (qui constitue des normes) [18]. Il ne fait aucun doute que la fatigue peut être
une défense incroyable de notre organisme face aux agressions indirectes et répétées. Les
phénomènes de rétrocontrôle sont très fréquemment décrits en physiologie, ils permettent
d‟obtenir l‟homéostasie, un équilibre biochimique, physique et très certainement
psychologique. Et dans le cas de la fatigue, la nature a fait que ce rétrocontrôle passe par
la conscience dans notre espèce. Nous ressentons la fatigue.
Ainsi la fatigue devient un moyen pour la vie de retourner vers la normalité, un état
sans fatigue, et des conditions adaptées à sa prolongation. Si on continue sur la thèse
de Canguilhem, la fatigue n’est ni normale ni pathologique, puisque c’est un moyen,
dont la fin est l’action de se reposer. Elle est une alarme qui peut annoncer aussi
bien un état normal, que pathologique.
De cette théorie suit la question incontournable de la sensibilité et de la spécificité de
cette alarme. La fatigue peut-elle être trop précoce, peut-elle survenir bien avant le
risque lésionnel et empêcher ainsi une utilisation optimale de nos compétences ?
On sait que la fatigue peut être tardive (burn out, fracture de fatigue). Il existe
indiscutablement dans l‟organisme des lésions ou des perturbations fonctionnelles
pendant longtemps imperceptibles pour ceux dont elles mettent la vie en danger [63]. Ce
qui laisse présager une mauvaise sensibilité. La grande fréquence de la fatigue fait
craindre une mauvaise spécificité et une très mauvaise valeur prédictive positive.
87
→ Dans le l‟incroyable combat pour l‟existence des espèces, la fatigue s‟est
maintenue, dans le souci d‟économie et de meilleure exploitation des rares ressources.
Mais il est impossible de négliger l‟importance de la prise de conscience de la fatigue qui
impose à l‟individu de participer activement à la lutte contre sa fatigue. Il n‟est pas
étonnant que la question du traitement de la fatigue provoque des réactions passionnées
(cf. automédication et dopage).
Enfin le théâtre de l‟évolution des espèces, c'est-à-dire le milieu, la pression de sélection
est autant sinon plus important que la biologie elle-même. L‟homme a modifié son
milieu, l‟obésité et le diabète en sont les conséquences criantes. L‟alarme fatigue est-elle
encore bien réglée ? Faut-il agir sur l‟individu ou sur le milieu ?
5.2.3. Le cercle vicieux de la fatigue
« L‟hôpital est un lieu artificiel où la maladie transplantée risque de perdre son
visage essentiel. Elle y rencontre tout de suite une forme de complication que les
médecins appellent fièvre des prisons ou des hôpitaux ; asthénie musculaire, langue sèche
saburrale visage plombé, peau collante dévoiement digestif, urine pale, oppression des
voies respiratoires, mort du huitième ou onzième jour, au plus tard le treizième. »
(TENON, mémoires sur les hôpitaux ; paris, 1788)
Ce constat est toujours d‟actualité. On sait que l‟alitement prolongé engendre des effets
négatifs sur la fonction cardiorespiratoire et sur la capacité intrinsèque du système
moteur. Le malade est le premier à le sentir. L‟individu sédentaire présente une
hypotrophie musculaire, une force et une consommation maximale d‟oxygène restreintes,
un rendement mécanique médiocre et un métabolisme de repos faible comparé à celui de
l‟individu actif. Il fait l‟objet d‟un vieillissement cardiorespiratoire et d‟une sarcopénie
accélérés [61, 65].
Pourtant du fait de la fatigue (et de sa pathologie) le patient est forcé de s‟aliter. La
fatigue, comme tous les sentiments, quand elle est trop forte, inhibe le cortex, comme
pour informer d‟une situation d‟urgence. Il s‟agit de prendre une décision en urgence,
parmi celles qui ont largement fait leurs preuves : le repos et dormir! Et donc si le repos
n‟est pas réparateur, l‟individu est dans une impasse cognitive et physique.
Certains auteurs [92] ont remarqué que le sentiment de fatigue proviendrait surtout
d‟une envie de revenir à un état antérieur, d‟avant la maladie (cf. infra). Quand la
guérison est impossible, en cas de séquelles ou d‟évolutivité, quand les médicaments ont
des effets secondaires ou quand leurs effets positifs sont inconstants, il y a une
exacerbation du sentiment de fatigue.
88
Nous avons vu que la dyspnée, les douleurs, la symptomatologie angineuse, les
palpitations ou la claudication, l‟anxiété, etc. étaient autant de facteurs favorisant le
déconditionnement à l‟effort. En admettant que ce déconditionnement peut être à
l‟origine d‟un sentiment de fatigue (puisque le reconditionnement améliore les scores de
fatigue), il est évident que la fatigue provoque de la fatigue. Autrement dit comme pour
les douleurs chroniques, la fatigue chronique s‟autoentretient et va croître
progressivement par elle-même [12]. Et « la maladie perd son visage », la fatigue
s‟accompagne de dépression, de troubles du sommeil, d‟anorexie, de cachexie, de
dyspnée, de déconditionnement à l‟effort, d‟anxiété… à tel point que l‟on perd le fil de
« l‟histoire naturelle » de la maladie.
5.2.4. Il faut préciser le symptôme fatigue
Il semble que le signe « fatigue » ne soit pas encore un symptôme comme la douleur.
La fatigue reste un symptôme primitif, au sens de Foucault, dans notre pratique
quotidienne, puisque le médecin doit se contenter d‟une lecture simple du signe alors que
la sémiologie est « cet ensemble de techniques qui permet de constituer une anatomie
pathologique projective » [50]. La fatigue n‟a pas tout le signifiant du symptôme qui
signifie précisément la maladie. L‟opération est d‟autant plus difficile que la fatigue n‟a
pas de siège à l‟issue de notre examen clinique, qu‟elle n‟est jamais comparable, qu‟elle
est omniprésente, extrêmement fréquente et qu‟elle peut être normale…
Toutes les maladies ont-elles leur corrélatif lésionnel ? Le débat est ancien, et de
nombreux médecins pensent déjà au XIXe que le siège n’est que l’insertion spatiale
de la maladie. Ainsi la fatigue s’apparente plus aux « maladies nerveuses ». Elle
serait plus comme la dépression que comme la douleur. A en croire les
interminables querelles sur la dépression, le débat est loin de terminer [46].
Pour le moment, le symptôme fatigue se distingue de la douleur. Mais la fatigue
bénéficie d‟un intérêt nouveau. La recherche s‟accélère et est pleine de promesses. Nous
avons vu que la fatigue avait différentes facettes, la sémiologie est riche. Il est probable
que nous parvenions à discerner dans les signes de fatigue autant d‟étiologies, chacun
reflètera la défaillance d‟une « voie » ou d‟un système et sa répercussion sur l‟individu
dans toute sa complexité.
Puisqu‟il n‟existe pas de test diagnostique objectif de la fatigue, son identification
repose sur les plaintes subjectives. La fatigue est spontanément exprimée par le patient,
mais souvent limitée à une perception générale qui ne suffit pas pour évaluer et traiter le
problème [100]. La fatigue se rapproche de la douleur, ses caractéristiques détaillées
doivent être précisées. « Il est impossible au médecin de comprendre l‟expérience vécue
par le malade à partir des récits des malades. Car ce que les malades expriment dans les
concepts usuels, ce n‟est pas directement leur expérience, mais leur interprétation d‟une
expérience pour laquelle ils sont dépourvus de concepts adéquats. » [18] Il est urgent
pour les médecins de se munir des concepts adéquats pour appréhender la fatigue.
89
→ Les recommandations sont unanimes. La fatigue mérite souvent qu‟on lui dédie
une ou plusieurs visites, tant son évaluation est complexe, et tant son impact sur la vie
quotidienne des patients est sévère. Même si l‟utilisation d‟échelles n‟est pas toujours
jugée faisable en pratique clinique, il est utile de développer un modèle de note
standardisé, qui permettra d‟éviter les oublis, facilitera la communication entre différents
intervenants, et aidera à juger le résultat d‟interventions ou l‟évolution spontanée du
problème. Une approche tenant compte aussi du contexte et des circonstances associés au
développement de la fatigue (facteurs déclenchant, d‟entretient et d‟aggravation ;
endogènes et exogènes) est impérative [63, 100].
5.2.5. Justification du modèle de Damasio
Nous avons vu qu‟il était délicat de diviser fatigue périphérique, et fatigue centrale ;
qu‟il n‟y avait pas de corrélation entre la fatigue et la faiblesse musculaire. Nous avons
vu également qu‟il n‟y a pas de « centre » de la fatigue, ni de voie nerveuse unique.
Certains diront comme Claude Bernard : « Si nous ne pouvons pas aujourd‟hui expliquer
tous les phénomènes de la maladie, c‟est que la physiologie n‟est pas encore assez
avancée et qu‟il y a encore une foule de fonctions normales qui nous sont inconnues »
[18]. Et nous avons vu aussi l‟importance des règles sociales dans les représentations de
la fatigue.
Si les mécanismes de la fatigue sont encore flous, le modèle de Damasio du sentiment
permet de proposer une réunification des explications pour le symptôme. Il permet de
faire le lien entre la fatigue centrale et la fatigue périphérique ou entre les aspects
psychologiques et physiques, il permet de tenir compte des impressions de bonne ou de
mauvaise fatigue, de distinguer le pathologique du normal, il confirme le rôle normatif de
la fatigue. Le sentiment de fatigue, est un phénomène cognitif élaboré, qui aurait
pour point de départ une inadéquation entre la réalité, les sensations du corps et
l’impression, l’image que l’individu se fait de lui-même (cf. construction de soi) dans
une perspective d’action. L’expression être en bonne forme (good shape) semble
illustrer exactement notre point de vu : la bonne forme c’est la forme qui colle.
Le médecin écossais Brown au XVIIIe siècle, affirme que la maladie dépend
uniquement des variations d‟intensité de "l‟incitation" (qui permet aux vivants d‟être
affectés et de réagir) [18]. « Il est pleinement démontré que l‟état de santé et celui de
maladie ne sont pas différents par cela même que les puissances qui les produisent ou les
détruisent ont une même action » : il prend pour exemple la contraction musculaire
volontaire et le spasme ou le tétanos. La force résultante est même supérieure dans la
contraction volontaire que dans la crampe musculaire qui est pourtant autrement plus
douloureuse. Le phénomène est très facilement mesurable quand il s‟agit de la
respiration. Quand celle-ci augmente au court d‟un effort moyen elle est à peine perçue
par le sujet. Au contraire si celle-ci augmentait très légèrement au repos, le patient aurait
très rapidement le sentiment d‟inquiétude qui accompagne la sensation d‟essoufflement :
docteur j‟étouffe, je manque d‟air ! Ces exemples montrent bien que les sensations
prennent un caractère pathologique quand elles ne sont pas attendues.
90
► Chrétien rapporte de nombreux arguments descriptifs et philosophiques [26] qui
semblent confirmer l‟hypothèse de Damasio. « Il n‟y a pas de corps humain
indépendamment de l‟épreuve qu‟il fait de soi, et à cette épreuve appartient
essentiellement la pensée […] La philosophie présente diverses figures d‟une fatigue qui
n‟est pas ce en quoi la tache s‟achève, s‟éteint, s‟interrompt, mais qui au contraire envoie
et destine à la tache, une fatigue à partir de laquelle l‟effort même devient possible. »
Pour Damasio, le sentiment est au cœur de la prise de décision. Tout son questionnement,
toute l‟élaboration de sa théorie, commence par l‟observation d‟un patient qui sans
sentiments était dans l‟incapacité de prendre une seule bonne décision.
► Il cite Gilles Deleuze : « Le fatigué a seulement épuisé la réalisation [mentale],
tandis que l‟épuisé épuise tout le possible. Le fatigué ne peut plus réaliser, l‟épuisé ne
peut plus possibiliser. » Celui-ci distingue la fatigue de l‟épuisement. L‟épuisement est
faiblesse, qui empêche de faire, alors que la fatigue est, pour lui aussi, avant tout un
ressenti, qui interrompt l‟exécution de la tache. En amont de l‟action, la fatigue est un
constat conscient ou inconscient d‟impuissance. Comme l‟enfant qui s‟agite au lieu de
dormir quand vient la fatigue, ou Sartre qui abandonne sa promenade, il semble bien que
la fatigue ne corresponde pas à un épuisement des ressources, mais bien à une frustration,
et à un épuisement de l‟élaboration. Il devient tout à fait clair qu‟il est urgent d‟agir
quand la fatigue fait signe. Et quelle angoisse, quand le sommeil n‟arrive pas !
► Descartes explique que notre âme « ne s‟applique à rien avec tant de peine qu‟aux
choses purement intelligibles, qui ne sont présentes ni au sens ni à l‟imagination.. » C‟est
d‟avoir été enfants et d‟en avoir par la suite gardé les habitudes qui nous rend
l‟intelligible laborieux. La difficulté de penser purement est le revers d‟une facilité à
sentir et à imaginer. Autrement dit l‟apprentissage est fatiguant car il consiste à réunir le
soi et la réflexion acquise (c'est-à-dire l‟a priori) à un nouveau savoir intelligible (qu‟on
peut espérer plus "vrai"…). C‟est l‟écart qui crée la fatigue.
5.2.6. Existe-t-il une fatigue normale ou pathologique ?
Dans le chapitre précèdent nous avons essayé de faire la part entre la bonne et la
mauvaise fatigue par l‟approche du malade. Dans ce chapitre nous essayons définir une
limite par une approche médicale.
« Comte insiste à plusieurs reprises sur l‟obligation de déterminer préalablement le
normal et ses vraies limites de variation avant d‟explorer méthodiquement le cas
pathologique » [18]. Mais il ne propose aucun critère permettant de reconnaître qu‟un
phénomène est normal. « Par le concept d‟harmonie, le normal est ramené à un concept
qualitatif et polyvalent, esthétique et moral plus encore que scientifique. » La définition
OMS dépasse largement la vision de Comte, la bonne santé est « un état de complet bien-
être physique, mental et social et qui ne consiste pas seulement en une absence de
maladie ou d'infirmité ».
91
→ La fatigue est normative et correspond à un sentiment qui annonce une
situation a priori insurmontable. Elle agit comme une alarme dont l’objectif est de
ramener l’individu à une situation "normale" ou confortable.
La nécessite de rechercher une anomalie ne doit pas être discutée. Le modèle proposé
permet une meilleure appréhension du symptôme. Sans oublier que le « symptôme
fatigue comme signe d‟appel, [peut] exprimer une autre plainte qu‟il faudrait alors
décoder et aborder d‟une autre manière. Cette question a été beaucoup travaillée dans la
douleur chronique qui peut être l‟expression d‟un mal-être qui n‟arrive pas à se dire
autrement que par le symptôme.» [89].
Quand aucune anomalie n’est retrouvée, ou quand celle-ci est jugée avec toute
subjectivité "normale" ou convenable, ne pourrait-on pas intervenir sur la fatigue ?
Dans le but de rassurer le patient, d’éviter le cercle vicieux de la fatigue, mais aussi
pour le confort ? Quand une pathologie est retrouvée, qu’elle bénéficie d’un
traitement étiologique, pourquoi se priver du traitement associé de la fatigue ? En
cancérologie, par exemple, la nécessité du traitement symptomatique commence à
faire l’unanimité. Peut-on en faire autant du traitement de la grippe ?
Dans cette optique, la limite entre fatigue normale et pathologique tend
effectivement à s’effacer.
5.2.7. Quel traitement symptomatique envisager pour la fatigue ?
Pour le traitement étiologique, le déterminisme poussé à l‟extrême expose au risque
de ne jamais trouver la ou les "causes" initiales qui ont abouti à la maladie. Inversement
le traitement symptomatique intervient le plus souvent légèrement en amont du
symptôme, donc il peut se confondre, en quelque sorte. avec un traitement étiologique.
Pour la fatigue nous ne connaissons pas la physiologie exacte mais considérerons les
traitements possibles en fonction du modèle proposé plus haut. Schématiquement il y en a
4, mais les limites ne sont pas nettes.
1. Un traitement symptomatique "magique" tel que l‟imagine une grande partie des
patients consisterait à effacer la fatigue, avec une gomme, ou bien la pilule de la force, un
concentre d‟énergie et d‟oxygène, ou la potion magique de panoramix…« Docteur, vous
ne connaissez pas des vitamines qui pourraient me redonner un peu d‟énergie ? » Il est
agaçant de voir que les laboratoires ce sont emparés de cette croyance naïve, et que pour
conserver leur part de marché, ils ont bien l‟intention de l‟entretenir.
92
2. Un traitement des sensations, c'est-à-dire sur les afferences périphériques serait
un traitement symptomatique, il consisterait à mettre tout en œuvre pour améliorer la
perception qu‟a le patient de son corps. L‟orchestration des signaux est bien trop
complexe pour imaginer une action « symptomatique ». Il faut remarquer toutefois que
certains traitements ont une très bonne action sur le symptôme fatigue. C‟est le cas des
IEC par exemple, qui agissent sur les symptômes de l‟insuffisance cardiaque sans
réellement la corriger et participent à l‟amélioration du bien être. En réalité, beaucoup de
traitements symptomatiques utilisés en médecine ont avant tout un effet sur le ressenti du
malade. Ce n‟est pas tant la toux qui inquiète le patient, mais bien la sensation d‟être
malade. Cette action ne sera pas discutée, car tout à fait légitime.
3. Agir sur l‟image de soi, c'est-à-dire les souvenirs, les projets, les motivations.
Tout ce qui fait que l‟individu se pense lui-même, et aussi tout ce qui fait que l‟individu
est vu comme lui-même. Cette action relève de la psychanalyse, de la psychothérapie, du
management, et bien sur de la psychiatrie : elle concerne également l‟éducation,
l‟information, la législation, la publicité... Cette action n‟est pas un traitement
symptomatique. Mais les modifications de l‟image de soi et de la norme agissent
directement sur le sentiment de fatigue.
Cette action est bien connue, pour Pr. Dupond « l‟objectif est de réhabiliter le malade [de
fibromyalgie] dans sa relation avec son corps et lui faire substituer l‟image d‟un corps
vaincu et proscrit à celle d‟un corps reconquis et objet de plaisir. Ce travail de
reconditionnement est un préalable indispensable à l‟action thérapeutique spécifique
[43] ».
4. Agir sur le sentiment de fatigue revient à empêcher que s’accomplisse
l’opération [réalité du corps - image de soi]. On peut imaginer que la différence ne
soit même pas mesurée, ou que la différence ne provoque aucun effet au moins au
niveau de la conscience. On peut même imaginer un agent qui positiverait ce calcul,
ou encore qui étoufferait le "bruit fatigue"…
C’est bien de cette action que nous voulons discuter. Et le traitement ne peut être
qu’un psychotrope. Au même titre que la morphine qui empêche l’arrivée du signal
de la douleur. Pour la fatigue de telles molécules existent depuis longue date, et
suscitent de fortes réactions [41].
La première critique face à l‟utilisation de telles molécules découle des observations de
Damasio :
Un patient qui avait une lésion de la région ventro-médiane du lobe frontal [001], ne
ressentait aucun sentiment, était alors incapable de prendre une décision dans l‟action
présente. Cette zone du cerveau lésée semble correspondre à la zone qui initie la réponse
affective, consciente et corticale aux sensations. Les traitements symptomatiques que
nous avons évoqués exposent donc aux mêmes erreurs. En observant d‟autres patients
ayant la même lésion, Damasio à l‟impression que ses patients vivent dans un rêve. Le
traitement symptomatique, et en particulier contre la fatigue offre l‟illusion d‟une
harmonie, « des paradis artificiels ». Le danger parait a priori important.
93
La philosophie chrétienne assimile la peine et la fatigue à une acquisition d‟énergie.
La fatigue peut être vaincue en allant au-devant des difficultés mêmes, si ce mouvement
repose sur la confiance en Dieu [26]. Il s‟agit bien d‟une révolution pour les hommes. « Il
ne suffit pas d‟être un homme de désir, il faut être un homme de peine, et c‟est cela être
un homme. » Partant d‟une réalité biologique, la philosophie chrétienne concrétise la
nécessite d‟agir face à la fatigue, et d‟agir en bien. Résister à la fatigue, cela ressemble à
une thérapie collective. Abuser de cette philosophie n‟exposerait-elle pas à des risques
pour la santé ? Il faut noter que la prévention de l‟abus se fait collectivement, avec la
juste mesure du groupe.
5.3. Le problème de l‟automédication
Nous avons maintenant une meilleure vision du symptôme ou sentiment de fatigue. Mais
de nombreuses zones d‟ombres persistent. Quelle fatigue relève de la médecine ? La lutte
contre la fatigue s‟intègre dans de nombreuses pratiques qui ne sont pas médicales.
Quand exactement l‟individu peut-il consulter pour sa fatigue ? Quelles sont ses attentes,
et quel est le rôle de la médecine ?
Je propose dans ce chapitre l‟approche du problème par l‟automédication pour essayer
d‟appréhender les risques et les bénéfices d‟un traitement symptomatique de la fatigue. Et
de démontrer ainsi que toute fatigue peut justifier une consultation médicale, et donc une
prise en charge.
5.3.1. Historique du café, des amphétamines et autres stimulants.
Parler de la fatigue sans parler du café serait inexcusable. Nombreux sont les historiens
qui le tiennent pour pièce maîtresse dans la métamorphose de notre société au XVIIe
siècle [99].
Au moyen age personne ne pouvait se représenter le paradis sans respirer ou goûter
une épice. Les épices se voient attribuer des propriétés fantasmagoriques. Le commerce
des épices constitue une entreprise ultra-lucrative, d‟autant plus qu‟elle est complexe et
fréquemment perturbée. Il est tout à fait admis que Colomb et Vasco de Gamma ne sont
que les héros chanceux de cette quête. Dès qu‟il n‟y a plus rien à découvrir ni à
conquérir, les épices perdent leur pouvoir.
94
Vers la fin du XVIe un médecin autrichien rapporte l‟existence d‟une boisson chaude
aussi noire que l‟encre lors d‟un voyage en Turquie. Le café est utilisé comme
médicament par les arabes déjà au Xe siècle. Au milieu du XVIIe lorsqu‟on prend le café,
le contenant prime le contenu : la société aristocratique est avide de signes ostentatoires.
La société bourgeoise le considère tout autrement. Ces propriétés constituent un
catalogue varié de vertus. Mais dans la littérature médicale, le café passe d‟abord pour
une boisson « sobre ». Jusqu‟au XVIIe siècle, l‟alcool jouait un rôle difficilement
imaginable aujourd‟hui. La bière et le pain sont les aliments principaux. La
consommation s‟élevait à 3 litres par jour et par personne, enfants compris : les effets,
avec notre regard, étaient désastreux. C‟est grâce au café que l‟Europe, qui erre dans les
vapeurs de l‟alcool, est éveillée à la raison et à l‟ardeur industrieuse bourgeoise : telle est
la teneur de la propagande en faveur de la nouvelle boisson.
Le bourgeois travaille surtout avec son cerveau, son attitude corporelle est la position
assise. Ce nouveau mode de travail et d‟existence concerne l‟organisme tout entier.
« Avec le café, le principe rationaliste se donne accès à la physiologie de l‟homme et la
transforme conformément à ses exigences » [99]. Dès lors les avis divergent. Pour le
bourgeois, la propriété d‟exciter l‟esprit et de tenir artificiellement éveillé signifie
prolongation et intensification du travail. Mais s‟y juxtaposent d‟autres conceptions qui
vont du scepticisme à l‟hostilité. Elles sont le plus souvent l‟expression d‟un
pressentiment du prix que le corps ou la santé doivent payer pour le progrès qu‟apportent
une plus forte concentration et un meilleur rendement dans le travail. Malgré les
inquiétudes des médecins qui reprochent au café de dessécher le phlegme, les
« coffeehouses » se multiplient, d‟abord pour le commerce puis comme lieu de
discussions et de communications. Il faut attendre un demi siècle avant que ne pénètre le
café dans la sphère domestique Fatalement il va perdre sa dimension héroïque.
Trois points sont à souligner dans ce résumé : la propagande, l’approche
ergonomique, et enfin la réunion des consommateurs. Le café du matin comme le
verre du samedi soir lient d’autant plus efficacement l’individu à la vie sociale qu’ils
sont d’un usage agréable.
Le tabac provoque « l‟ivresse sèche », ses effets sont ressentis à cheval entre l‟alcool
et le café. Si le café stimule, le tabac est réputé calmer. Les deux substances se
complètent, l‟une stimule le cerveau, l‟autre tranquillise le reste du corps. Dans l’histoire
de la consommation du tabac, l’augmentation vertigineuse accompagne la
simplification et l’abrégement de l’acte de fumer [41, 99].
Le constat est similaire en ce qui concerne l‟alcool. C‟est à la fin du XVIIe siècle que
l‟eau de vie est introduite à l‟usage régulier, la consommation monte immédiatement en
flèche, pour revenir à des moyennes habituelles dans la 2e moitie du XVIIIe. L‟épidémie
aura été de courte durée, mais les ravages sont importants comme ils le seront chez les
indiens d‟Amérique du nord. C‟est de cette époque que naît l‟alcoolisme solitaire. A
l‟aube de la révolution industrielle, la nécessité de l‟existence d‟une drogue puissante et
bon marché illustre le malaise d‟une partie des classes sociales les plus pauvres : en
particulier les personnes issues de l‟exode rurale [41, 99].
95
L‟opium est un sédatif et analgésique très répandu au XIXe. Il est utilisé aussi
facilement que l‟aspirine aujourd‟hui. Mais l‟introduction volontaire et massive en Chine
par la Compagnie anglaise d‟Orient et de Chine a été la ruine de l‟empire du milieu. Sa
transformation en morphine en 1817 puis en héroïne en 1874, et leur passage du militaire
au civil (comme pour le tabac et l‟eau de vie), ont eu les conséquences dramatiques que
nous connaissons.
L‟amphétamine et tous ses dérivés sont tellement nombreux qu‟ils pourraient être les
« orchidées » des agents psychoactifs [106]. Le mot amphétamine correspond strictement
à une structure moléculaire (α-methyl-phenethyl-amine), mais l‟abus de langage en a fait
un mot très lourd de sens, souvent effrayant, certainement au même rang que l‟héroïne.
L’action amphétaminique est pourtant recherchée dans de nombreuses civilisations
depuis des temps très anciens à travers les plantes. On a retrouvé des traces de ma
huang (éphédrine) ou ephedra sinica dans des temples védique en Inde (-1500 a -500
avant J.-C.). Lophophora williamsii (mescaline) est utilisé par les indiens
d’Amérique depuis 2000ans. Catha edulis (cathinone et norpseudoéphédrine) est
appelé également khat (qat) par les arabes ou myrrha (miraa) en Afrique de l’est.
On rapporte que le khat est utilisé par 85% des adultes au Yémen, pour ses
propriétés anti-fatigue, pour améliorer l’estime de soit, et malheureusement pour
lutter contre la sensation de faim. Mais son utilisation est accompagnée de rituels
très complexes et très particuliers.
Les exemples sont très nombreux, et il est nécessaire d’insister sur l’utilisation
souvent encadrée de ces plantes, que se soit dans un cadre médical ou social [41].
La β-phenéthylamine et la phenyléthanolamine, métabolites de la phénylalanine, et la
tyramine métabolite de la tyrosine, ou la tryptamine du tryptophane ont des structures
amphétaminiques. Elles sont retrouvées à l‟état naturel dans le corps humain. Leur action
amphétaminique est confirmée par l‟administration exogène de β-phenéthylamine ou par
action indirecte des IMAO. Il existerait donc des « amphétamines » endogènes, comme il
existe des morphines endogènes, les endorphines.
L‟amphétamine est inventée en 1887. En 1936 Benzédrine® (dextroamphétamine) est
vendue sans ordonnance. En 1946 il lui est attribué 40 indications thérapeutiques. Son
potentiel addictif est évoqué dès 1937, mais n‟est reconnu que dans le milieu des années
1960. En 1970, la production atteint les 10 milliards de tablettes, et plus de la moitié sont
vendues sur le marché noir, on parle de « crise de civilisation », « fléau public » et surtout
de « menace majeure pour le groupe ». La loi du 31 décembre 1970 relative « aux
mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l‟usage
illicite des substances vénéneuses » est présentée quasi unanimement comme une loi de
« salut public » [41]. Mais de nombreuses personnes sont frappées par son caractère
exceptionnel : fort éloignée des critères habituels de droit de la santé, exorbitante de droit
commun…
96
5.3.2. Automédication et paradoxe du dopage.
On constate depuis 15ans que les citoyens européens aspirent à prendre une grande
part de responsabilités dans le cadre de leur propre santé. Telle est l‟évolution de la
politique de santé en France depuis la loi Kouchner. La CNAM tente de sensibiliser ses
assurés sur le problème de l‟automédication depuis 1991 : “ un médicament ça ne se
prend pas à la légère ”. Le rapport du conseil national de l‟Ordre des médecins de février
2001 [90], conclut au sujet de l‟automédication qu‟ « il est important d‟appréhender au
mieux le mouvement consumériste, l‟industrie pharmaceutique et la sécurité sociale ainsi
que les différentes motivations de la pratique de l‟automédication.»
« Si l‟automédication n‟est pas déraisonnable lorsqu‟elle s‟avère utile dans l‟attente d‟un
avis médical pour pallier temporairement un trouble important par une médication de
courte durée, par contre elle risque de devenir très dangereuse si elle échappe trop
longtemps à une consultation médicale ou si elle est utilisée de façon irréfléchie alors que
la maladie responsable du trouble n‟est pas encore identifiée. La prudence réclame une
éducation de l‟utilisateur, notamment par une information pertinente.»
Les stupéfiants ne sont pas des médicaments donc leur utilisation ne peut pas être, au sens
strict, confondue avec l‟automédication. L‟usage de drogues couvre un large spectre de
modes d‟utilisation : du festif, au dopage, en passant par le rituel initiatique et bien sur la
toxicomanie. On retrouve dans les motivations des similarités avec celles de
l‟automédication, à la nuance près de l‟interdit et de la désocialisation [41, 71, 90]. Elles
sont la conséquence d‟une impulsivité émotionnelle d‟inquiétude, d‟isolement,
d‟insouciance, de négligence, d‟ignorance (choix de l‟agent, de sa posologie, de la durée
du traitement, connaissance des risques…), d‟un sentiment d‟indépendance vis à vis de la
toute puissance du thérapeute, de la tentation d‟une source d‟économie de consultations
ou (et) de médicaments, d‟un souci de “ gagner du temps ”, de l‟obligation de résultats,
de l‟influence des associations de consommateurs, majorée par la confusion née du
foisonnement d‟informations largement médiatisées.
→ Ainsi avec empirisme on parvient à des solutions remarquables : des médecins se
sont penchés sur l‟automédication par la methamphétamine chez des patients VIH [95].
Les patients se plaignent essentiellement de fatigue [13], de peur et d‟engourdissements.
Tous ont expliqué prendre la methamphétamine pour traiter la fatigue, et les douleurs
neuropathiques. Mais ils sont nombreux à rapporter les douleurs et l‟anxiété exacerbées
quand les effets sont passés.
La consommation de cocaïne est en pleine croissance [86]. On retrouve une
utilisation importante et encore sous estimée dans de nombreux métiers. De la mode à la
publicité, des courtiers en bourse aux avocats, de la politique à la restauration, la cocaïne
est devenue omniprésente. D‟autant plus présente que les enjeux sont importants : elle
sert « pour tenir la pression ». L‟article du Monde du 12 avril 2006, est ahurissant
d‟exemples pour les personnes non initiées, déjà banal pour les autres. En 2005, l'OFDT
(observatoire français des drogues et toxicomanies) constatait que "les milieux sociaux
concernés par cette consommation sont devenus tellement larges et hétérogènes qu'il est
difficile aujourd'hui de dresser un portrait type du consommateur".
97
Un consommateur rapporte : "ceux qui consomment au boulot savent que c'est pour
compenser une faiblesse, c'est dévalorisant de l'avouer. Ça peut être le matin avant de
partir, dans les toilettes du bureau après le déjeuner ou avant un rendez-vous important.
En une seconde, tu te sens fort, motivé, sûr de toi, capable de tout gérer. Si c'est un travail
physique, tu es plus puissant et plus précis dans tes gestes. Autour de toi, tout le monde a
sur ce sujet l'impression que tu assures. Le résultat n'est pas forcément meilleur, mais
le boulot est fait, et il a semblé moins pénible."
Le docteur Michel Hautefeuille, psychiatre au centre Marmottan, dans le 17e
arrondissement, a découvert un nouveau type de patients : "Je reçois des gens qui
prennent de la cocaïne dans leur entreprise. Ils s'en servent comme stimulant pour
travailler plus dur, pour faire face à la concurrence de leurs collègues. Ce sont des dopés
du travail. Leur motivation est la même que celle des sportifs qui prennent de l'EPO."
Il est convaincu qu‟ : "En France, la drogue a longtemps été considérée comme un
produit planant, extatique, contemplatif. En revanche, les Américains ont toujours
recherché des drogues excitantes, permettant de se surpasser. L'arrivée massive de la
cocaïne chez nous est un symptôme de l'américanisation de la vieille Europe. On ne se
drogue plus pour être rebelle ou original, mais pour se conformer au modèle du cadre
éternellement jeune, infatigable, débordant d'idées."
Le psychiatre Philippe-Jean Parquet, chef du service d'addictologie du CHU de Lille, fait
les mêmes constatations : "Les Français ont entamé un processus de fraternisation
intellectuelle avec la cocaïne."
→ Les conséquences de cette consommation peuvent être tragiques. Les accidents
doivent être étudiés en détail afin d’identifier chaque facteur qui a amené cette
rencontre non médicalisée entre le psychotrope et l’individu. Si l’hypothèse de
l’automédication se confirme alors : « réalité évidente, l’automédication a besoin
d’être organisée au mieux d’un usage compatible avec la santé publique [36]. »
Ce constat est capital. Il rapporte une fatigue/souffrance au travail. Il objective
les modifications des exigences sociales. Il traduit la démocratisation de et la
familiarisation avec l’usage de psychotropes. Il illustre parfaitement le passage
imperceptible de la fête à l’automédication puis au dopage.
Le dopage n‟est pas une conduite imaginée par les sportifs. « Depuis l‟aube des Temps,
des substances sont ingérées pour courir plus vite et plus loin, ne pas avoir faim, lutter
contre la fatigue, respirer en altitude, effacer la peur, etc. Pour acquérir des capacités
physiques et intellectuelles perçues comme absentes ou insuffisantes pour affronter un
obstacle de la vie, ressenti ou réel » [70]. Prométhée, en volant le feu à Zeus, délivre les
hommes de la condition dans laquelle les avait mis son frère Epiméthée. L‟homme peut
vivre la nuit, et investir les grottes, etc. En ce sens il est le sauveur de notre espèce.
Il n‟existe aucune loi, réglementation, qui interdise la conduite dopante dans le monde du
travail, et des études [41]. La pratique du dopage n‟est prohibée, que par le mouvement
sportif [70]. Voici un exemple, où deux systèmes de valeurs opposés se sont installés et
coexistent, rendant la réflexion individuelle encore plus complexe.
98
Le modèle du vrai champion se distingue par ses résultats, son talent, sa vertu, et qui
gagne l‟estime du public dans la victoire comme dans la défaite [87]. Mais le sportif de
haut niveau doit assurer sa victoire pour lui mais aussi pour tous ceux qui en tirent
bénéfice : « son pays pour la gloire et la politique, sa fédération et son entraîneur pour le
prestige et les retombées économiques, son médecin, son conjoint, ses équipiers, ses
amis… et bien sur ses mécènes. » [70]. Encore un exemple de situation inextricable, dans
laquelle se retrouve le sportif, mais qui en réalité concerne chacun.
→ Le "dopage" est donc la consommation d’une substance pour éviter un
insuccès, c’est une conduite de prévention de l’échec. La conduite dopante est l’accès
à tout "artifice" dans ce même objectif. Chose étonnante, l’essentiel du dopage ne
concerne pas le haut niveau et seulement très peu de produits ont prouvé un intérêt
évident, au prix de risques importants sur la santé. Malgré les valeurs sportives
exprimées par Pierre de Coubertin [87], les sportifs se tournent vers la
pharmacologie et s’exposent à des risques inutiles. Le Viagra® illustre avec
perfection la généralisation de cette conduite, dans son aspect le plus absurde :
l’important degré d’efficacité qu’on lui attribue a fait passer au second plan toute
réflexion sur la sexualité, l amour… C’est désespérant.
5.3.3. Le risque pharmaceutique : exemple des compléments alimentaires
Pour l‟Ordre des médecins [90] le besoin de “ se traiter soi-même” correspond à la
survenue de symptômes en apparence bénins (la fatigue est un excellent candidat...) dont
l‟intensité ou la gêne fonctionnelle n‟est pas de nature à limiter les activités habituelles.
« Cette gêne est parfois subjective et relève du besoin d‟un certain confort, allant du
banal sédatif au remède du domaine publicitaire. Cette attitude est largement
conditionnée par une publicité à laquelle il est difficile d‟échapper, en tous lieux, publics
et à domicile (presse, émissions télévisées) et qui comporte le risque d‟une information
incontrôlable quant à ses conséquences et plus propre à séduire qu‟à convaincre ».
Actuellement le marché du bien être est en pleine expansion, il représente une part
colossale du chiffre d‟affaire des laboratoires. Le fait est que les substances vendues ne
sont pas si inoffensives qu‟on le pense. Pour attirer les clients, les produits se créent des
réputations. Ainsi certaines marquent n‟hésitent pas à enrichir leurs compléments
alimentaires en substances dopantes de manière cachée ou tout à fait ouvertement, en
dépit de toutes les recommandations médicales.
L‟exemple type est le procès de l‟éphédrine aux Etats Unis : le complément alimentaire
se substitue à toutes les règles de précautions du médicament, la Food and Drug
Administration doit prouver la dangerosité du produit pour le retirer du marché ! (1994 :
Dietary Supplement Health and Education Act (DSHEA)) En avril 2005, contournant
l‟interdiction fédérale, après des années de batailles pour démontrer le risque de la prise
d‟éphédrine, le juge Teena Campbell autorise la commercialisation dans le Utah à des
doses de 10mg par jour… La possibilité d’obtention de ces substances sur des sites
Internet empêche actuellement toute réglementation en France. Le médecin est dans
l’obligation de savoir appréhender les risques de ses substances.
99
Pour Marc Loriol [76], la montée en puissance de l’intérêt médical pour la
fatigue est aussi une conséquence de l’action des laboratoires pharmaceutiques. La
propagande s‟exercerait sur patients et médecins. Les laboratoires diffusent 2 types de
messages auprès des praticiens : d‟une part les convaincre d‟élargir la gamme des
indications normalement spécifiées pour tel ou tel médicament et d‟autre part persuader
le prescripteur que les « signes précoces » de simple mal-être peuvent être le
commencement de problèmes beaucoup plus graves qu‟il convient de traiter.
Claude Bernard a reconnu qu‟il existe un passage insensible et insaisissable entre l‟état
physiologique et l‟état pathologique, alors qu‟il se préoccupait du diabète [18]. Les
laboratoires se sont emparés, pour des raisons de coût, de l‟Evidence Based Medicine,
utilisée pour pallier l‟impossibilité du raisonnement déterministe en médecine. Un
pressentiment émerge dans le corps médical que les laboratoires font déplacer en fonction
de leurs intérêts les limites du normal et du pathologique. Nous avons, comme
Ehrenberg, le sentiment que la fatigue est la cible actuelle [46].
→ Ainsi Pr. Dupond félicite la tentative de résistance française face à la
« déferlante scientifique américaine et la pression des malades de fibromyalgie en
augmentation exponentielle à mesure que se profilait la promesse d’une
reconnaissance de la maladie. » Il explique que certains chercheurs ont été
contraints de faire une confession : « nous avons créé un monstre… » [43]. C’est
pourquoi il cite Halder qui écrit en 1997 dans le journal of rheumatology « la
fibromyalgie est morte, vive le malade… » et conseille de s’appuyer sur la
philosophie générale de soins chère au Pr. Rousset, la « patient based medicine ».
5.3.4. Le rôle du médecin
« A l‟aube de l‟humanité, avant toute vaine croyance, avant tout système, La
médecine en son entier résidait dans un rapport immédiat de la souffrance à ce qui la
soulage » [50]. Tout le monde indistinctement pratique cette médecine.
Si l‟automédication est une réalité qui doit être connue et acceptée du médecin, elle
demeure une réalité dangereuse et contestable suivant les cas [90].
L‟avis du médecin s‟impose quand le malaise devient ingérable seul. Mais le médecin
doit se rendre disponible avant que le patient ne trouve une autre solution. S‟il ne
s‟efforce pas de soulager la fatigue de ses patients, ceux-ci se renseigneront ailleurs, avec
un risque et un coût augmentés. Si l‟on se souvient de la lutte de Molière contre les
médecins, et à voir l‟importance des médecines alternatives, la relation médecin-malade
restera toujours très fragile.
Le médecin généraliste est l‟interface entre la société et la médecine. Il doit intégrer les
données biopsychosociales en rapport avec son patient, afin de trouver une solution
adéquate au problème posé par son patient (WONCA Europe 2002) [61].
100
Après cette longue discussion, le problème reste entier : le concept de fatigue est-il
une réalité objective accessible à la connaissance scientifique quantitative ? La différence
de valeur que le patient institue entre sa fatigue "normale" et sa fatigue "pathologique"
est-elle une apparence illusoire que le médecin peut légitimement nier ?
Il parait tout à fait important que les médecins reconnaissent Ŕexactement comme dans la
douleur- dans la fatigue un phénomène de réaction totale qui n‟a de sens qu‟au niveau de
l‟individualité humaine complète. L‟homme crée sa fatigue, comme il fait sa maladie,
bien plutôt qu‟il ne la reçoit ou ne la subit. « Dire que la santé parfaite n‟existe pas c‟est
seulement dire que le concept n‟est pas celui d‟une existence, mais d‟une [idée de] norme
dont la fonction et la valeur est d‟être mise en rapport avec l‟existence pour en susciter la
modification » [18]. La souffrance qui en découle est réelle. Il est indiscutable que le rôle
de la médecine n‟est pas seulement la santé, sa fin absolue est bien l‟individu lui-même.
→ Le traitement de confort est une question médicale s’il expose à des risques. La
balance bénéfices-risques penche inévitablement vers la non prescription devant la
volonté de ne surtout pas nuire. Là commence justement le débat. Les promesses
réelles ou imaginaires de tel ou tel agent, semblent justifier, pour le patient, de plus
en plus souvent la prise de risque…
En pratique, comme le fait remarquer Michael Balint : il existe un problème
d‟éducation des patients par leur médecin : ils ne sont pas habitués à être examinés
globalement mais seulement à bénéficier d‟un examen physique. Non préparés à une
approche psychologique de leur problème, les patients peuvent alors se montrer effrayés,
offensés, déroutés par ce type d‟examen [12].
De la même manière une évaluation, des conditions de vie et de travail semble tout aussi
indispensable [61]. Mais ne s‟expose-t-on pas au risque d‟être trop intrusif dans la vie de
nos patients ? Quelle place donner alors à notre rôle de prévention ? Dr. Serge Simon,
(psychiatre du CAPS, centre d‟accompagnement et de prévention des sportifs), convient
qu‟il n‟est pas justifié de détruire la « bulle névrotique », même si l‟individu est jugé être
en équilibre instable… cette question est un enjeu éthique majeur : le consentement en
psychiatrie [72].
Pour le père de la psychologie française Pierre Janet, « nous sommes tout à fait
incapables d‟établir le budget de notre activité mentale… Il est probable qu‟un jour on
saura établir le bilan et le budget d‟un esprit comme on établit ceux d‟une maison de
commerce. » Chrétien s‟inquiète de voir aboutir « une tyrannie médicale », « une
terrifiante emprise dont la candeur avec laquelle Janet la formule ne fait qu‟accroître la
démesure » [26]. En cas de prise en charge médicale de la fatigue, il parait dangereux de
conserver le modèle énergétique pour le symptôme.
101
→ La discussion autour des médicaments en psychiatrie, à savoir s’ils traitent la
maladie, ou accompagnent le malade, a déjà fait couler beaucoup d’encre. Les
questions fondamentales de l’aliénation au médicament, et de camisole chimique ont
également été débattues en psychiatrie [46, 72]. La part que vont prendre les
psychotropes dans notre démarche thérapeutique, dépendra entre autres de notre
réflexion éthique. Celle-ci est obligatoire si nous ne souhaitons pas être débordés par
la pharmacologie, car telle est la tendance actuelle. La discussion est urgente,
l’histoire des psychotropes nous montre que les catastrophes sanitaires apparaissent
avec l’arrivée de la drogue sur une société inexpérimentée.
5.3.5. Quelle est l‟attente des patients ?
Nous avons vu à l‟issue de notre enquête que les personnes restent très suspicieuses
vis-à-vis des traitements psychotropes.
« Le médicament, perçu comme l‟instrument magique, permettant d‟envisager toute
liberté de respirer, maigrir, dormir, manger, boire, courir...ressentie à tort sans contrainte
ni danger, peut être perçu au contraire comme “ dangereux ” d‟où l‟engouement des
médecines alternatives, douces... » [90].
Appréhender par un simple questionnaire les représentations des patients et leurs rapports
aux médicaments, qui plus est, psychotropes, a été ambitieux. Pour la simple raison que
dans l‟inconscient collectif la pilule contraceptive n‟est pas un médicament ou que
l‟aspirine est en vente libre, la relation au médicament est pleine de contradictions. Pour
obtenir une réponse plus précise de l‟attente des patients, il faudrait organiser une étude
avec des entretiens, afin de prolonger l‟interrogatoire, et d‟insister sur certaines
confusions.
Par ailleurs le fait même d‟incorporer un produit touche à des notions vitales
élémentaires. La polémique passionnelle qui entoure l‟origine et la sécurité des aliments,
influe sur l‟accueil ou le rejet des psychotropes…
Il s’agit de ne pas s’offusquer, et au contraire de prendre en considération cette
ambivalence.
Le tabou qui touche les stupéfiants (opium, haschich, cocaïne, héroïne, …) et leur
interdiction légale dans le monde actuel sont relativement récents [41].
Au milieu du XIXe siècle, l‟avant-garde littéraire et artistique fait un usage ostensible de
l‟opium et du haschich. C‟est une génération romantique, qui vante l‟asocialité. Chrétien
[26] parle de fatigue et de lassitude suite à la chute puis la résurrection « qui les fait se
tenir devant l‟Œuvre à faire ». Ils ont fourni à la société les formules qui allaient
justement établir le tabou. Les fantasmes d‟angoisse ne font que refléter les fantasmes des
poètes [99]. La découverte de différents méfaits de l‟addiction et des drogues à la fin du
XIXe siècle achève la construction du tableau d‟horreurs. Les premières campagnes
politico-moralisantes sont d‟une extrême véhémence et la loi du 31/12/1970 est toujours
en vigueur.
102
L‟importance est de constater que la morphine est très largement acceptée, même
quand on informe qu‟elle est de la même famille que l‟héroïne. La morphine est devenue
un médicament d‟usage relativement courant, et il ne fait aucun doute que la lutte contre
la douleur est vécue comme un véritable progrès.
On ne peut pas nier que les psychotropes occupent une place de plus en plus importante
dans notre société. Qu‟ils soient sous forme de médicaments ou de produits de
consommation courants, on pourrait croire que le public les utilise sans même s‟en rendre
compte. C‟est bien cela qui nous effraie.
En vérité, à l‟image des échanges de benzodiazépines entre patients anxieux, il s‟avère
que la consommation est bien consciente.
Pour parler plus exactement de la fatigue, dans les entretiens réalisés auprès
d‟infirmières [76], l‟idée de prendre un médicament est souvent nettement rejetée. Cette
idéologie antimédicaments correspond à un désir de se démarquer des malades. (Les
vitamines échappent encore une fois à cette considération). Pourtant, la prise régulière de
tels médicaments, pour tenir le coup ne serait pas rare. Comme pour la consommation de
taurine ou de caféine, c‟est parce qu‟ils sont pris de manière informelle que leur
consommation peut être déniée.
Deux choses sont principalement attendues de la consultation médicale : les arrêts
maladie spontanément proposés, une écoute et la reconnaissance de la difficulté du travail
[76] ressentis comme sources « d‟énergie subjective ». Les reproches faits au corps
médical porte sur la mauvaise connaissance de la fatigue pathologique, l‟indifférence du
soignant, l‟étiquetage "psy", et tout de même l‟absence de thérapeutique ! [12] Les
patients avouent doucement avoir peur du médecin.
60% des personnes interrogées seraient mécontentes de se voir conseillées du repos par le
médecin à l‟occasion d‟une fatigue inexpliquée. Même si celui-ci se propose de les
réexaminer dans 15 jours. Dans le contexte de notre questionnaire se mécontentement
exprime-t-il une demande de médication ou d‟examens complémentaires ? Ce très
surprenant résultat mérite d‟être vérifié, et précisé. Il est en tout cas justifié de ne pas
donner de diagnostic après une première consultation pour fatigue, même si les patients
ressentent l‟importance d‟avoir un nom (71% dans le SFC [12]).
→ Pour une première enquête dans ce sens, 20% d’accords pour une
consommation courante du traitement contre la fatigue est un résultat qui doit très
sérieusement faire réfléchir.
103
5.4. Une réflexion éthique obligatoire
« Qui devra donc dénoncer au genre humain les tyrans, si ce n‟est les médecins
qui font de l‟homme leur étude unique, et qui tous les jours contemplent les misères
humaines qui n‟ont d‟autre origine que la tyrannie et l‟esclavage ? » (Lanthenas, de
l‟influence de la liberté sur la santé Paris 1792) [50].
5.4.1. Nos conditions de vie se sont modifiées.
« La fatigue engage notre façon d‟être, nos relations avec les autres, nos désirs et nos
frustrations. Même quand elle est le fait d‟une maladie, sa prévention et son traitement
interrogent nécessairement le sens que nous, malades et soignants, donnons ou que nous
voudrions donner à notre vie ». Pour Pr. Ferreri la fatigue chronique souligne souvent la
perte du sens de notre existence [49]. La mélancolie, l‟acédie, la neurasthénie, etc. sont
autant d‟euphémismes qui traduisent notre terrible condition humaine.
Le problème est aujourd‟hui relancé. La mondialisation a inversé la relation entre le
produit et le besoin : nous sommes passés d‟une période où les produits étaient rares, à
une période où les besoins sont dépassés. La communication bouleverse l‟ordre établi, où
l‟information faisait le pouvoir, dorénavant en un clic des millions de personnes peuvent
observer, contempler, impuissants.
Ehrenberg et de nombreux philosophes ont fait l’observation que depuis la fin du
XIXe siècle, une profonde mutation du « soi » s’est mise en marche. « L’idéal
politique moderne, qui fait de l’homme le propriétaire de lui-même et non le docile
sujet du Prince, s’est étendu à tous les aspects de l’existence » [46]. Le processus de
civilisation implique à la fois un autocontrôle de plus en plus étendu des pulsions et
une individualisation croissante qui poussent l’individu à être son propre maître
[76].
Une série d‟articles en 1862 dans The Lancet, décrivent une fatigue provoquée par
les voyages en chemin de fer [43]! Parmi les plus véhéments on retrouve Charcot :
« turbulence musculaire, anxiété et excitation visuelle sont autant de facteurs
indiscutables du malaise qui s‟installe ». Faut-il y voir le génie de Charcot, ou est-ce une
tendance typiquement humaine de penser que l‟époque contemporaine est toujours très
particulière… Le progrès comme source de danger, le progrès qui modifie les habitudes,
qui renverse les lois éthiques, est depuis toujours la cible des conservateurs, la fatigue
définie comme sous produit de la civilisation est bien connue chez Rousseau ; mais la
conjoncture actuelle, et l‟importance des découvertes du XXe siècle laissent peu de place
à la précaution.
→ Prenons le risque de faire un lien entre la pathologie et le milieu dans le quel nous
évoluons…
« Liées aux conditions d‟existence et aux modes de vie des individus, les maladies varient avec les
époques, comme les lieux. Au moyen age, les malades étaient livrés à la peur et à l‟épuisement (apoplexies,
104
5.4.2. La solitude dans notre organisation sociale.
Pour nous médecins, « la maladie doit être prise dans un double système d‟observation :
il y a un regard qui l‟isole pour mieux la cerner dans sa vérité de nature ; et un regard qui
la confond et la résorbe dans l‟ensemble des misères sociales à supprimer » [50]. C‟est
pour cela qu‟une bonne connaissance de la situation sociale est absolument nécessaire à
la prise en charge de nos patients.
L‟activité professionnelle, lorsqu‟elle est investie et effectuée avec un certain degré
de liberté et de responsabilité, est source d‟identité, de valorisation, d‟estime de soi. Elle
est aussi reconnaissance de l‟autre, source de lien social et d‟épanouissement personnel
[49]. L‟encyclopédie de Diderot et d‟Alembert dans la définition du travail fait notion
d‟un « principe actif en nous, qui nous porte à l‟action. Si cette activité n‟a point d‟objet
réel, l‟esprit se replie sur lui-même, il se trouble, il s‟agite et de la naissent l‟ennui, les
inquiétudes, les appétits bizarres et désordonnées et l‟oubli du devoir. »
Depuis 3 décennies, on convient que le travail s‟est détérioré [44, 46, 61, 76]. Au-delà
des seules conditions de travail (ergonomie, dangerosité, pénibilité…), ce sont les
conditions du travail qui empirent [70] : les protections traditionnelles, acquises ou
conquises et les relations qui unissent les travailleurs… Les individus sont exposés à de
violentes contradictions : chacun est évalué sur sa performance personnelle, alors que
nous sommes poussés à travailler ensembles. L‟honneur est une valeur qui disparaît au
profit du contrat. Certains sociologues pensent qu‟il y a un morcellement et une
destruction en profondeur du lien social : famille, fêtes populaires, etc. [75] L‟entreprise
comme lieu d‟intégration et comme la plupart des grandes institutions autour desquelles
s‟est structurée la vie sociale, disparaît peu a peu, pour qui cherche une collectivité
protectrice et porteuse de repères.
Gilles Lipovetsky nous brosse un tableau inquiétant de l‟évolution de la société au
XXe siècle, qu‟il appelle l‟ère du vide [75]. Son essai est d‟autant plus émouvant,
qu‟écrit en 1983, il semble rajeunir. Le mois de mai 1968 symbolise une profonde
mutation, mais Nietzsche avait déjà annoncé la venue de l‟individu souverain,
« affranchi de la moralité des mœurs. » La disparition des traditionnels interdits offre un
large champ d‟action, tout est possible. Et c‟est bien là l‟effort depuis des siècles, des
sociétés modernes à inventer l‟individu libre.
fièvres hectiques) ; mais avec le XVIe et XVIIe siècles, on voit se relâcher le sentiment de la patrie et les
obligations qu‟on a à son égard ; l‟égoïsme se replie sur lui- même, on pratique la luxure et la gourmandise (maladies vénériennes, encombrement des viscères et sang) ; au XVIIe siècle, la recherche du plaisir passe
par l‟imagination ; on va au théâtre, on lit des romans, on s‟exalte en de vaines conversations ; on veille la
nuit, on dort le jour ; d‟où hystéries, hypocondries, les maladies nerveuses. » [50] (Maret, mémoire où on
cherche à déterminer quelle influence les mœurs ont sur la santé Amiens 1771)
105
Il nous faut faire le constat. La société est désormais commandée par une nouvelle
stratégie remplaçant les rapports de production, au profit d‟une apothéose des rapports de
séduction, « c‟est avant tout une opération systématique de personnalisation, autrement
dit d‟atomisation du social. » [75].
Il n‟y a pas eu de détresse métaphysique, mais bien de l‟indifférence. La démotivation
généralisée a provoqué un repli autarcique. « Quand le social est désaffecté, le désir, la
jouissance, la communication deviennent les seules « valeurs » et les « psy » les grands
prêtres du désert. »
Ce que certains sociologues appellent « la routinisation du charisme », c'est-à-dire quand
l‟exceptionnel devient habituel, Lipovetsky parle d‟ « indifférence par saturation,
information et isolation. »
La solitude du personnage de P. Handke [62] n‟a plus rien à voir avec la solitude des
héros de l‟age classique ni même avec le spleen de baudelaire. Elle est devenue une
banalité, et non moins redoutable. « On demande à être seul, toujours plus seul et
simultanément on ne se supporte pas soi même, seul à seul ».
→ La sphère privée est sortie victorieuse du raz de marée apathique. « Le
narcissisme traduit le surgissement d’un profil inédit de l’individu dans ses rapports
avec lui-même et son corps, et autrui… au moment où le capitalisme autoritaire
cède le pas au capitalisme hédoniste. » L’individu éprouvant son vide intérieur en
quête de sensations va chercher à le combler dans une consommation frénétique et
effrénée. Lipovetsky l’appelle le mouvement moderniste, hédoniste, et
caricaturalement post-moderne, pour signifier l’escalade folle vers la nouveauté et
aussi la réalisation de soi : il faut être absolument soi-même [75].
5.4.3. L‟invention de l‟individualité, la fatigue d‟être soi.
« La question de la fiabilité des hommes, de leur bon fonctionnement physique et
psychique, devient essentielle à la coopération dans un réseau d‟interdépendances de plus
en plus complexe » [44]. « Chacun doit faire preuve d‟autodiscipline sans faille, d‟une
autorégulation très différenciée de son comportement pour se frayer un passage dans la
bousculade » [76]. Si jamais l‟effort qu‟exige cette autorégulation dépasse les possibilités
d‟un individu, ce dernier et bien d‟autres sont en danger de mort. La question de la limite
de chacun face à l‟effort physique et psychique, c'est-à-dire face à la fatigue, devient
cruciale.
Dans la société occidentale, la construction de l‟identité est devenue un impératif [70] : il
faut se construire, devenir soi-même, s‟accomplir, se réaliser, se dépasser. La formation
identitaire est parsemée d‟obstacles, qui font l‟objet de différentes stratégies
d‟affrontement. « Chaque individu doit conduire sa vie [et se construire] comme un vrai
professionnel de la performance » [46].
106
Logiquement et progressivement la « responsabilité » remplace la « culpabilité », et
l’ « initiative » remplace la « discipline ». Les notions de projet, de motivation, de
communication sont aujourd’hui des normes.
« A chaque fois que l‟individu se trouve dans une situation qui lui renvoie une
image favorable de lui-même (domination sociale, créativité, reconnaissance sociale, etc.)
il augmente son capital émotionnel » [76]. Le sentiment que la société a de lui rehausse
le sentiment qu‟il a de lui-même. Parce qu‟il est en harmonie morale avec ses
contemporains, il a plus de confiance, de courage, de hardiesse dans l‟action.
« Plus l‟individu est richement doté en capital émotionnel, plus il aura l‟énergie pour
entreprendre et réussir ses projets et donc avoir une image de soi positive et renforcer son
capital. Mais la métaphore est incomplète, l‟énergie mise en œuvre ne peut pas être
comparée à un carburant » [76].
Michel Joubert (professeur de sociologie, Université Paris VIII) explique le sentiment de
fatigue des personnes en situation d‟exclusion par un épuisement du « tonus
biographique » lié à la perte des repères traditionnels, l‟expérience des situations
précaires, des environnements dégradés et de l‟affaiblissement des relations avec autrui.
L‟image positive de soi agit comme source « d‟énergie subjective ».
Il existe différents modèles en psycho-sociologie, qui tentent d‟expliquer la
motivation, et qui cherchent le déclenchement de l‟action. L‟image d‟unité de soi et son
maintient lui donnent sens.
« La quête de la personne parfaite est déclenchée par un sentiment d‟écart, insupportable
car entraîne l‟action, entre l‟identité ressentie et l‟identité présentée » [70].
« Le concept d‟identité peut être défini de façon dynamique comme la recherche
d‟équilibre entre l‟image qu‟un individu a de lui même et l‟ensemble des contraintes et
opportunités qui lui sont imposées par ses différents rôles sociaux. » [76]
« L‟aversion pour l‟effort à fournir et celle pour la situation sur laquelle l‟acteur veut
intervenir entre en conflit. Si la première est plus forte alors c‟est fatigue et lourdeur du
corps. » (Kaufman 1997) Ou bien n‟est ce pas plutôt une question de paresse ?
Si le sens de l‟action n‟est pas évident, le manque de volonté à agir et la fatigue
apparaissent. L'état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre les efforts qu'une
personne consent à fournir et les récompenses qu'elle en reçoit en retour [61].
→ Malgré la confusion sémantique, une cohérence se dessine, à l‟image du modèle
scientifique et médical de Damasio. Il me parait important d‟insister ici sur la distinction
entre la fatigue, qui est un constat d‟impuissance, le stress qui est une agression, l‟anxiété
une crainte d‟affaiblissement, et la motivation qui est un élément bien plus riche de la
construction de l‟identité et initiant et pérennisant l‟action. Je ne souhaite discuter que du
traitement de la fatigue…
107
L‟individu se doit d‟avoir un contrôle de plus en plus serré de ses propres réactions.
Certains y voient un conflit, une lutte de soi contre soi. « Une partie de tensions
susceptibles d‟être déchargées dans des corps à corps impitoyables est maintenant l‟enjeu
du combat intérieur que l‟individu se livre a lui-même. » (Elias 1985). La notion de
conflit traduit l‟écart entre ce qui est possible et ce qui est permis.
« Fatigués et vides, agités et violents, bref, nerveux, nous mesurons dans nos corps le
poids de la souveraineté individuelle. » (Kaufman).
La liberté impose à chaque individu pour ses choix des calculs de plus en plus
compliqués et inextricables, d’autant plus que s’ouvre à lui une infinité de
possibilités. Pour Ehrenberg, l’« individu [moderne] est certainement incertain,
puisque c’est à lui d’élaborer ses propres règles. » [46]
L‟homme moderne vit une tragédie qui accentue sans aucun doute sa fatigue. Si les
contraintes résultent directement de la configuration d‟interdépendances dans laquelle se
trouve pris l‟individu, la complexité de ces interdépendances et surtout l‟intériorisation
des conflits explique pourquoi « l‟adversaire » est perçu comme impalpable, même si
parfois des boucs émissaires sont désignés.
Les systèmes de référence permettent de juger autrui mais aussi de se juger soi-
même. La notion d‟estime de soi est un jugement de valeur personnelle porté sur l‟image
de soi. Les exigences varient avec les cultures et les milieux, elles sont actuellement
particulièrement restrictives…
Pour Levinas, Etre, c’est avoir à être et à faire. C’est le « avoir à … », pensé sur le
mode du « contrat » qui est l’objet de la lassitude. « Etre, c’est avoir souscrit un
engagement à exister qui a la dureté d’un contrat irrésiliable » [26]. Etre las, c’est
d’en vouloir plus d’avoir à vouloir, n’en pouvoir toujours déjà plus d’avoir à
pouvoir ; « la lassitude par tout son être accomplit ce refus d’exister ».
Ehrenberg [46] poursuit dans ce sens. Pour lui dépression et pathologies de l‟addiction
sont le reflet d‟un même phénomène : l‟insuffisance. Ce qu‟il appelle « la fatigue d‟être
soi », n‟est pas une simple figure de style. Une des conséquences des profondes
mutations de notre société, est l‟irrésistible impression de vide qui s‟empare des
individus. La fatigue naît de cette sensation de vide confrontée aux exigences croissantes
et à la nécessite de performance. « Ce n‟est pas pour l‟homme chose pénible d‟être
homme, parce qu‟il a son essence dans l‟être homme. Ainsi on ne se fatigue pas d‟être
homme mais d‟être cet autre homme. » [26] (Alexandre d‟Aphrodise 1891)
L‟alternative à cette fatigue est la prise de conscience du sens de la responsabilité.
→ Cette vision se détache du modèle énergétique de la fatigue. Il se détache
également du modèle conflictuel. Elle réoriente la réflexion sur le traitement
symptomatique de la fatigue, puisqu‟il n‟y a plus de déficit ni physique ni psychique.
108
Durant cette dernière décennie, on a observé que le corps moderne était de plus en
plus dissocié de la personne. On parle de « chosification » du corps, au sens large,
puisqu‟il comprend le corps qui pense [70]. « Le corps a perdu son statut de matérialité
muette au profit de son identification avec la personne » [75]. La consommation de
produits pour maigrir, augmenter sa masse musculaire, sa mémoire, sa créativité, ses
performances sexuelles, pour dormir, prendre la parole en publique… le tatouage, le
piercing, la chirurgie esthétique, la procréation médicalement assistée, sont autant
exemples qui s‟inscrivent dans cette évolution.
« Le corps psychologique » s’est substitué au corps objectif et la prise de conscience
du corps par lui-même est devenue une finalité même du narcissisme. Le
narcissisme rend le corps disponible pour toutes les expérimentations. » [75]
→ Cette observation ne va-t-elle pas à l‟encourt de tout principe éthique ?
5.4.4. Quelle place réserver à la fatigue ?
La notion de compromis social doit s‟envisager sur des valeurs partagées. Ces
valeurs et ces représentations ne sont pas toujours données a priori. Elles sont
progressivement construites par la recherche d‟un ajustement entre des échelles de valeur
et des visions du monde différentes. Le consensus se construit a fortiori sur des thèmes
ambigus et polysémiques : justement comme la fatigue.
La grande force de la notions de fatigue définie sur un registre médical, est de
déplacer le regard d‟un niveau collectif à un niveau individuel : le problème devient
« gérable » sans transformation structurelle d‟envergure. Il existe un risque de
transformer la détresse sociale en un trouble physiologique. L‟entité nystagmus du
mineur en 1860 (mouvements oculaires associés à des cauchemars, humeur dépressive,
vertiges et maux de tête…) a été la maladie professionnelle la plus indemnisée jusqu‟en
1950. Cet exemple illustre comment la société a fait face à l‟affrontement du capital et du
travail : le système assurantiel.
→ L’assurance occupe une place de plus en plus importante dans notre système
de soins. L’intervention d’un tiers dans la relation médecin-malade est un grand
sujet de déontologie médicale. Ignorer la position des assurances (publique ou
privée) sur la nécessite d’un traitement symptomatique de la fatigue est une grave
erreur. L’argument économique fait souvent présager une pression plus importante
du capital sur le travail…
109
Actuellement des entités telles le Burn Out, l‟épuisement professionnel, le stress
professionnel chronique bénéficient d‟une attention croissante, et se complexifient [61].
Elles prennent une dimension pénale avec le harcèlement. C‟est un énorme progrès, mais
elles suivent l‟argument économique. En Suède l‟épuisement professionnel est une
pathologie professionnelle. Aux Etats-Unis, les entreprises paient, et donc développent
des stratégies pour la lutte contre l‟épuisement... au travail.
Pour certains sociologues, la médicalisation des problèmes de santé au travail revient à
faire porter sur l‟individu une part, aussi petite soit elle, de la responsabilité de son
malheur. En 1905 Mosso (médecin du travail) écrit : « un des caractères les plus intimes
par lesquels un individu se définit est bien la manière dont il se fatigue. » Il est donc
nécessaire, dans cette optique que chacun soit dirigé vers l‟activité qui lui convienne le
mieux. Si « l‟ancienne conception de l‟être avait une base sociale : l‟être humain se
réalise en assumant la mission dont l‟investit la société ; la nouvelle anthropologie a une
coloration bio-psychologique : l‟épanouissement est affaire individuelle ; il est conçu
comme l‟heureux développement des dons et talents que porte chaque enfant. [76]
→ La notion de prédisposition est très confortable pour les médecins, mais convient-
elle aux patients ? Elle devrait, dans notre société qui semble privilégier la Liberté à
l‟Egalité [75].
Pour Beard, médecin américain fin XIXe siècle, la neurasthénie est un formidable
instrument de régulation sociale [44], qui permet de mieux adapter les individus au
passage de la civilisation agraire à la civilisation industrielle. Elle permet d‟oublier les
malheurs du temps grâce à l‟affaiblissement de la mémoire, elle permet une transition
moins douloureuse aux nouvelles valeurs du fait d‟une révolte physique plus faible.
C est pourquoi la fatigue ne doit pas être analysée seulement comme une réaction à
telle ou telle aspect de la civilisation mais doit être comprise comme facteur de
stabilisation du contrôle émotionnel, à la fois réaction et action de formation d’une
nouvelle régulation émotionnelle et sociale.
Ainsi pour Nietzsche, la fatigue devient la dénomination la plus englobante, la plus
générale, de tout ce à quoi il convient de dire non [26]. « Tous les jugements suprêmes de
valeur, tous ceux qui dominent l‟humanité, peuvent être ramenés à des jugements
d‟épuisés. »
Dans sa recherche du surhomme Nietzsche souhaite éradiquer la fatigue. Mais en faisant
cela il augmente la « grande fatigue », la fatigue de la fatigue. Il pousse son raisonnement
et choisit de ne pas se fatiguer de la souffrance. Il perd la notion du bien et explique :
« qui avant moi est descendu dans ces antres d‟où s exaltent les vapeurs délétères de cet
idéal bien particulier qu‟est le dénigrement du monde ? Le dégoût de l‟homme est mon
péril. » [26]
110
« Qu‟arriverait-il donc si l‟on ne se départait jamais de la contemplation, […] capable de
faire cela grâce à une nature infatigable ? Ne serait-on pas alors soi-même passé à
l‟éternité ?» Plotin fait une description de la descente des âmes dans les corps : « les
âmes fatiguées de vivre entre elles vont s‟occuper d‟un corps, chacune le sien. » La
crainte du désert et la fatigue du désir (c‟est-à-dire le désir repu) sont les conditions de
possibilité de l‟humanité même.
La fatigue est donc l‟expression d‟une révolte et d‟une souffrance. Elle offre des
outils idéologiques. Sa médicalisation a essentiellement fait élaborer des interventions
individuelles.
Mais tout le monde n‟a pas intériorisé l‟idéologie managériale (psychothérapie cognitivo-
comportementale, spécialisations, professionnalisation…), ou ne l‟a pas acceptée.
Les sociologues ont depuis quelque temps remarqué ce soucis de s‟économiser et de
protéger son identité, il prend 3 formes pratiques : l‟absentéisme, le freinage et le turn-
over. La fatigue contemporaine prend une forme de résistance passive de l‟individu face à
l‟aliénation dans la production et dans la consommation.
Dans de nombreuses professions, comme les récompenses sont faibles (impossibilité de
s‟identifier à une entreprise dynamique ou à une culture de métier reconnue, mauvaise
rémunération et incertitude quant à la pérennité de l‟emploi), l‟acceptation des pénibilité
du travail instrumental est rendue difficile au profit d‟une plus grande sensibilité à la
fatigue. [72]
Le travail (professionnel et dans toute activité) est devenu le principal support de
l‟épanouissement personnel. [70, 76]. La fatigue est supportée « dans la mesure où je
peux m‟épanouir. » Les individus ne comptent que sur eux-mêmes pour réussir et sur leur
capacité à dépasser leurs propres limites. Mais pour autant, ils n‟échappent pas aux
exigences de performances.
Quand l‟individu s‟inscrit dans une logique de devoir social, la fatigue est à peine
mentionnée. Quand le travail est perçu essentiellement dans sa dimension instrumentale,
il devient source de stress et de fatigue. Il s‟agit alors de fatigue physique vécue
"normalement" comme le juste prix à payer. Quand le travail est une source
d‟épanouissement personnel, il s‟agit d‟une fatigue mentale : liée aux responsabilités, les
relations, la communication, la quantité, les exigences… elle est mal vécue. [26, 72]
→ C’est donc bien la forte attente à l’égard du travail en général (dans toutes ses
dimensions, professionnel, loisir, familiale…) et non le rejet qui est a l’origine du
sentiment de fatigue. Celle-ci reprend la forme d’un conflit intérieur. Ce ne sont
plus des supérieurs (employeurs, autorités religieuses, patriarche..) qui imposent le
rythme et les contraintes, mais l’individu lui-même, au nom de son idéal.
111
Le modèle énergétique de la fatigue est à tel point ancré dans nos raisonnements
qu‟il est trop tôt pour l‟ignorer. Pour de nombreuses personnes, la fatigue naît « quand on
donne beaucoup de soi sans recevoir en retour ». L‟accumulation de petites fatigues
"normales" peut paradoxalement se transformer brutalement, en une décompensation
franchement pathologique : le Burn Out.
Dans notre société « hédoniste » [75], la réalisation de soit passe par l‟action. Distinguer
contrainte et satisfaction devient difficile, puisque l‟individu est contraint de se satisfaire.
Devant des slogans tels « just do it », « parce que je le vaut bien », ou le dernier parfum
« fuel for life, beautiful life »… la fatigue prend des allures d’ennemi public. Elle
n’expose pas tant les inégalités entre individus, elle est une obstruction aux libertés
individuelles.
Cette représentation fait de la fatigue un problème purement quantitatif. Le traitement
serait une quantité d‟énergie : la barre de Mars, le tube de vitamine C, le pot de créatine
concentrée… Le manque d‟effet est ressenti, et les idées changent doucement : le succès
du Red Bull (taurine) en est l‟illustration. Il existe un glissement indéniable vers le
psychotrope, comme nous l‟avons vu aux résultats de l‟enquête.
→ Si la fatigue devient souffrance, c‟est qu‟il existe « un jeu conflictuel entre
biologisation, socialisation et psychologisation de l‟esprit » [46]. L‟homme moderne
semble bien déterminé à s‟affranchir des faiblesses de l‟esprit, mais ne sait pas encore
comment… La biologie est pour lui pleine de promesses !
Cette évolution ne semble pas du tout en harmonies avec nos valeurs éthiques.
112
5.4.5. Questions éthiques.
Le traitement symptomatique de la fatigue tel que je l‟ai exposé nous a amené à
différentes problématiques éthiques majeures. Je ne répondrai bien évidemment pas ici à
ma question principale, mais souhaite faire le point sur les thèmes soulevés.
Pour Ehrenberg [46] la nouvelle situation dans laquelle se trouve l‟homme moderne
est source de grandes souffrances, « mais il est temps d’aborder la question de
l’émancipation avec un sens pratique, au lieu de s‟encombrer d‟illusions
rétrospectives ».
La question n‟est pas de modifier le cours de l‟histoire, mais de rendre son déroulement
moins pénible et moins coûteux, tant humainement que financièrement.
Le risque du penseur est de croire en un autre monde et d‟haïr celui-ci. Il doit d abord
croire dans ce monde qui lui a offert des possibilités inouïes [26].
« Au centre du dialogue entre philosophie et médecine dès l‟Antiquité autour de
l‟harmonie qui définit la santé, la question des normes est constitutive de la pensée
réflexive sur l‟activité médicale : entre la critique de la notion physiologique de normalité
à partir de la clinique chez Canguilhem, et la critique de la médecine comme institution
chez M. Foucault, cette question invite à la vigilance à l’égard d’une confiscation
toujours possible de l’intégrité de la personne par le discours scientifique, social ou
politique » [42].
« L‟utopie, dans son sens de projet irréalisable, s‟inscrit avec une périodicité entêtante
dans l‟histoire de l‟humanité. En particulier quand elle prône l‟amélioration de l‟espèce…
des projets comme la prolongation de la vie, l‟éradication de maladies graves,
l‟accroissement du niveau d‟instruction générale, voire l‟amélioration des performances
sportives, semblent légitimes. A condition que leur mise en œuvre observe certaines
règles, comme la liberté de choix, le respect de la dignité ou la garantie que tous
puissent en bénéficier. Autrement dit qu‟elle respecte l‟ensemble des mesures destinées
à éviter l‟inféodation de toute ou partie de l‟espèce humaine. » [70]
La recherche du bien-être est une réalité. Les moyens mis à disposition des
individus les exposent à des effets secondaires potentiels. Le rôle du médecin est
indéniable, notamment dans l‟aide à la mesure de la balance bénéfice-risque. Son rôle est
particulièrement difficile quand il doit suivre le principe de primum non nocere.
« La médecine peut avoir des objectifs qui ne sont pas la santé, parce que sa fin absolue
est la personne elle-même […] Elle devient indéfendable si elle accepte le risque de
transformer les personnes en objets. » (Daniel Folscheid) [70]
Avoir recours au produit pour améliorer sa prestation en vers et contre tout est la marque
d‟un double mépris : pour soi-même et pour ce qu‟on est capable de réaliser.
113
Sur l‟éthique de l’information au patient, se dresse systématiquement l‟image du
médecin paternaliste qui sait mieux que le patient ce qui est bon pour lui. De nombreux
penseurs avertissent du danger que représente le libre arbitre, et insistent régulièrement
sur l‟importance de l‟éducation [38, 51]
Pour Spinoza la nature humaine est ainsi faite que « nous ne voulons pas une chose parce
que nous jugeons qu‟elle est bonne,… mais nous la voulons et tendons vers elle par
appétit ou désir. » Ainsi l‟obésité est-il un enjeu de santé publique majeur.
Pour Cabanis « il faut préserver le peuple de ses propres erreurs ! » [50].
La psychologie diffère considérablement de la logique : par exemple l‟usager acceptera
plus volontiers d‟être exposé à tel effet indésirable engendré par la prise du produit s‟il
tarde à s‟installer. Et on ne peut aujourd‟hui pas accorder à l‟une ou à l‟autre une plus
grande valeur.
Le comite national d‟éthique, réaffirme en 1986 : « respecter la personne humaine,
aussi bien chez autrui qu’en soi même, c’est la traiter toujours comme une fin,
jamais simplement comme un moyen et donc ne jamais se comporter à son égard
d’une manière à laquelle elle ne pourrait librement adhérer par elle-même. »
→ Les deux arguments habituels, éthique et santé, sont-ils devenus secondaires face à
la montée de l‟individualisme et dans une conjoncture où la réussite est souvent une
absolue nécessité ?
L‟éducation et l‟information des patients a-t-elle une limite déontologique ? Ne s‟expose-
t-on pas au risque d‟une tyrannie de la santé ?
Si le dopage a pour but d‟échapper à l‟insuccès, il donne le plus souvent seulement
un sentiment de puissance et du rêve. Ainsi il s‟apparente plus aux stupéfiants et à la
drogue. Les psychotropes, tous confondus, prennent des dimensions opposées, suivant
qu‟ils sont utilisés dans un cadre socialement admis ou non.
Sur le plan médical il n‟est pas éthique de mentir aux patients. En revanche il est admis
qu‟il faut protéger le malade, qu‟il n‟est pas nécessaire de dire toute la vérité. Dans l‟acte
de prescrire un psychotrope contre la fatigue, où commence le mensonge et s‟arrête le
respect des croyances et représentations ?
Il n‟est pas impossible que le sentiment de fatigue soit parfois inadapté et que la conduite
dopante soit utile. « Le médecin doit donc concilier le fait d’être regardé à la fois
comme déterminant et comme régulateur des conduites dopantes. » [70]
114
Des milliers d‟individus prennent tous les soirs ¼ de cp d‟hypnotique sans préjudice
apparent pour eux, pour leur famille ou pour la société, probablement sans effet
pharmacologique… Mais il serait difficile de leur retirer pour la seule raison qu‟ils ont
tort.
Mais c‟est sans compter l‟action coercitive que peuvent exercer les conduites dopantes
sur les autres consciences. « En matière de réglementation des conduites dopantes, il
ne semble pas y avoir de demande sociale marquée. » [70] Ceci s‟explique
probablement par l‟acceptation de plus en plus large des inégalités, et la défense
indiscutable des libertés individuelles. Chacun est libre de refuser le dopage et donc
d‟accepter les inégalités de chance. Est-ce une évolution acceptable ?
Si la drogue est un moyen d‟obtenir une impression de santé absolue, elle se paie d‟un
esclavage qui génère une autre pathologie de la liberté !
La construction de l‟identité, si indispensable aujourd‟hui, ne peut se faire sans le
support d‟un cadre comprenant des règles. Aucune communauté n’a jamais accordé à
ses membres la liberté totale du choix de leur comportement.
Des règles trop catégoriques ou pas assez, des règles trop décalées par rapport à la
réalité, des sanctions trop fermes ou pas assez, sont autant de facteurs qui
compromettent le fonctionnement et l’appropriation d’un système de valeurs qui
permet à chacun de comprendre le sens de ce qu’il fait. La liberté ne serait pas la
condition de la responsabilité, mais bien plutôt sa conséquence.
La quête de la performance, l‟exigence du tout tout de suite reflètent-elles une forme de
régression de la société à un stade de développement infantile ? Pour Ehrenberg non,
c‟est l‟aboutissement de siècles de réflexion sur l‟homme libre [46].
Pour Emile Durkheim « l’augmentation rapide du seuil d’exigence de la société par
rapport au médicament pourrait traduire une forme d’anomie ». Le niveau de
demande augmente quand les normes sociales sont confuses.
→ Pour résumer, dans le sport, les partisans du dopage considèrent volontiers les
sportifs comme membres intègres d‟une communauté ayant des droits mais aussi des
devoirs, autant les défenseurs du dopage les regardent comme des éléments individuels,
dont l‟intérêt personnel prime le reste.
Il parait légitime d’espérer une législation pour les conduites dopantes ailleurs que
dans le sport.
115
Pour Werner Maria Rilke, « être aimé c‟est passer, aimer c‟est durer. » Chrétien [26]
termine son essai sur la fatigue sur une note d‟espoir. Il dit que pour une pensée
chrétienne il n‟y a d‟infatigable que l‟amour.
Je ne résiste pas à l‟envie de rapprocher sa conclusion de l‟analyse de Lipovetsky, qui
décrit l‟homme moderne comme narcissique et séducteur [75]. On pourrait se laisser
prendre au jeu des syllogismes et déduire que l‟homme moderne est condamné à se
fatiguer de manière démesurée. « Si l‟amour peut être infatigable, c‟est à se déployer
selon ses propres dimensions, et le lieu de l‟amour n‟est pas la solitude, mais la
communauté humaine, le corps de l‟humanité. » [26]
S‟il y a de l‟infatigable, et un infatigable incarné, réel, il faut un corps inusable
infatigable. Ce qui n‟est pas encore possible. Le traitement psychotrope ne peut en réalité
que repousser l‟échéance de la fatigue, mais ne peut en aucun cas la faire disparaître.
La fatigue doit cesser d‟être pensée comme opacité et comme effondrement à l‟image
d‟Icare. Il ne faut pas succomber à la fatigue nihiliste nietzschéenne, fatigue de dégoût,
de vanité, de renoncement. [26]
La fatigue peut être un lieu de lumière, un lieu de proximité de dieu. Il est inacceptable de
dire que dieu s‟est fatigué/usé au travail, lors des créations. Le repos est celui de ses
œuvres. Il ne faut jamais se reposer sur son travail.
« Ce repos renvoie à la Liberté, en ce que dieu détermine lui-même les limites de son
œuvre. Ce jour sanctifié est un jour que dieu tout à la fois nous donne et prend. Le
7e jour dieu se lie au temps de ce qu’il a créé. Ce premier jour pour l’homme ne
compense et ne récompense rien : ce don de dieu signifie son amour, et est source de
promesses grâce auxquelles la fatigue ne se fait pas désespoir. »
116
Conclusion
Notre première hypothèse était que le symptôme fatigue et donc sa prise en charge
avaient des similarités avec la douleur. De nombreux points rapprochent ses deux
symptômes, l‟aspect universel, fréquent, ubiquitaire, subjectif, difficilement mesurable, la
dimension centrale et périphérique, la répercussion sur la qualité de vie et sur l‟activité.
La discussion sur la limite du normal et du pathologique pour la douleur a été hésitante
comme elle l‟est actuellement pour la fatigue.
La morphine comme le traitement symptomatique de la fatigue sont des psychotropes,
chargés de représentations et d‟Histoire. Leur utilisation n‟est pas sans provoquer des
réactions vives et mobiliser les consciences.
Mais les ressemblances, inévitablement, ont leurs limites. La fatigue ne se localise
jamais. Elle est multifactorielle et prend une dimension encore plus intime que la douleur.
La fatigue accompagne toutes nos activités.
L‟argument anatomopathologique n‟est pas satisfait pour la fatigue. Et c‟est peut-être le
moment de donner raison à M. Foucault : « la coïncidence exacte du corps de la maladie
et du corps de l‟homme malade n‟est sans doute qu‟une donnée historique et transitoire. »
L‟écoute attentive, et le regard clinique fin sont les principaux outils du médecin. La
fatigue ne doit pas se dérober à la prise en charge médicale.
Notre seconde hypothèse était que la fatigue pouvait bénéficier d‟un traitement
symptomatique, et que celui-ci serait un psychotrope. Après notre étude bibliographique
nous avons proposé un modèle pour comprendre le symptôme fatigue, nous nous sommes
amplement inspiré de la théorie des sentiments de A. R. Damasio.
La fatigue est « la conscience d‟ […] un déséquilibre dans la disponibilité, l‟utilisation, ou
la restauration des ressources physiologiques ou psychologiques [a priori] requises pour
exécuter l‟activité » [4]. « La fatigue est une plainte résultant d’un déséquilibre entre
ce qui doit être accompli et ce qui peut l’être» [113].
En nous accordant sur ce modèle, le traitement symptomatique de la fatigue ne peut être
qu‟un psychotrope. Nous avons été amenés à poser plusieurs questions secondaires.
117
L‟enquête descriptive avait pour objectif principal de savoir si le traitement
symptomatique de la fatigue correspond bien à une demande du patient. Les résultats sont
plus éclatants que prévu. Presque 1 personne sur 2 est pour le traitement symptomatique
associé au traitement étiologique, 1 personne sur 4 accepte le traitement en attendant une
guérison spontanée, et 1 personne sur 5 accepte le traitement symptomatique de la fatigue
comme traitement de confort. Quand le traitement est proposé dans le cadre d‟une
pathologie grave, comme le cancer, 94% pensent qu‟il faut traiter la fatigue !
Au sujet de la bonne ou mauvaise fatigue nous avons conclu que la limite était à
rechercher plus dans le terrain social que dans le terrain scientifique. Le modèle
énergétique de la fatigue est le seul modèle collectivement accepté. Mais cette vision est
très incomplète, et il semble bien que les idées changent progressivement.
Il existe une continuité biologique entre la fatigue normale et pathologique, et le concept
de normalité s‟efface au profit du bien-être. La fatigue est normative, c‟est une alarme
que l‟individu doit prendre en considération. Pourquoi ne pas en modifier la sensibilité ?
La recherche de substances ou de méthodes pour lutter contre la fatigue est une
préoccupation très ancienne de l‟homme. A ce point que certains philosophes y voient un
véritable moteur pour l‟humanité. Mais qu‟en est-il quand cette recherche aboutit à une
conduite dopante, c'est-à-dire une volonté de performance "au delà des limites du
possible" ? Et qu‟en est-il quand cette recherche aboutit à une conduite toxicomaniaque,
c'est-à-dire à une recherche de bien-être à tout prix ?
La discussion autour de la toxicomanie a eu pour but de rappeler le risque de
l‟ « automédication » et de la recherche du bien-être. Le rôle du médecin est inévitable,
dans la mesure où l‟individu s‟expose à des effets indésirables, à une perte de liberté.
L‟histoire des stimulants nous enseigne que les premières utilisations procurent excitation
et ivresse puissantes, mais que cet effet s‟atténue avec le temps.
« Il se peut que la puissance première du vin ait été domestiquée par des millénaires
d‟usage ininterrompu. Ce sont des forces autrement puissantes et effrayantes qui nous
saisissent dans les mythes où Dionysos, maître des festivités, apparaît avec son cortège de
satyres, de silènes de ménades et de fauves. »
118
Si l‟utilisation des psychotropes provoque dans l‟anarchie, des catastrophes sanitaires,
leur utilisation rationnelle s‟est accompagnée de progrès considérables.
Nous avons mis en évidence, dans une société dominée par la productivité et la quête
de performance, qu‟adopter des conduites dopantes n‟était pas systématiquement
contraire à l‟éthique. Mais la consommation de produits est parfois jugée problématique :
y a-t-il une limite à ne pas dépasser ? Peut-on garantir le libre arbitre ?
Dans notre société émancipée, tout est possible, mais est-il permis de façonner son
esprit ? Notre inquiétude de la dépendance traduit notre angoisse de passer de
l‟impression de n’être pas assez au constat de ne jamais être assez.
En ce sens elles méritent de bénéficier d‟une régulation. « Cela signifie au minimum que
chacun soit animé de la même volonté [active, sincère et durable] de prendre en
considération, pour chaque personne, le droit au respect, à la dignité, à
l‟autodétermination, à l‟humanité et ce dans toutes les circonstances de la vie. » [70]
Si la majorité des personnes interrogées sont optimistes, dans le sport ce combat est
interminable…
Le deuxième objectif de l‟enquête était d‟avoir une approche sur les représentations
du risque des traitements psychotropes. On voit que la connaissance du risque ne modifie
pas les réponses à la question principale. Au contraire, les personnes ayant expérimenté
d‟autres psychotropes semblent accepter plus facilement le traitement contre la fatigue.
La conjoncture actuelle fait que les individus privilégient la réussite à court terme. En
dépit de toute réflexion éthique, les individus semblent prêts à prendre des risques de plus
en plus importants. Le corps devient un outil que l‟individu est bien décidé à utiliser pour
arriver à ses fins. La fatigue fait partie des barrières que l‟homme moderne est déterminé
à franchir.
Mais l‟homme moderne compte bien également mesurer lui-même les risques qu‟il
prend, et conserver son libre arbitre. Il veut conserver la possibilité de refuser le
traitement. Le rôle du médecin réside dans l‟information du patient. Mais comment
garantir la liberté du choix ? Elle semble se maintenir au prix de l‟acceptation des
inégalités entre les individus…
119
Nous avons profité de la discussion pour exprimer une crainte partagée par de
nombreux médecins et sociologues. La pression des laboratoires pharmaceutiques est
telle qu‟il faut redouter l‟arrivée sur le marché de plus en plus de substances stimulantes,
destinées à prévenir la fatigue. Ces substances peuvent être en vente libre comme la
taurine, ou sur ordonnance : les IRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) ont
étendu largement leur champ d‟action [46].
Il est redoutable de voir que la généralisation de ces traitements semble incontrôlable (sur
le même principe que pour le tabac ? [99]). L‟introduction d‟une substance psychoactive
a toujours provoqué chez les populations exposées des réactions vives et extrêmes soit de
rejet soit d‟aliénation [41].
Les nouvelles technologies du vivant font évoquer un texte de Michel Foucault
(pourtant consacré aux prisons) « une anatomie-politique, qui aussi bien une mécanique
du pouvoir, est en train de naître ; elle définit comment on peut avoir prise sur le corps
des autres, non pas simplement pour qu‟ils fassent ce qu‟on désire, mais pour qu‟ils
opèrent comme on veut, avec les techniques, selon la rapidité et l‟efficacité qu‟on
détermine » [70].
Avec le traitement contre la fatigue, l‟individu n‟est plus confronté au conflit dans la
mesure où l‟assistance médicale compense le sentiment d‟insuffisance. S‟il revient au
médecin de prendre la décision de prescrire, il lui revient la question fondamentale :
drogue-t-on les gens ou les soigne-t-on ?
Pour garantir la liberté de choisir aux individus, il faut une information loyale, claire et
adaptée…
Entre Nietzsche et Plotin, les philosophes semblent redouter un monde sans fatigue.
Il faut insister sur le pouvoir de décision et de jugement qu‟offre la fatigue. Mais comme
Chrétien, nous sommes convaincus qu‟il n‟y a pas d‟infatigable incarné. Le traitement
symptomatique peut tout au plus retarder l‟échéance de la fatigue ou dans le meilleur des
cas la rendre moins pénible.
120
Il est manifeste que l‟homme moderne n‟entre plus dans l‟horizon de la guérison. Sa
fatigue est une demande diagnostic et une demande d‟assistance. Notre société sort
progressivement de l‟idée de "la" bonne solution. Le conflit est en perte de productivité et
structure de moins en moins l‟unité de la personne et du social. La référence au permis
est emboîtée dans la référence du possible. Pour Lipovetsky « le désert est devant nous, à
inscrire parmi les grandes conquêtes à venir, aux cotés de l‟espace et de l‟énergie » [75].
Pour Ehrenberg, il y a les personnes qui mesurent le poids de leur responsabilité dans un
monde croissant en abstractions et où la personnalisation accrue est bien concrète.
D‟autres n‟y parviennent pas. Ces derniers doivent être aidés.
Il suffit de regarder les données épidémiologiques pour s‟apercevoir que la fatigue
est devenue dans de nombreuses pathologies une plainte principale. Quelques équipes ont
déjà entrepris leur prise en charge. Il n‟est pas rare de voir essayés des traitements par
stimulants sans référence à une étude médicale validée. Il est absolument nécessaire de
mettre en place de tels essais thérapeutiques. Et l‟exploration du symptôme complexe
qu‟est la fatigue, impose une méthodologie irréprochable.
121
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[111] http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/poll/7870.asp
[112] http://animafac.net/article.php3?id_article=150
[113] So ciét é scien t if iq ue d e m éd ecin e gén érale , La p lain t e f at igue en m éd ecin e gén érale ,
Reco m m an d at io n s d e b o n n e p rat iq ue, sep t em b re 2005.
126
ANNEXES
I. Le questionnaire
Dans le cadre de ma thèse de médecine générale, j'essaie de comprendre comment
répondre au mieux au problème de la fatigue.
Nous avons tous aimé lire les aventures réussies d'Astérix grâce â la fameuse potion de
Panoramix... et nous sommes tous indignés de savoir que le tour de France sombre dans
le dopage.
Je vous propose de participer au questionnaire suivant,
127
Questionnaire
1. "Je ne sais pas ce qui m'arrive mais je suis fatigué(e)...". Ceci vous
est-il déjà arrivé?
non oui
2. Quelle est votre tranche d'age?
moins de 14 ans 14 - 18 ans 18 - 25 ans
25 - 40 ans 40 - 70 ans plus de 70 ans
3. Quel est votre sexe?
Homme Femme
4. Etes-vous sportif?
non oui
5. Quelle est votre catégorie professionnelle?
agriculteurs exploitants
artisans
commerçants et assimilés
chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus
professions libérales
cadres de la fonction publique
professeurs, professions scientifiques
professions de l'information des arts et des spectacles
ingénieurs et cadres technique
cadres administratifs et commerciaux
instituteurs et assimilés
professions intermédiaires de la santé et du travail social
clergé religieux
professions intermédiaires administratives de la fonction publique
professions intermédiaires administratives et commerciales de l'entreprise
techniciens
contremaîtres, agents de maîtrise
128
employés civils et agents de service de la fonction publique
policiers et militaires
employés administratifs de l'entreprise
employés de commerce
personnels de service direct aux particuliers
ouvriers qualifiés
ouvriers non qualifiés
ouvriers agricoles
retraités : anciens agriculteurs, exploitants
retraités : anciens artisans, commerçants, chefs d'entreprise
retraités : anciens cadres et professions intermédiaires
retraités : anciens employés et ouvriers
chômeurs n'ayant jamais travaillé
étudiants : collège et lycée
étudiants : 1er et 2e cycles universitaires sans activité professionnelle
autres personnes sans activité professionnelle
non renseigné
6. Avez-vous déjà consulté un médecin pour fatigue inexpliquée?
non oui
7. Pensez-vous qu'il existe une "bonne" et une "mauvaise" fatigue?
non oui
8. Pensez-vous qu'il suffit d'une bonne nuit de sommeil réparateur pour
corriger la fatigue?
non oui
9. Avez-vous été ou un proche a-t-il été atteint d'une maladie grave
129
(leucémie, cancer, séjour en réanimation, dépression sévère), qui aurait
provoqué une fatigue infernale, au point de ne pas pouvoir lire, ni
marcher, ni même manger?
non oui
10. On raconte que les membres pèsent une tonne, que les idées
s'éteignent, qu'avaler sa salive est insurmontable, que la réalité se mêle
aux cauchemars. Pensez-vous pouvoir imaginer une telle fatigue?
oui, je peux me l'imaginer.
non, je ne pense pas qu'on puisse être fatigué à ce point.
je ne sais pas, je ne me suis jamais posé la question jusqu'à maintenant.
11. On a l'habitude de distinguer la fatigue pathologique (maladie)
de la fatigue normale (physiologique), sur le critère de la récupération
par le repos. Est-ce un bon critère de jugement?
oui
non, on ne peut pas faire de distinction, c'est un continuum
non, il doit exister un meilleur critère.
12. On aime distinguer la fatigue physique de la fatigue
psychologique. Est-ce un meilleur critère de définition du normal et du
pathologique?
oui non, on ne peut pas faire de distinction, c'est un continuum
non, il doit exister un meilleur critère.
13. Quel serait pour vous un bon critère, pour distinguer la fatigue
normale de la fatigue pathologique? (Pas de réponse obligatoire)
Répondre sur le verso.
14. Le traitement de la douleur en général (sans distinction) est-il
un progrès?
non oui
130
15. Pensez-vous qu'il est ou sera possible de guérir la dépression
avec un médicament?
oui sans avis non
16. Saviez-vous que l'héroïne et la morphine sont deux substances
de la même famille?
non oui
17. Vous a-t-on déjà proposé un traitement par la morphine?
non oui
18. Si oui, l'avez-vous accepté ? Si non, l'accepteriez-vous?
bien sur, oui facilement
après réflexion, oui
difficilement oui
difficilement non
après réflexion, non
hors de question
19. Acceptez-vous l'analogie entre le traitement de la douleur en
général et celui de la fatigue en général?
oui, exactement.
vaguement oui.
plutôt non.
non, pas d'accord.
sans avis.
20. Doit-on traiter la fatigue pathologique comme on traite la
douleur d'une fracture par exemple? Il s'agit de soulager la douleur avec
un médicament et d'en réparer la cause (réduire la fracture).
oui, exactement.
vaguement oui.
plutôt non.
non, pas d'accord.
sans avis.
131
21. Doit-on traiter la fatigue du lundi matin comme les céphalées
du vendredi soir ou l'insomnie saisonnière?
oui, exactement.
vaguement oui.
plutôt non.
non, pas d'accord.
sans avis.
22. Saviez-vous qu'il existe un risque important d'accoutumance et
de dépendance aux somnifères, et qu'ils peuvent provoquer de graves
accidents chez les personnes âgées?
non oui
23. Pensez-vous que le traitement de la fatigue peut ressembler au
dopage sportif?
oui, exactement.
vaguement oui.
plutôt non.
non, pas d'accord.
sans avis.
24. Si oui, dans le bon sens du terme ou dans le mauvais sens?
bon.
à discuter. mauvais.
25. Si vous deviez consulter un médecin pour une fatigue
inhabituelle et qu il répondait : "je ne vois rien de grave, essayez de vous
reposer, je vous revois dans 2 semaines." Seriez-vous satisfait?
oui, exactement.
vaguement oui.
plutôt non.
non, pas d'accord.
sans avis.
26. Un traitement symptomatique a pour objectif de soulager un
symptôme sans se préoccuper de la cause. Il est parfois utilisé dans
l'espoir d'une guérison spontanée. Pensez-vous qu'il faut orienter la
recherche médicale vers un traitement symptomatique de la fatigue?
oui, exactement.
vaguement oui.
plutôt non.
non, pas d'accord.
sans avis
132
27. Actuellement avec l'évolution des traitements, les patients de
cancérologie se plaignent davantage de la fatigue que de la douleur.
Faut-il se battre pour soulager leur fatigue?
non oui
28. Pensez-vous qu'une bonne gestion des traitements est possible,
avec un minimum d'effets secondaires, en respectant l'attente du patient?
(une seule réponse pour Q27-28)
oui, tout a fait, je pense que c'est
possible.
mitigé, plutôt positif.
pas d'avis.
29. Ou craignez-vous des abus avec addictions ou surmenages,
craignez-vous de mauvais diagnostiques et de graves effets secondaires?
oui, c'est un scandale, nous irions droit dans le mur.
tout ceci me semble extravagant et irréalisable.
oui, c'est à craindre, mais il faut poursuivre les recherches.
plutôt inquiet.
sans avis.
133
30. Avec l'arrivée d'un traitement contre la fatigue, que pensez-vous
qu'il adviendra des "paresseux"? (pas de réponse obligatoire)
Merci beaucoup pour votre participation.
II. Exemples de réponses aux questions ouvertes Q13
et Q30.
Q13 :
85. RETROUVER UNE PLEINE FORME APRES UNE BONNE NUIT DE
REPOS
84. la cause
83. par ex: etre fatiguer au lever aprés avoir dormi 8 ou 9 hrs , meme si on va se
coucher a une heure raisonnable
82. NORMALE EST PONCTUEL PATHOLOGIQUE EST PERMANENTE
81. personne qui la majorité du temps n'a aucun problème de récupération donc pas
de fatigue élevé
80. la gène occasionnée chez la personne qui ressent la fatigue.
79. le psychosomatisme
78. aprés de gros efforts demandant une dépence énergétique, musculaire et même
une dépence demandant une grosse concentration intellectuelle, moi j'ai une fatigue
plutot un épuisement sans occune raison
77. aucune recuperation,malgres repos,et vis plus"saine",ainsi que les tentatives de
relaxation,yoga,psy ect ect
76. nombre de jours de la fatigue, comment elle survient
75. L'intensité Une fatigue pathologique est plus intense que la fatigue normale
74. La propension du sujet à jouer avec son imaginaire.
73. la durée le lien avec le niveau d'activité et/ou de stress de la personne
72. la durée
71. le plaisir
70. La fatigue normale est provoquée par des facteurs extérieurs classiques, qu'elle
soit physique (facteurs:sport, effort inahibituel,...) ou psychologique (facteurs:
stress, pression, ...).La fatigue pathologique ne s'explique pas vraiment et n'est pas
systématiquement provoquée par ces facteurs extérieurs directs.
69. Ajouter une notion de durée sur la période de repos
68. la fatigue normale survient après un effort la fatigue pathologique semble
n'avoir aucune cause
67. Je ne sais pas du tout , mais qq chose qui ne soit pas discutable par le monde
medical
134
66. Fatigue continue non liée à un mode de vie objectivement fatiguant, ne
s'estompant pas lors de périodes de repos (WE, vacances).
65. Il n'en existerait pas UN seul, car fatigue normale et fatigue pathologique n'ont
souvent pas d'origine distincte. On pourrait déjà commencer à avoir des éléments de
distinction en regardant le temps de sommeil par nuit, l'état de santé du malade (si il
suit des traitements médicaux par exemple...) et aussi regarder si celui-ci a une
activité physique régulière (que ce soit dans ses loisirs ou son travail).
64. Le sommeil est il récpérateur?
63. Une fatigue normale ne doit pas resister à quelques jours de repos.
62. Sans penser à un "bon" critère, je pense qu'une étude holistique de l'être humain
(métabolisme, activité cérébrale, etc...) pourrait nous fournir des corrélations plus
intéressantes que la vitesse de récupération par le repos. Qu'en est-il sinon de ceux
qui "refusent" la fatigue (mais peut être ne sont-ils pas fatigués :) ), ceux qui s'y
laissent sombrer, etc
61. La capacité à définir des projets d'avenir
60. Récurrence de la fatique, fatigue émotionnelle, stress, mauvaise alimentation,
insuffisance de vitamines ou minéraux, etc
59. fatigue normale : recuperation par le repos fatigue psychologique est une
fatigue pathologique parmi d'autre
58. la fatigue normale doit etre conjoncturelle, réparée par le sommeil, et
explicable par des evenement extérieurs (manque de sommeil du à un nourisson,
trop de stress, etc...); la fatigue pathologique est structurelle et ne s'explique pas par
des evenement extérieurs.
57. Je ne suis pas medecin, j'aaurai préferé ne pas repondre aux deux precedentes
questions
56. Halle berry et mariah carey se battant dans la boue devant moi... si je m'endort
tout de même c'est que je suis atteint de fatigue pathologique
55. la chronicité ou la continuité de cette fatigue face à un changement
d'environnement.(vacances,changement de travail, de regime alimentaire...)
54. un questionnaire pertinent, un examen clinique soigné et d'éventuels examens
complémentaires approppriés
53. considérer mode de vie ( alimentation régulière, horaires et charges de travail ,
sommeil ...) et la durée de la fatigue ( 1 mois, 6 mois...)
52. pas d'idée. Peut-être que certaines constantes physiologiques sont modifiées
lorsque la fatigue est pathologique.
51. Le degré d'inquietude qu'elle procure.
50. L'envie par opposition à l'apathie, quand on est fatigué moralement on a envie
de rien. Ni faire, ni boire ni manger ni attendre ni se réjouïr ni s'attrister... quand
l'abattement est total on peut avoir dormi tout ce que l'on peut, rien n'y change on ne
veut plus rien, on n'a plus aucun désir ni plaisir !
49. Dur à définir
48. Circonstances Evolution REtentissement clinique
47. la durée du sommeil
46. fatigue indépendante du repos
45. fatigue malgré un temps de repos acceptable
44. une fatigue importante survenue sans modification des activités normales
135
Q30 :
91. La paresse et la fatigue sont deux notions différentes. La preuve, elles ne portent
pas le même nom.
90. ^^ Bonne question .
89. Probablement ! Inévitablement ! C'est certain, en fait !
88. Les "paresseux" sont contents de leur état donc n'iront pas consulter un
médecin pour se faire traiter. Il y aura un risque de les marginaliser.
87. Ca dependra d'eux et de leur environnement. Un paresseux n'est pas
necessairement fatigué!
86. Les paresseux le resteront car ils ne sont pas malades et fières de l'être !
85. Les paresseux se ligueront tous ensemble pour empecher leur proche (voir le
gouvernement) de leur administrer ce produit et ainsi pouvoir continuer a passer
leur journée a regarder derrick et plus belle la vie. être paresseux it's a "way of life",
pas une maladie^^
84. La paresse n'est pas la fatigue... Ca n'a rien à voir ! Les "fainéants" me
semblerait plus précis comme terme, je pense qu'il n'en adviendrait rien de spécial
dans la mesure où c'est un trait de caractère. Par ailleurs j'ai du mal à imaginer que
le traitement contre la fatigue qui permettrait de soulager les cancéreux soit
également utilisé contre la fatigue du lundi matin. Pour finir, en analogie avec les
ISRS, une bonne partie de la population se refusera "par principe" à prendre ce type
de traitement pour ne pas passer pour un "faible"
83. Aucun rapport. Paresse et fatigue n'ont rien à voir. On n'est pas paresseux par
maladie, mais par envie ou caractère.
82. ils seront d'abords etudiés afin de determiner si "cette maladie" est génétique
puis traiter medicalement,les récalcitrants(peu nombreux chez les parresseux)seront
ghettoïsés, internés...Enfin cela redeviendra "IN" de ne pas trop en faire et les
paresseux seront starifiés dans des émissions de télé- réalité. J'ai comme une
impression de déjà vu.
81. LES PARESSEUX EXISTERONS TOUJOURS MAIS UN BON
DIAGNOSTIQUE SAVERE IMPORTANT POUR SAVOIR SI L'ON EST BIEN
DEVANT UN PARESSEUX ET N'ON PAS DEVANT UNE PATHOLOGIE.
80. ils existeront toujours... :)
79. pas de changement. tout au plus le paraitront ils encore plus par rapport aux
gens "dopés" au médicament anti-fatigue. mais la paresse n'a rien à voir avec la
fatigue.
78. rien ils n'iront pas consulter ou ce sera au médecin traitant de faire le diagnostic
77. On pourra facilement les repérer puisque ce seront du coup les seuls qui se
diront fatigués.
76. La paresse aime se faire cultiver... Je pense que certains paresseux agissent de
la sorte. Dans un sens c'est se ménager. Pour moi paresse et fatigue sont deux
choses différentes. La fatigue est inconsciente contrairement à la paresse.
75. il seront toujours présent, car les pareseux ne sont pas fatigués, ils n'ont juste
pas envie de se fatiguer....
74. Exlusions?
73. rien à voir !!
72. Ils finiront sur la paille, tant mieux ces gros batards!
136
71. c'est une bonne question!
70. La paresse n'est pas un problème lié à la fatigue. Elle peut avoir d'autres causes
: absence de motivation causée par un manque affectif dans l'enfance par exemple.
69. Travailler plus pour gagner plus ! Contre la fatigue un guronsan, le matin et le
midi. Le soir piqure de valiome.
68. Un paresseux n'est pas forcement fatigué. Il y aura donc toujours des paresseux
67. Il y aura toujours des paresseux malgré l'arrivée d'un traiment. C'est une
question de volonté!
66. ça n'a rien à voir donc les paresseux resteront paresseux.
65. un paresseux ne souffre pas forcément de fatigue
64. Cela n\'a rien à voir.
63. Il faudra dépenser beaucoup d'énergie pour lutter contre le totalitarisme des
hyperactivistes. Bon courage !
62. la notion de paresse et de fatigue n'a rien a voir, un paresseux ne veut rien faire
par flemme ou manque de motivation mais pas par paresse.
61. rien, ils resteront paresseux.
60. ils prendront de la drogue.
59. continueront à etre paresseux meme avec le traitement!
58. paresseux ne signifie pas fatigué..!la paresse est d'ordre psychologique
57. ils retourneront dans la foret fumer des petards avec laurent outan
56. Ce n'est pas avec ce questionnaire que l'on y arrivera c'est sur...
55. ils resteront paresseux et peut être heureux...
54. ils devront être encore plus forts
53. traitementde trop de personnes
52. lazy persons are a necessary portion of the social entalpia/entropia.
51. Je pense que s'il s'agissait finalement d'en venir à utiliser un traitement contre la
fatigue ordinaire (et non pathologique), il vaudrait mieux ne pas du tout s'engager
dans la voie d'un traitement de la fatigue pathologique... A la réflexion, je crois
donc qu'il vaut mieux éviter de s'engager dans cette voie !
50. Le paresseux n'a pas besoin d'un traitement, il est bien...
49. je ne pense pas qu'il y a de vrais paresseux
48. Je pense qu'il n'y a aucune causalité entre la fatigue et la paresse.
47. les paresseux ne sont pas fatigués, juste ramollis. peut-être devraient-ils se
réveiller pr prouver qu'ils ne soufrent pas d'une pathologie identifiée ...
46. il y en aurait toujours!
45. ils n'auront même plus besoin de se couper le poil dans la main ! Cool, une
chose de moins à faire...
44. La paresse n'est pas une forme de fatigue mais plutôt un manque de volonté. Je
pense que la paresse ne nécessite pas de ttt médicamenteux à proprement parler.
Eliminer une cause organique ou psychiatrique (ttt de la cause si besoin) et des
facteurs favorisants (et les prendre en charge également).
43. oui
137
III. Répartition des catégories professionnelles
agriculteurs exploitants - 1 0.26%
artisans - 0 0.00%
commerçants et assimilés - 5 1.31% chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus - 6 1.57%
professions libérales - 28 7.33%
cadres de la fonction publique - 17 4.45%
professeurs, professions scientifiques - 38 9.95%
professions de l'information des arts et des spectacles - 17 4.45%
ingénieurs et cadres technique - 47 12.30%
cadres administratifs et commerciaux - 38 9.95%
instituteurs et assimilés - 10 2.62%
professions intermédiaires de la santé et du travail social - 26 6.81%
clergé religieux - 0 0.00%
professions intermédiaires administratives de la fonction publique - 7 1.83%
professions intermédiaires administratives et commerciales de l'entreprise - 5 1.31% techniciens- 8 2.09%
contremaitres, agents de maitrise - 3 0.79%
employés civils et agents de service de la fonction publique - 6 1.57%
policiers et militaires - 2 0.52%
employés administratifs de l'entreprise - 13 3.40%
employés de commerce - 7 1.83%
personnels de service direct aux particuliers - 4 1.05%
ouvriers qualifiés - 4 1.05%
ouvriers non qualifiés - 3 0.79%
ouvriers agricoles - 0 0.00%
retraités : anciens agriculteurs, exploitants - 0 0.00% retraités : anciens artisans, commerçants, chefs d'entreprise - 1 0.26%
retraités : anciens cadres et professions intermédiaires - 11 2.88%
retraités : anciens employés et ouvriers - 5 1.31%
chômeurs n'ayant jamais travaillé - 1 0.26%
étudiants : college et lycée - 7 1.83%
étudiants : 1er et 2e cycles universitaires sans activité professionnelle - 34 8.90%
autres personnes sans activité professionnelle - 10 2.62%
non renseigné - 18 4.71%
Total Answers - 382
138
RESUME
La fatigue est une plainte de plus en plus fréquente en consultation de médecine générale,
en ambulatoire comme en hospitalisation. La première hypothèse est que la fatigue
ressemble en de nombreux points à la douleur, et donc que sa prise en charge devrait
ressembler à la prise en charge de la douleur. La deuxième hypothèse est que le
traitement symptomatique de la fatigue s‟il existe serait un psychotrope.
L‟objectif est de discuter sur la nécessité de soulager la fatigue par un traitement
symptomatique. En premier lieu, une enquête descriptive à l‟aide d‟un questionnaire
anonyme se fixe l‟objectif de mesurer l‟intérêt des personnes pour le traitement
symptomatique de la fatigue. L‟échantillon est constitué de 382 personnes. En second
lieu, une revue de la littérature cherche à comprendre le symptôme fatigue, afin de
confirmer les hypothèses.
Il en ressort que le rapport du patient aux médicaments psychotropes est très ambivalent.
Le traitement symptomatique de la fatigue dans les pathologies graves parait nécessaire
pour 94% des personnes interrogées. 1 personne sur 5 pense qu‟il faut traiter la fatigue
comme des céphalées. Ces résultats méritent une très large discussion.
Fatigue is a growing medical complaint. The first hypothesis is that fatigue has much in
common with pain. Subsequently the treatments should be similar too. The second
hypothesis is that symptomatic treatment of fatigue would be a psychoactive drug.
The purpose is to discuss the necessity to relieve fatigue with a symptomatic treatment.
First a descriptive survey with an anonym questionnaire will try to measure the interest of
people for such a treatment. The sample includes 382 individuals. Secondly, an article
review will help us understand the symptom fatigue, and confirm our hypothesis.
In conclusion, the patient‟s relation with psychoactive drugs is ambivalent. 94% of the
sample admits the necessity of a symptomatic treatment of fatigue in severe affections.
And 1 person over 5 would use such a treatment as for a headache. These results are
worth a large discussion.
MOTS CLEFS:
Fatigue, médecine générale, traitement symptomatique, psychostimulants.